Sylvain Lavelle, « Dialogue et dialectique. Relations, structures et situations dans l’activité et la société humaine »
Document de travail du GSPR-EHESS, 1, 2013
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divergence de ces trois philosophes, notamment ceux de Honneth et de Schwartz concernant
le dialogue et la dialectique ? (5) Dans quelle mesure l’ergologie peut-elle constituer une
version française possible de la Théorie critique, qui à la fois s’apparente et se distingue de sa
version allemande ? (6) En quoi peut consister une dialectique du dialogue qui renonce à
l’idéalisme, introduit un matérialisme dans la situation de parole, et peut ainsi refléter les
configurations structurelles et situationnelles des relations sociales ?
Par dialectique du dialogue, j’entends l’idée que, dans une voie dite par convention post-
dialogique, le dialogisme doit composer avec des situations de parole et des contextes
d’échange et d’activité dans lesquels la communication et la discussion se trouvent soumises
plus ou moins à une forme de contrainte et d’intérêt et renvoient à des conditions
contextuelles d’arrière-plan. Ainsi, je voudrais suggérer que la convergence des deux écoles
concerne la nécessité d’opter pour une conception plus dialectique du dialogue et par
l’élargissement dudit dialogue à la sphère industrieuse du travail. Je voudrais aussi suggérer
que la divergence entre les deux tient à un certain rapport au structuralisme et au
matérialisme, incluant la vie du corps, plus qu’au marxisme proprement dit, qui est, chez
Honneth comme chez Schwartz, fortement euphémisé. Enfin, je voudrais suggérer que, en
dépit de leurs divergences, les deux philosophes se retrouvent au moins dans une méthode
normative, quoique négative, adaptée à une critique du capitalisme, mais qui laisse en plan la
construction d’une utopie positive, laquelle pourrait constituer une voie politique suggestive
pour un nouveau socialisme.
2. Dialogue, dialectique et philosophie
Le dialogue se rattache dans l’histoire de la philosophie à la dialectique, mais cette méthode
emblématique a subi de telles évolutions qu’il convient de préciser à quelle famille elle peut
se rattacher, sous peine de rester dans le vague.
1. Le premier modèle (‘platonico-aristotélicien’, P/A) renvoie à une méthode qui se fonde sur
la règle et l’exercice du dialogue entre deux interlocuteurs, qui vont ainsi pouvoir confronter
leurs arguments dans une discussion contradictoire, en vue, si possible, de progresser dans la
connaissance, ou du moins, dans la justification d’une position.
2. Le deuxième modèle (‘hégéliano-marxien’, H/M) se fonde sur le procès historique propre
de la nature, de l’esprit, ou de la société, selon un mouvement de progression contradictoire
dont la dialectique est le miroir en même temps que le principe, et dont le terme nécessaire est
constitué par la suppression de la contradiction.
On voit donc que la similitude des modèles (P/A) et (H/M) vient de la référence à un
mouvement de progression d’un état vers un autre, selon une loi qui associe l’identité et
l’altérité. Toutefois, leur différence tient à ce que le modèle (P/A) est un modèle non
historique et discursif, tandis que le modèle (H/M) est un modèle historique et non discursif,
toutes choses égales par ailleurs.
Le modèle platonicien et aristotélicien de la dialectique (P/A)
La dialectique, en tant que science du dialogue, mais aussi, de façon indirecte ou implicite, en
tant que morale du dialogue, constitue le cœur du modèle platonicien de la dialectique. Ce
modèle de la dialectique, d’inspiration socratique à l’origine, a profondément évolué au cours