Lecture disciplinaire
La sociologie a été influencée par l'idéologie de l'ordre et du progrès ainsi que par les valeurs et les
pratiques qui se sont développées dans ce contexte. Qu'il s'agissent par exemple des thèmes du structuro-
fonctionnalisme et de leur principe de régulation ou des thèses du matérialisme, l'adhésion aux valeurs de
l'expansion ou du développement effectif, inéluctable est centrale. On retrouve plus ou moins explicitement
cette tendance dans les sociologies spécialisées.
Les outils conceptuels et méthodologiques qu'elles utilisent répondaient aux données et aux
interrogations d'une époque, celle en particulier des Trente Glorieuses, de la régulation fordienne, du
partage des bénéfices, de la satisfaction de certaines attentes par des productions et des consommations de
masse encore relativement vierges de nuisance.
L'idéologie du progrès, du développement possible par l'éradication des pratiques et des mœurs du
conservatisme : celle de l'iniquité et des privilèges, s'appuyait en France et plus généralement dans le monde
occidental sur les avancées de la République laïque et démocratique. Par ailleurs, cette dynamique était
issue et se nourrissait au plan tant économique que technique, de la révolution industrielle. Le travail
humain organisé, l'amélioration des outils et des machines apportaient ou du moins permettaient
d'envisager, à l'instar de ce qui s'était mis en place de l'autre côté de l'Atlantique, une massification de
l'accès aux produits, à la consommation, voire à l'épanouissement. On aurait dû assister à une conjonction,
fortuite ou réelle, entre le progrès matériel et les avancées démocratiques.
Au tournant du XIXe-XXe siécles, ces effets de la Révolution industrielle se sont traduits, pour diverses
couches sociales, par une confiance dans les potentialités de la modernité en terme d'accroissement des
richesses, de mise en forme et d'accès à des biens de consommation plus nombreux et divers et d'accession à
des postes de responsabilités. L'État encadre et coordonne cette amélioration des conditions matérielles et
intellectuelles. Il en est ainsi, par exemple, de la généralisation de l'enseignement. Cette progression, elle ne
se fait pas que dans le libre jeu du libéralisme et du laisser faire. Elle est légitimée par un projet. Celui-ci
reprend les idéaux de la Révolution et des Droits de l'homme. Liberté, égalité, fraternité sont les thèmes qui
motivent les adhésions et ce, à l'encontre de l'Ancien Régime, de ses privilèges et de l'obstruction faite à
l'émergence des nouvelles catégories sociales. Des intellectuels issus de ces couches sociales émergeantes,
militent à titre collectif et personnel pour ce programme, c'est-à-dire, entre autres, pour l'attribution des
charges en fonction des mérites et non des rangs ou de la fortune. Ils ont foi dans les potentialités du
progrès scientifique. Le bon fonctionnement des institutions, en l'occurrence celle du contexte républicain, y
occupe une place non négligeable. L'argumentaire d'un des plus célèbres ouvrages sociologiques de cette
époque, celui d'Emile Durkheim : De la division du travail social, se construit autour des modalités de
l'ordonnancement souhaitable des sociétés de la modernité. La solidarité organique apparaît comme le
facteur de la cohésion sociale de cette fin du XIXe siècle, période traversée par les effets de la révolution
industrielle et par les attitudes « anomiques » de certains de ses acteurs.
Ce modèle va motiver tacitement les générations successives, les faire patienter sinon supporter les
vicissitudes pour qu'elles puissent, demain, reprendre cette dynamique « positive » qu'économistes et
sociologues analysent et parfois anticipent3.
Aujourd'hui, à l'évidence, ces éléments ne tiennent plus le devant de la scène. Leur capacité heuristique
s'étiole.