connaissance de ses sujets, entre en rapport avec les meilleurs spécialistes du moment, mais ne laisse de ces
études que des esquisses.
C'est ce que l'A. aimerait pouvoir appeler la "brouillonneté" de Humboldt (p.262), le caractère morcelé d'une
oeuvre qui se présente comme une activité incessante, une energeia, une formation ou Bildung continuée : un
philosopher (p.124) qui se refuse à retomber dans la pesanteur d'une philosophie (p.263). Dans ces conditions,
une reconstruction est indispensable, guidée par une interprétation d'ensemble, conformément à la leçon de la
Tâche de l'historien (le texte de 1821 présenté par l'A. en 1985 aux PUL), qui présuppose elle-même une
certaine compréhension du kantisme à la lumière privilégiée de la question de l'homme (p.383, p.579). Elle
s'appuie certes sur l'Essai d'une anthropologie comparée (1795) et sur le Dix-huitième siècle (1797) (cf la
présentation de R.Leroux en 1958), mais cherche à les replacer de façon cohérente parmi les divers intérêts de
Humboldt; Le but de l'anthropologie philosophique est la compréhension de l'individualité (et à ce titre, sa place
dans une histoire de l'herméneutique peut, à la suit de J.Wach, se justifier, ainsi que l'a défendu l'A. dans le
volume La naissance du paradigme herméneutique édité par A. Laks et A. Neschke, PUL, 199O, ou encore,
insistant davantage sur le langage, D. Di Cesare, "Pour une herméneutique du langage, Epistémologie et
méthodologie de la recherche linguistique d'après Humboldt", in Cahiers Ferdinand de Saussure 44 (1990),
Droz, Genève,1991) par la comparaison qu'opère l'imagination, joignant les approches de l'historien, du
naturaliste et du philosophe. Ainsi, le rôle de l'anatomie comparée de Goethe, qui lui lègue le concept de "type",
de la physiognomie de Lavater, stimulant une réflexion sur l'expression (et elle-même inspirée de la philosophie
du langage de Hamann, p.348!), ou de la "physiognomie naturelle" de son frère Alexandre sont intégrées et
comprises comme des niveaux d'approche différenciés de ce projet centré sur l'homme. Le concept unifiant la
démarche est celui de force (pp.279-281) : il y a une force fondamentale dont l'essence s'expose en une idée
originaire, s'exprimant dans la totalité des phénomènes -telle est la présupposition que se donne la philosophie
énergique de Humboldt et qui lui garantit son statut d'objectivité (rempart contre un relativisme auquel n'ont pas
échappé certains de ses interprètes), sans qu'elle cesse pour cela de rester fidèle à son inspiration critique, selon
l'A., qui y lit une "philosophie du comme si " (p.386). L'explicitation de la dimension pratique de l'anthropologie
philosophique éclaire le concept de Bildung et cherche à défendre la position originale de Humboldt entre la
philosophie de l'histoire et l'approche purement morale.
L'A. laisse son lecteur au seuil de l'oeuvre consacrée au langage, insistant à maintes reprises sur la totale
indépendance de l'anthropologie par rapport à celle-ci, laquelle n'en serait que la "transposition" (p.233), le
passage au langage ne modifiant en rien la philosophie de Humboldt (thèse qui s'appuie, outre l'effet de
conviction attendue de l'ensemble de la reconstruction, sur le fait que plusieurs axiomes de la "philosophie du
langage" ultérieure sont déjà formellement présents dans des contextes non linguistiques, ainsi pour l'utilisation
du couple energeia-ergon, p. 214, note 33; ou encore, pour la formule "poursuivre des buts infinis avec des
moyens finis", p. 314-315, note 38).
Cette thèse, forte et cohérente, appelle cependant quelques remarques. En amont, tout d'abord : si l'influence
kantienne paraît bien attestée, peut-on privilégier à ce point la question de l'homme sur la question
transcendantale ? N'est-il pas hâtif d'approuver Jacobi quand il dit que Kant réduit tout à l'homme (p.86) ? Qu'il
n'y ait "que l'homme" (p.147) pour Humboldt, que l'humanité soit à elle-même sa propre fin (pp.484-542), nous
pouvons sans doute nous en persuader à la lecture du livre, mais en est-il de même pour Kant ? D'autre part, et la
chose est liée, est-il si sûr, en aval, que la réflexion sur le langage n'apporte rien de décisif et de neuf pour le