Dosage de l`albumine sérique. Un marqueur de l`état nutritionnel de

DOI : 10.1684/med.2010.0544
THÉRAPEUTIQUES
Audrey Pechu
Service de court
séjour gériatrique,
Hôpital Général,
Villefranche-sur-
Saône
Mots clés :
albuminémie,
nutrition, personne
âgée
Examens complémentaires
La dénutrition est bien connue en gériatrie mais souvent sous-estimée lors d’une hos-
pitalisation si elle est évaluée seulement sur l’aspect physique de la personne âgée et
son poids, lorsqu’il est disponible. On estime actuellement qu’elle peut atteindre et
même dépasser 50 % à l’entrée à l’hôpital, l’hospitalisation étant à elle seule facteur
de risque de dénutrition, aggravé par les pathologies en cours qui l’ont motivée, qu’el-
les soient aiguës ou chroniques. La nutrition est un des facteurs majeurs de préser-
vation de l’état fonctionnel du sujet âgé : les nombreuses conséquences de la dénutri-
tion sont responsables d’une altération de l’état général et d’une perte progressive de
l’autonomie. Le dépistage et la prise en charge de la dénutrition chez la personne âgée
est donc indispensable lors de l’hospitalisation et fait partie intégrante du traitement.
Pour cela, il est important d’avoir des marqueurs fiables (sensibles et spécifiques) et
facilement accessibles. Le dosage de l’albumine sérique, disponible en moins de
24 heures, en est un.
Dosage de l'albumine
sérique
Un marqueur de l’état nutritionnel
de la personne âgée
Rappelons que les besoins nutritionnels ne diminuent
pas avec l’âge [1, 2] et sont augmentés lors d’une
hospitalisation. Les deux grands groupes étiologiques
de la dénutrition sont représentés par la carence d’ap-
ports et l’hypercatabolisme. La découverte d’une dé-
nutrition doit faire mettre en place une surveillance
plus rapprochée des apports alimentaires, caloriques
et protéiques, une prise en charge diététique spécifi-
que pour adapter les apports au patient concerné
(goût, texture, temps du repas, fractionnement des
apports, ajout de compléments protéino-énergéti-
ques, nécessité d’une aide, etc.) [3]. La figure 1 sché-
matise les principales conséquences de la « spirale de
la dénutrition ».
L’albumine sérique reflète l’état nutritionnel sur les
2 mois précédents de façon objective et fiable, en de-
hors du syndrome néphrotique, des entéropathies
exsudatives et de l’insuffisance hépatocellulaire sé-
vère qui induisent une hypoalbuminémie, avec cepen-
dant les mêmes conséquences qu’une dénutrition. La
préalbumine reflète l’état nutritionnel au moment du
prélèvement. Son dosage est donc également néces-
saire pour surveiller l’efficacité des mesures de renu-
trition ou pour dépister une dénutrition aiguë.
Notre étude avait pour objectif de comparer plusieurs
marqueurs de la dénutrition pour essayer de trouver
celui qui était capable de dépister au mieux la dénu-
trition, avec le moins possible de faux négatifs, per-
mettant ainsi une meilleure prise en charge d’un maxi-
mum de patients dénutris.
Méthode
Tous les patients hospitalisés dans le service de Court
Séjour Gériatrique de l’Hôpital Général de Villefranche-
sur-Saône entre le 1er mars 2005 et le 30 juin 2006 ont
bénéficié d’un dépistage de la dénutrition par dosage
du taux d’albumine sérique. Parallèlement, différents
paramètres ont été observés : le poids, l’indice de
masse corporelle et le taux de protéines sériques.
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Figure 1. La spirale de la dénutrition de la personne âgée.
Le calcul du Mini-nutritional Assessment (MNA)1effectué ini-
tialement a été abandonné au vu des résultats variables d’un
jour à l’autre à l’interrogatoire d’un même patient (soit par
des troubles cognitifs, soit par négligence de l’alimentation
par le patient, soit par l’incapacité du patient à répondre de
façon précise aux questions) et des discordances à l’interro-
gatoire du patient et du conjoint (ou de l’aide à domicile).
Le poids antérieur n’a pu être recueilli que lorsque le patient
avait déjà été hospitalisé dans l’unité auparavant.
Les patients présentant un syndrome néphrotique, une in-
suffisance hépatocellulaire sévère ou une entéropathie exsu-
dative devaient être exclus (aucun des patients hospitalisés
ne présentait une de ces pathologies).
Les différents paramètres mesurés l’ont été de la façon sui-
vante :
poids sur une chaise pèse-personne étalonnée ;
taille soit donnée par le patient s’il la connaissait ou par
mesure de la hauteur talon-genou ;
calcul de l’Indice de Masse Corporelle (IMC) à l’aide d’une
calculatrice ;
dosage des protéines sériques et de l’albumine sérique sur
le même prélèvement, le lendemain de l’admission du pa-
tient dans le service.
Les cas pour lesquels nous avons un comparatif antérieur
sont les patients qui ont été hospitalisés dans le service à
plusieurs reprises et dont les mesures et prélèvements ont
été réalisés dans les mêmes conditions et sont donc compa-
rables. Aucun des patients n’a pu donner son poids anté-
rieur de façon précise et aucun poids n’a été retrouvé dans
les dossiers ou les courriers antérieurs (en dehors des pa-
tients déjà hospitalisés dans le service de court séjour gé-
riatrique).
Les patients ont été classés en 4 groupes principaux2:
pas de dénutrition : albumine supérieure ou égale à 35 g/L ;
dénutrition modérée : albumine entre 30 et 35 g/L ;
dénutrition sévère : albumine entre 25 et 30 g/L ;
dénutrition grave : albumine inférieure à 25 g/L avec deux
sous-groupes : grave réversible : (entre 20 et 25 g/L) et grave
irréversible au-dessous de 20 g/L.
Les taux d’albumine ont ensuite été comparés avec l’IMC et
le taux de protéines. La comparaison avec la perte de poids
n’a pu être effectuée que pour un très petit nombre de pa-
tients en raison des difficultés à connaître le poids antérieur,
ce qui rend les données obtenues difficiles à exploiter. Dans
la littérature gériatrique, il n’y a pas dénutrition si l’IMC su-
périeur ou égal à 21, dénutrition modérée entre 21 et 19,
dénutrition sévère et grave si l’IMC est inférieur à 19. Les
chiffres retenus pour la comparaison avec le taux de protéi-
nes sériques sont les normes du laboratoire (normal entre
66 et 87 g/L, hypoprotidémie au-dessous de 66 g/L).
Résultats
Les 200 patients inclus avaient une moyenne d’âge de 83 ans
(sex ratio de 1 homme pour 3 femmes).
La moitié (52 %) des patients avaient un poids compris
entre 50 et 70 kg (répartition des poids figure 2), 21 % un
poids inférieur à 50 kg et 27 % un poids supérieur à 70 kg.
Selon l’IMC, 30 % des patients étaient dénutris (IMC < 21),
22 % si l’on prend comme limite l’IMC à 20, norme Anaes.
Le taux de protéines est très variable mais seuls 28 % des
patients avaient un taux inférieur à 66 g/L.
1. Cette évaluation clinique se fait à l’aide d’une grille de 18 items à cotation
variable dont le score maximum est égal à 30. Au-dessus de 24, l’état nutri-
tionnel est considéré comme satisfaisant ; il y a risque de malnutrition entre
17 et 23,5 points, et mauvais état nutritionnel au-dessous de 17.
2. Ces normes, retenues par la plupart des acteurs de santé, diffèrent de
celles de l’Anaes pour laquelle le seuil de dénutrition est à 30 g/L.
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Figure 2. Répartition des poids.
Lorsque l’on considère le taux d’albumine sérique, les chif-
fres sont très différents et on obtient un taux de dénutrition
sévère de 53,5 % à l’entrée dans le service (pour une albu-
minémie inférieure à 30 g/L : norme Anaes). Si l’on prend
comme norme 35 g/L comme cela est recommandé par la
Société française de Biologie, la Société française de Géria-
trie et repris dans pratiquement toutes les études sur l’état
nutritionnel, on constate un taux de dénutrition chez le pa-
tient âgé hospitalisé en court séjour gériatrique de 86,5 %.
Les différents résultats sont regroupés dans la figure 3 et le
tableau 1.
Figure 3. Albuminémie.
Tableau 1. Résultats du dosage de l’albuminémie pour l’évaluation de l’état nutritionnel.
Selon
l'Anaes
Selon toutes les
autres sources Albuminémie Nombre
de patients
Pourcen-
tage
Au total
Anaes Autres
Pas de
dénutrition
Pas de dénutrition Supérieure à 35 g/L 27 13,5 % 46,5 % 13,5 %
Dénutrition modérée Entre 30 et 35 g/L 66 33 %
86,5 %
Dénutrition
Dénutrition sévère Entre 25 et 30 g/L 68 34 %
53,5 %
Dénutrition grave Entre 20 et 25 g/L 33 16,5 %
Inférieure à 20 g/L 6 3 %
Discussion
L'albuminémie n'est pas spécifique de l'état
nutritionnel
Elle en est un bon reflet si on l’interprète en fonction des
pathologies présentées pouvant être responsables d’une
hypoalbuminémie (citées plus haut) ou d’une augmentation
de l’albuminémie pouvant faire croire à un bon état nutrition-
nel dans un contexte de dénutrition : déshydratation. Le syn-
drome inflammatoire entraîne une diminution de l’albuminé-
mie qu’il faut prendre en charge comme une dénutrition : le
risque est accru du fait de l’hypercatabolisme engendré et
de la possibilité d’une réelle dénutrition sous-jacente.
L’Anaes a adopté le taux de 30 g/L pour la dénutrition alors
que tous les autres acteurs de santé considèrent qu’un pa-
tient est dénutri en dessous de 35 g/L [1]. Dans notre étude,
cela correspond à une différence de 33 % de patients, que
l’on peut considérer comme présentant une dénutrition mo-
dérée et nécessitant une prise en charge curative et pré-
ventive, mais qui sont « laissés de côté » par les normes
Anaes.
On remarque par ailleurs que dans le service, à l’admission,
plus de 80 % des patients présentent une dénutrition, dont
plus de 50 % à un stade sévère. Le dépistage de la dénutri-
tion est donc indispensable lors de l’hospitalisation de tout
patient âgé de plus de 70 ans pour permettre une prise en
charge rapide ou des mesures préventives. Cette prise en
charge précoce permettra de diminuer les complications
liées à la dénutrition et ainsi préservera plus longtemps l’au-
tonomie et raccourcira les durées de séjour.
Le taux de protéines est très variable
selon les pathologies
Il est peu spécifique et peu sensible pour évaluer l’état nutri-
tionnel. Si on le compare à l’albuminémie (dans l’étude, aucun
patient ne présentait des pathologies susceptibles d’entraî-
ner une diminution de l’albuminémie en dehors d’une dénutri-
tion), on constate que de nombreux patients dénutris ont un
taux de protéines normal voire élevé (figure 4).Le taux de
faux négatifs est de 85 % : ces patients ne seront pas pris en
charge si le bilan ne comporte pas de dosage d’albumine. On
ne peut pas comparer les chiffres correspondant à un taux
normal d’albumine car l’étude n’a pas pris en compte les fac-
teurs pouvant induire une augmentation du taux d’albumine.
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Figure 4. Comparaison du taux d’albumine et du taux de protéines.
Quant à l'IMC, on sait qu'il existe des «obèses
dénutris »
En gériatrie, il existe également des « maigres bien nourris ».
L’IMC est un bon marqueur et il est indispensable de le cal-
culer dans le bilan nutritionnel pour adapter la prise en charge
ultérieure. Cependant, il n’est pas suffisant pour évaluer l’état
nutritionnel. La comparaison avec l’albuminémie retrouve un
taux de faux négatifs de 88 %, qui échapperont donc à toute
prise en charge (figure 5). On constate également un taux
élevé de faux positifs (12,5 %), qu’il faut interpréter de fa-
çon prudente car l’étude n’a pas pris en compte les causes
d’élévation du taux d’albumine pouvant masquer une dénu-
trition.
Le critère de perte de poids
donne des résultats ininterprétables
Le nombre de patient pour lesquels nous avons eu un poids
de référence est trop peu important (9 patients). Cependant,
4 patients ont pris du poids, sans œdème clinique, tout en
présentant une diminution nette du taux d’albumine.
Figure 5. Comparaison du taux d’albumine et de l’indice de masse
corporelle.
Le taux de patients dénutris à l'admission
est donc considérable
Cela nécessite un dépistage systématique pour adapter la
prise en charge préventive ou curative ultérieure ainsi que le
suivi. Pour cela, les résultats montrent que la mesure du
poids et de la taille sont indispensables pour calculer l’IMC,
bon point d’appel mais insuffisant. Il doit être impérativement
complété par le dosage de l’albumine sérique pour dépister
le plus possible de patients dénutris, y compris à un stade
précoce, encore réversible.
Conclusion
Toute hospitalisation chez le sujet âgé est un facteur de ris-
que de dénutrition, en dehors de tous les autres facteurs
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de risque intrinsèques et extrinsèques surajoutés. Il est
donc indispensable d’évaluer l’état nutritionnel du patient de
plus de 70 ans à l’entrée dans un service de court séjour,
quelle qu’en soit la spécialité. Pour cela, il existe des mar-
queurs simples tels que le poids et l’IMC, indispensables
dans le bilan de l’état nutritionnel, mais qui ont de de nom-
breux faux négatifs et donc ne suffisent pas pour évaluer
précisément l’état nutritionnel du sujet âgé de plus de
70 ans. Il en est de même du taux de protéines sériques,
trop influencé par les pathologies en cours pour éliminer une
dénutrition lorsqu’il est normal. Il est nécessaire de doser
l’albumine sérique pour avoir un reflet plus juste de l’état
nutritionnel (en tenant compte d’un éventuel syndrome né-
phrotique, des entéropathies exsudatives et de l’insuffi-
sance hépatocellulaire sévère) et ainsi pouvoir mettre en
place plus précocement des mesures préventives et cura-
tives de la dénutrition, à un stade où elle peut être encore
réversible. La prise en charge de la dénutrition de façon cu-
rative ou préventive selon les besoins de chaque patient per-
mettra de préserver plus longtemps l’autonomie, de dimi-
nuer les complications liées à la dénutrition ainsi que les
durées de séjour.
Références :
1. Collège National des Enseignants de Gériatrie. Corpus de Gériatrie 2000. Nutrition du sujet âgé. T1 (pp 51-68). http://www.chups.jussieu.fr/polys/geriatrie/tome1/index.html
2. Debray M. Troubles nutritionnels du sujet âgé (61). Octobre 2004. http://www-sante.ujf-grenoble.fr/SANTE/corpus/disciplines/geria/sdgeria/61/lecon61.html
3. Conseil National de l’Alimentation – Avis no53 : avis sur les besoins alimentaires des personnes âgées et leurs contraintes spécifiques.
En résumé, dosage de l'albumine sérique chez la personne âgée
hLes marqueurs non biologiques constituent un moyen d’alerte mais ne sont pas toujours le reflet exact de l’état nutritionnel
du patient et ne sont donc pas suffisants pour le dépistage.
hL’hospitalisation d’une personne âgée est un facteur de risque de dénutrition par le stress engendré et l’hypercatabolisme
lié aux pathologies aiguës ou décompensation des pathologies chroniques.
hIl est indispensable, en cas d’hospitalisation d’une personne âgée, d’évaluer son état nutritionnel à l’entrée, en contrôlant
le taux d’albumine sérique pour pouvoir mettre en place rapidement des moyens curatifs ou préventifs, ainsi que le taux
de pré-albumine pour le suivi ultérieur.
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