Estimation prévisionnelle et égalité de traitement - cabanes

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Contrats Publics – n° 117 – janvier 2012
Dossier
Sous-rubrique
En droit, une personne publique peut régulrement go-
cier après publicité et mise en concurrence un marché
pour lequel il n’a été proposé que des offres irrégulières
ou inacceptables. C’est ce que précisent les dispositions de l’ar-
ticle 35-I- du code des marcs publics (voir extrait). Toutefois
le recours au marché gocié n’est possible que dans la mesure
la déclaration d’infructuosité est intervenue légalement, de
sorte que l’illégalité de la décision d’infructuosité doit entraîner
l’annulation du marché négocié conclu à sa suite(1).
I. Recours à la procédure négoce en cas
declaration d’infructuosité
Si le juge des référés précontractuels n’opère pas un ritable
contrôle sur le caractère acceptable ou régulier des offres,
ce contrôle étant réduit à l’erreur manifeste d’appréciation,
en revanche la décision d’infructuosiest susceptible d’être
contrôlée par le juge, y compris par la voie du féré précon-
tractuel, notamment à l’appui d’un recours contre la procédure
gociée venue à la suite de la claration d’infructuosi(2). Le
tribunal administratif de Melun a clairement jugé en ce sens :
« Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de ces dispositions, d’une part,
que la procédure d’appel d’offres et la procédure négociée sont deux pro-
cédures matériellement et juridiquement distinctes, la première trouvant
son aboutissement dans la signature du marché ou dans une déclaration
d’infructuosité, d’autre part, que la procédure négociée ne peut être mise en
œuvre que si la déclaration d’infructuosité est fondée et, enfin, que celle qui
peut être mise en œuvre, après publici préalable et mise en concurrence ou
sans publicité préalable et sans mise en concurrence, dépend étroitement
des raisons pour lesquelles la procédure a été déclae infructueuse ; que, par
suite, contrairement à ce qui est soutenu par l’Ugap en défense, la société CS
(1) TA Rennes 22 mars 1995, Préfet du Finistère c/Maison de retraite de
Ploneour.
(2) CE 3 mai 2002, req.24281 — TA Lyon ord. 17 décembre 2002, Sté NCI
Abilis, req.0205032.
Estimation prévisionnelle
et égalité de traitement
des candidats
Fortement concurrentieldonc contentieux, le secteur de la collecte des chets ne
semble pas dispo à cesser d’alimenter la jurisprudence, comme il le fait depuis des
anes.
L’un de ces contentieux a récemment permis au juge administratif de pciser les
exigences attendues du pouvoir adjudicateur dans l’établissement de l’évaluation
prévisionnelle du marc qui doit servir de fondement à cetteclaration
d’infructuosi : l’estimation de la collectivi doit notamment revêtir un caractère
« aliste ».
Auteurs
Christophe Cabanes et Vincent Michelin,
avocats à la Cour, SELARL Cabanes-Neveu
Références
TA Lille 19 mai 2011, Sté Coved,
req. n°1102497
CAA Lyon 22 septembre 2011,
req. n°10LY00323
TA Lyon ord. 18 novembre 2011, Sûreté Idex
Énergie, req. nos 1106421 et 110642
Mots clés
Dossier de consultation Marché gocié
Ré pcontractuel Offre
irrégulière Infructuosité
Extrait
Art. 35-I-1° CMP
« Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer des marchés négociés dans les cas
définis ci-dessous : I.- Peuvent être négociés après publicité préalable et mise en
concurrence : 1° Les marchés et les accords-cadres pour lesquels, après appel
d’offres ou dialogue compétitif, il n’a été proposé que des offres irrégulières ou
inacceptables que le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter. Une offre irrégulière est
une offre qui, tout en apportant uneponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est
incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la
concurrence ou dans les documents de la consultation. Une offre est inacceptable si
les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en
vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché après évaluation du besoin à
satisfaire ne permettent pas au pouvoir adjudicateur de la financer. Les conditions
initiales du marché ne doivent toutefois pas être substantiellement modifiées. Le
pouvoir adjudicateur est dispensé de procéder à une nouvelle mesure de publicis’il
ne fait participer à la négociation que le ou les candidats qui, lors de la procédure
antérieure, ont soumis des offres respectant les exigences relatives auxlais et
modalités formelles de présentation des offres. »
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Systèmes d’information (CSSI) est recevable à se prévaloir devant le juge du
précontractuel des irgularis affectant la produre d’appel d’offres,
jusque et y compris celles affectant la déclaration de son infructuosité, à
l’appui de son recours contre la procédure négociée venue à sa suite ; […].
Considérant qu’il sulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de statuer
sur les autres moyens soulevés par la société CS Systèmes d’information
(CSSI), que ladite société est fondée à demander l’annulation de la procédure
gociée engagée pour l’attribution du marché public 07S0014 relatif à la
fourniture d’éléments d’actifs de réseaux locaux d’entreprises et de sécurité ;
qu’en outre, dans les circonstances de l’affaire, il y a lieu de faire droit à ses
conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’Ugap de lui transmettre les
rapports d’analyse des offres produites dans le cadre de la procédure d’appel
d’offres ouvert n° 06S0029 préalablement à tout nouvel engagement d’une
procédure négociée. »(3)
On ajoutera que le juge desférés précontractuels sanctionne
systématiquement le recours irrégulier par un pouvoir adju-
dicateur à une procédure dont les obligations de publicité et
de mise en concurrence sont de moindre intensi que celles
qu’il aurait respecter en ali. Ainsi, le Conseil d’État a ju
s’agissant d’un recours irrégulier à la procédure gociée après
publicité et mise en concurrence :
« Considérant qu’en jugeant que l’acte par lequel le département du Cher
se proposait de confier à un tiers l’exécution du service de transport scolaire
n’était pas constitutif d’une activid’exploitation de réseau ni davantage une
activité de mise à disposition de réseau au sens de l’article 135 du code mar-
chés publics, nonobstant la circonstance que le contrat envisagé comporte
des stipulations manifestant le contrôle du partement sur les conditions
d’organisation et de fonctionnement du service public en cause, et qu’ainsi
le département ne pouvait être regardé comme une entité adjudicatrice au
sens des dispositions précitées, le juge des référés, qui n’a pas dénaturé les
pièces du dossier, n’a pas commis d’erreur de droit ; Considérant, en second
lieu, qu’il appartient au juge des référés, saisi en vertu des dispositions de
l’article L. 551-1 du code de justice, de rechercher si l’entreprise qui le sai-
sit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de
la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou
risquent de laser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise
concurrente ; qu’ainsi, le juge des férés du tribunal administratif d’Orléans,
n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, par une ordonnance qui est
suffisamment motivée, que le partement avait manqà ses obligations de
publicité et de mise en concurrence pour avoir lancé une procédure négociée
avec mise en concurrence préalable sur le fondement des dispositions de
l’article 144 du code des marcs publics, procédure applicable aux seules
entités adjudicatrices, et que la société reqrante était susceptible d’avoir
été lésée par ce manquement bien qu’elle ait participé à la procédure jusqu’à
son terme et que son offre ait été retenue pour certains lots, dès lors que le
partement avait effectivement négocié les offres qui lui étaient soumises
et qu’il n’établissait pas qu’il aurait été à même de le faire dans les mêmes
conditions s’il avait appliqles dispositions de la première partie du code
des marchés publics. »(4)
II. Estimation réaliste et déclaration
d’infructuosité
Au cas d’espèce jugé récemment par le tribunal administra-
tif de Lille(5), la socrequérante avait, entre autres moyens,
(3) TA Melun ord. 22 mai 2007, req. 0703417/2.
(4) CE 14 décembre 2009, Dpt du Cher, req.330052 : CP-ACCP,96,
vrier 2010, p. 14 ; RDI, 2010, p. 150, note S. Braconnier S.
(5) TA Lille 19 mai 2011, Sté Coved, req.1102497.
contesté le recours à la procédure gociée au motif pris de l’ir-
gularide la déclaration d’infructuosité antérieure(6). Le juge
a retenu le grief par une motivation qui xe très précisément
les exigences attendues du pouvoir adjudicateur dans l’établis-
sement de l’évaluation prévisionnelle du marché qui doit servir
de fondement à la déclaration d’infructuosi. Il doit s’agir d’une
estimation « aliste au regard des besoins propres du marché »,
ce qui n’était pas le cas de l’estimation critiquée et cela pour les
raisons suivantes :
« Considérant que la communauté de communes Cœur d’Ostrevent fait valoir
que son estimation a été faite sur la base sur la base des données de prix
d’Eco-Emballages et des prix à la tonne pratiqués par la société Coved elle-
me dans le cadre d’un marcen cours avec une communauté d’agglo-
ration voisine ; que, toutefois, il ressort du procès-verbal de la commission
d’appel d’offres du 29 novembre 2010 que les trois offres remises dans le
cadre de la première consultation lancée par la communauté de communes
ur d’Ostrevent émanaient toutes de grandes entreprises spécialistes de la
collecte des déchets, dont les estimations de coût peuvent donc être jugées
représentatives des prix pratiqués dans le secteur économique concer; qu’il
sulte par ailleurs de l’instruction que, même après négociations, l’offre de
l’attributaire désigné au terme de la seconde consultation excède encore
de 15,3 % l’estimation précitée de l’administration ; qu’enfin, si la commu-
nauté de communes Cœur d’Ostrevent a fait valoir à l’audience qu’une partie
de l’écart entre son estimation et le montant des offres reçues provient du
nombre exagéde salariés à reprendre indiqué par la sociéCoved, sor-
tante, elle n’explique pas pourquoi elle a communiqué aux candidats ces
informations alors qu’elle n’en a pas tenu compte elle-même pour faire sa
propre estimation ; que, dans ces circonstances, et pour sincère qu’elle ait pu
être, l’estimation retenue par la communauté de communes Cœur d’Ostrevent
ne peut manifestement pas être considérée comme réaliste au regard des
besoins propres du marché envisagé ; que, par suite, la sociéCoved est
fondée à soutenir que la communauté de communes Cœur d’Ostrevent s’est
à tort crue autorisée à recourir à une procédure négociée sur le fondement de
l’article 35-I-1° du code des marchés publics après avoir déclaré infructueuse
la première consultation au seul motif que les trois offres remises passaient
significativement son estimation. »
III. Élément pris en compte justifiant
le caracre irréaliste
Il est intéressant de relever que le juge du référé s’est fondé
pour refuser à l’estimation de la collectivité ce caractère aliste :
D’abord sur le constat de ce que les offres jugées trop éle-
vées dans le cadre de l’appel d’offres émanaient « de grandes
entreprises spécialistes de la collecte de déchets ». Les sociés
habituées à pondre aux appels d’offres publics ne manque-
ront pas certainement d’apprécier une cision qui voit autre
chose qu’un indice d’entente dans une concordance d’offres
à un prix éleet accepte au contraire d’admettre qu’il puisse
s’agir d’un indice d’erreur de la personne publique dans son
évaluation prévisionnelle du prix du marché.
Ensuite sur l’observation d’une faible baisse des prix dans le
cadre de la négociation qui, pour le juge, a conforté la crédi-
bilité de l’évaluation convergente du prix du marché faite par
les candidats à un niveau plus élevé que celui estimé par la
collectivité.
Enn sur une analyse précise des conditions dans lesquelles
la collectivité a xé son évaluation prévisionnelle. Au cas
(6) CAA Paris 24 mars 2003, Crédit d’équipement des PME, req. n°98PA1226.
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Contrats Publics – n° 117 – janvier 2012
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d’espèce, les débats avaient permis de constater que la collec-
tivité, tout en estimant la charge liée à la reprise du person-
nel trop élevée, avait transmis aux candidats l’évaluation telle
qu’annoncée par le candidat sortant(7) sans la reprendre pour
sa part dans sa propre estimation. La collectivité avait ainsi
créé les conditions d’une différence dans l’appréciation des
charges liées à l’ecution du marché entre sa propre estima-
tion et celle des candidats. L’estimation de la collectivi a donc
pu à la fois s’inscrire dans une logique qui lui était propre, et
être à ce titre considérée comme « sincère » par le juge, tout en
étant incohérente au regard des informations transmises aux
candidats dans le devis de consultation.
Notons toutefois une récente cision de la cour administrative
d’appel de Lyon qui rejette un grief d’irréalisme invoq à l’en-
contre d’une estimation prévisionnelle au motif pris de ce que:
« La seule circonstance que le prix de 410 278,20 euros obtenu à l’issue de
lagociation avec la société Maitr’o excédait lui-même l’estimation initiale
ne suffit pas à établir que cette dernière, dont il est constant qu’elle avait
été faite sur la base des prix unitaires constatés dans le hameau de Pont
d’Ouche pour des travaux du même ordre, aurait été iraliste ; que, dans les
circonstances de l’espèce, il ne sulte pas de l’instruction que l’appel d’offres
aurait été mené dans des conditions qui ne permettaient pas sa ussite ; que,
par suite, il a pu régulièrement être déclaré infructueux »(8).
IV. Une information de qualité transmise
aux candidats
En sumé, on se doit d’insister sur l’importance que les per-
sonnes publiques doivent accorder à la qualité de l’informa-
tion qu’elles transmettent aux candidats dans leurs dossiers de
consultation ; information qui, recueillie le plus souvent auprès
du candidat sortant, doit être aliste, c’est-dire correspondre
à la réalité de l’exploitation connue. Il s’agira donc de données
elles et non optimisées à l’initiative de la personne publique
en vue de l’exécution du futur marc.
Le sujet est d’importance car il touche alors directement la
gulari de la procédure de consultation au travers du respect
du principe d’égalité de traitement des candidats et plus préci-
ment de l’égalité entre les sortants et les autres concurrents.
Une très cente ordonnance au tribunal administratif de Lyon
en offre un autre exemple :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction que les niveaux de consommation
des installations annoncés dans les documents de la consultation, qui consti-
tuent un élément essentiel du marccompte tenu des attentes particulières
de Dynacite en termes de performances énergétique, de recherche d’économie
d’énergie et d’optimisation de la performance énergétique, prises en compte
pour le critère « valeur technique » dans trois sous-critères sur quatre, ne
correspondent pas aux niveaux réels de consommation ; qu’en effet, il n’est
pas contesté que la comparaison des dones communiquées par Dynacite
dans les documents de la consultation avec celles des factures existantes sur
les sites considérés laisse apparaître une différence de l’ordre de 10 % ; que
si Dynacite justifie cette différence par le fait que les consommations ont é
ajustées pour prendre en compte les aléas saisonniers tels que la rigueur de
l’hiver ou encore les dates de mise en route et d’arrêt des installations, dès
lors, de telles données, qui peuvent repsenter des consommations idéales,
(7) CE 19 janvier 2011, Sté TEP, req.340773.
(8) CAA Lyon 22 septembre 2011, req. n°10LY00323 : comm. F. Llorens,
Contrats marchés publ. 11, novembre 2011, comm. 321.
ne constituent en aucun cas des consommations réelles ; que les entreprises
candidates, à l’exception du titulaire des précédents marchés, n’étaient dès
lors pas en mesure de comprendre que les consommations présentées comme
elles étaient en fait des consommations recalcues ; qu’en conséquence,
le manquement commis par Dynacite, qui a favorisé le prestataire sortant
qui bénéficiait d’un avantage lui permettant de formuler une offre plus com-
titive compte tenu de sa parfaite connaissance des données des marchés
antérieurs, a pénalisé les autres candidats, et notamment la société requé-
rante, au stade de l’élaboration de son offre, non seulement d’un point de vue
technique mais encore d’un point de vue financier ; que par suite, la Sûreté
Idex Énergie est fondée à soutenir que ce faut d’information constitue un
manquement aux obligations de mise en concurrence susceptible de l’avoir
sé, entachant ainsi d’irrégularité l’ensemble de la procédure d’attribution
des lots nos 1, 3 et 4 ; qu’il y a lieu dès lors de prononcer l’annulation de
l’intégralité de la procédure litigieuse. »(9)
Les exigences ainsi formulées par le juge administratif sont
pleinement justiées, car de la qualide l’information trans-
mise aux candidats sur les conditions d’ecution antérieures
du contrat dépend sans aucun doute l’égalité du traitement des
candidats.
La charge de travail qui en sulte pour les personnes publiques
ne doit pas être négligée, tout comme son impact sur le lai
global de préparation et d’attribution d’un contrat. Il va ainsi
appartenir à la personne publique de solliciter les informa-
tions du titulaire sortant avec sufsamment d’anticipation pour
pouvoir non seulement en contrôler l’exactitude mais aussi
vaincre éventuellement par voie judiciaire certaines réticences
de ce dernier à les communiquer. Et si les informations ainsi
recueillies sont destinées à être analysées et traitées par un
assistant à la maîtrise d’ouvrage pour être ingrées dans un
dossier de consultation spécialement élaboen vue de l’at-
tribution d’un nouveau marché, il appartiendra encore à la
personne publique de s’assurer que les travaux de son assis-
tant n’ont pas eu pour effet de modier les informations ainsi
recueillies, par exemple en les optimisant dans la perspective
d’une exécution future et améliorée du marché, alors même
que le juge administratif a rappelé que l’information doit porter
sur des données réalistes, c’est-à-dire exemptes de tout « opti-
misme ».
(9) TA Lyon ord. 18 novembre 2011,reté Idex Énergie,q. nos 1106421
et 1106423.
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