chacun est irréductiblement marquée par la société (lieu où les besoins sont
satisfaits : travail, échanges…) dans laquelle chacun vit.
Nous avons pu relativiser cette thèse avec un texte d’Aristote (extrait de
Métaphysique), laquelle pointe que la pensée philosophique a émergé d’une
attitude humaine particulière : l’étonnement (le « je ne sais qu’une seule chose,
c’est que je ne sais rien » de Socrate, le doute selon Descartes, la suspension du
jugement selon Husserl…) vis-à-vis des choses et du monde, attitude de
distance, d’observation concentrée et patiente, attitude de retrait (je ne saisis
plus l’objet pour le faire entrer dans le circuit de l’utile, de l’efficace, de la
survie
). Ainsi, lorsque l’homme a trouvé suffisamment de moyens pour
survivre en parant à son manque d’instinct (développement du savoir faire), il a
pu commencer à philosopher, c’est-à-dire à convertir sa pensée, de pensée visant
l’utile (« l’esprit d’invention mécanique », selon les termes de Bergson) en
pensée désintéressée (pensée cherchant le sens et la vérité). Cette origine de la
philosophie est aussi celle de la science. Et cette origine est aussi fondement
(tout homme qui commence à philosopher aujourd’hui commence par une telle
attitude de rupture vis-à-vis des urgences du quotidien, vis-à-vis des urgences
sociales).
Ce n’est ainsi pas un hasard si le premier savoir (d’objet) développé par
l’humanité a été l’astronomie. Les astres, objets qui ne sont d’aucune société,
sont aussi et surtout des objets inaccessibles, des objets que la main fabricatrice
ne peut manipuler pour en tirer une quelconque utilité. Ils sont l’objet que
l’homme a dû prendre le temps de contempler.
Ainsi, nous comprenons, par la rencontre de ces deux textes et de notre
pensée, que Marx a raison de pointer l’immense difficulté qu’il y a à sa libérer
du conditionnement de la société dans laquelle l’on vit afin de pouvoir penser
(objectivement), tandis qu’Aristote, de manière complémentaire, décrit le
processus de distanciation vis-à-vis de la société (et de ses urgences, besoins,
idéaux, peurs…) qui seule peut permettre une telle libération.
N. Abécassis
Par exemple : je ne réponds plus, à la question « qu’est-ce qu’un ciseau », que c’est un objet qui sert à couper,
mais j’élucide objectivement ce qu’il est, à savoir un système de leviers, comme la balance : lorsque le poids
augmente d’un côté, pour maintenir l’équilibre je dois proportionnellement rallonger le bras de levier de l’autre
côté ; j’en conclus que la distance du levier fait gagner en force ; et c’est pourquoi, pareillement, lorsque je dois
couper une feuille épaisse, il me faut plus de force, alors je raccourcis la distance entre la jonction des lames et le
papier à couper, tandis que ma main, ne changeant pas de place quant à elle, jouit proportionnellement de plus de
force pour couper = loi des leviers découverte par Archimède.