Courrier de l'environnement de l'INRA n°37, août 1999
Pour moi, et d'autres, la naturalité d'un système écologique s'apprécie le long d'un gradient. La
variable « naturalité » peut être estimée en fonction de l'influence des activités humaines sur
l'évolution du système considéré.
En tenant compte du facteur « temps », on considérera des naturalités passées, présentes et futures,
mais on ne pensera jamais que le futur peut rejoindre le passé.
La place de l'homme
Le fait d'adopter cette définition ne signifie pas que je pense que l'espèce humaine ne fait pas partie de
la nature et je n'adopte pas cette attitude pré-darwinienne encore répandue.
Cependant l'ampleur de l'impact de ses activités tant planétaires que locales sur le sens de l'évolution,
voire le maintien des systèmes écologiques, est d'un autre ordre que celle de tout autre espèce, même
si on peut citer quelques émules timides comme le castor.
Il faut cependant admettre que de nombreuses autres espèces jouent également un rôle important lié à
leurs fonctions. On parle d'espèces clefs de voûte. Les conséquences de leur éventuelle disparition,
souvent due à l'homme, en apportent la preuve, qu'il s'agisse des grands herbivores, des carnivores ou
des pollinisateurs.
Mais cette influence s'exerce dans la logique d'un système écologique évolutif, donc de la naturalité,
sauf si cette disparition est directement due aux activités humaines. C'est pourquoi on peut légitimer
les réintroductions d'espèces comme moyen d'augmenter la naturalité, dans la mesure où leur
élimination n'a pas été occasionnée par une modification irréversible du milieu.
Les frontières entre la nature et le « reste »
On peut aussi, si besoin est, pour effectuer une séparation entre un système fortement dominé par
l'homme et un système naturel faire la remarque suivante. Dans un système naturel, on peut distinguer
schématiquement trois niveaux d'utilisation d'un flux d'énergie. Le premier niveau est constitué par
les végétaux avec une forte biodiversité spécifique, le deuxième est constitué par un grand nombre
d'herbivores tant vertébrés qu'invertébrés et le troisième comporte un assez grand nombre de
carnivores plus ou moins spécialisés. Dans un système complètement dominé par l'homme, nous
aurons une autre organisation. Au premier niveau, une faible biodiversité représentée par les plantes
cultivées ; au deuxième niveau, les herbivores domestiques et, enfin, au troisième niveau un omnivore,
l'homme, qui se nourrit aux dépens à la fois de la production végétale et des herbivores domestiques.
De plus, l'homme est le plus souvent très intolérant vis-à-vis des êtres vivants qui pourraient venir le
concurrencer dans l'exploitation de ces deux niveaux trophiques. Aux débuts de l'histoire de
l'humanité, les deux ressources étaient exploitées par la cueillette et la chasse. La cueillette glissait
d'ailleurs assez vite vers une forme d'agriculture, les hommes favorisant les végétaux les plus
importants en tant que ressource. Le noisetier a été ainsi, semble-t-il, favorisé à Fontainebleau au
néolithique. Aujourd'hui, en Amazonie, les Indiens propagent au cours de leurs migrations les
végétaux qui leur sont utiles et que l'on retrouve ensuite en densité anormale sur les emplacements
d'anciens villages que rien ne permettrait autrement de détecter facilement. De même le passage de la
chasse à la domestication peut être interprété comme un recul de la naturalité.
De plus, l'homme ayant besoin de matériaux et d'énergie pour ses habitations, qui sont par ailleurs
consommatrices d'espaces, a exploité les milieux forestiers en dirigeant leurs évolutions de manière
significative dans la plupart des cas.
Ceci étant, le gradient de naturalité n'atteint jamais la note cent et ne descend pas souvent à zéro.
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