Dossier de l’environnement de l’INRA n°27 63
considérer la conservation d’une population viable sur le long terme sans raisonner à l’échelle de la
superficie minimale nécessaire.
Ici encore, les difficultés ne manquent pas. Sur le plan législatif, la France a disposé pendant
longtemps d’un ensemble de possibilités concernant souvent des surfaces relativement restreintes et
souvent partiellement protégées. On pratique la chasse, dans des conditions ordinaires, dans plus de
vingt pour cent des réserves naturelles !
Ces zones protégées possèdent toutes un certain intérêt, mais souvent leur choix est dû à des
opportunités plus qu’à une planification.
Pourtant, à la suite de la rencontre avec la théorie de la biogéographie insulaire de MacArthur et
Wilson (1967), de nombreux spécialistes de la conservation ont pensé pouvoir tirer des enseignements
destinés à permettre la création de nouvelles réserves sur des bases scientifiques indiscutables. Cette
théorie, vérifiée en grande partie par des observations et des expérimentations, n’a pas à être exposée
ici dans les détails. Qu’il soit seulement rappelé, d’une manière un peu caricaturale, que le rapport
entre les dimensions des îles et aussi leurs distances au continent est en relation avec le nombre des
espèces qu’elles abritent. D’autre part, chaque espèce a une durée d’existence limitée et peut ainsi
céder sa place à une nouvelle arrivée. La première démarche intellectuelle a été de considérer que les
habitats terrestres isolés les uns des autres étaient l’équivalent des îles océaniques et évoluaient selon
les mêmes règles. On espérait ainsi répondre à d’importantes questions. Par exemple, doit-on préférer,
à superficies totales égales, une grande réserve ou plusieurs petites ?
Outre quelques faiblesses dans la théorie elle-même, on peut observer une erreur importante
d’appréciation. On ne peut, en effet, comparer la situation de la faune et de la flore terrestre d’une île
océanique, entourée par un milieu parfaitement hostile et souvent difficile à traverser, avec celle
rencontrée dans un habitat terrestre, quelle que soit son originalité. Même si nous prenons l’exemple,
souvent cité, d’un étang sans exutoire, nous constatons que les odonates peuvent aller chasser très loin
et que, si beaucoup de batraciens s’y reproduisent, leurs vies d’adulte se déroulent dans d’autres
habitats. C’est pourquoi la colonisation d’une mare nouvellement creusée est assez rapide. Laan et
Verboom (1986) ont montré qu’une nouvelle mare était colonisée dans les trois ans par le crapaud
accoucheur, à condition de se trouver à moins de 500 m d’une mare plus ancienne abritant cette
espèce.
Il faut cependant reconnaître que ce nouvel effort de réflexion sur les bases du choix d’une réserve
naturelle a produit d’autres fruits : prise en compte du nombre de reproducteurs nécessaires pour une
survie à long terme, réflexion sur les dangers de la fragmentation, intérêts des corridors, etc. Nous
reprendrons l’examen de certains de ces points quand nous étudierons le détail des mesures proposées
pour conserver la nature.
À côté, mais non à l’opposé, de la stratégie de création d’espaces à protections fortes mais de
superficies relativement réduites, nous assistons à la mise en place d’une stratégie bien différente.
Depuis la parution, en 1992, d’une directive européenne connue sous le nom de « directive habitat »,
nous disposons, en effet, d’une stratégie destinée à créer un réseau écologique cohérent dénommé
« Natura 2000 ».
Un habitat est défini comme comprenant les espèces animales ayant tout ou partie de leur niche
écologique, c’est-à-dire essentiellement l’espace trophique et le lieu de reproduction, dans l’espace
considéré ainsi que la végétation particulière et différents paramètres abiotiques. Ces habitats
correspondent aux biotopes décrits dans le manuel européen Corine biotop, dans lequel la végétation
est considérée comme l’identifiant principal. Cette classification n’est pas sans défaut et doit faire
l’objet de certaines adaptations. En France, on connaît des tentatives intéressantes et appropriées à
notre situation. On peut, pour les milieux forestiers et associés, consulter le référentiel publié par
Rameau (1997).