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DOSSIER
2. LES DILEMMES DE LA « GRANDE EUROPE »
La « deuxième
transition » des PECO
WLADIMIR ANDREFF*
L
L’élargissement de l’Union européenne profitera
aussi bien à ses membres actuels qu’aux nouveaux
entrants. Pour les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), les échanges avec l’Ouest et la
modernisation institutionnelle liée à l’adhésion
ouvrent des perspectives de croissance – même
s’ils connaissent actuellement une baisse de la protection sociale et un accroissement des inégalités. Mais, après leur conversion à l’économie de
marché, il leur faudra affronter une deuxième
période de transition avant de devenir membres
à part entière de l’Union, et de bénéficier pleinement de ses mécanismes de solidarité. Une
épreuve difficile pour la cohésion européenne, et
dont les principes mêmes de certains « acquis »
communautaires pourraient sortir transformés.
L
e sommet européen de Copenhague de décembre 2002 a clos
les négociations avec dix pays, dont
huit d’Europe centrale et orientale
(PECO)1, pour une adhésion définitive à l’Union européenne au 1er
mai 2004. Le traité d’adhésion ayant
été signé à Athènes le 16 avril 2003,
les populations se prononcent par
référendum sur l’adhésion de leurs
pays à l’UE. La Lettonie sera le dernier pays à le faire le 20 septembre
2003.
De l’adhésion, les PECO espèrent des
gains2, dont certains se sont déjà
concrétisés. L’UE elle-même a à
gagner, sur le plan économique, à cet
* Professeur à l’Université de Paris 1, directeur honoraire du ROSES (CNRS). Dernier
ouvrage publié : La mutation des économies post-socialistes. L’Harmattan, 2003.
élargissement, et en a déjà engrangé
quelques bénéfices. Ce « jeu à somme
positive » va cependant connaître
une fin de partie plus délicate, sur la
question du partage des gains après
l’adhésion. La solution de ces difficultés fait entrer les PECO dans une
deuxième phase de transition, après
celle qui les a conduits de l’économie planifiée à l’économie de marché.
UN JEU À SOMME
POSITIVE
A
daptation institutionnelle à l’acquis communautaire, intégration économique et commerciale,
croissance au sein d’un marché
unique élargi, plus forte attraction
de l’investissement direct étranger,
convergence macroéconomique,
rattrapage de développement,
perspectives d’entrée dans l’euro
à terme : tels sont les principaux
gains, inégaux mais positifs, que les
nouveaux entrants – comme les
membres actuels de l’UE – peuvent
attendre de l’élargissement.
Le principal bénéfice est certainement
d’ordre qualitatif et institutionnel. En
adoptant l’acquis communautaire, les
PECO se sont dotés des règles, lois
et institutions nécessaires au fonctionnement normal d’une économie
1
Estonie, Hongrie,
Lettonie, Lituanie,
Pologne, République
tchèque, Slovaquie
et Slovénie ; hors
PECO : Chypre et
Malte. L’adhésion de
la Bulgarie et de la
Roumanie est
reportée à 2007.
2
Andreff W.,
« Quand les
PECO font
leurs comptes »,
Sociétal, n°32,
2e trimestre 2001.
Sociétal
N° 41
e
3 trimestre
2003
105
DOSSIER
LES ÉTAPES DE
L’ÉLARGISSEMENT
4
Le gouverneur
de la Banque de
France, JeanClaude Trichet,
appelait encore
récemment les
nouveaux Etats
membres à la
lutte contre le
blanchiment des
capitaux et à la
traque des fonds
utilisés par le
crime organisé
et le terrorisme
(voir « L’euro,
l’eurosystème et
l’élargissement
de l’Union
européenne »,
Bulletin de la
Banque de
France, n°107,
novembre 2002).
5
W. Andreff,
« The New
Multinational
Corporations
from Transition
Countries »,
Economic
Systems, vol. 26,
n°4, décembre
2002.
Sociétal
N° 41
3e trimestre
2003
106
L’actuel élargissement de l’UE
est l’aboutissement d’un processus entamé en 1993 avec
l’entrée en vigueur des accords
européens d’association, créant
à l’horizon 2002 une zone de
libre échange entre les PECO
et l’UE, puis se prolongeant par
la période de pré-adhésion,
ouverte en 1999. Durant cette
période, sont versées des aides
spécifiques aux PECO (programmes PHARE, SAPARD
pour l’agriculture , ISPA pour
les transports et l’environnement). Ces instruments de préadhésion doivent être éliminés
et intégrés dans les fonds structurels d’ici à 2006.
de marché – et au minimum de
confiance qu’il requiert. Les libertés
publiques, la libre circulation des personnes et de l’information, et la sécurité y sont globalement assurées. Du
moins dès lors que les lois et règles y
sont bien appliquées : il existe encore,
en effet, d’importantes marges de progression. Pour donner quelques
exemples, les lois sur les faillites sont
encore peu effectives dans ces pays.
Le droit des sociétés a été mis en
conformité avec l’acquis communautaire,mais sa mise en œuvre réelle doit
encore beaucoup s’améliorer, en particulier pour la protection des droits
des actionnaires minoritaires et le gouvernement d’entreprise. La politique
de la concurrence et l’octroi des aides
publiques ont posé des problèmes jusqu’à la fin des négociations, notamment avec la Pologne (sidérurgie), la
Hongrie et la République tchèque
(automobile), ainsi qu’avec la Slovaquie.Son application ne se fera pas sans
douleur dans les PECO où existent
toujours des subventions qui faussent
la concurrence, une collusion entre
l’Etat et les entreprises, et où les privatisations souffrent d’un opacité certaine. La corruption, la présence
d’organisations criminelles, une justice pas encore indépendante et man-
2. LES DILEMMES DE LA « GRANDE EUROPE »
quant de moyens, et le faible degré de
décentralisation sont régulièrement
dénoncés par la Commission européenne. La répression de la criminalité économique et de la corruption4
dans ces pays a encore de beaux jours
devant elle et sera, pour tous les
membres de l’UE, un des gains les plus
substantiels de l’après-adhésion.
L’entrée des PECO devrait aussi stimuler leur croissance : on escompte
un rythme de 4 % par an en moyenne
en régime normal, de plus de 4,5 %
dans les scénarios optimistes. Il en
résultera un gain pour l’ensemble
de l’UE ; cependant, étant donné le
faible poids des PECO (4 % du PIB
communautaire élargi), le surplus de
croissance pour les membres actuels
sera de l’ordre de 0,1 % par an. La
moitié de cette amélioration sera
due à l’effet de création du marché
unique à 25 (puis 27), avec une transmission par les gains de productivité (aujourd’hui en hausse dans les
PECO). L’Ouest devrait aussi bénéficier de l’apport d’une population
en général bien formée et qualifiée
(les dix nouveaux membres représenteront 15 % de la population de
l’UE élargie et 19 % de sa superficie)
et de la constitution d’une puissance
économique assise sur un marché
de 375 millions de consommateurs.
L’INTÉGRATION
EST DÉJÀ EN MARCHE
L
es avantages liés au commerce
international se sont déjà assez
largement concrétisés, avant même
l’adhésion, grâce aux effets des
accords européens d’association.
Ces gains sont majeurs pour les
PECO, puisque leurs partenaires de
l’UE comptent aujourd’hui pour
près de 70 % de leur commerce
total (contre 40 % en 1990). En
outre, la qualité de leurs exportations s’élève, le poids dans celles-ci
des produits intensifs en ressources
naturelles et en travail non qualifié
régresse au profit de produits intensifs en travail qualifié et en technologie. Pour les quinze pays membres
de l’UE, l’impact est plus limité, les
PECO pesant moins de 4 % de leur
commerce extérieur ; il est cependant positif, puisqu’ils ont réalisé
ensemble, en 2002, un excédent
commercial de plus de 20 milliards
d’euros dans les échanges avec les
futurs membres.
La progression du commerce entre
l’UE et les PECO est, en partie,
impulsée par l’investissement direct
étranger (IDE). Le stock d’IDE
entrant dans les PECO est passé de
12 milliards de dollars en 1993 à 69
milliards en 1998 et 122 milliards
en 2001, avec l’amélioration du climat d’investissement, du risque-pays
et du régime (notamment fiscal) des
IDE qui a accompagné la convergence institutionnelle. La pression
fiscale rapportée au PIB varie de
26,8 % en Lituanie à 38,6 % en Slovénie : ce sont là des niveaux inférieurs à ceux de l’Irlande et du
Portugal. L’immense majorité des
IDE (78 %) a été réalisée par des
sociétés mères originaires des pays
de l’UE, surtout allemandes. Fin 2002,
les entreprises françaises possédaient 2 182 filiales en Roumanie,
582 en Pologne, 347 en République
tchèque, 142 en Hongrie, 123 en Slovaquie, 38 en Lettonie, 31 en Slovénie, 22 en Estonie et 16 en Lituanie.
Plus récemment, les firmes des
PECO ont commencé à se multinationaliser à leur tour, y compris par
de premiers investissements dans
l’UE, bien que la zone de prédilection de leurs IDE sortants reste pour
l’instant l’ex-CAEM5.
Derrière la croissance et la taille
du marché se profilent la perspective du développement économique
des PECO et la nécessité de leur
rattrapage (convergence réelle),
puis l’amélioration de leur stabilité macroéconomique (convergence nominale), condition
préalable
à leur entrée dans l’euro. Le
niveau de développement de ces
pays (mesuré par le PIB par tête
en parité de pouvoir d’achat)
est actuellement de 35 % de la
moyenne de l’UE, la Slovénie étant
LA « DEUXIÈME TRANSITION » DES PECO
LES PECO ET L’UNION
Tableau 1. NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT, SALAIRES, PAUVRETÉ ET INÉGALITÉS
Pays
PIB/habitant, SPA, en euros(1)
1996
2000
2000
UE 15
10 PECO
Bulgarie
Estonie
Hongrie
Lettonie
Lituanie
Pologne
Rép. tchèque
Roumanie
Slovaquie
Slovénie
18 500
6 664
4 600
6 100
8 600
4 700
5 300
6 200
12 000
6 100
8 500
12 200
22 416
7 919
4 935
8 193
11 267
6 131
6 380
8 120
12 888
5 791
10 527
15 705
100
35,3
22,0
36,5
50,3
27,4
28,5
36,2
57,5
25,8
47,0
70,1
Salaires bruts en euros(2)
1996
1999
1999
3634
319
105
282
304
257
252
405
343
118
241
886
243
55
195
245
192
144
257
285
99
209
750
Pauvreté(3)
1998 2000
Inégalités(4)
1991 1999
33,0
40,0
2,0
23,0
46,0
13,0
1,0
22,0
1,0
1,0
0,262
n.d.
0,291
0,249
0,385
0,242
0,210
0,205
n.d.
0,269
100
8,8
2,9
7,8
8,4
7,1
6,9
11,1
9,4
3,2
6,6
24,4
18,0
19,3
15,4
34,8
22,5
18,4
0,8
44,5
8,6
1,3
n.d.
n.d.
0,349
0,332
0,363
0,305
0,257
0,381
n.d.
0,305
(1)
(2)
Standard de pouvoir d’achat. Source : Eurostat.
Salaire moyen mensuel (source : Deutsche Bank)
Population vivant avec moins de 4 dollars par jour (% de la population totale)
(4)
Indices de Gini relatifs aux inégalités de revenus, selon J. Rutkowski, « Earnings inequality in transition economies
of Central Europe : trends and patterns during the 1990’s », World Bank, 2001.
(3)
Tableau 2. CONVERGENCE NOMINALE ET CONVERGENCE RÉELLE
Indicateurs (en %)
1992
Nominaux
Taux d’inflation moyen des 10 PECO
364
Taux d’inflation moyen de l’UE
4,7
Déficit budgétaire/PIB des 10 PECO
4,9
Réels
Taux de croissance du PIB des 10 PECO -11,5
Taux de croissance du PIB de l’UE
1,1
Taux de chômage dans les 10 PECO
8,1
Taux de chômage dans l’UE
8,5
Source : Andreff W. (2003).
(1)
Estimation BERD
à 70 %, la Lettonie à 27 % et la Bulgarie à 22 % (tableau 1). Leur taux
de croissance économique a rattrapé celui de l’UE en 2000 et le
dépasse nettement depuis lors. Il
en est de même pour la croissance
de la productivité. Au rythme
actuel, le rattrapage prendra tout
de même entre 15 et 40 ans, selon
les pays. Plus l’écart se réduira dans
1995
1997
1999
2000
2001(1)
2002(2)
27,6
3,0
2,9
132
2,0
2,3
11,5
1,3
3,5
10,0
2,5
2,7
8,7
2,6
2,9
6,2
4,2
3,3
9,5
9,9
2,8
3,3
9,4
9,5
1,0
3,7
11,8
9,0
4,2
4,3
11,9
8,1
4,2
1,7
11,8
7,6
3,6
3,4
1,8
(2)
Prévision
les prochaines années, moins difficile sera le partage des avantages
des politiques communautaires.
Un des indicateurs de la convergence
nominale peut se lire dans les taux
de change. Les monnaies des Etats
baltes et le lev bulgare ont une parité
fixe par rapport à l’euro. La plupart
des autres devises sont en cours de
stabilisation (voir page 110 l’article
de Nicolas Meunier). Après une
période de transition d’au moins deux
ans dans le mécanisme de change
européen, et à condition de respecter les critères du pacte de stabilité
en matière de taux de change, d’inflation, de taux d’intérêt, de déficit
budgétaire et de dette publique
(tableau 2), les monnaies des PECO
Sociétal
N° 41
e
3 trimestre
2003
107
DOSSIER
6
J. Fayolle,
« Acquis social,
acquis
communautaire ?
La solidarité à
l’épreuve de
l’élargissement »,
Chronique
internationale de
l’IRES, n°79,
novembre 2002.
7
Conclusion
vers laquelle
convergent tous
les tests
économétriques
(voir W. Andreff,
« The Global
Strategy of
Multinational
Corporations
and their
Assessment of
Eastern
European and
C.I.S.
Countries » ;
V. Tikhomirov,
ed., Anatomy of
the 1998 Russian
Crisis, CERC,
University of
Melbourne
1999 ; et
K. Meyer, Direct
Investment in
Economies in
Transition,
Edward Elgar,
Cheltenham
1998).
Sociétal
N° 41
3e trimestre
2003
108
2. LES DILEMMES DE LA « GRANDE EUROPE »
Après avoir lancé au début une politique de protection sociale assez généreuse pour faire face à la montée des
inégalités et de la pauvreté, les PECO
ont révisé en baisse ces régimes d’aide
trop coûteux. Par exemple pour les
allocations de chômage : interdiction
de cumul, durcissement du pointage
au bureau local de l’emploi, cessation
de l’assistance aux chômeurs en fin
de droit, durée maximale de versement réduite, contrepartie forcée en
travail, taux de remplacement abaissé.
Même durcissement pour les allocaLES COÛTS SOCIAUX
tions familiales, les allocations-logeDE LA TRANSITION
ment, les bourses d’étudiants, etc.,
’ombre la plus importante dans
dans tous les PECO. L’âge légal de
ce paysage concerne le
départ à la retraite a été
domaine social. L’Europe Après avoir
repoussé très au-delà de 60
sociale n’est déjà pas le fer lancé des
ans pour les hommes (et de
de lance de la construc55 ans pour les femmes). A
tion européenne. L’adhé- politiques de
part la Slovénie, tous les
sion ne devrait pas la protection
PECO ont fait croître rapirenforcer, au contraire, sociale
dement les cotisations
d’autant que l’acquis comsociales et ont adopté le
munautaire que les PECO généreuses,
régime de retraite recomdoivent assimiler est loin tous les PECO
mandé par la Banque mond’être la réunion des les ont revues
diale, reposant sur trois
acquis sociaux ancrés dans
piliers : l’ancien système par
les réalités nationales des à la baisse.
répartition et deux systèmes
Quinze6. Depuis 1990,
par capitalisation, l’un comdans les PECO, l’emploi est en
plémentaire obligatoire et l’autre supbaisse, le chômage, les inégalités de
plémentaire facultatif. Compte tenu
revenus et la pauvreté sont en
des difficultés des Quinze dans beauhausse. Après avoir convergé vers
coup de ces domaines, une certaine
celui de l’UE, de 1992 à 1998, leur
fragilisation du modèle social eurotaux de chômage moyen s’est mis
péen, dont la base légale communauà remonter pour atteindre 12 %,
taire est le traité d’Amsterdam entré
alors qu’il baissait en dessous de 8
en vigueur en 1999, ne peut être
% dans l’UE. Outre des situations
exclue.
très inégales sur le marché du travail entre les citoyens des anciens
En revanche, les craintes naguère
et des futurs pays membres, l’adexprimées d’un « dumping social »
hésion va se traduire par un surcroît
passant par des délocalisations de
de plus de 5 millions de chômeurs
production massives vers les PECO
dans l’UE élargie. Le chômage des
sont moins à craindre, pour deux raijeunes est particulièrement élevé
sons : les deux tiers des IDE entrant
dans les PECO (28,6 %). La pauvreté
dans ces pays sont motivés par l’exprogresse partout sauf, en fin de
tension du marché, un tiers seulement
période, en République tchèque, en
par la recherche de moindres coûts
Estonie et en Lituanie (elle reste élede production7 ; d’autre part, la hausse
vée dans ces deux derniers pays)
des salaires (tableau 1) et des coûts
et demeure faible, bien qu’en augunitaires du travail (une fois pris en
mentation, en Slovénie. Elle affecte
compte les différentiels de producsurtout les jeunes à la recherche
tivité) est générale depuis 1994.
d’un premier emploi, les chômeurs
de longue durée et les agriculteurs.
pourront être admises dans l’euro.
Cette admission sera favorable aux
échanges avec l’UE, et renforcera la
coordination des politiques économiques des PECO. La convergence
nominale, lente à se dessiner jusqu’en
1997, s’accentue ces dernières années
pour le taux d’inflation et le taux d’intérêt à long terme, même si plusieurs
pays ont eu encore du mal en 2002
à rapprocher leur déficit budgétaire
de l’objectif de 3 % du PIB.
L
L’ÉPINEUSE QUESTION
DES AIDES
L
e total des dépenses d’élargissement se monte, sur la période
2004-2006, à 40,8 milliards d’euros
(moins de 0,3 % du PIB des Quinze),
à répartir entre les huit PECO,
Chypre et Malte, soit un coût net de
28 milliards d’euros pour l’UE, déduction faite des contributions prévisibles des nouveaux Etats membres.
Ce qui représentera un coût d’un
peu moins de 10 euros par an et par
habitant pour les Quinze. Du côté
des PECO, l’Agenda 2000 avait plafonné à 250 euros par habitant et par
an le versement maximal dont ils
devraient bénéficier au titre des fonds
structurels, alors que la Grèce et le
Portugal, plus développés, recevaient
déjà 400 euros par habitant en 1999.
On est donc loin du compte. Le vrai
partage au sein de l’UE élargie pour
les années ultérieures est celui qui
sera défini lors de l’adoption du budget communautaire pour 2007-2013 :
l’accord budgétaire sera d’autant plus
difficile à trouver que le Conseil européen de Bruxelles (octobre 2002) a
précisé que l’effort de discipline budgétaire engagé au Conseil européen
de Berlin (1999) doit être poursuivi
après 2007. La négociation promet
d’être chaude avec ces pays qui
seront désormais membres de l’UE,
mais resteront longtemps plus
pauvres, plus agricoles, et en proie
à de fortes disparités régionales et
à des besoins urgents de restructuration industrielle. Nul doute qu’ils
exigeront de bénéficier à due proportion des fonds structurels pour
leurs régions moins développées
(presque toutes), et seront tous éligibles pour les fonds de cohésion
sociale (servis aux pays membres
dont le PIB par tête est inférieur à
90 % de la moyenne de l’UE, cas de
tous les PECO).
Avec l’adhésion, le nombre de régions
et d’habitants bénéficiaires des fonds
structurels va augmenter plus que
proportionnellement : 67 nouvelles
régions, dont toutes celles des PECO
à l’exception de Bratislava, Ljubljana
LA « DEUXIÈME TRANSITION » DES PECO
et Prague, soit 116 millions d’habitants, seront éligibles dans l’Union à
25. Dans les actuels pays membres
de l’UE, 15 régions au moins (23 après
l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie), perdront le bénéfice des fonds
structurels qu’elles perçoivent : en
effet, l’entrée des régions pauvres des
PECO fera baisser (de 13 %) le PIB
régional moyen dans l’UE, et donc le
niveau d’attribution des fonds structurels, fixé à 75 % de ce PIB moyen.
Cet effet d’éviction va toucher plusieurs régions d’Italie, de Grèce et
d’Espagne, ainsi que la Corse. L’attribution des fonds structurels sera
encore déterminée à l’unanimité en
2005, ce qui permettra sans doute
aux anciens Etats membres d’obtenir des compensations pour leurs
régions perdantes, ou de tenter de
prolonger la période transitoire audelà de 2006. En fait, les aides structurelles accordées aux dix nouveaux
membres pour 2004-2006 (21,7 milliards d’euros) sont une sorte d’enveloppe d’apprentissage. Comment
concilier l’extension de la politique
de développement régional de l’UE
avec la volonté de stabiliser le budget communautaire et avec le refus
probable des régions actuellement
bénéficiaires d’abandonner tout ou
partie de leurs fonds structurels ?
L’idée d’une renationalisation des politiques régionales a de nombreux
adeptes parmi les experts budgétaires
des pays contributeurs nets (Allemagne, Pays-Bas, Royaume Uni)8.
UNE NORMALISATION
TRÈS PROGRESSIVE
M
ême avec une nouvelle réforme
de la politique agricole communautaire (PAC), comment financer sans inflation budgétaire le coût
des aides directes à verser aux trois
millions d’agriculteurs polonais, à
ceux des autres PECO, et en 2007
aux deux millions d’agriculteurs roumains ? La contribution des futurs
membres au budget de l’UE sera
modeste (étant donné le poids relatif de leurs PIB) : la hausse des
recettes (de 4 à 5 %) sera très inférieure aux montants à leur verser, à
droits pleins, au titre des fonds structurels et des aides directes à leurs
agriculteurs. Pour l’heure, en 2004,
2005 et 2006, les agriculteurs des
nouveaux membres ne toucheront
que 25 %, puis 30 % et 35 % des aides
directes allouées aux agriculteurs
des Quinze. Il leur faudra attendre
2013 pour bénéficier des mêmes
droits, à 100 %. L’argument avancé
par Bruxelles est que des aides
directes à 100 % risqueraient de
stopper la restructuration de l’agriculture des PECO et la forte régression de sa production depuis 1990.
Ce qui est certain, c’est qu’elles
feraient supporter le coût de cette
restructuration à l’UE au-delà de ce
que les anciens pays membres acceptent d’envisager.
Les PECO vont donc
connaître une deuxième
période de transition, entre
le 1er mai 2004 et le
moment où ils bénéficieront de la PAC et des autres
politiques communautaires
sur un pied d’égalité.
ront encore appliquer des mesures
nationales. La période transitoire
devrait cesser à l’issue de ces cinq
années. Une prolongation de deux
ans sera encore possible en cas de
sérieuses perturbations sur le marché du travail – perspective très probable dans le cas de l’Allemagne.
Ces demandes de périodes transitoires ne proviennent pas seulement
des Quinze. En sens inverse, la
Pologne, par exemple, a demandé
un délai de transition de sept ans
pour autoriser la vente des terres
agricoles aux étrangers originaires
de l’Union. Enfin, en ce qui concerne
les services financiers, les PECO disposent de périodes limitées pour
se mettre aux normes
européennes et établir
une régulation suffisante
La Pologne
du secteur bancaire.
recevra,
en 2004-2006,
Au sein même des PECO,
le partage sera asymétrique. La Pologne recedes dépenses
vra à elle seule, en
d’élargissement. 2004-2006, 11,4 milliards
d’euros au titre des fonds
Quant aux négociations sur la libre
structurels et 4,6 millions d’euros
circulation des travailleurs, elles se
au titre de la PAC, soit 40 % des
sont soldées par la mise en place
dépenses d’élargissement, en raid’une période transitoire de sept
son de sa taille, certes, mais aussi
ans. Toutes les études convergent
de son faible niveau de développevers un potentiel migratoire de 3 à
ment et du poids de son agriculture.
5 millions d’individus vers l’UE
La Slovénie, le PECO le plus déveactuelle sur une période de trente
loppé, risquait au contraire de deveans, soit un peu plus de 1 % de la
nir dès son adhésion contributeur
population totale de l’Union élarnet au budget de l’UE, si un dispogie et près de 5 % de celle des dix
sitif technique n’avait été mis en
PECO. La répartition sera inégale :
place pour éviter cette anomalie.
de l’ordre de 2,5 millions de migrants
vers l’Allemagne, de 470 000 vers
La transition des pays ex-socialistes
l’Autriche et de 100 000 vers la
vers l’économie de marché a été
France. Il s’agira d’une population
marquée par une forte récession,
majoritairement masculine (aux
une crise de liquidité ou encore par
deux tiers), jeune, mieux équipée et
l’enracinement des anciens manaqualifiée que la moyenne de leur pays
gers à la tête des firmes privatisées.
d’origine. C’est pourquoi la période
Mais, au sein de cet ensemble, les
de transition à la libre circulation
PECO ont été favorisés par la prode la main-d’œuvre est structurée
messe d’être admis dans l’UE : ils
en trois étapes. Pendant les deux
ont été moins affectés par ces désaannées suivant l’adhésion, les
gréments que les pays de la CEI et
mesures restrictives à l’entrée chez
des Balkans. Beaucoup en ont déduit
les Quinze resteront en vigueur. Puis,
que la transition serait définitivependant trois ans, ces derniers pourment achevée au jour de l’adhésion
à l’UE. Cette vision est trop opti40 %
8
J.-F. Drevet,
« Europe : les fonds
communautaires et
l’élargissement »,
Futuribles, n°282,
janvier 2003.
Sociétal
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DOSSIER
tif, il est à craindre que l’indépendance stratégique de l’Union ne s’apparente pour longtemps encore au
rocher de Sisyphe. l
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