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auquel elle reviendra toujours : « qu’est-ce que l’homme ? ». Car la
réponse d’Œdipe est en fait une autre question. Comme l’écrivent Jean
Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet : « Le savoir d’Œdipe, quand il
déchiffre l’énigme du Sphinx, porte déjà d’une certaine façon sur lui-
même. Quel est l’être, qui est à la fois dipous, tripous et tetrapous ? Pour
Oi-dipous, le mystère n’en est un qu’en apparence : il s’agit bien sûr de lui,
il s’agit de l’homme1. Mais cette réponse n’est un savoir qu’en apparence ;
elle masque le vrai problème : qu’est alors l’homme, qu’est Œdipe ? »2 On
comprend que notre quête du monstre puisse se situer dans la
perspective générale d’une anthropologie philosophique. Le mythe, le
récit, la tragédie lèguent, par le biais de la figure du monstre, à la
philosophie sa question fondamentale : « Qu’est-ce que l’homme ? » Le
monstre se tient de la sorte sur le seuil de la philosophie. Quiconque
entreprend de philosopher doit le rencontrer à un moment ou un autre
dans son chemin de pensée.
Dans cette introduction, nous voulons surtout justifier notre approche
esthétique dans l’abord de la monstruosité et montrer comment cette
perspective s’articule directement à une problématique anthropologique.
Si le monstre est omni-présent en art, dans notre imaginaire, dans nos
rêves et nos cauchemars, c’est parce qu’il nous montre quelque chose de
nous-même, de l’humanité dans sa généralité, quelque chose qui ne peut
apparaître que selon cette déformation. Le monstre serait-il semblable à
1 « O chanteuse des mort au vol sinistre, écoute/Malgré toi notre voix qui met fin à tes
crimes./C’est l’homme qui petit, étant sorti du sein,/A d’abord quatre pieds lorsqu’il se
traïne à terre ;/Puis vieux, comme un troisième il appuie son bâton,/Quand sous le faix
de l’âge, il tient courbée la nuque », EURIPIDE, Les Phéniciennes, Argument, 27-32.
2 J.-P. VERNANT, Pierre VIDAL-NAQUET, « Œdipe sans complexe », in : Mythe et tragédie
en Grèce Ancienne, Maspéro, 1972.