à travers sa « plasticité9 ») pour que cette conception soit remise en question, puis
dépassée. La culture n’étant plus envisagée comme une donnée mais comme un construit,
les identités qui en découlent ont dès lors été appréhendées à travers une vision
dynamique et non plus figée. Dans une contribution commune sur la question de l’analyse
de l’identité, Christian Bromberger, Pierre Centlivres et Gérard Collomb indiquent en ce
sens qu’il importe désormais d’appréhender l’identité non plus comme « un donné, hors
du temps et hors du monde (…) mais comme un projet10 ». Le projet identitaire, qu’il soit
traditionaliste ou autre, devient une dimension analytiquement envisageable à l’échelle
de la modernité. Si l’anthropologie se révèle depuis plusieurs décennies être une pratique
épistémologique opératoire pour cerner les sociétés du Proche en tant qu’elle consiste,
comme l’indique Gérard Althabe, « à utiliser les notions et dispositifs conceptuels
élaborés dans le cadre de l’ethnologie du lointain pour identifier et bâtir la
compréhension des phénomènes surgissant dans le présent11 », cette démarche apparaît
d’autant plus nécessaire lorsque ces notions et dispositifs ont été également récupérés par
des idéologies politiques qui constituent, par ailleurs, l’objet du chercheur.
7 Des notions telles que le relativisme culturel qui, à travers leur constitution disciplinaire,
ont été construites dans le but, certes idéologique, d’objectiver au maximum
l’appréhension de l’Autre afin de se garder du regard ethnocentrique, se trouvent
détournées de leur objectif initial afin de légitimer ou d’asseoir des idéologies dont les
fondements poursuivent des finalités différentes voire contradictoires de celles du
chercheur. Ainsi en est-il pour Marc Augé de certains discours xénophobes qui « partent
volontiers du thème de la spécificité culturelle pour aboutir à une quasi-identification des
termes immigration, déviance et délinquance12 ». Si bien que l’anthropologie ne peut plus
désormais faire l’économie d’une réflexion critique sur les implications politiques de sa
discipline, tant au niveau de sa relation aux acteurs sociaux appréhendés qu’au niveau de
son discours théorique et de surcroît idéologique.
8 Qu’en est-il de la figure de l’Autre-proche (soit l’immigré ou, du moins, celui qui est
définit comme tel) à travers le discours du nationalisme différentialiste ? Ici, l’immigré ne
représente pas une abstraction idéalisée de l’Autre-lointain mais une « réalité » pratique
prenant part au quotidien de l’espace national du Même. C’est précisément parce qu’il ne
fait pas partie de cette entité que constitue l’espace national du point de vue de
l’idéologie du nationalisme différentialiste qu’il permet d’être le révélateur de la
représentation du Même, c’est-à-dire de la représentation sym-bolique de la nation. On
distingue ainsi trois types de discours lorsque cette thématique est abordée. Les immigrés
(auxquels sont associés dans les discours les individus issus de la deuxième ou même de la
troisième génération) sont tout d’abord désignés, de par les références différentialistes,
comme étant les premières victimes du processus de l’immigration. Ils sont décrits
comme des êtres déracinés, coupés de toute attache culturelle. Ils sont le symbole du non-
être. A cheval entre deux cultures, ils sont forcément en dehors de toute culture c’est-à-
dire de la catégorisation différentialiste de l’humain. Les propos suivants sont éloquents
sur ce point.
« L’immigration, les fautifs, c’est pas les immigrés. C’est ceux qui leur permettent
de venir et d’être plus prospères en France sans travailler que dans leur pays en
travaillant. Moi je serais africain au Niger aujourd’hui, ben, je viendrais en France,
hein. C’est clair. Donc faut pas s’en prendre à eux. C’est des victimes eux aussi. Peut-
être encore pire que nous. Eux, ils sont complètement déracinés. » (Etudiant)
« Ils [les immigrés] sont en train de se déculturiser [sic] totalement, ils ont plus de
racines chez eux, ils savent même pas parler l’arabe alors que l’arabe, c’est une
L’extrême droite sur le terrain des anthropologues. Une inquiétante familiarité
Socio-anthropologie, 10 | 2003
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