Juillet 2008 88
La philosophie de la reconnaissance:
une critique sociale
Entretien avec Axel Honneth*
ESPRIT –Dans votre livre, la Lutte pour la reconnaissance1, vous
montrez que la critique de la société ne peut s’élaborer qu’à travers une
analyse des pratiques sociales concrètes. Le concept de « reconnais-
sance » permet justement de reconstituer les exigences normatives à
l’œuvre dans l’expérience, que ce soit dans la sphère de l’amour, celle
du droit ou celle de la société. À chacun de ces niveaux, les conflits ne
se réduisent pas à une lutte pour la survie, mais font intervenir des
concepts tels que le « respect» ou l’«estime» qui apparaissent comme
autant de conditions symboliques nécessaires à la vie sociale. Ce souci
de concrétude est-il à la source d’une certaine méfiance à l’encontre des
principes abstraits du libéralisme? Peut-on faire droit aux désirs de
reconnaissance tout en maintenant l’exigence d’une norme universelle?
Axel HONNETH – En effet, l’impulsion normative de ma théorie de la
reconnaissance se nourrit de l’impression que le libéralisme dans ses
figures classiques, de Locke à Kant et jusqu’à Rawls, n’est pas à
même d’exprimer les fondements moraux des sociétés modernes de
manière à faire apparaître convenablement aussi bien l’ensemble des
exigences susceptibles de justification que les conflits qui y sont
ainsi rattachés.
Afin de remédier à ce déficit, j’utilise un procédé que Hegel a
d’une certaine manière déjà appliqué dans sa philosophie du droit,
* Philosophe à l’Institut de recherche sociale de Francfort, auteur de la Lutte pour la recon-
naissance.Grammaire morale des conflits sociaux, Paris, Cerf, 2000; la Société du mépris, Paris,
La Découverte, 2006 et la Réification, Paris, Gallimard, 2007. À paraître en septembre 2008 :
les Pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie de Hegel, Paris, La Décou-
verte.
1. Axel Honneth, la Lutte pour la reconnaissance…, Paris, Cerf, 2000.
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