Fermat revisité
M.Gouy G.Huvent A.Ladureau
10 mars 2003
1 Introduction historique
Le petit théorème de Fermat est un des théorèmes les plus célébres de l’arithmétique1. Pour mémoire, on
rappelle son énoncé
Théorème 1 (Petit théorème de Fermat) Soit pun entier premier, alors quelque soit l’entier a, on a p
divise apa.
Ce théorème classique peut se démontrer de nombreuses façons diérentes2.Cer-
taines sont très classiques, d’autres moins. On se propose ici d’en donner quelques
unes. Avant cela, il est peut être utile de brosser un rapide portrait de Fermat.
Pierre de Fermat est né en 1601, on a fêté le 400 ième anniversaire de sa naissance
en 2001. A cette occasion un timbre poste fut émis. Il meurt en 1665.
Fermat est un mathématicien atypique, il n’a rien d’un génie, il n’est pas pré-
coce et ne travaille pas passionnément, pire, il ne publie pas. Il est conseiller au
parlement de Toulouse et n’est qu’un amateur3en mathématique. Sa célébrité pro-
vient surtout d’une annotation placée en marge d’un exemplaire de l’arithmétique
de Diophante4:¿Diviser un cube en deux cubes, une puissance quatrième en deux
puissances quatrièmes ; ou une puissance quelconque en deux puissances de mêmes
dénomination, est impossible À(Entermesplusmodernes,léquationxn+yn=zn
(x, y, z, n)(N)4n’a pas de solutions si n3).
Cette armationquiportelenomdeGrandthéorèmedeFermatetdontFermat
armait avoir une preuve5n’a été démontrée qu’en 1995 par A.Wiles. Quatre cents
ans de recherche et le concours des plus grands mathématiciens (Euler, Lagrange,
Kummer, Weil entre autres) ont été nécessaires pour en établir une preuve.
Les contributions de Fermat sont cependant très importantes. Pour mémoire citons deux résultats importants :
1) Le petit théorème de Fermat (objet de cette étude), que Fermat cite en 1640
dans une de ses lettres mais ne démontre pas. Les premières preuves sont de Leibniz
et Euler.
2) Le théorème des quatre carrés, qui arme que tout entier est somme de quatre
carrés. Lui aussi n’est pas prouvé par Fermat mais par Lagrange.
Il ne faut pourtant pas croire que Fermat s’est toujours contenté d’énoncer des résul-
tats que d’autres se sont chargés de prouver. Il est l’inventeur de la ”descente inÞnie”,
a développé, avec Pascal, le calcul des probabilités et on lui doit, en optique, le célébre
"Principe de Fermat". Il est sans aucun doute l’un des mathématiciens les plus féconds de son époque.
1Le Grand théorème de Fermat est tout aussi célébre.
2On connaît à ce jour plus de 100 démonstrations diérentes du petit théorème de Fermat.
3Dans le sens le plus ”noble” du terme.
4Oeuvres traduites du latin par Bachet de Méziriac, qui est surtout connu pour le théorème de Bachet-Bézout.
5Mais la marge semblait, aux dires de Fermat, trop petite pour la contenir.
1
Irem de Lille 2
2 Prérequis : le langage des congruences
2.1 L’anneau Z/nZ
Soit nun entier au moins égal à 2,onnoteZ/nZl’ensemble
Z/nZ={0, 1, 2, ..., n 1}
Lorsque aet bsont deux entiers quelconques, on note
ab(n)
et on dit que aet bsont congrus modulo n, lorsque abest divisible par n.
Ainsi
ab(n)⇐⇒ n|ab
Il existe toujours un unique αZ/nZtel que aα(n),αest le reste de la division euclidienne de apar n.
On écrira que a=αmod npour indiquer que αest cet unique entier (en particulier, on a alors aα(n)).
Par exemple 21 11 (5)et 21 =1mod 5.
Si aet bsont des entiers, soient αet βcongrus à aet bmodulo n, alors
aα(n)et bβ(n)=a+bα+β(n)et ab αβ (n)
Cela permet de déÞnir une addition et une multiplication sur Z/nZ.Siαet βsont dans Z/nZ,on déÞnit α+β
(resp αβ ) comme l’unique élément de Z/nZcongru à α+β(resp αβ ) modulo n.
Exemple 2 Dans Z/5Z,on a la table d’addition suivante
a\b01234
0 01234
1 12340
2 23401
3 34012
4 40123
et la table de multiplication
a\b01234
0 00000
1 01234
2 02413
3 03142
4 04321
De manière à être cohérent, il faudrait vériÞer que l’on a une véritable addition et une véritable multiplication
i.e. que l’ensemble Z/nZmuni de ces deux lois est un anneau. On ne le fera pas car notre objectif est ailleurs.
2.2 Primalité relative
Une notion importante en arithmétique est celle de primalité relative.
Þnition 3 On dit que deux entiers aet nsont premiers entre eux si leur pgcd est égal à 1.
En d’autres termes si leur seul diviseur commun dans Nest 1.
La primalité relative et les congruences se comportent bien entre elles, on a en eet le résultat suivant.
Irem de Lille 3
Proposition 4 Le pgcd de aet nest égal au pgcd de netdurestedeladivisiondeapar n.
En conséquence, si aα(n),aest premier avec nsi et seulement si αl’est.
EnÞn on rappelle le résultat suivant, que l’on ne démontre pas ici, car notre propos est ailleurs. Le lecteur
intéressé pourra consulter le document de l’Irem de Lille qui lui est consacré.
Théorème 5 (Bachet-Bézout) Si aet bsont premiers entre eux , alors il existe uet ventiers tels que
au +bv =1
Le théorème de Bézout permet ensuite de prouver facilement que
Proposition 6 Si aet bsont premiers avec n, ilenestdemêmedeleurproduitab.
Lemma 7 (Gauss) Si aet bsont premiers entre eux et si adivise bc, alors adivise c.
On peut maintenant donner diérentes preuves du théorème de Fermat.
3 L’approche d’Euler
On déÞnit Uncomme l’ensemble des entiers de Z/nZpremier avec n,ainsi
kUn⇐⇒ pgcd (k, n)=1
On note ϕ(n)le cardinal de Un,la fonction ϕest l’indicateur d’Euler6.
Exercice 8 Déterminer Unet ϕ(n)pour les premières valeurs de n. Que vaut ϕ(p)lorsque pest premier ?
L’ensemble Unest Þni, on peut l’écrire Un=©a1,a
2, ..., aϕ(n)ª.
Soit aUn,on déÞnit bi=a×aimod n, ie biest le reste de la division euclidienne de a×aipar n.
Exemple 9 Si n=20, les entiers premiers avec nsont 1, 3, 7, 9, 11, 13, 17, 19 ainsi U20 ={1, 3, 7, 9, 11, 13, 17, 19}
et ϕ(20)=8
Exemple 10 Pour n=20 et a=9, on a
a1,a
2, ..., aϕ(n)=1, 3, 7, 9, 11, 13, 17, 19
et
b1, ..., bϕ(n)=9, 7, 3, 1, 19, 17, 13, 11
On constate que l’ensemble des biest égal à l’ensemble des ai.On a simplement eectué une permutation
des éléments de Un.
Proposition 11 Si aUnalors {ax mod n, x Un}=Un
Preuve. Pour montrer le résultat, il sutdeprouverque
1.Lesbisont bien dans Un
2. Ils sont deux à deux distincts
Les bisont bien dans Un, en eet a.et aisont premiers avec ndonc d’après la proposition 6le produit aai
aussi. On en déduit (cf proposition 4)quelerestebide la division de aaiavec nl’est aussi.
Les bisont deux à deux distincts, en eet si, par exemple b1=b2alors ndivise a(a2a1)donc divise
(a2a1)d’après le lemme de Gauss. Mais n<a
2a1<net est non nul ce qui interdit à nde le diviser.
6L’entier ϕ(n)est appelé le ”totient” de n(ainsi nommé par J.J.Sylvester )
Irem de Lille 4
On en déduit donc que a1×a2×... ×aϕ(n)=b1×b2×... ×bϕ(n)=aϕ(n)×a1×a2×... ×aϕ(n)(n).En
conséquence ndivise ¡aϕ(n)1¢×a1×a2×...×aϕ(n)et ainsi, puisque nest premier avec a1×a2×... ×aϕ(n)
(lemme de Gauss ), on a démontré le théorème suivant :
Théorème 12 (Euler 1760) Si aet nsont premiers entre eux alors aϕ(n)1(n)
UncorollaireimmédiatestlethéorèmedeFermat.
Théorème 13 (Fermat 1640) Si pest un nombre premier alors
apa(p)
4 Fermat via le binôme de Newton
4.1 Le triangle de Pascal modulo n
Soit nun entier, construisons le triangle de Pascal modulo n. On obtient par exemple pour n=6ou 7
n=6
1
11 ligne 1
121 ligne 2
1331 ligne 3
14041 .
.
.
154451 .
.
.
1032301 ligne 6
11355311 .
.
.
124242421.
.
.
n=7
1
11 ligne 1
121 ligne 2
1331 ligne 3
14641 .
.
.
153351 .
.
.
1616161 ligne 6
10000001 ligne 7
110000011.
.
.
On ne peut pas manquer de remarquer cette succession de 0. Quelle est la diérence fondamentale entre les
nombres 6et 7? La réponse est évidente, 7est un nombre premier ! Cela incite à prouver le résultat suivant
Proposition 14 Soit pun entier naturel premier et kentier tel que 1kp1alors
Ck
p=0(p)
Preuve. On sait que Ck
p=p!
k!(pk)! =1
k!p(p1)... (pk+1)donc pdivise k!Ck
p.Mais pest premier
avec k!car premier avec tous les entiers inférieurs à p1. Donc par le lemme de Gauss, pdivise Ck
p.
4.1.1 Le théorème de Fermat
On en déduit immédiatement que si aet bsont des entiers, alors la formule du binôme de Newton permet
d’armer que (a+b)pap+bp(p)pour ppremier. Ce résultat n’est pas à proprement dit le théorème de
Fermat mais permet facilement de le prouver.
En eet, on a clairement 1p1(p),puis
(1+1)p=2p1p+1p1+1=2(p)
et
(1+2)p=3p1p+2p1+2=3(p)
etc7...
7”etc” est une abréviation de ”par récurrence”
Irem de Lille 5
5Unranement : Fermat via le multinôme
La dernière preuve donnée n’est pas des plus satisfaisante, on aimerait écrire que ap=(1+···+1)pet
développer cette puissance. Pour cela il nous faut un outil supplémentaire : la formule du multinôme.
Considérons l’expression (x1+x2+...+xn)pet cherchons à en exprimer le développement. Le coecient
du terme xk1
1xk2
2...x
kn
n,oùk1+k2+...+kn=pest obtenu :
En choisissant k1fois le terme x1parmi les pfacteurs
En choisissant k2fois le terme x2parmi les pk1facteurs restants
En choisissant k3fois le terme x3parmi les pk1k2facteurs restants
.
.
.
En choisissant knfois le terme xnparmi les pk1k2...kn1facteurs restants.
Ainsi le nombre de choix possibles est
Ck1
p×Ck2
pk1×Ck3
pk1k2×...×Ckn
pk1k2...kn1
=p!
k1!(pk1)! ×(pk1)!
k2!(pk1k2)! ×...×(pk1k2...kn1)!
kn!(pk1k2...kn)!
=p!
k1!k2!...k
n!car pk1k2...kn=0
On obtient alors la formule du multnôme :
(x1+x2+...+xn)p=X
k1+k2+...+kn=p
p!
k1!k2!...k
n!xk1
1xk2
2...x
kn
n
Pour ppremier, le coecient p!
k1!k2!...k
n!est divisible par psauf lorsqu’un des kiest égal à p(et ainsi les
autres égaux à 0). On en déduit immédiatement que
Si pest premier, (x1+x2+...+xn)(x1+x2+...+xn)pxp
1+xp
2+...+xp
n(p)
Avec x1=x2=...=xn=1, on retrouve le théorème de Fermat.
6 Fermat par les résidus quadratiques
Pour ce sujet (vaste et passionnant) on renvoie le lecteur à [2]et [3]. On va néanmoins donner quelques
informations sur la notion de résidu quadratique.
6.1 Le symbole de Legendre
Soit pNun nombre premier, considérons, pour nN, l’équation8d’inconnue x
x2=n(p)
Savoir si cette équation a des solutions, c’est déterminer quand l’entier nest un carré modulo p. On introduit
alors le symbole de Legendre.
Þnition 15 Soit nNet ppremier, on Þnit le symbole de Legendre ¡n
p¢par
µn
p=0si n=0(p)
µn
p=1si n6=0(p)et nest un carré modulo p
µn
p=1si n6=0(p)et nn’est pas un car ré modu lo p
8Equation que l’on considère, par exemple, lors de la résolution de ax2+bx +cmodulo p(i.e dans le corps Z/pZ)
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