seulement l’arbitre des litiges privés, mais le censeur des pouvoirs déficients, qu’il s’agisse de
l’exécutif (1920), du judiciaire (1991) ou du législatif (2006).
Et comme la légalité comporte notamment la norme omnivore inscrite à l’article 1382 du
Code civil, les détenteurs du pouvoir doivent eux aussi se comporter comme des bons pères
de famille. Quelle disgrâce pour ceux qui jusqu’en 1920 étaient à l’abri du regard des juges,
ayant hérité de la majesté qu’on avait enlevée aux princes !
Le Constituant avait cru canaliser le phénomène en chargeant des juges spécialisés – qu’à
tort il espérait plus dociles – de traiter les contentieux administratif et constitutionnel. Mais il
n’a pu combler la brèche créée par l’arrêt La Flandria dans laquelle sont ensuite tombés un à
un tous les « fauteurs publics », si majestueux fussent-ils.
Le point d’orgue à cette hypertrophie du judiciaire vient d’être écrit par la Cour de
cassation qui reconnaît aux juges judiciaires la compétence, non seulement, dans les
conditions qu’elle détermine, de censurer l’omission du législateur, mais même de punir son
abstention de libérer les budgets utiles aux services qu’il doit rendre.
On est encore en démocratie, mais celle-ci est de moins en moins représentative et de
plus en plus juridictionnelle. Si l’évolution ne paraît pas susceptible d’être arrêtée, encore
faudra-t-il que, soit le législateur, soit la jurisprudence, fournissent les limites qui permettent
de ne pas déséquilibrer les pouvoirs.
Concernant la responsabilité de l’Etat, engagée par le pouvoir judiciaire, l’arrêt ANCA II
a fixé des limites à ce point exigeantes que le contentieux est quasiment inexistant. On aurait
aimé trouver des réserves identiques dans l’arrêt FERRERA. Peut-être viendront-elles
ultérieurement pour éviter que ne se banalise un contrôle des choix discrétionnaires de
l’autorité budgétaire, le risque étant réel dans une démocratie du ressentiment de voir se
multiplier les procès faits par des groupes dont l’égoïsme est indifférent à la chose publique.
Quant à la question lancinante de la légitimité des juges pour exercer des contrôles que la
Constitution réserve, en principe, aux politiques, on redira que la légitimité n’est pas innée,
statutaire, d’origine. C’est par la qualité de ses appréciations, la mesure de ses censures,
l’acceptabilité de ses motifs que le pouvoir juridictionnel établira la légitimité de son contrôle.