Le rôle des conventions dans le système de santé

publicité
Sciences Sociales et Santé, Vol. X, n° 1, mars 1992
Le rôle des conventions
dans le système de santé
Philippe Batifoulier*
Résumé. En économie de la santé, le problème de l'allocation des ressources
s'est longtemps appuyé sur le marché et plus particulièrement sur le modèle
néoclassique traditionnel. L'introduction de l'organisation (au sens large)
permet à la théorie des incitations de présenter un mode d'allocation alternatif
fondé sur le contrat. Toutefois, l'institutionnel ne peut se réduire à du
contractuel. Le système de soins est bâti sur l'existence de règles cognitives
qui assurent son efficacité. Le compromis entre acteurs inégaux repose alors
sur la constitution d'espaces de cohérence: des conventions de santé.
Sur la période 1975-1987, en France, les dépenses de santé par
habitant ont augmenté 2,9 fois plus vite que le produit intérieur brut par
habitant alors que la moyenne des pays de l'OCDE est de 1,3 (Schieber et
Poullier, 1990) (1).
Cette évolution a fait de la santé une variable de politique
économique dont les pouvoirs publics cherchent à maîtriser la croissance.
Le financement du risque maladie est, en effet, profondément déséquilibré
et l'assurance maladie est structurellement en déficit (2).
__________
* Philippe Batifoulier, économiste, Laboratoire d'Analyse Économique et de
Décomposition de l'Information des Structures Sociales, de Santé et d'Emploi
(Laédix), Université de Paris X Nanterre, bureau G-214, F-92001 Nanterre Cedex.
(1) Ce chiffre mesure l'élasticité réelle des dépenses de santé par rapport au PIB.
(2) L'analyse comparative, des différents postes de dépenses de la Sécurité sociale, de
F. Lenormand et P. Espagnol (1990), conclut à l'originalité du risque maladie. Celui-ci
reste insensible aux variations conjoncturelles. Alors que les autres postes ont
bénéficié de la récente reprise de la croissance économique, seule l'assurance maladie
reste structurellement en déficit.
6
PHILIPPE BATIFOULIER
Si, pendant longtemps, la santé est restée en dehors des
préoccupations de l'économiste (3), la croissance des dépenses de santé a,
de fait, rendu nécessaire et pertinente l'approche économique.
La complexité du secteur sanitaire rend cependant l'objectif de sa
compréhension d'autant plus difficile. Toute politique économique en
matière de santé est impossible sans l'étude des fondements de la relation
de soins qui lie médecin, patient et tutelle, et des conditions de sa stabilité.
Le système de soins est un système de règles. Une telle
configuration est définie par le terme d'organisation qui doit être entendu
dans un sens large.
Les deux caractéristiques minimales d'une organisation sont :
- l'usage de règles qui prescrivent les attitudes requises et assurent
la coordination des comportements à la place ou à côté des prix
(ou des rationnements) ;
- l'existence d'une entité collective qui inscrit la relation
économique dans un ensemble structuré et s'oppose à la
métaphore de l'agent individuel.
Comme le souligne O. Favereau (1989b), une équipe de football
comme le conseil constitutionnel sont, dans ce cadre, des organisations.
Aussi, réserverons-nous le terme d'institution au système de soins pour
indiquer :
- qu'il s'inscrit dans des conditions historiques, sociales,
culturelles, etc. précises ;
- qu'il n'implique pas de contenu objectif et mesurable du
« produit ».
L'institution sanitaire est une organisation dans la mesure où elle
repose sur des « règles du jeu » soumises à négociation et à conflit au sein
d'une entité collective, mais une organisation particulière car elle fait
intervenir un acteur prépondérant : l'État assurant le rôle de tutelle.
L'analyse de l'institution sanitaire doit alors se situer au confluent de
l'économie publique (puisque la responsabilité de la gestion du système
incombe aux pouvoirs publics) et de l'économie des organisations. Si la
première approche est bien développée, la seconde l'est beaucoup moins.
Dans cet article, après avoir souligné la façon insuffisante dont la théorie
économique traditionnelle rend compte des phénomènes institutionnels du
système de soins, on s'efforcera de montrer la nécessité d'une autre
approche basée sur l'existence de conventions.
__________
(3) Les premières études d'économie de la santé, reconnues comme telles, remontent
en 1967 avec les travaux de J. Brunet -Jailly alors que la revue économique y consacre
un numéro spécial en mai 1976.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
7
Économie de la santé conventionnelle: du marché à l'institution
Le bien santé n'est pas un bien marchand. Son financement est
socialisé. Les pouvoirs publics sont le régulateur principal du système. Le
raisonnement en termes de marché peut ainsi paraître, a priori, erroné.
Pourtant la théorie économique a rapidement intégré cette spécificité en
utilisant, dans un premier temps, les outils habituels de l'approche
microéconomique.
Le modèle néoclassique standard a ainsi constitué le support quasi
exclusif des approches théoriques en économie de la santé. En élaborant
une microéconomie du médecin-producteur et du patient-consommateur, il
a intégré la spécificité sanitaire dans un cadre marchand.
La critique d'une de ses hypothèses fondamentales - l'indépendance
de l'offre et de la demande -a donné lieu à un débat théorique d'une grande
ampleur sur la possibilité pour les producteurs de soins d'induire la
demande en exerçant un pouvoir discrétionnaire. Cette faculté dont dispose
le corps médical de manipuler la demande sera d'abord présentée et
discutée.
Ces théories ne s'attachent qu'à décrire la relation patient-médecin.
Ce n'est, en effet, qu'avec la théorie des incitations (4) que le cadre
institutionnel du système de soins est pris explicitement en considération.
Les rapports conflictuels entre la tutelle et les différents acteurs du système
de soins sont alors analysés en terme de « relation d'agence » et formalisés
par des règles qui ont le statut de contrat.
En conclusion de cette première partie, on propose un essai
d'évaluation de l'application d'une telle théorie aux caractéristiques
concrètes essentielles du système de soins et plus particulièrement au
traitement des catégories fondamentales que sont l'incertitude et la
rationalité des agents.
Modèle néoclassique et effet d'induction
Le modèle (néoclassique) standard fait du malade un consommateur
qui demande un bien -le bien santé -et du médecin, un producteur qui offre
ce même bien. Le lieu de rencontre entre cette offre et cette demande est le
marché, qui définit les prix et quantités d'équilibre par une série
d'ajustements successifs. Les deux hypothèses fondamentales sous-jacentes
à ce type de construction et qui définissent une théorie standard sont les
suivantes (Arrow, 1974) :
__________
(4) Ou plus généralement la théorie des contrats dont B. Holmstrom et J. Tirole (1989)
proposent une excellente revue critique.
8
PHILIPPE BATIFOULIER
- la rationalité (substantielle) des comportements individuels
exprimée par un mécanisme d'optimisation sous contrainte ;
- la coordination des comportements par le marché, lieu de
rencontre d'une offre et d'une demande.
Comme en témoigne le titre de l'article de S. Darbon et A. Letourmy
(1983) : « La microéconomie des soins médicaux doit- elle nécessairement
être d'inspiration néoclassique ? », le schéma néoclassique avec les
catégories d'offre, de demande et de marché semble être le seul cadre
théorique d'analyse du système de santé.
Pour ce faire toutefois, il a dû intégrer les spécificités du secteur
sanitaire en étendant la notion d'offre classique au comportement du
médecin. C'est alors le lieu d'exercice qui distingue les différentes
formulations. En effet, alors que l'attitude du médecin de ville peut être
appréhendée par un arbitrage travail-loisir où le médecin est assimilé à un
entrepreneur individuel supposé rechercher l'efficacité économique (5),
celle du médecin exerçant à l'hôpital suppose la définition, plus complexe,
d'une fonction de production médicale au travers de l'identification d'une
fonction de coût (6).
Cette complexité est encore accentuée dans la formulation de la
fonction de demande. Les études statistiques dévoilent, en effet, des
particularités que ne peut saisir le schéma néoclassique puisqu'elles
conduisent à remettre en cause l'autonomie de la demande par rapport à
l'offre et à développer une approche mettant l'accent sur le pouvoir
discrétionnaire du médecin.
En effet, la fonction de demande du malade-consommateur se révèle
très peu élastique au prix (7). Le concept de demande, au sens traditionnel
du terme, apparaît ainsi introuvable. C'est pourquoi s'est développée une
autre approche fondée sur la faculté du corps médical à manipuler la
demande.
Cette théorie repose sur un constat simple: c'est dans le cabinet
médical que se prend la décision de consommer, le médecin est à la fois
révélateur (ou traducteur) du besoin et producteur du bien. Offre et
demande sont alors interdépendantes, la fonction de demande est endogène
au comportement du médecin.
__________
(5) Le médecin arbitre entre son temps de travail libéral et ses loisirs et exprime ses
choix par le niveau de ses honoraires. Voir M.-O. Carrère (1988) pour une présentation
plus complète.
(6) Voir M. Pauly (1980) et T.G. Cowing et al. (1983) pour une présentation détaillée
des modèles américains et A. Wagstaff (1989) pour les modèles britanniques.
(7) Si les tests économétriques montrent des élasticités -prix négatives, celles-ci restent
très faibles, entre -1,5 et -0,1 selon H. Lafarge (1988) et entre -2,1 et -0,1 selon
J. Manning et al. (1987) dont les propres résultats sur données américaines tirées au
hasard concluent à une élasticité -prix de -0,2 : une augmentation du prix de 10%
s'accompagne d'une diminution de 2% de la consommation médicale.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
9
Le problème de l'induction de la demande par l'offre est tout à fait
central en économie de la santé dans la mesure où il opère une rupture avec
le paradigme standard. Il établit, en effet, une interdépendance de l'offre et
de la demande par l'observation d'une corrélation positive entre densité
médicale et utilisation des soins (Evans, 1974). Les médecins ont donc
pouvoir discrétionnaire de déplacer la demande sans pour autant modifier
le prix.
Comme le souligne E. Levy (1988), la controverse entre les
partisans de l'induction et les tenants du modèle standard est profonde pour
au moins trois raisons :
- sur le plan de la politique économique. Si le corps médical a la
faculté de manipuler la demande, alors la défense du
consommateur exige le contrôle de l'offre médicale. L'effet
d'induction, en rendant caduc l'arbitrage par le marché, justifie
l'intervention des pouvoirs publics (8) ;
- sur le plan théorique, l'indépendance de l'offre et de la demande
est une hypothèse fondamentale du modèle néoclassique. Sa
remise en cause altère l'ensemble de la théorie ;
- sur le plan idéologique enfin, les préférences des économistes
pour l'intervention de l'État s'expriment en parallèle des
confirmations empiriques de l'effet d'induction et inversement.
Les enjeux sont donc importants et expliquent sans doute la
prégnance du sujet sur l'ensemble de l'économie de la santé.
Pourtant, le débat sur l'existence de l'effet d'induction s'est
progressivement déplacé vers la nature de ses limites. En effet,
indépendamment des considérations de validité empirique, le débat
théorique s'est focalisé sur la notion de limite au pouvoir discrétionnaire du
médecin.
Pour les tenants de la théorie néoclassique (standard), la différence
entre le bien de santé et les autres biens économiques est une simple affaire
de degré. Dans le système de santé les coûts d'information sont plus élevés.
Il suffit alors d'intégrer les coûts d'acquisition de l'information et de
contrôle supportés par le patient dans le modèle de maximisation de l'utilité
sous contrainte. Cette recherche d'information sur la réputation du médecin
permet alors au patient d'exercer une menace sur le producteur (aller
consulter un autre médecin par exemple) et rend ainsi caduque toute
tentative d'exercice d'un pouvoir discrétionnaire.
__________
(8) Pour un développement de ce point, voir U. Reinhardt (1989).
10
PHILIPPE BATIFOULIER
C'est l'annihilation du pouvoir monopolistique du professionnel qui assure
le libre jeu du marché (Pauly et Satterwaithe (1981), Dranove (1988),
Stano (1987a et b)). Le pouvoir d'induction existe mais son exercice est
contrecarré par la contrainte qu'exerce le consommateur. La fonction de
demande, bien que spécifique au marché des soins, reste indépendante de la
fonction d'offre. Un des fondements du modèle néoclassique est
sauvegardé.
Pour les partisans de l'effet d'induction, il n'existe pas de fonction de
demande autonome, celle-ci se fond dans la fonction d'offre du médecin au
travers de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Plus qu'une différence
de degré, soins médicaux et autres biens se distinguent par leur nature. Les
caractéristiques fondamentales du système de santé ne permettent pas au
patient de s'informer pleinement (en situation d'urgence par exemple). La
contrainte du consommateur ne joue donc pas sur le pouvoir
discrétionnaire du médecin. Les seules limites à un tel pouvoir sont
endogènes au praticien. Elles relèvent d'un comportement autorégulateur.
Ainsi l'introduction de l'hypothèse d'un revenu-cible (induction jusqu'à un
certain niveau de revenu seulement, Fuchs (1978), Sweeney (1982))ou de
la dimension éthique du comportement médical (sentiment de culpabilité,
peur des contrôles, Woodward et Warren-Boulton (1984), Willenski et
Rossiter (1981, 1984)) qui sont formalisées par l'ajout d'un argument dans
la fonction d'utilité du médecin, ne remettent pas en cause la faculté que
possède le corps médical de créer (ou du moins de manipuler) la demande.
Les aménagements des cadres théoriques initiaux, qu'ils soient
standard ou critique, sont donc importants qualitativement et
quantitativement. Pourtant le contraste est saisissant entre, d'une part,
l'ampleur du débat théorique et l'ambition de la théorie de l'induction et,
d'autre part, les résultats des tests empiriques.
En effet, malgré sa vraisemblance intuitive, l'effet d'induction n'a
jamais vraiment été empiriquement démontré. L'explication de cette
insuffisance se focalise généralement sur les problèmes méthodologiques et
la solidité des tests (9). Mais elle peut également être recherchée dans le
cadre théorique lui-même. A une impasse empirique se grefferait une
impasse théorique.
Le flou des résultats fait, en effet, que s'il n'existe pas de preuves de
l'induction, il n'existe pas non plus d'absence de preuves qui soit
indiscutable. C'est pourquoi, il est a priori légitime de s'intéresser à
l'explication théorique de la pauvreté des prédictions.
__________
(9) Voir S. Darbon (1989), M. Stano (1985), T. Rice (1987), R. Auster et R. Oaxaca
(1981) et U. Reinhardt (1978).
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
11
Sur ce plan, il semble qu'un consensus se fasse autour de la notion
de demande conditionnelle. Si l'effet d'induction existe, son ampleur est
limitée. Il est conditionné par la volonté du professionnel et par le contrôle
du malade.
Le médecin n'est pas le producteur tout puissant des premières
versions de la demande induite. Il n'est pas non plus l'agent parfait du
malade, qui a perdu toute autonomie, de la théorie de la « délégation de
rationalité ». De même, le patient n'est ni le consommateur naïf livré à son
médecin, ni l'individu souverain de l'approche néoclassique. L'existence
d'un « contrôle profane », où le patient peut mobiliser une information
privée face au savoir du médecin, semble mieux à même de saisir la
complexité de la relation (Freidson, 1960; Letourmy, 1982).
Un fait semble particulièrement révélateur de l'appauvrissement du
projet: les aménagements théoriques du cadre traditionnel de l'induction
dans le sens d'une « synthèse néoclassique » autour de la notion de
demande conditionnelle, ont été fécondés par les partisans de la demande
induite eux-mêmes.
En effet, la définition du pouvoir discrétionnaire du médecin s'est
accompagnée presque instantanément de la notion de limite à un tel
pouvoir. Les tenants de la théorie de création de demande se sont ingéniés
à rechercher des phénomènes (le revenu espéré, l'éthique médicale...) qui
atténueraient la portée explicative de leur modèle (Levy, 1988).
De même qu'il existe une autolimitation du pouvoir discrétionnaire,
il existe une autolimitation de la portée théorique de l'effet d'induction. Les
extensions du modèle ont, en fait, été des restrictions.
La raison doit, selon nous, en être recherchée au-delà des problèmes
de mesure. C'est la similitude des cadres conceptuels avec ceux du modèle
conventionnel qui grève le pouvoir explicatif de la demande induite. La
spécificité sanitaire sur laquelle insiste la théorie de la demande induite est
analysée en utilisant le même cadre générique.
L'utilisation d'un même outil (optimisation sous contrainte) pour
évaluer des faits stylisés de nature différente conduit à une impasse. La
prise en compte d'un effet d'induction est ramenée à l'ajout d'un argument
dans la même fonction d'utilité du médecin.
En produisant des résultats bien minces par rapport au programme
de recherche initial, la demande induite est d'ailleurs facilement intégrée
dans le. modèle standard en devenant un cas particulier qui s'exprime par
une ou plusieurs contraintes supplémentaires. Le modèle d'induction est
alors caractérisé par une véritable anomie de sa portée explicative.
12
PHILIPPE BATIFOULIER
Dans les deux approches, le système de santé est, en fait, réduit à
l'interaction médecin-patient; le payeur (l'État) et l'ensemble du cadre
institutionnel sont ignorés. Ce qui se passe à l'intérieur de l'institution n'est
considéré comme d'aucune utilité à la compréhension de l'extérieur.
La prise en considération des phénomènes institutionnels a conduit,
au contraire, la théorie économique à élaborer de nouveaux outils
d'analyse. Au lieu de chercher à assurer l'allocation des ressources par des
mouvements de prix ou par des variations de quantités qui jouent le même
rôle, on a alors mis l'accent sur le pouvoir coordinateur des règles.
L'économie de la santé n'a que marginalement intégré de tels outils, tout en
reconnaissant le caractère insatisfaisant du modèle néoclassique standard
appliqué à la santé. La théorie des incitations permet pourtant de remédier à
cette faiblesse.
Incitations et allocation optimale des ressources
La théorie des incitations est particulièrement adaptée à l'étude des
relations économiques dominées par l'existence de comportements
stratégiques. Elle prolonge les apports antérieurs des théories de la
planification en juxtaposant la rationalité en incertitude (théorie de l'utilité
espérée axiomatisée par Von Neumann et Morgenstern) et l'asymétrie
d'information (actions et informations cachées) (10).
Pour ce faire, le schéma principal-agent décrit formellement un jeu
non corporatif défini par le principal et auquel les différents agents
réagissent en fonction de leurs intérêts privés. Les contrats incitatifs ont
alors pour objet d'établir la politique du principal quand celui-ci ne peut
observer, et a fortiori contrôler, sans coûts, les informations et les actions
de l'agent (Arrow, 1984).
Ces contrats ont la particularité d'être non contraignants. Ils
respectent la liberté d'action individuelle. L'optimum de Pareto incitatif est
alors tel que le principal maximise sa fonction objectif sous contrainte que
les coûts d'opportunité de l'agent soient couverts.
Face à la solution coercitive, inefficace, une autre solution basée sur
la mise en place de mécanismes incitatifs doit être recherchée. Les
individus ne sont plus contraints à révéler leurs véritables caractéristiques.
Ils le font dans leur propre intérêt.
__________
(10) On distingue généralement deux types d'asymétrie d'information: le risque moral
et la sélection adverse. Le premier terme décrit une situation d'actions cachées alors
que le second recense les phénomènes d'informations cachées.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
13
La théorie des incitations opère ainsi une double rupture avec le
paradigme standard :
- elle introduit une microéconomie des relations bilatérales qui met
l'accent sur l'usage de règles dans une entité collective. Sans
abandonner l'hypothèse de parfaite rationalité des agents, elle est
néanmoins conduite à relativiser le pouvoir explicatif du marché.
Le règlement de l'asymétrie d'information ne pouvant s'opérer
par les prix, d'autres signaux, endogènes aux agents, doivent être
définis: des contrats ;
- elle reformule l'économie publique en intégrant le rôle spécifique
de l'État et de la bureaucratie publique dans le schéma d'agence
et dégage les conditions de l'équilibre (11) quand les relations
économiques, que les pouvoirs publics entretiennent avec les
différents acteurs, sont dominées par une asymétrie
d'information.
Dans ce cadre, l'économie de la santé tient une place privilégiée. En
effet, non seulement les caractéristiques du système de soins ont servi de
support aux analyses des imperfections du marché (12), mais aussi la
relation patient-médecin a tenu une place non négligeable par l'exemplarité
de la dissymétrie de savoir qui définit le « colloque singulier ».
La notion de risque moral, en particulier, s'est nourrie des
controverses suscitées par son application au domaine sanitaire alors que
l'existence d'une aversion pour le risque maladie et de plans d'assurance
associés est particulièrement adaptée aux études théoriques sur le partage
optimal des risques.
Le système de soins est ainsi caractérisé par une multiplicité des
relations d'agence dont les plus révélatrices sont :
- la relation tutelle (principal, assureur) -patient (agent, assuré) qui
a pour objet d'établir le plan d'assurance optimal quand la
consommation médicale du patient est affectée par la quantité
d'assurance qu'il a acquise sans que l'assureur puisse observer les
caractéristiques des agents. La socialisation du système et
l'obligation d'assurance découragent l'activité d'autoprotection du
consommateur en rendant opaque le véritable prix des services.
Dans la mesure où le patient est assuré, il peut se permettre
d'avoir un comportement plus risqué, d'autant plus que le risque
est réparti sur un grand nombre d'individus. Le comportement
des uns peut être supporté par les cotisations des autres. Les
dépenses de santé ne sont donc pas seulement liées au hasard ni à
des risques extérieurs à l’individu.
__________
(11) Cet équilibre est dit de second rang car il tient compte de l'information imparfaite
des agents qui agit comme une contrainte irréductible et grève ainsi l'allocation
optimale, de premier rang, des ressources.
(12) En témoigne l'article fondateur de K. Arrow (1963).
14
PHILIPPE BATIFOULIER
On peut ainsi distinguer deux types d'aléa moral: celui qui est
consécutif à l'absence de prévention et celui qui est lié à
l'accroissement excessif des dépenses de traitement. Dans les
deux cas, l'assurance affecte la probabilité d'occurrence d'un
événement (13). La théorie des assurances a servi de base à
l'explication de la relation d'agence entre la tutelle et le patient.
Élaborée dans le cadre institutionnel américain où l'assurance
privée du risque santé est la règle, elle rencontre rapidement ses
limites quand l'assurance est socialisée et obligatoire (Mougeot,
1986a et b). Elle occulte par ailleurs le rôle moteur de l'offre dans
la dynamique des dépenses ;
- la relation patient-médecin dominée par le pouvoir discrétionnaire du médecin. L'asymétrie d'information est alors
subordonnée au savoir et au rôle d'expert du médecin. Si le
patient peut observer des variables comme le temps de
consultation, il ne peut connaître l'intensité de l'engagement du
professionnel, dans le diagnostic d'abord et la thérapeutique
ensuite (14). Une manipulation par la qualité est tout à fait
envisageable. C'est en effet le médecin, tirant profit de son
pouvoir, qui choisit l'action affectant le bien-être du patient.
Toutefois, si le médecin est bien l'agent du système, le patient n'a
pas toutes les caractéristiques du principal. Il ne dispose pas
notamment du pouvoir de délégation de l'organisation des soins,
dévolu à la tutelle. La relation patient-médecin présente alors les
traits informationnels de la relation d'agence mais se complexifie
sous l'effet de ces particularités sanitaires. Les seules ressources
offertes au patient pour inciter le médecin à être honnête sont
celles de la menace. Le patient aura alors recours à la « menace »
d'aller consulter un autre professionnel dissuadant ainsi le
médecin d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Cette contrainte
.se formalise par une « recherche de marché » où le patient met
en œuvre une procédure lui permettant d'acquérir la véritable
information sur son médecin (Rochaix, 1986, 1987, 1989). Le
professionnel est alors incité à ne pas surtraiter ;
- la relation tutelle-médecin dans laquelle le médecin détient une
information privée synthétisée par la faculté dont dispose le
corps médical de manipuler les coûts et la qualité pour asseoir
ses intérêts corporatistes. Le statut juridique des établissements
hospitaliers (à but non lucratif) décourage les activités de recher__________
(13) Le problème de l'assurance, facteur de surincitation à consommer, a donné lieu à
une polémique, en 1968, entre K. Arrow et M. Pau]y dont les grands traits sont
exposés dans F. Benhamou (1988).
(14) « Plusieurs études montrent que les moyens mis en œuvre par les médecins
varient de un à six pour le traitement d'une même pathologie » (M. Mougeot, 1986a, p.
115).
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
15
che de profit ou même de réduction des coûts comme le réduction
des coûts comme le soulignent les théoriciens des droits de
propriétés. Personne n'a en effet d'intérêt à rechercher un excédent
d'exploitation. Les surplus éventuels sont transformés en dépenses
supplémentaires de manière à maintenir, voire améliorer, le
montant des subventions. De même, le quasi-monopole de
l'information, dont dis- posent les producteurs de soins par
rapport à la tutelle, engendre des manipulations d'information.
Ainsi la dotation attribuée à chaque établissement dépend des
informations transmises par les professionnels (médecin et
gestionnaire) à la tutelle (fonctionnaire de santé et caisse de
Sécurité sociale). Les fonctions de coût, et, à un degré moindre,
les besoins sont connus par les seuls professionnels dont l'intérêt
est d'accroître leurs ressources par un effort moindre. L'analyse se
focalise alors sur le rôle moteur de l'univers hospitalier dans
l'asymétrie d'information. L'agent est ainsi défini par
l'établissement hospitalier dont le comportement est assimilé à
celui du gestionnaire-médecin (ou manager public). La régulation
du système est alors assurée par des contrats bilatéraux (du type
bonus-malus) qui débouchent sur une théorie de la réglementation
des établissements hospitaliers en présence de sélection adverse et
de risque moral. Les contrats multilatéraux entre la tutelle et
plusieurs établissements hospitaliers, bien que plus difficiles à
établir, offrent également un moyen de contrecarrer l'asymétrie
d'information en insistant sur la révélation des préférences et
l'annonce de la vérité (par l'instauration de règles de
compensation ou de paiement ou encore par des mécanismes
d'enchères) (15).
L'univers hospitalier est donc le domaine privilégié d'application de
la relation d'agence et des contrats optimaux associés (16). Cependant,
cette régulation contractuelle s'accompagne de l'introduction de
mécanismes concurrentiels et conduit à une refonte du cadre institutionnel
actuel du système de soins.
__________
(15) Voir P. Batifoulier (1990) pour une écriture de ces contrats.
(16) On pourrait également citer la relation gestionnaire central -centres de
responsabilité. La réforme du budget global a, en effet, accru la responsabilité
économique des gestionnaires et des médecins ordonnateurs des dépenses en créant des
centres de responsabilité par grand groupe d'activité (technique, médical, service de
restauration, d'entretien...). Le problème est alors celui de la répartition des moyens (le
budget global) à ces centres de responsabilité (agents) par la direction générale de
l'hôpital (Principal) (H. Leclerq, 1989). Le même cadre peut être mobilisé pour décrire
l'importance des comportements stratégiques dans les procédures d'achat hospitalier.
La mise en concurrence des fournisseurs potentiels par l'hôpital (ou le centre de
responsabilité chargé des achats) peut donner lieu à des phénomènes de sélection
adverse (M. Mou geot et F. Naegelen, 1984).
16
PHILIPPE BATIFOULIER
Les limites de l’approche contractuelle de l’institution sanitaire
La prise en compte explicite des comportements déviants au sein
d'une organisation débouche sur une théorie où les caractéristiques
institutionnelles du système de santé sont formalisées en terme de contrats
optimaux incitatifs.
Ces contrats ont trois particularités primordiales :
- ils répondent à la conjonction de l'incertitude et de l'asymétrie
d'information ;
- ils procèdent de comportements substantiellement rationnels ;
- ils relèvent des seules volontés individuelles.
En définissant le pouvoir du médecin sur les autres acteurs (tutelle
et patient) par les notions d'aléa moral et de sélection adverse, la théorie
des incitations saisit alors le profit monopolistique du professionnel en
terme de comportement stratégique.
Elle permet, par ailleurs, de fonder une alternative crédible aux
politiques autoritaires de rationnement en développant des mécanismes
décentralisés permettant d'allouer efficacement les ressources.
Son apport est donc important aussi bien sur le plan théorique qu'en
matière de politique économique puisque sa portée explicative peut
significativement dépasser celle de la théorie standard. Néanmoins, si la
piste de recherche est bonne, la prise en considération des caractéristiques
concrètes du système de soins conduit à critiquer la réduction des facteurs
institutionnels au seul mode de coordination contractuel.
Ainsi en est-il de l'analyse de l'incertitude sanitaire qui est manifeste
tant du côté du consommateur que du producteur de soins. Le patient, en
effet, est incertain sur la sévérité de sa maladie, sur le type de médecin et
plus généralement sur l'offre de services médicaux qu'il va rencontrer.
Cette incertitude est directement liée au risque maladie. J.-P. Faugère
(1982) en distingue quatre aspects :
- l'occurrence de la maladie est aléatoire. On ne peut pas savoir à
l'avance quel sera son état de santé futur. Cette caractéristique du
malade consommateur interdit toute possibilité de prévision des
dépenses. Il est, par conséquent, impossible d'assurer un
financement optimal du risque maladie ;
- un individu parfaitement rationnel comme celui des théories de la
demande de santé (17) ne peut prévoir son état de santé futur.
__________
(17) Où chaque individu dispose à la naissance d'un capital- santé, composante du
capital humain, qui se dégrade avec le temps. La santé est alors considérée comme un
bien durable, l'agent gérant jusqu'à sa mort « l'obsolescence biologique ». L'individu va
donc chercher à déterminer tout au long de son cycle de vie son stock désiré de santé,
sous contrainte de revenu et de temps. Pour ce faire, il va investir en soins sur le
marché des services médicaux pour ajuster le stock effectif au stock désiré
(Grossmann, 1972). Pour une critique, voir C. Le Pen (1988).
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
17
L'incertitude empêche alors l'ajustement optimal de
l'investissement au stock de santé ;
- la demande de soins étant parfaitement aléatoire, il n'y a aucune
raison pour que les capacités de production (au sens large) s'y
adaptent parfaitement. L'adaptation de l'offre à cette situation
d'incertitude conduit à des situations sous-optimales. Ainsi, par
exemple, la nécessaire réponse à la demande et à ses fluctuations
conjoncturelles impose aux établissements hospitaliers des
capacités excédentaires et donc des surcoûts ;
- la maladie est liée à diverses caractéristiques socio-culturelles.
Aussi la morbidité n'est-elle pas indépendante des facteurs de
risque. L'épidémiologie qui en propose une analyse tente
d'atténuer le caractère purement aléatoire de l'état de maladie.
Elle constitue un moyen de réponse à l'incertitude.
La revue de ces différentes manifestations de l'incertitude liée au
caractère aléatoire du risque de maladie nous a permis d'établir la nature
événementielle ou primale de l'incertitude sanitaire. Celle-ci est, en effet,
subordonnée à la seule occurrence d'un événement: la maladie. Dans ce
cadre, on connaît l'ensemble des états de ]a nature mais on ignore lequel se
réalisera. Les événements sont alors bien identifiés et cette incertitude est
une incertitude de réalisation de l'événement.
Cette « incertitude événementielle » se double d'une « incertitude
endogène » (18) à l'activité médicale où c'est la liste même de tous les états
de ]a nature qui est inconnue. Cette incertitude est une incertitude de
définition de l'événement. Elle s'exprime à un double niveau :
- au niveau du patient. Le rapport médecin-malade est un rapport
hiérarchique dominé par une asymétrie de savoir. Le malade,
méconnaissant ]a pratique et la technique médicale, est
dépendant du professionnel. Son incertitude n'est donc pas
seulement imputable à l'imprévisibilité de son état de santé mais
également aux caractéristiques institutionnelles du système de
soins. Le patient ne dispose pas de la même information que le
médecin et, par conséquent, ne peut être appréhendé en terme de
consommateur souverain. Il ne connaît pas, à l'avance,
l'ensemble des configurations en matière de diagnostic et de
thérapeutiques que va lui proposer le médecin ;
__________
(18) Suivant l'expression de C. Ménard (1989).
18
PHILIPPE BATIFOULIER
- au niveau du médecin. L'incertitude liée à la pratique médicale
elle-même se loge au cœur de l'institution. Une des particularités
du savoir médical est d'être complexe et provisoire. Le médecin
ne peut jamais être pleinement assuré de la véracité d'un
diagnostic ou de l'efficacité d'une thérapeutique. Il ne peut
prévoir à l'avance le résultat de son traitement. Le degré
d'incertitude du producteur dépend de la disponibilité et de la
valeur des protocoles et des séquences diagnostiques et
thérapeutiques qu'il élabore (Giraud et Launois, 1985). Il dépend
donc des connaissances futures (ou progrès de la science) (19).
La mise au point de nouveaux traitements, l'évaluation de plus
anciens, etc. sont fonction de la recherche médicale. Cette
incertitude de l'offre a des conséquences non négligeables sur le
développement du système de soins dans son ensemble, en
accroissant la demande technique en particulier. Ce n'est plus
alors seulement l'occurrence de la maladie qui est imprévisible
mais aussi le résultat de l'action médicale.
L'incertitude endogène repose, au total, sur le pouvoir du médecin
face au malade et sur la nature du savoir qui est mobilisé dans la relation.
Si la première catégorie, dans la forme, est saisie par la relation d'agence, la
seconde est généralement occultée. La raison doit être recherchée dans la
réduction des aléas au domaine probabilisable.
Le savoir, et c'est particulièrement vrai dans le domaine médical, est
toujours provisoire. On ne peut donc déduire des résultats de phénomènes
similaires répétitifs comme l'enseigne le calcul de probabilité. Au contraire,
chaque décision est unique car « le temps historique est irréversible »
(Lavoie, 1985).
Une distinction entre risque probabilisable et incertitude (20) fournit
alors une formulation plus appropriée de l'aléa sanitaire en met- tant
l'accent sur les ressources cognitives des agents.
L'incertitude en matière de santé introduit le « nouveau » et définit,
dans son acception la plus stricte, le futur sans référence au précédent,
comme c'est, au contraire, le cas pour le calcul de probabilité (Orléan,
1987).
__________
(19) « On croit communément que la médecine est une science, alors que beaucoup de
décisions médicales ne reposent pas sur des fondements scientifiques solides, tout
simplement parce que ces fondements n'ont pas encore été pleinement explorés,
exploités, testés » (McPherson, 1990: 18).
(20) Distinction établie par F. Knight (1921), développée par J.-M. Keynes (1990: 143)
quand il affirme que « le calcul de probabilité, bien qu'on n'y fit qu'implicitement
allusion, était supposé capable de réduire l'incertitude au même état calcul able que
l'état de certitude elle-même... [or] notre connaissance de l'avenir est fluctuante, vague
et incertaine ».
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
19
Elle mobilise des ressources cognitives et fait plus appel à la notion de
confiance (dans un traitement, un médecin, un établissement,...) c'est-à-dire
de convention au sens de Keynes (chapitre 12 de la théorie générale) (21),
qu'à celle de calcul.
Alors que la théorie de l'utilité espérée sur laquelle repose la théorie
des incitations définit la prise de décision comme l'attitude de l'agent face
au risque, une théorie de l'incertain doit intégrer la perception du degré
d'incertitude. La rationalité des agents n'est alors plus limitée par le seul
système d'information puisque, en disposant de toutes les informations
nécessaires, ils ne pourront prévoir les conséquences de leur choix, ceux-ci
reposant sur des connaissances futures.
Même si le médecin dispose d'une information sur les risques
encourus par le patient (effet de trace, de mémoire, etc.) et peut, dans ces
conditions, traiter l'avenir à partir de probabilités, ces dernières ne sont
guère utiles car le médecin est mobilisé par le cas concret hic et nunc.
En situation d'incertitude, la décision de l'individu (le médecin)
conjugue alors :
- l'estimation qu'il se fait de la réalisation future de l'événement ;
- la valeur qu'il accorde à son propre jugement.
C'est dans ce cadre que peut s'analyser l'affirmation de Keynes selon
laquelle la prise de décision fait intervenir le « poids du raisonnement »
corrélé positivement avec l'arrivée de données nouvelles. Cette notion est
voisine de celle de confiance et synthétise l'information disponible lors de
la prise de décision. Elle se distingue par conséquent de la probabilité
(Arrous, 1982 ; Lavoie, 1985).
L'incertitude est ainsi définie par opposition au risque. Elle est
souvent accompagnée d'un qualificatif dans la littérature. On parlera ainsi
d'incertitude épistémique (Orléan, 1989), critique (Thévenot, 1989) ou
encore d'incertitude véritable (22) (Heiner, 1983).
Une telle incertitude -radicale -permet de mieux appréhender le
comportement des acteurs. Elle offre notamment une capacité interprétative
plus large de l'incertitude de savoir, inhérente à la pratique médicale et
sous-estimée par les approches tant standard que contractuelle.
Ce faisant, elle remet en cause la conception traditionnelle de la
rationalité des individus (par optimisation). Non seulement la prise de
décision n'est pas fonction du seul calcul, mais encore il importe tout autant
de s'interroger sur la façon dont sont prises ces décisions. Ce que l'on place
sous « l'ombrelle de l'incertitude », c'est aussi la limitation des ressources
cognitives des agents (Clyert et Simon, 1988 : 233).
__________
(21) La définition de la convention par la confiance n'est qu'une étape de celle que
nous proposerons dans la partie suivante.
(22) « genuine uncertainty ».
20
PHILIPPE BATIFOULIER
En formalisant le comportement des agents en présence
d'incertitude, le critère de l'utilité espérée constitue la définition de la
rationalité en univers risqué. Le traitement de l'incertitude est ainsi directement lié à la capacité de calcul des agents, supposée parfaite. Or, ces
derniers ne sont pas seulement limités par le système d'information mais
aussi par les possibilités du cerveau humain.
Le concept de rationalité limitée ou procédurale (23) de H.A. Simon
(1976, 1978a, 1978b, 1979) offre une alternative crédible à celui de
rationalité substantielle. Il définit l'ensemble des contraintes inhérentes à
l'individu qui l'empêchent de recueillir et de traiter l'information.
Pour le paradigme contractuel, la mise en œuvre des contrats
optimaux est un moyen de contrecarrer l'asymétrie d'information et partant,
d'appréhender la rationalité limitée des agents puisqu'elle est définie ainsi.
Pour H. Simon, au contraire, l'information n'est pas une ressource
rare. Souvent, on en a trop. C'est l'attention qui est importante. Le sur- plus
d'information peut constituer un luxe coûteux car il peut détourner
l'attention de ce qui est important vers ce qui l'est peu (24). La limitation de
la rationalité ne provient pas de l'information. Elle est structurelle et liée
aux capacités du cerveau humain.
L'incertitude radicale dans laquelle évolue le médecin sur l'efficacité
de sa thérapeutique et sur son incapacité ex ante à définir le résultat le
conduit à orienter son choix, non pas vers la meilleure décision mais vers la
meilleure méthode pour arriver à la décision. Tel est l'objet de l'ensemble
des aides au diagnostic qui vont des simples opérations de classification
des symptômes à la technologie (notamment d'imagerie médicale) la plus
développée.
C'est donc la procédure de prise de décision qui est mise en avant et
non la décision elle-même.
Les processus de maximisation sont alors inaptes à saisir le
comportement des agents. L'expression de la rationalité doit mettre en
avant, au contraire, la façon (ou procédure) dont est prise la décision.
La rationalité procédurale supplante alors la rationalité substantielle
et permet d'expliquer un comportement « naturel » et reconnu du médecin:
l'éthique professionnelle sans avoir recours, comme c'est généralement le
cas, à des hypothèses ad hoc et des complexifications croissantes.
__________
(23) Simon s'est progressivement orienté vers le second qualificatif.
(24) En matière de santé, l'information des acteurs (des consommateurs notamment)
est abondante mais souvent lacunaire.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
21
Le médecin, même libéral, ne peut être analysé uniquement comme
un entrepreneur individuel. La théorie néoclassique distingue, d'ailleurs, à
côté de la rationalité économique, qui, elle, est assimilable à celle de
l'entrepreneur, une « rationalité psycho-sociale » propre à la profession
médicale et indépendante de la rationalité standard.
Toutefois celle-ci est réduite à un comportement maximisateur par
un argumentaire que M.-O. Carrère (1987 : 202-203) résume claire- ment:
« par définition, la rationalité médicale et psycho-sociale est tournée vers la
recherche de l'efficacité du plan médical pour le patient et du plan sociopsychologique pour le patient et le médecin. Elle est influencée par le
savoir médical et certaines caractéristiques personnelles du patient et du
médecin. En utilisant la terminologie économique, on pourra dire qu'elle se
traduit chez le médecin par la recherche d'une utilité médico-psychosociale maximum. ».
Deux types de réponses sont alors donnés :
- cette rationalité est tout simplement occultée. Elle fait tout juste
l'objet d'une note en bas de page ;
- elle est explicitement intégrée dans l'analyse, par l'ajout d'un
argument dans la fonction d'utilité du médecin.
Dans ce dernier cas, l'interrogation que constitue l'absence de
maximisation du revenu du médecin, observée par toutes les études, est
traitée suivant trois options :
- l'option « philanthropie ». Un argument supplémentaire dans la
fonction d'utilité du médecin synthétise ses objectifs
humanitaires. Ainsi le médecin peut fournir des prestations à
faible prix pour les patients les moins fortunés (Ruffin et Leigh,
1973) ou obtenir plus de satisfaction dans le traitement des
« pauvres » que dans celui des « riches » (Masson et Wu, 1974) ;
- l'option « contrainte de marché » qui se manifeste dans les
modèles incitatifs où les patients, pouvant acquérir de
l'information, conduisent le médecin à adopter un comportement
optimal. Ainsi, dans le modèle de L. Rochaix (1986), par
exemple, l'éthique professionnelle se traduit par l'absence de
surtraitement. Elle est subie et résulte de la pression des
consommateurs ;
- l'option « induction », inverse de la précédente, puisque ce ne
sont pas les patients, mais les médecins eux-mêmes, qui
(auto)limitent
leur
pouvoir
discrétionnaire.
L'éthique
professionnelle est donc une contrainte à l'induction de la
demande, qui provient du médecin lui- même (Woodward et
Warren-Boulton, 1984) (25).
__________
(25) Le modèle de P. Zweifel (1981) a le mérite, dans ce cadre, de combiner
incertitude et éthique professionnelle.
22
PHILIPPE BATIFOULIER
L'éthique professionnelle est alors une hypothèse nécessaire à
l'explication, par la rationalité substantielle, d'un fait stylisé
incontournable : le médecin a d'autres préoccupations que la maximisation
de son revenu.
Or, l'éthique n'est pas assimilable à un argument dans une fonction
d'utilité à maximiser. Elle n'est pas contrainte car elle est suivie de leur
propre chef par les médecins. Elle ne résulte pas d'un contrat puis- qu'elle
ne repose pas sur un accord explicite entre médecin et malade ou entre
médecin et tutelle.
L'éthique professionnelle est une règle qui ne relève ni de la
contrainte ni du contrat mais de la convention. Elle est « ancrée » dans les
relations sociales, les coutumes, etc… (Granovetter, 1985). Elle est
optimale car elle permet au patient et à la tutelle de connaître, sans coût
d'information, les véritables caractéristiques du professionnel.
Elle agit ainsi comme norme de comportement en donnant la qualité du médecin : le médecin est celui qui respecte une éthique
professionnelle. Déroger à la règle, pour ce dernier, c'est s'exclure de la
profession.
La théorie des contrats est alors sérieusement prise en défaut dans la
mesure où, d'une part, l'individu est doté de capacités de calcul limitées, et,
d'autre part, ne cherche pas son seul intérêt.
La coordination repose alors sur des règles (comme l'éthique
professionnelle) qui portent un savoir et deviennent la façon dominante
dont se manifeste la rationalité des agents. Ces règles, cognitives, n'ont de
sens que si elles sont suivies par tous. Elles sont de nature collective.
Conventions et système de soins
En définitive, la théorie des incitations (plus généralement des
contrats), bien qu'elle paraisse séduisante, ne peut toutefois rendre compte
d'un certain nombre de caractéristiques du système de soins: incertitude
radicale, rationalité faisant intervenir les dimensions éthique et collective...
La raison doit en être recherchée dans le projet lui-même, qui se
refuse à remettre en cause le noyau dur du paradigme standard.
L'institutionnel n'est qu'ajouté au marché. La « main invisible » est
restaurée par le contrat. L'accord repose toujours sur des individus-types
parfaitement rationnels, la seule différence étant le moyen de l'accord: non
plus l'action mais la volonté. La médiation collective reste prohibée.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
23
Or, la coordination impose l'existence d'objets collectifs comme
l'éthique professionnelle qui assurent la coopération entre des individus
mus par des intérêts divergents. Cette règle n'est pas écrite. Elle est
inintentionnelle ou spontanée. Elle exprime un consensus en évacuant la
méfiance et le soupçon. Il n'est nul besoin que tout soit conçu à l'avance.
L'instrument de la coordination n'est pas le prix ni le contrat mais la
convention (Favereau, 1989a).
La compréhension de l'efficacité de la relation tutelle-médecin
débouche sur une théorie des conventions juxtaposant rationalité
procédurale et don réciproque. Les conventions d'activité qui y sont
subordonnées mettent alors l'accent sur le compromis qui intervient pour la
forme de la prestation avant la délivrance du savoir médical.
L'anticipation que fait le patient de la nature de la prestation
médicale ne doit pas être trop éloignée de celle qui est effectivement
réalisée. Les conventions de qualité règlent alors la mise en œuvre de la
prestation. Elles s'éloignent, pour ce faire, de l'approche traditionnelle de la
qualité pour élaborer des formes de coordination assises sur des objets
collectifs étrangers à l'univers marchand.
Conventions d'activité et relation de soins
La liaison productivité-rémunération est un problème standard de la
littérature économique. Contrairement au postulat de la théorie
néoclassique (walrasienne), le travail n'est pas une marchandise. L'effort du
salarié (ou du travailleur en général) ne peut être observé. Il est libre et non
prédéterminé. L'incertitude de l'effort fourni exprime l'incomplétude de la
relation de travail que ne peut traduire le terme de productivité. Deux
critiques peuvent être exprimées, une générale, l'autre spécifique au
système de soins :
- la productivité mesurable diffère de l'effort non mesurable,
incorporé dans les personnes elles-mêmes ;
- le produit médical n'a pas de contenu objectif. On ne peut donc
forger un concept de productivité en l'absence de production.
Ce qui importe au médecin, c'est d'être récompensé non pas en
fonction du résultat obtenu mais en fonction de l'effort fourni, c'est-à-dire
non pas en fonction de l'état de santé futur du patient mais du traitement
prescrit et de sa participation au traitement. Or l'effort (du médecin) n'est
observable ni par le patient ni par la tutelle. Il n'existe pas d'obligation de
résultat. Ainsi le résultat (non imposé) et l'effort (non observable) ne
peuvent servir de base à un accord minimal entre les personnes. Or cet
accord, qui permet la relation médicale, existe. Quels en sont les
fondements ?
PHILIPPE BATIFOULIER
24
Ou, pour reformuler la question : qu'est-ce qui assure la viabilité et la
stabilité de la relation tutelle-médecin, sachant qu'il n'existe pas
d'obligation de résultat et qu'on ne peut associer à l'activité médicale un
contenu objectif ?
La notion de convention permet de répondre à une telle question.
Le problème peut être présenté de façon simple, dans un premier
temps, par l'exemple du dilemme du prisonnier qui schématise le couple
(rémunération -faisceau d'effort) par un jeu à deux joueurs (26).
Options
stratégiques
du
subordonné
Obéissance
forte
Obéissance
faible
Options stratégiques
du supérieur
Récompense
Récompense
élevée
faible
A
B
(2,2)
(0,3)
C
D
(3,0)
(1,1)
Les paiements ou gains sont évalués en utilités, le premier terme
représentant l'utilité du joueur 1, le second celle du joueur 2.
Le supérieur schématise ici la tutelle qui verse une rémunération
(récompense) au subordonné en échange d'un faisceau d'effort (intensité,
qualité, durée...) représenté par l'obéissance. Plus concrètement, la
récompense peut être la dotation budgétaire attribuée par la tutelle à
l'hôpital, le niveau des honoraires autorisés, etc., l'obéissance représentant,
quant à elle, la qualité des soins, l'effort engagé par les professionnels pour
réduire les dépenses ou alléger les charges, la participation au traitement
des médecins, etc…
Supérieur et subordonné sont deux individus représentatifs
substantiellement rationnels.
- Le supérieur est la tutelle qui exprime les intérêts de la
collectivité et notamment des patients. Elle dispose du pouvoir
de décision et formule le contrat en assurant le paiement ou le
transfert compensatoire.
__________
(26) Le jeu décrit dans le cas général la configuration suivante: deux prisonniers ont
commis un délit et sont incarcérés séparément (ils ne peuvent communiquer). Deux
alternatives s'offrent à eux: avouer ou ne pas avouer, sachant que celui qui avoue
bénéficiera d'une remise de peine aux dépens de l'autre. Ce jeu a fait l'objet de
nombreuses formulations. Nous reprenons et adaptons ici celle de G. Miller (1977).
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
25
- Le subordonné est le monde professionnel défini par
l'établissement hospitalier ou le médecin libéral selon les lieux
d'exercice. L'archétype en est le médecin, agent du système.
Nous nous situons donc ici dans une situation hiérarchique où le
supérieur définit les termes d'un contrat (soigner le malade, réduire les
dépenses...) dont la réalisation est confiée au subordonné qui, en
contrepartie, reçoit une rémunération.
Les individus étant substantiellement rationnels, D est l'équilibre de
Nash (27) du jeu. Il correspond aux stratégies dominantes de chaque joueur
en situation d'information incomplète.
En effet, si le subordonné fait l'effort maximum, la tutelle a intérêt à
attribuer la récompense la plus faible. Une récompense plus élevée n'est
pas nécessaire à l'obtention d'un effort important. Pour les mêmes raisons,
si le supérieur verse une rémunération élevée, alors le subordonné produira
un effort faible. En l'absence d'information sur les comportements de l'autre
joueur, la seule issue rationnelle est donc la solution non coopérative : D
(obéissance et récompense faibles). Aucun des deux partenaires ne pouvant
s'assurer des intentions pacifiques de l'autre choisit la stratégie agressive.
Force est de constater que cette solution catastrophique n'est pas
celle qui prévaut dans la réalité. H. Leibenstein (1982, 1987) y substitue la
notion de convention d'effort. Alors que la non-coopération est la solution
rationnelle, c'est une norme d'effort qui s'impose dans les faits. Si l'intérêt
privé diffère de l'intérêt général, il n'est pas son exact opposé.
L'individualisme maximum (non coopération, D) et la « règle d'or »
(coopération totale, A) sont deux positions tout aussi extrémistes.
Le comportement des individus est régi par des habitudes et des
routines qui, en gardant leur composante inter-individuelle, forment des
conventions. Les entrants dans une organisation observent les normes en
vigueur et s'y conforment, assurant par là même la stabilité de la
convention. Cet effet d'imitation, d'apprentissage ou « étalon d'effort »
permet d'instaurer un climat de confiance en éliminant l'incertitude sur
l'action des autres.
Ces notions de convention, et notamment la convention d'effort,
sont particulièrement fécondes pour l'analyse du système de santé. En effet,
en limitant les comportements discrétionnaires des acteurs, elles apportent
une solution au pouvoir d'induction du médecin. Ce n'est plus alors le
marché, exogène, qui contraint le médecin ou l'établissement hospitalier
représentatif mais une norme endogène assimilable à une autorégulation.
__________
(27) Il y a équilibre de Nash quand la stratégie d'un joueur est la meilleure réponse à la
stratégie de l'autre joueur.
26
PHILIPPE BATIFOULIER
L'autorégulation n'est plus ici une simple limite au pouvoir
d'induction. Elle décrit l'état de la coordination entre la tutelle (le supérieur)
et le monde professionnel (le subordonné). Cette coordination repose sur
des conventions qui établissent une régularité de comportement permettant
ainsi à chacun d'acquérir de l'information sur l'autre sans avoir recours au
marché. La limitation du pouvoir discrétionnaire du médecin n'est plus
subordonnée à l'exercice d'une contrainte de marché mais est relative à
l'existence d'une convention qui assure l'efficacité de la relation de soins.
La solution de Leibenstein a le mérite d'établir la coordination des
comportements économiques sans référence au marché et à un quelconque
contrat. La convention d'effort, en rupture avec l'approche contractuelle,
établit que le niveau d'effort :
- ne dépend pas seulement de la rémunération. La confiance
inhérente à la stabilité de la relation entre supérieur et
subordonné ne peut être réduite à une incitation financière (le
paiement compensatoire). Il existe d'autres types de motivations
tout aussi importants: la démocratie interne, le sentiment
d'équité, etc. ;
- fait intervenir une dimension collective. C'est en effet la pression
que le groupe exerce sur un de ses membres qui conduit ce
dernier à adopter la solution coopérative. L'organisation du
travail en équipe, développant des procédures de participation
(Aoki, 1984) ou valorisant la culture d'organisation (Ménard,
1989, 1990) permet de suppléer à l'équilibre de Nash déviant.
La substitution de la notion de motivation à celle d'incitation (la
seconde étant assortie d'une connotation monétaire), permet d'établir la
présence de principes de légitimité non marchands dans la coordination des
comportements. En ce sens, la première caractéristique de la théorie
standard, la coordination par le marché, est dénoncée.
Les travaux de R. Salais (1989, 1990) permettent de poursuivre
l'analyse en abandonnant l'hypothèse de rationalité parfaite. La mise en
avant de l'apprentissage est, en effet, une réponse à la rationalité limitée des
agents. En ébauchant des procédures qui mettent l'accent sur les habitudes
et les routines dans la coordination inter-individuelle, les agents n'ont plus
besoin de contracter sur des informations qui sont fournies par la
convention. Ils n'ont plus besoin de mobiliser une grande capacité de calcul
pour résoudre un problème de coordination dans la mesure où, justement,
la convention permet automatiquement des économies de calcul en écartant
la négociation perpétuelle.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
27
Les intérêts contradictoires des individus, pour être satisfaits,
nécessitent, en effet, leur regroupement. L'employeur a besoin de
l'employé, la tutelle du médecin, et inversement. Le maintien des
comportements non coopératifs est stérile. Conflit et coopération font
l'objet d'un compromis: la convention de productivité.
Analysée dans le cadre du marché du travail comme le propose
R. Salais, celle-ci assure un revenu au salarié en l'écartant de la précarité,
ce qui en contrepartie le rend plus efficace. Le salarié s'engage à atteindre
certains résultats. En retour l'entreprise offre une certaine garantie de
salaire (au besoin en licenciant une partie de ses membres) (28).
L'entreprise fonctionne ainsi comme un marché interne au travail, la
sécurité de l'emploi étant une réponse à l'incertitude.
La convention permet des économies de temps, de fatigue et
d'informations. Elle transforme l'incertitude en savoirs en se nourrissant
d'elle-même: plus elle se fond dans les routines et habitudes qu'elle crée,
plus elle agit comme forme de coordination. Elle s'inscrit donc dans le long
terme. Sa régularité s'impose indépendamment des personnes qui
composent l'organisation. Les nouveaux entrants perpétuent la convention
en observant des routines et en s'y conformant. Dans le cas contraire, c'est
encore la convention qui permet de traiter les aléas par différence avec la
norme.
La convention de productivité s'exprime dans le milieu sanitaire tout
en prenant une forme particulière. En effet, la relation tutelle- médecin peut
s'analyser dans le cadre du don-contre-don (29).
Comme le note M. Michel (1989), la pratique soignante est associée
à une « représentation cléricale » de la médecine dont l'archétype est le
« sage » ou le « saint ». Fondée sur la connaissance plus que sur l'action,
sur les choses ou sur les hommes, elle s'accompagne d'une certaine
« sacralisation ». En témoigne :
- la fonction médicale elle-même: donner ou maintenir la vie ;
- le fonctionnement de l'institution: « serment d'Hippocrate »,
« ordre des médecins », etc… ;
__________
(28) La convention de productivité distingue deux équivalences temporelles :
l'équivalence salaire-temps de travail qui caractérise le contrat de travail (l'embauche) ;
l'équivalence temps de travail-produit du travail où le salarié met en œuvre sa force de
travail.
(29) L'approche que nous proposons ici, inspirée par M. Mauss (1985), diffère de
l'économie sanitaire d~ don développée par A. Culyer (1971) où le don est assimilé à
la charité au sein d'un problème de financement (Naveau, 1983). Elle se distingue
également de l'étude de G. Akerlof (1982, 1984) qui, en définissant le contrat de travail
par un « échange partiel de dons réciproques », introduit la dimension collective mais
la cantonne à un argument de plus dans la fonction d'utilité des salariés.
28
PHILIPPE BATIFOULIER
- l'histoire de l'hôpital, à l'origine lieu de charité (30).
Cette représentation s'érode avec le temps. Elle reste cependant
toujours d'actualité en s'exprimant de façon différente. Dans l'univers
médical, la rémunération est, en effet, seconde face au prestige, à l'estime,
au statut. L'accumulation des richesses est opposée à la volonté de « se
faire un nom » (31). Ainsi, c'est la place dans la hiérarchie hospitalière et
dans le tissu social qui véhicule l'insertion socio-économique.
Le désintéressement (32) ou don se traduit par une autorégulation de
la profession médicale que ne peut saisir la rationalité microéconomique.
L'éthique professionnelle est révélatrice d'un tel état d'esprit. Attitude
inhérente à l'activité médicale, elle agit comme règle de comportement sans
être réductible à une contrainte ni à un contrat.
Un tel comportement n'est pas réservé aux médecins hospitaliers. Il
s'étend à la médecine libérale. Les pratiques d'honoraires typiques sont
exemplaires à cet égard. Elles montrent que le « don médical » supplante la
logique de marché.
Le secteur Il qui permet aux médecins libéraux qui le souhaitent de
dépasser le tarif d'autorité, c'est-à-dire de percevoir un dépassement
d'honoraire, non remboursé au patient par la Sécurité sociale, devrait
relever d'une logique de marché. Or il n'en est rien. J.-P. Lancry (1989) et
M.-O. Carrère (1988b) montrent (33) que le montant des honoraires est
souvent identique pour une même catégorie de médecins (les généralistes
par exemple) dans un même espace (ville). Le choix du secteur II
(honoraires libres) est fonction essentiellement de la solvabilité de la
clientèle (le revenu en particulier).
La concurrence ne joue aucun rôle sur :
- le passage en secteur II. C'est dans les régions où les médecins
sont les plus nombreux que le secteur II est le plus développé
(région parisienne, Rhône-Alpes...) ;
__________
(30) Et même l'étymologie du mot (hospitalité).
(31) L'exacerbation d'un tel comportement se rencontre chez les « guérisseurs » qui
n'acceptent pas d'argent sous peine de perdre leur « pouvoir ».
(32) La notion de désintéressement n'est pas synonyme de dédain pour les avantages
matériels comme le souligne L. Karpik (1989b). Un don gratuit n'a pas de sens
puisqu'un « cadeau » doit être compensé par un autre « cadeau » selon les modalités
codifiées par le groupe (Douglas, 1989). Le désintéressement signifie simplement que
les personnes ne cherchent pas à maximiser leur profit ou leur utilité. Entre la
prestation purement gratuite et l'échange purement intéressé, il y a place pour un
comportement régi par une éthique de désintéressement. La notion voisine « d'égoïsme
éclairé » établie par H. Simon (1983 : 58) permet également d'appréhender les
comportements extérieurs à l'individualisme néoclassique.
(33) A partir d'études économétriques.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
29
- la fixation des tarifs. L'accroissement du nombre de praticiens
n'entraîne nullement une baisse des prix.
Par ailleurs, l'exercice en secteur Il ne suscite pas une baisse
d'activité. Au contraire, la liberté des prix attire les praticiens les plus
actifs.
Cet ensemble de conclusions remet en cause la validité d'ensemble
du modèle néoclassique appliqué à la santé et notamment l'arbitrage
travail-loisir, socle de la fonction d'utilité médicale. Il semble, en effet, que
niveau d'activité et montant des honoraires soient corrélés positivement.
Les facteurs explicatifs doivent être recherchés à un autre niveau. Le
cas des jeunes médecins est, à cet égard, révélateur.
Ceux -ci, non seulement s'installent de façon croissante en secteur
II, mais encore réclament la garantie d'installation avant la fin de leurs
études (34).
L'explication de cet effet d'attraction -paradoxal car les jeunes
praticiens n'ont pas fidélisé de clientèle -réside selon J.-P. Lancry (1989)
dans :
1) la compensation de la faible activité de départ ;
2) l'assimilation du niveau des honoraires à la qualité de la
prestation ;
3) la personnalisation de l'acte associée à une durée et une intensité
supérieures ;
4) un effet imitation des jeunes auprès des plus anciens par la
multiplication des pratiques en cabinet de groupe.
Ces quatre solutions ont en commun d'insister sur l'environnement
cognitif du jeune médecin et d'être extérieures à l'univers marchand. La
primauté accordée à un revenu cible (1), à la qualité de la prestation (2 et 3)
ou à un « réseau producteur » (4), focalise l'analyse sur l'existence de
normes internes à la profession.
Ces normes se traduisent par l'adhésion à l'image du métier (y
compris dans les styles de vie, Arliaud, 1984) et par une éthique
professionnelle valorisant le désintéressement. En effet, si le tarif comme le
choix du mode de conventionnement sont normalisés au sein du groupe,
par la circulation et la collectivisation de l'information, ces pratiques
s'inscrivent dans une économie de la modération.
L'imitation dépasse le simple cadre du passage en secteur II. Elle
accompagne également la fixation du « juste prix », celui qui répond aux
capacités .financières de la clientèle. Les pratiques d'honoraires typiques
sont le produit d’un tel processus. Elles émanent d'une culture collective.
__________
(34) La grève des internes de 1990 est édifiante à ce sujet.
30
PHILIPPE BATIFOULIER
Cette économie de la modération autorise en « contre-don » une
« juste rétribution » de l'activité médicale, libérale ou hospitalière, qui
dépasse .le cadre de la juste rémunération pour aborder la garantie
d'indépendance.
Le cadre théorique de la « juste rémunération » est donné par
G. Akerlof et J. Yellen (1988, 1990) dans leur définition du juste salaire. Ils
déterminent pour ce faire deux fonctions d'effort basées sur la notion
d'équité. Cette relation montre que, si la firme verse un salaire considéré
comme juste par le salarié, l'individu se sentira bien traité (de manière
équitable) et fournira en conséquence un effort « normal ». Dans le cas
contraire, l'individu se sentira injustement payé et adoptera en réaction une
stratégie de moindre effort.
Ce point de départ de l'analyse est corroboré par l'étude statistique
de E.-L. Groshen et A.-B. Krueger (1990) sur le secteur hospitalier. Ils
montrent, en effet, que la rémunération symbolise le prestige et l'autorité.
Les personnels soignants se sentent membres d'un groupe. Une
rémunération inférieure aux autres entraîne une insatisfaction préjudiciable
à l'effort.
Plus généralement, l'approche de G. Akerlof et J. Yellen est
pertinente pour l'étude de l'activité médicale car elle établit les quatre
points suivants :
- les individus se comparent aux autres en fonction du type
d'activité (la spécialité médicale) et de l'espace géographique
(similitude de clientèle). La conception de la justice résulte de
l'observation de comportement standard ou de norme ;
- le médecin estime devoir être payé en fonction de son faisceau
d'effort (35) et non du résultat ;
- l'idée de justice se traduit, en conformité avec le don-contre-don,
par la notion de réciprocité immédiate ;
- la juste rétribution du médecin s'inscrit dans le sens commun. Ce
sens commun toutefois dépasse le simple cadre de la motivation
financière. La conception de l'équité d'Akerlof et Yellen est
subordonnée aux seules comparaisons de salaire. Cette
conception, trop limitative dans le cas général, rencontre
rapidement ses limites dans le cas du médecin.
La juste rétribution médicale, en effet, dépasse le cadre de la
rémunération pour, au contraire, valoriser une éthique de désintéressement
et se traduit également par l’indépendance de la profession.
__________
(35) Qui peut inclure l'effort à l'étude et à l'apprentissage du métier.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
31
Outre la valorisation par la collectivité, l'estime du public, le statut de
notable, le médecin est préservé des tentatives englobantes de la tutelle.
Plus encore, comme le souligne Evans (1983), il jouit d'un véritable
« privilège politique » qui prend la forme de « droits d'autorégulation » (au
sens de pouvoir monopolistique assuré notamment par les syndicats (36).
C'est donc dans le cadre d'une double autorégulation que s'inscrit le
don-contre-don médical :
- l'autorégulation
économique
qui
valorise
l'éthique
professionnelle et l'image du médecin développant ainsi une
économie de la modération associée à une éthique de
désintéressement ;
- l'autorégulation politique reçue de la collectivité en vue de
soutenir la première.
Si le contre-don dépasse le cadre de la juste rémunération (qu'il
n'exclut pas) pour aborder celui de la garantie d'indépendance, celle-ci
s'exprime différemment selon les statuts juridiques (hospitalier et libéral) :
- en contrepartie de l'effort fourni par les professionnels, la tutelle
n'exerce qu'un contrôle minimal sur leur activité. Cet accord est
tacite. Une dérogation à la règle comme l'accentuation des
procédures d'observabilité est très mal ressentie par la profession
qui estime avoir des droits à la hauteur de ses devoirs. Les
comportements d'auto-spécialisation par exemple (37) peuvent
être analysés comme un moyen de personnaliser la relation avec
le malade. Elle est tolérée par les pouvoirs publics car elle donne
satisfaction aux médecins sans remettre en cause les fondements
de l'organisation collective et le rôle dirigeant des pouvoirs
publics ;
- la garantie de l'exercice libéral de la médecine s'exprime au
travers des comportements de spécialisation thérapeutique, de
l'absence de contrôle strict, etc. permettant de sauvegarder la
« logique quasi marchande » de la profession. Comme la
précédente, cette coordination est spontanée, elle résulte
d'attitudes allant de soi.
Don-contre-don et convention sont donc liés dans la définition des
deux conventions d'activité, hospitalière et libérale, dont le dénominateur
commun est l'association d'un comportement désintéressé (don) et d'une
garantie d'indépendance (contre-don).
__________
(36) Participation aux politiques de rationnement,
conventionnement...
(37) Voir H. Lafarge (1989) et P. Batifoulier et al. (1989).
numerus
clausus,
32
PHILIPPE BATIFOULIER
Le don-contre-don peut alors être interprété comme une convention
dans la mesure où la réciprocité entre les acteurs permet aux patients et à la
tutelle qui les représente d'avoir l'assurance d'un niveau d'effort satisfaisant.
En retour, la tutelle qui dispose du pouvoir réglementaire offre de bonnes
conditions de travail et une « juste » rétribution (38).
Le don-contre-don porte alors un « contrat de loyauté » entre les
agents, extérieur à l'échange marchand. Les conventions sont alors assises
sur des objets collectifs, au-dessus des acteurs, qui garantissent la
coordination.
L'éthique professionnelle représente un tel objet collectif. Relevant
de l'attente réciproque, elle assure l'efficacité routinière de la relation en lui
fournissant objectivité, validité et stabilité. Dans le même cadre, les règles
de statut, l'existence de corporations ou de syndicats, la spécialisation
médicale ou thérapeutique et, plus généralement, les « droits
d'autorégulation » garantissent, aux yeux des médecins, leur juste
rétribution.
Ces conventions d'activité, pour être viables, doivent être acceptées
non seulement à l'intérieur de l'organisation, mais aussi à l'extérieur. Elles
doivent subir une épreuve de réalisation. Tel est l'objet des conventions de
qualité.
Sans qualité des soins, en effet, la rétribution des professionnels
n'est plus garantie dans les mêmes termes. La réciprocité du don implique
que la tutelle et plus encore les patients aient l'assurance d'un bon niveau
d'effort du professionnel. Tel est le sens de l'exigence de qualité formulée
par les consommateurs.
C'est la qualité des soins, problème crucial en économie de la santé,
qui boucle le système. Les conventions de qualité permettent d'éviter la
remise en cause des conventions d'activité. Sans qualité des soins, le
maintien à l'identique des privilèges des professionnels (droits
d'autorégulation) est beaucoup plus difficile.
Conventions de qualité et relation de soins
Les conventions d'activité, ainsi définies, donnent l'aspect général
(ou pur) du compromis sur la forme de la prestation dispensée par le
médecin. Ce compromis fournit alors une solution au problème de
coopération entre la tutelle représentant les intérêts de la collectivité et le
monde professionnel.
__________
(38) Ce terme doit être entendu dans un sens large.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
33
Pour être viable, ce compromis doit toutefois subir l'épreuve de
réalité. Il doit déboucher, en effet, sur la mise en œuvre concrète de la
prestation. La coopération (ou compromis) se déplace alors au niveau de la
relation médecin-patient. En effet, c'est au stade du « colloque singulier »
que s'inscrit la délivrance du savoir.
L'évaluation de l'efficacité d'une telle relation est contingente à la
formulation de la qualité de la prestation. La qualité constitue une
dimension du faisceau d'effort du médecin qui est misé en avant par le
patient. Il faut alors s'interroger sur la définition de la qualité de la
prestation.
Dans le modèle de l'équilibre général, la qualité des produits est
donnée par le prix, indicateur de rareté. G. Akerlof (1970) a montré
l'insuffisance d'une telle définition en cas d'incertitude sur la qualité du
produit (cas notamment de l'ensemble des services où la qualité de la
prestation n'est pas connue à l'avance). L'asymétrie d'information entre un
vendeur et un acheteur conduit à un phénomène de sélection adverse,
amenant, à terme, la disparition du marché. Un tel mécanisme est ramené à
un défaut d'information qui perturbe l'équilibre du marché mais qui peut
être levé par des mécanismes incitatifs.
Cette analyse, qui a le mérite d'attirer l'attention sur un problème
majeur en économie, souffre, nous semble-t-il, d'une double insuffisance :
- les situations décrites sont des situations d'incertitude (radicale)
mais sont assimilées au risque (probabilisable) et nécessitent
donc des comportements hypercalculateurs : toutes les
caractéristiques des produits sont sensées pouvoir être
parfaitement hiérarchisées par les individus.
- en admettant qu'un tel comportement soit possible, encore
faudrait-il savoir d'où vient la qualité des produits. Or, rien n'est
dit sur ce sujet. La qualité est supposée simplement incorporée au
bien et au service, faire corps avec lui.
Or, la déconnexion du prix et de la qualité a deux conséquences :
- une mesure générale de la qualité, admise par tous, et qui permet
l'échange, apparaît nécessaire ;
- la stabilité de la relation fait intervenir des objets extérieurs au
cadre marchand et qui n'ont pas le statut de contrat.
Les conventions de qualité répondent à ce double objectif. Elles
indiquent la qualité des produits par un échange automatique et à distance.
Il n'est alors nul besoin de négociation préalable sur la qualité, ce qui
permet un gain de temps, d'information et de ressources. C'est le jugement
au sens d'une forme d'organisation sociale associant consommateur et
producteur qui garantit la qualité.
34
PHILIPPE BATIFOULIER
La relation entre un supérieur-tutelle représentant les intérêts des
patients et un subordonné synthétisant le monde professionnel doit alors
être appréhendée aux travers d'une pluralité de modes de coordination. Son
efficacité et sa stabilité supposent, en effet, l'existence de formes
industrielles donnant la qualité générale des objets de santé et de formes
domestiques permettant d'identifier la qualité personnelle des acteurs.
Ces formes ne peuvent être réduites à l'univers marchand. Elles
fondent des conventions de qualité qui « ont pour effet de régler une
relation, de transformer une interaction soumise à l'incertitude, à la
négociation, en un échange automatique où l'intervention humaine est
réduite au minimum » (Eymard-Duvernay, 1988 : 133).
Comment une offre et une demande de santé peuvent-elles se
rencontrer ? Qu'est-ce qui permet au patient de trouver un médecin (39) et
d'avoir l'assurance de la qualité de la prestation ? Une première réponse à
ces questions peut être donnée par la notion d'investissement de forme: la
capacité à entrer en équivalence des individus (la forme) nécessite des
investissements reposant sur « l'établissement coûteux d'une relation stable
pour une certaine durée » (Thévenot, 1986).
Ces investissements assurent le fonctionnement routinier de la
relation en permettant de s'accorder sur le temps, le domaine de validité et
d'objectivité du produit.
L'interaction médecin-patient est ainsi régie par trois outils :
- la marque qui définit l'acte médical: consultation, visite, acte de
biologie, etc. La marque est associée à une lettre-clé dans le
système de santé et à un tarif. Elle définit le « type » de
prestation et la base. de son évaluation financière. Les dispositifs
de définition et de mesure permettent d'acquérir de l'information
en objectivant le produit.
- le métier qui donne l'étiquette du médecin, signe de compétence.
Ce métier est sanctionné par un titre scolaire, fonction lui-même
d'une durée: la durée des études. La profession de médecin
confère un « titre-parapluie » à son détenteur en l'abritant du
marché (Paicheler, 1987). Elle agit comme « marché interne du
travail ». Le médecin a une qualification professionnelle. Il a
reçu le titre de docteur en médecine accompagné, le cas échéant,
d'une spécialisation (40). Il est également pourvu d'un code
déontologique (41) qui assure aux yeux de tous la définition
« éthique » du métier.
__________
(39) Le médecin est ici assimilé au professionnel quel que soit son lieu d'exercice.
(40) Ce qui exclut tous les autres qui « prétendent » soigner.
(41) Que l'ordre des médecins doit faire appliquer.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
35
- la normalisation qui objectivise le produit: normes de
commercialisation des médicaments (Huttin, 1989), classification
des établissements hospitaliers, nomenclatures de disciplines
médico-tarifaires, de services hospitaliers, certification des
techniques (Durieux et al., 1986)... Ces standardisations ne sont
pas des opérations neutres. Véhicules de la mémoire collective,
elles sont enracinées dans l'histoire (Caire, 1989).
Ces outils sont de nature industrielle au sens du modèle des
économies de la grandeur de L. Boltanski et L. Thévenot (1987). Ils
définissent l'efficacité de la relation. Cette mise en forme automatique
répond à une incertitude radicale en assurant durabilité, validité et
objectivité de la relation patient-médecin.
L'État, qui porte ces formes, apporte sa caution aux produits (42). Il
s'engage sur la qualité en définissant une « estampille de qualité ». La mise
en équivalence repose sur des points de repère, fournis par la tutelle et
auxquels se soumettent les individus (43). Ces standards de qualité sont
conventionnels. Ils traduisent un compromis entre les acteurs que la tutelle
développe en l'objectivant. Leur aspect institutionnel ne peut être réduit à
du contractuel. Ils agissent comme routine, en donnant la qualité générale
du médecin et plus généralement des objets de santé.
En « médiatisant » la relation, ils diminuent les ressources
personnelles mobilisées dans l'échange (Eymard-Duvernay, 1986). Ils
s'accompagnent ainsi d'une économie de savoir. La hiérarchisation parfaite et commune de l'ensemble des caractéristiques des produits n'est plus
un préalable nécessaire à l'action.
La notion d'investissement de forme permet ainsi de dépasser le
cadre de la non-objectivisation du « produit » en établissant des rapports
d'équivalence qui désingularisent la relation. C'est donc la relation ellemême et non les individus qui produit des objets garantissant sa stabilité.
Ces objets relèvent notamment d'une nature industrielle extérieure au
rapport marchand.
Les formes industrielles, loin de constituer une entrave au marché,
sont un moyen de régularisation de la relation. En identifiant la qualité
générale des objets sanitaires, indépendamment du prix, elles assurent
l’efficacité de la relation.
__________
(42) Ce qui ne veut pas dire que c'est l'État seul qui développe de telles formes.
(43) Les hôpitaux privés américains vont même jusqu'à faire appel à l'État pour
affronter la concurrence dans la mesure où celui-ci distribue des « avals de qualité »
(Gadrey, 1990: 61, qui y voit l'émergence d'une régulation postfordiste). De même,
l'attribution des scanners en France repose sur la recherche d'un effet de prestige donné
aux établissements hospitaliers par la tutelle (Saglio, 1989).
36
PHILIPPE BATIFOULIER
Elles ne peuvent donner, toutefois, leur qua- lité particulière. Tel est l'objet
des formes domestiques.
La nature domestique est fondée sur la tradition. Elle introduit des
formes personnalisées entre individus dont l'objet est l'établissement de la
confiance à travers un apprentissage informel (Eymard-Duvernay, 1987,
1989). La recherche d'un médecin ou d'un établissement hospitalier passe
souvent par la quête de renseignements, par la mobilisation de relations
sociales, de connaissances personnelles, etc…
Comme le souligne la quasi-totalité des modèles d'économie de la
santé traditionnelle, la relation patient-médecin repose sur la quête
d'informations. Le patient peut mettre en œuvre des procédures permettant
de s'assurer de la bonne qualité du médecin. Les procédures sont qualifiées
de « contraintes de marché ».
Or, c'est le jugement qui permet d'affirmer qu'un médecin (44) est
bon ou mauvais, cher ou « raisonnable » (45), équipé ou non, etc… Le
jugement repose sur la collecte de renseignements auprès de tierces
personnes auxquelles on accorde (parfois momentanément) sa confiance.
Celles-ci sont « en quelque sorte le délégué ou le garant de celui dont elles
parlent » (Karpik, 1989a).
Si c'est donc bien l'information qui permet au patient d'opérer un
choix raisonné, celle-ci ne repose pas sur le marché mais sur la confiance.
Elle fait intervenir :
- le temps: la relation médicale est fondée sur la coutume, le
précédent, l'habitude, c'est-à-dire sur la fidélité d'un patient à un
médecin (46), à un établissement, à une pharmacie, etc.
L'habitude assure l'aisance de la relation ;
- l'espace. Les problèmes de distance au médecin, et généralement de proximité locale, ont une influence considérable sur le
recours aux soins. La relation est une relation de « voisinage » ;
- l'autorité du médecin qui n'est pas seulement fonction de son
savoir, mais aussi de l'estime que lui porte son patient, de sa
réputation. La qualité intègre non seulement l'acte technique mais
aussi l'écoute du patient et la durée de la consultation.
__________
(44) Nous employons le terme générique de médecin, mais l'analyse s'applique à
l'ensemble des objets de santé (hôpital, clinique, pharmacie...).
(45) Les prix n'étant pas affichés, c'est le « bouche à oreille» qui renseigne sur le
dépassement d'honoraire.
(46) La fidélité au médecin n'est pas remise en cause par le dépassement d'honoraire
(Lancrv. 1989).
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
37
Dans ce cadre, la confiance joue un rôle moteur comme réponse à
l'incertitude qui caractérise la relation de soins. Cette « économie de la
grandeur domestique » laisse peu de place à l'échange marchand qui
suppose que biens et personnes soient détachés. La valeur du bien santé, au
contraire, est intrinsèque aux individus.
Or, c'est au contraire dans le cadre de l'univers marchand que sont
analysés, dans les approches conventionnelles, ces types de formes. Le
modèle de Pauly et Satterhwaite (1981) en est un exemple éclairant. Les
relations personnelles (connaissances, amis, collègues) qui interviennent
dans la recherche d'un « bon » médecin sont formalisées en terme de « bien
de réputation » pour être aussitôt intégrées dans la logique du marché
puisqu'elles servent à expliquer la hausse des prix consécutivement à un
déplacement de la demande (47).
La recherche d'information est assimilée à une recherche de
réputation, elle-même synonyme d'une recherche de marché résultant d'une
parfaite rationalité des consommateurs. Il y a appropriation de la réputation
par les consommateurs. C'est à ce prix que l'on peut la déduire d'un
comportement strictement individuel.
Reconnaître que la réputation n'appartient à aucun des échangistes
mais à la relation elle-même, c'est affirmer, en sens contraire, son statut
d'objet collectif extérieur à l'univers marchand.
Les formes domestiques et leur archétype, la confiance, ne sont pas
des objets « seconds » dérivés de la légitimité marchande. Au contraire,
elles sont des éléments essentiels de l'activité médicale. En effet, en
l'absence de contenu objectif et d'obligation de résultat, la confiance assure
la stabilité de la relation.
En réglant l'asymétrie de savoir (et donc d'information) par une
garantie implicite de qualité, elles permettent l'efficacité de la relation
patient-médecin. Le rapport médical est un rapport de confiance. Ce n'est
plus alors le marché, ni un contrat incitatif mais la confiance qui est le
mécanisme coordinateur.
En généralisant le lien familial, elle met l'accent sur l'environnement
des individus. La relation médicale est aussi fonction du contexte dans
lequel elle s'insère (Darbon et Letourmy, 1988, 1989).
__________
(47) Une relation inhabituelle de même sens, expliquée en terme de concurrence
monopolistique.
38
PHILIPPE BATIFOULIER
Conclusion
L'approche par les conventions fournit un cadre général de
compréhension de la relation entre tutelle, médecins et patients.
La relation entre la tutelle, représentant les intérêts des patients, et le
monde professionnel donne la définition de l'activité médicale. Dans le
système de santé, les producteurs sont libérés de leur responsabilité. Il
n'existe ni contenu objectif ni obligation de résultat. La prestation n'a pas
d'existence indépendante du médecin.
Ce sont des conventions d'activité -libérale et hospitalière -qui
donnent la forme générale de la prestation avant la délivrance du savoir.
Celles-ci juxtaposent rationalité procédurale et don-contre-don et
s'appuient sur des règles comme l'éthique professionnelle dont les deux
caractéristiques fondamentales qui les éloignent d'un contrat incitatif sont
les suivantes :
- les règles-convention cristallisent un savoir dont les individus
font l'apprentissage. Elles ont donc une dimension cognitive et
per- mettent une économie de savoir. Il n'est nul besoin de
prévoir à l'avance l'ensemble des états de la nature ;
- les règles-convention assurent une rationalité commune aux
membres d'un système ou d'une communauté (de métier). Elles
ont donc une dimension collective différente du simple jeu des
intérêts individuels.
Toutefois, sans épreuve de la réalité, les conventions d'activité ne
pourraient pas perdurer. Il s'ensuit alors une tension entre, d'une part, les
conventions d'activité : le producteur a droit à des prérogatives
(rémunération et garantie d'indépendance) indépendantes du résultat et,
d'autre part, l'exigence de qualité exprimée par les consommateurs et la
tutelle sans qu'il soit possible de connaître à l'avance le contenu du
diagnostic et de la thérapeutique.
Ce sont les conventions de qualité qui règlent cette tension. En
traduisant la qualité du service fourni, différemment suivant les principes
de légitimité (et leur intensité), elles permettent d'éviter la remise en cause
des conventions d'activité. Sans qualité des soins, le maintien à l'identique
des privilèges des professionnels (droits d'autorégulation) est beaucoup
plus difficile.
L'accord ne peut porter sur le résultat. Il porte alors sur l'adéquation
des attentes réciproques.
Ces deux menus de conventions permettent de reformuler les
catégories d'offre et de demande sanitaires. Ce sont des objets collectifs, en
surplomb des acteurs qui assurent la coordination :
- la dimension auto-régulatrice de l'offre fait appel à la notion
d'éthique, analysée dans sa dimension désintéressée et aux règles
de statut.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
39
L'identité collective du groupe professionnel se manifeste dans
cette auto-régulation en prescrivant les attitudes allant de soi du
corps médical ;
- la demande de soins résulte d'un processus de négociation avec
les médecins dans lequel les patients mobilisent des formes
industrielles donnant la qualité générale des professionnels et des
formes domestiques évaluant la personnalisation du savoir. Les
formes marchandes n'interviennent que pour les prestations à un
faible niveau qualitatif (comme les vaccins ou les grippes).
De telles conventions contribuent ainsi à renouveler le discours sur
la santé, en mettant l'accent sur d'autres catégories explicatives, pour
certaines, extérieures au champ habituel de la science économique.
Toutefois, l'analyse que nous avons proposée n'est pas achevée.
Notre travail n'est donc pas comparable, à ce niveau, avec la rigueur des
études sur le capital santé ou sur l'univers hospitalier, par exemple, qui se
nourrissent respectivement de la maturation des théories du capital humain
ou des incitations.
La poursuite de l'analyse des conventions de santé nécessite alors,
plus peut-être que toute autre étude, le développement et l'évaluation du
point de vue « conventionaliste » dans l'allocation des ressources.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Akerlof G., Yellen J., 1988, Fairness and unemployment, American Economic Review,
Papers and Proceedings, 78, 2, mai, 44-49.
Akerlof G., Yellen J., 1990, The fair wage-effort hypothesis and unemployment,
Quarterly Journal of Economics, mai.
Akerlof G., 1970, The markets for lemons : qualitative uncertainty and the market
mechanism, Quarterly Journal of Economics, 84, août, 488-500.
Akerlof G., 1982, Labor contracts as partial gift exchange, Quarterly Journal of
Economics, XCII, 4, 543-569.
Akerlof G., 1984, Gift ex change and efficiency-wage theory : four views, American
Economic Review, 74, 2, 79-83.
Aoki M., 1984, The cooperative game theory of the firm, Oxford, Clarendon Press.
Arliaud M., 1984, Le corps étranger: trajectoires sociales et socialisation
professionnelle en médecine, I:EST/CNRS.
Arrous J., 1982, Keynes et les probabilités: un aspect du fondamentalisme keynésien,
Revue économique, 5,839-861.
Arrow K.-J., 1963, Uncertainty and the welfare economics of medical care, American
Economic Review, 53, 941-973.
40
PHILIPPE BATIFOULIER
Arrow K.-J., 1974, Limited knowledge and economic analysis, American Economic
Review, mars, 1-10.
Arrow K.-J., 1984, The economics of agency, Technical report, 451, 1-24.
Auster R.-D., Oaxaca R.L., 1981, Identification of supplier induced demand in the
health care sector, Journal of Human Resources, 16, 327-342.
Batifoulier P., Fonteneau R., Zighera J., 1989, Définition de profils hospitaliers : une
analyse par la théorie de l'information, Journal d'économie médicale, 7,6,371-385.
Batifoulier P., 1990, Incitations et conventions dans l'allocation des ressources: une
application d l'économie de la santé, Thèse pour le Doctorat de Sciences
Économiques, Université de Paris X-Nanterre.
Benhamou F., 1988, Incertitude, assurance et demande de santé, Revue d'économie
poli- tique, 4, 480-488.
Boltanski L., Thévenot L., 1987, Les économies de la grandeur, Cahiers du centre
d'études de l'emploi, 31, PUF.
Brunet-Jailly J., 1967, Essai sur l'économie générale de la santé, Cujas.
Caire G., 1989, Des classifications, Revue de l'économie sociale, décembre, 139-164.
Carrère M.-O., 1987, Le médecin ambulatoire et la réalité économique, Journal
d'économie médicale, 5, 4, 201-221.
Carrère M.-O., 1988a, Tarification et structure d'activité des médecins ambulatoires, in
Duru G. et al., ed., La régulation des systèmes de santé en France et en République
Fédérale d’Allemagne, Acte des colloques franco-allemands d'Arc Et Senans (1985) et
de Trèves (1986), MSH, 245-264.
Carrère M.-O., 1988b, Les médecins libéraux face à la liberté des prix, une analyse
économique et statistique, Solidarité Santé, études statistiques, 5, 93-103.
Clyert R.-M., Simon H.-A., 1988, The behavioural approach: with emphasis on
economics, in Clyert R.-J., The economic theory of organisation and the firm,
Harvester Wheatsheaf, 220-239.
Cowing T.-G., Holtmann A.-G., Powers S., 1983, Hospital cost analysis : a survey and
evaluation of recent studies, in Scheffler R.-M., Rossiter L.-F., Advances in health
economics and health services research, 4, 257-303.
Culyer A.-J., 1971, Medical care and the economics of giving, Economica,
38,151,295- 303.
Darbon S., Letourmy A., 1988, Analyse économique des facteurs contextuels de la
dépense médicale, LEST/CNRS et CERMES.
Darbon S., Letourmy A., 1989, Contextes communaux et marché de services de
généralistes, Sciences Sociales et Santé, VII, 2, 91-107.
Darbon S., Letourmy A., 1983, La micro-économie des soins médicaux doit-elle
nécessairement être d'inspiration néoclassique ?, Sciences Sociales et Santé, 1, 2, 3177.
Darbon S., 1989, L'induction de la demande par l'offre: impasse ou renouvellement?,
miméo, CERMES.
Douglas M., 1989, Il n'y a pas de don gratuit, Revue du MA USS, 4, 99-115.
Dranove D., 1988, Demand inducement and the physician/patient relationship,
Economic Inquiry, XXVI, april, 281-298.
Durieux P., Blum C., 1986, L'évaluation des technologies médicales à l'hôpital: le
CEDIT, Journal d'économie médicale, 2, 103-112.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
41
Evans R.-G., 1974, Supplier-induced demand : some empirical evidence and
implications, in Perlman M., The Economics of Health and Medical Care, Wiley, New
York, 155-166.
Evans R.-G., 1983, La structure particulière de l'industrie de la santé: une intégration
verticale incomplète, Revue française de finances publiques, n° spécial « Le prix de la
santé », 2, 167-199.
Eymard-Duvernay F., 1986, La qualification des produits, in Salais R., Thévenot L.,
eds., Le travail: marchés, règles, conventions, INSEE/CNRS, Economica, 239-247.
Eymard-Duvernay F., 1987, Droit du travail et lois économiques: quelques éléments
d'analyse, Travail et emploi, 33, 9-14.
Eymard-Duvernay F., 1988, Modes de gestion de la main d'œuvre et flexibilité du
marché du travail, in Structures du marché du travail et politiques d'emploi, Syros
Alternatives, 131-150.
Eymard-Duvernay F., 1989, Conventions de qualité et formes de coordination, Revue
économique, 40,2,329-359.
Faugère J.-P., 1982, L'incertitude en économie de la santé: du risque de maladie à
l'incertitude de la pratique médicale, in Clair P.-M. et al., Économie et incertitudes,
Economica.
Favereau O., 1989a, Vers un calcul économique organisationnel 1, Revue d'économie
politique, 2, 322-354.
Favereau O., 1989b, Marchés internes, marchés externes, Revue économique, 40, 2,
273-328.
Freidson E., 1960, Client control and medical practice, American Journal of Sociology,
65, 374-382.
Fuchs V.-R., 1978, The supply of surgeons and the demand for operation, Journal of
Human Resources, 13,327-342.
Gadrey J., 1990, Rapports sociaux de service: une autre régulation, Revue économique,
1,49-69.
Giraud P., Launois R.-J., 1985, Les réseaux de soins, médecine de demain, Economica.
Granovetter M., 1985, Economic action and social structure: the problem of
embeddedness, American Journal of Sociology, 91,3,481-510.
Groshen E.-L., Krueger A.-B., 1990, The structure of supervision and par in hospitals,
lndustrial and Labor Relations Review, 43, n° spécial, 134-146.
Grossman N., 1972, On the concept of health capital and the demand for health, Journal of Political Economy, 80, 2, 223-255.
Heiner R.-A., 1983, The origin of predictable behaviour, American Economic Review,
73, 4, 560-595.
Holmstrom B.-R., Tirole J., 1989, The theory of the firm, in Schmalensee R., Willig
R.-D., eds., Handbook of industrial organisation, 1, Elsevier Science Publishers B.V.,
61-133.
Huttin C., 1989, Le médicament: contraintes et enjeux d'un marché, Notes et études
documentaires, 4883, La Documentation Française.
Karpik L., 1989a, L'économie de la qualité, Revue française de sociologie, XXX, avriljuin, 187-210.
Karpik L., 1989b, Le désintéressement, Annales ESC, 3, mai-juin, 733-751
42
PHILIPPE BATIFOULIER
Keynes J.-M., 1979, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, Petite
bibliothèque Payot.
Keynes J.-M., 1990, La théorie générale de l'emploi (1937), traduction française de N.
Jabko, Revue française d'économie, V, 4, automne, 22-47.
Knight F.-H., 1921, Risk, uncertainty and profit, Boston New York, Houghton Mifflin
Company.
Lafarge H., 1988, Les approches de la demande en économie de la santé, Revue
d'économie politique, 4, 447-458.
Lafarge H., 1989, Économie de la discipline médicale.. essai sur la dynamique
économique du système de production de soins, Thèse pour le Doctorat d'État de
Science Économique, Université de Paris IX Dauphine.
Lancry P.-J., 1989, Le secteur Il de la médecine libérale: un élément de marché? Revue
d'économie politique, 6, 854-870.
Lavoie M., 1985, La distinction entre l'incertitude keynésienne et le risque
néoclassique, Économie appliquée, XXXVII, 2, 493-518.
Le Pen C., 1988, Demande de soins, demande de santé, Revue d'économie politique, 4,
458-470.
Leclercq B., 1989, Théorie des incitations et gestion hospitalière, Gestions
hospitalières, 285, avril, 247-250.
Leibenstein H., 1982, The prisoner's dilemma in the invisible hand : an analysis of
intra- firm productivity, American Economic Review, Vol 72, 2, 92-97.
Leibenstein H., 1987, lnside the firm ..the inefficiencies of hierarchy, Harvard
University Press.
Lenorman F., Espagnol P., 1990, Les avatars du trou de la Sécurité sociale, Revue
française des affaires sociales, 2, avril-juin, 51-66.
Letourmy A., 1982. Pratique quotidienne et comportement des médecins généralistes,
Recherches économiques et sociales, n° spécial, Socio-economie de la santé, 1, 107123.
Levy E., 1988. Demande de santé et induction par l'offre, Revue d'économie politique,
4,471-479.
Manning W.-G., Newhouse J.-P., Duan N., Keeler E.-B., Leibowitz A., Marquis S.,
1987, Health insurance and the demand for medical care : evidence from a randomised
experiment, American Economic Review, 77, 3, 251-277.
Masson R.- T., Wu S., 1974, Price discrimination for physician services, Journal of
Human Resources, IX, 1,63-79.
Mauss M., 1985, Sociologie et anthropologie, Quadrige/pUF.
McPherson K., 1990, Variations entre pays des pratiques médicales, in Les systèmes de
santé.. à la recherche d'efficacité, OCDE, études de politiques sociales, 7, 17-29.
Ménard C., 1989, Les organisations en économie de marché, Revue d'économie politique, 6, 771- 796.
Ménard C., 1990, L'économie des organisations, Repères, La découverte.
Michel M., 1989, L'idéologie marchande et l'hôpital ou l'hôpital peut-il se moquer de
la charité?, Gestions hospitalières, 286, mai, 372-378.
Miller G., 1977, Bureaucratic compliance as a game on the unit square, Public Choice,
19,36-52.
CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE
43
Mougeot M., Naegelen F., 1984, Les marchés hospitaliers, Economica.
Mougeot M., 1986a, Le système de santé, Economica.
Mougeot M., 1986b, Régulation des dépenses de santé et décentralisation des
décisions, Revue d'économie politique, 4, 359-383.
Naveau P., 1983, Le concept de solidarité et le dilemme du prisonnier: l'exemple du
mode de financement du national health service, Sciences Sociales et Santé, 3-4, 93110.
Orlean A., 1987, Anticipations et conventions en situation d'incertitude, Cahiers
d'économie politique, 13, 153-172.
Orlean A., 1989, Pour une approche cognitive des conventions économiques, Revue
économique, 40, 2, 241-272.
Paicheler G., 1987, Note de lecture de Freidson E., Professionnal powers: a study of
the institutionalisation of formal knowledge, Sciences Sociales et Santé, V, 2, 95-101.
Pauly M.-V., Satterthwhaite M.-A., 1981, The pricing of primary care physician
services: a test of the role of consumer information, Bell Journal of Economics, 2, 488506.
Pauly M.-V., 1980, Doctors and their workshops. Economic models of physician
behaviour, University Press of Chicago.
Reinhardt U.-E., 1978, Competition among physicians : a comment, in Greenberg W.,
ed., Competition in the health care sector : past, present, future, Germantown, M.D.,
156-190.
Reinhardt U.-E., 1989, Economists in health care : saviours or elephants in a porcelain
shop?, American Economic Review, may, 337-342.
Rice T., 1987, Induced demand : Can we ever know its extents ? a comment, Journal
of Health Economics, 6, 375-376.
Rochaix L., 1989, Information asymmetry and search for the market for physicians
services, Journal of Health Economics, 8, 1,53-84.
Rochaix L., 1986, Asymétries informationnelles et comportement médical, Thèse pour
le Doctorat de Sciences Économiques, Université de Rennes I.
Rochaix L., 1987, De la difficulté d'un arbitrage entre intérêt collectif et intérêts
individuels: un dilemme de plus pour le médecin, Journal d'économie médicale, 4,
223-247.
Ruffm R.-J., Leigh E.-E., 1973, Charity, competition and the pricing of doctors
services, Journal of Human Resources, 8, 212-222.
Saglio J., 1989, La concurrence: une règle du jeu économique parmi d'autres, Gestions
hospitalières, 286, mai, 379-391.
Salais R., 1989, L'analyse économique des conventions de travail, Revue économique,
40,2, 199-240.
Salais R., 1990, Conventions du travail, aléas économiques et flexibilité, IRESCOIEPE, Paris.
Schieber G.-J., Poullier J.-P., 190, Comparaisons internationales des dépenses de
santé : un survol, in Les systèmes de santé : à la recherche d’efficacité, OCDE, études
de politiques sociales, 7, 9-15.
Simon H-A., 1976, From substantive to procedural rationality, in Latsis S.J., ed.,
Method and appraisal in economics, Cambridge University Press, 129-148.
44
PHILIPPE BATIFOULIER
Simon H.-A., 1978a, On how to decide what to do, Bell Journal of Economics, 9, 2,
484- 507.
Simon H.-A., 1978b, Rationality as process and as product of thought, American
Economic Review, 68, 2, 1-16.
Simon H.-A., 1979, Rational decision making in business organisations, American
Economic Review, 69, 4, 493-513.
Simon H.-A., 1982, The architecture of complexity, in The sciences of the artificial,
chapter 7, 2ème edition, The MIT Press, 192-229.
Simon H.-A., 1983, Reason in human affairs, Basil Blackwell.
Stano M., 1985, An analysis of the evidence on competition in the physician services
markets, Journal of Health Economics, IV, 3, 197-211.
Stano M., 1987a, A clarification of theories and evidence on supplier-induced demand
for physician's services, Journal of Human Resources, XXII, 4, 611-620.
Stano M., 1987b, A further analysis of the physician inducement controversy, Journal
of Health Economics, 6, 227-238.
Sweeney G.-H., 1982, The market for physician' services: theoretical implications and
an empirical test of the target income hypothesis, Southern Economic Journal, 48,
594-614.
Thévenot L., 1986, Les investissements de formes, Cahiers du centre d'études de
l'emploi, n° spécial, Les conventions économiques, PUF, p. 21-72.
Thévenot L., 1989, Équilibre et rationalité dans un univers complexe, Revue
économique, 40, 2, 147-197.
Wagstaff A., 1989, Econometric studies in health economics : a survey of the British
literature, Journal of Health Economics, 8, 1-51.
Wilensky G.-R., Rossiter L.-F., 1981, The magnitude and determinants of physicianinitiated visits in the United States, in Van Der Gaag J., Perlman M., eds., Health,
economics and health economics, North-Holland, Amsterdam, 215-244.
Wilensky G.-R., Rossiter L.-F., 1984, Identification of physician-induced demand,
Journal of Human Resources, XIX, 2, 231-244.
Woodward R.-S., Warren-Boulton F., 1984, Considering the effects of financial
incentives and professional ethics on « appropriate » medical care, Journal of Health
Economics, 3, 223-237.
Zweifel P., 1981, Demande médicale induite par l'offre: chimère ou réalité,
Consommation-revue de socio-économie, 4, 39-62.
Téléchargement