L`avenir des classifications des psychoses chez l`adulte

LInformation psychiatrique 2010 ; 86 : 127-34
PSYCHOSES : ÉVOLUTION DES CONCEPTS ET DES PRATIQUES (1)
Lavenir des classifications
des psychoses chez ladulte
J.-D. Guelfi
RÉSUMÉ
Nous sommes vraisemblablement à la veille et à lavant-veille de modifications importantes dans les classifications
internationales à propos des psychoses de ladulte. La prochaine classification publiée sera celle du DSM-V, en mai 2012
sauf retard supplémentaire ; celle de lOMS, lICD-11 ne verra le jour au mieux quen 2014. Le processus de révision du
DSM-IV a véritablement commencé dès 1999, cest-à-dire avant même la publication du DSM-IV Text Revised. Nous
évoquerons brièvement lorganisation très structurée du travail de titan que représentent la préparation et lélaboration du
DSM-V. En ce qui concerne les psychoses de ladulte, bien que rien ne soit encore définitivement décidé à ce jour, les
tendances qui se dessinent sont perceptibles dans la littérature internationale des deux dernières années, et nous les
résumerons dans cet article.
Mots clés
:
DSM
,
classification
,
psychose
,
CIM
,
évolution
ABSTRACT
The future of classification of psychoses in adults. We are possibly on the eve, or at the threshold of major changes in
the international classification of adult psychosis. The next published classification will be the DSM-V in May 2012,
except for an additional delay; the classification of the WHO ICD-11 will only be published at the very earliest in
2014. The process of revision of the DSM-IV began in fact in 1999, that is to say even before the publication of the
revised DSM-IV text. We briefly discuss the highly structured organization of the Herculean task that represents the
preparation and development of DSM-V. As regards adult psychoses, although nothing has yet been definitely
decided, the trends are discernible in the international literature over the past two years, which is summarized in this
article.
Key Words
:
DSM, classification, psychosis, ICD, evolution
RESUMEN
El futuro de las clasificaciones de las psicosis en el adulto. Estamos probablemente en la víspera y en la antevíspera de
importantes cambios en las clasificaciones internacionales en lo que se refiere a las psicosis del adulto. La próxima
clasificación publicada será la del DSM-V, en mayo de 2012, salvo retraso suplementario ; la de la OMS, la ICD-11,
no saldrá a luz antes del 2014, en el mejor de los casos. El proceso de revisión del DSM-IV ha empezado
verdaderamente en 1999 es decir antes siquiera de publicarse el DSM-V Text Revised. Se evocará brevemente la
organización muy estructurada del titánico trabajo que representan la preparación y la elaboración del DSM-V.
Respecto a las psicosis del adulto, aunque nada queda todavía definitivamente decidido hasta ahora, las tendencias
venideras ya se perciben en la literatura internacional de los dos últimos años, y se resumirán en este artículo.
Palabras claves
:
DSM
,
clasificación
,
psicosis
,
CIM
,
evolución
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010 127
doi: 10.1684/ipe.2010.0589
Professeur émérite, université Paris-Descartes, Praticien attaché, Service du Pr F. Rouillon, CMME, 100, rue de la Santé, 75674 Paris Cedex 14
Tirés à part : J.-D. Guelfi
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010 127
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Introduction
Les prochaines classifications internationales des trou-
bles mentaux seront très vraisemblablement publiées en
2012 pour le DSM-V et 2014 pour lICD-11. Diverses ten-
dances sont déjà perceptibles dans la littérature internatio-
nale. Sans vouloir chercher à prédire lavenir à trois et à
cinq ans, je vais tenter de résumer les courants qui soppo-
sent à propos des psychoses chroniques, leurs avantages et
leurs inconvénients potentiels. Le statut toujours discuté
des psychoses aiguës sera aussi brièvement évoqué.
Si la question des futures classifications des psychoses
est déjà délicate, le second volet de mon sujet est encore
plus aléatoire. En effet, la bataille idéologique autour de la
personnalité et de ses troubles fait rage, particulièrement
aux États-Unis ; par ailleurs les relations entre psychoses
et personnalité sont en réalité largement inconnues malgré
ce quont pu en dire divers théoriciens au discours péremp-
toire. Quelques rares études cliniques ont pourtant eu lieu
dans ce champ de la recherche clinique et je mentionnerai
brièvement les principales dentre elles.
Les psychoses : du DSM-IV au DSM-V
Les premiers travaux préparatifs à lélaboration du
DSM-V ont commencé dès 1999, cest-à-dire avant même
la publication aux États-Unis en 2000 du DSM-IV TR.
Je vous rappelle que, dans ce manuel, la schizophrénie
figure avec les autres troubles psychotiques dans un
chapitre distinct de ceux des troubles de lhumeur et des
troubles de la personnalité.
Dans le chapitre des troubles de lhumeur on trouve
cependant plusieurs formes cliniques qui comprennent
« des caractéristiques cliniques psychotiques », parfois
même « catatoniques ».
Dans le chapitre sur la schizophrénie, figurent en
premier lieu les principales formes cliniques que sont les
formes paranoïdes, désorganisées, catatoniques, indifféren-
ciées, résiduelles, puis le trouble schizophréniforme, le
trouble schizo-affectif, le trouble délirant (correspondant
à nos délires chroniques), le trouble psychotique bref, le
trouble psychotique partagé ou folie à deux, les troubles
psychotiques liés à une affection médicale générale puis
les troubles psychotiques induits par une substance, enfin
les troubles psychotiques non spécifiés.
Dans une annexe du DSM-IV, des catégories diagnosti-
ques qui nécessitent des études supplémentaires de valida-
tion figurent avec une description dimensionnelle de la
schizophrénie individualisant trois dimensions : psychotique
(cest-à-dire délirante/hallucinatoire), une dimension de
désorganisation et une dimension négative déficitaire, puis
un trouble dépressif dit « post-psychotique » au décours
dune schizophrénie et une schizophrénie dite simple.
La validité de ces différentes catégories diagnostiques
nest pas établie à ce jour.
Pour faciliter les travaux de la Task Force (27 membres
dirigés par David Kupfer assisté de Darrel Regier) qui éla-
bore le DSM-V, les psychiatres américains ont initié plu-
sieurs séries de conférences, de 2004 à 2007, conférences
organisées conjointement par lAssociation américaine de
psychiatrie, les Instituts nationaux de recherche et lOrga-
nisation mondiale de la santé (tableaux 1 et 2).
Celle de ces conférences qui concernait la classification
des psychoses sest tenue en février 2006. La réflexion
sest poursuivie avec une conférence internationale sur la
recherche en matière de schizophrénie à Colorado Springs
en mars 2007.
Les principales sources dinformation disponibles
concernant létat actuel des révisions des deux classifica-
tions figurent sur le tableau 3.
La conférence de février 2006
Il est vrai que la psychiatrie mondiale reste profondément
influencée par la nosologie kraepelinienne et par lopposi-
tion entre la dementia precox de mauvais pronostic et la
maladie maniaco-dépressive de meilleur pronostic. Cepen-
dant, cest en réalité à partir dE. Bleuler que lhétérogénéité
du concept de schizophrénie sest développée. Les critiques
de lédifice kraepelinien se sont dès lors multipliées. Les cas
mixtes et les chevauchements dont dailleurs Kraepelin
était conscient sont légions. Les travaux de psychiatrie
génétique nont pas définitivement tranché. Les concepts
de troubles schizo-affectifs et ceux de troubles divers
« avec caractéristiques psychotiques » ne correspondent
Tableau 1.Les conférences « APA/NIH » : objectifs.
Organisation avec l’assistance et le soutien de l’OMS :
co-organisation avec d’autres institutions
Objectif principal : « promote international collaboration in order
to increase the likelihood of developing a future unified DSM/ICD
Le chef d’orchestre de ces re
´unions est Darrel Regier, Executive
Director of the American Psychiatric Institute for Research and
Education (APIRE)
Tableau 2.Les conferences APA/NIH : les membres.
Le « steering committee » dirige
´par D. Regier comprend des
repre
´sentants des 3 institutions : NIMH, NIDA, NI AAA, M First
(Columbia) consultant de l’APA sur le DSM et N. Sartorius
repre
´sentant B. Saraceno de l’OMS
Pour chaque confe
´rence le comite
´ade
´signe
´un leading US expert
et un « distinguished investigator » spe
´cialiste du domaine mais
non US
Les participants-discutants sont au nombre de 20, apportent
au groupe des revues de la litte
´rature, e
´laborent les comptes-rendus
des re
´unions publie
´es : les chercheurs invite
´s sont au nombre de 25.
J.-D. Guelfi
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peut-être pas à des catégories diagnostiques autonomes ;
elles sont en fait des tentatives faites pour construire des
ponts entre les deux principales psychoses.
Aujourdhui même on peut affirmer que le concept de
schizophrénie au sens néo-kraepelinien du DSM-IV nest
pas véritablement validé. Les critères dinclusion, dexclu-
sion, de durée, manquent de justifications empiriques ayant
valeur de preuve. Il en est de même pour lexistence de
frontières entre les différentes entités isolées dans la classi-
fication. Cest dans ce contexte que certains ont considéré
que le temps était peut-être venu de détruire lédifice
kraepelinien jusquà intituler en 2006 une conférence inter-
nationale : « Deconstructing Psychosis » !
Plusieurs articles publiés entre 2005 et 2007 développent
les arguments dune telle évolution [1, 4, 5, 9, 13, 14,
19-22].
Aux études empiriques se sont ajoutés des travaux por-
tant sur la population générale au sein de laquelle on a
trouvé des symptômes dallure psychotique en grand nom-
bre ; par ailleurs, une perspective dimensionnelle et lidée
dun continuum entre la normalité et la psychose ont
conduit à être tentés par un retour en quelque sorte à
Kretschmer, en utilisant certes dautres mots, par exemple
traits de personnalité psychotique, schizotypie et forme
légère de schizophrénie, au lieu de la classique triade :
schizothymie, schizoïdie et schizophrénie.
Un grand espoir davancée scientifique est apparu lors
de la confirmation daltérations cognitives et neuro-
développementales dans la schizophrénie récemment syn-
thétisées dans plusieurs revues générales dont celle de
R. Freedman dans un numéro de lAmerican Journal of
Psychiatry de 2007 « Neuronal dysfunction and schizo-
phrenia symptoms » [11].
Les principales sources de ces données sont brièvement
rappelées.
Il en est ainsi de lintérêt de lapproche endophénoty-
pique avec, chez les apparentés non atteints, des découver-
tes, maintes fois répliquées, danomalies telles que les
troubles de la poursuite oculaire, les déficits cognitifs
mnésiques et attentionnels ; il en va de même pour les
apports des études de liaison et dassociations en faveur
dune transmission vraisemblablement polygénique multi-
factorielle (dont cependant les résultats sont variables
dune étude à lautre).
Néanmoins, aucun des marqueurs isolés, endophénoty-
pes ou marqueurs génétiques, aucune des anomalies iden-
tifiées par limagerie cérébrale ne possède une sensibilité
et une spécificité suffisantes pour avoir une réelle valeur
prédictive.
Cest à cette conclusion quest arrivée la conférence de
2006.
Divers travaux répliqués ont certes mis en évidence dans
la pathologie schizophrénique une atteinte cérébrale glo-
bale et une réduction de volume des hippocampes, dont
une revue récente a été effectuée par R.E. Gur et al. en
2007 [14].
Mais cest à propos des décisions qui découlent de ces
conclusions que les auteurs divergent. Ainsi, les deux grou-
pes de travail constitués lors de la conférence sont parvenus
à des recommandations très différentes les unes des autres.
Le premier groupe a ainsi plaidé en faveur de lexistence
dun « syndrome psychotique général » incluant la schizo-
phrénie et le trouble bipolaire, avec réduction de 6 mois à
1 mois de la durée des troubles pour que le diagnostic soit
porté, enfin à linclusion de critères diagnostiques dimen-
sionnels. Le second groupe sil a suggéré de réévaluer par
des études empiriques la durée optimale des troubles pour
le diagnostic nen a pas pour autant suggéré dabandon-
ner la distinction entre schizophrénie et trouble bipolaire.
Ce groupe sest aussi déclaré partisan de critères diagnos-
tiques dimensionnels qui devront être établis par des études
empiriques selon M. First en 2006-2007 [9].
La Conférence de Colorado Springs
Les principaux points de vue exprimés à Colorado
Springs ont été ceux de Jim van Os (Hollande), Assen
Jablensky (Australie), William Carpenter (États-Unis) et
Robin Murray (Royaume-Uni). Le compte rendu de cette
conférence figure sur le site <http ://www.schizophreniafo-
rum.org/new/detailprint.asp ?id=1333>.
Pour Jim van Os, le diagnostic de schizophrénie selon les
critères du DSM-IV ne possède aucune validité de construct.
Il nexiste en effet ni symptômes, ni causes, ni évolution, ni
traitements spécifiques. Par ailleurs, des symptômes de type
psychotique existent chez plus de 3 % de la population
générale. Enfin dans une analyse taxométrique des symptô-
mes positifs, négatifs ou de désorganisation recueillis chez
660 patients hospitalisés pour une symptomatologie psycho-
tique aucun « taxon » qui serait en faveur dune entité
catégorielle na pu être mis en évidence tandis que des
descriptions dimensionnelles paraîtraient plus appropriées.
La proposition de van Os est de distinguer deux syndromes,
Tableau 3.Principales sources dinformation concernant létat actuel des
révisions.
POUR LA CIM-11
http://www.who.int/mentalhealth/evidence/en
- http://www.who.int/mental_health/evidence/en
- Coordinating the revision : Geoffrey M Reed
Revision of ICD-10, WHO, 20 Av Appia
CH 12-11 Geneva 27 Switzerland
POUR LE DSM-V
- http://dsm5.org/planning.cfm
- DJ Kupfer. Pittsburg (PA) Mail : [email protected]du
- DA Regier American Psychiatric Institute for Research and
Education and Division of Research, American Psychiatric
Association Arlington (VA)
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un syndrome général affectif et un syndrome psychotique,
ainsi que, mais sur lAxe II, quatre dimensions distinctes :
symptômes positifs, symptômes négatifs, symptômes dépres-
sifs et symptômes maniaques.
La proposition de Assen Jablensky est bien différente.
Certes, la dichotomie kraepelinienne ne possède pas de
réelle validité et la catégorie schizophrénie est hétérogène ;
toutefois des données cognitives, neuropsychologiques et
limagerie paraissent suffisamment consistantes pour
conserver cette catégorie.
Pour Robin Murray, il existe plusieurs objections pour le
diagnostic actuel de schizophrénie, dont la grande fréquence
des symptômes dallure psychotique dans la population géné-
rale, pouvant aller jusquàplusde10%.Dautre part, le point
de vue dimensionnel ne lui paraît pas incompatible avec le
modèle médical, à limage de ce qui se passe pour lobésité
et lhypertension. Enfin de même quil ne lui semble pas quil
y ait une dichotomie schizophrénie-normalité, il nexiste pas
non plus de dichotomie bipolarité-schizophrénie. Un point
de vue purement dimensionnel caractérisera sans doute le
DSM-VI. Le DSM-V sera vraisemblablement, quant à lui,
encore mixte, catégoriel et dimensionnel.
R. Murray suggère enfin de se débarrasser du terme de
schizophrénie au profit dun « dopamine dysregulation
disorder ». Les trois dimensions quil propose sont les
symptômes affectifs, les symptômes positifs et laltération
développementale.
Pour W. Carpenter enfin, chairman du groupe de travail
sur les psychoses pour le DSM-V (tableau 4), il est temps de
reconnaître lhétérogénéité de lentité schizophrénie, et
« déconstruire » ce chapitre en différents sub-syndromes.
Il propose aussi de remplacer la catégorie par trois dimen-
sions : la psychopathologie (comprenant les symptômes
positifs et négatifs), les cibles du traitement (anxiété,
dépression, insertion socioprofessionnelle) et les objectifs
à long terme (autonomie, qualité de fonctionnement, qualité
de vie).
Lors dune longue discussion, diverses propositions ont
été faites par les participants à cette Conférence inter-
nationale,notamment lintroduction au rang des critères
diagnostiques des perturbations cognitives ainsi que divers
endophénotypes voire des anomalies des potentiels évoqués
(P50).
Le vote final concernant la disparition de la schizophré-
nie en tant quentité autonome dans le DSM-V a donné
62 voix pour versus 61 contre.
Les arguments pour ou contre (la destruction) ont
ensuite été développés par Craddock et Owen en 2007 [5]
à la suite dune proposition déjà formulée lannée précé-
dente par T. Levin [16] qui avait proposé de remplacer la
schizophrénie par lexpression « Neuro-emotional Integra-
tion Disorder ».
Plusieurs propositions allemandes
Cest à la fin de lannée 2008 que Wolfgang Gaebel et
Jürgen Zielasek [13] de Düsseldorf ont publié un article
résumant les conférences citées ci-dessus et quils ont pré-
senté leurs propres propositions. Cet article, central pour
mon propos, est intitulé « The DSM-V initiative decons-
tructing psychosis in the context of Kraepelins concept
on nosology ».
Pour W. Gaebel et J. Zielasek, ce débat mérite dêtre
élargi à lensemble des troubles psychiatriques à limage
de la démarche de Zachar et Kendler en 2007 [28] qui
rappellent les différents concepts dimensionnels qui peu-
vent sous- tendre nos modèles de descriptions, modèles
médicaux, reposant soit sur ceux des troubles organiques
soit sur un modèle dysfonctionnel, soit sur un modèle
« biopsychosocial », soit enfin sur un modèle hybride de
J.C. Wakefield, modèle du « dysfonctionnement nocif »
(Harmful Dysfunction).
Les idées de J.C. Wakefield, développées depuis les
années 1990 sont loin de faire lunanimité. Larticle cité,
paru dans le numéro doctobre 2007 de la revue World
Psychiatry [26], a aussi entraîné divers commentaires
contrastés, en majorité critiques de A. Jablensky, de
D. Bolton, de K. Fulford et T. Thornton ou encore du
B. Brülde, mais aussi des commentaires reconnaissants
pour leffort réalisé pour disposer enfin dune réelle
définition dun trouble mental (M. First, N. Sartorius).
Les auteurs allemands W. Gaebel et J. Zielasek [13]
préconisent quant à eux, un modèle alternatif des troubles
psychiatriques issus des conceptions de Jerry Fodor [10]
elles-mêmes inspirées de lancienne psychologie des facul-
tés (Franz Joseph Gall et ses 27 facultés mentales) et du
localisationnisme de Brodman (52 aires distinguées dun
point de vue cytoarchitechtonique).
Le livre de J. Fodor sur la modularité de lesprit, publié
en anglais en 1983, traduit en français et publié en
1986 réhabilite en effet la psychologie des facultés. Dans
cette perspective néo-cartésienne, lesprit est constitué de
différents dispositifs cognitifs indépendants, chacun trai-
tant de façon automatique un petit nombre dinformations
en provenance du monde extérieur. Ces systèmes modulai-
res transforment les sensations en représentations et four-
nissent aussi de la matière à la pensée, tout en demeurant
relativement autonomes par rapport à la pensée elle-même.
Fodor ne mentionnait guère, quant à lui, la psycho-
pathologie et la schizophrénie notamment sauf pour rap-
peler « quautrefois on pensait que la schizophrénie était
unepathologiedelapenséemaisjimagine poursuivait
Fodor que ce point de vue nest plus très populaire ».
À la suite de Kurt Shneider, les auteurs allemands ont
réactualisé cette conception modulaire qui pourrait sappli-
quer à la pathologie psychotique et inclure, par exemple,
les cognitions, les perceptions, les intentions, les émotions,
les fonctions sociales et conduire à dresser pour un patient
J.-D. Guelfi
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donné un profil de dysfonctions dont on pourrait évaluer
limportance et les répercussions sur ladaptation générale.
Ce point de vue semble applicable à la schizophrénie selon
Mc Gorry en 2007 [18]. W. Gaebel et J. Zielasek concluent
leur article en réinsistant sur lhétérogénéité du champ de la
schizophrénie qui regroupe vraisemblablement plusieurs
entités différentes avec des facteurs de risque génétique
distincts, tout comme dautres facteurs endophénotypi-
ques, et des réponses thérapeutiques et un pronostic
différent. Lapproche modulaire leur parait susceptible de
permettre des jonctions entre données génétiques, neuro-
biologiques, et psychopathologiques.
Encore faut-il ajoutent-ils prudemment confirmer
lintérêt de cette perspective originale, notamment par
une thérapeutique orientée sur les modules dysfonctionnels
telles quils la pratiquent, par exemple dans la reconnais-
sance mimique des affects.
Les psychoses aiguës
La position nosographique des psychoses aiguës est
toujours discutée. Comme on le sait, la bouffée délirante
aiguë est restée une entité française, même si le trouble
psychotique aigu et transitoire isolé par la CIM-10 lui
correspond de façon étroite. Le statut des épisodes
aigus récidivants se rapproche plus souvent du trouble
bipolaire que de la schizophrénie comme lont montré
en France, Sophie Criquillion-Doublet et Bertrand
Samuel-Lajeunesse en 1987 [6], à partir de 471 dossiers
de patients hospitalisés pour psychose aiguë entre
1979 et 1985. À ma connaissance, la revue en langue
française la plus récente sur ce thème est celle de
H. Weibel et J.-Y. Metzger [27], respectivement de
Mulhouse et de Colmar, revue publiée en 2005. Deux
études de suivi longitudinal montrent le devenir de
patients initialement considérés comme ayant des psy-
choses aiguës. Létude de A. Marneros, et al. en 2005
[17] a porté sur les rapports entre le trouble psychotique
aigu transitoire, la schizophrénie et les troubles mixtes
schizo-affectifs. Au terme dun suivi de cinq années, la
comparaison dans les trois groupes des caractéristiques
prépsychotiques comme de la symptomatologie de lépi-
sode nest pas en faveur de lindépendance nosologique
du trouble psychotique aigu transitoire. Létude de
S.P. Singh [24] et al. publiée en 2004, a réévalué des
patients chez qui un diagnostic de premier épisode psy-
chotique avait été porté trois années auparavant. Sur
168 patients, 32 soit 19 % avaient reçu initialement le
diagnostic dépisode psychotique aigu et transitoire.
Trois années plus tard, 8 femmes sur 11 conservaient
ce même diagnostic mais seulement 3 hommes sur 21.
Lévolution du groupe dans lequel ce diagnostic avait
été porté (F23) sest révélée plus favorable que celle
des patients diagnostiqués comme schizophrènes.
Le statut à venir des autres épisodes brefs isolés dans le
DSM-IV reste incertain : trouble psychotique bref (de
1 jour à 1 mois), trouble schizophréniforme (moins de
6 mois) et trouble schizo-affectif.
Le trouble schizo-affectif
Ce dernier trouble avait jadis été isolé, à partir de 1933,
par Kasanin. Les études de suivi ont donné des résultats
variables avec une évolution proche de celles des patients
schizophrènes (Tsuang et Coryell avec un follow-up de
8 années en 1993), moins bonne en tout cas que celle des
patients thymiques selon Coryell et al. comme le rappor-
tent Weibel et Metzger [27].
Dans dautres travaux, lévolution est intermédiaire
entre celle des schizophrènes et des bipolaires. Cela nous
conduit à lhypothèse du continuum. La notion dun conti-
nuum entre la schizophrénie et les troubles affectifs a été
défendue par J. Angst ; mais celle dune psychose indépen-
dante des deux principales psychoses a toujours des
défenseurs. Cest le cas des psychoses aiguës de Kleist,
psychoses cycloïdes (résumées in 27).
Un des élèves de Kleist, Leonhard a été à lorigine
dune classification des psychoses endogènes fondée sur
des combinaisons caractéristiques de symptômes, mal
connue en France malgré les efforts de Gerald Stöber et
Jack René Foucher (manuscrit en préparation). Purement
clinique, cette classification a pu être considérée comme
complexe avec 35 tableaux élémentaires mais manifeste-
ment plus riche que la classification américaine du DSM.
Ce point de vue a en revanche eu un certain succès dans
les pays scandinaves depuis les travaux de Carlo Perris à la
fin des années 1970. Les premiers résultats, sur 60 patients,
sont en effet en faveur de lautonomie des psychoses
cycloïdes, intermédiaires entre les troubles schizophréni-
ques et affectifs [27].
Un dernier concept issu de la tradition psychiatrique
franco-allemande et scandinave est celui de psychose psy-
chogène. Environ la moitié des patients conservent dans le
temps ce diagnostic sur lensemble des études mais beau-
coup moins pour certains auteurs comme Vetter et Köller
(10 %) cités par Weibel et Metzger [27]. On ignore la place
qui sera éventuellement réservée à ce concept dans les futu-
res classifications.
Les relations avec la personnalité
Le continuum entre la normalité et la pathologie de la
personnalité a fait lobjet de quelques études récentes
venues apporter un renouveau dans ce domaine de la
recherche clinique. Mais toutes les variétés de troubles
de la personnalité ne sont pas concernées de la même
manière.
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