THÉRAPEUTIQUES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Audrey Pechu Service de court séjour gériatrique, Hôpital Général, Villefranche-surSaône Mots clés : albuminémie, nutrition, personne âgée Examens complémentaires La dénutrition est bien connue en gériatrie mais souvent sous-estimée lors d’une hospitalisation si elle est évaluée seulement sur l’aspect physique de la personne âgée et son poids, lorsqu’il est disponible. On estime actuellement qu’elle peut atteindre et même dépasser 50 % à l’entrée à l’hôpital, l’hospitalisation étant à elle seule facteur de risque de dénutrition, aggravé par les pathologies en cours qui l’ont motivée, qu’elles soient aiguës ou chroniques. La nutrition est un des facteurs majeurs de préservation de l’état fonctionnel du sujet âgé : les nombreuses conséquences de la dénutrition sont responsables d’une altération de l’état général et d’une perte progressive de l’autonomie. Le dépistage et la prise en charge de la dénutrition chez la personne âgée est donc indispensable lors de l’hospitalisation et fait partie intégrante du traitement. Pour cela, il est important d’avoir des marqueurs fiables (sensibles et spécifiques) et facilement accessibles. Le dosage de l’albumine sérique, disponible en moins de 24 heures, en est un. Dosage de l'albumine sérique Un marqueur de l’état nutritionnel DOI : 10.1684/med.2010.0544 de la personne âgée Rappelons que les besoins nutritionnels ne diminuent pas avec l’âge [1, 2] et sont augmentés lors d’une hospitalisation. Les deux grands groupes étiologiques de la dénutrition sont représentés par la carence d’apports et l’hypercatabolisme. La découverte d’une dénutrition doit faire mettre en place une surveillance plus rapprochée des apports alimentaires, caloriques et protéiques, une prise en charge diététique spécifique pour adapter les apports au patient concerné (goût, texture, temps du repas, fractionnement des apports, ajout de compléments protéino-énergétiques, nécessité d’une aide, etc.) [3]. La figure 1 schématise les principales conséquences de la « spirale de la dénutrition ». prélèvement. Son dosage est donc également nécessaire pour surveiller l’efficacité des mesures de renutrition ou pour dépister une dénutrition aiguë. Notre étude avait pour objectif de comparer plusieurs marqueurs de la dénutrition pour essayer de trouver celui qui était capable de dépister au mieux la dénutrition, avec le moins possible de faux négatifs, permettant ainsi une meilleure prise en charge d’un maximum de patients dénutris. L’albumine sérique reflète l’état nutritionnel sur les 2 mois précédents de façon objective et fiable, en dehors du syndrome néphrotique, des entéropathies exsudatives et de l’insuffisance hépatocellulaire sévère qui induisent une hypoalbuminémie, avec cependant les mêmes conséquences qu’une dénutrition. La préalbumine reflète l’état nutritionnel au moment du Tous les patients hospitalisés dans le service de Court Séjour Gériatrique de l’Hôpital Général de Villefranchesur-Saône entre le 1er mars 2005 et le 30 juin 2006 ont bénéficié d’un dépistage de la dénutrition par dosage du taux d’albumine sérique. Parallèlement, différents paramètres ont été observés : le poids, l’indice de masse corporelle et le taux de protéines sériques. 156 MÉDECINE avril 2010 Méthode THÉRAPEUTIQUES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Examens complémentaires Figure 1. La spirale de la dénutrition de la personne âgée. Le calcul du Mini-nutritional Assessment (MNA) 1 effectué initialement a été abandonné au vu des résultats variables d’un jour à l’autre à l’interrogatoire d’un même patient (soit par des troubles cognitifs, soit par négligence de l’alimentation par le patient, soit par l’incapacité du patient à répondre de façon précise aux questions) et des discordances à l’interrogatoire du patient et du conjoint (ou de l’aide à domicile). Le poids antérieur n’a pu être recueilli que lorsque le patient avait déjà été hospitalisé dans l’unité auparavant. Les patients présentant un syndrome néphrotique, une insuffisance hépatocellulaire sévère ou une entéropathie exsudative devaient être exclus (aucun des patients hospitalisés ne présentait une de ces pathologies). Les différents paramètres mesurés l’ont été de la façon suivante : – poids sur une chaise pèse-personne étalonnée ; – taille soit donnée par le patient s’il la connaissait ou par mesure de la hauteur talon-genou ; – calcul de l’Indice de Masse Corporelle (IMC) à l’aide d’une calculatrice ; – dosage des protéines sériques et de l’albumine sérique sur le même prélèvement, le lendemain de l’admission du patient dans le service. Les cas pour lesquels nous avons un comparatif antérieur sont les patients qui ont été hospitalisés dans le service à plusieurs reprises et dont les mesures et prélèvements ont été réalisés dans les mêmes conditions et sont donc comparables. Aucun des patients n’a pu donner son poids antérieur de façon précise et aucun poids n’a été retrouvé dans les dossiers ou les courriers antérieurs (en dehors des patients déjà hospitalisés dans le service de court séjour gériatrique). 1. Cette évaluation clinique se fait à l’aide d’une grille de 18 items à cotation variable dont le score maximum est égal à 30. Au-dessus de 24, l’état nutritionnel est considéré comme satisfaisant ; il y a risque de malnutrition entre 17 et 23,5 points, et mauvais état nutritionnel au-dessous de 17. Les patients ont été classés en 4 groupes principaux 2 : – pas de dénutrition : albumine supérieure ou égale à 35 g/L ; – dénutrition modérée : albumine entre 30 et 35 g/L ; – dénutrition sévère : albumine entre 25 et 30 g/L ; – dénutrition grave : albumine inférieure à 25 g/L avec deux sous-groupes : grave réversible : (entre 20 et 25 g/L) et grave irréversible au-dessous de 20 g/L. Les taux d’albumine ont ensuite été comparés avec l’IMC et le taux de protéines. La comparaison avec la perte de poids n’a pu être effectuée que pour un très petit nombre de patients en raison des difficultés à connaître le poids antérieur, ce qui rend les données obtenues difficiles à exploiter. Dans la littérature gériatrique, il n’y a pas dénutrition si l’IMC supérieur ou égal à 21, dénutrition modérée entre 21 et 19, dénutrition sévère et grave si l’IMC est inférieur à 19. Les chiffres retenus pour la comparaison avec le taux de protéines sériques sont les normes du laboratoire (normal entre 66 et 87 g/L, hypoprotidémie au-dessous de 66 g/L). Résultats Les 200 patients inclus avaient une moyenne d’âge de 83 ans (sex ratio de 1 homme pour 3 femmes). – La moitié (52 %) des patients avaient un poids compris entre 50 et 70 kg (répartition des poids figure 2), 21 % un poids inférieur à 50 kg et 27 % un poids supérieur à 70 kg. – Selon l’IMC, 30 % des patients étaient dénutris (IMC < 21), 22 % si l’on prend comme limite l’IMC à 20, norme Anaes. Le taux de protéines est très variable mais seuls 28 % des patients avaient un taux inférieur à 66 g/L. 2. Ces normes, retenues par la plupart des acteurs de santé, diffèrent de celles de l’Anaes pour laquelle le seuil de dénutrition est à 30 g/L. MÉDECINE avril 2010 157 THÉRAPEUTIQUES Examens complémentaires Société française de Biologie, la Société française de Gériatrie et repris dans pratiquement toutes les études sur l’état nutritionnel, on constate un taux de dénutrition chez le patient âgé hospitalisé en court séjour gériatrique de 86,5 %. Les différents résultats sont regroupés dans la figure 3 et le tableau 1. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Figure 2. Répartition des poids. – Lorsque l’on considère le taux d’albumine sérique, les chiffres sont très différents et on obtient un taux de dénutrition sévère de 53,5 % à l’entrée dans le service (pour une albuminémie inférieure à 30 g/L : norme Anaes). Si l’on prend comme norme 35 g/L comme cela est recommandé par la Figure 3. Albuminémie. Tableau 1. Résultats du dosage de l’albuminémie pour l’évaluation de l’état nutritionnel. Selon l'Anaes Selon toutes les autres sources Albuminémie Pas de dénutrition Pas de dénutrition Supérieure à 35 g/L Nombre de patients Pourcentage 27 13,5 % Au total Anaes Autres 13,5 % 46,5 % Dénutrition modérée Entre 30 et 35 g/L 66 33 % Dénutrition sévère Entre 25 et 30 g/L 68 34 % Entre 20 et 25 g/L 33 16,5 % Inférieure à 20 g/L 6 3% 86,5 % Dénutrition 53,5 % Dénutrition grave Discussion L'albuminémie n'est pas spécifique de l'état nutritionnel Elle en est un bon reflet si on l’interprète en fonction des pathologies présentées pouvant être responsables d’une hypoalbuminémie (citées plus haut) ou d’une augmentation de l’albuminémie pouvant faire croire à un bon état nutritionnel dans un contexte de dénutrition : déshydratation. Le syndrome inflammatoire entraîne une diminution de l’albuminémie qu’il faut prendre en charge comme une dénutrition : le risque est accru du fait de l’hypercatabolisme engendré et de la possibilité d’une réelle dénutrition sous-jacente. L’Anaes a adopté le taux de 30 g/L pour la dénutrition alors que tous les autres acteurs de santé considèrent qu’un patient est dénutri en dessous de 35 g/L [1]. Dans notre étude, cela correspond à une différence de 33 % de patients, que l’on peut considérer comme présentant une dénutrition modérée et nécessitant une prise en charge curative et préventive, mais qui sont « laissés de côté » par les normes Anaes. 158 MÉDECINE avril 2010 On remarque par ailleurs que dans le service, à l’admission, plus de 80 % des patients présentent une dénutrition, dont plus de 50 % à un stade sévère. Le dépistage de la dénutrition est donc indispensable lors de l’hospitalisation de tout patient âgé de plus de 70 ans pour permettre une prise en charge rapide ou des mesures préventives. Cette prise en charge précoce permettra de diminuer les complications liées à la dénutrition et ainsi préservera plus longtemps l’autonomie et raccourcira les durées de séjour. Le taux de protéines est très variable selon les pathologies Il est peu spécifique et peu sensible pour évaluer l’état nutritionnel. Si on le compare à l’albuminémie (dans l’étude, aucun patient ne présentait des pathologies susceptibles d’entraîner une diminution de l’albuminémie en dehors d’une dénutrition), on constate que de nombreux patients dénutris ont un taux de protéines normal voire élevé (figure 4). Le taux de faux négatifs est de 85 % : ces patients ne seront pas pris en charge si le bilan ne comporte pas de dosage d’albumine. On ne peut pas comparer les chiffres correspondant à un taux normal d’albumine car l’étude n’a pas pris en compte les facteurs pouvant induire une augmentation du taux d’albumine. THÉRAPEUTIQUES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Examens complémentaires Figure 4. Comparaison du taux d’albumine et du taux de protéines. Quant à l'IMC, on sait qu'il existe des « obèses dénutris » En gériatrie, il existe également des « maigres bien nourris ». L’IMC est un bon marqueur et il est indispensable de le calculer dans le bilan nutritionnel pour adapter la prise en charge ultérieure. Cependant, il n’est pas suffisant pour évaluer l’état nutritionnel. La comparaison avec l’albuminémie retrouve un taux de faux négatifs de 88 %, qui échapperont donc à toute prise en charge (figure 5). On constate également un taux élevé de faux positifs (12,5 %), qu’il faut interpréter de façon prudente car l’étude n’a pas pris en compte les causes d’élévation du taux d’albumine pouvant masquer une dénutrition. Le critère de perte de poids donne des résultats ininterprétables Le nombre de patient pour lesquels nous avons eu un poids de référence est trop peu important (9 patients). Cependant, 4 patients ont pris du poids, sans œdème clinique, tout en présentant une diminution nette du taux d’albumine. Figure 5. Comparaison du taux d’albumine et de l’indice de masse corporelle. Le taux de patients dénutris à l'admission est donc considérable Cela nécessite un dépistage systématique pour adapter la prise en charge préventive ou curative ultérieure ainsi que le suivi. Pour cela, les résultats montrent que la mesure du poids et de la taille sont indispensables pour calculer l’IMC, bon point d’appel mais insuffisant. Il doit être impérativement complété par le dosage de l’albumine sérique pour dépister le plus possible de patients dénutris, y compris à un stade précoce, encore réversible. Conclusion Toute hospitalisation chez le sujet âgé est un facteur de risque de dénutrition, en dehors de tous les autres facteurs MÉDECINE avril 2010 159 THÉRAPEUTIQUES Examens complémentaires de risque intrinsèques et extrinsèques surajoutés. Il est donc indispensable d’évaluer l’état nutritionnel du patient de plus de 70 ans à l’entrée dans un service de court séjour, quelle qu’en soit la spécialité. Pour cela, il existe des marqueurs simples tels que le poids et l’IMC, indispensables dans le bilan de l’état nutritionnel, mais qui ont de de nombreux faux négatifs et donc ne suffisent pas pour évaluer précisément l’état nutritionnel du sujet âgé de plus de 70 ans. Il en est de même du taux de protéines sériques, trop influencé par les pathologies en cours pour éliminer une dénutrition lorsqu’il est normal. Il est nécessaire de doser l’albumine sérique pour avoir un reflet plus juste de l’état nutritionnel (en tenant compte d’un éventuel syndrome néphrotique, des entéropathies exsudatives et de l’insuffisance hépatocellulaire sévère) et ainsi pouvoir mettre en place plus précocement des mesures préventives et curatives de la dénutrition, à un stade où elle peut être encore réversible. La prise en charge de la dénutrition de façon curative ou préventive selon les besoins de chaque patient permettra de préserver plus longtemps l’autonomie, de diminuer les complications liées à la dénutrition ainsi que les durées de séjour. Références : Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. 1. Collège National des Enseignants de Gériatrie. Corpus de Gériatrie 2000. Nutrition du sujet âgé. T1 (pp 51-68). http://www.chups.jussieu.fr/polys/geriatrie/tome1/index.html 2. Debray M. Troubles nutritionnels du sujet âgé (61). Octobre 2004. http://www-sante.ujf-grenoble.fr/SANTE/corpus/disciplines/geria/sdgeria/61/lecon61.html 3. Conseil National de l’Alimentation – Avis no 53 : avis sur les besoins alimentaires des personnes âgées et leurs contraintes spécifiques. En résumé, dosage de l'albumine sérique chez la personne âgée h Les marqueurs non biologiques constituent un moyen d’alerte mais ne sont pas toujours le reflet exact de l’état nutritionnel du patient et ne sont donc pas suffisants pour le dépistage. h L’hospitalisation d’une personne âgée est un facteur de risque de dénutrition par le stress engendré et l’hypercatabolisme lié aux pathologies aiguës ou décompensation des pathologies chroniques. h Il est indispensable, en cas d’hospitalisation d’une personne âgée, d’évaluer son état nutritionnel à l’entrée, en contrôlant le taux d’albumine sérique pour pouvoir mettre en place rapidement des moyens curatifs ou préventifs, ainsi que le taux de pré-albumine pour le suivi ultérieur. 160 MÉDECINE avril 2010