Sciences Sociales et Santé, Vol. X, n° 1, mars 1992 Le rôle des conventions dans le système de santé Philippe Batifoulier* Résumé. En économie de la santé, le problème de l'allocation des ressources s'est longtemps appuyé sur le marché et plus particulièrement sur le modèle néoclassique traditionnel. L'introduction de l'organisation (au sens large) permet à la théorie des incitations de présenter un mode d'allocation alternatif fondé sur le contrat. Toutefois, l'institutionnel ne peut se réduire à du contractuel. Le système de soins est bâti sur l'existence de règles cognitives qui assurent son efficacité. Le compromis entre acteurs inégaux repose alors sur la constitution d'espaces de cohérence: des conventions de santé. Sur la période 1975-1987, en France, les dépenses de santé par habitant ont augmenté 2,9 fois plus vite que le produit intérieur brut par habitant alors que la moyenne des pays de l'OCDE est de 1,3 (Schieber et Poullier, 1990) (1). Cette évolution a fait de la santé une variable de politique économique dont les pouvoirs publics cherchent à maîtriser la croissance. Le financement du risque maladie est, en effet, profondément déséquilibré et l'assurance maladie est structurellement en déficit (2). __________ * Philippe Batifoulier, économiste, Laboratoire d'Analyse Économique et de Décomposition de l'Information des Structures Sociales, de Santé et d'Emploi (Laédix), Université de Paris X Nanterre, bureau G-214, F-92001 Nanterre Cedex. (1) Ce chiffre mesure l'élasticité réelle des dépenses de santé par rapport au PIB. (2) L'analyse comparative, des différents postes de dépenses de la Sécurité sociale, de F. Lenormand et P. Espagnol (1990), conclut à l'originalité du risque maladie. Celui-ci reste insensible aux variations conjoncturelles. Alors que les autres postes ont bénéficié de la récente reprise de la croissance économique, seule l'assurance maladie reste structurellement en déficit. 6 PHILIPPE BATIFOULIER Si, pendant longtemps, la santé est restée en dehors des préoccupations de l'économiste (3), la croissance des dépenses de santé a, de fait, rendu nécessaire et pertinente l'approche économique. La complexité du secteur sanitaire rend cependant l'objectif de sa compréhension d'autant plus difficile. Toute politique économique en matière de santé est impossible sans l'étude des fondements de la relation de soins qui lie médecin, patient et tutelle, et des conditions de sa stabilité. Le système de soins est un système de règles. Une telle configuration est définie par le terme d'organisation qui doit être entendu dans un sens large. Les deux caractéristiques minimales d'une organisation sont : - l'usage de règles qui prescrivent les attitudes requises et assurent la coordination des comportements à la place ou à côté des prix (ou des rationnements) ; - l'existence d'une entité collective qui inscrit la relation économique dans un ensemble structuré et s'oppose à la métaphore de l'agent individuel. Comme le souligne O. Favereau (1989b), une équipe de football comme le conseil constitutionnel sont, dans ce cadre, des organisations. Aussi, réserverons-nous le terme d'institution au système de soins pour indiquer : - qu'il s'inscrit dans des conditions historiques, sociales, culturelles, etc. précises ; - qu'il n'implique pas de contenu objectif et mesurable du « produit ». L'institution sanitaire est une organisation dans la mesure où elle repose sur des « règles du jeu » soumises à négociation et à conflit au sein d'une entité collective, mais une organisation particulière car elle fait intervenir un acteur prépondérant : l'État assurant le rôle de tutelle. L'analyse de l'institution sanitaire doit alors se situer au confluent de l'économie publique (puisque la responsabilité de la gestion du système incombe aux pouvoirs publics) et de l'économie des organisations. Si la première approche est bien développée, la seconde l'est beaucoup moins. Dans cet article, après avoir souligné la façon insuffisante dont la théorie économique traditionnelle rend compte des phénomènes institutionnels du système de soins, on s'efforcera de montrer la nécessité d'une autre approche basée sur l'existence de conventions. __________ (3) Les premières études d'économie de la santé, reconnues comme telles, remontent en 1967 avec les travaux de J. Brunet -Jailly alors que la revue économique y consacre un numéro spécial en mai 1976. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 7 Économie de la santé conventionnelle: du marché à l'institution Le bien santé n'est pas un bien marchand. Son financement est socialisé. Les pouvoirs publics sont le régulateur principal du système. Le raisonnement en termes de marché peut ainsi paraître, a priori, erroné. Pourtant la théorie économique a rapidement intégré cette spécificité en utilisant, dans un premier temps, les outils habituels de l'approche microéconomique. Le modèle néoclassique standard a ainsi constitué le support quasi exclusif des approches théoriques en économie de la santé. En élaborant une microéconomie du médecin-producteur et du patient-consommateur, il a intégré la spécificité sanitaire dans un cadre marchand. La critique d'une de ses hypothèses fondamentales - l'indépendance de l'offre et de la demande -a donné lieu à un débat théorique d'une grande ampleur sur la possibilité pour les producteurs de soins d'induire la demande en exerçant un pouvoir discrétionnaire. Cette faculté dont dispose le corps médical de manipuler la demande sera d'abord présentée et discutée. Ces théories ne s'attachent qu'à décrire la relation patient-médecin. Ce n'est, en effet, qu'avec la théorie des incitations (4) que le cadre institutionnel du système de soins est pris explicitement en considération. Les rapports conflictuels entre la tutelle et les différents acteurs du système de soins sont alors analysés en terme de « relation d'agence » et formalisés par des règles qui ont le statut de contrat. En conclusion de cette première partie, on propose un essai d'évaluation de l'application d'une telle théorie aux caractéristiques concrètes essentielles du système de soins et plus particulièrement au traitement des catégories fondamentales que sont l'incertitude et la rationalité des agents. Modèle néoclassique et effet d'induction Le modèle (néoclassique) standard fait du malade un consommateur qui demande un bien -le bien santé -et du médecin, un producteur qui offre ce même bien. Le lieu de rencontre entre cette offre et cette demande est le marché, qui définit les prix et quantités d'équilibre par une série d'ajustements successifs. Les deux hypothèses fondamentales sous-jacentes à ce type de construction et qui définissent une théorie standard sont les suivantes (Arrow, 1974) : __________ (4) Ou plus généralement la théorie des contrats dont B. Holmstrom et J. Tirole (1989) proposent une excellente revue critique. 8 PHILIPPE BATIFOULIER - la rationalité (substantielle) des comportements individuels exprimée par un mécanisme d'optimisation sous contrainte ; - la coordination des comportements par le marché, lieu de rencontre d'une offre et d'une demande. Comme en témoigne le titre de l'article de S. Darbon et A. Letourmy (1983) : « La microéconomie des soins médicaux doit- elle nécessairement être d'inspiration néoclassique ? », le schéma néoclassique avec les catégories d'offre, de demande et de marché semble être le seul cadre théorique d'analyse du système de santé. Pour ce faire toutefois, il a dû intégrer les spécificités du secteur sanitaire en étendant la notion d'offre classique au comportement du médecin. C'est alors le lieu d'exercice qui distingue les différentes formulations. En effet, alors que l'attitude du médecin de ville peut être appréhendée par un arbitrage travail-loisir où le médecin est assimilé à un entrepreneur individuel supposé rechercher l'efficacité économique (5), celle du médecin exerçant à l'hôpital suppose la définition, plus complexe, d'une fonction de production médicale au travers de l'identification d'une fonction de coût (6). Cette complexité est encore accentuée dans la formulation de la fonction de demande. Les études statistiques dévoilent, en effet, des particularités que ne peut saisir le schéma néoclassique puisqu'elles conduisent à remettre en cause l'autonomie de la demande par rapport à l'offre et à développer une approche mettant l'accent sur le pouvoir discrétionnaire du médecin. En effet, la fonction de demande du malade-consommateur se révèle très peu élastique au prix (7). Le concept de demande, au sens traditionnel du terme, apparaît ainsi introuvable. C'est pourquoi s'est développée une autre approche fondée sur la faculté du corps médical à manipuler la demande. Cette théorie repose sur un constat simple: c'est dans le cabinet médical que se prend la décision de consommer, le médecin est à la fois révélateur (ou traducteur) du besoin et producteur du bien. Offre et demande sont alors interdépendantes, la fonction de demande est endogène au comportement du médecin. __________ (5) Le médecin arbitre entre son temps de travail libéral et ses loisirs et exprime ses choix par le niveau de ses honoraires. Voir M.-O. Carrère (1988) pour une présentation plus complète. (6) Voir M. Pauly (1980) et T.G. Cowing et al. (1983) pour une présentation détaillée des modèles américains et A. Wagstaff (1989) pour les modèles britanniques. (7) Si les tests économétriques montrent des élasticités -prix négatives, celles-ci restent très faibles, entre -1,5 et -0,1 selon H. Lafarge (1988) et entre -2,1 et -0,1 selon J. Manning et al. (1987) dont les propres résultats sur données américaines tirées au hasard concluent à une élasticité -prix de -0,2 : une augmentation du prix de 10% s'accompagne d'une diminution de 2% de la consommation médicale. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 9 Le problème de l'induction de la demande par l'offre est tout à fait central en économie de la santé dans la mesure où il opère une rupture avec le paradigme standard. Il établit, en effet, une interdépendance de l'offre et de la demande par l'observation d'une corrélation positive entre densité médicale et utilisation des soins (Evans, 1974). Les médecins ont donc pouvoir discrétionnaire de déplacer la demande sans pour autant modifier le prix. Comme le souligne E. Levy (1988), la controverse entre les partisans de l'induction et les tenants du modèle standard est profonde pour au moins trois raisons : - sur le plan de la politique économique. Si le corps médical a la faculté de manipuler la demande, alors la défense du consommateur exige le contrôle de l'offre médicale. L'effet d'induction, en rendant caduc l'arbitrage par le marché, justifie l'intervention des pouvoirs publics (8) ; - sur le plan théorique, l'indépendance de l'offre et de la demande est une hypothèse fondamentale du modèle néoclassique. Sa remise en cause altère l'ensemble de la théorie ; - sur le plan idéologique enfin, les préférences des économistes pour l'intervention de l'État s'expriment en parallèle des confirmations empiriques de l'effet d'induction et inversement. Les enjeux sont donc importants et expliquent sans doute la prégnance du sujet sur l'ensemble de l'économie de la santé. Pourtant, le débat sur l'existence de l'effet d'induction s'est progressivement déplacé vers la nature de ses limites. En effet, indépendamment des considérations de validité empirique, le débat théorique s'est focalisé sur la notion de limite au pouvoir discrétionnaire du médecin. Pour les tenants de la théorie néoclassique (standard), la différence entre le bien de santé et les autres biens économiques est une simple affaire de degré. Dans le système de santé les coûts d'information sont plus élevés. Il suffit alors d'intégrer les coûts d'acquisition de l'information et de contrôle supportés par le patient dans le modèle de maximisation de l'utilité sous contrainte. Cette recherche d'information sur la réputation du médecin permet alors au patient d'exercer une menace sur le producteur (aller consulter un autre médecin par exemple) et rend ainsi caduque toute tentative d'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. __________ (8) Pour un développement de ce point, voir U. Reinhardt (1989). 10 PHILIPPE BATIFOULIER C'est l'annihilation du pouvoir monopolistique du professionnel qui assure le libre jeu du marché (Pauly et Satterwaithe (1981), Dranove (1988), Stano (1987a et b)). Le pouvoir d'induction existe mais son exercice est contrecarré par la contrainte qu'exerce le consommateur. La fonction de demande, bien que spécifique au marché des soins, reste indépendante de la fonction d'offre. Un des fondements du modèle néoclassique est sauvegardé. Pour les partisans de l'effet d'induction, il n'existe pas de fonction de demande autonome, celle-ci se fond dans la fonction d'offre du médecin au travers de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Plus qu'une différence de degré, soins médicaux et autres biens se distinguent par leur nature. Les caractéristiques fondamentales du système de santé ne permettent pas au patient de s'informer pleinement (en situation d'urgence par exemple). La contrainte du consommateur ne joue donc pas sur le pouvoir discrétionnaire du médecin. Les seules limites à un tel pouvoir sont endogènes au praticien. Elles relèvent d'un comportement autorégulateur. Ainsi l'introduction de l'hypothèse d'un revenu-cible (induction jusqu'à un certain niveau de revenu seulement, Fuchs (1978), Sweeney (1982))ou de la dimension éthique du comportement médical (sentiment de culpabilité, peur des contrôles, Woodward et Warren-Boulton (1984), Willenski et Rossiter (1981, 1984)) qui sont formalisées par l'ajout d'un argument dans la fonction d'utilité du médecin, ne remettent pas en cause la faculté que possède le corps médical de créer (ou du moins de manipuler) la demande. Les aménagements des cadres théoriques initiaux, qu'ils soient standard ou critique, sont donc importants qualitativement et quantitativement. Pourtant le contraste est saisissant entre, d'une part, l'ampleur du débat théorique et l'ambition de la théorie de l'induction et, d'autre part, les résultats des tests empiriques. En effet, malgré sa vraisemblance intuitive, l'effet d'induction n'a jamais vraiment été empiriquement démontré. L'explication de cette insuffisance se focalise généralement sur les problèmes méthodologiques et la solidité des tests (9). Mais elle peut également être recherchée dans le cadre théorique lui-même. A une impasse empirique se grefferait une impasse théorique. Le flou des résultats fait, en effet, que s'il n'existe pas de preuves de l'induction, il n'existe pas non plus d'absence de preuves qui soit indiscutable. C'est pourquoi, il est a priori légitime de s'intéresser à l'explication théorique de la pauvreté des prédictions. __________ (9) Voir S. Darbon (1989), M. Stano (1985), T. Rice (1987), R. Auster et R. Oaxaca (1981) et U. Reinhardt (1978). CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 11 Sur ce plan, il semble qu'un consensus se fasse autour de la notion de demande conditionnelle. Si l'effet d'induction existe, son ampleur est limitée. Il est conditionné par la volonté du professionnel et par le contrôle du malade. Le médecin n'est pas le producteur tout puissant des premières versions de la demande induite. Il n'est pas non plus l'agent parfait du malade, qui a perdu toute autonomie, de la théorie de la « délégation de rationalité ». De même, le patient n'est ni le consommateur naïf livré à son médecin, ni l'individu souverain de l'approche néoclassique. L'existence d'un « contrôle profane », où le patient peut mobiliser une information privée face au savoir du médecin, semble mieux à même de saisir la complexité de la relation (Freidson, 1960; Letourmy, 1982). Un fait semble particulièrement révélateur de l'appauvrissement du projet: les aménagements théoriques du cadre traditionnel de l'induction dans le sens d'une « synthèse néoclassique » autour de la notion de demande conditionnelle, ont été fécondés par les partisans de la demande induite eux-mêmes. En effet, la définition du pouvoir discrétionnaire du médecin s'est accompagnée presque instantanément de la notion de limite à un tel pouvoir. Les tenants de la théorie de création de demande se sont ingéniés à rechercher des phénomènes (le revenu espéré, l'éthique médicale...) qui atténueraient la portée explicative de leur modèle (Levy, 1988). De même qu'il existe une autolimitation du pouvoir discrétionnaire, il existe une autolimitation de la portée théorique de l'effet d'induction. Les extensions du modèle ont, en fait, été des restrictions. La raison doit, selon nous, en être recherchée au-delà des problèmes de mesure. C'est la similitude des cadres conceptuels avec ceux du modèle conventionnel qui grève le pouvoir explicatif de la demande induite. La spécificité sanitaire sur laquelle insiste la théorie de la demande induite est analysée en utilisant le même cadre générique. L'utilisation d'un même outil (optimisation sous contrainte) pour évaluer des faits stylisés de nature différente conduit à une impasse. La prise en compte d'un effet d'induction est ramenée à l'ajout d'un argument dans la même fonction d'utilité du médecin. En produisant des résultats bien minces par rapport au programme de recherche initial, la demande induite est d'ailleurs facilement intégrée dans le. modèle standard en devenant un cas particulier qui s'exprime par une ou plusieurs contraintes supplémentaires. Le modèle d'induction est alors caractérisé par une véritable anomie de sa portée explicative. 12 PHILIPPE BATIFOULIER Dans les deux approches, le système de santé est, en fait, réduit à l'interaction médecin-patient; le payeur (l'État) et l'ensemble du cadre institutionnel sont ignorés. Ce qui se passe à l'intérieur de l'institution n'est considéré comme d'aucune utilité à la compréhension de l'extérieur. La prise en considération des phénomènes institutionnels a conduit, au contraire, la théorie économique à élaborer de nouveaux outils d'analyse. Au lieu de chercher à assurer l'allocation des ressources par des mouvements de prix ou par des variations de quantités qui jouent le même rôle, on a alors mis l'accent sur le pouvoir coordinateur des règles. L'économie de la santé n'a que marginalement intégré de tels outils, tout en reconnaissant le caractère insatisfaisant du modèle néoclassique standard appliqué à la santé. La théorie des incitations permet pourtant de remédier à cette faiblesse. Incitations et allocation optimale des ressources La théorie des incitations est particulièrement adaptée à l'étude des relations économiques dominées par l'existence de comportements stratégiques. Elle prolonge les apports antérieurs des théories de la planification en juxtaposant la rationalité en incertitude (théorie de l'utilité espérée axiomatisée par Von Neumann et Morgenstern) et l'asymétrie d'information (actions et informations cachées) (10). Pour ce faire, le schéma principal-agent décrit formellement un jeu non corporatif défini par le principal et auquel les différents agents réagissent en fonction de leurs intérêts privés. Les contrats incitatifs ont alors pour objet d'établir la politique du principal quand celui-ci ne peut observer, et a fortiori contrôler, sans coûts, les informations et les actions de l'agent (Arrow, 1984). Ces contrats ont la particularité d'être non contraignants. Ils respectent la liberté d'action individuelle. L'optimum de Pareto incitatif est alors tel que le principal maximise sa fonction objectif sous contrainte que les coûts d'opportunité de l'agent soient couverts. Face à la solution coercitive, inefficace, une autre solution basée sur la mise en place de mécanismes incitatifs doit être recherchée. Les individus ne sont plus contraints à révéler leurs véritables caractéristiques. Ils le font dans leur propre intérêt. __________ (10) On distingue généralement deux types d'asymétrie d'information: le risque moral et la sélection adverse. Le premier terme décrit une situation d'actions cachées alors que le second recense les phénomènes d'informations cachées. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 13 La théorie des incitations opère ainsi une double rupture avec le paradigme standard : - elle introduit une microéconomie des relations bilatérales qui met l'accent sur l'usage de règles dans une entité collective. Sans abandonner l'hypothèse de parfaite rationalité des agents, elle est néanmoins conduite à relativiser le pouvoir explicatif du marché. Le règlement de l'asymétrie d'information ne pouvant s'opérer par les prix, d'autres signaux, endogènes aux agents, doivent être définis: des contrats ; - elle reformule l'économie publique en intégrant le rôle spécifique de l'État et de la bureaucratie publique dans le schéma d'agence et dégage les conditions de l'équilibre (11) quand les relations économiques, que les pouvoirs publics entretiennent avec les différents acteurs, sont dominées par une asymétrie d'information. Dans ce cadre, l'économie de la santé tient une place privilégiée. En effet, non seulement les caractéristiques du système de soins ont servi de support aux analyses des imperfections du marché (12), mais aussi la relation patient-médecin a tenu une place non négligeable par l'exemplarité de la dissymétrie de savoir qui définit le « colloque singulier ». La notion de risque moral, en particulier, s'est nourrie des controverses suscitées par son application au domaine sanitaire alors que l'existence d'une aversion pour le risque maladie et de plans d'assurance associés est particulièrement adaptée aux études théoriques sur le partage optimal des risques. Le système de soins est ainsi caractérisé par une multiplicité des relations d'agence dont les plus révélatrices sont : - la relation tutelle (principal, assureur) -patient (agent, assuré) qui a pour objet d'établir le plan d'assurance optimal quand la consommation médicale du patient est affectée par la quantité d'assurance qu'il a acquise sans que l'assureur puisse observer les caractéristiques des agents. La socialisation du système et l'obligation d'assurance découragent l'activité d'autoprotection du consommateur en rendant opaque le véritable prix des services. Dans la mesure où le patient est assuré, il peut se permettre d'avoir un comportement plus risqué, d'autant plus que le risque est réparti sur un grand nombre d'individus. Le comportement des uns peut être supporté par les cotisations des autres. Les dépenses de santé ne sont donc pas seulement liées au hasard ni à des risques extérieurs à l’individu. __________ (11) Cet équilibre est dit de second rang car il tient compte de l'information imparfaite des agents qui agit comme une contrainte irréductible et grève ainsi l'allocation optimale, de premier rang, des ressources. (12) En témoigne l'article fondateur de K. Arrow (1963). 14 PHILIPPE BATIFOULIER On peut ainsi distinguer deux types d'aléa moral: celui qui est consécutif à l'absence de prévention et celui qui est lié à l'accroissement excessif des dépenses de traitement. Dans les deux cas, l'assurance affecte la probabilité d'occurrence d'un événement (13). La théorie des assurances a servi de base à l'explication de la relation d'agence entre la tutelle et le patient. Élaborée dans le cadre institutionnel américain où l'assurance privée du risque santé est la règle, elle rencontre rapidement ses limites quand l'assurance est socialisée et obligatoire (Mougeot, 1986a et b). Elle occulte par ailleurs le rôle moteur de l'offre dans la dynamique des dépenses ; - la relation patient-médecin dominée par le pouvoir discrétionnaire du médecin. L'asymétrie d'information est alors subordonnée au savoir et au rôle d'expert du médecin. Si le patient peut observer des variables comme le temps de consultation, il ne peut connaître l'intensité de l'engagement du professionnel, dans le diagnostic d'abord et la thérapeutique ensuite (14). Une manipulation par la qualité est tout à fait envisageable. C'est en effet le médecin, tirant profit de son pouvoir, qui choisit l'action affectant le bien-être du patient. Toutefois, si le médecin est bien l'agent du système, le patient n'a pas toutes les caractéristiques du principal. Il ne dispose pas notamment du pouvoir de délégation de l'organisation des soins, dévolu à la tutelle. La relation patient-médecin présente alors les traits informationnels de la relation d'agence mais se complexifie sous l'effet de ces particularités sanitaires. Les seules ressources offertes au patient pour inciter le médecin à être honnête sont celles de la menace. Le patient aura alors recours à la « menace » d'aller consulter un autre professionnel dissuadant ainsi le médecin d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Cette contrainte .se formalise par une « recherche de marché » où le patient met en œuvre une procédure lui permettant d'acquérir la véritable information sur son médecin (Rochaix, 1986, 1987, 1989). Le professionnel est alors incité à ne pas surtraiter ; - la relation tutelle-médecin dans laquelle le médecin détient une information privée synthétisée par la faculté dont dispose le corps médical de manipuler les coûts et la qualité pour asseoir ses intérêts corporatistes. Le statut juridique des établissements hospitaliers (à but non lucratif) décourage les activités de recher__________ (13) Le problème de l'assurance, facteur de surincitation à consommer, a donné lieu à une polémique, en 1968, entre K. Arrow et M. Pau]y dont les grands traits sont exposés dans F. Benhamou (1988). (14) « Plusieurs études montrent que les moyens mis en œuvre par les médecins varient de un à six pour le traitement d'une même pathologie » (M. Mougeot, 1986a, p. 115). CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 15 che de profit ou même de réduction des coûts comme le réduction des coûts comme le soulignent les théoriciens des droits de propriétés. Personne n'a en effet d'intérêt à rechercher un excédent d'exploitation. Les surplus éventuels sont transformés en dépenses supplémentaires de manière à maintenir, voire améliorer, le montant des subventions. De même, le quasi-monopole de l'information, dont dis- posent les producteurs de soins par rapport à la tutelle, engendre des manipulations d'information. Ainsi la dotation attribuée à chaque établissement dépend des informations transmises par les professionnels (médecin et gestionnaire) à la tutelle (fonctionnaire de santé et caisse de Sécurité sociale). Les fonctions de coût, et, à un degré moindre, les besoins sont connus par les seuls professionnels dont l'intérêt est d'accroître leurs ressources par un effort moindre. L'analyse se focalise alors sur le rôle moteur de l'univers hospitalier dans l'asymétrie d'information. L'agent est ainsi défini par l'établissement hospitalier dont le comportement est assimilé à celui du gestionnaire-médecin (ou manager public). La régulation du système est alors assurée par des contrats bilatéraux (du type bonus-malus) qui débouchent sur une théorie de la réglementation des établissements hospitaliers en présence de sélection adverse et de risque moral. Les contrats multilatéraux entre la tutelle et plusieurs établissements hospitaliers, bien que plus difficiles à établir, offrent également un moyen de contrecarrer l'asymétrie d'information en insistant sur la révélation des préférences et l'annonce de la vérité (par l'instauration de règles de compensation ou de paiement ou encore par des mécanismes d'enchères) (15). L'univers hospitalier est donc le domaine privilégié d'application de la relation d'agence et des contrats optimaux associés (16). Cependant, cette régulation contractuelle s'accompagne de l'introduction de mécanismes concurrentiels et conduit à une refonte du cadre institutionnel actuel du système de soins. __________ (15) Voir P. Batifoulier (1990) pour une écriture de ces contrats. (16) On pourrait également citer la relation gestionnaire central -centres de responsabilité. La réforme du budget global a, en effet, accru la responsabilité économique des gestionnaires et des médecins ordonnateurs des dépenses en créant des centres de responsabilité par grand groupe d'activité (technique, médical, service de restauration, d'entretien...). Le problème est alors celui de la répartition des moyens (le budget global) à ces centres de responsabilité (agents) par la direction générale de l'hôpital (Principal) (H. Leclerq, 1989). Le même cadre peut être mobilisé pour décrire l'importance des comportements stratégiques dans les procédures d'achat hospitalier. La mise en concurrence des fournisseurs potentiels par l'hôpital (ou le centre de responsabilité chargé des achats) peut donner lieu à des phénomènes de sélection adverse (M. Mou geot et F. Naegelen, 1984). 16 PHILIPPE BATIFOULIER Les limites de l’approche contractuelle de l’institution sanitaire La prise en compte explicite des comportements déviants au sein d'une organisation débouche sur une théorie où les caractéristiques institutionnelles du système de santé sont formalisées en terme de contrats optimaux incitatifs. Ces contrats ont trois particularités primordiales : - ils répondent à la conjonction de l'incertitude et de l'asymétrie d'information ; - ils procèdent de comportements substantiellement rationnels ; - ils relèvent des seules volontés individuelles. En définissant le pouvoir du médecin sur les autres acteurs (tutelle et patient) par les notions d'aléa moral et de sélection adverse, la théorie des incitations saisit alors le profit monopolistique du professionnel en terme de comportement stratégique. Elle permet, par ailleurs, de fonder une alternative crédible aux politiques autoritaires de rationnement en développant des mécanismes décentralisés permettant d'allouer efficacement les ressources. Son apport est donc important aussi bien sur le plan théorique qu'en matière de politique économique puisque sa portée explicative peut significativement dépasser celle de la théorie standard. Néanmoins, si la piste de recherche est bonne, la prise en considération des caractéristiques concrètes du système de soins conduit à critiquer la réduction des facteurs institutionnels au seul mode de coordination contractuel. Ainsi en est-il de l'analyse de l'incertitude sanitaire qui est manifeste tant du côté du consommateur que du producteur de soins. Le patient, en effet, est incertain sur la sévérité de sa maladie, sur le type de médecin et plus généralement sur l'offre de services médicaux qu'il va rencontrer. Cette incertitude est directement liée au risque maladie. J.-P. Faugère (1982) en distingue quatre aspects : - l'occurrence de la maladie est aléatoire. On ne peut pas savoir à l'avance quel sera son état de santé futur. Cette caractéristique du malade consommateur interdit toute possibilité de prévision des dépenses. Il est, par conséquent, impossible d'assurer un financement optimal du risque maladie ; - un individu parfaitement rationnel comme celui des théories de la demande de santé (17) ne peut prévoir son état de santé futur. __________ (17) Où chaque individu dispose à la naissance d'un capital- santé, composante du capital humain, qui se dégrade avec le temps. La santé est alors considérée comme un bien durable, l'agent gérant jusqu'à sa mort « l'obsolescence biologique ». L'individu va donc chercher à déterminer tout au long de son cycle de vie son stock désiré de santé, sous contrainte de revenu et de temps. Pour ce faire, il va investir en soins sur le marché des services médicaux pour ajuster le stock effectif au stock désiré (Grossmann, 1972). Pour une critique, voir C. Le Pen (1988). CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 17 L'incertitude empêche alors l'ajustement optimal de l'investissement au stock de santé ; - la demande de soins étant parfaitement aléatoire, il n'y a aucune raison pour que les capacités de production (au sens large) s'y adaptent parfaitement. L'adaptation de l'offre à cette situation d'incertitude conduit à des situations sous-optimales. Ainsi, par exemple, la nécessaire réponse à la demande et à ses fluctuations conjoncturelles impose aux établissements hospitaliers des capacités excédentaires et donc des surcoûts ; - la maladie est liée à diverses caractéristiques socio-culturelles. Aussi la morbidité n'est-elle pas indépendante des facteurs de risque. L'épidémiologie qui en propose une analyse tente d'atténuer le caractère purement aléatoire de l'état de maladie. Elle constitue un moyen de réponse à l'incertitude. La revue de ces différentes manifestations de l'incertitude liée au caractère aléatoire du risque de maladie nous a permis d'établir la nature événementielle ou primale de l'incertitude sanitaire. Celle-ci est, en effet, subordonnée à la seule occurrence d'un événement: la maladie. Dans ce cadre, on connaît l'ensemble des états de ]a nature mais on ignore lequel se réalisera. Les événements sont alors bien identifiés et cette incertitude est une incertitude de réalisation de l'événement. Cette « incertitude événementielle » se double d'une « incertitude endogène » (18) à l'activité médicale où c'est la liste même de tous les états de ]a nature qui est inconnue. Cette incertitude est une incertitude de définition de l'événement. Elle s'exprime à un double niveau : - au niveau du patient. Le rapport médecin-malade est un rapport hiérarchique dominé par une asymétrie de savoir. Le malade, méconnaissant ]a pratique et la technique médicale, est dépendant du professionnel. Son incertitude n'est donc pas seulement imputable à l'imprévisibilité de son état de santé mais également aux caractéristiques institutionnelles du système de soins. Le patient ne dispose pas de la même information que le médecin et, par conséquent, ne peut être appréhendé en terme de consommateur souverain. Il ne connaît pas, à l'avance, l'ensemble des configurations en matière de diagnostic et de thérapeutiques que va lui proposer le médecin ; __________ (18) Suivant l'expression de C. Ménard (1989). 18 PHILIPPE BATIFOULIER - au niveau du médecin. L'incertitude liée à la pratique médicale elle-même se loge au cœur de l'institution. Une des particularités du savoir médical est d'être complexe et provisoire. Le médecin ne peut jamais être pleinement assuré de la véracité d'un diagnostic ou de l'efficacité d'une thérapeutique. Il ne peut prévoir à l'avance le résultat de son traitement. Le degré d'incertitude du producteur dépend de la disponibilité et de la valeur des protocoles et des séquences diagnostiques et thérapeutiques qu'il élabore (Giraud et Launois, 1985). Il dépend donc des connaissances futures (ou progrès de la science) (19). La mise au point de nouveaux traitements, l'évaluation de plus anciens, etc. sont fonction de la recherche médicale. Cette incertitude de l'offre a des conséquences non négligeables sur le développement du système de soins dans son ensemble, en accroissant la demande technique en particulier. Ce n'est plus alors seulement l'occurrence de la maladie qui est imprévisible mais aussi le résultat de l'action médicale. L'incertitude endogène repose, au total, sur le pouvoir du médecin face au malade et sur la nature du savoir qui est mobilisé dans la relation. Si la première catégorie, dans la forme, est saisie par la relation d'agence, la seconde est généralement occultée. La raison doit être recherchée dans la réduction des aléas au domaine probabilisable. Le savoir, et c'est particulièrement vrai dans le domaine médical, est toujours provisoire. On ne peut donc déduire des résultats de phénomènes similaires répétitifs comme l'enseigne le calcul de probabilité. Au contraire, chaque décision est unique car « le temps historique est irréversible » (Lavoie, 1985). Une distinction entre risque probabilisable et incertitude (20) fournit alors une formulation plus appropriée de l'aléa sanitaire en met- tant l'accent sur les ressources cognitives des agents. L'incertitude en matière de santé introduit le « nouveau » et définit, dans son acception la plus stricte, le futur sans référence au précédent, comme c'est, au contraire, le cas pour le calcul de probabilité (Orléan, 1987). __________ (19) « On croit communément que la médecine est une science, alors que beaucoup de décisions médicales ne reposent pas sur des fondements scientifiques solides, tout simplement parce que ces fondements n'ont pas encore été pleinement explorés, exploités, testés » (McPherson, 1990: 18). (20) Distinction établie par F. Knight (1921), développée par J.-M. Keynes (1990: 143) quand il affirme que « le calcul de probabilité, bien qu'on n'y fit qu'implicitement allusion, était supposé capable de réduire l'incertitude au même état calcul able que l'état de certitude elle-même... [or] notre connaissance de l'avenir est fluctuante, vague et incertaine ». CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 19 Elle mobilise des ressources cognitives et fait plus appel à la notion de confiance (dans un traitement, un médecin, un établissement,...) c'est-à-dire de convention au sens de Keynes (chapitre 12 de la théorie générale) (21), qu'à celle de calcul. Alors que la théorie de l'utilité espérée sur laquelle repose la théorie des incitations définit la prise de décision comme l'attitude de l'agent face au risque, une théorie de l'incertain doit intégrer la perception du degré d'incertitude. La rationalité des agents n'est alors plus limitée par le seul système d'information puisque, en disposant de toutes les informations nécessaires, ils ne pourront prévoir les conséquences de leur choix, ceux-ci reposant sur des connaissances futures. Même si le médecin dispose d'une information sur les risques encourus par le patient (effet de trace, de mémoire, etc.) et peut, dans ces conditions, traiter l'avenir à partir de probabilités, ces dernières ne sont guère utiles car le médecin est mobilisé par le cas concret hic et nunc. En situation d'incertitude, la décision de l'individu (le médecin) conjugue alors : - l'estimation qu'il se fait de la réalisation future de l'événement ; - la valeur qu'il accorde à son propre jugement. C'est dans ce cadre que peut s'analyser l'affirmation de Keynes selon laquelle la prise de décision fait intervenir le « poids du raisonnement » corrélé positivement avec l'arrivée de données nouvelles. Cette notion est voisine de celle de confiance et synthétise l'information disponible lors de la prise de décision. Elle se distingue par conséquent de la probabilité (Arrous, 1982 ; Lavoie, 1985). L'incertitude est ainsi définie par opposition au risque. Elle est souvent accompagnée d'un qualificatif dans la littérature. On parlera ainsi d'incertitude épistémique (Orléan, 1989), critique (Thévenot, 1989) ou encore d'incertitude véritable (22) (Heiner, 1983). Une telle incertitude -radicale -permet de mieux appréhender le comportement des acteurs. Elle offre notamment une capacité interprétative plus large de l'incertitude de savoir, inhérente à la pratique médicale et sous-estimée par les approches tant standard que contractuelle. Ce faisant, elle remet en cause la conception traditionnelle de la rationalité des individus (par optimisation). Non seulement la prise de décision n'est pas fonction du seul calcul, mais encore il importe tout autant de s'interroger sur la façon dont sont prises ces décisions. Ce que l'on place sous « l'ombrelle de l'incertitude », c'est aussi la limitation des ressources cognitives des agents (Clyert et Simon, 1988 : 233). __________ (21) La définition de la convention par la confiance n'est qu'une étape de celle que nous proposerons dans la partie suivante. (22) « genuine uncertainty ». 20 PHILIPPE BATIFOULIER En formalisant le comportement des agents en présence d'incertitude, le critère de l'utilité espérée constitue la définition de la rationalité en univers risqué. Le traitement de l'incertitude est ainsi directement lié à la capacité de calcul des agents, supposée parfaite. Or, ces derniers ne sont pas seulement limités par le système d'information mais aussi par les possibilités du cerveau humain. Le concept de rationalité limitée ou procédurale (23) de H.A. Simon (1976, 1978a, 1978b, 1979) offre une alternative crédible à celui de rationalité substantielle. Il définit l'ensemble des contraintes inhérentes à l'individu qui l'empêchent de recueillir et de traiter l'information. Pour le paradigme contractuel, la mise en œuvre des contrats optimaux est un moyen de contrecarrer l'asymétrie d'information et partant, d'appréhender la rationalité limitée des agents puisqu'elle est définie ainsi. Pour H. Simon, au contraire, l'information n'est pas une ressource rare. Souvent, on en a trop. C'est l'attention qui est importante. Le sur- plus d'information peut constituer un luxe coûteux car il peut détourner l'attention de ce qui est important vers ce qui l'est peu (24). La limitation de la rationalité ne provient pas de l'information. Elle est structurelle et liée aux capacités du cerveau humain. L'incertitude radicale dans laquelle évolue le médecin sur l'efficacité de sa thérapeutique et sur son incapacité ex ante à définir le résultat le conduit à orienter son choix, non pas vers la meilleure décision mais vers la meilleure méthode pour arriver à la décision. Tel est l'objet de l'ensemble des aides au diagnostic qui vont des simples opérations de classification des symptômes à la technologie (notamment d'imagerie médicale) la plus développée. C'est donc la procédure de prise de décision qui est mise en avant et non la décision elle-même. Les processus de maximisation sont alors inaptes à saisir le comportement des agents. L'expression de la rationalité doit mettre en avant, au contraire, la façon (ou procédure) dont est prise la décision. La rationalité procédurale supplante alors la rationalité substantielle et permet d'expliquer un comportement « naturel » et reconnu du médecin: l'éthique professionnelle sans avoir recours, comme c'est généralement le cas, à des hypothèses ad hoc et des complexifications croissantes. __________ (23) Simon s'est progressivement orienté vers le second qualificatif. (24) En matière de santé, l'information des acteurs (des consommateurs notamment) est abondante mais souvent lacunaire. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 21 Le médecin, même libéral, ne peut être analysé uniquement comme un entrepreneur individuel. La théorie néoclassique distingue, d'ailleurs, à côté de la rationalité économique, qui, elle, est assimilable à celle de l'entrepreneur, une « rationalité psycho-sociale » propre à la profession médicale et indépendante de la rationalité standard. Toutefois celle-ci est réduite à un comportement maximisateur par un argumentaire que M.-O. Carrère (1987 : 202-203) résume claire- ment: « par définition, la rationalité médicale et psycho-sociale est tournée vers la recherche de l'efficacité du plan médical pour le patient et du plan sociopsychologique pour le patient et le médecin. Elle est influencée par le savoir médical et certaines caractéristiques personnelles du patient et du médecin. En utilisant la terminologie économique, on pourra dire qu'elle se traduit chez le médecin par la recherche d'une utilité médico-psychosociale maximum. ». Deux types de réponses sont alors donnés : - cette rationalité est tout simplement occultée. Elle fait tout juste l'objet d'une note en bas de page ; - elle est explicitement intégrée dans l'analyse, par l'ajout d'un argument dans la fonction d'utilité du médecin. Dans ce dernier cas, l'interrogation que constitue l'absence de maximisation du revenu du médecin, observée par toutes les études, est traitée suivant trois options : - l'option « philanthropie ». Un argument supplémentaire dans la fonction d'utilité du médecin synthétise ses objectifs humanitaires. Ainsi le médecin peut fournir des prestations à faible prix pour les patients les moins fortunés (Ruffin et Leigh, 1973) ou obtenir plus de satisfaction dans le traitement des « pauvres » que dans celui des « riches » (Masson et Wu, 1974) ; - l'option « contrainte de marché » qui se manifeste dans les modèles incitatifs où les patients, pouvant acquérir de l'information, conduisent le médecin à adopter un comportement optimal. Ainsi, dans le modèle de L. Rochaix (1986), par exemple, l'éthique professionnelle se traduit par l'absence de surtraitement. Elle est subie et résulte de la pression des consommateurs ; - l'option « induction », inverse de la précédente, puisque ce ne sont pas les patients, mais les médecins eux-mêmes, qui (auto)limitent leur pouvoir discrétionnaire. L'éthique professionnelle est donc une contrainte à l'induction de la demande, qui provient du médecin lui- même (Woodward et Warren-Boulton, 1984) (25). __________ (25) Le modèle de P. Zweifel (1981) a le mérite, dans ce cadre, de combiner incertitude et éthique professionnelle. 22 PHILIPPE BATIFOULIER L'éthique professionnelle est alors une hypothèse nécessaire à l'explication, par la rationalité substantielle, d'un fait stylisé incontournable : le médecin a d'autres préoccupations que la maximisation de son revenu. Or, l'éthique n'est pas assimilable à un argument dans une fonction d'utilité à maximiser. Elle n'est pas contrainte car elle est suivie de leur propre chef par les médecins. Elle ne résulte pas d'un contrat puis- qu'elle ne repose pas sur un accord explicite entre médecin et malade ou entre médecin et tutelle. L'éthique professionnelle est une règle qui ne relève ni de la contrainte ni du contrat mais de la convention. Elle est « ancrée » dans les relations sociales, les coutumes, etc… (Granovetter, 1985). Elle est optimale car elle permet au patient et à la tutelle de connaître, sans coût d'information, les véritables caractéristiques du professionnel. Elle agit ainsi comme norme de comportement en donnant la qualité du médecin : le médecin est celui qui respecte une éthique professionnelle. Déroger à la règle, pour ce dernier, c'est s'exclure de la profession. La théorie des contrats est alors sérieusement prise en défaut dans la mesure où, d'une part, l'individu est doté de capacités de calcul limitées, et, d'autre part, ne cherche pas son seul intérêt. La coordination repose alors sur des règles (comme l'éthique professionnelle) qui portent un savoir et deviennent la façon dominante dont se manifeste la rationalité des agents. Ces règles, cognitives, n'ont de sens que si elles sont suivies par tous. Elles sont de nature collective. Conventions et système de soins En définitive, la théorie des incitations (plus généralement des contrats), bien qu'elle paraisse séduisante, ne peut toutefois rendre compte d'un certain nombre de caractéristiques du système de soins: incertitude radicale, rationalité faisant intervenir les dimensions éthique et collective... La raison doit en être recherchée dans le projet lui-même, qui se refuse à remettre en cause le noyau dur du paradigme standard. L'institutionnel n'est qu'ajouté au marché. La « main invisible » est restaurée par le contrat. L'accord repose toujours sur des individus-types parfaitement rationnels, la seule différence étant le moyen de l'accord: non plus l'action mais la volonté. La médiation collective reste prohibée. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 23 Or, la coordination impose l'existence d'objets collectifs comme l'éthique professionnelle qui assurent la coopération entre des individus mus par des intérêts divergents. Cette règle n'est pas écrite. Elle est inintentionnelle ou spontanée. Elle exprime un consensus en évacuant la méfiance et le soupçon. Il n'est nul besoin que tout soit conçu à l'avance. L'instrument de la coordination n'est pas le prix ni le contrat mais la convention (Favereau, 1989a). La compréhension de l'efficacité de la relation tutelle-médecin débouche sur une théorie des conventions juxtaposant rationalité procédurale et don réciproque. Les conventions d'activité qui y sont subordonnées mettent alors l'accent sur le compromis qui intervient pour la forme de la prestation avant la délivrance du savoir médical. L'anticipation que fait le patient de la nature de la prestation médicale ne doit pas être trop éloignée de celle qui est effectivement réalisée. Les conventions de qualité règlent alors la mise en œuvre de la prestation. Elles s'éloignent, pour ce faire, de l'approche traditionnelle de la qualité pour élaborer des formes de coordination assises sur des objets collectifs étrangers à l'univers marchand. Conventions d'activité et relation de soins La liaison productivité-rémunération est un problème standard de la littérature économique. Contrairement au postulat de la théorie néoclassique (walrasienne), le travail n'est pas une marchandise. L'effort du salarié (ou du travailleur en général) ne peut être observé. Il est libre et non prédéterminé. L'incertitude de l'effort fourni exprime l'incomplétude de la relation de travail que ne peut traduire le terme de productivité. Deux critiques peuvent être exprimées, une générale, l'autre spécifique au système de soins : - la productivité mesurable diffère de l'effort non mesurable, incorporé dans les personnes elles-mêmes ; - le produit médical n'a pas de contenu objectif. On ne peut donc forger un concept de productivité en l'absence de production. Ce qui importe au médecin, c'est d'être récompensé non pas en fonction du résultat obtenu mais en fonction de l'effort fourni, c'est-à-dire non pas en fonction de l'état de santé futur du patient mais du traitement prescrit et de sa participation au traitement. Or l'effort (du médecin) n'est observable ni par le patient ni par la tutelle. Il n'existe pas d'obligation de résultat. Ainsi le résultat (non imposé) et l'effort (non observable) ne peuvent servir de base à un accord minimal entre les personnes. Or cet accord, qui permet la relation médicale, existe. Quels en sont les fondements ? PHILIPPE BATIFOULIER 24 Ou, pour reformuler la question : qu'est-ce qui assure la viabilité et la stabilité de la relation tutelle-médecin, sachant qu'il n'existe pas d'obligation de résultat et qu'on ne peut associer à l'activité médicale un contenu objectif ? La notion de convention permet de répondre à une telle question. Le problème peut être présenté de façon simple, dans un premier temps, par l'exemple du dilemme du prisonnier qui schématise le couple (rémunération -faisceau d'effort) par un jeu à deux joueurs (26). Options stratégiques du subordonné Obéissance forte Obéissance faible Options stratégiques du supérieur Récompense Récompense élevée faible A B (2,2) (0,3) C D (3,0) (1,1) Les paiements ou gains sont évalués en utilités, le premier terme représentant l'utilité du joueur 1, le second celle du joueur 2. Le supérieur schématise ici la tutelle qui verse une rémunération (récompense) au subordonné en échange d'un faisceau d'effort (intensité, qualité, durée...) représenté par l'obéissance. Plus concrètement, la récompense peut être la dotation budgétaire attribuée par la tutelle à l'hôpital, le niveau des honoraires autorisés, etc., l'obéissance représentant, quant à elle, la qualité des soins, l'effort engagé par les professionnels pour réduire les dépenses ou alléger les charges, la participation au traitement des médecins, etc… Supérieur et subordonné sont deux individus représentatifs substantiellement rationnels. - Le supérieur est la tutelle qui exprime les intérêts de la collectivité et notamment des patients. Elle dispose du pouvoir de décision et formule le contrat en assurant le paiement ou le transfert compensatoire. __________ (26) Le jeu décrit dans le cas général la configuration suivante: deux prisonniers ont commis un délit et sont incarcérés séparément (ils ne peuvent communiquer). Deux alternatives s'offrent à eux: avouer ou ne pas avouer, sachant que celui qui avoue bénéficiera d'une remise de peine aux dépens de l'autre. Ce jeu a fait l'objet de nombreuses formulations. Nous reprenons et adaptons ici celle de G. Miller (1977). CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 25 - Le subordonné est le monde professionnel défini par l'établissement hospitalier ou le médecin libéral selon les lieux d'exercice. L'archétype en est le médecin, agent du système. Nous nous situons donc ici dans une situation hiérarchique où le supérieur définit les termes d'un contrat (soigner le malade, réduire les dépenses...) dont la réalisation est confiée au subordonné qui, en contrepartie, reçoit une rémunération. Les individus étant substantiellement rationnels, D est l'équilibre de Nash (27) du jeu. Il correspond aux stratégies dominantes de chaque joueur en situation d'information incomplète. En effet, si le subordonné fait l'effort maximum, la tutelle a intérêt à attribuer la récompense la plus faible. Une récompense plus élevée n'est pas nécessaire à l'obtention d'un effort important. Pour les mêmes raisons, si le supérieur verse une rémunération élevée, alors le subordonné produira un effort faible. En l'absence d'information sur les comportements de l'autre joueur, la seule issue rationnelle est donc la solution non coopérative : D (obéissance et récompense faibles). Aucun des deux partenaires ne pouvant s'assurer des intentions pacifiques de l'autre choisit la stratégie agressive. Force est de constater que cette solution catastrophique n'est pas celle qui prévaut dans la réalité. H. Leibenstein (1982, 1987) y substitue la notion de convention d'effort. Alors que la non-coopération est la solution rationnelle, c'est une norme d'effort qui s'impose dans les faits. Si l'intérêt privé diffère de l'intérêt général, il n'est pas son exact opposé. L'individualisme maximum (non coopération, D) et la « règle d'or » (coopération totale, A) sont deux positions tout aussi extrémistes. Le comportement des individus est régi par des habitudes et des routines qui, en gardant leur composante inter-individuelle, forment des conventions. Les entrants dans une organisation observent les normes en vigueur et s'y conforment, assurant par là même la stabilité de la convention. Cet effet d'imitation, d'apprentissage ou « étalon d'effort » permet d'instaurer un climat de confiance en éliminant l'incertitude sur l'action des autres. Ces notions de convention, et notamment la convention d'effort, sont particulièrement fécondes pour l'analyse du système de santé. En effet, en limitant les comportements discrétionnaires des acteurs, elles apportent une solution au pouvoir d'induction du médecin. Ce n'est plus alors le marché, exogène, qui contraint le médecin ou l'établissement hospitalier représentatif mais une norme endogène assimilable à une autorégulation. __________ (27) Il y a équilibre de Nash quand la stratégie d'un joueur est la meilleure réponse à la stratégie de l'autre joueur. 26 PHILIPPE BATIFOULIER L'autorégulation n'est plus ici une simple limite au pouvoir d'induction. Elle décrit l'état de la coordination entre la tutelle (le supérieur) et le monde professionnel (le subordonné). Cette coordination repose sur des conventions qui établissent une régularité de comportement permettant ainsi à chacun d'acquérir de l'information sur l'autre sans avoir recours au marché. La limitation du pouvoir discrétionnaire du médecin n'est plus subordonnée à l'exercice d'une contrainte de marché mais est relative à l'existence d'une convention qui assure l'efficacité de la relation de soins. La solution de Leibenstein a le mérite d'établir la coordination des comportements économiques sans référence au marché et à un quelconque contrat. La convention d'effort, en rupture avec l'approche contractuelle, établit que le niveau d'effort : - ne dépend pas seulement de la rémunération. La confiance inhérente à la stabilité de la relation entre supérieur et subordonné ne peut être réduite à une incitation financière (le paiement compensatoire). Il existe d'autres types de motivations tout aussi importants: la démocratie interne, le sentiment d'équité, etc. ; - fait intervenir une dimension collective. C'est en effet la pression que le groupe exerce sur un de ses membres qui conduit ce dernier à adopter la solution coopérative. L'organisation du travail en équipe, développant des procédures de participation (Aoki, 1984) ou valorisant la culture d'organisation (Ménard, 1989, 1990) permet de suppléer à l'équilibre de Nash déviant. La substitution de la notion de motivation à celle d'incitation (la seconde étant assortie d'une connotation monétaire), permet d'établir la présence de principes de légitimité non marchands dans la coordination des comportements. En ce sens, la première caractéristique de la théorie standard, la coordination par le marché, est dénoncée. Les travaux de R. Salais (1989, 1990) permettent de poursuivre l'analyse en abandonnant l'hypothèse de rationalité parfaite. La mise en avant de l'apprentissage est, en effet, une réponse à la rationalité limitée des agents. En ébauchant des procédures qui mettent l'accent sur les habitudes et les routines dans la coordination inter-individuelle, les agents n'ont plus besoin de contracter sur des informations qui sont fournies par la convention. Ils n'ont plus besoin de mobiliser une grande capacité de calcul pour résoudre un problème de coordination dans la mesure où, justement, la convention permet automatiquement des économies de calcul en écartant la négociation perpétuelle. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 27 Les intérêts contradictoires des individus, pour être satisfaits, nécessitent, en effet, leur regroupement. L'employeur a besoin de l'employé, la tutelle du médecin, et inversement. Le maintien des comportements non coopératifs est stérile. Conflit et coopération font l'objet d'un compromis: la convention de productivité. Analysée dans le cadre du marché du travail comme le propose R. Salais, celle-ci assure un revenu au salarié en l'écartant de la précarité, ce qui en contrepartie le rend plus efficace. Le salarié s'engage à atteindre certains résultats. En retour l'entreprise offre une certaine garantie de salaire (au besoin en licenciant une partie de ses membres) (28). L'entreprise fonctionne ainsi comme un marché interne au travail, la sécurité de l'emploi étant une réponse à l'incertitude. La convention permet des économies de temps, de fatigue et d'informations. Elle transforme l'incertitude en savoirs en se nourrissant d'elle-même: plus elle se fond dans les routines et habitudes qu'elle crée, plus elle agit comme forme de coordination. Elle s'inscrit donc dans le long terme. Sa régularité s'impose indépendamment des personnes qui composent l'organisation. Les nouveaux entrants perpétuent la convention en observant des routines et en s'y conformant. Dans le cas contraire, c'est encore la convention qui permet de traiter les aléas par différence avec la norme. La convention de productivité s'exprime dans le milieu sanitaire tout en prenant une forme particulière. En effet, la relation tutelle- médecin peut s'analyser dans le cadre du don-contre-don (29). Comme le note M. Michel (1989), la pratique soignante est associée à une « représentation cléricale » de la médecine dont l'archétype est le « sage » ou le « saint ». Fondée sur la connaissance plus que sur l'action, sur les choses ou sur les hommes, elle s'accompagne d'une certaine « sacralisation ». En témoigne : - la fonction médicale elle-même: donner ou maintenir la vie ; - le fonctionnement de l'institution: « serment d'Hippocrate », « ordre des médecins », etc… ; __________ (28) La convention de productivité distingue deux équivalences temporelles : l'équivalence salaire-temps de travail qui caractérise le contrat de travail (l'embauche) ; l'équivalence temps de travail-produit du travail où le salarié met en œuvre sa force de travail. (29) L'approche que nous proposons ici, inspirée par M. Mauss (1985), diffère de l'économie sanitaire d~ don développée par A. Culyer (1971) où le don est assimilé à la charité au sein d'un problème de financement (Naveau, 1983). Elle se distingue également de l'étude de G. Akerlof (1982, 1984) qui, en définissant le contrat de travail par un « échange partiel de dons réciproques », introduit la dimension collective mais la cantonne à un argument de plus dans la fonction d'utilité des salariés. 28 PHILIPPE BATIFOULIER - l'histoire de l'hôpital, à l'origine lieu de charité (30). Cette représentation s'érode avec le temps. Elle reste cependant toujours d'actualité en s'exprimant de façon différente. Dans l'univers médical, la rémunération est, en effet, seconde face au prestige, à l'estime, au statut. L'accumulation des richesses est opposée à la volonté de « se faire un nom » (31). Ainsi, c'est la place dans la hiérarchie hospitalière et dans le tissu social qui véhicule l'insertion socio-économique. Le désintéressement (32) ou don se traduit par une autorégulation de la profession médicale que ne peut saisir la rationalité microéconomique. L'éthique professionnelle est révélatrice d'un tel état d'esprit. Attitude inhérente à l'activité médicale, elle agit comme règle de comportement sans être réductible à une contrainte ni à un contrat. Un tel comportement n'est pas réservé aux médecins hospitaliers. Il s'étend à la médecine libérale. Les pratiques d'honoraires typiques sont exemplaires à cet égard. Elles montrent que le « don médical » supplante la logique de marché. Le secteur Il qui permet aux médecins libéraux qui le souhaitent de dépasser le tarif d'autorité, c'est-à-dire de percevoir un dépassement d'honoraire, non remboursé au patient par la Sécurité sociale, devrait relever d'une logique de marché. Or il n'en est rien. J.-P. Lancry (1989) et M.-O. Carrère (1988b) montrent (33) que le montant des honoraires est souvent identique pour une même catégorie de médecins (les généralistes par exemple) dans un même espace (ville). Le choix du secteur II (honoraires libres) est fonction essentiellement de la solvabilité de la clientèle (le revenu en particulier). La concurrence ne joue aucun rôle sur : - le passage en secteur II. C'est dans les régions où les médecins sont les plus nombreux que le secteur II est le plus développé (région parisienne, Rhône-Alpes...) ; __________ (30) Et même l'étymologie du mot (hospitalité). (31) L'exacerbation d'un tel comportement se rencontre chez les « guérisseurs » qui n'acceptent pas d'argent sous peine de perdre leur « pouvoir ». (32) La notion de désintéressement n'est pas synonyme de dédain pour les avantages matériels comme le souligne L. Karpik (1989b). Un don gratuit n'a pas de sens puisqu'un « cadeau » doit être compensé par un autre « cadeau » selon les modalités codifiées par le groupe (Douglas, 1989). Le désintéressement signifie simplement que les personnes ne cherchent pas à maximiser leur profit ou leur utilité. Entre la prestation purement gratuite et l'échange purement intéressé, il y a place pour un comportement régi par une éthique de désintéressement. La notion voisine « d'égoïsme éclairé » établie par H. Simon (1983 : 58) permet également d'appréhender les comportements extérieurs à l'individualisme néoclassique. (33) A partir d'études économétriques. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 29 - la fixation des tarifs. L'accroissement du nombre de praticiens n'entraîne nullement une baisse des prix. Par ailleurs, l'exercice en secteur Il ne suscite pas une baisse d'activité. Au contraire, la liberté des prix attire les praticiens les plus actifs. Cet ensemble de conclusions remet en cause la validité d'ensemble du modèle néoclassique appliqué à la santé et notamment l'arbitrage travail-loisir, socle de la fonction d'utilité médicale. Il semble, en effet, que niveau d'activité et montant des honoraires soient corrélés positivement. Les facteurs explicatifs doivent être recherchés à un autre niveau. Le cas des jeunes médecins est, à cet égard, révélateur. Ceux -ci, non seulement s'installent de façon croissante en secteur II, mais encore réclament la garantie d'installation avant la fin de leurs études (34). L'explication de cet effet d'attraction -paradoxal car les jeunes praticiens n'ont pas fidélisé de clientèle -réside selon J.-P. Lancry (1989) dans : 1) la compensation de la faible activité de départ ; 2) l'assimilation du niveau des honoraires à la qualité de la prestation ; 3) la personnalisation de l'acte associée à une durée et une intensité supérieures ; 4) un effet imitation des jeunes auprès des plus anciens par la multiplication des pratiques en cabinet de groupe. Ces quatre solutions ont en commun d'insister sur l'environnement cognitif du jeune médecin et d'être extérieures à l'univers marchand. La primauté accordée à un revenu cible (1), à la qualité de la prestation (2 et 3) ou à un « réseau producteur » (4), focalise l'analyse sur l'existence de normes internes à la profession. Ces normes se traduisent par l'adhésion à l'image du métier (y compris dans les styles de vie, Arliaud, 1984) et par une éthique professionnelle valorisant le désintéressement. En effet, si le tarif comme le choix du mode de conventionnement sont normalisés au sein du groupe, par la circulation et la collectivisation de l'information, ces pratiques s'inscrivent dans une économie de la modération. L'imitation dépasse le simple cadre du passage en secteur II. Elle accompagne également la fixation du « juste prix », celui qui répond aux capacités .financières de la clientèle. Les pratiques d'honoraires typiques sont le produit d’un tel processus. Elles émanent d'une culture collective. __________ (34) La grève des internes de 1990 est édifiante à ce sujet. 30 PHILIPPE BATIFOULIER Cette économie de la modération autorise en « contre-don » une « juste rétribution » de l'activité médicale, libérale ou hospitalière, qui dépasse .le cadre de la juste rémunération pour aborder la garantie d'indépendance. Le cadre théorique de la « juste rémunération » est donné par G. Akerlof et J. Yellen (1988, 1990) dans leur définition du juste salaire. Ils déterminent pour ce faire deux fonctions d'effort basées sur la notion d'équité. Cette relation montre que, si la firme verse un salaire considéré comme juste par le salarié, l'individu se sentira bien traité (de manière équitable) et fournira en conséquence un effort « normal ». Dans le cas contraire, l'individu se sentira injustement payé et adoptera en réaction une stratégie de moindre effort. Ce point de départ de l'analyse est corroboré par l'étude statistique de E.-L. Groshen et A.-B. Krueger (1990) sur le secteur hospitalier. Ils montrent, en effet, que la rémunération symbolise le prestige et l'autorité. Les personnels soignants se sentent membres d'un groupe. Une rémunération inférieure aux autres entraîne une insatisfaction préjudiciable à l'effort. Plus généralement, l'approche de G. Akerlof et J. Yellen est pertinente pour l'étude de l'activité médicale car elle établit les quatre points suivants : - les individus se comparent aux autres en fonction du type d'activité (la spécialité médicale) et de l'espace géographique (similitude de clientèle). La conception de la justice résulte de l'observation de comportement standard ou de norme ; - le médecin estime devoir être payé en fonction de son faisceau d'effort (35) et non du résultat ; - l'idée de justice se traduit, en conformité avec le don-contre-don, par la notion de réciprocité immédiate ; - la juste rétribution du médecin s'inscrit dans le sens commun. Ce sens commun toutefois dépasse le simple cadre de la motivation financière. La conception de l'équité d'Akerlof et Yellen est subordonnée aux seules comparaisons de salaire. Cette conception, trop limitative dans le cas général, rencontre rapidement ses limites dans le cas du médecin. La juste rétribution médicale, en effet, dépasse le cadre de la rémunération pour, au contraire, valoriser une éthique de désintéressement et se traduit également par l’indépendance de la profession. __________ (35) Qui peut inclure l'effort à l'étude et à l'apprentissage du métier. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 31 Outre la valorisation par la collectivité, l'estime du public, le statut de notable, le médecin est préservé des tentatives englobantes de la tutelle. Plus encore, comme le souligne Evans (1983), il jouit d'un véritable « privilège politique » qui prend la forme de « droits d'autorégulation » (au sens de pouvoir monopolistique assuré notamment par les syndicats (36). C'est donc dans le cadre d'une double autorégulation que s'inscrit le don-contre-don médical : - l'autorégulation économique qui valorise l'éthique professionnelle et l'image du médecin développant ainsi une économie de la modération associée à une éthique de désintéressement ; - l'autorégulation politique reçue de la collectivité en vue de soutenir la première. Si le contre-don dépasse le cadre de la juste rémunération (qu'il n'exclut pas) pour aborder celui de la garantie d'indépendance, celle-ci s'exprime différemment selon les statuts juridiques (hospitalier et libéral) : - en contrepartie de l'effort fourni par les professionnels, la tutelle n'exerce qu'un contrôle minimal sur leur activité. Cet accord est tacite. Une dérogation à la règle comme l'accentuation des procédures d'observabilité est très mal ressentie par la profession qui estime avoir des droits à la hauteur de ses devoirs. Les comportements d'auto-spécialisation par exemple (37) peuvent être analysés comme un moyen de personnaliser la relation avec le malade. Elle est tolérée par les pouvoirs publics car elle donne satisfaction aux médecins sans remettre en cause les fondements de l'organisation collective et le rôle dirigeant des pouvoirs publics ; - la garantie de l'exercice libéral de la médecine s'exprime au travers des comportements de spécialisation thérapeutique, de l'absence de contrôle strict, etc. permettant de sauvegarder la « logique quasi marchande » de la profession. Comme la précédente, cette coordination est spontanée, elle résulte d'attitudes allant de soi. Don-contre-don et convention sont donc liés dans la définition des deux conventions d'activité, hospitalière et libérale, dont le dénominateur commun est l'association d'un comportement désintéressé (don) et d'une garantie d'indépendance (contre-don). __________ (36) Participation aux politiques de rationnement, conventionnement... (37) Voir H. Lafarge (1989) et P. Batifoulier et al. (1989). numerus clausus, 32 PHILIPPE BATIFOULIER Le don-contre-don peut alors être interprété comme une convention dans la mesure où la réciprocité entre les acteurs permet aux patients et à la tutelle qui les représente d'avoir l'assurance d'un niveau d'effort satisfaisant. En retour, la tutelle qui dispose du pouvoir réglementaire offre de bonnes conditions de travail et une « juste » rétribution (38). Le don-contre-don porte alors un « contrat de loyauté » entre les agents, extérieur à l'échange marchand. Les conventions sont alors assises sur des objets collectifs, au-dessus des acteurs, qui garantissent la coordination. L'éthique professionnelle représente un tel objet collectif. Relevant de l'attente réciproque, elle assure l'efficacité routinière de la relation en lui fournissant objectivité, validité et stabilité. Dans le même cadre, les règles de statut, l'existence de corporations ou de syndicats, la spécialisation médicale ou thérapeutique et, plus généralement, les « droits d'autorégulation » garantissent, aux yeux des médecins, leur juste rétribution. Ces conventions d'activité, pour être viables, doivent être acceptées non seulement à l'intérieur de l'organisation, mais aussi à l'extérieur. Elles doivent subir une épreuve de réalisation. Tel est l'objet des conventions de qualité. Sans qualité des soins, en effet, la rétribution des professionnels n'est plus garantie dans les mêmes termes. La réciprocité du don implique que la tutelle et plus encore les patients aient l'assurance d'un bon niveau d'effort du professionnel. Tel est le sens de l'exigence de qualité formulée par les consommateurs. C'est la qualité des soins, problème crucial en économie de la santé, qui boucle le système. Les conventions de qualité permettent d'éviter la remise en cause des conventions d'activité. Sans qualité des soins, le maintien à l'identique des privilèges des professionnels (droits d'autorégulation) est beaucoup plus difficile. Conventions de qualité et relation de soins Les conventions d'activité, ainsi définies, donnent l'aspect général (ou pur) du compromis sur la forme de la prestation dispensée par le médecin. Ce compromis fournit alors une solution au problème de coopération entre la tutelle représentant les intérêts de la collectivité et le monde professionnel. __________ (38) Ce terme doit être entendu dans un sens large. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 33 Pour être viable, ce compromis doit toutefois subir l'épreuve de réalité. Il doit déboucher, en effet, sur la mise en œuvre concrète de la prestation. La coopération (ou compromis) se déplace alors au niveau de la relation médecin-patient. En effet, c'est au stade du « colloque singulier » que s'inscrit la délivrance du savoir. L'évaluation de l'efficacité d'une telle relation est contingente à la formulation de la qualité de la prestation. La qualité constitue une dimension du faisceau d'effort du médecin qui est misé en avant par le patient. Il faut alors s'interroger sur la définition de la qualité de la prestation. Dans le modèle de l'équilibre général, la qualité des produits est donnée par le prix, indicateur de rareté. G. Akerlof (1970) a montré l'insuffisance d'une telle définition en cas d'incertitude sur la qualité du produit (cas notamment de l'ensemble des services où la qualité de la prestation n'est pas connue à l'avance). L'asymétrie d'information entre un vendeur et un acheteur conduit à un phénomène de sélection adverse, amenant, à terme, la disparition du marché. Un tel mécanisme est ramené à un défaut d'information qui perturbe l'équilibre du marché mais qui peut être levé par des mécanismes incitatifs. Cette analyse, qui a le mérite d'attirer l'attention sur un problème majeur en économie, souffre, nous semble-t-il, d'une double insuffisance : - les situations décrites sont des situations d'incertitude (radicale) mais sont assimilées au risque (probabilisable) et nécessitent donc des comportements hypercalculateurs : toutes les caractéristiques des produits sont sensées pouvoir être parfaitement hiérarchisées par les individus. - en admettant qu'un tel comportement soit possible, encore faudrait-il savoir d'où vient la qualité des produits. Or, rien n'est dit sur ce sujet. La qualité est supposée simplement incorporée au bien et au service, faire corps avec lui. Or, la déconnexion du prix et de la qualité a deux conséquences : - une mesure générale de la qualité, admise par tous, et qui permet l'échange, apparaît nécessaire ; - la stabilité de la relation fait intervenir des objets extérieurs au cadre marchand et qui n'ont pas le statut de contrat. Les conventions de qualité répondent à ce double objectif. Elles indiquent la qualité des produits par un échange automatique et à distance. Il n'est alors nul besoin de négociation préalable sur la qualité, ce qui permet un gain de temps, d'information et de ressources. C'est le jugement au sens d'une forme d'organisation sociale associant consommateur et producteur qui garantit la qualité. 34 PHILIPPE BATIFOULIER La relation entre un supérieur-tutelle représentant les intérêts des patients et un subordonné synthétisant le monde professionnel doit alors être appréhendée aux travers d'une pluralité de modes de coordination. Son efficacité et sa stabilité supposent, en effet, l'existence de formes industrielles donnant la qualité générale des objets de santé et de formes domestiques permettant d'identifier la qualité personnelle des acteurs. Ces formes ne peuvent être réduites à l'univers marchand. Elles fondent des conventions de qualité qui « ont pour effet de régler une relation, de transformer une interaction soumise à l'incertitude, à la négociation, en un échange automatique où l'intervention humaine est réduite au minimum » (Eymard-Duvernay, 1988 : 133). Comment une offre et une demande de santé peuvent-elles se rencontrer ? Qu'est-ce qui permet au patient de trouver un médecin (39) et d'avoir l'assurance de la qualité de la prestation ? Une première réponse à ces questions peut être donnée par la notion d'investissement de forme: la capacité à entrer en équivalence des individus (la forme) nécessite des investissements reposant sur « l'établissement coûteux d'une relation stable pour une certaine durée » (Thévenot, 1986). Ces investissements assurent le fonctionnement routinier de la relation en permettant de s'accorder sur le temps, le domaine de validité et d'objectivité du produit. L'interaction médecin-patient est ainsi régie par trois outils : - la marque qui définit l'acte médical: consultation, visite, acte de biologie, etc. La marque est associée à une lettre-clé dans le système de santé et à un tarif. Elle définit le « type » de prestation et la base. de son évaluation financière. Les dispositifs de définition et de mesure permettent d'acquérir de l'information en objectivant le produit. - le métier qui donne l'étiquette du médecin, signe de compétence. Ce métier est sanctionné par un titre scolaire, fonction lui-même d'une durée: la durée des études. La profession de médecin confère un « titre-parapluie » à son détenteur en l'abritant du marché (Paicheler, 1987). Elle agit comme « marché interne du travail ». Le médecin a une qualification professionnelle. Il a reçu le titre de docteur en médecine accompagné, le cas échéant, d'une spécialisation (40). Il est également pourvu d'un code déontologique (41) qui assure aux yeux de tous la définition « éthique » du métier. __________ (39) Le médecin est ici assimilé au professionnel quel que soit son lieu d'exercice. (40) Ce qui exclut tous les autres qui « prétendent » soigner. (41) Que l'ordre des médecins doit faire appliquer. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 35 - la normalisation qui objectivise le produit: normes de commercialisation des médicaments (Huttin, 1989), classification des établissements hospitaliers, nomenclatures de disciplines médico-tarifaires, de services hospitaliers, certification des techniques (Durieux et al., 1986)... Ces standardisations ne sont pas des opérations neutres. Véhicules de la mémoire collective, elles sont enracinées dans l'histoire (Caire, 1989). Ces outils sont de nature industrielle au sens du modèle des économies de la grandeur de L. Boltanski et L. Thévenot (1987). Ils définissent l'efficacité de la relation. Cette mise en forme automatique répond à une incertitude radicale en assurant durabilité, validité et objectivité de la relation patient-médecin. L'État, qui porte ces formes, apporte sa caution aux produits (42). Il s'engage sur la qualité en définissant une « estampille de qualité ». La mise en équivalence repose sur des points de repère, fournis par la tutelle et auxquels se soumettent les individus (43). Ces standards de qualité sont conventionnels. Ils traduisent un compromis entre les acteurs que la tutelle développe en l'objectivant. Leur aspect institutionnel ne peut être réduit à du contractuel. Ils agissent comme routine, en donnant la qualité générale du médecin et plus généralement des objets de santé. En « médiatisant » la relation, ils diminuent les ressources personnelles mobilisées dans l'échange (Eymard-Duvernay, 1986). Ils s'accompagnent ainsi d'une économie de savoir. La hiérarchisation parfaite et commune de l'ensemble des caractéristiques des produits n'est plus un préalable nécessaire à l'action. La notion d'investissement de forme permet ainsi de dépasser le cadre de la non-objectivisation du « produit » en établissant des rapports d'équivalence qui désingularisent la relation. C'est donc la relation ellemême et non les individus qui produit des objets garantissant sa stabilité. Ces objets relèvent notamment d'une nature industrielle extérieure au rapport marchand. Les formes industrielles, loin de constituer une entrave au marché, sont un moyen de régularisation de la relation. En identifiant la qualité générale des objets sanitaires, indépendamment du prix, elles assurent l’efficacité de la relation. __________ (42) Ce qui ne veut pas dire que c'est l'État seul qui développe de telles formes. (43) Les hôpitaux privés américains vont même jusqu'à faire appel à l'État pour affronter la concurrence dans la mesure où celui-ci distribue des « avals de qualité » (Gadrey, 1990: 61, qui y voit l'émergence d'une régulation postfordiste). De même, l'attribution des scanners en France repose sur la recherche d'un effet de prestige donné aux établissements hospitaliers par la tutelle (Saglio, 1989). 36 PHILIPPE BATIFOULIER Elles ne peuvent donner, toutefois, leur qua- lité particulière. Tel est l'objet des formes domestiques. La nature domestique est fondée sur la tradition. Elle introduit des formes personnalisées entre individus dont l'objet est l'établissement de la confiance à travers un apprentissage informel (Eymard-Duvernay, 1987, 1989). La recherche d'un médecin ou d'un établissement hospitalier passe souvent par la quête de renseignements, par la mobilisation de relations sociales, de connaissances personnelles, etc… Comme le souligne la quasi-totalité des modèles d'économie de la santé traditionnelle, la relation patient-médecin repose sur la quête d'informations. Le patient peut mettre en œuvre des procédures permettant de s'assurer de la bonne qualité du médecin. Les procédures sont qualifiées de « contraintes de marché ». Or, c'est le jugement qui permet d'affirmer qu'un médecin (44) est bon ou mauvais, cher ou « raisonnable » (45), équipé ou non, etc… Le jugement repose sur la collecte de renseignements auprès de tierces personnes auxquelles on accorde (parfois momentanément) sa confiance. Celles-ci sont « en quelque sorte le délégué ou le garant de celui dont elles parlent » (Karpik, 1989a). Si c'est donc bien l'information qui permet au patient d'opérer un choix raisonné, celle-ci ne repose pas sur le marché mais sur la confiance. Elle fait intervenir : - le temps: la relation médicale est fondée sur la coutume, le précédent, l'habitude, c'est-à-dire sur la fidélité d'un patient à un médecin (46), à un établissement, à une pharmacie, etc. L'habitude assure l'aisance de la relation ; - l'espace. Les problèmes de distance au médecin, et généralement de proximité locale, ont une influence considérable sur le recours aux soins. La relation est une relation de « voisinage » ; - l'autorité du médecin qui n'est pas seulement fonction de son savoir, mais aussi de l'estime que lui porte son patient, de sa réputation. La qualité intègre non seulement l'acte technique mais aussi l'écoute du patient et la durée de la consultation. __________ (44) Nous employons le terme générique de médecin, mais l'analyse s'applique à l'ensemble des objets de santé (hôpital, clinique, pharmacie...). (45) Les prix n'étant pas affichés, c'est le « bouche à oreille» qui renseigne sur le dépassement d'honoraire. (46) La fidélité au médecin n'est pas remise en cause par le dépassement d'honoraire (Lancrv. 1989). CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 37 Dans ce cadre, la confiance joue un rôle moteur comme réponse à l'incertitude qui caractérise la relation de soins. Cette « économie de la grandeur domestique » laisse peu de place à l'échange marchand qui suppose que biens et personnes soient détachés. La valeur du bien santé, au contraire, est intrinsèque aux individus. Or, c'est au contraire dans le cadre de l'univers marchand que sont analysés, dans les approches conventionnelles, ces types de formes. Le modèle de Pauly et Satterhwaite (1981) en est un exemple éclairant. Les relations personnelles (connaissances, amis, collègues) qui interviennent dans la recherche d'un « bon » médecin sont formalisées en terme de « bien de réputation » pour être aussitôt intégrées dans la logique du marché puisqu'elles servent à expliquer la hausse des prix consécutivement à un déplacement de la demande (47). La recherche d'information est assimilée à une recherche de réputation, elle-même synonyme d'une recherche de marché résultant d'une parfaite rationalité des consommateurs. Il y a appropriation de la réputation par les consommateurs. C'est à ce prix que l'on peut la déduire d'un comportement strictement individuel. Reconnaître que la réputation n'appartient à aucun des échangistes mais à la relation elle-même, c'est affirmer, en sens contraire, son statut d'objet collectif extérieur à l'univers marchand. Les formes domestiques et leur archétype, la confiance, ne sont pas des objets « seconds » dérivés de la légitimité marchande. Au contraire, elles sont des éléments essentiels de l'activité médicale. En effet, en l'absence de contenu objectif et d'obligation de résultat, la confiance assure la stabilité de la relation. En réglant l'asymétrie de savoir (et donc d'information) par une garantie implicite de qualité, elles permettent l'efficacité de la relation patient-médecin. Le rapport médical est un rapport de confiance. Ce n'est plus alors le marché, ni un contrat incitatif mais la confiance qui est le mécanisme coordinateur. En généralisant le lien familial, elle met l'accent sur l'environnement des individus. La relation médicale est aussi fonction du contexte dans lequel elle s'insère (Darbon et Letourmy, 1988, 1989). __________ (47) Une relation inhabituelle de même sens, expliquée en terme de concurrence monopolistique. 38 PHILIPPE BATIFOULIER Conclusion L'approche par les conventions fournit un cadre général de compréhension de la relation entre tutelle, médecins et patients. La relation entre la tutelle, représentant les intérêts des patients, et le monde professionnel donne la définition de l'activité médicale. Dans le système de santé, les producteurs sont libérés de leur responsabilité. Il n'existe ni contenu objectif ni obligation de résultat. La prestation n'a pas d'existence indépendante du médecin. Ce sont des conventions d'activité -libérale et hospitalière -qui donnent la forme générale de la prestation avant la délivrance du savoir. Celles-ci juxtaposent rationalité procédurale et don-contre-don et s'appuient sur des règles comme l'éthique professionnelle dont les deux caractéristiques fondamentales qui les éloignent d'un contrat incitatif sont les suivantes : - les règles-convention cristallisent un savoir dont les individus font l'apprentissage. Elles ont donc une dimension cognitive et per- mettent une économie de savoir. Il n'est nul besoin de prévoir à l'avance l'ensemble des états de la nature ; - les règles-convention assurent une rationalité commune aux membres d'un système ou d'une communauté (de métier). Elles ont donc une dimension collective différente du simple jeu des intérêts individuels. Toutefois, sans épreuve de la réalité, les conventions d'activité ne pourraient pas perdurer. Il s'ensuit alors une tension entre, d'une part, les conventions d'activité : le producteur a droit à des prérogatives (rémunération et garantie d'indépendance) indépendantes du résultat et, d'autre part, l'exigence de qualité exprimée par les consommateurs et la tutelle sans qu'il soit possible de connaître à l'avance le contenu du diagnostic et de la thérapeutique. Ce sont les conventions de qualité qui règlent cette tension. En traduisant la qualité du service fourni, différemment suivant les principes de légitimité (et leur intensité), elles permettent d'éviter la remise en cause des conventions d'activité. Sans qualité des soins, le maintien à l'identique des privilèges des professionnels (droits d'autorégulation) est beaucoup plus difficile. L'accord ne peut porter sur le résultat. Il porte alors sur l'adéquation des attentes réciproques. Ces deux menus de conventions permettent de reformuler les catégories d'offre et de demande sanitaires. Ce sont des objets collectifs, en surplomb des acteurs qui assurent la coordination : - la dimension auto-régulatrice de l'offre fait appel à la notion d'éthique, analysée dans sa dimension désintéressée et aux règles de statut. CONVENTIONS ET SYSTEME DE SANTE 39 L'identité collective du groupe professionnel se manifeste dans cette auto-régulation en prescrivant les attitudes allant de soi du corps médical ; - la demande de soins résulte d'un processus de négociation avec les médecins dans lequel les patients mobilisent des formes industrielles donnant la qualité générale des professionnels et des formes domestiques évaluant la personnalisation du savoir. Les formes marchandes n'interviennent que pour les prestations à un faible niveau qualitatif (comme les vaccins ou les grippes). De telles conventions contribuent ainsi à renouveler le discours sur la santé, en mettant l'accent sur d'autres catégories explicatives, pour certaines, extérieures au champ habituel de la science économique. Toutefois, l'analyse que nous avons proposée n'est pas achevée. Notre travail n'est donc pas comparable, à ce niveau, avec la rigueur des études sur le capital santé ou sur l'univers hospitalier, par exemple, qui se nourrissent respectivement de la maturation des théories du capital humain ou des incitations. La poursuite de l'analyse des conventions de santé nécessite alors, plus peut-être que toute autre étude, le développement et l'évaluation du point de vue « conventionaliste » dans l'allocation des ressources. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Akerlof G., Yellen J., 1988, Fairness and unemployment, American Economic Review, Papers and Proceedings, 78, 2, mai, 44-49. Akerlof G., Yellen J., 1990, The fair wage-effort hypothesis and unemployment, Quarterly Journal of Economics, mai. 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