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reçu de plus que si cette proposition simple avait été seule prononcée : si l'on veut faire
entendre une chose, pourquoi en dit-on une autre?
Pour résumer le problème de façon paradoxale : nous sommes en présence de deux
propositions, dont l'une est réelle mais n'a pas de sens (ou plutôt : ... n'a pas le sens) et
dont l'autre a un sens, mais n'existe pas.
On apportera un peu de lumière si (comme Freud dans Le mot d'esprit) on fait intervenir
les concepts de désir et de censure. Prenons un exemple : " J'ai épousé un ours ",
déclare une lectrice dans le courrier du cœur de Bonnes Soirées (11 février 1968). Une
telle proposition, dans sa littéralité, transgresse certaines normes, ici d'ordre juridique,
social, sexuel : il n'est pas licite, dans notre société, d'épouser un animal . Cette
transgression joue un double rôle. D'abord l'improbabilité d'une contestation réelle des
normes, dans le contexte où elle se trouve, avertit le lecteur qu'il ne doit pas s'en tenir au
sens littéral et le conduit à rétablir la proposition initiale : " Mon mari est [sauvage comme]
un ours " ou, plus simplement, " Mon mari est sauvage ". Mais d'autre part, même feinte,
la transgression apporte une satisfaction à un désir interdit, et, parce que feinte, elle
apporte une satisfaction impunie.
Toute figure de rhétorique pourra s'analyser ainsi dans la transgression feinte d'une
norme. Suivant les cas, il s'agira des normes du langage, de la morale, de la société, de
la logique, du monde physique, de la réalité, etc. On comprend ainsi les libertés que la
publicité prend avec l'orthographe , avec la grammaire, l'emploi intensif qu'elle fait de
l'humour, de l'érotisme, du fantastique - et, en même temps, le peu de sérieux qu'elle
accorde à ces transgressions : ces licences, qui irritent tant de bons esprits, ne sont pas
duplicité ou indigence de pensée, mais strict exercice de rhétorique.
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