Polycopié du Collège national universitaire de psychiatrie Auteurs : Professeur Ch. AUSSILLOUX - Président Professeur M. FERRERI - Vice-Président Professeur J. TIGNOL - Vice-Président Professeur M.C. HARDY-BAYLE - Secrétaire Générale Professeur L. SCHMITT - Trésorier Secrétariat des questions de psychiatrie assuré par les Professeurs Florence THIBAUT et Michel LEJOYEUX. L'ensemble des universitaires de psychiatrie, regroupés au sein du C.N.U.P., a entrepris la rédaction des questions relevant de sa discipline et figurant au programme de l'Examen Classant National (B.O. n°31 du 30 août 2001) Chacune des questions a été rédigée par un ou plusieurs universitaires de psychiatrie. Elles ont été relues et validées par le Collège des Psychiatres. Ces questions n'ont cependant pas de valeur opposable pour les examens et les concours. Les grilles rédigées à l'occasion des examens et concours le sont à l'initiative et sous la responsabilité des membres des jurys concernés. Elles ne reprendront pas nécessairement l'ensemble des points figurant dans les questions figurant ci-joint. Ces documents seront, de plus, commentés et actualisés par chacun des responsables d'enseignement de la psychiatrie de votre Faculté. Nous vous en souhaitons une bonne lecture. PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 1 : Apprentissage de l'exercice médical Objectif 1 : La relation médecin-malade. L'annonce d'une maladie grave Objectif 9 : Hospitalisation à la demande d'un tiers et hospitalisation d'office Objectif 13 : Organisation des systèmes de soins. Filières et réseaux Module 2 : De la conception à la naissance Objectif 19 : Troubles psychiques de la grossesse et du post-partum Module 3 : Maturation et vulnérabilité Objectif 40 : Sexualité normale et ses troubles Objectif 41 : Troubles anxieux et troubles de l'adaptation Objectif 42 : Troubles du comportement alimentaire de l'adulte Objectif 43 : Troubles du sommeil de l'adulte Objectif 44 : Risque suicidaire de l'adulte : identification et prise en charge Objectif 45 : Addictions et conduites dopantes : épidémiologie, prévention, dépistage. Morbidité, comorbidité et complications. Prise en charge, traitement substitutif et sevrage : alcool, tabac, psychoactifs et substances illicites Objectif 46 : Précarité Objectif 47 : Bases psychopathologiques de la psychologie médicale Objectif 48 : Les grands courants de la pensée psychiatrique Module 4 : Handicap - Incapacité - Dépendance Objectif 52 : Le handicap mental. Tutelle, curatelle, sauvegarde de justice Module 5 : Vieillissement Objectif 63 : Confusion, dépression, démences chez le sujet âgé (seule la question dépression est traitée en psychiatrie) Module 6 : Douleurs, soins palliatifs, accompagnement Objectif 70 : Deuil normal et pathologique Module 10 : Cancérologie - Oncohématologie Objectif 142 : Prise en charge et accompagnement d'un malade cancéreux à tous les stades de sa maladie. Problèmes psychologiques. Module 11 : Synthèse clinique et thérapeutique. De la plainte du patient à la décision thérapeutique. Urgences Objectif 168 : Effet placebo Objectif 177 : Prescription et surveillance des psychotropes Objectif 183 : Accueil d'un sujet victime de violences sexuelles Objectif 184 : Agitation et délires aigus Objectif 189 : Conduites suicidaires chez l'adulte (voir module 3, Objectif 44) Objectif 191 : Crise d'angoisse aiguë et attaque de panique DEUXIEME PARTIE : MALADIE ET GRANDS SYNDROMES Objectif 266 : Névrose Objectif 278 : Psychoses et délires chroniques [1. La schizophrénie - 2. Les délires chroniques non schizophréniques] Objectif 285 : Troubles de l'humeur Objectif 286 : Troubles de la personnalité Objectif 289 : Trouble psychosomatique PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 1 – Apprentissage de l’exercice médical Question 1 La relation médecin-malade. L’annonce d’une maladie grave Rédaction : M. ESCANDE LA RELATION MÉDECIN-MALADE La relation thérapeutique médecin-malade est déterminée par de nombreux facteurs, individuels et socio-culturels. De même que le malade réagit à sa maladie en fonction de sa personnalité propre, le médecin réagit face à son malade par un certain nombre d’attitudes conscientes et inconscientes qui dépendent de sa personnalité et de son histoire, et qui sont susceptibles d’infléchir le cours de la relation thérapeutique. 1. Les particularités psychiques et psychosociales du médecin . Le choix individuel de la profession Il s’explicite par des motivations conscientes sous-tendues par des mobiles plus inconscients. Ainsi les désirs de voir, comprendre, savoir, toucher, pouvoir sont sous tendus par le couple pulsionnel voyeur-exhibitionniste plus inconscient. Les désirs conscients de soulager, se rendre utile, réparer, gagner de l’argent sont sous tendus par l’attrait de la réparation des tendances agressives et sadiques. . Les attentes de la société Elles peuvent influer sur le choix de la profession. Elles concernent : le savoir technique, l’altruisme, l’universalité du pouvoir, le désintéressement, la neutralité affective, morale, juridique voire politique et religieuse. Ces attentes réelles ou imaginaires peuvent confronter le médecin à des conflits internes. 2. Les caractéristiques générales de la relation médecin-malade . Les données classiques Avec ses symptômes, un malade demande certainement au médecin-technicien de le guérir de sa maladie, mais il demande aussi d’autres choses. L’Homme malade demande soutien, réassurance, sécurité et affection ; il demande donc à son médecin une véritable relation affective et une disponibilité, compatibles avec l’exigence de neutralité qui incombe au médecin. 1 Le médecin réagit devant son malade non seulement comme un technicien averti des maladies, mais aussi comme personne ayant une histoire propre, plus ou moins sensible à la souffrance de l’autre. Ainsi la relation médecin-patient a les caractéristiques suivantes : - c’est une relation fondamentalement fondée sur l’inégalité et l’asymétrie, puisque la demande du patient le rend passif et dépendant et puisque sa souffrance le mobilise et le diminue. - c’est une relation d’attente et d’espérance mutuelle : le malade attend la guérison ou au moins le soulagement, le soignant la reconnaissance de son pouvoir réparateur - c’est une relation où le lieu d’échange est avant tout le corps mais où la parole a sa place - c’est une relation de confiance non égalitaire, impliquant la distance et l’aseptie. . L’apport du modèle psychanalytique La théorie psychanalytique a défini le concept de transfert. Il s’agit des réactions affectives conscientes et inconscientes qu’éprouve le patient à l’égard de son médecin. En effet, dans le cadre de la relation médecin-malade des désirs inconscients sont actualisés et un certain nombre de désirs insatisfaits du patient vont se projeter sur la personne du médecin en ce qu’il représente – inconsciemment – un autre personnage. Le malade peut ainsi répéter des situations conflictuelles qu’il a vécu dans son passé. La théorie psychanalytique a aussi défini le concept de contre-transfert alors que le malade est sujet au transfert, le contre-transfert se définit comme les réactions affectives conscientes et inconscientes qu’éprouve le médecin vis à vis de son patient. Ce contre-transfert et très directement lié à la personnalité et à l’histoire personnelle du médecin. Le plus souvent, le contre-transfert est positif, permettant une relation médecin-malade de qualité caractérisée par l’empathie du médecin et une action thérapeutique efficace. Une relation médecin-malade de qualité fait référence au fait que le médecin s’identifie au patient et comprend sa situation tout en étant capable de garder une certaine distance vis à vis de lui, distance requise par l’objectivité nécessaire à la prise de décisions thérapeutiques. Un contre-transfert excessivement positif risque de conduire à une identification massive au malade et/ou à une perte d’objectivité dans les soins. Ailleurs, un contre transfert négatif induisant l’agressivité et des frustrations excessives du malade peut être à l’origine d’échecs de la relation thérapeutique. Il en est de même pour une absence de contre-transfert qui peut conduire à une froideur excessive. 2 . L’apport des travaux de M. Balint M. Balint, psychanalyste hongrois, a développé une modalité originale d’approche de la relation médecin-malade. Ces travaux sont issus de quelques constatations : 1. il existe un certain nombre d’insuffisances de la médecine traditionnelle, qui étudie plus les maladies que les malades. 2. Un tiers de l’activité professionnelle d’un médecin généraliste ne relève que d’une action psychothérapeutique et 3. que la relation médecin-malade s’organise entre 2 pôles extrêmes de domination et de soumission auxquels correspondent le pouvoir du médecin et la fragilité du malade. Pour Balint, le médecin est un remède en soi, même si son action est médiatisée par un médicament. Ainsi, une meilleure maîtrise de la relation inter-individuelle doit permettre au médecin d’établir avec son patient un échange affectif qui aura des vertus curatives. C’est l’objectif des « Groupes Balint » consacrés à l’approche en groupe des diverses problématiques relationnelles médecin-malade. . Les données récentes La relation médecin-patient est actuellement en pleine mutation. Mettant en avant les droits de l’individu, notre société souhaite faire évoluer la relation médecin-patient d’un modèle « paternaliste » vers un modèle d’ « autonomie ». Cette évolution se traduit notamment dans les nouvelles obligations liées à l’information et au consentement éclairé du patient concernant les soins ainsi qu'à la communication du dossier médical au patient. Ainsi, le médecin risque d’avoir une marge de manœuvre relativement faible entre ses obligations éthiques et déontologiques anciennes d’une part et ces nouvelles modalités de fonctionnement d’autre part. D’une façon un peu schématique, la situation pourrait être ainsi résumée : le médecin devra trouver un juste milieu entre deux pôles extrêmes. Le premier pôle est une relation dite « paternaliste » trop inégalitaire, trop peu concertée, respectant insuffisamment l’individu qui est peu informé des traitements. Le second rôle correspond à une relation dite d’ « autonomie ». Dans cette relation, le médecin, désinvestissant son rôle et son statut de médecin, se déresponsabiliserait de toute décision pour le patient : le patient, censé être capable de prendre les meilleures décisions pour lui-même (dans les domaines aussi difficiles que sa maladie ou sa mort par exemple), serait quant à lui renvoyé à des décisions imprenables, car le mettant dans une position ingérable en termes psychologiques et risquant de conduire au fait qu’il ne bénéficie pas des meilleurs traitements pour lui-même. En pratique, et pour respecter le patient sans se dédouaner de son rôle, le médecin se devra d’expliquer sa maladie au patient en adaptant son langage à celui du patient. La communication du dossier médical devra se faire, autant que possible, dans le respect de ces grands principes. 3 3. Quelques situations pratiques Quelques exemples particulièrement fréquents sont illustrés dans ce paragraphe . Attitudes face à l’angoisse L’attitude la plus adaptée est le plus souvent une attitude souple d’écoute bienveillante, centrée sur les préoccupations du malade, associée une attitude de ré-assurance et d’explication des symptômes. Certains médecins, au tempérament « actif » et « volontaire » préfèreront des attitudes plus directives, qui entretiennent l’image mythique du « médecinSauveur ». Elles sont sous-tendues par une tentative d’identification directe du malade au médecin : « Soyez fort comme moi ». Ce type d’attitude donne des résultats inconstants, parfois négatifs. . Attitudes face à l’agressivité : Les réactions agressives du médecin face à l’agressivité du patient sont fréquentes car certains médecins tolèrent mal les revendications agressives de leurs patients. Ces réactions agressives sont à éviter car elles entraînent souvent une escalade dans l’agressivité et une rupture de la relation thérapeutique. L’attitude la plus adaptée consiste, dans la mesure du possible à reconnaître et nommer l’émotion du patient, ne pas refuser le principe du dialogue mais sans chercher à discuter rationnellement. . Attitudes face à l’hypocondrie L’hypochondriaque confrontera le médecin à l’impuissance thérapeutique. Si le médecin l’accepte, il évitera toute surenchère de médicalisation qui pérenniserait les troubles voire les aggraverait. . Attitudes face à la séduction histrionique Ces patients, suggestibles, influençables, dépendants se moulent au corps médical avec une plasticité étonnante. Guérir pourrait alors signifier pou eux une rupture de ce lien affectif. Ce phénomène favorise l’engrenage des hospitalisations abusives, de la iatrogénie, des bénéfices secondaires. Le médecin doit avoir pour objectif de prévenir cet engrenage. 4 Pour en savoir plus : - BALINT M. " Le Médecin, son malade et la maladie " Trad. J.P. Valabrega, Petite collection Payot, Paris, 7ème éd. 1996 GUYOTAT J (éd) et collaborateurs. Psychothérapies Médicales, collection Médecine et Psychothérapie, Masson, Paris, 1978. Ph. JEAMMET et collaborateurs. Psychologie médicale, collection Abrégés Masson, Paris, 2ème éd. 1996 - 5 PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 1 : Apprentissage de l'exercice médical Question 9 - HOSPITALISATION A LA DEMANDE D'UN TIERS ET HOSPITALISATION D'OFFICE Rédaction commune : JP Lépine, S Arbabzadeh-Bouchez, N. Lafay, JL Senon Objectifs : · Argumenter les indications, les modalités d'application et les conséquences de ces procédures. Les modalités d’hospitalisation en milieu psychiatrique sont régies par la Loi du 27 Juin 1990. Il est important de retenir que cette loi est relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et a pour objectif de protéger les libertés individuelles. Cette loi précise donc les droits généraux des malades mentaux quel que soit le mode d’hospitalisation (hospitalisation libre, hospitalisation à la demande d’un tiers et hospitalisation d’office) instaurant un meilleur contrôle des conditions d’admission de ces patients en milieu spécialisé psychiatrique. Qu’il s’agisse d’une hospitalisation libre ou sous contrainte, les droits du patients demeurent intacts en ce qui concerne l’information sur la situation juridique et les droits, la communication avec les autorités, l’émission et la réception de courrier, consultation du règlement intérieur de l’établissement… Modes d’hospitalisation : 1.Hospitalisation libre : L’hospitalisation libre est le régime habituel d’hospitalisation dans les hôpitaux généraux publics. L’état de santé du patient justifie des soins en hospitalisation. Le malade est consentant aux soins, il signe lui même son admission à l’entrée à l'hôpital et donne l’autorisation éclairée de soins. Le consentement du malade est recevable car l’altération éventuelle de ses capacités mentales ne n’altère pas son libre arbitre. Il peut comprendre les soins proposés et l’information donnée sur sa maladie. Le médecin généraliste rédige éventuellement un certificat médical préconisant l’hospitalisation et présentant la pathologie du patient : c’est là une pratique confraternelle souhaitable mais qui n’est pas obligatoire pour une hospitalisation libre. Si le médecin estime que le malade court un risque, il demande au malade de signer une décharge avec une sortie contre avis médical ; si le malade refuse de signer sa sortie, ce refus est constaté par deux témoins qui peuvent appartenir au personnel soignant. 1 Toute personne hospitalisée, même en HL dispose des mêmes droits que ceux prévus par la loi du 27 juin 1990 et repris par l’article 3211-3 du Code de la santé publique. 2.Hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) L’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) s’applique quand le malade n’est pas consentant aux soins ou n’a pas les capacités pour consentir à ceux-ci. L’HDT est justifiée quand les troubles mentaux du patient rendent son consentement impossible et quand son état rend indispensables des soins immédiats avec surveillance en milieu hospitalier. Dans ce cas, un tiers signe la demande manuscrite d’admission. Le tiers peut être un membre de la famille, un proche ou personne agissant dans son intérêt (à l’exclusion des personnels soignants ou de direction de l’établissement hospitalier). Par contre l’assistante sociale peut être acceptée comme tiers. Dans le cas d’un mineur la procédure d’HDT n’a pas de support légal : il appartient au titulaire de l’autorité parentale de prendre la responsabilité de l’hospitalisation. 2.1. Quels sont les certificats nécessaires pour hospitaliser un patient en HDT ? Une hospitalisation à la demande d’un tiers impose la rédaction de plusieurs pièces administratives : - Demande émanant d’un tiers : il s’agit d’une demande manuscrite et signée d’une tierce personne, membre de la famille du patient ou personne agissant dans l’intérêt de celui-ci. Cette demande doit comprendre nom, prénom, âge, profession et domicile de la tierce personne demandant l’hospitalisation sous contrainte du patient ainsi que la nature de ces relations avec ce dernier. - Deux certificats médicaux : datant de moins de 15 jours, rédigés par des médecins thésés, non obligatoirement psychiatres et inscrits au Conseil de l’Ordre des médecins. Le premier certificat est rédigé par un médecin n’exerçant pas dans l’établissement hospitalier où le patient sera admis en HDT. Ce médecin ne peut être parent ou allié au 4ième degré avec le patient, la tierce personne demandant l’hospitalisation, le directeur de l’établissement d’accueil ou le deuxième médecin certificateur.Il décrit dans ce certificat les particularités de la maladie et la nécessité de traiter et de maintenir hospitalisé le patient. Exemple : Je soussigné, Docteur X, (Nom, Prénom), exerçant en tant que …à ….., certifie avoir examiné ce jour Mr/Mme Y. (âge, profession, adresse) et avoir constaté les éléments suivants : …(décrire les comportements et l’état mental du patient, les faits graves rapportés par l’entourage en précisant toujours qui les a exprimés, sans donner de diagnostic). Les troubles mentaux de Mr (Mme) Y. rendent impossible son consentement , son état impose des soins immédiats assortis 2 d’une surveillance constante en milieu hospitalier habilité en application de l’article L. 3212-1 du Code de Santé Publique. Fait à …., le…. Signature. NB :Le médecin a la possibilité de rajouter la phrase suivante à la fin de son certificat : « Je certifie par ailleurs n’être ni parent ni allié au 4ième degré inclusivement avec la personne hospitalisée et le tiers demandant l’hospitalisation ». Le second certificat médical doit être rédigé par un médecin thésé, inscrit au Conseil de l’Ordre des Médecins mais non obligatoirement psychiatre et qui peut être attaché à l’établissement qui accueille le patient. Il est à noter que les 2 médecins ne peuvent être parents ou alliés, au 4ième degré inclus, ni entre eux, ni des directeurs de l’établissement, ni du tiers demandeur, ni de la personne hospitalisée. A titre exceptionnel et uniquement en cas de péril imminent pour la santé du patient, le directeur de l’établissement qui reçoit le patient peut prononcer son admission au vu d’un seul certificat (Art. L. 3212-3). Les deux certificats constatent l’état mental du patient (sans nécessairement donner le diagnostic), précisent l’évolution de sa maladie en attestant que le consentement est impossible, qu’il y a nécessité de soins immédiats et d’une prise en charge en milieu hospitalier. 2.2. Quels sont les certificats nécessaires pour maintenir l’hospitalisation à la demande d’un tiers ? Chaque patient hospitalisé à la demande d’un tiers devra faire très régulièrement l’objet d’un certificat médical circonstancié justifiant son maintien sous ce mode d’hospitalisation : - Le certificat immédiat , dit « des 24 heures », rédigé par un médecin différent des 2 premiers, - Le certificat de quinzaine, rédigé dès le 12ième jour après l’admission sous ce mode ( - Les certificats mensuels, rédigés de mois en mois après la quinzaine. 2.3. Quelles sont les modalités de levée d’une hospitalisation à la demande d’un tiers ? Une fois le patient hospitalisé, la levée de l’HDT peut être obtenue de diverses façons : - soit par un membre de la famille (conjoint, ascendants, descendants majeurs) ou par la personne qui a signé la demande d’admission à moins qu’un parent jusqu’au 6ième degré inclus s’oppose à cette décision sans consultation du conseil de famille, 3 - soit après un certificat médical émanant d’un psychiatre exerçant dans l’établissement, soit automatiquement par non production des certificats de quinzaine ou des certificats mensuels, soit par décision judiciaire prononcée par le président de grande instance qui peut être saisi par le procureur de la République, le patient et toute personne lui portant intérêt. 3. Hospitalisation d’office (HO) L’hospitalisation d’office (HO) : concerne les malades mentaux compromettant l’ordre public et la sécurité des personnes. Il s’agit alors d’une mesure administrative prise par le préfet du département (préfet de police à Paris). Deux procédures sont possibles : ü dans la procédure courante le médecin rédige un certificat médical circonstancié et le préfet prononce, au vu de celuici, l’hospitalisation d’office. Un médecin de l’établissement ne peut pas être certificateur. (cf certificat HO) ü dans la procédure d’urgence, en cas de danger imminent, pour la sûreté des personnes, le médecin atteste de la dangerosité du patient et le maire peut alors prendre des mesures d’urgence. La loi du 4 mars 2002 subordonne l’hospitalisation d’office à trois conditions : l’existence d’un trouble mental, la nécessité de soins de ce trouble, et une atteinte grave à l'ordre public. Le maire de la commune et les commissaires de polices des grandes métropoles signent un arrêté provisoire sur lequel le préfet statue sous 24 heures. Faute de confirmation préfectorale, l’arrêté provisoire du maire ou du commissaire de police est caduque au bout de 48 heures. Un certificat immédiat est établi dans les 24 heures par le psychiatre de l’établissement hospitalier, constatant la pathologie et justifiant l’hospitalisation ; un certificat confirme la nécessité du placement tous les 15 jours. La sortie est prononcée après arrêté préfectoral abrogeant l’HO. Une forme particulière d’HO est celle qui découle d’un non lieu judiciaire après application de l’article 122-1 du Code pénal qui établit l’irresponsabilité pénale. Dans ce cas la sortie ne peut être prononcée par le préfet qu’après deux expertises indépendantes et convergentes. - la procédure courante (Art. L. 3213.1) nécessite un certificat médical circonstancié par un psychiatre n’exerçant pas dans l’établissement accueillant le patient. Au vu de ce certificat, le préfet de police à Paris et les préfets dans les départements prononcent par arrêté cette hospitalisation. - Toutefois, dans le cas d’un danger imminent pour la sûreté des personnes, (Art. L. 3213.2), l’hospitalisation d’office peut être décidée par les commissaires de police à Paris ou les maires dans les autres départements au vu d’un avis médical (et non pas un certificat). Dans ce cas, le préfet en 4 est informé dans les 24 heures et statue sans délai. Faute de décision préfectorale, ces mesures provisoires sont caduques au bout de 48 heures. 3.1. Quels sont les certificats nécessaires pour maintenir l’hospitalisation d’office ? Tout comme pour l’HDT, la production de certificats après examen du patient hospitalisé en HO est obligatoire. - Un certificat immédiat doit être établi dans les 24 heures par un psychiatre de l’établissement, - Un certificat dans la quinzaine puis les certificats mensuels, ces derniers devant être rédigés 1 mois après l’admission dans l’établissement. 3.2. Quelles sont les modalités de levée d’une hospitalisation d’office ? Une hospitalisation d’office peut être levée de différentes manières, par décision préfectorale: - soit par la production d’un certificat de demande de levée d’HO rédigé par un psychiatre et transmis dans les 24 heures au préfet qui doit statuer sans délai, - soit par décision judiciaire, comme dans le cas d’une levée d’HDT où le président de grande instance peut être saisi par le procureur de la République, le patient ou toute personne lui portant intérêt, - ou bien après expertise de 2 psychiatres n’appartenant pas à l’établissement et choisis par le représentant de l’état, établissant que le patient n’est ni dangereux pour lui-même ni pour autrui. 5 ANNEXES HL Demandeur HDT HDT Péril Imminent (L. 3212-3) Le malade lui- Un tiers Un tiers même Signature du Signature du Signature de formulaire par formulaire par la demande de le tiers le tiers soins HO Consentement du malade Libre choix de l’établissemen t et du praticien Certificat médical Présent Absent Absent Arrêté provisoire du maire ou du commissaire Arrêté préfectoral Absent Total Total Total non Simple certificat 2 certificats médicaux Un certificat médical Permissions Autorisées par le directeur après avis du médecin Un seul certificat médical confirmant le péril imminent Nécessité d’un certificat de situation transmis au préfet Certificat de 24 heures Certificats de quinzaine puis mensuels Limitées à celles rendues nécessaires au traitement Sur avis du médecin en l’absence des certificats réglementaires Sur demande du tiers ou des personnes mentionnés par l’art L. 339 Sur décision du préfet après avis de la commission départementale Sur décision du président du TGI Certificats médicaux obligatoires Libertés générales Sortie Nécessité d’un certificat de situation transmis au préfet Aucun Certificat de 24 heures Certificats de quinzaine puis mensuels Celles de tout Limitées à citoyen celles rendues nécessaires au traitement Sur avis du Sur avis du médecin médecin contre avis en l’absence médical des certificats réglementaires Sur demande du tiers ou des personnes mentionnés par l’art L. 339 Sur décision du préfet après avis de la commission départementale Sur décision du président du TGI Sur autorisation du préfet Certificat de 24 heures Certificat de quinzaine puis mensuels Limitées à celles rendues nécessaires au traitement par arrêté préfectoral en l’absence des certificats réglementaires Sur décision du préfet après avis de la commission départementale Après expertise de deux psychiatres Sur décision judiciaire Tableau 1 : réglementation comparée de l’hospitalisation du malade mental 6 DEMANDE D'HOSPITALISATION SUR DEMANDE D'UN TIERS (demande à remplir par le tiers) Je, soussigné, (nom, prénom et nom de jeune fille s'il y a lieu) Domicilié à né le à profession degré de parenté avec le malade nature des relations avec le malade demande l'admission en hospitalisation sur demande d'un tiers dans le service de psychiatrie de de M. né le à fils de et de (nom de jeune fille de la mère) domicilié à profession suivant le certificat médical délivré par M. à le Signature Pièce d'identité du malade : - Carte d'identité nationale * nationale * - Permis de conduire * - Passeport * * délivré(e) le à à N° N° Pièce d'identité du demandeur : Carte d'identité - Permis de conduire * - Passeport * * délivré(e) le 7 HOSPITALISATION SUR DEMANDE D'UN TIERS 1er certificat Médical : Médecin extérieur à l’établissement d’accueil et 2ème certificat Médecin : extérieur ou de l'établissement Je soussigné, Docteur certifie avoir examiné ce jour Mr ou Mme né(e) le domicilié(e) à et avoir constaté les troubles suivants : (décrire l’état mental du malade et son comportement, agitation, délire, idées de suicide... en insistant sur les éléments cliniques préoccupants qui permettent aussi d’apprécier les raisons de l’absence de consentement et l’urgence des soins appropriés ; il n’est pas obligatoire de mentionner le diagnostic) Ces troubles rendent impossible son consentement. Son état impose des soins immédiats et une surveillance constante en milieu hospitalier. En conséquence, ceci justifie son hospitalisation sur demande d'un tiers dans un établissement mentionné aux articles L.331 du code de la santé publique en vertu de la loi du 27 Juin 1990. Date et signature : 8 HOSPITALISATION SUR DEMANDE D'UN TIERS (Péril imminent : article L. 3212-3) Certificat unique en cas d'urgence établi par un seul médecin Je soussigné, Docteur certifie avoir examiné ce jour Mr ou Mme né(e) le domicilié(e) et avoir constaté les troubles suivants : (décrire l’état mental du malade et son comportement, agitation, délire, idées de suicide... en insistant sur les éléments cliniques préoccupants qui permettent d’argumenter la notion de péril imminent et aussi d’apprécier les raisons de l’absence de consentement et l’extrême urgence des soins appropriés ; il n’est pas obligatoire de mentionner le diagnostic) Il existe un péril imminent pour la santé du malade. Ces troubles rendent impossible son consentement. Son état impose des soins immédiats et une surveillance constante en milieu hospitalier. En conséquence, ceci justifie son hospitalisation sur demande d'un tiers dans un établissement mentionné aux articles L.3222-1 du Code de la santé publique en vertu de la Loi du 27 Juin 1990 et conformément à l’article L.3212-3 du même code. Date et signature 9 HOSPITALISATION D'OFFICE (procédure normale) Certificat médical médecin extérieur Je soussigné, Docteur certifie avoir examiné ce jour Mr ou Mme né(e) le à domicilié(e) et avoir constaté que son comportement révèle des troubles mentaux manifestes suivants : (décrire l’état mental du malade et son comportement, agitation, violence, délire, idées de suicide... en insistant sur les éléments cliniques démontrant la dangerosité pour le malade et ses proches en rappelant l’absence de consentement et l’urgence des soins appropriés ; il n’est pas obligatoire de mentionner le diagnostic) Ce comportement compromet gravement l'ordre public et la sûreté des personnes. Son état justifie son hospitalisation d'office dans un établissement spécialisé habilité à soigner les personnes atteintes de troubles mentaux, en application de l'article L.32221 du code de la santé publique modifié par le Loi du 27 Juin 1990. Date et signature 10 HOSPITALISATION D'OFFICE (procédure d'urgence) Certificat médical médecin extérieur Je soussigné Docteur certifie avoir examiné ce jour Mr ou Mme né(e) le à domicilié(e) et avoir constaté que son comportement révèle des troubles mentaux manifestes suivants : (décrire l’état mental du malade et son comportement, agitation, violence, délire, idées de suicide... en insistant sur les éléments cliniques démontrant la dangerosité pour le malade et ses proches en rappelant l’absence de consentement et l’urgence extrême des soins appropriés ; il n’est pas obligatoire de mentionner le diagnostic possible) et constitue par son sûreté des personnes. comportement un danger imminent pour la Son état justifie son hospitalisation d'office dans un établissement spécialisé habilité à soigner les personnes atteintes de troubles mentaux, en application de l'article L.32131 du code de la santé publique modifié par la Loi du 27 Juin 1990. Date et signature 11 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 1 – Apprentissage de l’exercice médical Question 13 Organisation des systèmes de soins – filières et réseaux Rédaction : M.C.Hardy-Baylé Objectifs pédagogiques généraux Connaître dans son esprit et sa réalité l’organisation du système de soins propre à la psychiatrie Objectifs pédagogiques spécifiques Connaître l’organisation de la psychiatrie publique centrée sur le secteur Connaître les diverses structures de soins en psychiatrie, hospitalières et extra-hospitalières : rôle, fonctions, indications. Connaître le dispositif (hospitalier et extra-hospitalier) de prise en charge des urgences psychiatriques Les réseaux de santé 1. Les réseaux de santé dans les textes Les réseaux, dont la reconnaissance par voie légale a été tardive par rapport aux premières expériences de terrain, ont initialement été développés à l’initiative des professionnels soignants et ont concerné les pathologies dans lesquelles l’interdépendance d’acteurs différents était forte comme dans le suivi de patients présentant une pathologie sidéenne. Les centres anti-tuberculeux ou la politique de secteur en psychiatrie impliquant prévention, soins et réinsertion pour des pathologies au long cours ont été également considérés comme les précurseurs des actuels réseaux de santé. Avant que les textes ne viennent consacrer le terme de réseaux de santé, de nombreuses définitions ont été donnée aux réseaux, visant à répondre à la 1 diversité des expériences de coopération entreprises par les professionnels de terrain. Les textes viennent formaliser, sur la base de critères objectifs et harmonisés, les contours restés jusqu’alors très flous, de tout réseau de santé. Parallèlement, les principes généraux et les bases méthodologiques de l’évaluation des réseaux de santé ont été posés, le cadre réglementaire des réseaux de santé et leurs principales obligations ont été définis et, récemment l’ANAES a mis à la disposition des professionnels les outils concrets de l’évaluation de la pertinence et de l’efficience attendues des réseaux. L’article L. 6321-1 du Code de la santé publique précise les missions des réseaux de santé : « les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins. Ils peuvent participer à des actions de santé publique. Ils procèdent à des actions d’évaluation afin de garantir la qualité de leurs services et prestations ». En pratique, différents éléments de définition rendent les réseaux de santé spécifiques et superposables à aucune offre de santé existante. Ce texte, en formalisant les missions d’un réseau de santé, le distingue d’une part de toute offre de soins existant déjà (notamment, pour la psychiatrie, de l’offre publique du secteur psychiatrique) et d’autre part de toute forme de collaborations confraternelles classiques (du type, réseaux personnalisés et informels de correspondants habituels que possède tout médecin ou professionnel sanitaire ou social). Le texte présuppose que de tels réseaux sont nécessaires pour permettre d’améliorer l’offre de soins là où un acteur (ou une institution) pris isolément ne pourrait le faire. Des distinctions antérieures, il faut garder l’idée que deux types de démarches différentes, toutes deux impliquant des liens partenariaux entre divers professionnels, peuvent relever de cette définition « globale » d’un réseau de santé. Si, dans ces deux démarches, le partenariat est requis entre professionnels d’horizons différents, la nature et les objectifs du partenariat ne sont pas équivalents. La première démarche caractérise des réseaux plus orientés vers la prise en charge de pathologies spécifiques, s’appuyant sur des protocoles de soins pour lesquels un consensus existe. Dans cette perspective, la dynamique du réseau repose sur l’acceptation des partenaires de s’inscrire dans le protocole de soins 2 ou le protocole organisant les liens entre les partenaires intervenant dans le prise en charge du patient. Ces réseaux que l’ont peut nommer « réseau de prises en charge spécifiques » visent à répondre à un problème de santé publique pour lequel des protocoles de soins existent ou seront rapidement élaborés. Ces protocoles permettent d’organiser la place et les missions de chacun des intervenants dans la trajectoire de soins des patients. La démarche repose sur une prise en charge selon un protocole médical et organisationnel défini, appliqué par les différents professionnels en charge du patient pour une pathologie spécifique. Ce type de réseau peut être schématisé sur le mode d’une réponse apportée aux différents acteurs à un problème repéré de santé publique. L’évaluation de ce type de réseau repose pour l’essentiel sur des données liées à la file active ( nombre de patients pris en charge dans le réseau, difficultés rencontrées dans l’application du protocole (sortie des patients du protocole, situations d’urgence ….) et sur l’élaboration et les évolutions du ou des protocoles de soins pour les patients présentant la pathologie « cible » du réseau. L’autre démarche caractérise les réseaux de coordination, (précédemment nommés réseaux secondaires) qui posent le partenariat comme seul susceptible de répondre à des questions de nature organisationnelle voire de soins auquel aucun consensus préalable (protocoles de soins ou protocoles organisant la place et la mission de chaque acteur de santé) ne permet de répondre. Comme certains auteurs le soulignent, une telle coordination large, collective, telle qu’un réseau secondaire ou de coordination la propose, s’impose « quand le niveau d’interdépendance est élevé entre les acteurs. Elle est particulièrement bien adaptée à des situations où les problèmes de santé sont multiples ou complexes, aux contours flous dont l’évolution dans le temps et dans l’espace est incertaine. Les problèmes chroniques qui menacent l’autonomie des personnes fragiles correspondent bien souvent à un tel niveau de complexité ». Ces réseaux sont véritablement des réseaux de santé dans la mesure notamment où ils intègrent, dans cette complexité, les dimensions de prévention, de soin et d’insertion et de ce fait impliquent des acteurs n’appartenant pas au seul domaine sanitaire. Dans cette définition extensive du réseau de santé, la psychiatrie peut trouver une place particulièrement adaptée à ces besoins. En effet, plus que dans toute autre discipline, la psychiatrie est requise dans des champs d’une diversité telle que les contours de son champ deviennent flous et l’interdépendance des acteurs y intervenant très élevée. 2. Réseau de santé et psychiatrie 3 Comme le stipule l’article D.766-1-2 du code de la santé publique, « les réseaux de santé répondent à un besoin de santé de la population, dans une aire géographique définie, prenant en compte l’environnement sanitaire et social. En fonction de leur objet, les réseaux mettent en œuvre des actions de prévention, d’éducation, de soin et de suivi sanitaire et social ». Ces objectifs, faut-il le rappeler, sont ceux que s’étaient fixés les promoteurs de la politique de secteur en psychiatrie dans les années 60-70. Cependant, le paysage de l’offre de soins en psychiatrie s’est largement modifié depuis les années 70 et le secteur public n’est plus le seul à assurer la prévention, l’éducation, les soins et le suivi sanitaire et social des personnes de son secteur géographique présentant une souffrance psychique associée ou non à un trouble mental avéré. L’enjeu d’un réseau de santé en psychiatrie est de décloisonner les espaces de soins (dont les oppositions sont bien connues), que traverse le patient au cours de sa trajectoire de santé, en particulier les différentes modalités de fonctionnement des secteurs, de renforcer les liens « ville - hôpital » et de développer le partenariat entre le champ sanitaire et le champ social. Il est essentiel de voir dans le développement des réseaux de santé une opportunité de renouer avec une tradition de partenariat où les missions et les spécificités de chacun sont posées dans le partage et où les dispositifs mis en œuvre sont pensés et appliqués en partenariat. La valeur ajoutée d’une coordination tient essentiellement à la possibilité de mêler savoir académique et savoirs liés à l’expérience d’une grande diversité d’acteurs (psychiatres hospitaliers et libéraux, médecins généralistes, psychologues hospitaliers et libéraux, personnels paramédicaux pour le seul champ sanitaire) pour apporter les réponses les plus pertinentes, en l’état des connaissances actuelles, à chaque situation clinique rencontrée et d’orienter le patient vers le professionnel le plus adapté à son état. A titre d’exemple, le 1er réseau de santé mentale ayant obtenu un financement par le FAQSV et la DRDR a été le Réseau de Promotion pour la santé mentale dans les Yvelines Sud, réseau de coordination de l’ensemble des acteurs du territoire du Sud Yvelines. L’objectif de ce type de réseau est double : organisationnel et médical. Dans un premier temps, il s’est attaché à améliorer l’accès au soin, la continuité des prises en charge, en réponse à des dysfonctionnements réels repérés dans la trajectoire de soins des patients, par la confrontation des connaissances et des attendus de chacun des métiers concernés dans l’accès aux soins et le suivi des patients. Un tel réseau impose un partenariat dès la définition des problématiques relevées « sur le terrain » et repose sur le postulat que la conception et la mise en œuvre de dispositifs 4 innovants de réponse aux dysfonctionnements repérés ne peut procéder que d’un partage de connaissances. Cependant, lorsque la formalisation des liens entre les différents acteurs aux différentes étapes de la trajectoire de santé des patients a été posée, il s’avère que lorsque les questions d’organisation sont résolues, il reste des vraies questions qui touchent à la pratique clinique et à ce que l’on pourrait appeler les « points aveugles » des théories du fait psychique ou les « impensés » de la clinique, que l’exercice professionnel impose pourtant de penser. Tant que ces questions ne sont pas traitées, l’amélioration des pratiques de soins et donc de la prise en charge des patients n’est pas satisfaisante, même si des dysfonctionnements réels (facilité et délais d’accès au spécialiste, organisation de la réponse aux situations d’urgence…) sont résolus. Ces question cliniques qui se posent alors sont nombreuses : pourquoi proposer et sur quels critères décider d’une hospitalisation ? Pour quels bénéfices attendus ? Quels sont les objectifs de soins que l’on peut se fixer à ce moment de l’évolution pour ce patient là ? Quels leviers de changement psychique peut-on mettre à sa disposition ? Quelles connaissances des autres modalités thérapeutiques possède chaque praticien pour juger de celle qui est finalement retenue ? La liste est longue des questions que pose la clinique et auxquelles les « savoirs académiques » n’apportent pas de réponse et face auxquelles, sans conteste, les professionnels de la psychiatrie répondent les uns et les autres de manière différente. Le cloisonnement entre professionnels d’exercice et de compétences diversifiés en santé mentale ne permet souvent pas que ces questions soient abordées entre professionnels institutionnels et libéraux, généralistes et spécialistes, médecins ou psychologues. En permettant d’améliorer l’organisation des soins, de travailler sur la place de chaque professionnel dans la prise en charge des patients, en créant un espace de confiance, de débat entre professionnels à partir de prises en charge communes de patients, le réseau permet de déplacer la question du plan organisationnel à celui des pratiques professionnelles. Ce débat est particulièrement difficile, intéressant et nécessaire en santé mentale, domaine dans lequel il n’existe pas de protocoles de soins, susceptibles de répondre aux questions cliniques posées. C’est pourquoi le réseau permet un travail essentiel, fondamental pour la discipline et la qualité réelle de la prise en charge. 3. Le financement des réseaux Si la Loi permet d’intégrer une grande diversité de réseaux, et répond au fait que la mise en œuvre et la conception même d’une organisation en réseau peut se poser de façons différentes selon les disciplines médicales concernées, selon l’existence ou non de protocoles ou de référentiels de soins, selon la place de la prévention et de l’insertion, selon le nombre et la diversité des acteurs 5 concernés, les obligations de tout réseau ont été plus précisément décrites par les organismes en charge de financer ce type de dispositif. Parmi ces enveloppes financières destinées au développement des réseaux, le fonds d’aide à la qualité des soins de ville (FAQSV), créé ( Article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale 98-1144 du 23-12-1998 pour 1999 modifié par les articles 25, 27 et 39 de la loi de financement pour 2002) au sein de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés « participe à l’amélioration de la qualité et de la coordination des soins dispensés en ville et contribue au financement d’actions concourant notamment à l’amélioration des pratiques professionnelles et à leur évaluation, à la mise en place et au développement de formes coordonnées de prise en charge et notamment des réseaux de soins liant des professionnels de santé exerçant en ville à des établissements de santé ». L’article 36 de la Loi de financement de la sécurité sociale 2001-1246 du 21/12/2001 pour 2002 crée la Dotation des Développements des Réseaux, sous la double responsabilité, au niveau régional, du directeur de l’Agence Régionale de l’Hospitalisation et du directeur de l’Union Régionale des caisses d’assurance maladie. Cette double responsabilité témoigne du souci de coordonner l’offre de soins de ville et hospitalière. Il est stipulé dans cet article la nécessité pour prétendre au statut de réseau de santé de répondre à des conditions d’organisation, de fonctionnement et d’évaluation précis, fixés par décret. Tout réseau de santé doit par ailleurs se doter d’un statut juridique lui permettant de recevoir des fonds et d’une plate-forme administrative et financière pour en assurer la gestion. Les formes juridiques relèvent soit de groupements de coopération sanitaire (GCS), de groupements d’intérêt économiques (GIE), de groupements d’intérêt public (GIP) ou d’associations. 4. Les obligations des réseaux Tout réseau doit répondre à un certain nombre de contraintes pour prétendre à un financement, en particulier il devra préciser : a. la population concernée (pathologies et/ ou caractéristiques de la population) b. les thématiques du réseau : quelles sont les raisons qui ont présidé au lancement du projet ? ce projet répond-il à une priorité de santé ? quelle est la valeur ajoutée attendue du projet (en regard de l’offre existante) ? c. l’aire géographique : la notion de territoire de santé correspond bien au souci de voir s’élaborer une structure de coordination territoriale des acteurs de santé pour une meilleure organisation de l’offre de soins au sein du territoire choisi. La notion de « projet médical » de territoire 6 d. e. f. g. h. vient souligner l’importance de la compétence soignante dans l’élaboration de cette offre de soins. les objectifs « opérationnels » : nature des services rendus ? Actions mises en œuvre ? indicateurs de suivi de ces objectifs, des services et des actions. les acteurs concernés : présenter les acteurs qui participent effectivement à la mise en œuvre du réseau. les modalités de fonctionnement du réseau : les outils du réseau le permettent (charte, règlement intérieur, fiche d’information des patients, conventions, dossier médical commun, site web, protocoles de soins lorsqu’ils existent, protocoles organisationnels, tableau de suivi interne….) le parcours suivi par le patient tout au long de la prise en charge par le réseau. La constitution de ces cohortes de patients permet un « retour sur les décisions de soins », élément essentiel de la réflexion clinique nécessaire à l’amélioration de la qualité des soins. l’économie du projet (bilan financier). 5. L’évaluation dans le cadre des réseaux L’évaluation dans le cadre d’une organisation en réseau est un élément essentiel. Il s’agit en effet de pouvoir apporter la preuve, d’une part qu’un réel partenariat a été mis en place, d’autre part qu’une amélioration de l’offre de soins ou de l’offre de santé a été obtenue. Récemment l’ANAES a établi les critères d’évaluation que tout réseau de santé ou de soins se doit de respecter. Il est rappelé (Art D. 766-1-2 se référant à la dotation des réseaux) que « chaque réseau met en place une démarche d’amélioration de la qualité des pratiques, s’appuyant notamment sur des référentiels, des protocoles de prise en charge et des actions de formation destinées aux professionnels et intervenants du réseau, notamment bénévoles, avec l’objectif d’une prise en charge globale de la personne ». Les protocoles de soins sont un ensemble de règles à respecter, des codes conçus et des gestes à effectuer au cours de certains traitements. Les protocoles organisationnels sont « des documents formalisant les engagements des acteurs du réseau, l’organisation et les outils devant être utilisés par les membres du réseau lors de la prise en charge d’un patient ». Enfin, la notion de parcours du patient est définie comme « le chemin suivi par le patient tout au long de sa prise en charge par le réseau. La vocation d’un réseau de santé étant de redéfinir un parcours cohérent par rapport à la prise en charge traditionnelle, en offrant des services, en déterminant le bon professionnel de santé afin d’assurer la qualité, la continuité, la coordination et l’accès aux soins ». 7 Si, dans des réseaux de psychiatrie, le même souci d’évaluation est exigé, force est de constater que, compte tenu de la spécificité de cette discipline, la démarche d’évaluation nécessite d’être adaptée. Nous avons déjà évoqué l’absence de protocoles de soins ou même organisationnels établis. Il est donc essentiel de poser que les élaborer relève d’objectifs et non d’éléments préexistants au réseau et susceptibles de le structurer en l’appliquant à l’ensemble des acteurs. Il est ainsi essentiel de distinguer différents niveaux d’évaluation. Un premier niveau d’évaluation, qui ne pose pas de réelle difficulté, est celui du fonctionnement institutionnel du réseau, qui tend à montrer que le réseau existe et vit. Les critères sont essentiellement de nature quantitative : nombre de professionnels adhérents, nombre de réunions, nombre de participants aux réunions….. Un second niveau est celui de l’évaluation spécifique des actions. Certaines actions, dans un réseau de santé, se prêtent plus facilement que d’autres aux indicateurs habituels retenus par l’ANAES (nombre de patients inclus dans un protocole, suivi de sa trajectoire, en particulier, nombre de consultations et de contacts avec le système de soins et gestion des situations d’urgence, satisfaction du patient et nombre de professionnels inclus dans cette démarche…). Deux raisons peuvent expliquer cette difficulté. D’une part parce qu’à l’évidence, une même logique ne peut être appliquée à l’ensemble des actions. D’autre part par ce que se pose clairement la question de la distinction entre l’évaluation des organisations et l’évaluation des pratiques cliniques. Ainsi, l’évaluation d’actions dont l’objectif est l’aide aux aidants, c'est-à-dire toutes les actions que l’on peut appeler indirectes en les distinguant des actions directes impliquant la relation au patient reste aveugle dans cette approche. Concernant l’évaluation des pratiques cliniques, nous avons montré en quoi elle était particulièrement importante en psychiatrie, puisqu’il n’existe pas de protocoles de soins, et en quoi elle est rendue possible par un travail en réseau. Cette évaluation est la plus importante pour les professionnels du réseau. Elle ne peut apporter, à court terme, de critères dans l’évaluation proposée par la DRDR. Il est indispensable que son apport soit cependant reconnu à sa juste valeur et il y a là un chantier à ouvrir, dans lequel l’ANAES devra sans doute prendre part. Le guide d’évaluation des réseaux de santé écrit par l’ANAES indique que « les items portant plus spécifiquement sur l’évaluation des pratiques professionnelles sont volontairement peu développés, la démarche d’évaluation structurée des réseaux étant encore trop débutante. Ils devront néanmoins être intégrés à la démarche évaluative globale dans un second temps. La démarche d’évaluation est donc ici focalisée sur l’action du réseau en lui-même. » 8 Un troisième niveau d’évaluation est donc incontestablement celui de l’évaluation des pratiques cliniques qui doit faire l’objet d’un réel intérêt parce qu’il est au cœur des changements. Enfin un quatrième niveau est celui de la pertinence institutionnelle du réseau et qui implique de travailler sur les coûts globaux du réseaux (comptabilité analytique du réseau mais aussi analyse des dépenses consacrées à la psychiatrie sur le demi-département et de leur évolution) et de les mettre en regard avec les évolutions globales sur la zone géographique concernée. Ces évolutions sont perceptibles à travers de nombreux indicateurs de natures différentes (critères en population générale, position des collectivités territoriales, évolutions globales des files actives suivies en psychiatrie….), mais qui ne trouvent pas de place dans les évaluations anticipées par la DRDR. 6. Les réseaux : une révolution des rapports professionnels Un réseau de santé est un lieu de débat, où les professionnels travaillent sur des dysfonctionnement de l’offre de soin et proposent des solutions innovantes, en termes d’actions spécifiques, de formation ou de réajustement des relations entre professionnels. Cela demande une grande confiance entre acteurs de santé et apporte une connaissance de l’offre de soins et de ses potentialités qu’aucun autre lieu ne permet de la même façon. Ce point est essentiel. Sans pouvoir développer ici une analyse sociologique sur l’évolution des rapports au travail dans le cadre d’un réseau, il est important de comprendre que le travail en réseau est fondé sur la créativité des professionnels, sur une liberté nouvelle dans le travail autour d’un projet et sur la confiance entre les partenaires. Un réseau n’est pas seulement un nouveau dispositif de soin dans lesquels on demande aux soignants de prendre une place spécifique. Le réseau porte en lui de nouvelles valeurs. Aux maîtres mots du management des années 70-80, « encadrement », « planification », « évaluation quantifiée » viennent se substituer des notions comme « refus de la hiérarchie, de l’encadrement, de la planification », « multiplicité des contacts », « évolutivité », « rôle des leaders ». Le centre de l’action devient le projet, sa réalisation, son évaluation. Il s’agit d’une approche souple et changeante des rapports au travail, qui implique que l’ensemble des acteurs change de position. Penser le réseau comme l’application de protocoles serait passer à côté du véritable changement que permettent les réseaux, ce serait aussi sans doute enlever de la motivation aux professionnels du soin et ne pas donner les garanties de pérennité à la démarche. 9 1 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 2 – De la conception à la naissance Question 19 Troubles psychiques de la grossesse et du post-partum Rédaction : F. PINABEL, C. EPELBAUM, P. HARDY Objectifs : 1. Connaître les principales questions concernant le projet parental, la contraception et la demande de conseil avant une grossesse (y compris le conseil génétique) chez la femme souffrant d'un trouble psychiatrique. 2. Connaître les différents troubles psychiques de la grossesse et du post-partum. 3. Connaître les principaux facteurs étiopathogéniques de ces troubles, leurs modalités évolutives et leurs traitements. 4. Connaître les principaux aspects de la grossesse chez le sujet présentant un trouble psychiatrique : - effets de la grossesse sur les troubles mentaux, - traitements psychotropes et grossesse, - troubles mentaux et relations précoces mère-enfant. I. INTRODUCTION Etape essentielle du développement psycho-sexuel de la femme, la grossesse entraîne de profonds remaniements psycho-socio-biologiques. Chez la femme souffrant de troubles psychiques, elle peut parfois conduire à une atténuation de ces derniers. Mais elle peut aussi être l'occasion d'une apparition ou d'une exacerbation de tels troubles : qu'ils soient du registre thymique (dépression), anxieux/névrotique ou psychotique, ces troubles peuvent s'accompagner d'une réactivation de l'angoisse liée aux conflits que pose, dans l'histoire de chacun, la création d'un nouveau lien de filiation. Le terme de "maternalité" a été introduit par Racamier (psychiatre-psychanalyste) pour définir "l'ensemble des processus psycho-affectifs qui se développent et s'intègrent chez la femme à l'occasion de la maternité". On ne peut rendre compte du comportement maternel de la femme qu'en se référant : d'une part à l'environnement, aux traditions, au mode de vie de la société dans laquelle elle se déroule, d'autre part, aux problèmes spécifiques que rencontre chaque femme au cours de son développement psycho-affectif. - 2 - - Même si le retentissement psycho-pathologique du milieu de vie (événements, support social) dépend étroitement de l'histoire de chacun, l'état de grossesse accroît la sensibilité des femmes à ces facteurs psycho-sociaux, notamment : à l'attitude du conjoint à celui de l'entourage parental aux conditions socio-économiques. Le désir d'enfant et désir de grossesse ne se superposent pas toujours : Pour la majorité des femmes, le "je suis enceinte", expression d'un vécu narcissique s'associe rapidement au "j'attends un enfant", expression du désir de l'enfant associé à l'anticipation de sa naissance, de sa vie. Mais il est des cas où le désir de grossesse peut être qualifié de pathologique : quand l'état de grossesse n'est recherché que pour lui-même. La grossesse, état de complétude imaginaire et preuve de fertilité, est vécue comme une expérience valorisante, une tentative de résolution des conflits personnels. L'enfant vient là comme "le prix à payer". Cette situation où les deux désirs ne coïncident pas s'observe à l'extrême dans certains cas de grossesses répétées suivies d'I.V.G. ou d'abandons, de refus répétés de contraception associés au refus d'enfant. II. PROJET PARENTAL, DEMANDES DE CONSEIL, CONTRACEPTION ET PROCREATION CHEZ LA FEMME SOUFFRANT DE TROUBLES PSYCHIATRIQUES II.1. Le projet parental : Dans la grande majorité des cas, les couples au sein desquels la femme présente un trouble mental sont susceptibles de former un projet parental au même titre que les autres, même si la pathologie en cause peut imposer certaines contraintes, notamment en matière de risque évolutif du trouble et sur le plan des capacités de la mère à assumer son rôle maternel. Dans certains cas, cependant, le projet de grossesse apparaît directement lié à la pathologie mentale de la femme et ne s'intègre pas véritablement dans un projet parental. Ce peut être le désir d'une jeune fille instable, impulsive, présentant de fortes carences narcissiques (identité mal assurée) de trouver, à travers une grossesse et l'enfant à venir une solution à ses difficultés psychologiques : dans ce type de trouble de la personnalité, l'objectif non avoué est celui d'obtenir un "enfant médicament" susceptible d'apaiser le mal-être de la personne. Le projet de grossesse entre parfois dans le cadre d'un processus délirant : c'est le cas de délires messianiques conduisant la femme à vouloir "concevoir le sauveur du monde". Parfois la conception court-circuite tout projet de grossesse et a fortiori tout projet parental : c'est le cas lorsqu'elle survient dans le cadre de trouble des conduites avec activité 3 sexuelle impulsive liée à un trouble de la personnalité (personnalité antisociale, personnalité borderline) ou à un état d'excitation maniaque. Dans ces situations peut se poser la question de l'intervention médicale : conseil sur la procréation, sur la contraception, voire sur une interruption médicale de grossesse. II.2. Les demandes de conseil : Il arrive fréquemment que des femmes suivies pour un trouble psychiatrique interrogent leur médecin sur la possibilité d'avoir un enfant. Particulièrement cruciale pour les femmes souffrant de schizophrénie ou de maladie maniaco-dépressive, cette question ne peut être abordée que si la personne se reconnaît malade et dispose d'une information minimale sur sa pathologie. Cette condition est loin d'être toujours remplie, surtout dans le cas des femmes schizophrènes, en raison du déni ou du manque de reconnaissance des troubles qui caractérise bon nombre de ces patientes et du caractère socialement très stigmatisant que revêtent encore ces diagnostics. Malgré ces difficultés, la question est souvent abordée par le biais du risque de transmission de la maladie. La schizophrénie, comme la maladie maniaco-dépressive sont en effet des pathologies partiellement déterminées par des facteurs génétiques et donc susceptibles de se transmettre d'une génération à l'autre : lorsqu'existe une forte agrégation familiale du trouble ou, parfois même, lorsque n'existe qu'un seul parent atteint, certains patients, très affectés par une histoire familiale traumatisante (histoires de suicides, d'hospitalisations chroniques ou à répétition, de carences parentales, etc.), renoncent à toute descendance, parfois même sans avoir abordé la question avec un médecin, pour éviter de transmettre la "tare". De fait la question du risque génétique n'est pas le seul facteur à prendre en compte dans la réflexion qu'il convient de conduire avec le patient, homme ou femme : doivent également être évoqués avec le sujet l'impact de la maternité sur l'évolution du trouble et, inversement, la réduction de la capacité à assumer la fonction parentale que peut entraîner la maladie. II.2.1. Le risque génétique : Les études familiales ont permis d'établir les éléments suivants : Pour la schizophrénie (SZ) : Risque de SZ en population générale : 1% Risque de SZ en cas de proposant SZ : - Pour les apparentés du premier degré : 5-6 % - Pour les apparentés du deuxième degré : 3-4 % - Pour les apparentés du troisième degré : 2-3 % Pour la maladie maniaco-dépressive de type trouble bipolaire (TB) : Risque de TB en population générale : 1% Risque de TB ou unipolaire (dépression) en cas de proposant bipolaire : - Pour les apparentés du premier degré : 25-30 % 4 - Pour les apparentés du deuxième degré : 12-15 % - Pour les apparentés du troisième degré : 6-9 % Même si elles peuvent être affinées en tenant compte de l'arbre généalogique familial, de telles données ne sont qu'un élément indicatif pour le patient. Elles doivent être relativisées du fait que ces pathologies ne répondent pas à un mode de transmission autosomique dominant et que, en cas de transmission, la pénétrance est très variable (le descendant pouvant exprimer une forme sévère ou atténuée de la maladie, voire pas de maladie du tout). Dans ces conditions, les deux facteurs suivants sont particulièrement importants à évaluer. II.2.2. Impact de la maternité sur l'évolution du trouble : Même si la grossesse peut avoir un effet positif sur l'évolution de certains troubles psychiatriques, cela n'est pas toujours le cas, et l'on observe souvent une aggravation de la pathologie, notamment lors du post-partum. Un autre facteur à prendre en compte concerne la nécessité de limiter au maximum les risques iatrogènes, chez des patients qui souvent nécessitent un traitement au long cours (traitement neuroleptique chez les schizophrènes, traitement thymorégulateur chez les malades bipolaires). L'arrêt de ces traitements comporte un risque de rechute, variable selon les individus, qu'il importe de bien évaluer. II.2.3. Capacité à assumer la fonction parentale : Ce troisième point doit également être abordé dans les demandes de conseil. Pour l'enfant, plus que celui d'une transmission génétique de la maladie, le risque est souvent d'être placé dans des conditions de développement précaire, la pathologie maternelle pouvant être une source de carences affectives précoces dans les formes les plus sévères de schizophrénie, de trouble de l'humeur ou de trouble de la personnalité. II.3. La contraception : Dans certaines situations, la décision peut être celle d'un renoncement à la procréation. Se pose alors la question du mode de contraception le plus adapté. Lorsque l'instabilité de la patiente rend trop incertaine l'observance des traitement, il est possible de proposer une contraception progestative injectable à effet prolongé ou un stérilet plutôt que des contraceptifs oraux classiques. Une situation particulièrement délicate est celle des patientes qui ne disposent plus d'une réelle autonomie de jugement (psychoses infantiles ; débilité mentale, etc.) et qui, incapables d'assurer une contraception efficace, s'exposent de façon répétée au risque de grossesse par des conduites sexuelles incontrôlées. C'est pour ce type de patientes, souvent sous tutelle, que peut se poser la question d'une stérilisation forcée. De telles pratiques ont eu cours, notamment en Scandinavie dans l'immédiat après guerre et ont suscité depuis un fort mouvement de réprobation. 5 Interrogé sur le sujet, le Comité Consultatif National d'Ethique ou CCNE (http://www.ccne-ethique.org/) a estimé, dans son avis N°49 du 3 avril 1996 ("Avis sur la contraception chez les personnes handicapées mentales") "qu'une demande de stérilisation faite par des tiers pour une personne handicapée mentale, sans qu'ait été considérée auparavant la possibilité d'autres formes de contraception, n'est pas d'emblée recevable. Il paraît indispensable, avant que ne puisse être envisagée par des tiers la possibilité d'une intervention stérilisante contraceptive, que soient posées un certain nombre de conditions". Parmi ces multiples conditions, le CCNE met l'accent sur la nécessité d'"une forme de prise de décision collective avec des procédures extrêmement rigoureuses (et si nécessaire en cas de conflit, une possibilité de recours à la justice), de manière à offrir le maximum de garanties pour la défense des droits et intérêts des personnes incapables". II.4. La procréation et l'interruption de grossesse : Certaines femmes souffrant d'un trouble psychiatrique et connaissant des problèmes de conception peuvent demander à bénéficier d'une aide médicale à la procréation. Dans ce cas, c'est après avis spécialisé d'un psychiatre, et dans le cadre d'une décision collégiale que l'équipe concernée pourra prendre sa décision. En cas de grossesse non désirée, la femme peut demander la réalisation d'une interruption médicale de grossesse. L'existence d'un trouble psychiatrique sévère constitue un élément en faveur d'une telle décision, qui ne doit toutefois pas être considérée comme systématique. Le cas échéant, après expertise psychiatrique, une interruption de grossesse peut être réalisée au delà des délais légaux habituels. III. LES TROUBLES PSYCHIQUES PENDANT LA GROSSESSE III.1. Aspect cliniques : III.1.1. Les troubles psychopathologiques mineurs et les troubles anxieux : Les troubles psychopathologiques survenant pendant la grossesse sont le plus souvent mineurs et transitoires. Il peut s'agir : - d'une labilité émotionnelle, de courtes périodes de dysphorie ; - d'une irritabilité, de troubles des conduites alimentaires, à type d'envies ou de boulimie ; - d'une anxiété, fréquente, surtout au cours du premier trimestre ; elle concerne l'enfant à venir (peur qu'il naisse malformé ou mort), le déroulement de la grossesse et de l'accouchement, et les responsabilités futures (peur d'être une mère incompétente). Cette anxiété a tendance à s'atténuer au cours du second trimestre pour réapparaître dans les semaines qui précèdent l'accouchement. 6 - des vomissements et des nausées sont présents au cours du premier trimestre chez plus de la moitié des femmes. on note souvent que le besoin de dépendance est accru par rapport à l'entourage, ce qui entraîne parfois des conduites de régression. Rarement, un trouble anxieux caractérisé peut apparaître durant la grossesse : - Trouble phobique ou, surtout, - Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC) : chez la femme, ce trouble débute à l'occasion d'une grossesse dans 40 % des cas. III.1.2. Les dépressions gravidiques : Elles concerneraient environ 15 % des grossesses. Survenant dans 60 % des cas au cours du premier trimestre de la grossesse, elles associent : - une dysphorie - des crises de larmes - une asthénie - un sentiment d'incapacité et de dépréciation - une quête affective - des plaintes somatiques - des ruminations anxieuses peuvent prendre un caractère obsédant - des troubles du sommeil - des vomissements, parfois incoercibles Un environnement défavorable (mésentente conjugale, absence de couple stable, isolement affectif) et des antécédents personnels ou familiaux de dépression contribuent souvent à ces dépressions. III.1.3.Les épisodes psychotiques : Les épisodes psychotiques sont rares au cours de la grossesse, qui a plutôt un rôle protecteur vis-à-vis de ce type de pathologie. Les dépressions mélancoliques surviennent surtout au cours de la seconde partie de la grossesse : - elles ont parfois un aspect délirant (thème de culpabilité, d'indignité) ou confusionnel. - il existe un risque de suicide non négligeable. - l'évolution sous traitement se fait généralement vers la guérison dans les semaines qui suivent l'accouchement, mais des rechutes sont possibles. III.2. Traitement : 7 Les états dysphoriques et anxieux bénéficient d'une psychothérapie de soutien (écoute, information, dédramatisation), éventuellement d'une prise en charge spécifique de type psychothérapie cognitivo-comportementale. Le traitement en milieu hospitalier spécialisé est indiqué en cas de dépression délirante ou confuse ou d'idées suicidaires. Le traitement chimiothérapique : - Au cours du premier trimestre, la règle de prudence consiste à ne pas prescrire de psychotropes (risque tératogène de ces molécules). Si l'indication est absolue, elle doit se faire sous surveillance obstétricale rapprochée (échographie de dépistage des malformations connues pour les psychotropes utilisés). - Durant le second et le troisième trimestre, on utilisera préférentiellement, en cas de nécessité : . des benzodiazépines à doses modérées . des neuroleptiques de la classe des phénothiazines (Largactil®) ou Haldol ® . des antidépresseurs de la classe des imipraminiques (Anafranil®, Tofranil®, Laroxyl®). - Concernant les thymorégulateurs : . Le lithium est contre-indiqué au cours du 1er trimestre de la grossesse (effet tératogène sur le cœur et les gros vaisseaux, le plus souvent sous la forme d'un syndrome d'Ebstein), mais peut être utilisé après celui-ci sous surveillance médicale rapprochée en maintenant une lithiémie basse. . La carbamazépine (Tégrétol®) et les dérivés de l'acide valproïque (Dépamide®, Dépakote®) peuvent être utilisés en cas de nécessité avec une surveillance échographique au premier trimestre (risque d'anomalie de la fermeture du tube neural). - Dans les dépressions sévères, en particulier confuses, délirantes ou résistantes au traitement chimiothérapique, l'électro-convulsivo-thérapie (ECT ou sismothérapie) peut être proposée sans inconvénients (si ce n'est ceux liés à l'anesthésie). Surveillance à l'accouchement : Dans la mesure où tous les psychotropes passent la barrière hématoplacentaire, on doit prévoir l'accueil du nouveau-né en pédiatrie afin de réaliser une surveillance clinique adaptée aux risques inhérents au sevrage de la molécule consommée par la mère (Cf. tableau). 8 TABLEAU RÉCAPITULATIF al., 2000). Classe médicamenteuse DES RISQUES TÉRATOGÈNES ET DES RISQUES CHEZ LE NOUVEAU-NÉ LIÉS À LA PRISE DES PSYCHOTROPES Quelques molécules Risque (liste non tératogène exhaustive) (d'après Elefant & Risque chez le nouveau-né En pratique En début de grossesse : privilégier l'utilisation d'une BZD ancienne (Valium®, Seresta®…) En fin de grossesse : éviter les traitements prolongés, NE JAMAIS ARRÊTER BRUTALEMENT, de préférence Seresta® (demi-vie intermédiaire) Prévoir l'accueil du nouveau-né en pédiatrie, adapter la durée de la surveillance à la demi-vie d'élimination de la BZD (jusqu'à 10 à 15 jours) Tricycliques: Benzodiazépines (BZD) Demi-vie longue : Valium®, Tranxène®, Lysanxia®, Urbanyl®, Rivotril® Demi-vie intermédiaire: Seresta®, Xanax® Pas d'arguments cliniques solides en faveur d'un risque malformatif pour les molécules les plus anciennes (Valium®, Seresta®) Signes d'imprégnation : aiguë: apnée, hypothermie chronique: hypotonie axiale, troubles de succion donc mauvaise prise pondérale Signes de sevrage : De survenue tardive (en fonction de la demi-vie d'élimination), hyperexcitabilité et agitation. Antidépresseurs Tricycliques : Anafranil®, Laroxyl® ISRS : Prozac®, Deroxat®, Zoloft® IRSNA: Effexor®, Ixel® NASSA: Norset® Autres: Athymil®, Stablon®, Vivalan® Pas d'arguments cliniques solides en faveur d'un risque malformatif pour les molécules les plus anciennes (tricycliques) Tricycliques : risque de détresse respiratoire, syndrome atropinique : hyperexcitabilité, convulsions, distension abdominale ou vésicale, tachycardie, retard à l'émission du méconium ISRS : troubles du sommeil, agitation, hyperexcitabilité (retrouvés avec le Prozac®) NE PAS ARRÊTER BRUTALEMENT Prévoir l'accueil du nouveau-né en pédiatrie ISRS et autres antidépresseurs: Peu de données cliniques car la plupart des molécules sont d'utilisation récentes. Prozac® déconseillé en deuxième partie de grossesse car demi-vie très longue 9 Neuroleptiques (NL) ou antipsychotiques NL classiques : Haldol®, Largactil®, Loxapac®, Tercian®, Nozinan® Nouveaux NL (NL atypiques) : Risperdal®, Solian®, Leponex®, Zyprexa® Pas d'arguments cliniques solides en faveur d'un risque malformatif pour les molécules les plus anciennes (Haldol®, Largactil®) Neuroleptiques classiques: syndrome extrapyramidal: hypertonie, mouvements anormaux, opisthotonos signes atropiniques plus particulièrement digestifs avec risque d'iléus paralytique et de syndrome du petit colon gauche Neuroleptiques classiques: Préférer la monothérapie Ne pas utiliser de correcteurs Diminuer si possible les doses en fin de grossesse Prévoir l'accueil du nouveau-né en pédiatrie Nouveaux neuroleptiques: Pas de données disponibles actuellement 10 TABLEAU RÉCAPITULATIF DES RISQUES Elefant & al., 2000) (suite) Quelques Classe molécules médicamenteuse (liste non exhaustive) Thymorégulateur lithium : Teralithe®, Neurolithium® -------------------- Tégrétol® Dépamide® Dépakote® TÉRATOGÈNES ET DES RISQUES CHEZ LE NOUVEAU -NÉ LIÉS À LA PRISE DES PSYCHOTROPES Risque tératogène Risque chez le nouveauné Lithium: risque de malformations cardiaques notamment maladie d'Ebstein (discuté en terme de fréquence, 4 à 8 % ?) En cas de taux plasmatique maternel élevé : risque de cyanose, hypotonie, hypothermie et trouble du rythme. ----------------------------- -----------------------------------Tégrétol® : syndrome hémorragique néonatal, hypocalcémie Dépamide®, Dépakote® : thrombopénie, baisse du fibrinogène, diminution des facteurs de coagulation Tégrétol®,Dépamide®, Dépakote®: risque de d'anomalie de fermeture du tube neural (d'après En pratique En cas de grossesse débutée sous lithium : pas d'indication absolue à une IVG, mais surveillance echocardiographique fœtale vers 20-23 SA. Dans la mesure du possible : interrompre la lithothérapie jusqu'à J50, puis, en cas de nécessité de reprise : - maintenir une lithémie basse (contrôles lithémiques fréquents) en fractionnant les prises afin de limiter les pics lithémiques (sauf en cas d'utilisation de la forme LP). - dans la semaine qui précède l'accouchement : diminuer par 2 la posologie - chez le nouveau-né, dosage plasmatique du lithium, ECG, TSH ----------------------------------------------------------- Début de grossesse : surveillance échographique du tube neural de 12 SA à 22 SA - Fin de grossesse : vit K chez la mère le dernier mois. Tégrétol® : nouveau-né : examen neuro, bilan d'hemostase, NFS 11 IV. LES TROUBLES PSYCHIQUES DU POST-PARTUM Le risque d'admission en milieu psychiatrique est multiplié par 7 durant les 30 premiers jours du post-partum. IV.1. Le "Post-Partum Blues" ou "Baby Blues" (ou "syndrome du 3ème jour") Il survient chez plus de la moitié des accouchées, préférentiellement dans les premiers jours qui suivent l'accouchement, en général entre le 3ème et le 5ème jour. - Il est caractérisé par : une asthénie des plaintes somatiques des troubles du sommeil des crises de larmes une labilité émotionnelle une irritabilité la patiente présente des ruminations pessimistes concernant son rôle de mère (peur de ne pas savoir s'occuper de l'enfant) de discrets troubles de concentration et de mémoire sont habituels. On implique dans le post-partum blues : d'une part des facteurs organiques (effondrement des œstrogènes après l'accouchement), d'autre part des facteurs psychiques (accouchement vécu comme une séparation, une rupture, confrontation avec l'enfant réel et comparaison avec son image idéale imaginée au cours de la grossesse ). Le post-partum blues ne dure que quelques jours. Sa résolution généralement rapide et spontanée est favorisée par une attitude chaleureuse et maternante de l'entourage. En revanche, l'existence d'un post- 12 partum blues anormalement intense ou durable (plus d'une semaine) impose une consultation spécialisée, une évolution dépressive étant à craindre. IV.2. La dépression du post-partum : Elle survient dans les semaines qui suivent l'accouchement. Elle toucherait environ 15 % des accouchées. Elle survient après un intervalle libre de 2 à 8 semaines après l'accouchement, mais parfois dans les suites d'un "postpartum blues" qui se prolonge. - Les troubles sont caractérisés par : un abattement, des crises de larmes une irritabilité une asthénie physique et intellectuelle une anorexie des troubles du sommeil un sentiment d'incapacité (la mère se reproche de ne pas bien s'occuper de l'enfant ou de le faire sans plaisir). Ces symptômes s'accompagnent d'un handicap fonctionnel notable (difficultés dans les activités quotidiennes). La mère répète parfois les consultations pédiatriques pour toutes sortes de motifs (pleurs de l'enfant, difficultés alimentaires .... ). Elle peut présenter des phobies d'impulsion lorsqu'elle est seule avec l'enfant : crainte d'être poussée par une force intérieure irrésistible à lui faire du mal, l'étouffer, le défenestrer ... ). Ces obsessions entraînent une angoisse majeure chez la patiente qui cherche alors à éviter les contacts avec l'enfant et qui le confie à l'entourage. 13 Peu de femmes consultent un spécialiste pour ces troubles et 10 % seulement des dépressions du post-partum sont diagnostiquées et traitées : bien que l'évolution spontanée soit le plus souvent spontanément favorable en plusieurs semaines ou mois, il est important de les dépister et de les traiter précocement car une dépression de la mère qui se prolonge peut compromettre le développement adéquat des premières relations mère-enfant. Ce type d'épisode peut récidiver à l'occasion des grossesses suivantes. De plus, un premier épisode dépressif du post-partum peut être inaugural d'un trouble dépressif récurrent (jusqu'à 40 % pour certains auteurs). Le traitement repose sur une chimiothérapie antidépressive (en gardant à l'esprit le passage des psychotropes dans le lait en cas d'allaitement) et un soutien psychothérapique centré sur la relation mèreenfant. La prise en charge des formes les plus sévères peut être réalisée dans des unités mère-enfant spécialisées. IV.3. Les psychoses puerpérales : Leur incidence est estimée à 0.2 %. Dans la grande majorité des cas (80 %), des troubles de l'humeur (dépression, manie) sont au premier plan. Il s'agit alors, soit d'un épisode dysthymique émaillant le cours d'une schizophrénie, soit d'un trouble de l'humeur avec caractéristiques psychotiques. IV.3.1 Aspects Cliniques : Le post-partum est une période où le risque de décompensation psychiatrique est majeur. Le risque de décompensation chez les femmes qui présentent des antécédents psychiatriques est 25 fois plus important durant le premier mois après l'accouchement. Les psychoses délirantes aiguës : 14 Le début est brutal et survient dans les 3 premières semaines du post-partum. Il est parfois précédé de prodromes : - ruminations anxieuses - crises de larmes - cauchemars - agitation nocturne - insomnie Le tableau est labile et polymorphe, avec : - des oscillations de la vigilance : obnubilation, désorientation plus ou moins marquée, perplexité anxieuse, - une altération de la conscience de soi, - un onirisme (scènes oniriques), - des fluctuations thymiques (la malade passe rapidement du désespoir à l'exaltation), - un délire le plus souvent centré sur la naissance et la relation à l'enfant : négation du lien d'alliance (la patiente ne reconnaît pas le père) ; négation du lien de maternité (conviction que l'enfant n'est pas né, a été substitué ou est mort) ; la mère peut avoir le sentiment d'être sous des influences maléfiques, d'être droguée ou hypnotisée. D'emblée, il faut craindre un geste infanticide et/ou suicidaire, qui peut être de réalisation brutale, et hospitaliser la patiente, si possible dans un centre mère-enfant spécialisé dans l'abord de ces pathologies. Secondairement, l'évolution est en règle favorable sous traitement (chimiothérapie ou électrochocs, qui trouvent dans ces tableaux une de leurs meilleures indications). Des rechutes sur un mode thymique sont possibles à court terme. L'accès maniaque : La manie puerpérale est de début brutal et survient dans les deux semaines qui suivent l'accouchement : - l'agitation est intense. - les hallucinations et le délire sont fréquents : idée de toute puissance, d'influence, de mission divine. L'évolution se fait souvent vers une phase dépressive. 15 L'accès mélancolique : Il survient dans les semaines qui suivent l'accouchement. Il est caractérisé par : - une asthénie intense physique et intellectuelle - une insomnie - un amaigrissement - des plaintes somatiques - une anxiété importante Il peut s'agir également d'une mélancolie avec caractéristiques psychotiques dont les thèmes concernent le nourrisson : sentiment d'incapacité ou de culpabilité (la patiente a la conviction qu'elle ne sait pas soigner l'enfant, que ce dernier va mourir, qu'elle -même doit disparaître). Un geste suicidaire et/ou infanticide est à redouter (suicide altruiste). L'évolution sous traitement est habituellement favorable. IV.3.2. Aspects thérapeutiques : Une hospitalisation en milieu spécialisé s'impose du fait du risque de suicide et/ou d'infanticide. Le traitement comporte la prescription de neuroleptiques et d'antidépresseurs en cas de dépression. L'ECT est souvent plus rapidement efficace que la chimiothérapie quelle que soit l'allure de la psychose puerpérale. Certaines unités d'hospitalisation psychiatrique permettent une hospitalisation de la mère et de l'enfant. Les relations de la mère et de l'enfant doivent alors être aménagées. La reprise des contacts entre la mère et l'enfant et la participation de la mère aux soins de l'enfant se feront très progressivement. Le personnel soignant doit être formé à cette relation thérapeutique. La mère doit être prévenue du risque de récidive d'une psychose puerpérale en cas de nouvelle grossesse. 16 V. TROUBLES MENTAUX ET RELATIONS PRÉCOCES MÈRE-ENFANT (C. EPELBAUM) Les troubles psychiques survenant pendant ou juste après la grossesse influencent la qualité des interactions précoces mère-bébé. Or on sait que la nature de ces interactions infléchit de façon importante le développement psychique du bébé. C'est pourquoi, en dehors du repérage diagnostic et du traitement des troubles psychiques maternels, il semble essentiel de prendre aussi en charge ce que l'on appelle la " dyade " mère-bébé (entité constituée par la mère encore unie de façon extrêmement proche à son nouveau-né, aussi bien sur le plan corporel que psychique), car tout ce qui touche l'un, atteint l'autre. V.1. Dépression maternelle du post-partum et relation précoces : Une expérience est encore aujourd'hui présentée comme paradigmatique de l'influence de la dépression maternelle sur le développement affectif du bébé : il s'agit du " Still Face ". Dans cette expérience, on demande à une mère non déprimée, face à face avec son bébé, de maintenir un visage morne, figé, indifférent, quelles que soient les réactions de l'enfant. Dans un premier temps, celui-ci tente de séduire sa mère (cris, rires, réactions émotionnelles bruyantes) puis il détourne la tête, cherche à fuir le visage maternel, voire devient lui-même amimique. Dans les cas de dépression maternelle prolongée, il se passe un peu la même chose. La mère se trouve le plus souvent capable (en dehors des épisodes mélancoliques sévères) de continuer à s'occuper de son bébé, mais le fait de façon quasi automatique, froide, sans affect. Elle le change, le nourrit, un peu à la manière d'une mère robotisée, sans réagir à ses propres demandes affectives, insensible à ses appels à l'aide. En effet, cette mère ne peut investir vraiment le bébé en tant que sujet gratifiant pour elle, étant donné son état dépressif qui la pousse à se replier sur elle-même. En l'absence de prise en charge de cette pathologie maternelle, le bébé se trouve rapidement en détresse, particulièrement si aucun tiers (père, grand-parent etc.) n'intervient en relais. Il peut alors développer tout un cortèges de symptômes d'allure somatique (troubles alimentaires, infections ORL à répétition, troubles du sommeil etc.) pour en quelque sorte "appeler au secours". Il s'agite, reste tendu 17 corporellement, ce qui ne fait généralement qu'accentuer la dépression maternelle : en effet, la mère ne sait pas répondre à ces demandes et se dévalorise encore. Ce cercle vicieux peut faire secondairement le lit de boucles relationnelles très néfastes, aboutissant parfois à des situations de maltraitance (le bébé devenant alors un véritable persécuteur). Dans d'autres cas, d'emblée ou secondairement, le bébé se déprime à son tour (bébé amorphe, dormeur, etc.) et peut même peu à peu entrer dans un désintérêt relationnel complet (risque psychotique). C'est pourquoi il est fondamental de dépister et de traiter les situations de dépression maternelle du postpartum, situations souvent délicates (mère masquant sa dépression derrière une "fatigue" mise en avant etc.). Le travail de prévention pendant la grossesse est aussi incontournable (repérage des situations sociales et/ou familiales difficiles etc.), comme l'accompagnement systématique des mères qui ont à faire à un bébé d'emblée gravement malade (grande prématurité, malformations etc.). V.2. Les pathologies délirantes du post-partum : Quand une mère entre dans un épisode psychotique du post-partum, le bébé est forcément pris avec elle dans des interactions particulières, interactions dont la valence reste fortement influencée par les thèmes délirants maternels. Dans les délires de filiation, l'enfant peut être considéré comme " divin " et surinvesti (aucune possibilité qu'un tiers n'ait accès à lui etc.), ou au contraire comme diabolique, porteur d'une sanction divine et il peut alors être vécu comme le persécuteur de la mère. Dans ce dernier cas, il peut se trouver en danger vital immédiat (infanticide envisagé par la mère comme seule libération etc .). Dans certains délires avec angoisses corporelles majeures (dépersonnalisation etc.), la mère peut inclure le bébé, vécu comme un morceau du corps maternel, dans des manœuvres dangereuses visant à se dégager de l'angoisse (tentative de suicide, médications etc .). Enfin, ces mères s'isolent souvent de toute relation tierce, et "captent" leur enfant en les enfermant avec elle dans leurs angoisses et leurs délires. Elles n'ont pas non plus toujours conscience des besoins vitaux du bébé et effectuent un nursing non adapté à l'âge de l'enfant. 18 Il semble donc fondamental dans ces cas, dans un premier temps de protéger l'enfant (hospitalisation maternelle), tout en gardant à l'esprit qu'il reste nécessaire de progressivement aménager des lieux où les rencontres mère-bébé puissent se dérouler en sécurité. Les unité d'hospitalisation Mère/Bébé, semblent alors les plus adaptées. V.3. Les pathologies limites de la personnalité maternelle : Les troubles de la personnalité maternelle à type de pathologies limites ("personnalité borderline"), mettent souvent d'emblée en route des circuits interactionnels néfastes au bébé. En effet, dans ces pathologies, les mères se font une image très rigide du bébé parfait qu'elles veulent avoir, et supportent généralement mal (risque dépressif), la confrontation au bébé réel (d'autant plus si ce bébé présente des difficultés somatiques à la naissance : prématurité, etc.). Elles ont tendance à enfermer le bébé dans une maîtrise très importante, lui dictant de façon plus ou moins violente, leur propre loi, sans être à l'écoute des désirs et des besoins de leur enfant. Dans certains cas, le bébé souscrit à l'emprise maternelle, et on assiste alors souvent à la mise en place de retard de développement et d'angoisses de séparation majeures (angoisses se situant en miroir des angoisses de séparation maternelle). Dans d'autres cas, le bébé réagit et met rapidement en place des symptômes qui doivent alerter (colères, troubles du sommeil, refus alimentaires etc.), troubles qui ne font qu'aggraver le sentiment d'échec maternel, ce qui peut aboutir à la mise en place de véritable relations sado-masochistes, débouchant souvent sur une maltraitance. Il est donc clair que le repérage de troubles de la personnalité maternelle pendant la grossesse doit encourager à mettre en place un suivi rapproché au sortir de la maternité (consultation de PMI, visites à domiciles d'une puéricultrice de secteur etc.). PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 - Maturation et vulnérabilité Question 40 - SEXUALITE NORMALE ET PATHOLOGIQUE Rédaction : J. Tignol - F.Thibaut Objectifs : · Identifier les principaux troubles de la sexualité · Dépister une affection organique en présence d'un trouble sexuel · Savoir aborder la question de la sexualité au cours d'une consultation La sexualité normale Introduction La sexualité est, du point de vue de l’espèce, orientée vers la procréation. Néanmoins elle a toujours eu des significations autres que ce but : pouvoir, valeur, place sociale, de l’individu… L’apparition récente (il y a 30 ans, soit une génération) de moyens efficaces de contrôle des naissances l’a affranchie de sa liaison à la grossesse et a favorisé une libération certaine des mœurs, de même qu’un changement dans le statut et les rôles sociaux des femmes et des hommes. Malgré ces changements importants, la sexualité hétérosexuelle se pratique le plus souvent dans le cadre d’une relation de couple et la question d’avoir des enfants et de les élever reste toujours aussi primordiale. Enfin la possibilité de contamination par le VIH pèse sur les pratiques sexuelles et doit faire l’objet de l’attention de chacun, en particulier des médecins. Physiologie La connaissance de la physiologie sexuelle a été révolutionnée par deux médecins américains, William Masters et Virginia Johnson (M et J), qui ont publié à la fin des années 60 les résultats de leurs observations de laboratoire sur des volontaires hommes et femmes, ainsi que leur méthode de traitement des difficultés sexuelles (donner les réf). M et J décrivent la relation similaires, pour les 2 sexes : 1 sexuelle selon 3 phases, - - - - la phase d’excitation est caractérisée chez l’homme par l’établissement de l’érection et chez la femme par la lubrification vaginale et la tumescence de la muqueuse du tiers inférieur du vagin. NB : la lubrification vaginale est un transsudat vasculaire et non une sécrétion glandulaire. la phase en plateau voit la réalisation de l’acte sexuel ; son nom provient de ce que les phénomènes de la phase d’excitation y restent stables , au maximum de leur développement . Elle aboutit dans les bons cas à l’orgasme. Il s’agit d’une manifestation globale de l’organisme, dont la composante la plus importante est une sensation de plaisir intense, cette intensité pouvant toutefois varier ; elle est typiquement,mais pas obligatoirement, accompagnée dans les deux sexes de contractions périnéales, au nombre de 3 à 5, au rythme de 0,8 par seconde ; chez l’homme elles coïncident avec l’expulsion saccadée de l’éjaculat. L’orgasme s’accompagne aussi de tension musculaire, de modifications respiratoires, de tachycardie et d’élévation tensionnelle, ainsi que de rougeur cutanée plus ou moins étendue. L’orgasme clitoridien, déclenché par la stimulation du clitoris, et l’orgasme vaginal, déclenché par la stimulation intravaginale,ont les mêmes manifestations physiologiques. La plupart des femmes peuvent aboutir à l’orgasme par stimulation clitoridienne, alors qu’un certain nombre auront du mal à l’obtenir par stimulation vaginale, sans qu’il s’agisse d’un problème pathologique. L’orgasme est suivi de la phase de résolution, pendant laquelle les phénomènes de la phase d’excitation diminuent rapidement. Mais la femme peut avoir plusieurs orgasmes successifs si la stimulation sexuelle ne s’interrompt pas et la phase de résolution ne survient alors qu’après le dernier orgasme. Par contre chez l’homme, l’orgasme est suivi d’une période réfractaire, pendant laquelle la stimulation sexuelle devient inefficace ; très courte chez l’adolescent, elle augmente avec l’âge et interdit le plus souvent la répétition immédiate du rapport sexuel. Deux autres médecins américains, Helen Kaplan et Harold Lief ont, en 1977, ajouté à cette physiologie, avant la phase d’excitation , la phase du désir. Elle est occupée par des idées et des fantaisies érotiques et le souhait d’avoir des rapports sexuels. Elle est difficile à définir précisément, dans sa durée comme dans sa phénoménologie. Elle est toutefois une composante importante de l’activité sexuelle. L’activité sexuelle met en jeu non seulement ses effecteurs périphériques, mais aussi leur vascularisation, leur 2 innervation et des voies et centres médullaires et cérébraux. L’érection est un phénomène vasculaire actif faisant intervenir la musculature lisse des corps caverneux. Sa commande nerveuse est parasympathique ; des médiateurs spécifiques intra-caverneux, tels l’oxyde nitrique, y participent. Le pénis est maintenu habituellement flaccide par un tonus sympathique inhibiteur, qui doit cesser pour permettre l’érection. La commande périphérique de l’éjaculation est sympathique. La physiologie de l’excitation génitale féminine est moins bien connue. Au niveau central on commence à repérer les zones du cerveau impliquées. Parmi les neuromédiateurs, la dopamine est celui du plaisir et probablement du désir, tandis que la sérotonine est plutôt anti-libido et retarde l’orgasme. La physiologie sexuelle nécessite que la testostérone ne soit pas effondrée chez l’homme, tandis que chez la femme désir et plaisir seraient aussi sous la dépendance du peu de testostérone produit par la surrénale. Epidémiologie « Ma sexualité est-elle normale ? » est une question que l’on peut se poser - plus ou moins anxieusement – à tout moment de son existence, surtout à l’adolescence. La plupart des pays industrialisés disposent actuellement d’études de la sexualité en population générale. Ces études étaient destinées, il y a 30 ans, à mieux connaître les comportements sexuels en vue de la contraception ; il y a 10 ans elles ont été diligentées en vue de la prévention du Sida. On connaît ainsi la fréquence moyenne des rapports sexuels en fonction de l’âge, de l’éducation…, les différentes pratiques sexuelles, les opinions sur la sexualité, la communication sur ce sujet… (donner les ref Spira et Lauman). Néanmoins il ne s’agit que de données statistiques et les variations individuelles sont très grandes. Comptent surtout pour l’individu la pratique qui lui va – dans les limites de la loi – et sa capacité à trouver un équilibre et une certaine satisfaction dans cette pratique, y compris dans l’abstinence s’il l’a choisie. La loi La loi ne contrôle pas les pratiques sexuelles privées, entre adultes consentants. Elle réprime les pratiques sexuelles publiques, les abus sexuels de personnes adultes non consentantes, et les abus sexuels d’enfants. 3 Pathologie sexuelle : les troubles sexuels Ils comprennent les dysfonctions sexuelles, les paraphilies, et les troubles de l’identité sexuelle. Les dysfonctions sexuelles (DS) Caractères généraux Les termes anciens d’impuissance et de frigidité, trop imprécis et péjoratifs, n’ont plus cours. Les DS sont maintenant décrites en référence à la phase des relations sexuelles qui est altérée, et de façon parallèle chez la femme et chez l’homme. Selon le DSM-IV, on décrit donc dans les deux sexes des troubles du désir, de l’excitation et de l’orgasme, auxquels il faut ajouter les troubles sexuels avec douleur. Il existe aussi, dans les 2 sexes, les catégories DS due à une affection médicale générale et DS induite par une substance. Pour chaque DS, des caractéristiques importantes - et donc à rechercher systématiquement en clinique - constituent les sous-types : - de tout temps ou acquis - généralisé ou situationnel - du à des facteurs psychologiques - du à une combinaison de facteurs (facteurs psychologiques + affection médicale ou substance). Epidémiologie Les DS sont très fréquentes en population générale, de façon similaire dans tous les pays occidentaux, par exemple, tous âges confondus, 8 à 10 % de dysfonction érectile (DE), 15 à 30 % d’éjaculation précoce (EP), 2 à 4% de trouble de l’orgasme chez l’homme, 30 % de trouble du désir et de trouble de l’orgasme chez la femme. La DE voit son taux augmenter avec l’âge, tandis que l’EP ne diminue pas avec le temps, contrairement à ce que l’on croyait ; par contre les DS de la femme auraient plutôt tendance à s’améliorer avec l’âge. S’il n’existe pas une relation obligatoire de la satisfaction sexuelle avec la satisfaction de la vie de couple, les DS affectent toutefois fortement la qualité de vie et l’estime de soi de beaucoup de sujets qui en sont atteints ; ceci joint à la fréquence des DS doit inciter le médecin à s’en préoccuper dans sa pratique. Clinique des DS 4 NB : les intitulés des troubles et guillemets sont des citations du DSM-IV les phrases entre Troubles du désir sexuel - Baisse du désir sexuel : « Déficience (ou absence) persistante et répétée de fantaisies imaginatives d’ordre sexuel et de désir d’activité sexuelle… » - Aversion sexuelle : « Aversion extrême, persistante ou répétée, et évitement de tout (ou presque tout) contact génital avec un partenaire sexuel ». Quand ces troubles ne sont pas liés à une affection médicale ou à une substance, ils résultent souvent de problèmes de couple. Troubles de l’excitation sexuelle - chez la femme : « Incapacité persistante ou répétée à atteindre, ou à maintenir jusqu’à l’accomplissement de l’acte sexuel, une activité sexuelle adéquate (lubrification, intumescence). » - chez l’homme : « Incapacité persistante ou répétée à atteindre, ou à maintenir jusqu’à l’accomplissement de l’acte sexuel, une érection adéquate ». La symétrie des définitions est remarquable. Néanmoins, autant le trouble de l’érection chez l’homme est facilement identifiable, autant le trouble de l’excitation chez la femme est relativement difficile à étudier. Les femmes elles-mêmes n’ont pas toujours une claire perception de leur niveau d’excitation physique. Il est difficile de différencier chez elles ce trouble d’un trouble du désir. La DE est la DS la plus étudiée, la plus traitée, la plus médicalisée, c’est-à-dire la plus entrée dans le champ de la médecine. Ceci est lié à son caractère très repérable déjà cité, à son importance symbolique pour l’homme (être un homme ou non), et à la découverte récente (moins de 30 ans) de traitement médicaux efficaces de plus en plus perfectionnés. La tendance à médicaliser de la même façon le trouble de l’excitation chez la femme n’en est qu’à ses débuts. Troubles de l’orgasme - Trouble de l’orgasme chez la femme : « Absence ou retard persistant ou répété de l’orgasme après une phase d’excitation sexuelle normale. Il existe chez la femme une grande variabilité dans le type ou l’intensité de la stimulation nécessaire pour déclencher un orgasme. Le diagnostic d’un trouble de l’orgasme chez la femme repose sur le jugement du clinicien qui estime que la capacité orgastique de la femme est inférieure à ce qu’elle devrait être, compte tenu de son âge, de son expérience sexuelle et de l’adéquation de la stimulation sexuelle reçue ». 5 - - Le jugement du clinicien n’est pas un critère bien défini. Il faut plutôt se référer au jugement de la femme ellemême, et ne pas oublier de demander de quel orgasme il s’agit, clitoridien ou vaginal. Trouble de l’orgasme chez l’homme : «Absence ou retard persistant ou répété de l’orgasme après une phase d’excitation sexuelle normale lors d’une activité sexuelle que le clinicien juge adéquate en intensité, en durée et quant à son orientation, compte tenu de l’âge du sujet ». NB : « quant à son orientation » est la traduction de « adequate in focus » et ne se réfère pas à l’orientation sexuelle du sujet. Ce trouble était antérieurement appelé retard à l’orgasme quant l’orgasme était quand même obtenu, au prix d’un délai anormalement long, ou anéjaculation anorgasmique lorsqu’il ne pouvait l’être. Il est ennuyeux pour la satisfaction du patient, qui tarde à venir ou ne vient pas, et celle de la partenaire habituelle qui n’apprécie pas d’être stimulée au-delà de ses souhaits. Il est une cause – curable - d’infertilité en cas d’impossibilité d’éjaculation intra-vaginale. Si certains de ces sujets peuvent éjaculer en dehors du vagin en se masturbant, certains ne peuvent jamais obtenir l’éjaculation à l’état de veille. Ejaculation précoce : « Trouble de l’éjaculation persistant ou répété lors de stimulations sexuelles minimes avant, pendant, ou juste après la pénétration, et avant que le sujet ne souhaite éjaculer ». C’est la DS masculine la plus répandue. Elle est assez toxique pour la relation de couple car la partenaire peut se sentir exploitée par un homme qui lui semble prendre son plaisir sans se soucier d’elle. Elle est traitée avec succès par sexothérapie ou médicaments. Troubles sexuels avec douleur - Dyspareunie : « Douleur génitale persistante ou répétée associée aux rapports sexuels, soit chez l’homme, soit chez la femme ». Ce trouble est souvent associé à des lésions ou affections médicales, plus fréquentes chez la femme en raison des grossesses et de leurs complications. Il peut être uniquement lié à des facteurs psychologiques. Il faut néanmoins être toujours très prudent avant d’attribuer à des manifestations douloureuses, quelles qu’elles soient, une cause psychologique. - Vaginisme : « Spasme involontaire, répété ou persistant, de la musculature du tiers externe du vagin perturbant les rapports sexuels ». Il s’agit d’un phénomène de type phobique, qui était classiquement responsable de non-consommation du mariage et pouvait, soit durer des années, soit donner lieu à des 6 thérapeutiques inadaptées et traumatisantes (dilatation vaginale ou défloration chirurgicale sous anesthésie). Il se soigne très bien, la plupart du temps, par un traitement congnitivo-comportemental simple effectué par une gynécologue ou une sexologue. DS due à une affection médicale générale : « Mise en évidence, d’après l’histoire de la maladie, l’examen physique ou les examens complémentaires, que la DS est entièrement expliquée par les effets physiologiques directs d’une affection médicale générale ». Toutes les maladies affectant le dispositif physiologique nécessaire à la sexualité peuvent entraîner une DS. Elles comportent en général une séméiologie sexuelle concomitante qui permet leur diagnostic. En dehors de signes d’appel cliniques, le seul examen complémentaire destiné à déceler une cause cachée de DS, surtout trouble du désir ou de l’excitation, serait le dosage de la prolactine à la recherche d’un adénome hypophysaire. Il s’agit toutefois d’une affection rare et cet examen n’est pas justifié en première intention. NB : la présence d’une affection médicale facteur possible de DS n’indique pas son implication automatique dans la DS ; par exemple un athérome patent, ou un diabète, ou un traumatisme du bassin, peuvent coexister avec une DE essentiellement psychogène. DS induite par une substance : « Mise en évidence, d’après l’histoire de la maladie, l’examen physique ou les examens complémentaires, que la DS est entièrement expliquée par l’utilisation d’une substance, comme en témoigne la présence soit de (1) soit de (2) : (1) les symptômes sont apparus pendant une intoxication à une substance ou dans le mois qui a suivi (2) la perturbation et liée étiologiquement à la prise d’un médicament ». Ces spécifications soulignent que la prise d’un médicament ou d’une substance ne suffit pas en soi à l’incriminer dans la genèse de la DS ; il faut évaluer l’imputabilité selon la démarche habituelle. Les substances illicites stimulantes – dont l’alcool – sont aussi des stimulants sexuels ; elles ne donnent de DS qu’à dose intoxicante. Les opiacés par contre ne sont pas des stimulants sexuels et peuvent être facteurs de DS à des doses non intoxicantes. Les médicaments fréquemment facteurs de DS sont les antihormones, les antidépresseurs et les neuroleptiques, à un moindre degré les divers traitements de l’hypertension. Pour tout médicament, il est recommandé de consulter la liste des effets secondaires dans le RCP (sur le Vidal) et d’étudier l’imputabilité du produit en fonction de la clinique. 7 L’examen sexologique Il suit les procédures habituelles de l’examen médical. Sa spécificité tient à l’embarras qu’il peut susciter chez le malade et le médecin. L’entretien doit commencer par faire préciser les caractéristiques du trouble, actuelles et passées. Il faut encourager le patient à s’exprimer avec ses termes à lui et ne pas utiliser de termes techniques sans les expliquer. Le médecin doit acquérir la capacité de parler tranquillement de la sexualité. On explore ensuite la vie sexuelle et relationnelle du sujet, ses antécédents personnels somatiques et psychiatriques, ses problèmes psychologiques (quant les symptômes sont insuffisants pour un diagnostic de trouble psychiatrique), ses antécédents familiaux somatiques et psychiatriques. Une attention particulière est portée au ou à la partenaire, du point de vue relationnel et sexuel. Le problème se pose de le ou la voir si présent(e) à la consultation, ou de demander à le ou la voir si absent(e), avec le ou la consultant(e), ou à part. Il faut un certain entraînement pour mener ces consultations de couple et on ne peut pas le recommander à un médecin qui ne s’y serait pas préparé. NB : il existe en France un DIU de Sexologie, dans des universités réparties sur tout le territoire, qui assure une formation de validité reconnue. Renseignements auprès de votre université. L’examen somatique est recommandé ; on peut le confier éventuellement à un spécialiste urologue ou gynécologue. De même après débrouillage du trouble, on peut demander l’avis d’un spécialiste en sexologie, qui est en général titulaire du DIU. L’examen sexologique fournit le diagnostic de la DS. L’orientation thérapeutique est fonction de l’étiologie et des moyens thérapeutiques. Les DS reconnaissent des causes communes Affections médicales et substances : cf supra Causes psychiques individuelles - troubles mentaux : la plupart des troubles mentaux sont anti-sexuels, sauf la manie, qui stimule la sexualité. La dépression est le trouble mental le plus fréquemment responsable de DS, bien que de façon inconstante dans ses formes de sévérité modérée. Rappelons que les psychotropes peuvent ajouter leurs effets secondaires à ceux de la maladie. - traumatismes psychiques actuels : évènements de vie défavorables ; nécessité (e enlevé) d’adaptation. 8 - traumatismes sexuels actuels: abus sexuels, facteurs très importants de DS. - maltraitance physique, psychologique, ou sexuelle, dans l’enfance, idem. - anxiété sociale, timidité, phobie sociale, sont aussi des facteurs de risque de DS. Causes psychiques de couple - les messages positifs de la ou du partenaire renforcent puissamment la motivation sexuelle et le fonctionnement sexuel ; inversement des messages négatifs les inhibent . - les problèmes et difficultés de couple, passagers ou plus profonds, sont, par ce mécanisme, des facteurs fréquents et puissants de DS ; ils sont aussi, heureusement, très sensibles à des traitements de couple adaptés. Moyens thérapeutiques Psychothérapies - individuelles générales : en règle peu adaptées à la demande des consultants qui est celle de traitements de la DS - individuelles centrées sur la DS (sexothérapies) : d’inspiration essentiellement cognitivo-comportementale ; moins efficaces que les traitements de couple. - sexothérapies de couple : inventées par M et J de façon pragmatique, elles peuvent être décrites en termes cognitivo-comportementaux . Elles s’adressent principalement à la composante anxiété de performance de la DS. Il s’agit d’une anxiété apparentée à l’anxiété sociale,qui saisit le sujet lorsqu’il doit effectuer publiquement une performance dont il se sent incapable. Ici la performance est l’acte sexuel et le public le ou la partenaire. Cela s’applique bien aux DE et à l’EP, où l’homme se sent tenu de performer dans des fonctions somatiques qu’il ne peut contrôler volontairement. Cela s’applique aussi aux troubles de l’excitation et de l’orgasme chez la femme malgré le caractère secret de leur performance pour le partenaire ; ce secret ne joue pas pour elles et elles présentent aussi, bien que moins souvent que l’homme, une anxiété de performance sexuelle. Pour la femme la sexothérapie comporte une part importante d’information et de familiarisation avec la connaissance de ses organes sexuels cachés et de leur fonctionnement. Enfin dans les deux sexes une composante importante du traitement est le travail sur la communication dans le couple. Ces sexothérapies comportent des prescriptions d’exercices sexuels à domicile et leur discussion dans les séances de 9 thérapie. Il s’agit essentiellement de décentrer la préoccupation des sujets de la performance sexuelle pour la recentrer sur les sensations, la communication détendue, et le plaisir corporel. Les premières consignes comportent en général l’interdiction des rapports et des stimulations sexuelles directes, et la prescription de travailler les sensations corporelles générales, non sexuelles. Ce temps initial passé, la sexothérapie peut être considérée comme une rééducation de la sexualité. Certaines sexothérapies utilisent des méthodes de travail corporel spécifiques à visée pschothérapique,par exemple la psychomotricité ou la relaxation. Par contre, tout exercice de stimulation sexuelle effectué avec le thérapeute doit être considéré comme suspect d’abus et est maintenant réprouvé par les associations de sexologues. Il faut en informer les patients lorsqu’on les adresse à un spécialiste. NB : le traitement du vaginisme comprend un travail avec un thérapeute (femme recommandée) sur la pénétration vaginale,mais il ne s’agit pas d’un exercice de stimulation sexuelle. Traitements médicamenteux ou chirurgicaux Ils s’adressent essentiellement à la DE et l’EP. La DE peut être traitée par : - les androgènes en cas d’insuffisance avérée ; on discute actuellement du traitement androgène de l’andropause, où cette insuffisance est relative (mais risque pour le cancer de la prostate). - Les alpha-bloquants (yohimbine), d’efficacité démontrée, mais faible - Les inhibiteurs de la 5-phosphodiestérase (PDE-5) intracaverneuse, qui favorisent l’action de l’oxyde nitrique. Leur prototype est le sildenafil, premier produit actif par voie orale sur l’érection. Ils nécessitent une stimulation sexuelle pour agir. - L’apomorphine, d’action centrale dopaminergique, administrée en sub-lingual. Moins active que les produits précédents. - Les vaso-dilatateurs actifs uniquement par injection intra-caverneuse (IIC), papavérine, phentolamine, et surtout prostaglandine E. La plupart procurent une érection dans les minutes qui suivent l’injection, sans qu’il soit besoin de stimulation sexuelle. Il existe une présentation de prostaglandine E en application intraurethrale. 10 - On peut aussi provoquer l’érection par aspiration puis blocage élastique de la base du pénis, à l’aide d’un dispositif appelé vacuum. Enfin il existe des prothèses péniennes, semi-rigides, malléables, ou gonflables, à insérer chirurgicalement dans les corps caverneux. L’EP peut être traitée par les inhibiteurs sélectifs de la sérotonine ou la clomipramine, à des doses souvent faibles, à la demande ou en continu. L’efficacité de la clomipramine, de la paroxétine et de la sertraline a été démontrée dans des études en double insu contre placebo. NB : Divers produits, dont les inhibiteurs de la PDE-5 sont ou ont été étudiés dans les troubles de l’excitation chez la femme, avec des résultats inconstants. Choix du traitement Il ne dépend que partiellement de l’étiologie. Si les troubles organiques ne peuvent pas être traités par sexothérapie, les troubles psychogènes ne répondent pas obligatoirement à la sexothérapie, mais peuvent aussi être traités par médicaments, vacuum ou prothèses. Dans le cas de troubles liés à des facteurs psychologiques prédominants ou exclusifs, le choix du traitement dépend des préférences du patient et de l’efficacité des traitements antérieurs. Le thérapeute expose les traitements possibles pour un trouble et un sujet donnés, et guide par ses informations le choix du patient. Lorsqu’il existe un ou une partenaire stable, son implication dans le choix du traitement est souhaitable. De même un accompagnement sexothérapique est souhaitable dans tous les cas, y compris avec les traitements les plus médicaux et les cas les plus organiques. Il peut être aussi difficile de s’adapter au rétablissement plus ou moins artificiel de la fonction sexuelle qu’à sa défaillance. Paraphilies Caractères généraux « Les caractéristiques essentielles d’une paraphilie sont des fantaisies imaginatives sexuellement excitantes, des impulsions sexuelles, ou des comportements, survenant de façon répétée et intense, et impliquant : 1) des objets inanimés, 2) 11 la souffrance ou l’humiliation de soi-même ou de son partenaire, 3) des enfants ou d’autres personnes non consentantes ; et qui s’étendent sur une période d’au moins 6 mois ». Il s’agit des troubles anciennement appelés perversions sexuelles. Le terme paraphilie désigne éthymologiquement une sexualité déviante quant à son but et son objet. Le caractère déviant ne suffit pas à définir ces troubles ; il faut lui ajouter : l’intensité du désir qui leur est lié, et son caractère répétitif. Epidémiologie Il n’existe pas d’étude épidémiologique des paraphilies. Les données existantes viennent de la justice. Les consultations spontanées sont rares. " …l’importance du marché commercial de la pornographie paraphilique … suggère que sa prévalence dans la communauté est probablement plus élevée. " Les problèmes les plus couramment rencontrés dans les lieux spécialisés dans le traitement des paraphilies sont la pédophilie, le voyeurisme et l’exhibitionnisme… Approximativement la moitié des sujets qui consultent pour paraphilie sont mariés. Clinique Les troubles sont répertoriés en fonction de la focalisation paraphilique. On distingue ainsi parmi les paraphilies fréquentes : - l’exhibitionnisme : « …consistant à exposer ses organes génitaux devant une personne prise au dépourvu par ce comportement » - le fétichisme : « …utilisation d’objets inanimés (par exemple des sous-vêtements féminins) ». - le frotteurisme : « …acte de toucher et de se frotter contre une personne non consentante ». - la pédophilie : « …activité sexuelle avec un enfant ou des enfants prépubères (généralement âgés de 13 ans ou plus jeunes). Le sujet présentant une pédophilie doit avoir au moins 16 ans et au moins 5 ans de plus que l’enfant ». L'attirance sexuelle peut concerner les garçons, les filles ou les deux. - le masochisme et le sadisme sexuels, dans lesquels le stimulus paraphile est la souffrance subie ou infligée. - le transvestisme fétichiste, qui est le fait, pour un homme hétérosexuel, de se travestir plus ou moins complètement en femme et de s’imaginer ainsi être une femme. - le voyeurisme : « …consistant à observer une personne nue, ou en train de se déshabiller, ou en train d’avoir 12 des rapports sexuels, et qui ne sait pas qu’elle est observée ». Formes cliniques et évolution Les caractéristiques paraphiliques peuvent être obligatoires et toujours être nécessaires à l’acte sexuel, ou épisodiques, (par exemple liées au stress ou à la consommation de toxiques). Les actes paraphiliques peuvent être vécus sans aucune culpabilité et le problème des sujets est alors celui des conséquences sociales de son comportement. Chez d’autres paraphiles, leur activité s’accompagne de culpabilité, honte, ou dépression. Les paraphilies peuvent débuter dans l’enfance, mais s’installent vraiment au moment de l’adolescence ou chez l’adulte jeune. Leur évolution tend à être chronique, avec une intensité fluctuante. Elles sont souvent associées entre elles. Dans 90 % des cas il s'agit de sujets de sexe masculin. Les malades mentaux avérés sont peu fréquents parmi les délinquants sexuels (4 %). Par contre, des troubles de personnalité de type psychopathique ou antisocial sont fréquents chez les violeurs. Les paraphilies qui impliquent un partenaire non consentant (viol) ou un enfant (pédophilie), ou encore l'exhibitionnisme, tombent sous le coup de la loi. On parle alors de délinquance sexuelle. Les sanctions légales sont lourdes et le caractère récurrent des troubles expose le sujet à la récidive, qui sera plus lourdement sanctionnée encore. Psychopathologie On peut essayer de comprendre les paraphilies comme des obsessions, comme un trouble du contrôle des impulsions (comme le jeu pathologique ou la kleptomanie), ou comme un comportement de type addictif, ou addiction comportementale. La force du désir paraphile, l’incapacité du sujet à lui résister malgré les inconvénients légaux très sérieux qu’il implique, et son caractère répétitif, sont en faveur de l’hypothèse addiction. On décrit d’ailleurs un trouble addiction sexuelle - non reconnu par les nomenclatures internationales – dans lequel des comportements sexuels non déviants, par leur fréquence et leur retentissement social, entraînent des inconvénients sérieux, et que sujet ne peut contrôler malgré cela. Cette définition, calquée sur celle des addictions aux substances, peut également s’appliquer aux paraphilies. Parmi les facteurs de risque de récidive de délinquance sexuelle, on distingue le type de paraphilie (les pédophiles homosexuels sont à fort risque de récidive), les antécédents de délinquance sexuelle, l'existence d'un retard mental, la mauvaise observance du traitement. 13 Traitement But du traitement Le but principal est essentiellement pragmatique : (1) supprimer les comportements paraphiles, nuisibles au sujet et éventuellement à autrui, (2) améliorer la qualité de vie du sujet et atténuer sa souffrance Les psychothérapies - les psychothérapies non directives sont en général inadaptées et inefficaces. - il existe des méthodes psychothérapiques spécifiques, d’inspiration cognitivo-comportementale, dont le caractère principal est d’être directives et contrôlées. Elles visent à la prise de conscience des conséquences de la paraphilie, à apprendre à éviter les occasions de la mettre en œuvre, à remplacer les idées et comportement paraphiles par des idées et comportements non paraphiles à améliorer les relations avec autrui, à corriger les distorsions sur la sexualité. Elles ne sont bien pratiquées que par des équipes spécialisées. Elles sont utilisées dans la prise en charges des exhibitionnistes et de certaines paraphilies, lorsque le risque de passage à l'acte est peu important. Les médicaments - les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) sont actifs dans le traitement des paraphilies, probablement plus par leur effet secondaire anti-libido que par un effet anti-obsessionnel ou antidépresseur. Actuellement leurs indications sont limitées à l'exhibitionnisme et à certaines formes de pédophilie dont le risque de passage à l'acte paraît peu important. - Les traitements antiandrogènes sont des traitements très efficaces des paraphilies par suppression du désir. L’absence de désir en général vaut pour le désir paraphile en particulier. Il en existe deux types : l'acétate de cyprotérone (forme orale) ou les analogues de la GNRH (triptoreline ou leuproreline) (forme injectable à libération prolongée). Cependant, ils ne sont pas dénués d'effets secondaires à long terme (déminéralisation osseuse surtout) et leur prescription est réservée aux patients chez lesquels un risque de passage à l'acte est élevé (violeur ou pédophile), lorsque les autres traitements sont inefficaces ou encore lorsque le niveau intellectuel du patient est incompatible avec une psychothérapie. 14 Ces traitements antiandrogènes ne peuvent être prescrits qu'avec le consentement du patient, après s'être assuré de l'achèvement de la puberté et de l'absence d'anomalies hormonales. La durée pendant laquelle le traitement antiandrogène doit être poursuivie ne fait pas l'objet d'un consensus. Législation La loi du 17 juin 1998, relative à la répression et à la prévention des infractions sexuelles, ainsi qu'à la protection des mineurs, a modifié les conditions de détention du sujet, mais aussi celles de l'aménagement des peines. Le juge d'application des peines devient un élément central du dispositif, articulant le soin et le judiciaire. Si un suivi socio-judiciaire est mis en place par le juge, après expertise médicale, il comporte, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous contrôle du juge d'application des peines et pendant une durée déterminée par le jugement, à des mesures de surveillance et d'assistance (pouvant comprendre une injonction de soins) destinées à prévenir la récidive. Aucun traitement ne peut être entrepris sans le consentement du condamné, mais si ce dernier refuse les soins proposés, l'emprisonnement peut être mis à exécution. L'incitation aux soins, si elle est nécessaire, peut débuter en détention, et être poursuivie après la sortie La loi a prévu d'instituer un médecin coordonnateur à côté du médecin traitant pour servir de relais entre le médical et le judiciaire. POUR EN SAVOIR PLUS "Troubles des conduites sexuelles diagnostic et traitement" F Thibaut - EMC - Psychiatrie 37-105 G10 de 2000 (9p) 15 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 – Maturation et Vulnérabilité Question 41 TROUBLES ANXIEUX ET TROUBLES DE L’ADAPTATION Rédaction : J.-P. Boulenger, C. Piquet, E. Corruble, P. Hardy Objectifs pédagogiques spécifiques Anxiété normale et pathologique Connaître la différence entre anxiété normale et pathologique Connaître la définition du mot névrose et la différence entre névrose et psychose Connaître les co-morbidités des troubles anxieux Connaître la sémiologie d’une crise d’angoisse aiguë ou attaque de panique Connaître le traitement curatif d’une crise aiguë d’angoisse Trouble panique Connaître la définition du trouble panique et les critères diagnostiques Connaître les modalités évolutives possibles des attaques de panique Connaître les principes du traitement préventif des attaques de panique Anxiété généralisée Connaître la définition de l’anxiété généralisée Connaître les principaux symptômes et les principes de traitement Phobies Connaître la définition d’une phobie et les modifications comportementales que peuvent induire les phobies Connaître les différents types de phobies Savoir différencier phobie et obsession Connaître les principaux traits de personnalité associés à la névrose phobique Connaître les principes du traitement de la névrose phobique Névrose ou stress post-traumatique Connaître les signes de l’état de stress post-traumatique Connaître les principes du traitement de l’état de stress post-traumatique et savoir que le pronostic est d’autant meilleur que le traitement est plus précoce 1 Névrose obsessionnelle Connaître la définition d’une obsession Connaître les différents types d’obsessions Connaître la définition des compulsions Connaître les principaux traits de personnalité associés à la névrose obsessionnelle (ou Trouble Obsessionnel Compulsif) Savoir qu’il existe des travaux biologiques concernant le Trouble Obsessionnel Compulsif Connaître les principes du traitement chimiothérapique et psychothérapique de la névrose obsessionnelle Trouble de l’adaptation Savoir diagnostiquer un trouble de l'adaptation, avec humeur anxieuse, avec humeur dépressive, ou mixte. 2 INTRODUCTION Depuis 1980, les termes de Troubles anxieux et de Troubles de l'adaptation sont utilisés par le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM), classification de l'Association Américaine de Psychiatrie (APA), pour désigner deux grandes catégories de troubles mentaux. a) Troubles anxieux : trouble panique (sans agoraphobie et avec agoraphobie), agoraphobie sans antécédent de trouble panique, phobie spécifique, phobie sociale, trouble obsessionnel-compulsif, trouble état de stress posttraumatique, trouble de stress aigu, trouble anxiété généralisée, trouble anxieux dû à une affection médicale générale, trouble anxieux induit par une substance. b) Troubles de l'adaptation : troubles de l'adaptation avec humeur dépressive, trouble de l'adaptation avec anxiété, trouble de l'adaptation avec anxiété et humeur dépressive, trouble de l'adaptation avec perturbation des conduites, trouble de l'adaptation avec perturbation des émotions et des conduites. Plus récemment, la 10ème version de la Classification Internationale des Maladies, élaborée par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a également introduit ces deux types de troubles, mais de façon plus discrète. Ceux-ci sont en effet regroupés parmi d'autres au sein d'une même grande catégorie diagnostique, celle des "Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes" qui comporte les sous-catégories suivantes : Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes (CIM-10, 1992) Troubles anxieux phobiques : agoraphobie (sans trouble panique ou avec trouble panique), phobies sociales, phobies spécifiques (isolées), etc… Autres troubles anxieux : trouble panique, anxiété généralisée, trouble anxieux et dépressif mixte, etc… Trouble obsessionnel-compulsif Réactions à un facteur de stress important et troubles de l'adaptation : réaction aiguë à un facteur de stress, état de stress post-traumatique, troubles de l'adaptation (réaction dépressive brève ; réaction dépressive prolongée, réaction mixte, anxieuse et dépressive ; avec prédominance d'une perturbation d'autres émotions ; avec prédominance d'une perturbation des conduites ; avec perturbation mixte des émotions et des conduites ; avec prédominance d'autres symptômes spécifiés), etc.. Troubles dissociatifs (de conversion) Troubles somatoformes Autres troubles névrotiques 3 La comparaison des deux classifications montre une utilisation très comparable du terme "Trouble de l'adaptation" et assez divergente du terme "Troubles anxieux". Cette divergence tient à l'histoire des classifications psychiatriques dans le domaine concerné. Jusque vers les années 1970, le classement des troubles mentaux répondait en effet à une conception très dichotomique et s'organisait autour de concepts binaires tels que : psychotique/névrotique, endogène/psychogène, autonome/réactionnel. Par opposition aux troubles psychotiques-endogènes-autonomes, les troubles névrotiques-psychogènesréactionnels étaient caractérisés par leur moindre sévérité, par la conscience qu'avaient les sujets de leur nature pathologique, par leur compréhensibilité et par l'importance étiopathogénique supposée exclusive des facteurs psychologiques et environnementaux. Ce très vaste ensemble des troubles dits "névrotico-réactionnels" est en fait hérité de la psychopathologie freudienne qui, au début du XXème siècle, a repris et reconceptualisé un terme plus que centenaire, celui de "névrose". Introduit dès 1769 par William Cullen pour désigner les affections du système nerveux sans lésion décelable, ce terme a en effet été réutilisé par Sigmund Freud (1856-1939) et ses successeurs de l'école psychanalytique pour désigner un ensemble de troubles dont ils distingueront deux grands types : Les "névroses actuelles" (névrose d'angoisse et neurasthénie), dont les causes doivent être recherchées dans des "désordres de la vie sexuelle actuelle". Les "psychonévroses" dites de "transfert" ou de "défense" dont les symptômes résultent de l'expression symbolique d'un conflit sous-jacent lié à l'histoire infantile du sujet. Les symptômes témoignent ainsi à la fois du stade du développement auquel s'est produite la fixation source du conflit et des mécanismes de défense inconscients mis en jeu pour lutter contre l'angoisse conflictuelle. Ainsi, si dans la névrose d'angoisse, l'anxiété est libre et flottante, elle se déplace sur des objets ou des situations dans la névrose phobique, sur le corps dans la névrose hystérique et sur des contenus psychiques dans la névrose obsessionnelle. La théorie psychanalytique a longtemps prévalu, jusqu'à ce que, depuis ces trente dernières années, de nouveaux modèles, nullement exclusifs les uns des autres, soient venus enrichir le champ de la psychiatrie et de la psychologie. Parmi les modèles psychologiques nouveaux, on citera notamment l’apport clinique et thérapeutique des théories cognitivo-comportementales, ainsi que les modèles neuro-anatomiques mettant en avant le rôle du système limbique et du tronc cérébral. 4 Parmi les modèles biologiques, on citera les modèles mettant en jeu le système nerveux autonome ou les neurotransmetteurs (noradrénaline, sérotonine, GABA notamment) et la contribution de plus en plus importante des modèles génétiques. Devant l'impossibilité de choisir certains modèles plutôt que d'autres, il est apparu préférable, compte-tenu de l'état actuel des connaissances, de ne pas en privilégier un plus qu'un autre et de se référer à des modèles descriptifs athéoriques qui pourraient servir de base à des travaux scientifiques de qualité. C'est ainsi que le concept de névrose a été abandonné et remplacé par d'autres concepts comme ceux des troubles anxieux et des troubles de l'adaptation dans les dernières classifications internationales (CIM10 et DSM-IV). I. Les pathologies "réactionnelles" : troubles de l’adaptation et états de stress post-traumatique Si l'évolution de la plupart des troubles mentaux (psychoses, troubles de l'humeur, troubles anxieux et troubles névrotiques) et des troubles des conduites (conduites suicidaires …) est sensible au contexte événementiel (l'apparition et la pérennisation d'un épisode est souvent liée à la survenue d'un événement stressant de la vie), deux catégories de troubles psychiatriques sont définies par le rôle déclenchant spécifique de certains événements de la vie : il s'agit des troubles de l'adaptation et des états de stress post-traumatique. I. 1. Troubles de l’adaptation Ces troubles se situent aux frontières du fonctionnement normal et du fonctionnement pathologique avéré. Ils ont la particularité de survenir en réaction à un facteur de stress identifiable. Les troubles de l'adaptation sont fréquents : en consultation psychiatrique ambulatoire, ils représentent 5 à 10% des patients. Ils sont parmi les diagnostics psychiatriques les plus fréquents chez des patients hospitalisés pour des problèmes médicaux ou chirurgicaux, le facteur de stress identifiable étant alors souvent la maladie physique. Les troubles réactionnels ou de l’adaptation sont caractérisés par l’apparition de symptômes cliniquement significatifs dans les registres émotionnels ou comportementaux, en réaction à un ou plusieurs facteurs de stress venant déborder les capacités d’adaptation du sujet. Le caractère inadapté (pathologique) du trouble se manifeste par une souffrance marquée plus importante que celle qui était attendue compte tenu de la nature du facteur de stress ou bien par une altération significative du fonctionnement social, professionnel ou scolaire. 5 Les symptômes peuvent en être variables et intéresser différents registres : émotionnel : anxiété, tristesse, retrait affectif, irritabilité, agressivité somatique : céphalées, douleurs musculaires, insomnie, fatigue, sensations de tension ou de déséquilibre, troubles fonctionnels digestifs, cardio-vasculaires ou respiratoires cognitif : difficultés de concentration et d’attention, troubles de la mémoire à court terme, intrusions de pensée, ruminations mentales, baisse de l’efficience scolaire ou professionnelle comportemental : opposition, fugue, inhibition sociale, isolement, actes délictueux, abus de médicaments ou de toxiques (tabac, alcool, drogues), comportement suicidaire. Le trouble de l’adaptation est, par définition, transitoire. Il apparaît rapidement (au plus tard trois mois) après un événement stressant clairement identifiable et cesse dans les six mois qui suivent sa disparition. Les Troubles de l’Adaptation comme les autres pathologies réactionnelles (la réaction aiguë de stress, l’état de stress post-traumatique) peuvent survenir à tout âge et touchent les deux sexes avec cependant une prédominance féminine chez l’adulte (2/3 des cas). Le facteur de stress peut être unique ou multiple ; il peut se reproduire régulièrement ou être continu, toucher une seule personne, une famille entière, ou bien un groupe plus large ou une communauté. Certains facteurs de stress sont associés à des étapes spécifiques du développement et de la vie (entrée à l’école, départ du milieu familial, mariage, maternité et paternité, retraite, veuvage,…). Les facteurs de stress les plus régulièrement retrouvés sont néanmoins communs (difficultés scolaires ou sociales, problèmes familiaux ou sentimentaux, difficultés professionnelles, usage de toxiques, …). Il est important de noter que certains événements de vie a priori non traumatisants (déménagement, promotion, naissance) peuvent être à l’origine de troubles de l’adaptation chez certains sujets vulnérables. Malgré le flou sémiologique qui le caractérise, le trouble de l’adaptation demeure l’un des diagnostics les plus souvent portés chez l’adulte (10 %). L’apparition d’un trouble de l’adaptation est souvent favorisée par la coexistence d’un trouble de personnalité qui limite les capacités de réaction aux événements à certaines conduites stéréotypées. Cependant si ces symptômes apparaissent chez un patient présentant un trouble anxieux ou dépressif spécifique préexistant, c’est ce diagnostic et non celui du trouble d’adaptation qui devra être porté. Le trouble de l’adaptation doit aussi être distingué de la pathologie posttraumatique, réactionnelle à des événements majeurs et de ce fait moins dépendante de la variabilité des caractéristiques individuelles. 6 I.2 Pathologies post-traumatiques Le terme de traumatisme psychique est utilisé pour désigner une blessure, un phénomène d’effraction et d’envahissement du psychisme par un afflux d’excitations violentes, vécues comme agressives et susceptibles de déborder les capacités de défense, psychologique de l’individu. C'est la nature même et l’intensité exceptionnelle du traumatisme qui donnent aux symptômes leur caractère spécifique, l’ensemble justifiant de la classification des états de stress post-traumatiques au sein des troubles anxieux. Cette catégorie est essentiellement définie par l’intensité de l’événement traumatisant dont les conséquences sont susceptibles d’affecter un grand nombre de victimes ou de témoins du fait de la menace objective représentée pour leur intégrité physique ou psychologique : agressions, viols, accidents, catastrophes, confrontations subites à la mort... - La réaction aiguë de stress se développe dans les suites immédiates d’un traumatisme ayant eu un impact émotionnel majeur. Son évolution est souvent spontanément résolutive en quelques jours à quelques semaines et centrée sur la répétition involontaire et stéréotypée de l’événement traumatique dans toute son acuité émotionnelle, que ce soit sous forme de cauchemars, d’images récurrentes ou de pensées obsédantes. Ces reviviscences sont soit spontanées, soit provoquées par la confrontation à des stimuli évoquant le traumatisme ou le contexte dans lequel il est survenu, stimuli auxquels le patient tentera souvent de se soustraire par des conduites d’évitement parfois invalidantes. Ces symptômes sont généralement accompagnés d’une anxiété permanente avec exagération de la réaction de sursaut et hypervigilance, parfois source d’insomnie et de tension. Dans les suites immédiates des traumatismes les plus violents, des symptômes dissociatifs peuvent être observés : hébétude, mutisme, errance, impressions de détachement, de dépersonnalisation, de déréalisation. L’impossibilité de se souvenir de tout ou partie de l’événement en est une conséquence possible. Plus spectaculaires que les symptômes précédemment décrits, les symptômes dissociatifs seraient associés à un risque accru de chronicisation et de développement de l’état de stress post-traumatique. 7 - L’état de stress post-traumatique n’est souvent que la continuation au-delà d’un mois des symptômes observés dans la réaction aiguë de stress. Il peut aussi apparaître avec retard par rapport au traumatisme, le plus souvent dans les jours ou les semaines qui suivent ce dernier mais parfois aussi après plusieurs mois ou années. Le syndrome de répétition reste au centre du tableau avec les émotions intenses qui lui sont associées. L’hypervigilance s’y associe ainsi que l’évitement de certaines situations mais également un certain degré d’émoussement affectif, une tendance à l’isolement et au détachement, une raréfaction des intérêts et des projets ou une modification notable de la vision du monde, éventuellement sous-tendue par des sentiments marqués de culpabilité ou de rejet. Dans environ un tiers des cas, une évolution chronique est à craindre. La probabilité de survenue de ce syndrome et son pronostic dépendent en partie du terrain sur lequel survient le traumatisme et notamment de sa comorbidité avec d’autres troubles psychiatriques ou avec un trouble de personnalité. - D’autres types de troubles (dépression, trouble panique, phobies,...) sont également susceptibles d’apparaître après un traumatisme violent soit isolément, soit en association avec ces manifestations. II. Les troubles anxieux La vulnérabilité anxieuse est non seulement susceptible de se manifester à l’occasion d’événements de vie, traumatiques ou non, mais également de manière apparemment spontanée à divers âges de la vie. Les principaux tableaux cliniques seront décrits ci-dessous par ordre chronologique d’apparition et de façon isolée, sans méconnaître cependant leur fréquente association chez les mêmes individus soit de manière contemporaine, soit de manière successive dans le temps. Plusieurs études longitudinales ont en particulier démontré que les troubles anxieux constatés chez l’enfant ne se retrouvaient pas obligatoirement sous une forme identique chez l’adulte, mais que leur présence augmentait notablement le risque ultérieur de développement d’un trouble anxieux ou dépressif. 8 II.1. L’anxiété généralisée L'anxiété généralisée est fréquente (5-10%) mais ne peut être diagnostiquée que si ses symptômes durent depuis plus de six mois. Dans ce cas, le trouble est caractérisé par la survenue involontaire d’inquiétudes relatives à des événements négatifs mais réalistes, portant sur la vie quotidienne et dont le patient surestime la probabilité de survenue. Les ruminations caractéristiques de l’anxiété généralisée sont incontrôlables, portent sur des sujets variables (la famille, le travail, la santé, la maison), s’accompagnent de symptômes d’hypervigilance (tension, insomnie, fatigue, difficultés de concentration, réactions de sursaut) et sont source d’un handicap fonctionnel sans lequel le diagnostic du trouble ne saurait être porté. Le trouble comporte souvent des symptômes fonctionnels chroniques (douleurs musculaires ou rachidiennes, céphalées, insomnie, troubles digestifs …) qui peuvent être source d'errance diagnostique en médecine générale ou en consultation spécialisée. L’anxiété généralisée coexiste fréquemment avec les autres troubles anxieux et avec la dépression ; elle peut également précéder l’apparition de ces troubles ou persister à titre de séquelle après leur disparition. II.2 Les troubles phobiques II.2.a Les phobies spécifiques Très fréquentes dans la population générale (10-15%), elles sont limitées à un stimulus déterminé (objet ou situation) comme la proximité de certains animaux, les endroits élevés, les orages, l’obscurité, la foule, les espaces clos, la vue du sang… Face au stimulus phobogène, la réaction anxieuse est immédiate et systématique, pouvant parfois atteindre l’intensité d’une attaque de panique ; cette confrontation peut aussi donner lieu à une anticipation anxieuse ou à un évitement plus ou moins systématique mais le handicap fonctionnel est habituellement minime. Les phobies spécifiques apparaissent le plus souvent dans l’enfance, restent stables au cours de l’existence, mais peuvent parfois s’aggraver à l’âge adulte sous l’influence de facteurs divers : survenue d’attaques de panique, traumatismes, événements de vie, maladie (notamment chez le sujet âgé). 9 II.2.b. La phobie sociale L’anxiété sociale pathologique se caractérise par une perturbation du fonctionnement social, permanente ou répétée avec crainte ou évitement excessif des étrangers. Le trouble interfère de façon significative avec les relations sociales ; toute situation sociale nouvelle ou imposée provoque une gène et un désarroi marqués. Normale et adaptative chez les adolescents confrontés aux modifications de leur tissu socio-relationnel, l’anxiété sociale peut s’aggraver à cette époque de manière progressive jusqu’à constituer le tableau de la phobie sociale, le plus fréquent des troubles anxieux rencontré chez l’adulte (8-10%). Dans ce trouble, l’anxiété relève principalement de la crainte d’être jugé négativement par autrui et se révèle donc essentiellement dans les situations d’interaction sociale notamment face aux inconnus, aux personnes du sexe opposé ou à celles occupant une position d’autorité. Dans ces cas les patients appréhendent ou évitent des situations comme les réunions, le fait d’écrire, de manger ou de téléphoner en public ou les situations nécessitant d’interagir avec un tiers ou de s’affirmer face à un interlocuteur. La peur de s’exprimer en public est toujours présente mais ne saurait constituer à elle seule un élément diagnostique suffisant tant elle est fréquente dans la population générale. Ces phobies sociales sont souvent expliquées par les patients par la peur de rougir, de trembler ou de bafouiller ou tout simplement celle qu’on ne remarque leur embarras ; contrairement au trac ou à la timidité, elles entraînent des conséquences fonctionnelles handicapantes et des complications qui, comme la dépression ou l’alcoolisme, sont souvent révélatrices de troubles évoluant déjà depuis plusieurs années. Les phobies sociales surviennent plus fréquemment chez des sujets chez lesquels un tempérament qualifié «d’inhibition comportementale à la nouveauté», est associé avec anxiété et repli dans les situations non familières (notamment face à des inconnus) et une réactivité sympathique exagérée lors de ces confrontations. 10 II.2.c L'agoraphobie L'agoraphobie est caractérisée par la crainte d'être confronté à certaines situations (espaces découverts, être en dehors du domicile, magasins, foules, endroits publics, transports en commun …), qui sont de ce fait fréquemment évitées. Il existe des liens complexes entre agoraphobie et trouble panique, que reflètent les positions différentes des classifications : la CIM-10, qui range l'"agoraphobie" parmi les "troubles phobiques", distingue entre "agoraphobie avec trouble panique" et "agoraphobie sans trouble panique", tandis que le DSMIV (qui distingue entre "agoraphobie sans antécédents d'attaques de panique" et "trouble panique") met l'accent sur l'importance des attaques de panique en séparant le "trouble panique sans agoraphobie" et le "trouble panique avec agoraphobie". II.3 Le trouble panique et l’agoraphobie Le trouble panique débute brutalement chez un adulte jeune (25-35 ans) et résulte de la répétition d’épisodes d’anxiété aigus et spontanés : les attaques de panique. Sa prévalence est d’environ 1- 2% chez l’adulte ; il est plus fréquent chez la femme (2/3). L’attaque de panique ou crise aiguë d’angoisse, se caractérise par un début brutal, sans facteur déclenchant évident, marqué par la survenue de symptômes physiques intenses : tachycardie, douleurs thoraciques, dyspnée, sensations vertigineuses, paresthésies, sueurs. Ces symptômes s’accompagnent d’un sentiment de perte de contrôle et/ou de catastrophe imminente : peur de mourir, de perdre connaissance, d’étouffer, de devenir fou, de tomber, de vomir, de perdre le contrôle de ses sphincters. Ces cognitions « catastrophiques » amènent souvent le patient à interrompre ses activités et à consulter en urgence, aucune explication médicale immédiate n’étant susceptible de rendre compte de la survenue de ce malaise. Le caractère subit de ces crises est d’ailleurs vérifié par la survenue possible de crises de panique nocturnes, dont les symptômes physiques réveillent le patient dans son premier sommeil, en dehors de toute activité onirique. La répétition des crises va entraîner chez certains individus l’apparition d’une anxiété inter-critique de plus en plus importante, et constituer ainsi, de façon progressive, le trouble panique proprement dit. Cette anxiété peut alors revêtir soit la forme d’une anticipation permanente, le patient vivant dans la crainte de voir se reproduire ses crises de manière inopinée, soit la forme d’une anxiété phobique, le patient évitant l'ensemble des situations dont il pourrait facilement s'échapper et dans lesquelles il ne pourrait être facilement secouru en cas de nouvelle attaque de panique. 11 C’est dans ce dernier cas qu’on parlera d’agoraphobie avec attaque de panique, terme utilisé pour désigner, non seulement la peur de la place publique et des grands espaces, mais la diversité des situations phobogènes rencontrées chez ces patients : endroits publics, foule, transports en commun, conduite automobile, ponts, tunnels, situations d’immobilité prolongée (coiffeur, encombrements), éloignement d’un pôle de sécurité,... Le déclenchement du trouble panique est souvent consécutif à des facteurs de stress dont la nature varie en fonction des sujets : surmenage, prise de toxiques, difficultés personnelles ou professionnelles, deuils, problèmes médicaux... Contrairement à la chronicité observée dans la plupart des troubles précédemment décrits, l’évolution du trouble panique peut être résolutive en quelques semaines à quelques mois, même si la vulnérabilité du patient l’expose à des rechutes ultérieures. Dans d’autres cas, une chronicisation est possible malgré la disparition des crises de panique spontanées du fait de l’aggravation de l’agoraphobie. II.4 Autres troubles anxieux II.4.a Le Trouble anxieux du à une affection médicale générale Ce trouble doit être systématiquement envisagé chez tout sujet qui présente des symptômes anxieux non étiquetés, car les interventions thérapeutiques seront alors à visée étiologique. Les symptômes anxieux retrouvés sont en règle générale des symptômes d'anxiété généralisée, des attaques de panique, voire des symptômes obsessionnels compulsifs ou phobiques. Ces symptômes peuvent se rencontrer dans de nombreuses pathologies médicales, notamment : maladies neurologiques (tumeurs cérébrales, traumatismes cérébraux, crises comitiales, démence débutante, hémorragies sous-arachnoïdiennes, migraines, encéphalites, sclérose en plaques, épilepsie, maladie de Wilson, maladie de Hungtington), maladies cardio-respiratoires (troubles du rythme cardiaque, pathologie ischémique, insuffisance respiratoire, embolie pulmonaire), maladies endocriniennes (thyroïde, para-thyroïdes, hypophyse, surrénales, phéochromocytome, diabète), maladies infectieuses, maladies inflammatoires (lupus érythémateux disséminé, polyarthrite rhumatoïde, péri-artérite noueuse, maladie de Horton), maladies métaboliques (carence en vitamine B12, pellagre), cancers, insuffisance rénale notamment. Du fait de sa fréquence et du terrain de survenue similaire à celui des troubles anxieux (femme jeune), l’hyperthyroïdie sera systématiquement évoquée si les symptômes sont évocateurs. 12 II.4.b Le Trouble anxieux induit par une substance Il peut survenir dans un contexte d'intoxication ou dans un contexte de sevrage à une substance. Les substances en cause sont en particulier l'alcool, les opiacés, les psychostimulants, et notamment la caféine ainsi que certains médicaments (methylxanthines, bêta-stimulants, corticostéroïdes, substances prodopaminergiques). II.4.c La symptomatologie anxieuse n'entrant pas dans le cadre des troubles anxieux avérés Les limites sont parfois ténues entre anxiété normale, anxiété pathologique et troubles anxieux avérés. Ainsi, certains patients présentent des symptômes anxieux significatifs, qui sont au-delà de l'anxiété normale, mais qui n'atteignent pas les seuils requis en termes d'intensité ou de durée pour parler de trouble anxieux avéré : on parle alors de pathologie sub-syndromiques (catégorie des troubles anxio-dépressifs mixtes de la CIM 10). Ces symptômes peuvent néanmoins être source de souffrance et de dysfonctionnement, et justifier d’un suivi, voire d’une prise en charge thérapeutique. Enfin, ils peuvent évoluer éventuellement vers des troubles anxieux avérés. Ces tableaux s'intègrent également dans le cadre des troubles de l'adaptation, décrits précédemment. III. Traitement III.1 Les traitements d’urgence Les situations d’urgence liées aux troubles anxieux non associées à d'autres troubles psychiatriques se résument à la prise en charge des attaques de panique et à celle des victimes de traumatismes récents. III.1.a La crise aiguë d’angoisse ou attaque de panique L'attaque de panique est une urgence subjective pour celui qui la subit mais n’expose le patient à aucune conséquence pathologique notable, en l’absence d'autre pathologie associée. Par contre elle peut entraîner une augmentation du risque de passage à l'acte suicidaire lorsqu’elle survient sur un terrain prédisposant, notamment dépression ou trouble grave de la personnalité. La conduite à tenir se résume à des gestes simples et de bon sens : Isoler le patient des stimulations anxiogènes, notamment l’inquiétude des proches Le rassurer et dédramatiser la situation par un examen physique rapide Eliminer un appoint organique, notamment toxique Refocaliser l’attention du patient sur autre chose que ses symptômes physiques en l’interrogeant sur ses antécédents, les circonstances d’apparition de sa crise... 13 Lutter contre les effets de l’hyperventilation et de l’hypocapnie secondaire en lui faisant adopter une respiration physiologique Si les mesures précédentes ne suffisent pas, envisager l’administration par voie orale d’un anxiolytique d’absorption rapide comme le diazepam, le recours à une injection intra-musculaire de benzodiazépine (BZD) ayant le double inconvénient d’une absorption incomplète et lente et celui de renforcer les cognitions "catastrophiques" du patient. III.1.b La prise en charge précoce des victimes de traumatisme Bien que les techniques dites de « debriefing » aient été récemment contestées sur la base d’études contrôlées de manière scientifique, les interventions précoces auprès des victimes se sont imposées dans la pratique médicale. Leurs principaux objectifs sont : repérage et traitement des patients présentant des manifestations aiguës de stress et notamment une symptomatologie dissociative. information des victimes et de leurs proches sur les modalités évolutives de leurs symptômes et les possibilités d’aide en cas de persistance de ces derniers support psychologique et notamment possibilité d’une écoute de ceux souhaitant verbaliser les émotions, souvent violentes, ressenties au cours de la situation traumatique. Les benzodiazépines sont à utiliser avec parcimonie à ce stade, certaines études suggérant qu’elles puissent favoriser le risque ultérieur de développement d’un trouble de stress post-traumatique. III.2 Les traitements de fond III.2.a Les psychothérapies comportementales et cognitives (TCC) Les TCC s’intéressent principalement aux mécanismes d’acquisition et d’apprentissage des comportements normaux et pathologiques et aux processus conscients ou inconscients de traitement de l’information. Limitées dans le temps, ces psychothérapies se caractérisent par leur aspect très interactif et par le nombre des études scientifiques ayant démontré leur efficacité (notamment dans les troubles anxieux). Leurs indications privilégiées sont le refus scolaire, les troubles phobiques, l’agoraphobie, les troubles obsessionnels et compulsifs, les dépressions d’intensité modérée. Les TCC peuvent être utilisées en association avec les traitements psychotropes. Contrairement à ces derniers, les TCC ont un effet thérapeutique durable, qui persiste bien au delà du traitement et limite ainsi le risque de rechute. 14 Les principales techniques utilisées en TCC sont : la relaxation, la désensibilisation (par exposition in vivo ou en imagination), l’affirmation de soi, la restructuration cognitive. Toutes visent à assurer une meilleure autonomie et un contrôle accru du patient sur les divers aspects pathologiques de son anxiété, tout en préservant chez celui-ci les modulations anxieuses normales et leur rôle adaptatif. Vu le nombre encore limité des spécialistes des TCC en France, signalons l’intérêt potentiel des techniques de relaxation, plus facilement accessibles, sur la symptomatologie somatique de nombreux troubles anxieux, notamment l’anxiété généralisée. III.2.b Les traitements psychotropes Ils doivent toujours être associés à une approche psychoéducative associant réassurance, explications sur les symptômes et information sur le caractère adaptatif de l’anxiété « normale ». En fonction de leur délai d’action on peut distinguer : Des psychotropes ayant une activité anxiolytique rapide : C’est avant tout le cas des benzodiazépines (BZD) dont de nombreux dérivés existent sur le marché. Leurs propriétés pharmacologiques sont voisines : anxiolyse, sédation, activité myorelaxante, anticonvulsivante et amnésiante. Elles exposent toutes à un risque de dépendance en cas d’utilisation prolongée, et ne devraient, de ce fait, pas être prescrites de façon continue pour plus de 12 semaines consécutives dans l’anxiété et pour plus de 4 semaines dans l’insomnie. Même dans ces cas, l’arrêt du traitement devrait être progressif afin d’éviter l’apparition d’une anxiété-rebond ou de symptômes de sevrage qui caractériseraient l'instauration d'une dépendance. Les BZD sont indiquées à titre symptomatique dans le traitement des manifestations d’anxiété intenses et/ou invalidantes. Elles peuvent être utilisées transitoirement en association avec les antidépresseurs en attendant le développement de l’activité thérapeutique de ces derniers. Dans l’anxiété généralisée, elles peuvent être utilisées seules pour une période de temps limitée du fait de l’exacerbation souvent transitoire des symptômes. Dans le trouble panique, les BZD peuvent être utilisées comme traitement des attaques de panique ou du trouble panique ; cette dernière indication est cependant limitée par le risque de dépendance. 15 En ce qui concerne les autres psychotropes d’action rapide (anti-histaminiques, neuroleptiques sédatifs), leur utilisation n’est pas étayée par des essais cliniques contrôlés et relève donc de contre-indications éventuelles aux BZD, ou de l’inefficacité de ces dernières. Les carbamates ne devraient plus être utilisés (risque de dépendance, cardiotoxicité en cas de surdosage, effet inducteur sur les enzymes hépatiques) . Des psychotropes ayant une activité anxiolytique progressive, c’est-à-dire se développant en 2 à 4 semaines : Il s’agit avant tout des antidépresseurs et notamment des inhibiteurs spécifiques de la recapture de sérotonine (ISRS), dont l’efficacité dans les troubles anxieux est indépendante de l’existence d’une symptomatologie dépressive associée. Cette efficacité a été démontrée dans l’ensemble des troubles anxieux de l’adulte (à l’exception des troubles de l’adaptation et des phobies spécifiques), même si tous ne possèdent pas l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour l’ensemble de ces indications. Les ISRS doivent être utilisés aux mêmes posologies que celles connues pour être efficaces dans les états dépressifs majeurs ; seuls les TOC peuvent nécessiter des posologies plus importantes en cas de non réponse aux posologies habituelles. Du fait de la sensibilité accrue des patients souffrant de troubles panique aux effets secondaires des médicaments, le traitement sera initié aux plus faibles doses possibles sur ce terrain. En ce qui concerne les autres types d’antidépresseurs, la venlafaxine possède une indication AMM dans le trouble anxieux généralisé. Les antidépresseurs tricycliques peuvent être utilisés en seconde intention dans le traitement du trouble panique et dans celui du TOC. L’utilisation des IMAO mérite d’être tentée dans les troubles anxieux résistants et notamment dans les phobies sociales. La buspirone est un autre psychotrope d’activité progressive dont l’efficacité a été démontrée dans le traitement de l’anxiété généralisée. 16 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 – Maturation et Vulnérabilité Question 42 Troubles du comportement alimentaire de l’adulte Rédaction : F Baylé, R Dardennes, JD Guelfi, H Lôo, JP Olié Relecture : R Dardennes, F Lang Objectifs pédagogiques spécifiques (Anorexie mentale) Connaître la fréquence de l’anorexie mentale et ses facteurs étiologiques Savoir les principales expressions et formes cliniques de l’anorexie mentale Faire le diagnostic d’anorexie mentale de l’adolescence. Savoir les modalités évolutives et le pronostic de l’anorexie mentale Connaître les principes du traitement et de la prise en charge des anorexiques mentales Objectifs pédagogiques spécifiques (Boulimie) Connaître la fréquence de la boulimie et ses facteurs étiologiques Connaître la symptomatologie clinique, dont le déroulement de l’accès boulimique Connaître les modalités évolutives de la boulimie Connaître les principes du traitement de la boulimie A - LES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES Objectifs Reconnaître et diagnostiquer : - une anorexie, - des conduites boulimiques, - des vomissements, - un mérycisme. Evaluer les critères de gravité d’un état de dénutrition. Faire les investigations complémentaires pour estimer les complications des troubles alimentaires. Proposer les traitements adéquats en fonction de l’état clinique et des éléments psychopathologiques. I. GÉNÉRALITÉS : LE COMPORTEMENT ALIMENTAIRE HUMAIN Versant comportemental de mécanismes de régulation énergétique nutritionnelle qui assurent l’homéostasie de l’organisme. Plusieurs mécanismes entrent en jeu : - faim, - satiété, - apprentissage alimentaire. et II. DÉTERMINISMES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE HUMAIN • Physiologiques, • psychologiques, • comportementaux (les préférences et les rejets alimentaires sont appris), • environnementaux (la vie en société impose les heures et le nombre de repas, on « apprend » à avoir faim à l’heure), • l’homme aime ce qui le nourrit, • quand les apports énergétiques sont limités, le volontaire humain compense en mangeant davantage, • En cas d’excès alimentaire, la compensation se fait moins bien. III. EPIDÉMIOLOGIE DES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES • Prévalence de l’obésité en France : 10 %. • Prédominance féminine des troubles pour les formes à début péri pubertaire, sex-ratio 1/9. IV. PICA A. Définition : Ingestion de substances non nutritives tels que terre, cailloux, végétaux, papiers, excréments, cheveux, peinture, etc… Ne représente pas une pratique culturellement admise. B. Etiologie : Carences martiales. Carences en zinc. Négligence et carences parentales. Retard de développement. Troubles psychiatriques (autismes, schizophrénie). C. Evolution et complications : Digestives : trouble du transit, occlusions intestinales bénignes, corps étrangers. Respiratoires : fausses routes répétées. Infectieuses, bactériennes ou parasitaires. D. Traitement : Prise en charge complexe. Résultats décevants. Les neuroleptiques donnent des améliorations transitoires chez les patients délirants. Peut être considéré comme un comportement appris et bénéficier de techniques comportementales. Aménagement des lieux et surveillance du patient en milieu institutionnel. V. MÉRYCISME A. Epidémiologie : Rumination avec régurgitation puis réingestion du bol alimentaire et ceci de façon répétée. La fréquence du mérycisme dans la petite enfance a considérablement diminué. Le mérycisme continue à exister chez des jeunes adultes anorexiques ou boulimiques. B. Clinique : Rumination « physiologique » chez des sujets indemnes de tout autre trouble. Enfants hospitalisés. Retards mentaux. Associé à des troubles du comportement alimentaire. C. Etiologies : Le syndrome de rumination est sous-diagnostiqué, comportement souvent caché mérycisme associé aux troubles alimentaires dans 20 % des cas. D. Examens complémentaires : Pas d’investigation particulière ; la manométrie œsophagienne ne semble pas nécessaire pour faire le diagnostic. E. Evolution et complications : Dénutrition. Déshydratation. Retard de développement. F. Traitement : Le traitement fait appel à des techniques comportementales et de relaxation ou bien le mérycisme disparaît avec le traitement des troubles alimentaires sans action thérapeutique spécifique. VI. AUTRES TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE L’ENFANT Anorexie précoce du nourrisson. Vomissements, régurgitations. Anorexie pré-pubère : - Sex-ratio = 1 - sémiologie faite d’hyperactivité et de refus de manger et de boire - risque de retard staturo-pondéral - aménorrhée primaire VII. CHEZ ANOREXIE MENTALE A. Critères de diagnostic de l’anorexie : Refus de maintenir un poids au-dessus de IMC (indice de masse corporelle) = 17,5. IMC normal entre 20 et 25. Peur intense de devenir gros. Altération de la perception du corps, déni des troubles (non-reconnaissance de l’état de maigreur ou de danger vital). Aménorrhée. Sous-type restrictif / sous-type boulimie, vomissements, laxatifs. B. Hypothèses étiopathogéniques : Facteurs biologiques : - Neuropeptide Y –cholécystokinine – ghréline - leptine. Facteurs psychologiques : - troubles du développement précoce entre 0 et 2 ans (séparation précoce entre mère et enfant), - interactions familiales (elles sont généralement perturbées dès l’apparition du trouble alimentaire, mais peuvent précéder l’apparition du trouble : troubles de la communication intra-familiale, confusion des rôles parentaux). Facteur socioculturel, il s’agit probablement d’un facteur de risque, mais pas d’une cause à proprement parler. Facteurs génétiques : ce sont vraisemblablement des facteurs de vulnérabilité génétique. C. Epidémiologie : Prévalence de l’anorexie : 1 % de la population adolescente de plus de 16 ans. Prédominance féminine des troubles pour les formes à début pré-pubertaire : sex-ratio 1/9. Taux de mortalité : 15-20 %. Causes de mortalité essentiellement : - dénutrition, - suicide. D. Clinique : Début des troubles classiquement à l’adolescence. Transformations corporelles au moment de la puberté. Existence de formes à début pré-pubertaire. Et de formes à début plus tardif. Prédominance féminine des troubles dans la forme « classique ». Début des troubles pouvant se faire sous la forme de restrictions, mais aussi de grignotages entraînant un léger surpoids. Amaigrissement rapide ou progressif. Sensation de faim persistante qui ensuite s’atténue. Préoccupations excessives concernant l’alimentation avec comptage des calories. Stratégie de contrôle du poids : - prise de laxatifs, - prise de diurétiques, - vomissements, - prise d’extraits thyroïdiens, - omissions volontaires d’insuline chez les diabétiques insulino-dépendants. Aménorrhée : Autrefois considérée comme un symptôme clé. Ne peut être mise en évidence que si les règles n’apparaissent pas après arrêt du traitement œstroprogestatifs de plus en plus souvent prescrit (à visée contraceptive ou pour traiter une ostéoporose). Le début des troubles peut se faire par des vomissements provoqués, par des crises boulimiques. Notion de continuum dans l’évolution des troubles alimentaires avec passage d’une forme restrictive à une forme boulimique. 50 % des patients qui ont présenté un épisode d’anorexie ou de régime strict développeront à un moment de leur évolution des comportements boulimiques. Les conduites restrictives : Restrictions d’abord quantitatives : diminuer les portions, cacher ou stocker la nourriture. • Restrictions qualitatives : éliminer certaines catégories d’aliments. • Les seuls aliments généralement acceptés par les patientes anorexiques sont les fruits (sauf bananes), les légumes verts et les laitages. • Apparition d’un végétarisme plus ou moins justifié. • Préférence pour des produits allégés, des édulcorants, des laitages à O % de matière grasse. Déni des troubles. Hyper-investissement scolaire ou professionnel. Troubles de la perception corporelle : • Non-reconnaissance de l’état de maigreur. • Phénomène identique chez les sujets obèses. • Cas particulier des professions qui imposent un poids ou une apparence corporelle (danseurs, mannequins, jockeys, judokas…). Hyperactivité physique : • Décrite par les patients comme une stratégie de contrôle du poids. • Mais aussi comme un comportement incontrôlable. • Données chez l’animal qui mettent en évidence le développement d’une hyperactivité physique en relation avec l’état de dénutrition. • Besoin qu’éprouvent certains sujets de boire constamment, le plus souvent de l’eau, mais aussi tout autre liquide à leur portée. • S’accompagne de polyurie. • Dans les troubles du comportement alimentaire, la consommation excessive de boissons se rencontre dans plusieurs cadres : volonté de se purger, de nettoyer, de purifier l’intérieur de l’organisme sous-tendue par l’idée que la consommation de boisson fait perdre du poids. • Chez les patients boulimiques, c’est un élément facilitant les vomissements. • D’autre part, le fait de vomir de façon importante entraîne une déshydratation et une sensation de soif. • Quand la potomanie atteint 10 litres de liquide par jour, elle peut entraîner des troubles métaboliques graves tels qu’hyponatrémie avec risque d’épilepsie ou de coma. • Le traitement ne peut être dissocié de celui du trouble alimentaire et fait appel à des techniques comportementales. Autres troubles comportementaux : • Restriction hydrique. • Consommation excessive d’épices. • Stockage alimentaire (syndrome du hamster). • Mérycisme et régurgitations. • Auto-saignements. • E. Examens complémentaires : Ionogramme : kaliémie / phosphorémie Bilan hépatique Formule numération sanguine Protéines de la nutrition Electrocardiogramme Impédancemétrie (mesure de la composition corporelle) Ostéodensitométrie F. Evolution et complications : Troubles digestifs : retard à la vidange gastrique Hypertrophie des glandes salivaires Troubles des phanères / lanugo Ostéoporose Troubles de la fertilité Hypotrophie ou malformations fœtales Risque d’infections (mycobactérie) Iatrogène (ré-alimentation trop brutale, « refeeding syndrome ») se manifestant par une aggravation de la cytolyse hépatique avec troubles de l’hémostase et hypophosphorémie à l’origine de troubles du rythme cardiaque. G. Diagnostic différentiel : Dépression Schizophrénie dans moins de 10 % des cas Trouble obsessionnel-compulsif Troubles de la personnalité de tout type, mais plus particulièrement évitante et état limite dans 50 % des cas Dénutrition : - signes cliniques : • bradycardie, • acrocyanose, • œdèmes des membres inférieurs, • troubles de phanères, • lanugo, • œdèmes, • hypotension, • hypothermie, • mauvais état bucco-dentaire, - signes biologiques : • perturbations du bilan hépatique, • troubles de l’hémostase, • pan cytopénie possibilité de nécrose (probablement d’origine carentielle). gélatineuse de la moelle H. Traitement : Hospitalisation : • Durée des programmes de soins entre trois et quatre mois liée aux caractéristiques cliniques et évolutives des troubles. • Etats de dénutrition parfois sévères (parfois nécessité de transfert en service de réanimation pour une renutrition médicalisée). • Hospitalisation libre, mais contractuelle. • Approches diététiques et nutritionnelles. • Approches cognitivo-comportementales. • Psychothérapies individuelles et de groupe. • L’anorexie mentale est une situation médicale, psychopathologique et interpersonnelle complexe, grave et souvent chronique. • La plupart des symptômes physiques et psychologiques résultent de la malnutrition. Buts du traitement : • Traiter la dénutrition et les problèmes biologiques associés. • Restaurer des comportements alimentaires corrects. • Traiter les troubles psychologiques et comportementaux. • Prendre en compte les déficits sociaux. Cibles thérapeutiques : • Dénutrition. • Troubles métaboliques. • Comportements pathologiques potentiellement dangereux. • Comorbidité psychiatrique. Programme de soin : • Evaluation en consultation. • Présentation de l’hospitalisation et de l’unité de soin. • Semaine d’observation. • Réalisation d’un contrat de traitement. • Evaluation hebdomadaire des objectifs thérapeutiques. Le contrat thérapeutique : • Rendu nécessaire par le fait que les comportements alimentaires pathologiques ne peuvent être déconditionnés que dans un environnement standardisé. • Elimine le plus possible les contingences de l’environnement qui rendraient difficile l’application des techniques comportementales. • Evite les attitudes de « manipulation » fréquemment rencontrées dans ce type de troubles. • Rassure les patients en appliquant un cadre à l’intérieur duquel il devient difficile d’émettre des comportements de dissimulation, de stockage de nourriture, de vomissements, de boulimie, etc… • Permet d’établir une relation de coopération entre le patient et ses thérapeutes en ce qui concerne le programme de soins. • Fixe la durée des soins. • Est la seule référence tout au long de la prise en charge. Les différentes phases du traitement hospitalier : • Phase 1 : - axée sur la renutrition, - permet de commencer le programme de diversification alimentaire. • Phase 2 : - ré-apprentissage alimentaire complet. • Phase de stabilisation : - se tester à l’extérieur. Les traitements nutritionnels : • La stratégie de renutrition dépend des éléments cliniques et paracliniques : - perte de poids rapide = facteur de gravité, - BMI < 14, - hypokaliémie, - cytolyse hépatique, - hypophosphorémie. • Moyens : - alimentation par son nasogastrique, - apports caloriques très progressifs, - supplémentation en phosphore, vitamines et oligo-éléments, - régime désodé. Les traitements comportementaux : • Application du conditionnement opérant à la modification du comportement alimentaire (système de renforçateurs). • Techniques de modeling (repas thérapeutiques). • Exercices d’évaluation des quantités alimentaires. • Ateliers repas. Approches psycho-éducatives : • Sous forme de groupes d’information. • Différents thèmes relatifs aux troubles alimentaires. Thérapie cognitive : • Cibles thérapeutiques : - distorsions cognitives, - croyances irrationnelles relatives : ∗ aux aliments, ∗ à la représentation corporelle, ∗ à l’estime de soi. Thérapie d’affirmation de soi : • Traiter un défaut d’assertivité : - inhibition, - agressivité. • Traiter une phobie sociale. Technique de relaxation : • Type training autogène de Schultz. • Type technique de Jacobson : - contrôler l’anxiété post-prandiale, - aider à contrôler les régurgitations, le mérycisme. Autres psychothérapies : • Groupe d’expression. • Psychothérapies à médiation artistique. • Psychothérapie d’inspiration analytique. Thérapie familiale : indiquée plutôt chez les adolescents et jeunes adultes. Suivi ambulatoire : • Consultations régulières avec le psychiatre référent. • Consultations de diététique. • Groupe d’expression. • Repas thérapeutiques. • Poursuite ou reprise des psychothérapies individuelles. Au total : • Difficultés à poursuivre en ambulatoire un support thérapeutique aussi important. • Ne résout pas le problème des rechutes. • S’adapte difficilement aux patients présentant des troubles graves de la personnalité. Avantage de ce type de protocole : • Très bonne efficacité à court terme. • Permet d’obtenir des bons résultats même chez des patients chroniques. • Personnel compétent en technique de renutrition, de thérapie cognitivocomportementale, de relaxation… • L’hospitalisation fait partie d’un programme de soins. • Les troubles alimentaires, en particulier l’anorexie, nécessitent une post-cure prolongée. VIII. BOULIMIE Différents aspects cliniques : • Boulimie. • Binge eating disorder. • Night eating syndrome. • Hyperphagie. • Grignotages. A. Critères de diagnostic de la boulimie : Survenue récente de crises de gloutonnerie : • quantité de nourriture largement supérieure à la normale, • sentiment de perte de contrôle pendant la crise. Comportements visant à perdre du poids. Survient en moyenne deux fois par semaine pendant trois mois. Estime de soi influencée de manière excessive par le poids et les formes corporelles. B. Epidémiologie : Prévalence de la boulimie : 3 à 5 %. C. Caractéristiques de la boulimie : Caractéristiques physiologiques : • fluctuations pondérales, • aménorrhée ou dysménorrhée, • effets de la privation ou semi-privation / risque d’ostéoporose. Caractéristiques comportementales : • épisodes récurrents de gloutonnerie incontrôlable, • stratégies de compensation pour contrôler le poids, • refus de maintenir le poids physiologique. Caractéristiques psychologiques : • préoccupations extrêmes concernant le poids et les formes corporelles, • instabilité affective, • peur de la grosseur, • dépression, anxiété, honte du fait de la perte de contrôle, • impulsivité, comportements auto-agressifs, abus de substance, tentatives de suicide… • grand besoin d’approbation, • difficultés d’adaptation sociale, • faible estime de soi et auto-dépréciation. Conséquences somatiques des boulimies : • syndromes pseudo occlusifs, • prise de poids, • hypertrophie des glandes salivaires (parotidomégalie), • mauvais état nutritionnel malgré un poids normal, • troubles des règles. Conséquences des vomissements : • hypokaliémie, • érosions dentaires, • douleurs œsophagiennes et gastriques, • ingestion de corps étrangers au cours des vomissements provoqués, • fausse route. D. Traitement : Cibles du traitement : Comportements potentiellement dangereux : • crises de boulimie, • vomissements, • restrictions alimentaires. Les méthodes comportementales, les méthodes cognitives et les méthodes mixtes peuvent être envisagées en individuel ou en groupe. Méthodes comportementales : • auto-enregistrement, • planification des repas, • contrôle de stimulus, • résolution de problèmes. Méthodes cognitives : • compréhension des relations entre croyances, affects et comportement, • correction des perturbations de l’image corporelle, • examiner la connexion entre perception de sa valeur et apparence physique, • mettre à distance les émotions, • examiner la valeur adaptative et fonctionnelle des croyances, • distancer les croyances, • déterminer des conséquences réalistes, • chercher des explications alternatives, • développer des sentiments réalistes. Groupe psycho-éducatif pour la boulimie : • programme psycho-éducatif, • délivre des informations au sujet de la nature des troubles, • propose de favoriser le changement d’attitude et de comportement, • processus didactique, • donne des informations scientifiques : - les patients sont perplexes devant toutes les informations qu’ils reçoivent, - parler du modèle de multi-détermination de la boulimie. • Répond à des questions telles que : - pourquoi ai-je développé ce problème ? - qu’est ce que je peux faire pour aller mieux ? Au total Difficultés méthodologiques à évaluer une technique en particulier : • hétérogénéité des populations, • fort taux d’abandon, même pour des thérapies brèves, • les patients ont plusieurs thérapies en même temps. Bâtir une stratégie thérapeutique sur le long terme. Proposer des approches séquentielles. Utiliser une seule technique à la fois. Favoriser des prises en charge bi-focales. Traiter une comorbité. L’efficacité des traitements à long terme n’est guère assurée. PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 – Maturation et Vulnérabilité Question 43 TROUBLES DU SOMMEIL DE L'ADULTE Rédaction : B. Bonin - Relecture : D. Pringuey Objectifs pédagogiques spécifiques Connaître le sens des termes hypersomnie, somnolence diurne excessive, trouble du rythme circadien, parasomnie Savoir orienter l’ examen clinique face à une plainte de trouble de sommeil telle que l’insomnie Connaître les principales causes d’insomnies secondaires d’origine psychiatrique : troubles anxieux, épisode dépressif majeur, état maniaque Connaître les principales classes d’hypnotiques et leurs indications I - GENERALITES 1 – LE SOMMEIL Le sommeil est un besoin physiologique et fondamental qui occupe le tiers de l'existence de l'être humain. Fonction physiologique, vitale, rythmique, adaptative, le sommeil est indispensable à la vie tant au plan physique que psychique. Le sommeil, en effet, contient et permet le rêve, fonction essentielle de la vie psychique. Organisation phasique Chez l'adulte le sommeil est organisé en cycles avec alternance de phases de sommeil lent, de profondeur croissante (stade I, II, III et IV) et de phases de sommeil paradoxal (sommeil REM : rapid eye movements ou mouvements oculaires rapides). Une nuit de sommeil comporte 4 à 5 cycles, chacun d'une durée d'environ 90 minutes. Dans un cycle, les critères électro-encéphalographiques, électro-myographiques et électro-oculographiques objectivent 5 stades : - stade I et II : sommeil léger - stade III et IV : sommeil lent profond - stade V : sommeil paradoxal SP ou REM (Rapid Eye Movements) La durée totale respective de ces différents stades est en moyenne : - stade I et II : 50 % de la nuit - stade III et IV : 25 % de la nuit - sommeil paradoxal : 25 % de la nuit Au cours de la nuit la durée de ces différents stades varie dans les cycles ; le sommeil lent profond prédomine en début de nuit, le sommeil paradoxal en fin de nuit. Cette configuration évolue également avec l'âge. Chez la personne âgée on décrit : - une augmentation de la durée des stades I et II - une diminution de la durée des stades III et IV - une stabilité de la durée du sommeil paradoxal - une augmentation de la fréquence des éveils nocturnes Stade I - Endormissement - Mouvements oculaires lents - E.E.G. : activité théta (4 à 7 cycles par seconde) et persistance possible d'activité alpha (8 à 13 c/s) Stade II - Sommeil léger - E.E.G. : activité lente théta (4 à 7 c/s) interrompue par des bouffées rapides (12 à 14 c/s) Stade III - Sommeil profond - E.E.G. : activité lente delta (1,5 à 2 c/s) en proportion de 20 à 50 % Stade IV - Sommeil très profond - E.E.G. : activité lente généralisée delta (1,5 à 2 c/s) en proportion supérieure à 50 % ; réactivité très faible. Stade V ou Sommeil Paradoxal ou Sommeil REM (mouvements oculaires rapides) - Sommeil profond au cours duquel surviennent les rêves - Atonie musculaire - Mouvements oculaires rapides 2 – CLASSIFICATION DES TROUBLES DU SOMMEIL Les troubles du sommeil sont classés selon leur forme, leur durée ou leurs causes. - - La classification internationale des troubles du sommeil (ICSD) distingue : les dyssomnies : perturbations de la qualité, de la quantité ou des horaires du sommeil : insomnies, hypersomnies, troubles circadiens. L'origine intrinsèque (cause interne à l'organisme) ou extrinsèque (cause extérieure) est considérée pour la classification. les parasomnies : phénomènes anormaux qui surviennent au cours du sommeil : somnambulisme, cauchemars, terreurs nocturnes… 3 – EXAMEN CLINIQUE Les troubles du sommeil sont une plainte subjective fréquente ; ils nécessitent néanmoins une écoute attentive, un examen clinique minutieux, parfois un interrogatoire de l'entourage. L'examen doit rechercher : - les antécédents - les caractéristiques des troubles : circonstances d'apparition, ancienneté, forme, durée… en recherchant un trouble spécifique - des facteurs circonstanciels - l'existence d'une pathologie psychiatrique ou organique - les signes d'accompagnement : phénomènes hypnagogiques, rites, ronflements, pauses respiratoires, éveils, polyurie, mouvements des membres… - les répercussions diurnes : céphalées, lombalgies, fatigue, somnolence diurne, troubles cognitifs, irritabilité, troubles du comportement, de l'humeur, cataplexie… 4 – EXAMENS COMPLÉMENTAIRES Certaines méthodes permettent de mieux préciser le trouble du sommeil et ses conséquences : - calendriers, agendas de sommeil - nombreux questionnaires spécifiques et échelles analogiques visuelles - tests de performance (attention, labilité psychomotrice…) - mesures objectives de la vigilance L'enregistrement polygraphique du sommeil permet d'objectiver le trouble du sommeil par l'étude de l'architecture interne du sommeil. La polysomnographie comprend l'enregistrement simultané de : - l'électroencéphalogramme - l'électromyogramme du menton - l'électro-oculagramme En fonction des pathologies recherchées on peut également enregistrer : - l'électrocardiogramme - les respirations abdominales et thoraciques - le flux respiratoire - la saturation oxyhémoglobinée - le débit cardiaque - l'électromyogramme de divers muscles II – INSOMNIES 1 – DÉFINITION - ÉPIDÉMIOLOGIE L'insomnie est une plainte subjective qui désigne à la fois une durée insuffisante du sommeil et un sommeil non réparateur. Elle se caractérise, selon les cas, par des difficultés d'endormissement, des éveils au cours de la nuit, un réveil matinal précoce ou encore une impression d'absence totale de sommeil. Les causes en sont multiples. La prévalence apparaît importante : - 10 à 15 % dans la population générale - l'insomnie occasionnelle est la plus fréquente - accroissement de l'incidence avec l'âge - trouble deux fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes après 40 ans - une comorbidité psychiatrique existe dans1/3 des cas - 7 % des ordonnances comportent un hypnotique 2 – INSOMNIES TRANSITOIRES 1) Définitions Les insomnies occasionnelles (quelques nuits) ou à court terme (quelques semaines) surviennent chez des sujets dont le sommeil est habituellement satisfaisant. Leur caractère réactionnel est souvent manifeste. 2) Prévalence Ce sont les insomnies les plus fréquentes : 30 à 40 % de la population générale - 3) Causes diverses Causes psychologiques : évènements de vie, deuil, difficultés familiales, professionnelles, facteurs de stress… Mauvaise hygiène de vie : longues siestes, abus d'excitants, lever ou coucher irrégulier, hyperactivité physique le soir, suractivité professionnelle… Trouble somatique : douleur aiguë, toux, prurit, fièvre… Environnement : nuisances sonores, altitude, mauvaises conditions de coucher, hospitalisation… 4) Traitement Conseils d'hygiène du sommeil - - A faire : se coucher à heure régulière se lever à heure régulière dormir dans une chambre fraîche, sombre, calme se relaxer avant l'heure du coucher (lecture, bain tiède) faire de l'exercice en journée mas pas trop tard en soirée douche chaude le matin, fraîche le soir (pour accompagner l'évolution physiologique de la température) Eviter : le lever tardif la sieste l'après-midi l'alcool un dîner lourd le café, le thé, certains sodas aller au lit trop tôt Prescription d'un traitement Dans le cas de l'insomnie à court terme, la prescription d'un hypnotique à demi-vie courte (cyclopyrrolones : zopiclone (5 H), Imovane* ; imidazopyridines : zolpidem (2,4 H), Stilnox*)peut être envisagée à faible posologie, sur une courte période, quelques jours à quelques semaines, avec réévaluation régulière de la prescription. Il convient d'informer le patient des effets indésirables des médicaments, du risque de dépendance, de la possibilité d'une insomnie de rebond à l'arrêt de l'hypnotique. 3 – INSOMNIES SECONDAIRES 1- Causes psychiatriques Tous les troubles psychiques peuvent s'accompagner d'une insomnie. Les causes psychiatriques représentent 30 à 60 % des causes d'insomnie. Insomnie matinale - Etats dépressifs Les dépressions s'accompagnent, dans 80 à 90 % des cas, d'insomnie. Toutes les formes d'insomnies peuvent être observées ; mais l'insomnie dépressive, en particulier dans la mélancolie, est cliniquement une insomnie matinale : réveil précoce (3 à 4 heures du matin) avec, dès le réveil, recrudescence des symptômes dépressifs (tristesse, ruminations, angoisse, fatigue, idéations suicidaires…). Insomnie d'endormissement - Anxiété Les troubles anxieux et névrotiques sont souvent à l'origine d'une insomnie d'endormissement chronique, l'anxiété s'opposant à l'abandon dans le sommeil. Le coucher s'accompagne souvent d'une tension anxieuse avec crainte de l'insomnie, de ruminations, de rituels. La prescription d'un hypnotique, d'un anxiolytique est souvent indiquée ; il convient cependant d'apprécier le risque de dépendance à l'hypnotique et de rappeler les conseils d'hygiène du sommeil. Insomnie totale Les accès maniaques, les états délirants, les états confusionnels désorganisent le cycle sommeil - veille entraînant souvent une insomnie totale, à l'origine d'une agitation nocturne. Le traitement hypnotique fait souvent appel à la prescription d'un antipsychotique ou au traitement de l’accès maniaque Insomnie chronique Les troubles de la personnalité, les addictions donnent souvent lieu à une insomnie chronique. La prescription d'hypnotiques ou d'anxiolytiques de la famille des benzodiazépines expose à la dépendance, voire à un usage addictif. La chimiothérapie fait appel aux phénothiazines sédatives, aux antidépresseurs sédatifs à faible posologie et surtout à la psychothérapie, à la relaxation. 2) Causes organiques De nombreuses pathologies peuvent perturber le sommeil, en particulier les affections : - douloureuses, par exemple rhumatismales à recrudescence douloureuse nocturne - digestives : ulcère gastro-duodénal, reflux gastro-oesophagien - urinaires - endocriniennes : diabète, hyperthyroïdie - cardiaques - pulmonaires : asthme, insuffisance respiratoire - neurologiques : maladie de Parkinson, sclérose en plaques, maladie d'Alzheimer, séquelles de traumatisme crânien, d'accident vasculaire cérébral Le traitement de l'insomnie est celui de la cause, complété éventuellement par un traitement hypnotique (benzodiazépines) sur une courte durée. 3) Causes toxiques et iatrogènes - Abus de substances stimulantes : café, tabac, amphétamines, cocaïne, psychotropes stimulants - Alcool : l'abus d'alcool est à l'origine d'une perturbation du sommeil (diminution des durées du sommeil lent profond, du sommeil paradoxal) avec endormissement facilité mais réveil précoce et sensation de sommeil non réparateur. Le sevrage alcoolique est également à l'origine d'une insomnie presque totale. - Certains médicaments : théophylline, corticoïdes, antidépresseurs stimulants, hypnotiques au long cours. L'aménagement horaire des prescriptions médicamenteuses, les conseils hygiéno-diététiques sont la base de l'approche thérapeutique. 4 – INSOMNIE CHRONIQUE PRIMAIRE Ce type d'insomnies regroupe la majeure partie des insomnies chroniques pour lesquelles aucune cause n'est retrouvée. L'insomnie est le seul symptôme, résultant, au plan physiopathologique, d'un phénomène d'hyperéveil entravant le fonctionnement des mécanismes d'induction du sommeil. On distingue : - l'insomnie idiopathique qui évolue depuis l'enfance avec souvent des répercussions diurnes - l'insomnie psychophysiologique ; il s'agit d'une insomnie conditionnée, acquise, dépendant à la fois de facteurs psychologiques, peur de s'endormir, anxiété anticipatoire de l'insomnie, et de facteurs physiologiques, conditionnement négatif du sommeil. L'insomnie, objectivée par la polysomnographie, est la préoccupation majeure du patient dont le sommeil est d'autant plus perturbé que le sujet redoute une nuit sans sommeil. - la mauvaise perception du sommeil : hypnoagnosie ; le trouble du sommeil n'est pas retrouvé à l'examen polygraphique et n'a pas de conséquences diurnes. Ces insomnies sont souvent à l'origine de polymédications anciennes qu'il convient de contrôler. Leur traitement fait appel à différentes méthodes : restriction du temps de sommeil, relaxation, psychothérapie, thérapies comportementales. III - TROUBLES DE L'EVEIL ET HYPERSOMNIES Ces troubles, qui concernent entre 2,5 et 8,7 % de la population selon les études, correspondent à une vigilance altérée en durée (hypersomnie) ou en qualité (somnolence diurne). A l'inverse de l'insomnie, ces troubles sont souvent méconnus, négligés, difficiles à diagnostiquer et à traiter d'autant que la déstructuration du sommeil est parfois mal perçue par le patient. 1 – CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES 1 - Cliniques L'excès de sommeil est plus ou moins permanent ou paroxystique : sommeil de nuit très allongé ou somnolence diurne. Il constitue le symptôme unique ou s'inscrit dans un contexte pathologique. Il peut être physiologique à certaines heures ou à certains âges. Ailleurs il est nettement anormal, dépendant de maladies diverses. 2 - Conséquences Elles peuvent être lourdes, responsables d'une diminution des performances professionnelles et cognitives. Aux U.S.A. la somnolence et la fatigue au volant constituent la première cause de mortalité sur les autoroutes (28 % en France de 1988 à 1991). Il en est de même des accidents du travail. 3 - Physiopathologie L'origine de l'excès réside dans de multiples facteurs : - insuffisance aiguë ou chronique de sommeil - sommeil pris à des heures anormales - prise d'alcool - prise de médicaments psychotropes - troubles respiratoires avec fractionnement du sommeil de nuit - état dépressif - anomalies du rythme circadien - lésions cérébrales - narcolepsie ou hypersomnie idiopathique 4 - Traitement Ne comporte que les dérivés amphétaminiques d'usage délicat et non dénué d'inconvénients. 2 – LE SYNDROME D’APNÉES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL 1 - Définitions Le syndrome d'apnées obstructives du sommeil se définit comme un arrêt de l'échange aérien au niveau de la bouche et du nez d'au moins 10 secondes, survenant plus de 5 fois par heures de sommeil alors que les mouvements thoraco-abdominaux persistent. Cette persistance des mouvements thoraco-abdominaux différencie les apnées obstructives des apnées centrales au cours desquelles ces mouvements seront absents. Première cause de somnolence diurne, ce syndrome se rencontre le plus souvent chez l'homme de la cinquantaine, ronfleur, en excès pondéral. Forme très évoluée de cette pathologie, le syndrome de PICKWICK associe apnées du sommeil, obésité, cyanose, polyglobulie, insuffisance cardiorespiratoire. 2 - Clinique - Au cours de la nuit : ronflements, arrêts respiratoires répétés suivis d'un éveil bref, rarement perçu par le patient, et d'une reprise respiratoire bruyante. On note une polyurie nocturne, un sommeil agité avec cauchemars, une transpiration abondante. - Le réveil matinal est difficile avec céphalées, gorge irritée par les ronflements. - Au cours de la journée on retrouve une somnolence diurne, des endormissements involontaires. Le patient se plaint d'asthénie, de troubles cognitifs (attention, concentration, mémoire), d'anxiété, d'humeur dépressive. 3 - Terrain - Obésité ORL : - - hypertrophie amygdalienne - voile du palais hypotonique, long, épais Facteurs aggravants : alcool, benzodiazépines - 4 - Complications Accidents de voiture, du travail Hypertension artérielle, accidents ischémiques cérébraux, coronariens - 5 - Comorbidité Acromégalie, hyperthyroïdie Maladies neuromusculaires Bronchite chronique - 6 - Bilan Polysomnographie Oxymétrie nocturne : diminution de 50 % du taux d'oxygène sanguin au cours des apnées Examen O.R.L. Bilan fonctionnel respiratoire, cardiovasculaire, métabolique - 7 - Traitement Action au niveau des facteurs aggravants : poids, alcool, benzodiazépines Respiration en pression positive continue la nuit Traitement chirurgical dans certains cas : uvulo-palato-pharyngoplastie - 3 – HYPERSOMNIE PAR INSUFFISANCE DE SOMMEIL 1 - Définition Il s'agit d'une restriction chronique de sommeil, volontaire mais non intentionnelle, à l'origine d'une hypersomnolence diurne pour laquelle le patient consulte. Cette insuffisance de sommeil est liée le plus souvent à un travail exigeant, un travail posté, la maladie d'un proche, la naissance d'un enfant… L'existence d'une hypersomnie diurne différencie ce trouble des sujets courts dormeurs qui ont un temps de sommeil court mais sans conséquences diurnes. 2 - Clinique Le sujet se plaint : - réveil difficile - somnolence l'après-midi - altération des performances - difficultés d'attention - irritabilité - fatigue 3 - Examen polygraphique Il montre un sommeil riche en sommeil lent profond, un endormissement rapide confirmant la dette de sommeil. 4 - Thérapeutique Le traitement consiste en un allongement du temps de sommeil avec réapprentissage d'une hygiène de vie. 4 – HYPERSOMNIE IATROGÈNE La somnolence diurne liée à certains médicaments nécessite l'examen de sa durée, de son intensité, de ses conséquences sur la vie quotidienne et la conduite automobile. Un aménagement des posologies prescrites est nécessaire. - Médicaments psychotropes Les hypnotiques à demi-vie longue, les anxiolytiques, les antidépresseurs, les antipsychotiques, les thymorégulateurs peuvent induire une somnolence diurne liée en particulier à l'effet antihistaminique H1. - Autres médicaments Les anticomitiaux, antihistaminiques, myorelaxants, antimigraineux, progestatifs, antalgiques d'action centrale, morphinomimétiques, anti-inflammatomires non stéroïdiens, certains antihypertenseurs comme la clonidine peuvent également être à l'origine d'une somnolence diurne. 5 – LA NARCOLEPSIE 1 - Clinique Décrite par GELINEAU (1880), la narcolepsie, observée plutôt chez l'homme, débutant le plus souvent à l'adolescence, associe une tétrade symptomatique : - une hypersomnie avec somnolence diurne quotidienne excessive, non permanente, survenant souvent aux mêmes heures pour un sujet : attaques de sommeil soudaines, incontrôlables ; - des accès de cataplexie : abolition soudaine, de courte durée du tonus musculaire. Cette hypotonie peut être généralisée ou ne concerner que certains groupes musculaires (chute de la mâchoire, bascule de la tête, dérobement des genoux…). Les accès surviennent souvent à l'occasion d'émotions ; des hallucinations visuelles, auditives, surviennent à l'endormissement, dans un vécu d'angoisse ; - les paralysies du sommeil se caractérisent par une incapacité totale à mobiliser les muscles, à respirer avec une amplitude normale ; elles surviennent lors d'un éveil, durant quelques minutes. Le patient se plaint également d'un sommeil de mauvaise qualité ; l'endormissement est rapide mais il existe de multiples éveils nocturnes avec une activité onirique importante. - - - - 2 - Diagnostic Clinique : il est souvent porté avec un retard de plusieurs années. La cataplexie manque parfois au tableau clinique. Polysomnographie : le test itératif d'endormissement montre une latence courte d'endormissement ( 8 minutes) avec apparition rapide de sommeil paradoxal. Le typage HLA n'est pas indispensable au diagnostic mais écarte le diagnostic dans les cas incertains si l'association avec HLA DR2-DQ1 n'est pas retrouvée. 3 - Comorbidité Une comorbidité peut être retrouvée avec : un syndrome d'apnée du sommeil un syndrome des mouvements périodiques des membres une affection neurologique : tumeur cérébrale, encéphalite, sclérose en plaques, traumatisme crânien 4 - Physiopathologie L'approche physiopathologique de cette désorganisation des états de veille et de sommeil évoque actuellement un déséquilibre des systèmes cholinergiques (hypersensibilité) et monoaminergiques (hypofonctionnement). Le caractère génétique de cette maladie est attesté depuis de nombreuses années. 5 - Traitement Traitement de la somnolence et des accès de sommeil Pharmacologique : modafinil (Modiodal*) méthylphenidate (Ritaline*) Siestes Traitement de la cataplexie, des hallucinations, des paralysies du sommeil Pharmacologique : antidépresseurs (tricycliques, IRS) Thérapies comportementales Traitement du mauvais sommeil Pharmacologique : hypnotiques Conseils d'hygiène du sommeil 6 - Aspects médico-légaux La narcolepsie est en principe une contre-indication à la conduite de tout véhicule (arrêté du 7 mai 1997) 6 - HYPERSOMNIE PRIMAIRE OU IDIOPATHIQUE 1 - Clinique Débutant à l'âge adulte, cette hypersomnie apparaît isolée, sans cause connue ; il s'agit d'une somnolence diurne excessive (ivresse de sommeil) avec des périodes d'endormissements involontaires de quelques heures, non réparatrices. Le sommeil nocturne est en général satisfaisant mais long avec un réveil difficile, tardif à l'origine de conséquences socio-professionnelles. Le patient décrit parfois une impression de n'être jamais complètement éveillé. - - 2 - Diagnostic Clinique : cette hypersomnie ne s'accompagne pas de cataplexie, d'hallucinations, de paralysies du sommeil. Polysomnographie : les enregistrements montrent l'heure tardive du réveil spontané, un temps de sommeil sur 24 heures souvent supérieur à 12 heures. Le test itératif d'endormissement met en évidence un endormissement rapide (10 minutes) en sommeil lent (non en sommeil paradoxal comme dans la narcolepsie). Diagnostic différentiel : narcolepsie causes psychiatriques d'hypersomnie causes infectieuses ou organiques cérébrales 3 - Physiopathologie Une désynchronisation du système noradrénergique est évoquée. - 4 - Traitement Pharmacologique : antidépresseurs stimulants (tricycliques, IRS) Conseil d'hygiène de sommeil avec en particulier interdiction des siestes. 7 - HYPERSOMNIES RECURRENTES 1 - Définitions Ce sont des affections rares caractérisées par des accès récurrents de somnolence intense ; les accès durent de plusieurs jours à plusieurs semaines, se reproduisant à des intervalles très variables ; entre les accès le sujet ne présente pas de troubles de la vigilance. - 2 - Clinique et traitement Le syndrome de KLEINE LEVIN affecte l'adolescent de sexe masculin. Les épisodes de somnolence sont associés à une hyperphagie compulsive, une désinhibition avec hypersexualité, des troubles psychiques (étrangeté, hallucinations), du comportement (irritabilité, agressivité). Le tracé électroencéphalographique est ralenti avec quelques bouffées théta. La polysomnographie montre un sommeil long, pauvre en sommeil lent profond, une latence courte du sommeil paradoxal. Une thérapeutique par thymorégulateurs ne se justifie que lors d'accès fréquents. - Certaines formes sont d'origine organique : tumeur cérébrale (3e ventricule), complications évolutives de traumatisme crânien, d'encéphalite. - D'autres formes apparaissent de cause psychiatrique : troubles dépressifs de l'humeur en particulier. 8 - MOUVEMENTS PERIODIQUES NOCTURNES DES MEMBRES ET SYNDROME DES JAMBES SANS REPOS 1 - Mouvements périodiques nocturnes des membres Survenant pendant la nuit, à l'origine d'éveils, cette pathologie se manifeste par des secousses de quelques secondes, survenant de manière périodique toutes les 30 secondes, qui affectent surtout les membres inférieurs. A ces secousses s'associent une extension du gros orteil, une dorsiflexion du pied, parfois une flexion du genou, de la hanche. Le sujet se plaint d'un sommeil non réparateur, d'insomnie de milieu de nuit, d'une sensation de fatigue des membres inférieurs le matin. La polysomnographie montre les bouffées d'activation sur l'électromyogramme des membres inférieurs. Ces mouvements, dont la fréquence croît avec l'âge, peuvent être associés à d'autres troubles du sommeil (narcolepsie, syndrome d'apnées du sommeil) ; ils apparaissent plus fréquents chez les patients traités par antidépresseurs. 2 - Syndrome des jambes sans repos Survenant le soir, surtout au coucher, des paresthésies à type de fourmillements, de brûlures des membres inférieurs, soulagées par le mouvement, empêchent l'endormissement. La polysomnographie montre l'existence fréquente de mouvements périodiques nocturnes des membres. Ces impatiences, apparaissant vers la trentaine, ont une évolution fluctuante. Il faut noter leur fréquence au cours du dernier trimestre de la grossesse, chez les patients traités par antidépresseurs. 3 - Traitement La thérapeutique de ces deux affections fait appel aux benzodiazépines, en particulier le clonazepam (Rivotril*). 9 - AUTRES CAUSES D'HYPERSOMNIE 1 - Hypersomnie psychogène Cette hypersomnie s'inscrit dans le contexte d'une pathologie psychiatrique : état dépressif, troubles bipolaires de l'humeur, dépression saisonnière, dysthymie, troubles névrotiques comme par exemple l'hystérie. Elle concerne le plus souvent le sujet jeune et s'accompagne de clinophilie, d'augmentation de l'appétit. La polysomnographie montre un sommeil nocturne de qualité médiocre ainsi qu'un raccourcissement de la latence d'apparition du sommeil paradoxal. Le test itératif d'endormissement est normal. Le traitement comporte la prescription d'antidépresseurs stimulants. 2 - Hypersomnie post-traumatique Une somnolence diurne peut apparaître dans les suites d'un traumatisme crânien avec perte de connaissance. Cette somnolence est isolée ou fait partie d'un syndrome subjectif des traumatisés crâniens. - 3 - Hypersomnie de causes médicales Hypertension intracrânienne (vomissements, nausées) Tumeur cérébrale (hypothalamus, épiphyse) Accident vasculaire cérébral Affections dégénératives : maladies d'Alzheimer, de Parkinson Encéphalite, en particulier la trypanosomiase IV -TROUBLES DES RYTHMES CIRCADIENS Ce sont des troubles du sommeil et de l'éveil liés à une inadéquation entre les horaires réels de sommeil et les horaires souhaités. Ils témoignent d'une discordance entre le mode de vie et le rythme physiologique. L'agenda de sommeil est une aide précieuse pour le diagnostic. 1 - Syndrome d'Avance de Phase Ce trouble se caractérise par un endormissement et un réveil précoces avec une durée habituelle de sommeil conservée. Le réveil vers 2, 3 heures du matin s'accompagne d'un besoin de sommeil en fin d'après-midi. Ce trouble s'observe surtout chez les personnes âgées. 2 - Syndrome hypernycthéméral Il s'agit de cycles veille - sommeil d'une durée supérieure à 24 heures avec un décalage progressif des horaires de sommeil d'environ 1 heure chaque jour, l'endormissement devenant de plus en plus tardif. On peut observer une insomnie totale suivie d'une somnolence diurne. Ce trouble est principalement observé dans la cécité d'origine périphérique, la schizophrénie, la démence. 3 - Syndrome de Retard de Phase Ce syndrome, qui évoque un échappement du rythme veille - sommeil aux synchroniseurs externes, débute en général à l'adolescence et concerne le plus souvent l'homme. L'endormissement survient tardivement, après 2 heures du matin (heure constante pour un sujet à la différence de l'heure toujours décalée du syndrome hypernycthéméral), de manière permanente. Le sommeil est satisfaisant en qualité et en quantité si l'heure du réveil spontané, 7 à 8 heures après le coucher, est compatible avec les exigences de la vie quotidienne. La symptomatologie apparaît lorsque l'heure de réveil doit être avancée pour obéir aux exigences des horaires conventionnels : quantité insuffisante de sommeil somnolence diurne, asthénie, troubles de l'humeur… sachant que le sujet ne parvient pas à avancer l'heure de l'endormissement. La tenue d'un agenda de sommeil sur un mois permet le diagnostic. La thérapeutique est la chronothérapie par retard progressif des horaires de sommeil jusqu'à ce que l'heure d'endormissement parvienne à l'heure souhaitée. La photothérapie matinale représente une autre approche thérapeutique. La prescription d'hypnotiques n'est pas indiquée en raison du risque important de dépendance dans ce syndrome. 4 - Changement de fuseaux horaires Nommé "Jet Lag", ce syndrome correspond à une désynchronisation des rythmes veille - sommeil liée au franchissement de fuseaux horaires. L'intensité des symptômes augmente avec le nombre de fuseaux franchis et certains facteurs : dette antérieure de sommeil, climat, conditions de voyage… Le symptôme premier est une insomnie d'endormissement lors d'un voyage vers l'Est, un réveil prématuré lors d'un voyage vers l'Ouest. Le tableau clinique associe fatigue, accès de somnolence, diminution des performances psychomotrices et parfois une instabilité thymique. Au plan polysomnographique on observe une augmentation du sommeil à ondes lentes, une diminution du sommeil paradoxal lors d'un voyage vers l'Est, une augmentation du sommeil paradoxal lors d'un voyage vers l'Ouest. Ce trouble s'amende en une semaine environ, sachant que le réajustement des rythmes endogènes se fait plus rapidement lors d'un voyage vers l'Ouest que lors d'un déplacement vers l'Est. Un hypnotique à action courte peut favoriser l'environnement pendant ou après le vol. 5 - Travail posté Les horaires décalés ou variables de travail peuvent être à l'origine de troubles du sommeil (sommeil perturbé dans sa quantité et sa qualité) et de la vigilance (somnolence). Une surconsommation de substances stimulantes est souvent observée, celle-ci aggravant l'altération du sommeil. Les rotations avant (horaires retardés de travail), les alternances courtes (2 à 3 nuits consécutives) apparaissent être mieux tolérées physiologiquement ; de même l'adaptation apparaît plus facile chez certains sujets. Mais l'âge est un facteur de mauvaise adaptation du travail posté. Les hypnotiques sont peu efficaces à long terme. V – PARASOMNIES Les parasomnies correspondent à des phénomènes surviennent pendant le sommeil. On distingue les parasomnies : - par trouble de l'éveil - par trouble de la transition veille - sommeil - associées au sommeil paradoxal - survenant pendant le sommeil léger anormaux qui 1 - PARASOMNIES PAR TROUBLE DE L'EVEIL 1 - Ivresse du sommeil Survenant essentiellement chez l'enfant ou l'adulte jeune, c'est un éveil nocturne caractérisé par un état d'obnubilation avec parfois une désorientation temporo-spatiale, des comportements inadaptés. L'intensité de cet éveil confusionnel est plus importante s'il survient en début de nuit ; souvent le sujet n'en garde pas de souvenir. Une hypersomnie idiopathique peut être associée. 2 - Somnambulisme Le somnambulisme, caractérisé par une activité motrice automatique complexe nocturne, est fréquent chez l'enfant, rare chez l'adulte. 3 - Terreurs nocturnes Les terreurs nocturnes, fréquentes chez l'enfant, sont également rares chez l'adulte. Souvent déclenchées chez l'adulte par l'abus d'alcool, le manque de sommeil, une fièvre, des apnées du sommeil, ces terreurs nocturnes surviennent en début de nuit à type de hurlements peu compréhensibles et de manifestations neurovégétatives intenses, ne provoquant pas de réveil, ne laissant pas de souvenir. Un traitement anxiolytique par benzodiazépines peut être prescrit en as de sévérité, de dangerosité des troubles. 2 - PARASOMNIES PAR TROUBLE DE LA TRANSITION VEILLE – SOMMEIL 1 - Sursauts du sommeil Symptomatologie bénigne et fréquente (60 % de la population), les sursauts du sommeil surviennent à l'endormissement, gênant parfois celui-ci. Il s'agit de myoclonies à type de secousses brutales de tout ou partie du corps. 2 - Somniloquie La somniloquie est le fait de parler pendant son sommeil, de l'émission de quelques sons à des conversations élaborées. Elle survient le plus souvent en sommeil lent. Cette symptomatologie banale, plus souvent observée chez l'homme, ne nécessite pas de traitement. 3 - Crampes nocturnes des membres inférieurs Ce sont des contractions douloureuses involontaires des muscles du mollet, du pied, qui surviennent pendant le sommeil et l'interrompent. Cette symptomatologie est fréquente chez la femme enceinte, la femme âgée. Un traitement myorelaxant peut être proposé. 3 - PARASOMNIES ASSOCIEES AU SOMMEIL PARADOXAL 1 - Cauchemars Les cauchemars, rêves effrayants et angoissants, réveillent le dormeur qui conserve le souvenir de la scène rêvée. Cette parasomnie ne s'accompagne pas de troubles neurovégétatifs, comme dans les terreurs nocturnes, mais l'angoisse persistante peut empêcher le retour du sommeil. Survenant au cours du sommeil paradoxal, banals si occasionnels, les cauchemars persistants doivent faire rechercher un trouble psychopathologique sousjacent, un syndrome de stress psychotraumatique par exemple. Les cauchemars peuvent être favorisés par la prise de certains médicaments : antiparkinsoniens, bêta-bloquants, certains hypnotiques. 2 - Paralysies du sommeil Il s'agit, lors d'un éveil nocturne, d'une abolition transitoire du tonus musculaire avec impossibilité pour le patient, pendant quelques secondes, de se mobiliser. Les paralysies du sommeil s'observent dans la narcolepsie mais peuvent aussi survenir après une période de privation de sommeil ou de désorganisation circadienne. 3 - Troubles nocturnes de l'érection Des douleurs, à l'origine d'un réveil, d'une angoisse, accompagnent les érections survenant pendant le sommeil paradoxal. En cas de chronicité du trouble une psychothérapie peut être envisagée. 4 - Troubles du comportement en sommeil paradoxal C'est une pathologie retrouvée chez l'homme après 50 ans ; en raison d'une disparition de l'atonie musculaire physiologique contemporaine du sommeil paradoxal, les patients vivent et agissent leurs rêves ; des comportements complexes, violents, peuvent être dangereux. On peut observer en particulier ce trouble chez les patients narcoleptiques traités par psychostimulants, chez certains patients déprimés traités par antidépresseurs. La thérapeutique fait appel au clonazepam (Rivotril*). 4 - PARASOMNIES SURVENANT PENDANT LE SOMMEIL LEGER Le bruxisme est caractérisé par des contractions musculaires involontaires des mâchoires produisant des grincements de dents qui peuvent être à l'origine d'altérations dentaires. Le bruxisme, qui survient au cours des stades I et II du sommeil, serait favorisé par les facteurs de stress. Un traitement anxiolytique par benzodiazépines peut améliorer ce trouble. PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 - Maturation et vulnérabilité Question 44 - RISQUE SUICIDAIRE DE L’ADULTE : IDENTIFICATION ET PRISE EN CHARGE Rédaction : J.P. Kahn - Relecture : J.L. Terra Objectifs généraux : · Savoir détecter les situations à risque suicidaire chez l'adulte · Argumenter les principes de la prévention et de la prise en charge Objectifs spécifiques : · Connaître les principales données épidémiologiques concernant le suicide en France · Connaître les différents facteurs de risque associés à un risque suicidaire · Savoir évaluer et prendre en charge une personne en situation de crise suicidaire PRESENTATION ET CONSIDERATIONS INTRODUCTIVES Pendant longtemps, le corps social et les médecins avec lui, ont abordé le suicide sous un angle moral et philosophique, considérant que cet acte devait être assimilé à un péché et condamné, car contraire à la volonté divine, soit considéré, au contraire, comme l'ultime expression de la liberté individuelle. Actuellement dépénalisé, le suicide est plutôt abordé sur le plan phénoménologique, cherchant à en comprendre et à en expliquer les multiples déterminants. Les recherches tendent à intégrer actuellement différents facteurs de risque et précipitants de nature biologique, psychologique et sociale. La France est actuellement l'un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide et d'après les données de l'OMS de 1999 portant sur 97 pays, la France se situe entre le 11ème et le 20ème rang des pays ayant la plus forte mortalité suicidaire, avec près de 12000 décès par suicide par an. Le suicide représente ainsi la première cause de mortalité chez les adultes jeunes, avant les accidents de la route et, pour l'ensemble de la population, le suicide est la troisième cause d'années de vie perdues, après les maladies coronariennes et le cancer. Ces données inquiétantes ont conduit la France, à partir de 1998, à l'instar de nombreux autres pays, à instaurer un Programme National pour la Prévention du Suicide, aboutissant à la mise en place de diverses mesures et programmes d'action pour la période 2000-2005. C'est ainsi que la prévention du suicide est l'une des dix priorités de santé publique définies par la Conférence 1 Nationale de Santé ; par ailleurs, la crise suicidaire, sa reconnaissance et sa prise en charge ont fait l'objet d'une conférence de consensus et de recommandations, en 2001, disponibles sur le site de l'ANAES (www.anaes.fr). Enfin, un programme de formation à l'intervention et de sensibilisation des intervenants des champs sanitaire, éducatif, social et associatif est également piloté, à l'échelon des régions, par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES). La prévention et la prise en charge des risques et conduites suicidaires nécessitent d'énoncer quelques vérités simples et de se débarrasser de certaines idées fausses, mais fort répandues : 1 : le suicide n'est ni un acte de courage ni un acte de lâcheté ; ce n'est pas non plus un choix librement consenti, mais une mauvaise solution pour un sujet ne pouvant trouver d'autre issue à une souffrance devenue insupportable ; 2 : il est faux de croire que les personnes qui parlent de suicide ne passent pas à l'acte : huit personnes sur dix en parlent avant leur suicide ou tentative de suicide ; 3 : parler ouvertement de suicide à quelqu'un ne lui donne pas envie de le faire ; au contraire ceci permet à la personne d'exprimer ses difficultés, sa souffrance, des idées dont elle a souvent honte et de se sentir entendue, comprise et momentanément soulagée ; I : DEFINITIONS DES CONDUITES SUICIDAIRES Il convient de les reconnaître et de les identifier, pour les prendre en charge, ainsi que la souffrance qui les accompagne et éviter un passage à l'acte aux conséquences fatales. 1 : le suicide est une mort volontaire. Dürkheim (1897) l'a défini comme "la fin de la vie, résultant directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif de la victime ellemême, qui sait qu'elle va se tuer". On parle de mortalité suicidaire et de sujets suicidés. 2 : la tentative de suicide (TS) est plus difficile à définir, tant est variable l'intentionnalité suicidaire d'un sujet à l'autre ; Ce terme recouvre tout acte par lequel un individu met consciemment sa vie en jeu, soit de manière objective, soit de manière symbolique et n'aboutissant pas à la mort. Il ne s'agit donc pas d'un simple suicide raté. On parle de sujets suicidants et de morbidité suicidaire. 3 : les idées de suicide correspondent à l'élaboration mentale consciente d'un désir de mort, qu'il soit actif ou passif ; ces idées sont parfois exprimées sous la forme de menaces suicidaires. On parle de sujets suicidaires. 2 Les conduites suicidaires comprennent les suicides, mais aussi les tentatives de suicide, certaines conduites à risque s'apparentant à des "équivalents suicidaires" et les idées de suicide, pouvant survenir -ou non- au cours d'une crise suicidaire. 4 : la crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur est le suicide. Il s'agit d'un moment dans la vie d'une personne, où celle-ci se sent dans une impasse et est confrontée à des idées suicidaires de plus en plus envahissantes ; le suicide apparaît alors de plus en plus à cette personne comme le seul moyen, face à sa souffrance et pour trouver une issue à cet état de crise. 5 : les "équivalents suicidaires" sont des conduites à risque qui témoignent d'un désir inconscient de jeu avec la mort. Ces conduites, tout comme certaines lésions ou mutilations autoinfligées non suicidaires, ne doivent pas être abusivement considérées comme des tentatives de suicide. II : EPIDEMIOLOGIE DU SUICIDE Le suicide donne lieu, dans la plupart des pays, à la publication des statistiques officielles. Les méthodes de recueil sont en réalité très variables et on estime de manière générale que ces statistiques sous-estiment d'environ 20% le nombre des suicides. En France, elles résultent d'une part des certificats médicaux de décès et d'autre part, des conclusions formulées par les médecins légistes après l'examen des morts suspectes ou violentes. 1 : L'autopsie psychologique est une méthode, née aux EtatsUnis dans les années 1960, dont le but initial était d'élucider les origines des décès pour lesquelles un suicide était suspecté, sans pouvoir être clairement affirmé comme un acte mortel autoinfligé et intentionnel. Elle repose sur une enquête à posteriori, conduite sur la base de l'interrogatoire des proches, l'analyse des sources médicales, le recueil d'informations concernant les antécédents familiaux et personnels, la psychologie de la personne décédée, son style de vie, ses relations et les événements ayant précédé la mort. Ces données sont confrontées aux données objectives relatives au passage à l'acte pour conclure – ou non – à l'existence d'un suicide. L'autopsie psychologique s'est rapidement révélée une méthode intéressante pour documenter l'existence de troubles psychiatriques ou somatiques et la nature des soins dont les personnes avaient bénéficié. 2 : indices épidémiologiques du suicide Trois principaux indices sont utilisés : ¨ L'incidence du suicide : elle correspond au nombre de suicides répertoriés chaque année. Elle varie en France de 11000 à 12000 3 par an (1997), en rappelant que ce chiffre est sans doute sousestimé de 20%. ¨ Le taux de suicide, ou mortalité suicidaire qui s'exprime en nombre annuel de suicides pour 100 000 habitants : il est, en France, de 20 à 24 pour 100 000 globalement, ce qui fait de la France un pays à forte mortalité suicidaire d'après l'OMS (1999). ¨ Le taux de mortalité prématurée, attribuable au suicide : il est de 9 à 10%, le suicide étant la 3ème cause de mortalité prématurée en France, après les maladies coronariennes et les cancers. Le suicide représente ainsi 10% des années de vie perdues avant 65 ans, soit autant que les accidents de la circulation ou les maladies cardio-vasculaires. 3 : données descriptives ¨ le suicide est trois fois plus fréquent chez l'homme que chez la femme. La mortalité suicidaire était en France, en 1995 de 31,5/100 000 chez les hommes et de 10,7/100 000 chez les femmes. Cette surmortalité masculine est observée dans tous les pays disposant de statistiques sur le suicide, à l'exception de la Chine. ¨ Le suicide augmente fortement avec l'âge, surtout chez l'homme et surtout après 75 ans. ð ð ð ð 6% des suicides surviennent entre 15 et 24 ans, 66% entre 25 et 64 ans 28% chez les personnes âgées de 65 ans et plus Chez les adultes jeunes (25-34 ans) le suicide est la première cause de mortalité ð Chez les adolescents, il représente la 2ème cause de mortalité (16%), après les accidents de la circulation (38%). ð Le suicide est plus rare chez les sujets jeunes et peut être considéré comme exceptionnel chez l'enfant pré-pubère. (0,2/100 000 chez les 5-14 ans, chiffres 1994). Mais la notion de mort, chez l'enfant, ne peut être assimilée aux représentations qu'en ont couramment les adultes, une représentation construite de la mort, dans sa dimension d'irréversibilité, n'étant acquise qu'à partir de 8 ans. ¨ La mortalité par suicide varie selon le temps et le contexte géographique : La mortalité par suicide a montré une certaine stabilité jusqu'en 1975, suivie d'une forte augmentation d'indice (près de 40%) de 1975 à 1985, puis d'une légère diminution jusqu'en 1990, pour fluctuer entre 12000 et 11000 décès par an depuis. L'augmentation du suicide chez les jeunes a largement contribué à l'augmentation globale de l'incidence du suicide en France. Les données internationales concernant le suicide sont proches de celles décrites en France, mais il existe aussi des différences : en Angleterre par exemple, on a 4 observé une réduction notable de l'incidence du suicide au cours des années 1960-1970. En France, il existe également des disparités régionales sensibles. 4 : les moyens utilisés ¨ les modes de suicide les plus utilisés sont la pendaison (37%), les armes à feu (25%), l'intoxication par médicaments (14%) ; viennent ensuite la submersion-noyade et la précipitation d'un lieu élevé. Il faut signaler que la consommation d'alcool accompagne fréquemment les suicides par arme à feu. ¨ Conséquences pour la prévention : l'utilisation de ces moyens semble liée à leur disponibilité et à la réglementation les concernant, en particulier pour les armes à feu. C'est pourquoi, en termes de prévention, le contrôle de l'accès aux moyens de suicide et la diminution de leur potentiel létal représentent des aspects importants. ¨ Les "cibles" principales de la prévention du suicide, mais aussi les plus difficiles à atteindre, sont les hommes et les personnes âgées. III : EPIDEMIOLOGIE DES TENTATIVES DE SUICIDE 1 : problèmes méthodologiques ¨ Le recensement de la prévalence des tentatives de suicide (TS) est difficile car, contrairement aux suicides, il n'y a pas d'enquête systématique sur les TS Les enquêtes en population générale sont évidemment difficiles à mettre en place. ¨ Par ailleurs, malgré les recommandations de l'ANAES (2001), toutes les TS ne sont pas hospitalisées ou vues par un médecin. On estime que 30 % des personnes ayant commis une TS sont actuellement maintenues à domicile. 2 : données descriptives ¨ Les TS sont estimées en France à 160 000 par an ¨ Le sex ratio des TS est l'inverse de celui du suicide : les femmes réalisent deux fois plus de TS que les hommes ¨ Effets de l'âge : les TS sont les plus fréquentes entre 15 et 35 ans et diminuent ensuite. Selon une enquête de l'INSERM effectuée en 1999, au moins 5,2 % des filles et 7,7 % des garçons âgés de 11 à 19 ans auraient fait au moins une fois une tentative de suicide. 5 ¨ Des études conduites en population générale aux Etats-Unis permettent d'estimer la prévalence sur la vie entière des TS à 4,6 % chez les 15-54 ans (étude NCS, Kessler, 1999). 3 : moyens utilisés ¨ 90 % des TS résultent d'intoxications médicamenteuses volontaires. Les phlébotomies sont également fréquentes. 4 : pronostic ¨ on note 40 % de récidives, dont la moitié dans l'année suivant la tentative de suicide. ¨ Il y a 1 % de mortalité par suicide dans l'année qui suit la TS (contre 0,02 % dans la population générale, soit 50 fois plus !). ¨ Il y a plus de 10 % de décès par suicide, au cours de la vie, après une première tentative de suicide. Un antécédent de TS est ainsi l'un des plus importants facteurs de risque de suicide. IV : EPIDEMIOLOGIE DES IDEES SUICIDAIRES ¨ La prévalence des idées suicidaires a fait l'objet de plusieurs enquêtes récentes, permettant de situer le rapport des idées de suicide/TS autour de 4. ¨ En population générale, en France, lors d'un sondage réalisé par la SOFRES en janvier 2000, au domicile de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française, 13 % d'entre elles ont répondu par l'affirmative à la question : "vous-même, avez-vous déjà envisagé sérieusement de vous suicider ?" ¨ Chez les jeunes en France, 23 % des garçons et 41 % des filles de 15 à 19 ans ont rapporté avoir eu des idées suicidaires, soit un taux 4 fois supérieur à celui des TS (Choquet et Ledoux, 1994). ¨ La chronicité des idées suicidaires est un facteur de risque de passage à l'acte : celui-ci est de 40 % si les idées sont fréquentes, 15 % si les idées de suicide sont occasionnelles, 1 % en l'absence d'idées suicidaires. ¨ Le risque de passage à l'acte est augmenté quant il y a élaboration d'un plan suicidaire, c'est pourquoi la prévention du geste suicidaire passe par le repérage et l'évaluation des idées suicidaires. V : FACTEURS DE RISQUE ET POPULATIONS A RISQUE 6 On appelle "facteur de risque" un facteur qui a été mis en relation statistique avec la survenue d'un suicide, au niveau d'une population donnée. Il ne s'agit donc en aucun cas, d'un facteur individuel. Les facteurs de risque suicidaire sont en interaction les uns avec les autres et l'importance de leur effet va dépendre de la présence ou de l'absence d'autres facteurs. Dans une perspective pragmatique et préventive Rihmer (1996) a proposé de les classer en trois catégories : 1 : les facteurs de risque primaires Les facteurs primaires ont une valeur d'alerte importante, au niveau individuel, ils sont en forte inter action les uns avec les autres et peuvent être influencés fortement par les thérapeutiques. Ce sont : - les troubles psychiatriques, - les antécédents familiaux et personnel de suicide et tentatives de suicide, - la communication à autrui d'une intention suicidaire - l'existence d'une impulsivité, facilitant le risque de passage à l'acte. 2 : les facteurs de risque secondaires Les facteurs secondaires sont observables dans la population générale. Leur valeur prédictive est faible en l'absence de facteurs primaires. Ils ne sont que faiblement modifiables par les thérapeutiques. Ce sont : - les pertes parentales précoces l'isolement social : séparation, divorce, veuvage… le chômage ou l'existence d'importants facteurs financiers les "événements de vie" négatifs sévères. 3 : les facteurs de risque tertiaires Les facteurs de risque tertiaires n'ont pas de valeur prédictive en l'absence de facteurs primaires et secondaires et ne peuvent être modifiés, ce sont : - l'appartenance au sexe masculin - l'âge, en particulier l'adolescence et la sénescence - certaines périodes de vulnérabilité (phase prémenstruelle chez la femme, période estivale…). 4 : les facteurs de vulnérabilité On appelle "facteur de vulnérabilité" des éléments majorant les facteurs de risque précédemment décrits et pouvant contribuer, dans certaines circonstances, à favoriser un passage à l'acte 7 suicidaire sous l'influence de facteurs précipitants. Il s'agit d'événements de la biographie passée, survenus souvent au cours de pertes parentales précoces, de carences affectives, de violence, de maltraitance ou de sévices… 5 : les facteurs précipitants On appelle facteurs précipitants des circonstances précédent de peu le passage à l'acte ou déterminants dans la crise suicidaire : des événements de vie négatifs, tels une séparation, une maladie, un échec, etc. Il s'agit parfois d'événements anodins pour l'intervenant mais qui revêtent une importance affective d'autant plus grande pour la personne qu'ils réactualisent, à un moment donné, des problématiques liées au passé du sujet, sous-tendues par les facteurs de vulnérabilité précédemment décrits. 6 : les facteurs de protection S'il existe de nombreux facteurs de risque suicidaire, il faut mentionner l'existence de facteurs de protection. Il s'agit essentiellement de facteurs psycho-sociaux tels un soutien familial et social de bonne qualité, le fait d'avoir des enfants, des relations amicales diversifiées, etc. Bien que ceux-ci soient insuffisamment documentés actuellement, on peut citer également "la résilience", c'est à dire la capacité d'un individu à faire face à l'adversité. 7 : au total La mortalité par suicide concerne surtout l'homme mûr et âgé, alors que la morbidité suicidaire concerne surtout la femme jeune. Le risque de décès par suicide augmente avec l'âge, alors que le risque de décès diminue. VI : RECONNAITRE ET EVALUER UNE CRISE SUICIDAIRE La notion de "crise suicidaire" offre une méthode pragmatique pour évaluer et prendre en charge une personne à haut potentiel suicidaire. 1 : définition de la crise suicidaire La crise suicidaire peut être définie comme un moment de crise psychique, au cours de la vie du sujet, où celui-ci va épuiser progressivement ses ressources adaptatives, psychologiques et comportementales et envisager , progressivement, par le biais de distorsions cognitives, le suicide comme seule possibilité de réponse aux difficultés qu'il rencontre et éprouve. 2 : signes d'orientation et de diagnostic 8 ¨ la crise suicidaire se traduit par des signes de rupture par rapport au comportement habituel de la personne, dont le regroupement doit alerter l'entourage et provoquer une assistance professionnelle. ¨ Il peut s'agir de signes manifestes, tels : Ø la manifestation explicite d'idées et d'intentions suicidaires par le discours ("je veux mourir", "je n'en peux plus", "je voudrais partir…", etc.) ou sous forme de textes, de dessins, chez les enfants en particulier. Ø l'expression de la crise psychique dans les attitudes, le comportement, les relations interpersonnelles : la personne a un visage triste, douloureux ou inexpressif ; elle peut paraître étrangement absente ; on peut noter un changement de comportement avec l'entourage, un désintérêt ou l'abandon des centres d'intérêt habituels, des décisions irréfléchies, parfois illogiques ou peu compréhensibles, ; une consommation et un recours inhabituel ou excessifs aux médicaments, à l'alcool, aux drogues ; un repli sur soi, une anxiété, une irritabilité, un désinvestissement inhabituels. Ø des distorsions cognitives : elles traduisent le fait que la personne ne perçoit et n'analyse plus de façon réaliste et objective les événements extérieurs ou ses propres capacités à faire face : elle présente une image altérée et dévalorisée d'elle-même, se sent impuissante à surmonter ses émotions et à affronter les événements de sa vie. Ce sentiment peut confiner au désespoir, à une vision cynique et désabusée d'elle-même et d'autrui, une réduction du sens des valeurs, un sentiment de constriction psychique. Ø des "comportement de départ" à forte valeur d'orientation doivent être activement recherchés et attirer l'attention : la recherche soudaine d'une arme à feu, le don d'effets personnels investis d'une valeur affective, la rédaction de lettres aux proches ou d'un testament, en sont des exemples. ¨ Les signes d'alerte peuvent varier selon l'âge : Ø chez l'enfant, la crise psychique sera peu verbalisée et s'exprimera plutôt sous la forme de dessins traduisant des préoccupations pour la mort, par la survenue de plaintes somatiques, des blessures à répétition, une hyperactivité, des troubles du sommeil, une tendance à l'isolement; des troubles des apprentissages ; une réduction des activités ludiques et une tendance à devenir le "souffre-douleur" d'autrui… Des bouleversements familiaux (décès, maladie, séparation…) la maltraitance ou les carences affectives sont des facteurs de vulnérabilité qui doivent être recherchés. 9 Ø chez l'adolescent, l'expression répétitive d'une intentionnalité suicidaire est un motif suffisant d'intervention. Cependant, il faut également être attentif à un fléchissement inattendu des résultats scolaires, la survenue des conduites déviantes, de prise inconsidérée de risques ou de conduites addictives ; des fugues et des conduites violentes contre soi ou autrui … Les ruptures sentimentales, les échecs scolaires ou autres, les conflits d'autorité, la solitude affective sont des facteurs de vulnérabilité. Ø chez l'adulte, la crise psychique peut se manifester par des arrêts de travail à répétition, des consultations médicales itératives pour douleurs ou fatigue, des conflits avec la hiérarchie ou le conjoint, un sentiment d'incapacité, d'inefficience ou d'inutilité dans le travail et les relations sociales, etc. Les conflits professionnels ou conjugaux, les maladies graves, la toxicomanie, les blessures narcissiques, l'émigration… sont des facteurs de vulnérabilité. Ø chez la personne âgée : les idées suicidaires sont rarement exprimées de façon explicite mais plutôt allusivement : "laissez moi partir", "à quoi bon, je dérange tout le monde"… La crise psychique doit être recherchée devant une perte progressive d'intérêt pour les personnes et les activités investies ; un refus de soin, des conduites anorexiques… Chez le sujet âgé, la dépression, les maladies physiques -en particulier celles qui génèrent handicap et douleurs-, les changements d'environnements et le départ en institution (hôpital, maison de retraite…), le décès du conjoint sont des facteurs de vulnérabilité. 3 : Evaluation de la crise suicidaire Une manière commode dévaluer les modalités et l'urgence des interventions, préconisées par l'ANAES, consiste à décomposer et analyser la menace suicidaire en trois composantes : les facteurs de risque, l'urgence de la menace, la dangerosité du scénario suicidaire. Cette méthode simple s'avère opérante pour les professionnels de santé, mais aussi pour tous les intervenants de "première ligne" susceptibles d'être confrontés à une menace suicidaire : enseignants, travailleurs sociaux, personnels des différentes administrations, bénévoles… Chacune de ces trois dimensions : risque, urgence, dangerosité est évaluée séparément selon trois degrés d'intensité : faible, moyen ou élevé. ¨ Les facteurs de risque suicidaire : RISQUE. En dehors des facteurs de risque déjà mentionnés (âge, sexe, isolement social, communication d'une intention suicidaire) il s'agit de la 10 présence actuelle ou dans troubles psychiatriques : les antécédents d'un ou plusieurs Ø antécédents familiaux et personnels de suicide : la moitié des suicides (30 à 60 %) sont précédés d'une ou plusieurs TS. Finalement, 10 % des suicidants parviennent à se suicider et, chez eux, le risque relatif de suicide est multiplié part 40 par rapport à la population générale. On admet que, globalement, le taux de suicide chez les suicidants augmente de 1 % chaque année, au cours des dix premières années, la première année étant celle à plus fort risque. Ø les maladies psychiatriques sévères, en particulier les troubles de l'humeur, l'alcoolisme, les schizophrénies. Le fait de présenter un trouble psychiatrique constitue un important facteur de risque suicidaire, et ce d'autant plus que la pathologie a nécessité une hospitalisation. Les études fondées sur un suivi prospectif montrent que 10 à 15 % des patients décèdent par suicide. Par ailleurs, 4 % des suicides surviennent chez des patients hospitalisés en psychiatrie (c'est à dire durant l'hospitalisation, lors d'une permission ou dans les 48 h suivant leur sortie d'hôpital). Comparativement à des sujets contrôles issus de la population générale, le risque de suicide est de 6 à 22 fois supérieur chez les sujets souffrant d'un trouble mental avéré. Ø les études "par autopsie psychologique" réalisées aux Etats Unis et en Europe du Nord (Angleterre, Suède, Finlande) montrent l'existence d'un trouble psychiatrique chez plus de 90 % des suicidés. Les diagnostics les plus fréquemment portés sont ceux de dépression (50 %), alcoolisme (30 %), trouble de la personnalité (35 %), schizophrénie (6 %). Ø la comorbidité psychiatrique est importante chez les suicidés. Les troubles de la personnalité et les abus de substances sont rarement les diagnostics principaux ou exclusifs mais s'associent fréquemment à celui de dépression. Ø Si l'existence d'un trouble psychiatrique est un facteur de risque primordial, il n'est pas nécessairement un facteur suffisant. C'est dans ces cas que les facteurs de vulnérabilité et précipitants (événements de vie, inter relations avec l'environnement familial …) jouent un rôle déterminant dans le passage à l'acte suicidaire. Dans la semaine qui précède, on retrouve souvent de nombreux conflits interpersonnels, de l'hostilité ou de la violence, et chez les adolescents des conflits disciplinaires ou des circonstances s'accompagnant de forts sentiments de déception, de rancœur, d'humiliation ou d'injustice. Ø La présence actuelle d'un ou de facteur(s) de risque, leur sommation permettent d'évaluer le degré d'intensité des facteurs de risque 11 ¨ L'urgence de la menace suicidaire : URGENCE Ø deux éléments doivent être pris en compte : l'existence d'un scénario suicidaire et l'absence pour le sujet d'une alternative autre que le suicide. Ø l'urgence doit être évaluée comme "faible" en l'absence d'un scénario construit, "moyenne" si un scénario existe, mais que sa date de réalisation est éloignée ou imprécise, "élevée" s'il existe une planification précise ou une date arrêtée pour les jours suivants. ¨ La dangerosité létale du moyen suicidaire : DANGEROSITE Ø doivent être évaluées la dangerosité mortelle du moyen considéré et son accessibilité : la personne peut-elle facilement disposer -lors de l'évaluation- du moyen qu'elle se propose d'utiliser ? Si l'accès au moyen est facile et/ou immédiat, la dangerosité doit être évaluée comme "élevée", l'intervention doit alors être immédiate et viser, en priorité, à empêcher l'accès à ce moyen. VII : PRENDRE EN CHARGE LA PERSONNE EN CRISE SUICIDAIRE 1 : aborder et interroger un sujet en crise suicidaire ¨ La rencontre doit pouvoir se dérouler en toute confidentialité, en face à face, dans un endroit calme et favorisant l'expression des affects. Il faut organiser le contexte de l'entretien au préalable, chaque fois que cela est possible. ¨ L'entretien doit être conduit de façon à la fois directive et empathique, laissant à la personne le temps de s'exprimer. Il n'est pas inutile de laisser le sujet pleurer ou exprimer son désespoir, son désarroi, ses frustrations ou sa colère. Les sujets en crise psychique sont souvent en proie à une souffrance intense et ne peuvent réfléchir ou s'exprimer de façon posée. L'entretien doit en premier lieu permettre de soutenir le sujet, établir une relation de confiance, mettre à jour sa souffrance et l'assurer qu'on le comprend. ¨ Si l'on suspecte une personne d'être en crise suicidaire, il faut l'interroger simplement et après un temps introductif, aborder directement le sujet d'éventuelles idées suicidaires. ¨ Le questionnement de l'intervenant doit se faire dans un style sobre, simple et direct, évitant les jugements de valeur et les périphrases, telles que "il me semble que…", "vous avez l'air de…". 12 ¨ On peut procéder de façon interrogative : "avez-vous des idées de suicide, envie de mourir ?"; on peut également utiliser le mode affirmatif : ("vous êtes en colère n'est ce pas?") et reformuler en résumant, à certains moments, la situation telle qu'on l'analyse, en insistant toujours sur l'affectivité, les sentiments de la personne : "si je comprends bien ce que vous me dites, vous êtes très en colère parce que…"). 2 : identifier protection l'existence de facteurs précipitants et de ¨ L'identification et l'évaluation de facteurs de vulnérabilité et de facteurs précipitants sont importants pour montrer à la personne que l'on comprend sa souffrance, pour évaluer si elle a envisagé des alternatives possibles et comment elle y réagit, pour juger des ressources psychologiques dont elle peut encore disposer. ¨ L'entretien doit permettre d'identifier d'éventuelles sources de soutien dans l'entourage et apprécier comment la personne en crise les perçoit. On peut recenser les intervenants déjà impliqués ou possibles, relever leurs coordonnées et proposer de les contacter et de les informer. ¨ La capacité de coopération de la personne est importante évaluer pour juger de l'urgence d'une intervention. à 3 : distinguer entre crise psycho-sociale et crise en rapport avec un trouble mental La situation n'est évidemment pas la même si la menace suicidaire est en relation avec une pathologie psychiatrique manifeste, ou si elle est sous-tendue par une crise psycho-sociale. La prise en charge d'un trouble psychiatrique est évidemment prioritaire qunad elle existe et justifie alors souvent une hospitalisation. En revanche, dans certains cas, l'exploration du contexte de vie du sujet permet d'identifier la nature psycho-sociale de la crise et d'analyser les circonstances qui conduisent la personne à vouloir mourir. Cette distinction permet de juger des capacités de la personne à relativiser sa situation et de la possibilité, pour l'intervenant, de réduire la tension psychique. Elle permet d'orienter la prise en charge et les interventions proposées. 4 : proposer une orientation et intervenir ¨ Un traitement médicamenteux symptomatique peut être proposé en cas de souffrance majeure persistante, d'agitation irrépressible et pour permettre la poursuite d'une prise en charge adéquate. Dans l'immédiat, un traitement anxiolytique et/ou sédatif peut 13 être prescrit. Un traitement de fond ne doit être entrepris qu'en hospitalisation, si elle est nécessaire). ¨ L'hospitalisation s'impose si l'urgence est élevée, si le suicide est planifié, les moyens mortels disponibles, si le sujet est "froid" et coupé de ses émotions, ou impulsif, s'il refuse toute coopération ou présente d'importants troubles du jugement. Une hospitalisation sans consentement (Hospitalisation à la Demande d'un Tiers : HDT) peut être nécessaire, en l'absence de coopération du sujet, on doit cependant toujours expliquer à la personne les raisons conduisant à cette décision et son caractère temporaire. L'hospitalisation, qu'elle soit réalisée en accord avec la personne ou sous contrainte, a pour but de protéger la vie du sujet, de mettre temporairement à distance les situations ayant précipité l'état actuel de crise suicidaire , d'établir une relation de confia de qualité suffisante et réévaluer plus finement ultérieurement, l'état psychiatrique et/ou le contexte d'existence de la personne. L'ANAES recommande l'hospitalisation systématique pendant 48 heures au moins de tout adolescent suicidant. Un patient suicidaire présentant des signes d'intoxication (alcool, psychotropes… ) doit être maintenu au service des urgences jusqu'à la disparition des signes d'intoxication et une nouvelle évaluation clinique. ¨ Surveillance d'un patient hospitalisé : les suicides en milieu hospitalier représentent 5 % des suicides ; l'hospitalisation d'un patient suicidant n'est donc pas à elle seule, une mesure suffisante pour éviter un passage à l'acte et il est indispensable d'évaluer la potentialité suicidaire également chez les patients hospitalisés. Deux profils cliniques distincts sont retrouvés dans les études : Ø en hôpital général, il s'agit de personnes âgées de la soixantaine, atteints de maladies chroniques et de cancers, Ø en service de psychiatrie, il s'agit en général de sujets jeunes, schizophrènes ou dépressifs. Le suicide survient alors en début de séjour ou avant une sortie non désirée ou redoutée par le patient. Certaines précautions peuvent être prises consistant à limiter l'accès à des moyens mortels, en particulier la défenestration et la pendaison : ouverture limitée des fenêtres, suppression des moyens d'appui résistant au poids du sujet et permettant une pendaison : crochets, tringles à rideaux, poignées… La vérification des effets personnels de la personne, en sa présence et après avoir recherché son accord, permet également de neutraliser certains moyens : couteaux, ceinture, médicaments, etc. Si la situation l'exige, le patient devra être installé dans une chambre proche du local de soins et une surveillance rapprochée devra être prescrite. A l'hôpital, les périodes de changement (début ou fin d'hospitalisation, transfert dans une 14 autre chambre ou unité, absence du médecin référent habituel…) sont des périodes où le risque est le plus élevé. ¨ Prise en charge ambulatoire : si l'évaluation de la menace suicidaire est moyenne ou faible, une prise en charge ambulatoire peut être proposée, à condition de s'assurer d'un soutien rapproché : coopération du sujet, entourage proche et disponible, nouvel entretien programmé et accepté avec la personne. ¨ Prise en charge psychologique et suivi. Que le patient soit hospitalisé ou non, le but principal de la prise en charge d'un sujet en crise suicidaire consiste à définir et mettre en place des alternatives valables au projet suicidaire. L'évaluation du ou des facteurs précipitants, l'analyse de la manière dont la personne perçoit la crise actuelle, le soutien dont elle dispose, ses capacités personnelles à mobiliser ses propres ressources adaptatives vont aider à construire ces alternatives. C'est pourquoi, l'entretien doit également permettre de repérer les éléments positifs de sa vie et de sa personnalité, même si elle n'est pas toujours capable de les percevoir êlle même. 5 : Suivi et évaluation Le suivi doit être réfléchi et organisé pas à pas, dès le début de la prise en charge et assurer la permanence et la continuité de la prise en charge. En fonction des besoins de la personne et avec sa collaboration, des ressources adéquates et effectivement accessibles seront recherchées et sollicitées dans l'entourage du sujet ou au niveau institutionnel. Il faut planifier pas à pas des démarches simples : téléphoner à un proche, au médecin traitant habituel, faire intervenir l'assistante sociale ou aider à la réalisation de telle ou telle démarche. L'intervenant doit s'assurer personnellement jalons aient effectivement été mis en place. que ces relais et Une réévaluation de la situation après quelques jours est toujours souhaitable : elle permet à la personne de sa fixer des échéances pragmatiques et atteignables. On considère que, même chez une personne sans facteur de risque primaire, une vigilance de l'entourage est nécessaire dans les douze mois suivant une crise suicidaire ou une tentative de suicide. VIII : PREVENTION DU SUICIDE 1 : l'impossible prédiction du suicide L'identification de plus en plus précise et étendue de facteurs de risque suicidaire ne permet cependant pas de pouvoir prédire un suicide. Si les différents facteurs de risque ont une utilité en pratique clinique, leur connaissance permet d'envisager deux 15 catégories d'actions préventives : l'une vise à mieux traiter certains facteurs de risque curables, tels les troubles psychiatriques, en particulier les dépressions, l'autre consiste à identifier des populations à haut risque suicidaire, de manière à leur appliquer des mesures préventives. La rareté statistique du suicide fait que, dans ces populations à risque, la "prédiction" du suicide s'accompagne d'un nombre très élevé de faux positifs. Il faut donc limiter cette prévention à des mesures peu contraignantes, tant sur le plan individuel que sur le plan économique, si l'on ne veut pas voir leur coût et leurs inconvénients excéder les bénéfices qu'on peut en attendre. 2 : la nécessaire prévention médicale Quatre types d'interventions médicales peuvent cependant permettre de prévenir utilement le suicide : ¨ ¨ ¨ ¨ le repérage et l'intervention lors de situations de crise suicidaire la prise en charge des suicidants l'amélioration du diagnostic et du traitement des troubles mentaux, en particulier des dépressions la prévention du suicide auprès des sujets à hauts risques que sont les malades hospitalisés en psychiatrie. Les deux premières : repérage et intervention lors de situations de crise suicidaire et la prise en charge des suicidants ont fait l'objet, en France de conférences de consensus, soutenues par l'ANAES (cf. bibliographie). BIBLIOGRAPHIE Pour en savoir plus : 1. Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) : Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide. Recommandations pour la pratique. Novembre 1998. Texte long disponible sur demande à l'ANAES et par internet (www.anaes.fr) 2. Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) : La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge. Octobre 2000. Texte long et recommandations disponibles sur demande à l'ANAES et par internet (www.anaes.fr) 3. HARDY P., La prévention du suicide. Rôle des praticiens différentes structures de soins. DOIN Editeurs, Paris 1997 16 et 4. WALTER M., KERMARREC I., Idées ou conduites suicidaires : orientation diagnostique et conduite à tenir en situation d'urgence, Revue du Praticien, 1999, 49 : 1685-1690 17 PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 - Maturation et Vulnérabilité Question 45 ADDICTIONS ET CONDUITES DOPANTES Rédaction : Chapitre alcool : F. Thibaut – M. Lejoyeux Chapitre tabac : C. Gillet Chapitre dopage et conduites dopantes : S. Prétagut – J.-L.Venisse - M. Potiron Chapitre psychostimulants et drogues de synthèse : A. Morel Chapitre opiacés : L. Karila - M. Reynaud Chapitre cannabis : L. Karila - M. Reynaud Relecture : Professeur Jean Adès Objectifs pédagogiques spécifiques Citer les principales données épidémiologiques concernant les différentes conduites addictives (alcool, tabac, drogues illicites) Citer les signes cliniques des ivresses et des intoxications à des substances psychoactives Connaître l’existence des ivresses pathologiques Connaître les critères du syndrome de dépendance Connaître les signes de dépendance physiologiques Connaître les signes du sevrage d’alcool, de tabac, d’opiacés et des autres drogues illicites Connaître les signes de l’abus de substances psychoactives (consommation nocive pour la santé) Citer les principales complications de l’alcoolisme et des toxicomanies Connaître le traitement de l’ivresse et des autres intoxications Connaître le traitement du sevrage d’alcool Connaître les dispositions législatives sur les alcooliques dangereux Connaître le traitement du sevrage d’opiacés et les principes des traitements de substitution aux opiacés Connaître les principes de l’information et du traitement d’un patient tabagique (aide à la motivation, soutien, substitution nicotinique) Connaître les possibilités de prise en charge à long terme des conduites addictives (psychothérapies, centres de post-cure, groupe d’entraides) Connaître la définition du dopage et les principaux produits utilisés dans cette intention Connaître les principales complications psychiatriques et somatiques aux produits dopants ADDICTIONS ET CONDUITES DOPANTES : épidémiologie, prévention, dépistage, morbidité, comorbidité, complications. Prise en charge, traitement substitutif et sevrage. Alcool, tabac, substances psychoactives et substances illicites. Cadre général Les classifications diagnostiques internationales récentes définissent l’abus et la dépendance comme deux entités nosographiques correspondant à la plupart des conduites addictives. La dépendance n’est pas liée à la quantité de substance consommée, qu’il s’agisse d’alcool ou de substances illicites. Elle définit un type de relation à un produit marquée par l’incapacité à réduire sa consommation et l’obligation comportementale. Les signes de dépendance sont des signes psychologiques : o la substance est souvent prise en quantité plus importante pendant une période plus longue que prévue o il y un désir persistant ou des efforts infructueux pour diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance o beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance, à utiliser le produit ou à récupérer de ses effets o des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance o l’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant, ou récurent susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance. A ces signes psychologiques s’ajoutent les signes physiologiques de dépendance que sont : o la tolérance : o besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré o effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de substance L’autre signe de dépendance physiologique est o le sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations suivantes : o syndrome de sevrage o une substance (alcool, drogue illicite ou autre) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage Une autre catégorie diagnostique est représentée par l’abus de substance ou utilisation nocive pour la santé. Il s’agit d’un mode d’utilisation inadéquat d’une substance (alcool, tabac ou drogue illicite) conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative caractérisée par la présence d’au moins une des manifestations suivantes au cours d’une période de douze mois : o Utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité de remplir des obligations majeures, au travail, à l’école ou à la maison (par exemple absences répétées ou mauvaises performances au travail du fait de l’utilisation de la substance, absences, exclusion temporaire ou définitive de l’école, négligence des enfants ou des taches ménagères). o Utilisation répétée d’une substance dans des situations où cela peut être physiquement dangereux (par exemple lors de la conduite d’une voiture ou en faisant fonctionner une machine alors qu’on est sous l’influence d’une substance) o Problèmes judiciaires répétés liés à l’utilisation d’une substance (par exemple arrestations pour comportement anormal en rapport avec l’utilisation de la substance) o Utilisation de la substance malgré des problèmes interpersonnels ou sociaux persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets de la substance (par exemple disputes avec le conjoint à propos des conséquences de l’intoxication, bagarres) o Le diagnostic d’abus est porté chez les patients qui ne présentent pas les critères de la dépendance. ALCOOL Rédaction : F. Thibaut – M. Lejoyeux I - EPIDÉMIOLOGIE Malgré une diminution régulière de la consommation moyenne d'alcool pur en litre par an et par adulte depuis 1970 (en 1998, en moyenne 17.8 litres), la France se situe au troisième rang européen pour la consommation d'alcool. La consommation d'alcool en France représente la part la plus importante du coût social des substances addictives. L'usage inadapté de l'alcool est la cause directe ou indirecte d'une consultation sur cinq en médecine générale, de 15 à 25 % des hospitalisations, de 25 % de l'ensemble des maladies, de 30 000 à 40 000 décès par an, sans compter les accidents, agressions ou suicides sous l'emprise de l'alcool (l'alcool est au troisième rang des causes de décès). Données sociologiques Les femmes représentent 10 % des consultantes pour difficultés avec l'alcool en médecine générale. La femme a une consommation d'alcool fort plus souvent solitaire (au domicile). La prise associée de psychotropes est fréquente. Une comorbidité dépressive est présente deux fois sur trois. Chez les femmes enceintes, le risque de malformation et de retard du développement du nouveau-né est une donnée établie. Actuellement l'abstinence, en matière de consommation d'alcool, est préconisée chez la femme enceinte. Une consommation d'alcool de plus en plus précoce est signalée chez les enfants et adolescents mais peu de données épidémiologiques précises existent dans ce domaine. Chez les sujets de plus de 65 ans, la prévalence de l'alcoolisme est de 8 % environ. Le vin est en diminution constante au profit de boissons peu ou au contraire très alcoolisées, mais le vin demeure l'alcool le plus fréquemment consommé. La consommation d'alcool est forte à l'Ouest, dans le Nord et l'Auvergne. La consommation excessive d'alcool ou la dépendance à l'alcool sont souvent associées à d'autres conduites addictives (75 à 95 % d'entre eux sont dépendants du tabac). La surmortalité qui en résulte est importante (cancers). Le sujet alcoolo-dépendant est également un sujet à haut risque de dépendance aux benzodiazépines (30 à 40 % des alcoolo-dépendants consomment des benzodiazépines). L'existence de polydépendances associant alcool et drogues illicites est fréquente mais peu étudiée sur le plan épidémiologique. 2 - ETIOLOGIE L'alcoolisme est une maladie complexe dans laquelle sont intriqués des facteurs génétiques de vulnérabilité individuelle et des facteurs environnementaux. Des facteurs génétiques de vulnérabilité individuelle pourraient contribuer, pour 40 à 60 %, au risque de développer une dépendance à l'alcool. Certains polymorphismes génétiques pourraient par exemple influencer le métabolisme de l'alcool, les effets positifs (euphorie) ou au contraire négatifs (anxiété…) induits par la prise d'alcool, ou encore le risque plus important de développer une cirrhose. Des facteurs génétiques communs aux différentes addictions sont probables. Des facteurs socio-culturels favorisent les habitudes d'alcoolisation (professions à risque – milieu social défavorisé – immigration récente – chômage – incitation forte : publicité, prix modéré, nombre élevé de débits de boisson, tolérance de l'opinion, intérêts économiques…). Des facteurs de personnalité peuvent également favoriser la dépendance à l'alcool (impulsivité, recherche de sensations, immaturité…). L'alcool favorise indirectement la transmission dopaminergique au niveau des régions méso-limbiques (noyau accumbens), support anatomique du système de récompense. 3 - PRÉVENTION 1. Primaire L'information du public est fondamentale. Elle fait appel à des campagnes d'information sur les dangers de l'alcool, dans les lycées et collèges ; à la formation et à la sensibilisation des enseignants ; à la mise en place de réunions de sensibilisation dans les entreprises, sur les lieux de travail… Le contrôle et la surveillance de la publicité et de l'incitation pour les boissons alcooliques doit déboucher sur la protection de populations à risque (en particulier, les mineurs de moins de 16 ans et les femmes enceintes). 2. Secondaire Les médecins du travail ont un rôle important à jouer dans le dépistage de l'alcoolisme chronique. La sensibilisation des médecins généralistes et des services hospitaliers d'urgence au dépistage de l'intoxication alcoolique chronique est importante. Des campagnes de prévention routière et les contrôles des conducteurs par l'alcootest peuvent contribuer à réduire le risque d'accidents de la route liés à l'alcool. 4 - DÉPISTAGE La notion d'une alcoolo-dépendance doit être recherchée systématiquement à l'occasion d'une consultation ou d'une hospitalisation chez des sujets considérés comme à risque (autres conduites addictives, existence de maladies psychiatriques, pathologies somatiques évocatrices d'intoxication alcoolique, malaises, ivresse, accident, tentative de suicide…). Elle doit également être recherchée dans les situations où toute consommation d'alcool représente un danger (grossesse, prescription de psychotropes…) Il s'agit d'évaluer la consommation d'alcool (consommation déclarée en g/jour : degré x 8 x vol (l) : gramme d'alcool pur ; utilisation d'auto-questionnaires) et ses conséquences socio-professionnelles, familiales, judiciaires et enfin somatiques et psychiques ainsi que l'existence d'autres addictions. On évaluera évidemment la motivation du sujet pour changer ses habitudes de consommation. Le seuil de consommation excessive d'alcool est fixé à quatre verres standards par jour pour les hommes et trois pour les femmes (un verre standard = 10 g d'alcool pur). 1. Questionnaire DETA Le questionnaire DETA (Diminuer, Entourage, Trop, Alcool) permet, à partir de quatre questions simples qui peuvent être introduites de façon informelle dans l'entretien, d'identifier un mésusage d'alcool lorsque l'interrogatoire révèle l'existence d'une consommation excessive. Au cours de votre vie : Avez-vous déjà ressenti le besoin de Diminuer votre consommation de boissons alcoolisées ? Votre Entourage vous a-t-il déjà fait des remarques au sujet de votre consommation d'alcool ? Avez-vous déjà eu l'impression que vous buviez Trop ? Avez-vous déjà eu besoin d'Alcool dès le matin pour vous sentir en forme ? A partir de deux réponses positives, la probabilité d'une consommation excessive et d'une alcoolo-dépendance est très élevée. 2. Questionnaire AUDIT (Alcohol Use Disorder Identification Test) Plus riche en information, il explore les douze derniers mois de la vie du sujet. Il a l'avantage de pouvoir être administré en auto-questionnaire (Tableau I). 3. Dosages biologiques (intérêt pour le suivi) La consommation chronique d'alcool peut être confirmée par la pratique de dosages biologiques. Le volume globulaire moyen (VGM) est un marqueur tardif d'une intoxication alcoolique chronique (normalisation après plusieurs mois d'abstinence). La gamma glutamyl transferase (GT) est une enzyme hépatique (spécificité médiocre - diminue de moitié tous les quinze jours si abstinence - test de première intention). 5 - DÉFINITION ET CLINIQUE DE L'ALCOOLISME Après une première consommation d'alcool, environ 10 % des sujets s'abstiennent d'en reconsommer. Parmi les consommateurs, la majorité d'entre eux usent de l'alcool sur un mode convivial et non dangereux (usage simple). L'usage inclut parfois des usages à risque (conduite automobile, grossesse…). D'autres entrent dans la catégorie des sujets abuseurs (ou à usage nocif) (4.5 % de la population française) ou dans la catégorie des sujets dépendants de l'alcool (2.5 % de la population). 1. L' Ivresse (intoxication alcoolique aiguë) L'ivresse simple : L'ivresse est la manifestation comportementale de l'action de l'alcool sur le fonctionnement cérébral. L'ivresse simple évolue classiquement en trois phases après une ingestion récente d'alcool : 1/ Phase d'excitation psychomotrice (alcoolémie en règle comprise entre 1 à 2 grammes) : avec désinhibition, euphorie alternant avec des périodes de tristesse et d'agressivité, logorrhée, familiarité excessive. L'attention, les capacités de jugement et la mémoire peuvent être altérées à des degrés divers. 2/ Phase d'incoordination (alcoolémie souvent supérieure à 2 grammes) : les troubles de la pensée se majorent et conduisent à une incohérence idéïque puis progressivement à une véritable confusion. L'examen clinique retrouve un tremblement, une dysmétrie et parfois un syndrome cérébelleux. 3/ Phase comateuse (alcoolémie toujours supérieure à 3 g/l) : le coma, parfois précédé par une baisse progressive de la vigilance et une somnolence, est profond, sans signes de localisation neurologique. Une importante hypothermie (chute de 5 à 6 degrés de la température centrale), une mydriase bilatérale aréactive, une hypotonie, une abolition des ROT, une bradycardie et une hypotension sont quelquefois associées. L'hypotension artérielle, dans ce cas peut se compliquer d'un collapsus cardio-vasculaire à l'évolution parfois mortelle. L'ivresse pathologique : plus fréquente en cas de trouble de la personnalité, surtout sociopathique, ou de trouble cérébral organique associé (épilepsie, détérioration intellectuelle débutante), elle succède à une ingestion récente et massive d'alcool. L'ivresse pathologique réalise un tableau prolongé, volontiers récidivant et marqué par une dangerosité potentielle (auto ou hétéro-agressivité). Les principales formes cliniques habituellement distinguées sont : l'ivresse excito-motrice, l'ivresse hallucinatoire, l'ivresse délirante, l'ivresse avec troubles de l'humeur. 2. L'abus d'alcool (ou usage nocif) L'abus d'alcool correspond à une consommation répétée ayant une nocivité sociale (relations conjugales, difficultés avec la justice…), professionnelle, physique et ou psychique et à la persistance de cette consommation malgré la nocivité. Il s'agit de sujets buvant de manière excessive sans répondre aux critères de dépendance. L'évolution de l'abus d'alcool est variable, notamment fonction de la prise de conscience du patient et de la prise en charge thérapeutique. Une partie des "buveurs excessifs", pour des raisons diverses, peut être amenée à diminuer sa consommation, d'autres vont rester des consommateurs excessifs que l'on peut dire "stables" et un dernier groupe atteint le stade de la dépendance. Dans ces derniers cas, l'abus d'alcool n'aura constitué qu'un état transitoire, forme de passage vers la dépendance. 3. Le Syndrome de dépendance alcoolique Il s'agit d'un état neurobiologique et psychologique dû à la consommation répétée de l'alcool qui se traduit par la nécessité d'augmenter la dose d'alcool pour obtenir le même effet (tolérance) et de poursuivre la consommation d'alcool pour prévenir l'apparition d'un syndrome de sevrage. Signes physiques de dépendance Les symptômes de sevrage peuvent apparaître lors d'un sevrage total ou lorsque l'alcoolémie baisse (sevrage matinal). Ils comportent des symptômes neuro-musculaires (tremblement des mains et de la langue, myalgies, crampes, paresthésies), digestifs (nausées, vomissements), neuro-végétatifs (sueurs, tachycardie, hypotension orthostatique) et psychiques (anxiété, humeur dépressive, irritabilité, hyperémotivité). Des insomnies et des cauchemars sont souvent associés. L'ensemble des troubles est spécifiquement calmé par l'ingestion d'alcool mais les signes réapparaissent, le matin suivant ou après une autre période de sevrage. Leur présence pérennise l'intoxication alcoolique en "imposant" au sujet de boire dès le matin pour les faire disparaître. Signes psychiques de dépendance La dépendance psychique se traduit, dans les premiers temps de l'intoxication alcoolique, par une envie irrépressible de boire. Le temps ultérieur de la dépendance psychique est celui de la perte du contrôle des quantités d'alcool consommées. Le sujet éprouve la nécessité d'augmenter les doses quotidiennes pour obtenir les mêmes effets car le sujet s'habitue aux effets de l'alcool (tolérance). Cette "compulsion" à boire persiste en dépit de toutes les conséquences négatives de l'alcoolisation pathologique. Une fois le patient devenu dépendant, tout son comportement est centré autour de la prise d'alcool. 4. Les "Accidents" de sevrage Les symptômes de sevrage, quelles qu'en soient la traduction clinique et la sévérité, apparaissent environ dans les douze heures suivant l'arrêt ou la réduction de la consommation d'alcool. Les formes sévères de sevrage, le delirium tremens et l'épilepsie de sevrage, ne s'observent que chez 5 % des sujets dépendants. Les sujets les plus à risque sont les alcooliques présentant une intoxication ancienne et massive. Delirium tremens (DT) Certains facteurs prédisposants ou aggravants tels que les infections, le stress, une intervention chirurgicale, peuvent favoriser l'apparition d'un DT chez un sujet alcoolodépendant. Le DT survient brutalement ou est précédé de petits signes de sevrage (cauchemars, tremblements, anxiété…) ou encore d'une crise comitiale, douze ou quarante-huit heures après le sevrage. A sa phase d'état, le DT réalise un grand état d'agitation psychomotrice confuso-onirique. Il comporte : des troubles de la conscience avec confusion mentale, désorientation temporospaciale des tremblements intenses et généralisés prédominant aux extrémités et à la langue une hypertonie oppositionnelle un délire hallucinatoire à prédominance visuelle et parfois cénesthésique de type onirique (ressemblant à un rêve), le rêve est vécu et agi. Le délire, très angoissant pour le patient, entraîne une participation à l'activité délirante. Le malade peut vivre des scènes d'onirisme ou de catastrophe ainsi que des scènes de la vie professionnelle. Les zoopsies, visions d'animaux en général menaçants, ne sont pas rares. Les symptômes délirants, majorés par l'obscurité et l'endormissement, sont à l'origine d'une importante agitation avec risque de passage à l'acte des troubles végétatifs et des signes généraux : sueurs profuses, tachycardie, hypertension artérielle, diarrhée, nausées, vomissements, hyperthermie modérée, signes de déshydratation (pli cutané, oligurie) des modifications biologiques : En plus des signes de l'alcoolisme chronique, existent des signes de déshydratation intracellulaire (hypernatrémie) et extracellulaire (augmentation de l'hématocrite et de la protéinémie). L'évolution en l'absence de traitement et de vitaminothérapie B1 précoce peut être défavorable (encéphalopathie de Gayet Wernicke, syndrome de Korsakoff…) et parfois entraîner le décès. Le risque de DT impose une prévention de celui-ci chez tous les sujets hospitalisés présentant une intoxication alcoolique chronique. Délire alcoolique subaigu Episodes confuso-oniriques récidivants à recrudescence vespérale. Epilepsie de sevrage Les crises comitiales surviennent habituellement dans les 24 heures suivant le sevrage ou plus tardivement quand celui-ci est incomplet. Les crises de sevrage sont souvent matinales, parfois par salves de 2 ou 3 et peuvent représenter un mode de début de delirium tremens. 5. Les complications de l'intoxication alcoolique chronique Les complications somatiques peuvent toucher tous les organes avec des impacts hépato-digestifs et neuropsychiatriques particuliers. Elles sont traitées en gastroentérologie et neurologie essentiellement. Le syndrome d'alcoolisation fœtale est caractérisé par un retard de croissance intrautérin associé à des malformations diverses et à un retard du développement cérébral avec des troubles ultérieurs des apprentissages, voire un retard mental. L'abstinence complète en matière de consommation d'alcool est actuellement recommandée pendant la grossesse. 6 - PRINCIPES DU TRAITEMENT DE L'ALCOOLISME Le traitement usuel de l'alcoolisme a pu être défini récemment comme un ensemble d'interventions médicales, psychologiques et sociales. L'ensemble de ces prises en charge, plus ou moins organisées entre elles, a pour objet d'aider le patient alcoolique à initier un sevrage et à rester abstinent le plus longtemps possible (environ 30 % des patients demeurent abstinents, 30 % rechutent et le dernier tiers est en rémission partielle). L'hospitalisation en urgence n'est justifiée que pour les urgences psychiatriques et somatiques, jamais pour le sevrage. 1. Les traitements de l'alcoolisation aiguë L'ivresse simple ne nécessite généralement que le repos au calme et un apport d'eau. La prescription de médicaments psychotropes doit rester exceptionnelle, compte tenu des interactions négatives entre l'alcool et tous les psychotropes. Les troubles du comportement liés à l'ivresse (gestes clastiques, scènes conjugales violentes, agitation dangereuse) peuvent nécessiter la prescription de sédatifs. Les ivresses pathologiques avec agitation majeure, hétéro-agressivité, idées délirantes de persécution ou de jalousie rendent nécessaires, du fait de la dangerosité, l'hospitalisation et la surveillance en milieu psychiatrique. L'obtention nécessaire d'une sédation incite à recourir aux neuroleptiques par voie intramusculaire (par exemple loxapine). Une surveillance étroite de la vigilance et de la tension artérielle est indispensable. 2. La cure de sevrage La cure de sevrage implique la réalisation, sous contrôle médical, d'un sevrage total d'alcool chez un alcoolique présentant une consommation nocive (abus) ou une alcoolodépendance. L'efficacité de la cure est pour beaucoup conditionnée par la qualité du temps préparatoire qui la précède et la motivation du patient. Les buts d'un tel traitement sont principalement d'assurer le contrôle et surtout la prévention des symptômes de sevrage et surtout des accidents graves tels le delirium tremens et les crises convulsives. Ce traitement, en outre, favorise le "confort" psychologique du patient et permet un meilleur développement des mesures psychothérapiques mises en œuvre dans le temps de la cure. Il peut être réalisé en ambulatoire (motivation suffisante, bonne compliance aux soins, pas d'antécédents de DT…) ou en milieu hospitalier. La cure associe une hydratation correcte du patient à la prescription de vitamines et à un traitement par benzodiazépines, si nécessaire. Hydratation et vitaminothérapie La réalisation d'une hydratation suffisante (2 à 3l/24h) s'effectuera soit par voie orale, soit par voie parentérale. Cliniquement, la tension artérielle, le pli cutané et la diurèse doivent être régulièrement surveillés. Les contrôles biologiques porteront surtout sur le ionogramme sanguin, la protidémie et l'hématocrite. Une polyvitaminothérapie B1, B6, PP avec administration de vitamine B1 IM (1g/j pendant au moins 8 jours per os ou i.m.) doit être systématiquement associée. L'apport en vitamine B1 est particulièrement important en cas d'apport parentéral de glucose qui risque de précipiter la carence en augmentant la consommation de vitamine B1. Traitement chimiothérapique du sevrage Il devra, compte-tenu de l'appétence fréquente des alcooliques pour divers psychotropes, comporter le moins possible de molécules donnant lieu à des toxicophilies. Quel que soit le médicament prescrit, il convient aussi de rappeler qu'il interagit avec l'alcool. Les médicaments les plus utilisés sont : les benzodiazépines (tranxène*, clorazépate per os ou en perfusion (100 à 200 mg/24h) ; Valium*, diazépam* ; ou Séresta* oxazépam en cas d’insuffisance hépato-cellulaire, seulement disponible per os (100 à 300 mg/24h)...). Elles entraînent une sédation rapide, en quelques heures, et préviennent l'apparition de l'ensemble des symptômes de sevrage. La prescription doit être adaptée au poids, à la fonction respiratoire et hépatique du sujet. Les benzodiazépines seront ensuite diminuées rapidement et interrompues en une ou deux semaines sauf en cas d'usage chronique antérieur. 3. Principes de la prise en charge à long terme La prise en charge à long terme consiste à maintenir l'abstinence à l'aide d'une relation thérapeutique stable. L'accompagnement doit être médico-psycho-social par une équipe multidisciplinaire. Il comprend le traitement des comorbidités psychiatriques et somatiques. L'accès aux centres de post-cure, aux consultations psychiatriques de secteur, aux services sociaux, aux foyers d'accueil et de réinsertion, à certains hôpitaux de jour centrés sur la prise en charge des alcooliques, ou aux associations d'anciens buveurs peut aussi prévenir les réalcoolisations. En pratique, la prise en charge au long cours repose essentiellement sur : les psychothérapies, et tout particulièrement la psychothérapie de soutien les mouvements d'anciens buveurs la prescription de médicaments ayant pour objet de diminuer l'envie de boire ou d'amender les complications psychiatriques (anxieuses et dépressives) de l'alcoolisme. L'espoir placé dans les chimiothérapies diminuant l'appétence pour l'alcool, chez les sujets alcoolo-dépendants, n'est donc pas vain, même si, pour la plupart des produits, les travaux sont insuffisants (en particulier à long terme) pour autoriser des conclusions formelles. Les deux seules molécules ayant une autorisation de mise sur le marché dans cette indication sont l’acamprosate (Aotal*) (CI : insuffisance rénale) et la naltrexone (Révia) (CI : insuffisance hépato-cellulaire grave). TABAC Rédaction : C. Gillet 1 - ACTIONS DE LA NICOTINE AU NIVEAU CÉRÉBRAL Le comportement tabagique est renforcé par une dépendance et la substance considérée comme la principale impliquée dans la survenue de cette dépendance est la nicotine. La perception tant psychoactive que renforçante est variable et subjective. Ainsi une cigarette sera-t-elle ressentie comme stimulante de l’éveil mais une autre comme relaxante, réductrice de tension, anxiolytique. Cette perception subjective est liée notamment à l’état initial de l’individu lorsqu’il commence à fumer, ce qui influence alors sa façon de fumer permettant ainsi une modulation de la quantité de nicotine absorbée. Deux facteurs particuliers semblent jouer un rôle important dans la dépendance nicotinique : l’autotitration et l’effet bolus. Les fumeurs modifient leur façon de fumer et d’inhaler (rythme, nombre et volume des bouffées, longueur du mégot) pour obtenir une nicotinémie à une concentration optimale : c’est l’autotitration. Le besoin de fumer réapparaît dès que la nicotinémie baisse et le rituel de fumer est déterminé par les variations de nicotinémie. Fumer entraîne alors un pic rapide de la concentration plasmatique de nicotine, se traduisant par un véritable effet « flash ». Il semble que la séquence inhalation-bolus soit la plus génératrice de dépendance. Le fumeur a la possibilité d’opérer une véritable autotitration de sa nicotinémie mais également de moduler l’intensité des pics. 2 - CLASSIFICATIONS DE LA DÉPENDANCE NICOTINIQUE Tous les diagnostics de la CIM 10 de l’Organisation Mondiale de la Santé, y compris l’usage nocif (qui fait intervenir les conséquences psychologiques et physiques) et l’intoxication, s’appliquent aussi à la consommation tabagique. Le questionnaire de tolérance de Fagerström et le test de dépendance à la nicotine de Fagerström caractérisent la dépendance comme une variable continue et proposent des seuils limites permettant de différencier les fumeurs selon l’intensité de leur dépendance pharmacologique. Ces questionnaires visent à préciser le degré de dépendance en tenant compte du comportement tabagique habituel et à identifier les fumeurs susceptibles de tirer bénéfices des traitements nicotiniques. La quantification la plus simple de la consommation tabagique repose sur l’entretien avec le fumeur. Toutefois, l’exactitude de celle-ci est soumise à l’imprécision des souvenirs, aux variations de consommation au cours de différentes époques de la vie, et parfois, à une minimisation volontaire de la consommation déclarée, bien que ceci soit beaucoup plus rare que pour d’autres addictions. Malgré ces réserves, l’entretien doit permettre de préciser : - L'âge de la première cigarette et de la consommation régulière : la précocité de la consommation est un facteur de sévérité de la dépendance et constitue un facteur prédisposant à l’usage d’autres substances psychoactives. Il en est de même sur un plan somatique, puisque, à consommation égale, le risque de cancer bronchique est d’autant plus élevé que l’âge de début du tabagisme est précoce. La rapidité d’installation du tabagisme régulier est en faveur d’une grande vulnérabilité du fumeur aux effets psychotropes et pharmacologiques du tabac. - L’intensité de la consommation : même si le nombre de cigarettes fumées quotidiennement est le reflet imparfait de l’imprégnation tabagique, le fumeur étant susceptible d’adapter sa façon de fumer à ses besoins, il reflète l’intensité de la dépendance tant pharmacologique que comportementale. - Les modalités de consommation : la précocité de la première cigarette après le lever, le fait de fumer plusieurs cigarettes de suite dans les premières heures suivant le réveil traduisent la nécessité de restaurer rapidement un taux efficace de nicotinémie. En effet, la demi-vie courte de la nicotine fait qu’après une nuit de sommeil, le fumeur est en manque, ce qui l’incite à fumer précocement. De même, l’impossibilité de s’abstenir de fumer même pour une courte période témoigne de l’importance de la dépendance. - L’existence de signes de sevrage : les symptômes ressentis lors de tentatives d’arrêt antérieur ou lors de sevrages temporaires objectivent la réalité de la dépendance physique. 3 - TESTS Le test de dépendance à la nicotine (Fagerström) C’est le test le plus couramment utilisé dans le monde. Il permet d’identifier les fumeurs dépendants, de quantifier cette dépendance, de faciliter l’orientation thérapeutique. Composé de 6 questions portant sur les difficultés à s’abstenir de fumer, les rythmes de consommation et la topographie de consommation, son score global est compris entre 0 et 10. Ce test a cependant ses limites et il est important de prendre en compte de façon concomitante la perception clinique et les données de l’entretien. Les marqueurs biologiques permettent d’objectiver l’intensité de l’imprégnation tabagique et la réalité d’un arrêt. L’oxyde de carbone est absorbé au niveau des voies aériennes distales et dépend des paramètres de l’inhalation. Il se fixe sur l’hémoglobine et un équilibre s’installe entre le CO vasculaire et extravasculaire lié à la myoglobine. L’élimination est pulmonaire. Sa demi-vie est courte (1 à 5 heures). Son dosage dans l’air expiré est facile, non invasif mais son interprétation doit tenir compte d’un éventuel apport exogène, domestique ou environnemental et du CO endogène estimé à 3 – 5 particules par millions (ppm). Chez le non fumeur, le taux habituel est inférieur à 10 ppm. Chez le fumeur de 15 cigarettes et plus, le taux dépasse habituellement le taux de 20 ppm et peut atteindre des valeurs de 70 ppm. Toutefois, le taux, reflet du tabagisme très récent, est fonction du délai écoulé depuis la dernière cigarette fumée. Enfin, la spécificité est faible chez les fumeurs n’inhalant pas. La présence du monoxyde de carbone peut également être appréhendée par le dosage de la carboxyhémoglobine, mais nécessitant un geste invasif, il ne fait pas l’objet de pratique quotidienne. Le dosage de CO dans l’air expiré, rapide, peu coûteux, non invasif est la méthode la plus utilisée en pratique quotidienne. Des analyseurs de CO permettent une lecture immédiate et la restitution des résultats au fumeur peut avoir un effet renforçant de la motivation par prise de conscience de la normalisation des résultats dès l’arrêt de la consommation. Test de dépendance à la nicotine (Fagerström) Dans quel délai après le réveil fumez-vous votre première cigarette ? Moins de 5 mn 3 6 à 30 mn 2 31 à 60 mn 1 Après 60 mn 0 Trouvez-vous difficile de ne pas fumer dans les endroits interdits ? Oui 1 Non 0 Quelle cigarette trouvez-vous la plus indispensable ? La première 1 Une autre 0 Combien de cigarette fumez-vous par jour ? 10 ou moins 11 à 20 21 à 30 31 ou plus 0 1 2 3 Fumez-vous davantage les premières heures après le réveil que pendant le reste de la journée ? Oui 1 Non 0 Fumez-vous même si vous êtes malade et alité la majeure partie de la journée ? Oui 1 Non 0 Evaluation IV - LE Très faible ou pas de dépendance Faible dépendance Dépendance moyenne Forte à très forte dépendance 0 3 5 7 à à à à 2 4 6 10 SYNDROME DE SEVRAGE NICOTINIQUE L’existence d’un syndrome de sevrage nicotinique témoigne de la dépendance pharmacologique et se traduit dans les heures qui suivent l’arrêt brutal ou la diminution significative de la consommation. L’intensité est variable selon les fumeurs. Il s’exprime par la survenue de symptômes tels l’existence de besoins impérieux de fumer, de troubles dépressifs, de nervosité, d’anxiété, d’agressivité, d’irritabilité, de frustration, de baisse des performances, de difficultés de concentration, d’impatience, d’agitation, de troubles du sommeil, de diminution ou de retour à la normale de la fréquence cardiaque, d’augmentation de l’appétit. La définition proposée par le DSM IV impose l’existence d’au moins quatre signes. Généralement les troubles psychiques (irritabilité, anxiété…), les troubles du sommeil atteignent leur maximum au cours de la première semaine et le sujet retourne à l’état normal au bout d’un mois. Toutefois, certaines manifestations, notamment l’augmentation de l’appétit, les troubles de la concentration sont susceptibles de persister plusieurs mois. Le désir de fumer diminue progressivement en intensité et en fréquence sur plusieurs mois. V - TRAITEMENT Les approches thérapeutiques validées scientifiquement sont peu nombreuses. Seuls les traitements substitutifs à la nicotine, le bupropion sur le plan médicamenteux et les psychothérapies cognitives et comportementales sont préconisées par la Conférence de Consensus (1998) et les Recommandations de bonne pratique (2003). Traitement pharmacologique du sevrage tabagique Traitement substitutif à la nicotine Objectifs : Limiter les manifestations liées au sevrage tabagique et rendre ainsi le sevrage plus « confortable ». Il s’adresse donc aux fumeurs pharmacologiquement dépendants. Indications : Le sevrage tabagique et l’arrêt temporaire (fumeurs hospitalisés, transports aériens…). Son utilisation est évoquée, mais sans avoir l’AMM, dans le cadre de la politique de réduction des risques chez les fumeurs souhaitant réduire ou ne pouvant pas cesser totalement leur consommation mais présentant des complications somatiques du tabagisme. Posologie : Pour être efficace, l’apport du traitement substitutif doit être suffisant. L’adaptation posologique est possible par le dosage de la cotininurie mais coûteux et non remboursé, il n’est pas effectué en pratique courante. La posologie est donc ajustée en fonction du nombre de cigarettes fumées, du score au test de Fagerström, des symptômes de sous dosage (signes de sevrage) ou de surdosage (insomnie, nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales, pâleur, palpitations, bouche pâteuse…) Formes galéniques Les systèmes transdermiques : Le timbre permet une administration automatique de nicotine que le fumeur ne peut contrôler. D’utilisation facile, l’observance paraît meilleure que pour les autres formes galéniques. Il existe des timbres délivrant sur 24 h ou sur 16 h. La nicotinémie atteint un taux stable en 4 à 11 h après la pose du timbre. Aussi le timbre de 24 h, passé le premier jour d’utilisation, atténue-t-il davantage la sensation de manque matinal. Les effets secondaires les plus fréquents sont des manifestations cutanées (érythème, de prurit…). Changer quotidiennement de site d’application limite leurs survenues. Les timbres de 24 h sont susceptibles d’entraîner des troubles du sommeil à type d’hyperonirisme. Les gommes : premiers substituts nicotiniques commercialisés en France. Il existe deux dosages, 2 et 4 mg, délivrant respectivement 1 mg et moins de 3 mg de nicotine. Les gommes à 4 mg sont recommandées chez les fumeurs très fortement dépendants. L’absorption s’effectue au niveau de la muqueuse buccale et dépend du respect des consignes de mastication. Les effets secondaires buccaux ou gastriques résultent souvent d’une mauvaise utilisation. Le taux maximal de nicotinémie, moindre que celui obtenu avec une cigarette, s’observe 20 à 30 mn après le début de la mastication. L’inhaleur : il apporte par bouffée environ un dixième de la nicotine libérée par une bouffée de cigarette. A l’administration de nicotine s’ajoute la prise en compte de l’aspect gestuel. L’absorption se fait au niveau buccal. Il est recommandé d’utiliser quotidiennement 6 à 12 cartouches. Les effets secondaires sont essentiellement irritatifs au niveau ORL et pulmonaire. L’augmentation des doses de timbres, l’association de deux formes galéniques sont proposées pour optimiser les apports de nicotine. Susceptibles de majorer l’efficacité, ces adaptations thérapeutiques, qui s’adressent aux fumeurs fortement dépendants ou insuffisamment substitués par une seule forme galénique, doivent s’effectuer sous contrôle médical. Les résultats paraissent plus favorables pour une durée de prescription d’au moins 6 à 8 semaines. Chlorhydrate de bupropion (Zyban LP®) Inhibiteur sélectif de la recapture neuronale de la noradrénaline et de la dopamine, sa durée de prescription est de 7 à 9 semaines. Initialement commercialisé dans d’autres pays comme antidépresseur, il n’a pas en France l’AMM dans cette indication et ne possède pas d’action antidépressive aux doses préconisées dans l’aide à l’arrêt du tabac. L’effet indésirable le plus redouté est la survenue de crises convulsives (risque dosedépendant) d’où la nécessité du respect strict des doses préconisées par l’AMM et des contre indications. L’effet le plus fréquemment rencontré est l’insomnie. L’usage détourné du bupropion dans un but psychostimulant et/ou récréatif doit être connu. L’association Bupropion – traitement substitutif n’a pas démontré d’efficacité supérieure à celle de chacun des produits pris isolément. Traitement non pharmacologique du sevrage tabagique Les thérapies cognitives et comportementales Utilisées seules ou en association avec un traitement pharmacologique, elles peuvent être utilisées avant, pendant et après l’arrêt du tabac. L’entretien motivationnel est utile pour faire naître mais également pour entretenir et renforcer la motivation au cours du suivi. Certaines techniques ont pour objectif de diminuer l’apport nicotinique avant le sevrage, ce qui en limite ainsi l’intensité des symptômes. Après l’arrêt, la prévention des rechutes vise à identifier les situations à risque afin d’éviter ces situations ou de mettre en place des stratégies adaptées (apprentissage de nouvelles habitudes, résolution de problèmes, gestion de stress…). Le renforcement de la confiance en ses capacités de réussite favorise aussi le succès de la démarche. VI – STRATÉGIES DE PRISE EN CHARGE À LONG TERME L’accompagnement du fumeur après la phase de sevrage est important. L’objectif est de pérenniser le maintien de l’abstinence en prévenant la rechute. A l’issue de la consultation instaurant le traitement du sevrage, le suivi est programmé et un premier rendez-vous rapidement proposé. Le suivi vise à permettre l’adaptation du traitement pharmacologique, l’abord par le patient des difficultés rencontrées, la surveillance de l’état psychique (troubles anxieux ou de l’humeur), la surveillance du poids (la prise de poids constitue une cause fréquente de rechute et un accompagnement spécialisé sera éventuellement proposé), la surveillance de la consommation d’autres substances psychoactives (alcool, cannabis…), le renforcement de la confiance en soi (valorisation du maintien de l’arrêt, bonne gestion du sevrage, encouragement à poursuivre, maintien ou renforcement de la motivation avec la mise en évidence des bénéfices à l’arrêt), la prévention des rechutes en identifiant les situations à risque, en élaborant un plan d’urgence, en dédramatisant et en aidant à gérer un écart afin d’éviter l’évolution vers une rechute, en informant sur les risques des cigarettes test…., l’analyse des causes de rechutes (moment opportun, traitement adéquat, posologies adaptées, difficultés psychologiques, mésusage d’alcool, usage de produits illicites…), l’encouragement à réitérer la démarche. Il est conseillé de proposer un suivi d’au moins six mois. DOPAGE ET CONDUITES DOPANTES Rédaction : S. Prétagut, J.-L. Venisse, M. Potiron 1 - CADRE GÉNÉRAL ET LÉGISLATIF DU DOPAGE La prise de conscience récente du problème du dopage a incité le mouvement sportif mais également le législateur à fixer des règles visant à protéger la santé des athlètes et à défendre la morale et l’éthique du sport. Lors de la conférence mondiale sur le dopage dans le sport, le 4 février 1999 à Lausanne, le CIO (Comité International Olympique) a adopté la définition suivante du dopage : « est qualifié de dopage : 1- l’usage d’un artifice (substance ou méthode) potentiellement dangereux pour la santé des athlètes et/ou susceptible d’améliorer leur performance 2- la présence dans l’organisme de l’athlète d’une substance ou de la constatation de l’application d’une méthode qui figure sur la liste annexée au présent code ». Cette définition, admise par la plupart des fédérations sportives internationales, ne s’applique qu’aux sportifs pratiquant un sport institutionnalisé et prend en compte de manière forte la question de santé publique induite par le dopage. La France fut l’un des premiers pays à avoir légiféré à propos du dopage. La dernière loi en la matière date du 23 mars 1999 et dispose d’un volet répressif et d’un volet préventif. Le volet répressif s’appuie sur une liste de substances et de procédés interdits et les contrôles anti-dopage diligentés par le ministère des sports ou par les fédérations sportives peuvent être réalisés lors des compétitions ou des entraînements. Les sportifs convaincus de dopage s’exposent à des sanctions sportives et les pourvoyeurs à des sanctions pénales. Ainsi, dans une optique médicale, nous préférons nous attacher au concept de conduite dopante tel qu’il a été défini par P. Laure : « une conduite dopante se définit par la consommation d’un produit pour affronter ou pour surmonter un obstacle réel ou ressenti par l’usager ou par son entourage dans un but de performance ». S’intéresser à la consommation dans un but de performance revient à s’intéresser à un comportement, c’est à dire à un individu, à une personne dans son environnement, et pas uniquement à un produit, à l’image de ce qui prévaut en matière de conduites addictives. 2 - ÉLÉMENTS CLINIQUES Il n’existe pas de critères cliniques formels permettant d’identifier une utilisation de produits dopants. La symptomatologie est variable selon les individus, leur âge, leur sexe, leur susceptibilité pharmacologique individuelle, les facteurs de vulnérabilité psychologique, le moment de l’examen (les signes seront souvent différents si le sportif est en phase d’entraînement optimum ou s’il est en phase de repos hivernal), le mode de consommation (usage unique ou répété), le type de consommation (usage simple ou polyconsommation), l’âge de début, la quantité consommée à chaque prise, la durée d’exposition au(x) produit(s), la nature des produits utilisés (certaines substances sont issues de la contrefaçon)…le diagnostic positif repose, lorsque cela est possible, sur la recherche toxicologique du produit. Certaines situations peuvent être évocatrices d’une conduite de dopage, mais celles-ci s’observent le plus souvent lors de l’apparition de complications (liées au surdosage, au caractère chronique de l’intoxication ou au sevrage), ou si le sujet est suivi régulièrement par le même médecin ou sur le même plateau technique d’exploration, de façon à disposer de références le concernant et à pouvoir comparer sa situation à chaque examen, d’où l’intérêt d’un suivi longitudinal des sportifs. Pour information nous citerons quelques situations évocatrices de l’utilisation de certains produits : une augmentation anormale de masse musculaire, le plus souvent associée à une augmentation de masse maigre (n’étant ni en rapport avec la croissance du sujet, ni corrélée à un accroissement ou à un changement de schéma d’entraînement), et une augmentation anormale de la puissance musculaire (évaluée sur ergomètre de type cybex ou autre), peuvent faire suspecter une consommation d’hormone de croissance (GH) ou d’IGF 1, et/ou de stéroïdes anabolisants. une bradycardie excessive en période d’entraînement intensif, par rapport à une fréquence cardiaque de référence (en période hivernale), associée à une augmentation anormale des capacités de transport en oxygène (évaluée par la VO2 max), sont en faveur d’une utilisation d’érythropoïétine (EPO) ou de molécules apparentées, en l’absence de stage d’entraînement en altitude. Étant donnée la difficulté à repérer cliniquement l’utilisation de produits dopants, le clinicien devra s’évertuer à rechercher les facteurs de risque de développer une conduite dopante, c’est à dire de faire usage d’une substance ou d’un procédé dans un but de performance. Ces facteurs de risque peuvent être liés au produit, à l’individu ou encore à son environnement, mais le risque de développer une conduite dopante augmente avec l’accumulation de ces facteurs qui peuvent d’ailleurs être en interdépendance. Facteurs liés au produit : effet réel ou supposé d’un produit dans le but d’améliorer ses performances ou son image corporelle, de repousser ses limites. Facteurs liés à l’individu : sexe : les hommes sont de plus grands usagers que les femmes pour la plupart des produits, sauf pour les tranquillisants, hypnotiques et anorexigènes. âge : les consommations débutent à l’adolescence (recherche d’identité, contestation de l’ordre parental …) pour atteindre un sommet vers 25/30 ans, puis tendent à diminuer pour remonter vers 35 ans (il y a souvent évolution des consommations à cet âge et les produits visent alors plutôt le maintien des performances). facteurs de personnalité : les études manquent et sont parfois contradictoires. Il semble tout de même que pour certains sports très exposés aux pratiques dopantes (haltérophilie, musculation, foot US…), les troubles de personnalité sont plus nombreux (de 5 à 13 fois plus) : on retrouve essentiellement des personnalités antisociales, borderline, histrioniques voire paranoïaques et d’une manière générale des traits de personnalité narcissique. recherche de sensations et de risque : cf travaux de Zuckerman facteurs d’intensité de pratique : certaines études semblent montrer que l’augmentation du temps de pratique sportive (et du niveau) est corrélée à un plus grand usage. facteurs liés au poids : surtout chez les filles et dans les sports à catégorie de poids. comorbidités psychiatriques : hyperactivité avec troubles de l’attention, troubles de l’humeur, troubles anxieux, troubles du comportement alimentaire, plaintes psychosomatiques. Facteurs liés à l’environnement : modèle parental : éducation et facteurs d’identification parentale (facteurs bien connus pour les consommations d’alcool, de tabac, d’hypnotiques, de tranquillisants… mais aussi recours au produit magique qui viendrait se substituer à une incapacité réelle ou ressentie par le sujet et éducation aux conduites dopantes, c’est à dire habitudes à s’automédiquer). facteurs familiaux : conflits, deuil, séparations traumatiques, abandon, défaillance du cadre éducatif, antécédents familiaux de troubles psychiatriques ou addictifs. rôle et influence des pairs : recherche d’identification à un groupe, initiation aux consommations, tentative d’égaliser les chances de succès, pressions du milieu (coéquipiers, entraîneur, sponsors…). facteurs sociaux : rupture scolaire, désinvestissement des autres activités, l’exigence de performance (obligation de résultats, système des carrières avec peu d’élus, exigence du cadre technoscientifique, fréquence, durée et intensité des entraînements, manque de récupération entre les épreuves…). 3 - COMPLICATIONS En dehors des complications connues liées à l’utilisation de chaque produit, les risques pour la santé liés à la consommation de produits dopants sont peu connus du fait des protocoles très spécifiques qui sont mis en place (certaines substances sont utilisées à des doses extrathérapeutiques, certains protocoles font intervenir des polyconsommations…), du manque de recul par rapport à l’usage de nouvelles molécules, de la méconnaissance de l’incidence de ces usages chez le sportif, durant ou au décours de sa carrière sportive. Des cas de iatrogénie sont régulièrement rapportés par la littérature médicale internationale, sans que la preuve soit faite que ces complications sont liées à tel ou tel produit (mort subite, coma, infarctus du myocarde, insuffisance rénale aiguë, lymphomes, cancers…). A titre indicatif, la longévité du footballeur américain était de 55 ans en 1993, alors que celle de l’Américain moyen était de 71,8 ans ; cet abaissement de l’espérance de vie chez le footballeur a été rapproché de l’usage fréquent de stéroïdes anabolisants dans cette discipline. Outre les complications d’ordre somatique, des conséquences psychiques graves peuvent être observées à plus ou moins long terme, tels les troubles du comportement (à type de violences hétéro ou auto-agressives) les évolutions dépressives mais aussi les dérives addictives. Certaines substances disposent d’un potentiel addictogène propre (par exemple les stupéfiants), alors que d’autres n’entraînent pas de pharmacodépendances, mais sont pourtant utilisées dans un contexte addictif (leur usage devient répété, inflexible, correspondant à un besoin ressenti comme impérieux). Le passage de l’usage à la dépendance survient le plus souvent chez des sujets présentant des facteurs de vulnérabilité psychologique (troubles somatiques ou psychiques pendant l’enfance, évènements de vie traumatiques, dépressivité, traits de personnalité du type recherche de sensation et de nouveauté, carences affectives précoces, adolescence difficile avec fugue, vol, agressivité, rejet du corps sexué, faille narcissique…), ce d’autant plus que le début des consommations a été précoce et que ces consommations entrent dans une spirale cognitivo-comportementale où l’automédication devient une habitude du fait de l’effet renforçateur d’une victoire obtenue sous produit. Le repérage précoce de ces facteurs de risque permettra d’agir sur chacun d’eux (dans la mesure du possible), afin d’en diminuer l’influence et de limiter la survenue de telles complications. Les facteurs de vulnérabilité psychologique sont les mieux connus actuellement et leur recherche doit être systématique chez le sportif et répétée régulièrement, car ceux-ci l’exposent non seulement aux conduites dopantes, mais également au développement d’autres conduites addictives (addiction à l’exercice musculaire, troubles du comportement alimentaire, toxicomanie…), pendant mais surtout après leur carrière sportive. Pour en savoir plus : Revue actualité en psychiatrie - Spécial sport –(19) n°6, juin 2002 Lowenstein. W : Activités physiques et sportives dans les antécédents des personnes prises en charge pour addiction - Paris - Annales de médecine interne 151,suppl. A, ppA60-A64 - Masson - 2000 Laure. P : Dopage et société - Paris - Ellipses - 2000 Siri.F : La fièvre du dopage. Du corps du sportif à l’âme du sport- Autrement – collection mutations n°197 – Octobre 2000 PSYCHOSTIMULANTS ET DROGUES DE SYNTHÈSE Rédaction : A. Morel I - DONNÉES DE CONSOMMATION A - Données générales On peut distinguer trois catégories de substances dénommées par les usagers : « speed » (pour les stimulants du type amphétamines ou cocaïne), « taz » (pour les empathogènes comme l’ecstasy), et « trips » (pour les hallucinogènes tels le LSD). B - Tendances et évolutions des consommations Plusieurs ordres de faits sont observés : l’apparition de nouvelles molécules (les drogues de synthèse), l’émergence de nouveaux usages de substances déjà répandues (cocaïne, amphétamines, LSD…), une diminution relative de la consommation d’opiacés. une augmentation forte de la consommation précoce de cannabis généralement associée à de l’alcool et du tabac, un développement d’usages de substances psychoactives en milieu festif (rave parties, free parties, mais aussi mégadiscothèques, boîtes de nuit, soirées privées, etc.). C – Prévalences des consommations Les chiffres de la consommation de substances psychoactives indiquent que les psychostimulants et les hallucinogènes sont les substances illicites les plus utilisées après les dérivés du cannabis, en particulier par les moins de 25 ans. 1) La cocaïne et le crack : En 2000 (Baromètre santé), 1,4 % des français de 18 à 75 ans ont expérimenté la cocaïne. Chez les jeunes, l’expérimentation varie entre 1 et 3 % en fonction de l’âge et du sexe. Les usagers de crack en métropole sont pour la plupart des personnes marginalisées dont une partie alterne l’usage de crack et d’opiacés. Aux Antilles et en Guyane, cette consommation est particulièrement développée depuis une quinzaine d’années. 2) Ecstasy et autres amphétamines La consommation d’ecstasy est apparue en France au début des années 90 et se révèle depuis en progression. En 2000, chez les jeunes participant à la journée d’appel, 5 % des garçons et 2,2 % des filles de 18 ans déclaraient en avoir consommé au moins une fois. Parmi les jeunes de 18 ans ayant participé à des fêtes techno, la fréquence de l’usage augmente avec le nombre de participation à des évènements festifs. La consommation d’amphétamines est plus ancienne, mais reste encore limitée. 3) LSD et Hallucinogènes L’expérimentation actuelle de champignons, LSD et autres hallucinogènes est faible en population générale, mais en progression au sein de la population adolescente (en 1993 : 0,9 % des filles, 2,6 % des garçons – en 1999 : 2,5 % filles, 5 % garçons). La consommation de ces produits est principalement circonscrite à des contextes festifs. Les usages de psychostimulants et de drogues de synthèse sont en augmentation et concernent un ensemble de substances : o les empathogènes ou « taz » (au premier plan desquels figure l’ecstasy), o le « speed » (les amphétamines, la métamphétamine, la cocaïne et dérivés), o les « trips » (avec le LSD, mais aussi les champignons hallucinogènes). Les lieux festifs sont devenus un champ d’expérimentation très large de substances chez les jeunes, à travers toute l’Europe. Le cannabis est la substance la plus fréquemment consommée devant l’ecstasy, les champignons hallucinogènes, les amphétamines et le LSD. L’usage d’opiacés s’intègre à ces expérimentations et à ces recherches d’effets complémentaires et contrôlés (ex : le rachacha pour atténuer « la descente »). II - DONNÉES CLINIQUES A - Les effets 1 - Les effets psychiques - Les effets des psychostimulants consistent en une euphorie : disparition de la sensation de fatigue et augmentation des facultés cognitives à doses faibles, euphorie brutale, désinhibition, voire productions délirantes à doses massives ou dans certaines associations. - Les effets des drogues de synthèse provoquent principalement des modifications sensorielles qui vont des cénesthésies jusqu’aux hallucinations, touchent le cours de la pensée et les cognitions (attention, concentration, mémoire…). - Des substances ont des effets intermédiaires entre la stimulation amphétaminique et les modifications sensorielles des hallucinogènes (les « empathogènes »). 2 - Les effets somatiques Les effets somatiques procèdent d'une augmentation de l'activité neurologique centrale. D’où l'élévation de la température corporelle, l'accroissement de l'activité neuromusculaire, la diminution de l'appétit et du sommeil, l'élévation du rythme cardiaque et de la pression artérielle. Le syndrome de fièvre maligne décrit pour le MDMA (ecstasy) est exceptionnel. 3 - Les effets neurobiologiques Tous les psychostimulants entraînent une augmentation extra-cellulaire très importante de dopamine et de noradrénaline. Les « empathogènes» et hallucinogènes se caractérisent par une forte libération de sérotonine associée ou non à une libération de dopamine. Une neurotoxicité est probable pour bon nombre de ces substances. Elle porte spécifiquement sur les neurones sérotoninergiques. 4 - Les retentissements sociaux Le contexte d'usage et l’éventuelle désocialisation qui accompagne les consommations sont des facteurs de risque d’engagement dans une conduite addictive. Les effets de ces substances peuvent avoir des retentissements sur le comportement social (excitation, agitation, sentiment de toute puissance, vécu de persécution, dépression majeure, aboulie, conduites suicidaires…). Mais les effets recherchés par les usagers visent souvent, au contraire, l'amélioration des relations sociales (empathie, convivialité...). B - Les complications spécifiques 1- Les troubles psychiques et les complications psychiatriques Troubles cognitifs : troubles de la mémorisation, de la concentration et de l’attention au décours de poly consommations répétées ou dans les suites de bad trip. Les perturbations de l’humeur et les états psychotiques : Ce sont les complications les plus fréquentes après abus de cocaïne. Le plus souvent, il s’agit d’états anxio-dépressifs de tous types (attaques de panique, “blues post ecstasy”, dépressions bipolaires, états d’exaltation et passages à l’acte hétéro ou autoagressifs...), plus rarement d’épisodes délirants (avec un vécu de persécution, un délire de mécanisme interprétatif voire des hallucinations). Le vécu est généralement celui de modifications psychiques anormales et souvent angoissantes (« je psychote »). Dès le début du XXe siècle, ont été décrites des «psychoses cocaïniques» ou des «psychoses amphétaminiques» évoluant vers des interprétations persécutives et des troubles du comportement. La psychose cocaïnique, par exemple, marquée notamment par des cénesthésies de type « grouillements sous la peau », entraîne des comportements de grattage compulsifs provoquant des lésions parfois graves que l’on observe encore de nos jours, mais de façon exceptionnelle. Un terme générique de pharmacopsychose a été proposé. Nous retiendrons la notion de « bad trip » qui est plus large. Il s’agit d’une expérience psychique pénible voire traumatique qui peut se manifester sous différentes formes : attaque de panique, bouffée délirante, crise hallucinatoire, etc. Les cas de psychose chronique constituée secondaire sont peu fréquents. Par contre l’assimilation de cette expérience extrême peut être déterminante pour des personnes jeunes en cours d’élaboration de leur identité. Tout bad trip doit donc être systématiquement recherché et être pris en charge de façon adaptée, le plus précocement possible. 2- Les complications somatiques Ce sont : des altérations de l’état général : perte d’appétit, amaigrissement, baisse de la libido (en cas d’intoxications chroniques). des troubles cardio-vasculaires (palpitations, tachycardie, infarctus…) pouvant provoquer des détresses aiguës ( intoxications par cocaïne ou amphétamines). des troubles neurologiques (trismus, acouphènes, crises d’épilepsie, etc.). Les polyconsommations et la déshydratation sont des facteurs de risque. Les usages précoces doivent être une préoccupation prioritaire en matière de prévention des risques. Les problèmes aigus (psychiques ou somatiques) motivent souvent les premiers contacts avec les services de soins. Les complications sont principalement psycho-pathologiques (dépression, syndromes dysphoniques, états anxieux, bouffées délirantes…). Elles restent trop longtemps masquées et d’accès aux soins tardifs. Les accidents de type bad trip constituent des traumatismes psychiques très fréquents dans le parcours des usagers qui nécessitent une connaissance des circonstances de leur déclenchement et de leurs modalités cliniques afin que des conseils de prévention et des prises en charge adaptées soient proposés sur tout le territoire français. La prise de conscience de l’addiction vient souvent après. Les problèmes de dépendance ne sont pas assimilables (en fréquence et en modalités) à ceux rencontrés avec les opiacés, mais ils existent néanmoins. La désocialisation, au sens large, doit s'intégrer dans la notion de risque, et donc s’inscrire dans les objectifs de prévention et de soin. III - PRÉVENTION, ACCÈS AUX SOINS ET PRISE EN CHARGE A - Repérage et évaluation de l’usage Le problème posé par ces substances est principalement l’usage nocif. Le diagnostic d’usage nocif repose sur l’apparition des dommages liés à la consommation et doit ouvrir à la possibilité d’une aide adaptée. Pour évaluer ce risque, il convient de tenir compte : - des modalités de consommation, - de l’existence de facteurs de risque individuels et sociaux. Un grand nombre de facteurs concourent au passage de l’usage simple à l’usage nocif. Schématiquement, 5 indicateurs couvrent des critères tenant à l’individu, au contexte d’utilisation et au comportement de consommation : la précocité de l’usage, les comportements d’excès, les cumuls de consommations, le terrain psychologique de vulnérabilité et la marginalisation concomitante à la répétition des consommations. L’objectif des interventions précoces est de sensibiliser l’usager, de l’informer sur les risques en fonction de son propre mode de consommation, lui fournir des outils et des opportunités afin de modifier son comportement de consommation. Le message à faire passer aux usagers est assez simple : « le mieux pour vous est de ne pas consommer ces produits, mais si vous êtes amenés à le faire, des précautions sont indispensables pour ne pas risquer de porter atteinte gravement à votre santé ». Le premier niveau d’intervention est celui de l’information, le second niveau celui du conseil, l’objectif commun de ces interventions précoces étant de délivrer des connaissances claires, pratiques et crédibles. C’est aussi d’instiller du doute et des interrogations parmi les usagers qui, souvent influencés par leurs pairs et les médias, sont bardés de certitudes et se suffisent d’informations souvent partielles et parfois fausses. B – Aide, soins et prise en charge 1- Les actions en vue de modifier les comportements de consommation Les principes de ces actions sont en partie les mêmes que ceux des interventions précoces : - aide à l’auto-évaluation de sa consommation personnelle, - aide à la perception des risques encourus et des dommages déjà advenus, - aide à la motivation au changement. Les stratégies de motivation consistent à développer les motivations du patient au changement. Elles s’appuient en général sur les entretiens de motivation (tels qu’ils ont été décrits par Miller), permettant au sujet d’intégrer que les dommages sont liés à la consommation de substances, que le changement est de sa responsabilité, qu’on peut lui proposer un choix de stratégies thérapeutiques diversifiées auxquelles il puisse adhérer. 2- Les actions en vue de réduire les problèmes médico-psychosociaux préexistants Plus les altérations médicales, psychologiques, psychiatriques ou sociales sont importantes, plus une action spécifique sur chacun de ces aspects est indispensable, et moins une action isolée sur les comportements de consommation a de chance d’être efficace. Les situations de souffrance psychologique et les difficultés sociales sont des facteurs d’emballement des consommations et d’échec des tentatives d’arrêt. L’action sur l’environnement familial et relationnel, amical et social est également capitale. Ces actions n’ont de spécifique en matière de psychostimulants et drogues de synthèse que leur adaptation aux populations concernées et au contexte qui peut leur être propre. - - - - 3- Les actions visant les complications Prévenir les différents risques connus : la conduite automobile, la transmission de virus par le mode de consommation (voie intra-veineuse ou per-nasale), et toutes les situations favorisant la survenue de dommages physiques, psychiques ou sociaux. Soigner les complications, spécifiques ou non, comme la dépendance ou les troubles psychopathologiques induits par l’usage des substances. Pour effectuer cette prise en charge, il s’agit de mettre en place des stratégies d’aide individuelles dont la première condition de possibilité est l’établissement d’une alliance thérapeutique entre soignant et soigné. Les problèmes de dépendance sont essentiellement d’ordre psychologique et social. La place et les modalités du sevrage sont distincts et ne nécessitent pas les mêmes dispositifs. La prise en charge et les soins des épisodes psychiatriques (psychose aiguë ou dépression) nécessitent souvent l’association d’un traitement adapté en fonction du tableau clinique (antidépresseur, anxiolytique, antipsychotique) et d’un suivi psychothérapique voire institutionnel, si possible en milieu spécialisé (CSST) ou hospitalier préparé à l’accueil de ce type de patients. Les stratégies d’aide et de prise en charge des usagers de psychostimulants et de drogues de synthèse ne sont que l’adaptation aux populations, aux contextes et aux complications spécifiques, des stratégies de prévention et de soins valides pour les usages problématiques de toutes les substances psychoactives. Les adaptations concernent les traitements médicaux et psychiatriques, et surtout les modalités d’accueil et de suivi. L’alliance thérapeutique est, pour soigner ces usagers, tout aussi indispensable que pour toute conduite addictive. OPIACES Rédaction : L. Karila, M. Reynaud I - DIFFÉRENTS - PRODUITS PSYCHOACTIFS Héroïne Sulfate de Morphine (Skenan®, Moscontin®) ; Temgesic® Substitution : Méthadone®, Subutex® Médicaments antitussifs : contenant de la codéine ou de la codéthyline Les effets de l’héroïne sont similaires aux effets de la morphine, la différence étant au niveau de la durée d’action et de l’intensité de l’effet. Les différentes voies d’administration sont : intraveineuse, per os ou « sniffée ». II – DÉPENDANCE 1. Physiopathologie La dépendance se manifeste par un comportement compulsif de recherche de drogue, afin d’obtenir les effets attendus. La notion de plaisir qui accompagne la prise de la drogue est prise en compte dans les sevrages des toxicomanes aux opiacés. Le phénomène de dépendance est lié à la notion de plaisir et d’autosatisfaction. La première consommation du produit active le système de récompense et entraîne une sensation de satisfaction et de plaisir. Le circuit d’auto motivation est ainsi déclenché et s’auto entretient. 2. Syndrome de sevrage 12 heures après la dernière prise de produit par voie intraveineuse ou inhalée : bâillements, larmoiement, rhinorrhées, mydriase, sueurs, angoisse A J1 : majoration des signes et apparition de contractions musculaires, irritabilité, insomnie, anorexie, nausées, myalgies, crampes abdominales, frissons A J3 : symptômes somatiques (diarrhées, vomissements, déshydratation, tachycardie, hypertension artérielle, angoisse majeure) A J8 : régression de la symptomatologie avec possible persistance d’une anxiété avec insomnie et asthénie III - DOMMAGES 1. - LIÉS AUX OPIACÉS Somatiques Infections (HIV, hépatites B, C, abcès, lymphangite…) Crises convulsives Hypertension artérielle Endocardite, pneumopathies abcédées Troubles gynéco-obstétricaux (aménorrhée, RCIU, MFIU….) Overdose Bradypnée voire apnée Dépression respiratoire Oedème pulmonaire Hypotension artérielle Bradycardie Myosis Somnolence Coma - Traitement symptomatique de la dépression respiratoire et de l'hypotension : mesures de réanimation En cas de risque vital, administration par voie IV ou IM d'antagonistes aux opiacés type naloxone 2. Psychiatriques - Les patients dépendants aux opiacés présentent - un risque de troubles affectifs 5 fois supérieur aux autres patients - un risque pour les troubles anxieux 3 fois supérieur - un risque de trouble de la personnalité 20 fois supérieur - un risque pour une addiction à l'alcool 13 fois supérieur. - Les troubles de la personnalité : - Antisociale - Borderline - Narcissique - Les troubles de l'humeur pharmacodépendance. - Les troubles anxieux : les phobies précédent, accompagnent ou suivent distinguer ce qui relève de l'anxiété symptomatologie résiduelle du sevrage, - Les états psychotiques et la schizophrénie : Il est nécessaire de préciser si les symptômes psychotiques précèdent, compliquent ou accompagnent la toxicomanie. sont les plus fréquemment associés à la sociales ou les troubles paniques qui le sevrage. Il faut apprendre à bien au sens clinique et ce qui relève de la qu'elle soit physique ou psychique. Les opiacés peuvent, dans certains cas, réduire l'intensité des symptômes, améliorer les affects dépressifs et aider à contrôler des hallucinations ou des symptômes délirants. 3. Sociales - Précarité - Chômage - Délinquance : prostitution, vols, agressions et autres actes médico-légaux IV - - - PRINCIPES THÉRAPEUTIQUES Prise en charge pluridisciplinaire Evaluation psychopathologique et somatique Evaluation de la dépendance Evaluation sociale : poursuite(s) judiciaire(s) en rapport ou non avec le produit, antérieures à la consommation, travail d’intérêt général déjà effectué, entourage familial, enfants à charge, couverture sociale, emploi, formation professionnelle Evaluation et modalités pratiques du sevrage : Sevrage ambulatoire : contrat de soins avec pharmacien, médecin traitant et médecin spécialiste, le plus souvent en CSST (centre de soins spécialisés pour toxicomanes), consultations rapprochées, remise directe des médicaments en quantité limitée, tests urinaires toutes les semaines Sevrage hospitalier si échec en ambulatoire, risque de passage à l’acte, isolement social, décompensation psychiatrique, complication somatique Traitement médicamenteux Réduction des symptômes somatiques du syndrome de sevrage - Antalgiques (paracétamol, aspirine) - Spasmolytique : Spasfon® 6/j - Antinauséeux, antidiarrhéique (Motilium®, Primpéran®) - Sédatifs (neuroleptiques ou anxiolytiques type Rivotril® ou hydroxyzine, Atarax®) Traitement substitutif - Méthadone® - Subutex® Psychothérapie de soutien, familiale, cognitive et comportementale Suivi somatique et psychosocial MODALITES DE PRESCRIPTION DE LA METHADONE Voie per os, réservée aux adultes et adolescents volontaires Les patients doivent accepter les modalités de la prise en charge : venir régulièrement au centre de traitement, se soumettre à des analyses urinaires périodiques de contrôle Mise en place du traitement : 20 à 30 mg selon le niveau de dépendance. Doit être administré au moins 10 heures après la dernière prise d'opiacés. Adaptation posologique : posologie augmentée progressivement jusqu'à 40 à 60 mg en 1 à 2 semaines en fonction de la réponse clinique pour prévenir les signes de sevrage ou un possible surdosage Dose d'entretien : elle est obtenue par augmentation de 10 mg par semaine et se situe habituellement entre 60 et 100 mg par jour. Des doses supérieures peuvent être nécessaires. Les modifications de posologies sont alors déterminées après réévaluation clinique et des prises en charge associées. Le traitement est administré en une prise unique quotidienne Condition d'arrêt du traitement : l'arrêt du traitement doit se faire par diminution progressive de la posologie par palier, au moins hebdomadaire, de 5 à 10 mg. Pendant cette période de diminution progressive des doses, il est nécessaire d'être vigilant à toute reprise de l'intoxication qui nécessiterait un retour à la posologie antérieure. MODALITES DE PRESCRIPTION DU SUBUTEX Voie sublinguale, réservée aux adultes et adolescents volontaires Mise en place du traitement : la dose initiale est de 0.8 à 2 mg par jour en une prise. Chez les toxicomanes aux opiacés non sevrés : lors de l'induction du traitement, la prise de buprénorphine doit intervenir au moins quatre heures après la dernière prise de stupéfiant ou lors de l'apparition de premiers signes de manque. Chez les patients sous méthadone : réduire au préalable la dose de méthadone à un maximum de 30 mg par jour (un syndrome de sevrage précipité par la buprénorphine peut survenir). Adaptation posologique jusqu'à une dose d'entretien : la posologie efficace est habituellement de 8 mg mais elle peut aller jusqu’à un maximum de 16 mg par jour en une prise. Les modifications de posologies sont ensuite déterminées après réévaluation de l'état clinique et des mesures d'accompagnement associées. Une délivrance quotidienne de la buprénorphine est recommandée, notamment pendant la période d'induction du traitement. Des quantités de produit pour plusieurs jours de traitement pourront être remises aux patients après stabilisation de leur état. Il est recommandé, cependant, de limiter la délivrance du produit à 7 jours au maximum. Réduction des doses et arrêt de traitement : après une période de stabilisation jugée satisfaisante, le médecin pourra proposer aux patients de réduire progressivement leur dose de buprénorphine, jusqu'à un arrêt total du traitement de substitution dans les cas favorables. La mise à disposition des comprimés sublinguaux dosés respectivement à 0.4 mg, 2 mg et 8 mg permet une réduction progressive de la posologie. Durant la période d'arrêt du traitement, une attention particulière sera portée aux risques de rechute. CANNABIS Rédaction : L. Karila, M. Reynaud La majorité des botanistes considère qu’il n’existe qu’une espèce de cannabis appelée cannabis sativa, décrite en 1753 par Von Linné (1707-1778), montrant de nombreuses variantes chimiques et géographiques. Mieux connue sous l’appellation « chanvre », elle est originaire des contreforts de l’Himalaya et s’est répandue au gré des mouvements des peuples, d’où sa diffusion vers le continent Indien puis vers l’Extrême Orient, le Moyen Orient et l’Europe. Ses dénominations diffèrent selon le lieu de production et le mode de préparation (herbe, bangh, haschisch, huile). Elle est à ce jour chez les 12-25 ans la substance illicite la plus consommée. Les effets psychopharmacologiques du produit sont essentiellement dus au 9-tétrahydrocannabinol (9-THC). Les données de la littérature scientifique soulignent les conséquences somatiques, psychiatriques, les effets cognitifs et comportementaux liés à son usage répété. I - EPIDÉMIOLOGIE 1. Adolescence L’expérimentation du cannabis est devenue un comportement majoritaire chez les jeunes arrivant à l’âge adulte avec une augmentation très nette dès l’âge de 15 ans. En 1999, 60 % des garçons et 43 % des filles déclarent avoir déjà expérimenté le cannabis alors qu’en 1993, les chiffres étaient respectivement de 34 % et 17 %. Le cannabis peut être expérimenté avant ou en même temps que d’autres substances mais apparaît très rarement isolé du tabac et de l’alcool. Les profils d’usage dépendent de l’âge et du sexe, notamment en ce qui concerne l’usage répété (plus de 10 consommations déclarées au cours de l’année). Enfin, à 19 ans, 50 % des garçons consommateurs ont une majorité d’amis fumant du cannabis. 2. Adulte Parmi les 18-34 ans, 40,5 % des sujets ont déjà expérimenté le cannabis avec une majorité d’hommes. La proportion d’expérimentateurs décroît avec l’âge et a tendance à concerner 3,3 % des sujets âgés de 55 à 75 ans. L’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanie, dans ses analyses, souligne un « effet génération » pour expliquer cette constatation. L’usage répété de cannabis représente 1,6 % des adultes de plus de 26 ans et est surtout fréquent chez les célibataires de sexe masculin. II – DÉPENDANCE Différentes études épidémiologiques ont mis en évidence des prévalences de dépendance au cannabis d’environ 5 % en population générale et de 10 % parmi la population consommatrice de la substance, en particulier chez les 15-24 ans. Parmi les critères diagnostiques de dépendance à une substance psychoactive, figure la notion de syndrome de sevrage. La littérature internationale rapporte l’existence d’une tolérance et d’un syndrome de sevrage au cannabis. Sa prévalence serait de 5 % avec des valeurs de 7.7 % chez l’homme et de 4.8 % chez la femme. Ce syndrome peut apparaître 10 heures après la dernière consommation et il y aurait un pic à la 48ème heure. MANIFESTATIONS CLINIQUES DU SYNDROME DE SEVRAGE AU CANNABIS Agitation Anxiété Insomnie Dysphorie Irritabilité, Anorexie Tremblements des extrémités distales des membres supérieurs Augmentation des réflexes Modification de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle Sueurs Diarrhée Anomalies électroencéphalographiques mineures possibles L’ensemble de ces symptômes s’amenderait en 3 semaines. Sur le plan physiopathologique, la durée persistante de ce syndrome pourrait être en partie expliquée par la persistance dans l’organisme du 9-THC, jusqu’à 3 semaines suivant la dernière prise, liée à sa cinétique d’élimination et à son relargage tissulaire. Une revue de la littérature faite par Smith en 2000 mettait en avant les difficultés méthodologiques concernant les études sur le syndrome de sevrage cannabique et la nécessité de travaux de recherche pour en affiner le diagnostic chez le consommateur de cannabis. III - EFFETS COGNITIFS 1- Usage aigu de cannabis Lors de la consommation de fortes doses de 9-THC (supérieures à 200 µg/kg), l’ivresse cannabique associe un sentiment de bien être, une excitation, une dissociation idéique, des erreurs d’appréciation temporo-spatiale, des perceptions sensorielles accrues et des expériences hallucinatoires riches. Les performances cognitives et comportementales sont altérées environ 15 minutes après inhalation chez des sujets naïfs et plus tardivement chez les usagers réguliers (variations interindividuelles cependant). L’ensemble des capacités cognitives semble modifié et touche les capacités mnésiques, l’apprentissage de séries de mots, les performances arithmétiques simples et les tâches de rappel. Les effets induits par la consommation de cannabis sont significatifs et dose dépendants. Il existe des variations et des différences observées chez les usagers selon la manière de fumer (durée, volume, nombre de bouffées). L’altération de l’ensemble des performances peut persister jusqu’à 24 heures après l’usage de cannabis. 2- Usage chronique de cannabis Chez les usagers chroniques, le cannabis a un impact sur la mémoire à court terme, de travail, les capacités attentionnelles et serait associé à des effets neuropsychologiques résiduels (persévérations, trouble de l’apprentissage des mots). Les performances comportementales dans les activités sociales, scolaires et récréatives sont altérées par l’usage régulier et prolongé de cannabis. Cependant, certaines études montrent que les élèves usagers intensifs de cannabis sont souvent en situation d’échec avant même que l’initiation de la consommation ait eu lieu et ont des troubles divers touchant la sphère psychique et/ou comportementale. Le retentissement de l’usage autant aigu que chronique de cannabis sur les performances psychomotrices doit être particulièrement pris en compte dans certaines professions et d’une manière générale pour la conduite automobile. Le syndrome amotivationnel pourrait être la traduction de l’ensemble de ces altérations cognitives. Il associe un déficit de l’activité professionnelle ou scolaire favorisant ou amplifiant la désinsertion, la marginalisation de l’usager pouvant conduire à un état de dénutrition et/ou d’incurie, des troubles du fonctionnement intellectuel, une indifférence affective avec rétrécissement de la vie relationnelle. La consommation répétée permet à l’usager de supporter sans trop de souffrance psychique les symptômes qu’elle aura contribué à créer. Enfin, la question de la persistance des altérations cognitives à l’arrêt de la consommation est actuellement un sujet à controverse dans la littérature. IV - DOMMAGES PSYCHIATRIQUES LIÉS À L’USAGE DE CANNABIS 1- Psychose aiguë cannabique. Son apparition est en général concomitante de l’intoxication mais elle peut apparaître dans le mois qui suit l’arrêt de l’intoxication. Il s’agit d’un trouble d’évolution brève, durant 8 jours à 3 mois dont le début est brutal. Il ne semble pas lié à des éléments de personnalité prémorbide schizoïde ou schizotypique. La symptomatologie clinique est proche de celle des bouffées délirantes aiguës, avec une hétéroagressivité plus importante liée à la désinhibition psychomotrice, avec une plus grande fréquence d’hallucinations non acoustico-verbales, avec une impression de déjà-vu ou de dépersonnalisation. L’épisode délirant est résolutif à l’arrêt de l’intoxication et sous chimiothérapie neuroleptique adaptée (antipsychotique atypique +++ type Olanzapine, Risperidone, Amisulpride). Les rechutes seraient plus fréquentes lors de nouvelles consommations. 2. Schizophrénie Les différentes études cliniques réalisées chez les patients schizophrènes ont montré qu’ils rapportaient un usage régulier de cannabis et remplissaient les critères diagnostiques DSM-IV d’un trouble lié à l’usage de cannabis. Les études épidémiologiques ont également montré une association entre l’usage de cannabis et les troubles psychotiques en population générale. De nombreux débats concernant le cannabis comme facteur causal de schizophrénie ont agité la scène scientifique internationale. Le cannabis pourrait, d’une part, précipiter l’entrée dans la maladie chez les sujets vulnérables et d’autre part altérer l’évolution de la pathologie parmi ceux qui l’ont déjà développéE. 3. Troubles de l’humeur La prévalence des épisodes dépressifs majeurs chez les abuseurs de cannabis varie de 3 à 20 %, selon les études. La majorité des études confirme le fait que la symptomatologie dépressive serait un facteur de risque de début d’usage de substances psychoactives. Que l’épisode dépressif soit primaire ou secondaire, il peut donc aggraver ou entretenir l’abus de cannabis et faciliter le passage à l’acte suicidaire. La prévalence de l’abus de cannabis chez les patients présentant un trouble bipolaire varie de 13,4 % à 64 %. Cette catégorie de patients justifie sa consommation par le fait qu’elle diminuerait les symptômes maniaques ou dépressifs. 4. Troubles anxieux La prévalence des troubles anxieux chez les usagers de cannabis varie de 18 à 22 %. En ce qui concerne les populations de patients présentant un trouble anxieux généralisé ou un trouble panique avec ou sans agoraphobie, l’usage de cannabis serait à visée anxiolytique. La survenue d’une attaque de panique lors d’un premier usage favoriserait les récidives d’attaques de panique dans cette population. Les attaques de panique chez une population souffrant de troubles anxieux favoriseraient l’arrêt spontané de la prise de cannabis. 5. Syndrome de dépersonnalisation Ce syndrome évoque les attaques de panique actuelles avec sensations de dépersonnalisation ou déréalisation secondaire aux prises isolées de cannabis. Il semble corrélé au niveau de l’intoxication et l’intensité maximale du trouble apparaît dans les 30 minutes suivant la prise puis régresse en 2 heures environ. Le syndrome de dépersonnalisation pourrait durer de plusieurs mois à 1 an. A cette angoisse chronique de dépersonnalisation, s’associeNT une absence d’énergie, une insomnie, des sentiments d’étrangeté, de déjà vu, une asthénie, une humeur dépressive, des perturbations cognitives pouvant faire évoquer une dépression atypique et un mode d’entrée dans la schizophrénie. V - DOMMAGES SOMATIQUES LIÉS À L’USAGE DE CANNABIS PULMONAIRES Effets liés aux différents composés de la fumée du cannabis Activité bronchodilatatrice immédiate et transitoire Bronchite chronique Cancer CARDIOVASCULAIRES VISUEL Augmentation de la photosensibilité Hyperhémie conjonctivale Mydriase inconstante Augmentation du débit cardiaque et cérébral (10 minutes après consommation) Hypotension artérielle Vasodilatation périphérique Bradycardie Cas d’artériopathie type maladie de Buerger CANCERS ENDOCRINIENS Diminution de la libération de prolactine, de LH et de la testostérone Peu de données chez l’homme Cancers des voies aérodigestives supérieures (langue, larynx, amygdale..) chez les fumeurs de cannabis - tabac et chez les fumeurs exclusifs de cannabis Cancers broncho pulmonaires AUTRES Pas d’altérations du système immunitaire Sécheresse buccale Réduction de la motricité intestinale. Augmentation de l’appétit VI - PRINCIPES THÉRAPEUTIQUES Les protocoles de soins dépendent des souhaits du patient adolescent ou adulte et de la sévérité des problèmes liés au cannabis. Le protocole sera donc individualisé, allant de simples conseils à des interventions thérapeutiques brèves faisant appel à une approche cognitive et comportementale. Un soutien familial associé à une thérapie familiale peut être utile chez l’adolescent. Un accompagnement médicamenteux est possible en présence de signes de sevrage ou en cas de comorbidités psychiatriques. PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 – Maturation et vulnérabilité Question 46 Sujets en situation de précarité facteurs de risque et évaluation. Mesures de protection sociale. Morbidité et comorbidité : diagnostic, complications et traitements. Redaction : C. MASSOURBRE, V. KOVESS-MASFETY, A.S. GRANAT Objectif pédagogique général Reconnaître les problèmes de santé mentale chez les sujets en situation de précarité. Objectifs pédagogiques spécifiques Savoir reconnaître et dépister la souffrance psychologique chez les sujets en situation de précarité Connaître les données épidémiologiques dans le domaine 1. LA PRECARITE : définitions La précarité est un état de fragilité et d'instabilité sociale dont l'avenir et la durée ne sont pas assurés et qui risque, s'il se prolonge, de faire glisser ceux qu’il affecte vers l'exclusion. Elle peut se définir aussi comme "l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de ré-assumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un avenir prévisible". Chacune des insécurités qui peut affecter les individus correspond à différents processus de fragilisation, de précarisation (précarisation de l'emploi et du travail, érosion des solidarités familiales, conséquences des carences de qualifications et de formations initiales, fragilisations dues à la maladie). 1 Les sujets touchés de manière objective par la précarité ou qui l'ont été récemment représentent probablement 12 à 15 millions de personnes, soit 20 à 25% de l'ensemble de la population. La précarité regroupe donc les personnes sans abri, les RMIstes, les immigrants non réguliers, les personnes à revenus très bas, c'est-à-dire toutes les personnes qui manquent d'une ou plusieurs sécurités (emploi, logement, famille) et toutes les personnes qui risquent de rentrer dans ces catégories, les ménages menacés d'expulsion, les chômeurs en fin de droits, les personnes qui ont un emploi précaire. L'exclusion est une réalité dynamique caractérisée par l'absence pendant une période plus ou moins longue de la possibilité de bénéficier des droits attachés à la situation sociale et à l'histoire de l'individu concerné. Au sens strictement légal du terme, seuls les "sans-papiers" seraient de véritables "exclus". Cependant, plusieurs centaines de milliers de personnes restent aujourd'hui "exclus" et ne bénéficient pas de la solidarité nationale. L'exclusion peut être économique (chômage de très longue durée), sociale (mère célibataire sans soutien familial ni social, personnes âgées isolées, jeunes déscolarisés, etc...) ou même indirecte (immigrés ou handicapés qui ne peuvent profiter des mêmes droits, participer aux mêmes activités que les autres). A l’extrême la population sans abri anciennement appelée sans domicile fixe, est composée des sujets qui dorment dehors dans une sorte de continuum avec ceux qui vivent dans n'importe quel lieu précaire (centre d'hébergement, endroit inadapté pour dormir ou chez des proches ou des amis de manière non permanente). On doit aussi signaler les personnes à risque, notamment les ménages menacés d'expulsion de leur logement ou les personnes qui logent dans les logements accessibles aux bas revenus et qui risquent de basculer dans la catégorie des sans abri. Le nombre d'exclus avancé est de 0,4 - 0,5% de la population française soit au maximum 300 000 personnes résidant sur le territoire français. Parce qu'il n'existe pas de dispositif de type RMI avant 25 ans, les jeunes représentent une part importante de la population des exclus. La grande pauvreté est définie par l'INSEE comme l'état d'un foyer dont le revenu est inférieur ou égal à un tiers du revenu médian (en 1993, 325 Euros pour une personne seule et 585 Euros pour un couple avec enfant). Les effets de la pauvreté ne dépendent pas uniquement du revenu mais intègrent d'autres réalités (solidarité familiale, ressources et traditions culturelles, etc...). En France, 11% des ménages ont un niveau de vie inférieur à la demi-médiane des revenus de l'ensemble de la population. 16,3% des enfants de moins de 16 ans vivent dans un ménage pauvre. Depuis 10 ans, la pauvreté relative a diminué bien qu'elle touche encore 2,2 millions de ménages. Dans cette population, de nombreux facteurs de risque pour l'état de santé sont mis en évidence (alimentation, comportements à risque, consommation accrue d'alcool et de tabac, insalubrité du logement, difficultés d'accès aux soins, difficultés d'accès au travail, traumatismes). 2 2. LES FACTEURS de risque Les personnes issues de milieux défavorisés cumulent tous les facteurs de risque. Elles ont vécu plus d'évènements fragilisants dans leur enfance (placement en institution, divorce des parents, problèmes psychiatriques sévères dans la famille proche). Elles vivent plus d'éléments négatifs et de difficultés persistantes que les autres et ces évènements ont des impacts plus négatifs. L'absence de travail et le chômage entraînent par eux-mêmes l'exposition à de nombreux facteurs de stress dont la précarité matérielle et la baisse de l'estime de soi, ils ont été mis en relation avec la survenue de problèmes de santé mentale. Les mécanismes permettant d'atténuer les effets de ces stress sont moins présents : le soutien social et le nombre de relations intimes positives seraient moins nombreux, tandis que les mécanismes de défense utilisés seraient moins efficaces car fondés sur la résignation et le déni plus que sur la maîtrise de la situation. Enfin, l'accès aux soins est moins bon et l'absence d'un traitement adéquat augmente la chronicité des problèmes et en conséquence la prévalence. Les niveaux de détresse psychologique sont les plus élevés dans les classes sociales les plus basses, mais les relations entre santé mentale et classe sociale ne sont pas univoques pour tous les types de troubles . Les risques relatifs significatifs entre pauvres et non-pauvres sont présents au maximum pour la schizophrénie (risque multiplié par 80) et la dépression majeure (risque multiplié par 2). Les personnes des classes les moins favorisées ont tendance à ne pas rapporter les troubles psychiques mineurs (troubles anxio-dépressifs et symptômes de détresse psychique). Une prévalence de la dépression est plus élevée chez les personnes dont le niveau d'instruction est moins élevé, l'effet du revenu aussi est très important : les plus bas revenus ayant un risque deux fois plus élevé pour ce trouble. 3 - INFLUENCE DE LA PRECARITE SUR LES DETERMINANTS DE LA SANTE o Les conditions de stress Les personnes vivant dans un contexte économique difficile vivent davantage d’évènements traumatisants, surtout ceux qui échappent à leur contrôle. Mais ce n’est pas tant la différence dans le nombre d’évènements que le plus grand impact produit qui semble être la source de différences dans les taux de santé mentale entre les classes sociales. Les individus à bas revenus décrivent des conditions chroniques de stress plus fréquentes qui sont la tension conjugale, les soucis financiers, la maladie chronique et les tensions subies au travail. Ce sont ces conditions beaucoup plus que les évènements dramatiques inéluctables telles la mort ou les accidents qui semblent faire la différence entre les classes sociales. 3 o Le soutien social Il est difficile de savoir si le soutien social protège les gens exposés à des risques ou si les gens vulnérables n’ont pas les ressources nécessaires pour mobiliser le soutien social autour d’eux. Les contacts entre amis sont moins fréquents dans les milieux défavorisés, l’absence relative du soutien des maris chez les femmes dans les milieux défavorisés pourrait expliquer le taux plus élevé de dépression chez ces femmes ; l’instabilité conjugale touche davantage les classes défavorisées. La violence conjugale ne semble pas être le fait d’une classe sociale ou d’une autre. La pauvreté ne conduit pas à la détérioration de la santé mentale si le tissu social demeure relativement intact et si une solidarité peut se maintenir à l’intérieur des réseaux. o La vulnérabilité psychologique Il semble que l’estime de soi ou les ressources personnelles sont plus faibles en milieu défavorisé, les sujets se sentiraient plus dépourvus en présence d’évènements pénibles. La résignation et le déni sont souvent utilisés par les gens pauvres et peuvent constituer un comportement adéquat quand l’individu n’a pas de prise sur son environnement mais risque d’instaurer un cercle vicieux et laisser les évènements prendre le dessus quand ils seraient en mesure d’être maîtrisés. o Le vécu durant l’enfance et l’adolescence La relation avec les parents durant l’enfance et l’adolescence dans les milieux défavorisés peut expliquer également le plus grand nombre de conflits psychiques dans ce milieu. Les parents des classes pauvres s’occupent beaucoup moins de leurs enfants que ceux des classes moyennes. Les pères hésitent également à se proposer comme modèle d’identification dans les milieux défavorisés et orientent leur comportement en fonction des instances de punition extérieure plutôt qu’en intériorisant les valeurs. Les personnes qui ont vécu dans des conditions difficiles dans leur enfance (instabilité familiale, maternage inadéquat, tant pour les soins physiques que pour les aspects relationnels) ainsi que celles qui vivaient dans des familles dépendantes de l’aide sociale et dans des habitations surpeuplées avaient plus de dépression que les autres une fois parvenues à l’âge adulte. L’effet d’un maternage inadéquat semble plus marqué pour les femmes. Une minorité d’enfants ayant vécu des situations difficiles ont présenté une dépression à l’âge adulte, ceci peut être dû au fait que sur une longue période les conditions de vie peuvent changer mais surtout qu’il existe des facteurs protecteurs comme l’intelligence, la force de caractère, des qualités de sociabilité ou d’autres traits positifs personnels ou familiaux. Les mécanismes d’action sont de toute façon complexes. 4 4 - RÔLE DU CHÔMAGE Les chômeurs présentent une plus mauvaise santé mentale (anxiété, dépression et manque de motivation). Les soucis qui accentuent la baisse de moral sont les problèmes financiers, l’ennui, la baisse de l’estime de soi et la dilution de l’espoir de retrouver du travail. Les principaux effets sont la déstructuration du rythme de la vie quotidienne, des périodes de sommeil plus longues, les contacts plus fréquents et une plus forte probabilité de friction avec un partenaire conjugal et enfin le besoin de se reconstruire une autre image à ses yeux. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les effets négatifs directs liés au chômage : l’insécurité liée à la diminution des revenus, la déstabilisation du rythme de vie et des périodes de sommeil, la disparition d’une série d’activités de tous genres reliées directement à l’emploi, la diminution des décisions à prendre à cause de la baisse des revenus et finalement l’exposition à des activités dégradantes pour l’image de soi comme celle d’avoir à rechercher un emploi. L’effet du chômage serait plus constamment marqué chez les hommes que chez les femmes. C’est à l’âge moyen de la vie que l’effet de la durée du chômage sur la santé mentale se fait le plus sentir. 5 - DESCRIPTION DU VECU DES PERSONNES EN SITUATION DE PRECARITE L’exclusion mais aussi le chômage et la grande précarité sont indissociables d’un sentiment de honte qui pourra être parfois dénié, caché ou transformé en défi. La honte fait le lit d’une souffrance psychique difficile à supporter et impossible à partager avec quiconque dans la crainte de son mépris. Inavouable, cette honte ronge celui qui se trouve projeté aux marges de la société et le confort dans des stratégies d’isolement et de fuite. Cette honte s’accompagne souvent d’un sentiment d’injustice, d’un vécu d’impuissance et de la rage de subir et de l’absence de perspectives de changements qui forment un magma douloureux dans lequel les mouvements de révolte alternent avec les mouvements d’accablement. La honte «blanche» serait la plus pathogène, avec pâleur et absence de mimique expressive et mutisme, pathologie de la disparition, l’exclu étant en fait un disparu de la société. L’absence de demande y est associée. L’exclusion n’est pas une maladie mais une situation pathogène. Les personnes en situation de précarité et qui en souffrent sont désespérées et malheureuses mais ne relèvent pas de la psychiatrie. Celles qui ont des problèmes psychiatriques relèvent bien évidemment de la psychiatrie même s’il n’est pas toujours facile d’adapter des soins à leur situation particulière. Enfin, il y a des personnes qui ont besoin de soins psychologiques même si leurs troubles sont considérés comme liés à leur situation d’exclusion. 5 6 - ETUDES EPIDEMIOLOGIQUES PORTANT SUR LA SANTE MENTALE DES PERSONNES EN SITUATION DE PRECARITE Enquête sur la santé mentale des RMIstes à Paris [31-32]. Les facteurs de risque sont plus fréquents chez les bénéficiaires du RMI que chez les témoins. Ils concernent des difficultés actuelles dans la sphère sociale et affective ainsi que des problèmes psychiatriques dans la famille d’origine : alcool, drogues, personnalité antisociale et maladies mentales sévères et facteurs de risques dans l’enfance, divorce, placement en institution et famille d’accueil. Le pourcentage de personnes souffrant de psychose parmi les RMIstes est pratiquement le même que celui de la population parisienne (de l’ordre de 1%). Les RMIstes ont une prévalence de la dépression sévère très élevée. La dépression est plus chronique parmi les RMIstes, les tentatives de suicide sont aussi plus fréquentes. Il existe aussi une surmorbidité pour les troubles anxieux et les phobies simples. Des troubles à type de somatisation sont beaucoup plus fréquents. On retrouve une probabilité d’abus et de dépendance à l’alcool chez 10,3% des RMIstes (contre 4,8% pour les témoins), une moindre différence existe chez les femmes. o L’utilisation du système de santé A âge équivalent et en moyenne, les allocataires du RMI consultent autant les généralistes que les témoins. Toutefois, les RMIstes sont plus nombreux parmi les consultations fréquentes (6 ou plus dans l’année). Ils fréquentent moins les spécialistes et ne voient que rarement le dentiste ainsi que les membres des autres professions paramédicales. En revanche, ils sont hospitalisés aussi souvent que les autres témoins. Ils déclarent beaucoup plus fréquemment une limitation d’activité, souvent depuis plus d’un an en particulier dans l’inaptitude à travailler (16,2% contre 5,5%). Les troubles mentaux sont nettement plus fréquents parmi les RMIstes en tant que cause d’un handicap. De manière générale, les allocataires du RMI consultent moins pour les troubles dépressifs alors qu’ils souffrent de formes plus sévères. o o Etude sur l’état de santé mentale des personnes sans-abri Les études américaines et australiennes ont mis en évidence l’augmentation du nombre de malades mentaux parmi les personnes sans-abri. On peut estimer une prévalence pour la vie entière entre 28 et 37%, 3,3 à 5% de troubles cognitifs graves, 7 à 13 % de troubles schizophréniques, 8,2 à 17,5% de troubles dépressifs majeurs et 5% de troubles bipolaires (prévalence 4 à 5 fois supérieure à celle de la population générale). Les troubles liés à la consommation de drogues et d’alcool sont fréquents (30 à 50% des personnes interrogées) et souvent associés aux troubles mentaux (75% dans un échantillon représentatif de la population sans-abri de Montréal). 6 Les tentatives de suicide constituent un facteur prédictif important de contact avec le système de santé. La présence concomitante d’une maladie physique augmente le nombre des contacts pour troubles psychiatriques. Les sujets sans-abri souffrant de troubles délirants sont ceux qui sont le plus souvent hospitalisés et qui reçoivent le plus de psychotropes. Ceux qui présentent des troubles liés à l’utilisation de drogues et d’alcool ont très souvent recours au système de santé et sont en contact avec des médecins généralistes ou des psychiatres ou hospitalisés à peu près aussi fréquemment que les sans-abri schizophrènes. En revanche, les sujets souffrant de troubles dépressifs sont ceux qui ont le moins de contacts. Bibliographie o o o o o o HCSP (Haut Comité de la santé publique). La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé. Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 1998; 285 P. Kovess-Masfety V. Précarité et Santé Mentale, Ed. Doin, 2001. Maisondieu J. Exclusion, psychiatrie et fraternité. Information psychiatrique 1998 ; 4 : 333-9. Kovess V, Gysens S, Chanoit PF. Une enquête de santé mentale : l'enquête de santé des Franciliens. Ann Med Psycho (Paris) 1993 : 624-8. Kovess V, Gysens S, Poinsard R, Chanoit PF. La psychiatrie face aux problèmes sociaux : la prise en charge des RMIstes à Paris. Information Psychiatrique 1995 ; 3 : 273-85. Kovess V, Mangin Lazarus C. La santé mentale des sans-abri à Paris : résultats d'une enquête épidémiologique. Rev Fr Psychiatr Psychol Med 1997 ; 9 : 17-24. 7 PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 - Maturation et vulnérabilité Question 47 - BASES PSYCHOPATHOLOGIQUES DE LA PSYCHOLOGIE MÉDICALE Rédaction : M. Escande - Relecture : M. Marie Cardine Objectifs : · Connaître les fondements psychologie médicale psychopathologiques de la I – DÉFINITIONS ET GÉNÉRALITÉS 1. La psychologie Est une science dont le but est de décrire et d’expliquer sur un mode vérifiable les conduites des êtres vivants. Elle vise l’être vivant en tant qu’unité élémentaire, alors que la sociologie a les mêmes buts mais visant les groupes sociaux. Mais comme de nombreuses caractéristiques des individus (conduites, comportements, traits etc.) sont déterminés par les groupes sociaux et culturels, le cloisonnement entre les deux est loin d’être étanche. Certains individualisent même la Psychosociologie. Les conduites, objet d’étude de la Psychologie, sont définies par la combinaison de pensées, émotions et actes et la finalité de leur organisation. Elles concernent en particulier deux domaines : les comportements psychomoteurs et les fonctions psychologiques (perception, apprentissage, mémoire, pensée, langage, motivations, émotions). La description et l’explication scientifiques des conduites s’étayent sur un ensemble de techniques d’étude et de théories. 2. La psychologie pathologique Elle a pour objet l’étude des troubles mentaux, alors que la psychiatrie s’intéresse surtout au sujet malade ou troublé. La psychologie pathologique utilise ses connaissances du sujet normal pour comprendre le fonctionnement du sujet malade. 3. La psychologie médicale Science et pratique, elle a comme objet l’approche des aspects psychologiques personnels et interpersonnels, en relation avec la maladie. Ces aspects psychologiques concernent de nombreux champs de la médecine : . les facteurs de causalité ou de prédisposition de la maladie, en particulier des maladies psychosomatiques 1 (asthme,ulcère etc.), de la pathologie dite « fonctionnelle » (répercussions somatiques d’un dysfonctionnement psychique). . les réactions et l’adaptation du malade à la maladie et aux thérapeutiques (déni, anxiété, dépression etc.), déterminantes pour l’attitude du patient et l’évolution de la maladie. . les demandes d’ordre relationnel et affectif concomitantes des symptômes médicaux, visant le médecin mais aussi l’environnement du patient (famille, milieu professionnel etc.) . les multiples aspects relationnels : la relation médecin-malade, les relations du malade et du médecin avec la famille, du médecin et du malade avec la société (représentations sociales de la santé etc.) . La pratique du médecin, notamment les aspects subjectifs de celle-ci (façons d’examiner, informer, de prescrire, soigner, d’accompagner) ; la personnalité du médecin est un élément central de sa pratique. . une approche médicale globale de l’individu malade intégrant les composantes biologiques, psychologiques, psychosociales et historiques, par opposition à une médecine technique d’un organe. . le pouvoir médical, excessivement sollicité par la société pour résoudre des problèmes sortant de son champ de pratique (ex : enfants surdoués, délinquance etc.) La Psychologie Médicale s’appuie sur différentes méthodes (ex : Psychanalyse, Psychobiologie, Neuro-biologie, Ethologie, Génétique etc.), la ou les méthodes choisies devant être le plus scientifique possible pour l’approche des données psychologiques. II - LE MALADE ET SA MALADIE Les objectifs d’une telle approche sont multiples. Ils sont de comprendre quand, pourquoi et comment une maladie prend sens dans la vie et l’histoire d’un sujet, provoque une rupture ou une discontinuité dans l’existence. Ils sont aussi de comprendre en quoi la maladie altère les idéaux de santé, non pas sociaux et collectifs, mais de l’individu lui-même. Ils sont de plus d’évaluer les effets psychiques de la maladie, les réactions du patient à celle-ci, mais aussi aux attitudes médicales et soignantes, voire aux réactions de l’entourage familial. Enfin, il est très important de saisir et comprendre pourquoi et comment un sujet transforme des phénomènes intrapsychiques. Les enjeux de la Psychologie Médicale sont aussi d’intégrer le mode de pensée psycho-somatique. 1. Les caractéristiques de la maladie 2 La maladie est à l’origine d’une atteinte de l’intégrité du sujet, d’une gêne à l’exercice normal de sa vie. La maladie entraîne une rupture de l’équilibre antérieur, à laquelle le patient doit s’adapter. Cette adaptation mobilise une quantité de l’énergie psychique du patient. Ainsi, la maladie est susceptible de déclencher chez l’individu un certain nombre de réactions, variables selon sa personnalité, sa représentation imaginaire et la représentation collective de la maladie. Les réactions psychologiques à la maladie dépendent de facteurs liés à la maladie elle-même. Les maladies chronique soulèvent des problèmes différents de ceux posés par les maladies aiguës. Les maladies graves mobilisent profondément la psychologie individuelle par une brusque résurgence de l’angoisse de mort. Certaines maladies induisent des handicaps aux conséquences multiples. Enfin, certaines affections entraînent des réactions particulières qui dépendent de la culture : par exemple les représentations culturelles de l’épilepsie. Même si l’expérience de la maladie est avant tout négative et source de souffrance, la maladie peut aussi être source de bénéfices. Les bénéfices primaires jouent un rôle dans le déclenchement de la maladie ou de l’accident, soit comme cause à part entière soit comme facteur déclenchant. Ainsi, la maladie permet d’apporter une solution à une situation de tension interne ou de souffrance narcissique peu supportable : la maladie apaise et soulage. Les bénéfices secondaires résultent des conséquences de la maladie sans intervenir directement dans son apparition, même s’ils peuvent favoriser sa pérennisation. Certains bénéfices sont conscients et connus du malade (arrêt de travail pour une maladie) alors que d’autres sont inconscients : se soustraire à des relations frustrantes, éviter les obligations familiales et sociales, fuir dans l’imaginaire et la pensée magique, être reconnu comme malade par l’entourage, être materné… Lorsque ces différents bénéfices sont plus importants dans l’économie du malade que ceux qu’il trouve dans son fonctionnement de sujet sain, le sujet peut avoir des difficultés à guérir de sa maladie. 2. Le patient Le patient réagit à sa maladie en fonction de ce qu’il est, notamment de son âge, son histoire personnelle et sa personnalité. Différents modèles psychologiques et psychopathologiques peuvent s’appliquer dans ce contexte. . Modèles de « défense du moi » Ils sont issus des théories psychanalytiques. Ce modèle postule que, pour lutter contre tout ce qui peut susciter le développement de l’angoisse, l’individu mobilise des opérations inconscientes qu’on nomme « mécanismes de défense du Moi ». 3 Les mécanismes de défense peuvent être regroupés en 4 domaines : - défenses psychotiques : projection délirante, déni, distorsion - défenses immatures : projection, fantaisie schizoïde, hypocondrie, acting-out défenses névrotiques : refoulement, déplacement, formation réactionnelle, intellectualisation, isolation - défenses matures : altruisme, humour, anticipation, sublimation, comportement passif agressif, suppression et dissociation. Les défenses habituellement considérées comme les plus pathologiques sont les défenses psychotiques et immatures. . Modèles de « coping » Ils sont issus des théories cognitivo-comportementales. Le verbe « to cope » signifie en anglais « faire face ». D’après ces modèles, le stress, que l’on peut définir comme une « réaction adaptative à un stimulus », ne dépendrait pas seulement de l’événement, ni de l’individu, mais d’une transaction entre l’individu et l’environnement. Ainsi, une réponse inadaptée survient lorsqu’une situation (par exemple une maladie) est évaluée comme débordant les ressources et pouvant mettre en danger le bien-être. Cette réponse est le résultat d’un déséquilibre entre les exigences de la situation provocatrice et les ressources de l’individu pour y faire face. Les stratégies d’adaptation au stress peuvent être de différentes natures : résolution du problème, notamment recherche d’information., acceptation de la confrontation, prise de distance ou minimisation des menaces, ré-évaluation positive, auto-accusation, fuite-évitement, recherche d’un soutien social, maîtrise de soi par exemple. Globalement les stratégies actives sont souvent les plus efficaces pour réduire la tension. . La description des personnalités pathologiques a aussi une pertinence dans le domaine de la psychologie médicale. Les personnalités pathologiques induisent de véritables difficultés thérapeutiques pour les médecins mal informés ou peu sensibles à cet aspect de la psychopathologie. 3. Les types de réaction à la maladie Toute maladie plonge le sujet dans une situation nouvelle et déclenche de nombreuses modifications psychologiques. Le médecin doit savoir reconnaître ces modifications comportementales et l’origine de ces processus psychologiques nouveaux : la compréhension de leur sens est en effet souvent indispensable au bon déroulement du traitement proposé. Différents types de réaction peuvent être retrouvés. . Réactions anxieuses Elles sont fréquentes. 4 L’état de maladie représente pour l’individu une menace vitale et une atteinte de l’intégrité du Moi. Elle est liée à la peur de la mort, la souffrance, l’altération des liens affectifs et/ou sociaux. Au cours de certaines maladies, l’angoisse est expliquée par les mécanismes lésionnels et/ou biologiques. L’anxiété associe des manifestations psychiques, somatiques et comportementales. Elles sont décrites dans le chapitre « troubles anxieux et troubles de l’adaptation ». L’anxiété témoigne en général d’un processus normal d’adaptation aux contraintes et aux conséquences de la maladie. Lorsqu’elle est pathologique, l’anxiété nécessite d’être traitée. . Attitudes de régression et de dépendance Il s’agit des réactions les plus banales. La régression psychique est fonction de la gravité de la maladie et de la structure de la personnalité du sujet. Cette régression peut se traduire par une réduction des intérêts, un égocentrisme, une dépendance vis à vis de l’entourage et des soignants, un mode de pensée magique (croyance en la toute puissance du médecin, du médicament). La régression est un processus normal et nécessaire car il permet au patient de s’adapter à la situation nouvelle de maladie. Elle peut aussi être utile au processus thérapeutique (observance du traitement par exemple). Alors que la maladie favorise les processus de régression, la guérison doit s’accompagner d’une reprise d’autonomie. C’est le cas pour nombre de patients. La régression peut être aussi pathologique si elle est trop importante en intensité et en durée et empêche la participation active et énergique du patient au processus thérapeutique. Dans ces circonstances, la tâche du médecin consistera à tenter de limiter les tendances régressives, pour qu’elles ne constituent pas un frein à la guérison. Ces attitudes sont souvent retrouvées chez les personnalités passives-dépendantes et histrioniques. Enfin, la régression et la dépendance peuvent être absentes. Dans ce cas, le médecin doit favoriser l’expression de ces processus pour obtenir de bons résultats thérapeutiques. . Attitudes de minimisation, négation et refus de la maladie Ces réactions sont courantes. Elles peuvent aller jusqu’à des attitudes de négation et de refus de la maladie reposant sur des mécanismes de dénégation ou de déni. Par exemple, tel patient « refuse de s’écouter » et dénie partiellement la réalité en méconnaissant la gravité de son état et en rationalisant sa maladie qui « est due à un surmenage passager ». Ces attitudes peuvent s’accompagner parfois de comportements d’hyperactivité centrée sur la maladie (consultations multiples). . Réactions d’ordre narcissique 5 Le narcissisme définit le caractère de « tout inviolable, impérissable, important, capable et digne d’être aimé » de l’individu (Balint). La maladie menace l’intégrité de l’individu et induit des réactions variables sur son narcissisme. Certains patients se sente avant tout blessés et vivent une expérience de « faille narcissique ». Certains la surmonteront en se repliant sur eux-mêmes et en accentuant leur égocentrisme, alors que d’autres développeront des thèmes dépressifs associés à la crainte de ne plus être dignes d’être aimés. Certains patients au contraire voient leur narcissisme renforcé par l’expérience de la maladie : l’intérêt porté à sa propre personne malade devient la source de nombreuses satisfactions. Certains comportements narcissiques pourront être utiles au médecin, s’ils facilitent la participation du patient à la thérapeutique. Ces réactions narcissiques sont fréquentes chez les sujets dont la dimension de narcissisme est une dimension dominante du fonctionnement psychique. . Réactions dépressives Elles sont fréquentes au cours des maladies chroniques et/ou sévères. En effet, la maladie représente une atteinte de l’image idéale de soi, c’est à dire du narcissisme du sujet. Elle représente aussi une confrontation avec la mort. A ce double titre, elle peut être à l’origine de réactions dépressives, qui sont par ailleurs favorisées par certains facteurs biologiques, lésionnels et thérapeutiques. Les réactions dépressives peuvent être exprimées par le malade (sentiment de dévalorisation, d’incomplétude, de fatalité avec abandon de tout projet et de tout souhait) ou masquées par des plaintes en particulier somatiques. . Attitudes agressives et persécutives L’agressivité n’est pas l’apanage des patients psychiatriques. Elle est souvent le reflet de la perception d’une menace. Elle peut s’exprimer de façons très variées : agressivité passive, agressivité verbale voire agressivité physique. L’agressivité peut aussi témoigner d’un sentiment d’injustice et de persécution. Se considérant comme victimes d’une agression, certains patients pensent plus ou moins consciemment qu’on « on leur veut du mal ». Le mécanisme de défense mis en jeu est un mécanisme projectif. 4. Le caractère pathologique de la réaction Il n’y a pas de stratégie défensive idéale vis à vis de la maladie. Le caractère pathologique de la réaction et la nécessité d’une intervention thérapeutique seront en général les suivants : - la souffrance du patient et son inadaptation à la situation - le caractère inhabituel de la réaction dans son intensité - le caractère inhabituel de la réaction dans sa durée. 6 III – LA RELATION MÉDECIN-MALADE La relation thérapeutique médecin-malade est déterminée par de nombreux facteurs, individuel et socio-culturels. De même que le malade réagit à sa maladie en fonction de sa personnalité propre, le médecin réagit face à son malade par un certain nombre d’attitudes conscientes et inconscientes qui dépendent de sa personnalité et de son histoire, et qui sont susceptibles d’infléchir le cours de la relation thérapeutique. 1. Les particularités psychiques et psychosociales du médecin . Le choix individuel de la profession Il s’explicite par des motivations conscientes sous-tendues par des mobiles plus inconscients. Ainsi les désirs de voir, comprendre, savoir, toucher, pouvoir sont sous tendus par le couple pulsionnel voyeurexhibitionniste plus inconscient. Les désirs conscients de soulager, se rendre utile, réparer, gagner de l’argent sont sous tendus par l’attrait de la réparation des tendances agressives et sadiques. . Les attentes de la société Elles peuvent influer sur le choix de la profession. Elles concernent : le savoir technique, l’altruisme, l’universalité du pouvoir, le désintéressement, la neutralité affective, morale, juridique voire politique et religieuse. Ces attentes réelles ou imaginaires peuvent confronter le médecin à des conflits internes. 2. Les caractéristiques générales de la relation médecinmalade . Les données classiques Avec ses symptômes, un malade demande certainement au médecintechnicien de le guérir de sa maladie, mais il demande aussi d’autres choses. L’Homme malade demande soutien, réassurance, sécurité et affection ; il demande donc à son médecin une véritable relation affective et une disponibilité, compatibles avec l’exigence de neutralité qui incombe au médecin. Le médecin réagit devant son malade non seulement comme un technicien averti des maladies, mais aussi comme personne ayant une histoire propre, plus ou moins sensible à la souffrance de l’autre. Ainsi la relation médecin-patient a les caractéristiques suivantes : - c’est une relation fondamentalement fondée sur l’inégalité et l’asymétrie, puisque la demande du patient le rend passif et dépendant et puisque sa souffrance le mobilise et le diminue. 7 - c’est une relation d’attente et d’espérance mutuelle : le malade attend la guérison ou au moins le soulagement, le soignant la reconnaissance de son pouvoir réparateur - c’est une relation où le lieu d’échange est avant tout le corps mais où la parole a sa place - c’est une relation de confiance non égalitaire, impliquant la distance et l’aseptie. . L’apport du modèle psychanalytique La théorie psychanalytique a défini le concept de transfert. Il s’agit des réactions affectives conscientes et inconscientes qu’éprouve le patient à l’égard de son médecin. En effet, dans le cadre de la relation médecin-malade des désirs inconscients sont actualisés et un certain nombre de désirs insatisfaits du patient vont se projeter sur la personne du médecin en ce qu’il représente – inconsciemment – un autre personnage. Le malade peut ainsi répéter des situations conflictuelles qu’il a vécu dans son passé. La théorie psychanalytique a aussi défini le concept de contre-transfert alors que le malade est sujet au transfert, le contre-transfert se définit comme les réactions affectives conscientes et inconscientes qu’éprouve le médecin vis à vis de son patient. Ce contre-transfert et très directement lié à la personnalité et à l’histoire personnelle du médecin. Le plus souvent, le contre-transfert est positif, permettant une relation médecin-malade de qualité caractérisée par l’empathie du médecin et une action thérapeutique efficace. Une relation médecin-malade de qualité fait référence au fait que le médecin s’identifie au patient et comprend sa situation tout en étant capable de garder une certaine distance vis à vis de lui, distance requise par l’objectivité nécessaire à la prise de décisions thérapeutiques. Un contre-transfert excessivement positif risque de conduire à une identification massive au malade et/ou à une perte d’objectivité dans les soins. Ailleurs, un contre transfert négatif induisant l’agressivité et des frustrations excessives du malade peut être à l’origine d’échecs de la relation thérapeutique. Il en est de même pour une absence de contre-transfert qui peut conduire à une froideur excessive. . L’apport des travaux de M. Balint M. Balint, psychanalyste hongrois, a développé une modalité originale d’approche de la relation médecin-malade. Ces travaux sont issus de quelques constatations : 1. il existe un certain nombre d’insuffisances de la médecine traditionnelle, qui étudie plus les maladies que les malades. 2. Un tiers de l’activité professionnelle d’un médecin généraliste ne relève que d’une action psychothérapeutique et 3. que la relation médecin-malade s’organise entre 2 pôles extrêmes de domination et de soumission auxquels correspondent le pouvoir du médecin et la fragilité du malade. 8 Pour Balint, le médecin est un remède en soi, même si son action est médiatisée par un médicament. Ainsi, une meilleure maîtrise de la relation inter-individuelle doit permettre au médecin d’établir avec son patient un échange affectif qui aura des vertus curatives. C’est l’objectif des « Groupes Balint » consacrés à l’approche en groupe des diverses problématiques relationnelles médecin-malade. . Les données récentes La relation médecin-patient est actuellement en pleine mutation. Mettant en avant les droits de l’individu, notre société souhaite faire évoluer la relation médecin-patient d’un modèle « paternaliste » vers un modèle d’ « autonomie ». Cette évolution se traduit notamment dans les nouvelles obligations liées à l’information et consentement éclairé du patient concernant les soins et à la communication du dossier médical au patient. Ainsi, le médecin risque d’avoir une marge de manœuvre relativement faible entre ses obligations éthiques et déontologiques anciennes d’une part et ces nouvelles modalités de fonctionnement d’autre part. D’une façon un peu schématique, la situation pourrait être ainsi résumée : le médecin devra trouver un juste milieu entre deux pôles extrêmes. Le premier pôle est une relation dite « paternaliste » trop inégalitaire, respectant insuffisamment l’individu, trop peu concerté et informé des traitements. Le second rôle correspond à une relation dite d’ « autonomie ». Dans cette relation, le médecin, désinvestissant son rôle et son statut de médecin, se déresponsabiliserait de toute décision pour le patient : le patient, sensé être capable de prendre les meilleures décisions pour lui-même (dans les domaines aussi difficiles que sa maladie ou sa mort par exemple), serait quant à lui renvoyé à des décisions imprenables, car le mettant dans une position ingérable en termes psychologiques et risquant de conduire au fait qu’il ne bénéficie pas des meilleurs traitements pour lui-même. En pratique, et pour respecter le patient sans se dédouaner de son rôle, le médecin se devra d’expliquer sa maladie au patient en adaptant son langage à celui du patient. La communication du dossier médical devra se faire, autant que possible, dans le respect de ces grands principes. 3. Quelques situations pratiques Quelques exemples particulièrement fréquents sont illustrés dans ce paragraphe . Attitudes face à l’angoisse L’attitude la plus adaptée est le plus souvent une attitude souple d’écoute bienveillante, centrée sur les préoccupations 9 du malade, associée une attitude de ré-assurance et d’explication des symptômes. Certains médecins, au tempérament « actif » et « volontaire » préfèreront des attitudes plus directives, qui entretiennent l’image mythique du « médecin-Sauveur ». Elles sont soustendues par une tentative d’identification directe du malade au médecin : « Soyez fort comme moi ». Ce type d’attitude donne des résultats inconstants, parfois négatifs. . Attitudes face à l’agressivité : Les réactions agressives du médecin face à l’agressivité du patient sont fréquentes car certains médecins tolèrent mal les revendications agressives de leurs patients. Ces réactions agressives sont à éviter car elles entraînent souvent une escalade dans l’agressivité et une rupture de la relation thérapeutique. L’attitude la plus adaptée consiste, dans la mesure du possible à reconnaître et nommer l’émotion du patient, ne pas refuser le principe du dialogue mais sans chercher à discuter rationnellement. . Attitudes face à l’hypochondrie L’hypochondriaque confrontera le médecin à l’impuissance thérapeutique. Si le médecin l’accepte, il évitera toute surenchère de médicalisation qui pérenniserait les troubles voire les aggraverait. . Attitudes face à la séduction histrionique Ces patients, suggestibles, influençables, dépendants se moulent au corps médical avec une plasticité étonnante. Guérir pourrait alors signifier pou eux une rupture de ce lien affectif. Ce phénomène favorise l’engrenage des hospitalisations abusives, de la iatrogénie, des bénéfices secondaires. Le médecin doit avoir pour objectif de prévenir cet engrenage. . Effet non spécifique : effet placebo Le placebo désigne toute substance pharmacologique inerte, susceptible de modifier l’état du malade, soit en l’améliorant (effet placebo-positif), soit en déclenchant des effets indésirables (effet placebo-négatif ou effet nocebo). L’effet placebo dépend de nombreux facteurs : nature des symptômes pour lesquels il est administré, présentation du placebo et modalités de sa prise (nombre et couleur des comprimés), personnalité du sujet, influence du prescripteur. Les sujets placebo-répondeurs sont plutôt les sujets sociables et extravertis, qui ont une « attente » par rapport aux effets du produit. Le prescripteur, influence la réponse au placebo. La relation positive au médecin favorise la réponse au placebo et par extension au traitement actif. . Observance et relation médecin-malade Une réaction médecin-malade de qualité est un facteur qui favorise l’observance du traitement médicamenteux au long cours. 10 Conclusion L’ensemble de ces enjeux, dont la complexité est perceptible justifie pour le moins une formation psychologique du médecin, qui devrait être acceptée et reconnue par tous. Dans une société en pleine mutation pour ce qui est de la relation médecin-patient, cette formation permettra au médecin : . d’éviter l’utilisation inadaptée et parfois pathogène des dimensions psychologiques . de jouer son rôle apaisant et réorganisateur à travers la qualité de la relation établie avec le patient et son entourage. 11 Indications de lectures complémentaires : - PH. JEAMMET et al. " Psychologie médicale ", coll. ABrégés, Masson, Paris, 2° éd. 1996 BALINT M. " Le Médecin, son malade et la maladie " Trad. J.P. VAlabrega,7° éd. Petite coll. PAYOT, PARIS, 1996 GUYOTAT J (éd) et al. Psychothérapies Médicales, collection Médecine et Psychothérapie, Masson, Paris, 1978. 12 PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 - Maturation et vulnérabilité Question 48 - LES GRANDS COURANTS DE LA PENSÉE PSYCHIATRIQUE Rédaction : M. Escande Relecture : J.F. Allilaire, D. Pringuey, L. Schmitt Objectifs : · Connaître les grands courants de la pensée psychiatrique Il est difficile de donner un aperçu des grands courants de la pensée psychiatrique en quelques pages, du fait d’une part des nombreuses approches théoriques du fait psychiatrique, d’autre part des influences socio-culturelles et historiques qui ont pesé sur la conception du trouble mental tout au long des civilisations. Bien souvent, l’approche clinique, théorique et thérapeutique d’un trouble mental vise un ou plusieurs constituants d’un trouble. Il n’existe pas de modèles théoriques synthétiques et holistiques qui rendent compte de toutes les dimensions d’une personne affectée d’un ou a fortiori de plusieurs troubles psychiques. La pratique et de fait la pensée psychiatrique privilégie souvent l’approche d’une des composantes du trouble. En outre il existe souvent un écart plus ou moins étendu entre une pratique et son support explicatif, comme par exemple entre les thérapeutiques biologiques (ex : chimiothérapie neuroleptique) et les données théoriques de leur mécanisme d’action. Schématiquement, l’ensemble des pratiques et théories psychiatriques s’intègrent dans deux grands courants, le courant biologique et le courant psychologique. Mais d’autres mouvements influencent aussi la pensée psychiatrique en particulier la psychosociologie qui vise l’influence des divers courants sociaux (histoire, philosophie, linguistique, religion, etc.) sur le fait mental, tout en soulignant que le trouble psychique a existé de tous les temps. A ces considérations, il faut ajouter les influences d’écoles (ex : les sociétés de Psychanalyse) ou de personnes (ex : Lacan) aux mobiles divers mais déterminants sur les concepts voire les pratiques. I – HISTORIQUE DES COURANTS DE PENSÉE 1. L’antiquité L’approche de la Médecine est indissociable de la magie et de la religion. La maladie est souvent perçue comme un péché, une souillure, une impureté. 1 En Egypte, le papyrus Edwin Smith (1500 avant J.C.) donne une première description des rapports entre le cerveau et le fonctionnement mental. Dans la Grèce antique, les poèmes d’Homère relate la folie comme une offense des Dieux. La pensée médicale naît avec Empédocle en Sicile avec sa théorie des qualités des quatre éléments (terre, eau, air, feu) dans ses rapports avec les quatre humeurs nécessaires au bien être : sang, flegme, bile jaune et bile noire. C’est le début de la théorie des tempéraments d’Hippocrate qui réunit les maladies de l’âme et du corps : toutes les maladies sont physiques. Hippocrate effectue une classification des troubles mentaux comprenant la manie, la mélancolie, la paranoïa ou détérioration, l’épilepsie, en relation avec le tempérament sanguin, colérique, flegmatique ou mélancolique. Pour Pythagore (500 avant J.C.), le cerveau est le siège de l’intelligence et de la folie. Platon (427-347) avant J.C.) décrit une hiérarchisation du psychisme : l’âme supérieure (courage, ambition) localisée dans le cœur, l’âme inférieure nutritive dans le foie. Aristote (384-322 avant J.C.) décrit une âme végétative et une âme intellective humaine dont la volonté vise l’obtention du plaisir et l’élimination de la douleur. 2. L’héritage grec Il est d’abord romain, puis arabe et juif. Arétée de Cappadoce fait des descriptions fines de troubles mentaux, en particulier l’amorce d’une conception unitaire de la mélancolie et la manie. Au 2ème siècle Galien développe la théorie humorale de Hippocrate, les bases de l’affectivité et du comportement apparaissant de nature biochimique. Ainsi l’excès de sang conduit au tempérament sanguin, de bile jaune au tempérament cholérique, de bile noire au tempérament mélancolique etc. Au 6ème siècle, Alexandre de Tralles développe la théorie de Galien et effectue une amorce des théories « localisationnistes » cérébrales. L’héritage hippocratique de la Médecine antique aboutit aux prémices d’une Psychiatrie fondée sur 4 grandes maladies : la frénésie et la léthargie associées à des états toxiinfectieux, la manie et la mélancolie, « folies sans fièvre » L’héritage arabe ne sera transmis qu’au XIème siècle avec sa traduction en latin. 3. Le moyen âge Les malades relèvent de la Médecine ou de la religion. Le trouble mental qui est l’équivalent de la possession démoniaque et du péché conduit souvent à l’Inquisition et au bûcher (milliers de femmes et enfants torturés ou brûlés sur la place publique), avec l’autorisation du pape Innocent VIII et le soutien de l’empereur Maximilien 1er. 2 Simultanément, apparaît le début de l’Assistance aux malades, mais plus sur un mode charitable que médical. Les Frères de la Charité organisent des maisons en Espagne et en France. Les premières institutions pour hospitalisation des fous apparaissent en 1173 à Bagdad, à Montpellier (1178), plus tard à Londres (le Bedlam) au 16ème siècle. Au XVIème siècle Jean de Wier en Belgique défend la thèse médicale des troubles psychiques et éloigne la théorie satanique. 4. Les XVIIème et XVIIIème siècles C’est l’époque du dualisme cartésien qui sépare le corps et l’esprit : (« je pense donc je suis… »). C’est surtout l’époque de la naissance des asiles, de la loi sur les aliénés. En 1656 est fondé l’Hôpital Général de Paris en vue d’enfermer les malades mentaux, insensés, mendiants, prostituées et correctionnaires, par lettre de cachet de l’autorité royale, le plus souvent à la demande des familles. Ainsi on protège la cité des malades, tout en s’occupant de ceux-ci. L’insuffisance des hôpitaux est complétée par les dépôts de mendicité et les maisons de force. Au XVIIIe siècle la vocation charitable des hôpitaux est progressivement remplacée par une fonction de soins. Sous l’impulsion de Necker, la circulaire de 1785 définit les asiles comme lieux de soins. La même année, un médecin écossais, Cullen utilise le terme de névrose et propose une classification des troubles psychiques d’essence neuro-fonctionnelle. En 1800, après avoir enlevé les chaînes aux aliénés à Bicêtre, Pinel écrit le « traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie ». Ce traité diffusé en Europe marque la naissance de la Psychiatrie. 5. Le XIXème siècle : la naissance de la Psychiatrie Elle se développe en Allemagne en opposant les partisans des causes psychiques (Heinroth) et des causes organiques (Griesinger). En France naissent les premières classifications des maladies mentales avec Esquirol (les monomanies) et Chaslin (la folie discordante). Kraepelin en 1883 en Allemagne regroupe l’hébéphrénie (Ecker), la catatonie (Kahlbaum) et le délire paranoïde dans le cadre de la démence précoce, qui deviendra en 1911 les « schizophrénies » de E. Bleuler. Au début du XXème siècle c’est la floride époque descriptive des aliénistes français : délire chronique interprétatif (Serieux et Capgras), bouffée délirante aiguë (Magnan), psychose hallucinatoire chronique (G. Ballet), folie maniacodépressive (J. Baillarger, J.P. Falret). 3 En 1913, la description de la paralysie générale par Bayle (1822), est rattachée à la méningo-encéphalite syphilitique. Elle alimente un fort courant organiciste et localisateur de la Psychiatrie. Entre temps, la loi de 1838 fixe les modalités d’hospitalisation des malades en « placement volontaire » et « placement d’office », loi qui durera jusqu’en 1990. II – LES THÉORIES DE LA PSYCHIATRIE CONTEMPORAINE Au XXème siècle au paradigme de l’aliénation mentale se substitue un courant de classification des troubles psychiques et de psychopathologie. Simultanément se développe la Psychopathologie générale, la Psychanalyse, la Phénoménologie, la Psychiatrie Biologique, les thérapies cognitivocomportementales, les approches socio-culturalistes. 1. Le courant de Psychopathologie générale K. Jaspers en Allemagne avec son traité de Psychopathologie Générale sépare certains troubles psychiques réactionnels à un événement, vécus en continuité avec l’histoire du sujet et les processus pathologiques en rupture avec celle-ci. Kretschmer en Allemagne établit des liens de continuité entre un trouble psychique et un trouble de la personnalité, du caractère et de la morphologie ; il individualise la personnalité sensitive et les paranoïas bénignes. En France, l’organo-dynamisme de H. Ey suscite de nombreux adeptes, influencé par la philosophie jacksonienne, visant à séparer et hiérarchiser les troubles négatifs de désorganisation et le caractère organisationnel d’autres symptômes. 2. Le courant phénoménologique Influencé par la philosophie de Husserl, ce courant vise à passer de l’approche de troubles à l’approche du malade dans son existence et son rapport au monde et à autrui. L’analyse de la manière du malade d’être-dans-le-monde, dans son « Dasein » a donné naissance à l’analyse existentielle de Binswanger. 3. Le courant de la Psychanalyse Dès 1895, avec son inventeur S. Freud, elle se situe à la fois dans la continuité et la rupture avec les pratiques psychothérapiques non codifiées de l’époque (ex : traitement humaniste et moral de Ph. Pinel, l’hypnose de Charcot et Bernheim au XIX siècle). S. Freud, malgré ses premières expériences de neurophysiologiste et de neuro-anatomosite, va se dégager des « théories » neuro-organicistes et atomistiques ou « fonctionnelles » des troubles psychiques. Influencé par Darwin, il est rapidement convaincu que la passé éclaire le 4 psychisme présent et ses troubles. En outre il est fondamentalement médecin et thérapeute. Pour la première fois il parle en 1896 de « psycho-analyse ». Mais surtout il commence à élaborer ses concepts théoriques des névroses, rejetant l’organicisme, l’hérédité, , l’inné et les évènements extérieurs, pour défendre une théorie de l’acquis interne. Il conçoit rapidement l’anxiété et les symptômes névrotiques comme des compromis psycho-défensifs vis-à-vis des traumatismes psychiques réels et/ou fantasmatiques qui affectent la vie psychosexuelle infantile. En 1915, il a élaboré à la fois une pratique psychothérapique et une théorie de l’appareil psychique, centrées sur l’hypothèse de l’existence de processus psychiques inconscients reliés dynamiquement aux processus conscients, les premiers dérangeant excessivement les seconds par l’échec de leur refoulement. Grâce à la spécificité du cadre psychanalytique qu’il invente, les données de sa pratique vont conforter S. Freud sur le justesse de ses vues. La technique de l’association libre, la régression psychique induite par le dispositif, l’émergence du sens personnel et historique donné à certains contenus psychiques, l’apparition du transfert, vont bouleverser la conception des rapports existant entre les patients d’une part, les psychiatres et psychologues d’autre part. Sous l’influence de S. Freud et de la psychanalyse, la Psychiatrie devient moins classificatrice et descriptive, de plus en plus convaincue que la relation thérapeutique a une forte influence sur l’évolution des troubles. La définition de 1923 de S. Freud reste encore pour beaucoup une référence : - procédé d’investigation des processus psychiques, notamment du préconscient, non accessibles autrement, - méthode de traitement des troubles névrotiques, - conception du psychisme humain acquise par ce moyen. Pour S. Freud l’objet de la psychanalyse est centré par la sexualité infantile qui est restée hyperconflictuelle et a résisté au refoulement. Certes, la théorie psychanalytique de S. Freud reste en marge de la Médecine et de la Psychiatrie. Néanmoins elle propose une théorie de l’appareil psychique , utilisable par tous. Au fil des ans, S. Freud l’a considérablement enrichie en rajoutant la fonction fondatrice du narcissisme, la dualité des pulsions de vie et de mort, la division de l’appareil psychique en ça, Moi et Surmoi, l’importance de la relation d’objet. Les disciples et successeurs de S. Freud ouvrirent des champs de pratique et de théorisation souvent très enrichissants. La théorie psychanalytique a été appliquée à de multiples champs de pratique de la Psychiatrie et même de la Médecine, en vue de dynamiser et de mieux comprendre ces pratiques. 5 Parmi les « applications » qui en ont le plus bénéficier, citons : - le psychodrame (en Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent) - la psychothérapie psychanalytique de groupe (D. Anzieu etc…) - la relaxation psychodynamique - la Médecine psychosomatique - la psychothérapie familiale - les groupes Balint (pour la formation psychologique des médecins) - le travail d’aide, d’élaboration psychique et de réflexion théorique des soins psychiatriques institutionnels. - les pratiques d’art-thérapie - les articulations chimiothérapies-psychothérapies Les progrès réels et souhaitables dans le domaine des neurosciences et de la neuropsychologie cognitive n’enlèveront jamais à la Psychanalyse sa qualité fondamentale et spécifique d’écoute et de compréhension. Néanmoins l’expérience psychanalytique n’est applicable qu’à celle ou celui qui s’y laisse prendre. La Psychanalyse ne permet pas de s’appliquer. Elle permet de réfléchir sur un mode analytique aux autres pratiques. 4. Le courant comportementaliste Il vise l’amélioration des comportements dysfonctionnels ou mal adaptés par l’observation et la quantification des troubles nés sous l’influence de l’apprentissage ou du conditionnement. Il est donc basé sur les principes de la théorie de l’apprentissage. Les premières applications à l’homme du contre-conditionnement se situent en 1950 avec Skinner aux USA, Wolpe en Afrique du Sud. Les premières applications thérapeutiques ont visé la désensibilisation systématique de l’anxiété pathologique, en déclenchant l’anxiété en situation thérapeutique et en l’éteignant par la relaxation apprise. La méthode implique la hiérarchisation des stimuli anxiogènes (situations, lieux, objets, animaux, etc…) qui provoquent une anxiété croissante. La thérapie comportementale est basée sur le désapprentissage des symptômes et comportements pathologiques et l’apprentissage de la relaxation permettant d’aborder les stimuli anxiogènes de façon à las maîtriser puis les supprimer. Les indications sont les phobies, les obsessions, les dysfonctionnements sexuels. D’autres techniques se sont par la suite développées. Parmi les plus importantes citons : L’exposition graduée, fondée sur la désensibilisation sans entraînement à la relaxation. 6 L’immersion (flooding), fondée sur le fait que la fuite d’une situation angoissante renforce l’anxiété par conditionnement. le modeling de participation consiste à apprendre un nouveau comportement par imitation ou apprentissage d’un modèle (le thérapeute). l’affirmation de soi et le développement des compétences sociales visent l’apprentissage de comprotements adaptés à certains buts relationnels et sociaux (cf. phobies sociales).Parmi les autres applications, citons les thérapies aversives (abus d’alcool), les thérapies avec renforcement positif par utilisation de récompenses. Toutes ces thérapies ont démontré leur efficacité au fil des ans sans réussir à constituer un corps théorique ou réflexif car exclusivement centrées sur l’effet thérapeutique. 5. Le courant cognitiviste Il dérive d’une sous-discipline de la Psychologie Clinique née au début du XXe sciècle, la Psychologie cognitive, elle même dérivée de la Psychologie expérimentale. Initialement la Psychologie cognitiviste vise la connaissance des perceptions, apprentissages, processus attentionnels, mémorisations, raisonnements qui permettent la prise de décision, la résolution des problèmes, la programmation des pensées et des actes, etc… La thérapie cognitive est orientée vers les troubles actuels. Elle est appliquée aux traitements des TOC, du trouble panique, surtout de la dépression. La thérapie est fondée sur le fait que la dépression est le résultat de pensées négatives de soi (sentiment d’insuffisance, d’être sans valeur), du monde extérieur et du futur. Elle vise donc à développer des schémas de pensée positifs, à effacer les croyances inadaptées. Ces thérapies durent 20 à 30 semaines. La psychologie cognitive Elle vise l’analyse des processus d’acquisition et d’utilisation des connaissances et des performances dans des situations standardisées (temps de réaction, taux d’erreurs, rapports verbaux, apprentissages, mémoire, résolution d’une situation expérimentale etc…). Des avancées sont nées du couplage de l’analyse cognitive et des techniques d’imagerie cérébrale pour la construction de théories explicatives en Psychiatrie. A ce jour, c’est indiscutablement la schizophrénie qui a le plus bénéficié de ce type de recherche, en particulier pour étayer la théorie neuro-développementale. Ces approches sont d’autant plus prometteuses que la Psychologie cognitive tend à intégrer de plus en plus la dimension des émotions. 7 6. Le courant de Psychiatrie Biologique Ce courant est né de l’efficacité relative de certains traitements biologiques vis à vis de certains troubles psychiques, traitements le plus souvent découverts fortuitement, bien avant en tous cas que les recherches fondamentales. réussissent à expliquer une partie de leurs effets thérapeutiques. En 1938 Cerletti et Bini en Italie construisent un appareil (sismothère) qui provoque des convulsions. C’est le début de l’électro-convulsivothérapie qui va s’avérer efficace dans les troubles de l’humeur (mélancolie, manie, états mixtes), les accès évolutifs (délirant, catatonique) de la schizophrénie, les bouffées délirantes aigues. Mais le véritable point de départ du courant de Psychiatrie Biologique coïncide avec l’avènement et l’application par Delay et Deniker du premier neuroleptique : la chlorpromazine (Largactil) en 1952. Ce médicament très efficace, vis à vis des divers symptômes maniaques, psychotiques aigus et chroniques, va changer le climat des institutions psychiatriques et l’état d’esprit des psychiatres. L’arsenal chimiothérapique s’enrichit en 1957 du premier antidépresseur tricyclique, l’imipramine (Tofranil), en 1960 de la première benzodiazépine le chlodiazépoxide (Librium). Dès lors, la recherche pharmacologique expérimentale va essayer de comprendre les mécanismes d’action neurophysiologiques et neurochimiques des médicaments psychotropes , mais aussi synthétiser de nouvelles molécules de façon à améliorer le ratio efficacité/tolérance. Le lithium avait été prescrit , lui aussi par hasard, dans le traitement de la manie dès 1949 par Cade, mais avec une mauvaise maîtrise clinique. Grâce à la possibilité du dosage sanguin, il est ré-introduit en 1970 avec l’efficacité et le contrôle clinico-biologique qu’on lui connaît. Avec les progrès des connaissances neurochimiques naissent vers 1960, les premières théories mono-aminergiques de la maladie dépressive (insuffisance de neuro-transmission en sérotonine ou en noradrénaline), puis la théorie dopaminergique de la schizophrénie (hyperfonctionnement dopaminergique mésolimbique, hypofrontalité). Au cours des 25 dernières années, ont été créés des antidépresseurs non tricycliques, inhibiteurs sélectifs de la re-capture de la sérotonine (5 HT). comme la fluoxétine (Prozac), des antipsychotiques qui agissent électivement sur les récepteurs dopaminergiques D2 et 5 HT. Le courant récent de recherche couplant les données de la neuropsychologie cognitive et développementale et des techniques modernes d’imagerie cérébrale (Tomographie par émission de positions ou PET) pourrait faire avancer la connaissance de certains facteurs de causalité de la schizophrénie, en particulier des dimensions neurodéveloppementales. Le développement de la Biologie moléculaire 8 de la Génétique des comportements pourrait permettre d’ici peu de connaître les gênes impliqués dans la transmission de la vulnérabilité génétique aux maladies dépressives unipolaires et bipolaires, à la psychose schizophrénique. 7. Le courant d’inspiration socio-culturelle Il s’est développé après la deuxième guerre mondiale à partir du freudo-marxisme de l’éthnopsychiatrie, surtout de la théorie des systèmes. Ainsi avec G. Bateson et P. Watzlawick à Palo Alto, le courant anthropo-sociologique et systémique a permis de mieux connaître les distorsions communicationnelles existant dans les familles de schizophrènes (doubles liens, injonctions paradoxales etc.). Ces études sont à l’origine des thérapies familiales systémiques. 8. Le courant clinique critériologique Il est dominé par les DSM américains qui établissent les diagnostics psychiatriques à partir de la présence d’un certain nombre de symptômes cliniques et comportementaux (axe 1) et de traits de caractère et de personnalité (axe 2). Ce courant est incontournable depuis la publication en 1980 du DSM III ; en particulier pour toute recherche en Psychiatrie qui nécessite des critères communs à toutes les équipes. 9 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 4 – Handicap – incapacité - dépendance Question 52 Le handicap mental. Tutelle, curatelle, sauvegarde de justice Rédaction : Jean Louis Senon, Nicolas Lafay Tutelle, curatelle, sauvegarde de justice : principes d’application et principes d’utilisation Principes généraux de la protection de l’incapable majeur Un des principes fondamentaux du Droit civil français est que toute personne âgée de 18 ans révolus est apte à réaliser tous les actes de la vie civile. La capacité civile du majeur concerne en particulier l’aptitude à l’administration et à la disposition de ses biens personnels. La loi prévoit néanmoins que le majeur, « qu’une altération de ses facultés personnelles met dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts », soit protégé par la loi. Quand la loi autorise l’intervention d’un tiers, il s’agit donc d’apporter aide et protection à un patient qui pourrait se nuire ou nuire à ses intérêts du fait d’altérations transitoires ou définitives de ses capacités de discernement. Le cadre légal de la protection de l’incapable majeur est la loi du 3 janvier 1968, « loi portant réforme du droit des incapables majeurs », qui prévoit un ensemble de mesures modulables pour assurer sa protection sur le plan de la vie civile, de la plus légère à la plus contraignante : sauvegarde de justice, curatelle et tutelle. Les modalités d’application de cette loi figurent dans le Code civil au titre XI, dans les articles 488 à 514 : L’article 488 du Code civil détermine que « la majorité est fixée à 18 ans ; à cet âge on est capable de tous les actes de la vie civile. Est néanmoins protégé par la loi, soit à l’occasion d’un acte particulier, soit de manière continue, le majeur qu’une altération de ses facultés personnelles met dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts ; peut pareillement être protégé le majeur qui, « par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s’expose à tomber dans le besoin ou compromet l’exécution de ses obligations familiales ». L’article 489 du Code civil confirme que tout sujet de droit est présumé sain de corps et d’esprit. C’est ainsi que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit, mais c’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ». L’article 490 du Code civil confirme que les mesures de protection s’appliquent aux troubles mentaux ou aux handicaps corporels ; il détermine que « lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement de l’âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l’un des régimes de protection prévus. Les mêmes régimes sont applicables à l’altération des facultés corporelles si elle empêche l’expression de la volonté ». Ce même article fait du médecin l’artisan des mesures de protection : « l’altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement établie ». Ce même article 490 dissocie mesures de traitement, hospitalisation et protection de l’incapable majeur : « les modalités du traitement médical, notamment quant au choix entre hospitalisation et soins à domicile, sont indépendantes du régime de protection ». La sauvegarde de justice 1. Indications et procédure : La sauvegarde de justice est la moins contraignante et la plus temporaire des mesures de protection. Elle s’adresse à un majeur qui présente une altération des facultés personnelles qu’elle soit due à un trouble mental ou à une pathologie physique qui altère momentanément ses capacités civiles. Il s’agit donc d’une mesure provisoire. Cette mesure est surtout indiquée en psychiatrie pour une pathologie transitoire ou de courte durée : épisode maniaque, coma, état oniroïde, suspicion de forme de début de démence. Deux modalités de mise en place d’une sauvegarde de justice sont possibles : le médecin traitant fait une déclaration au procureur de la République dans un certificat qui constate l’altération des capacités personnelles physiques ou mentales du malade qui le rend incapable de pourvoir seul à ses intérêts (certificat de sauvegarde de justice). S’il s’agit d’un médecin libéral, cette déclaration doit être accompagnée d’un certificat d’un médecin spécialiste, inscrit sur la liste du procureur de la République. Le certificat d’un médecin hospitalier suffit. Le juge des tutelles peut prononcer une sauvegarde de justice s'il est saisi d’une demande de tutelle ou de curatelle. La responsabilité du médecin traitant peut être engagée s’il ne fait pas le nécessaire pour protéger un malade qui présente une altération transitoire ou durable de ses capacités personnelles, en particulier quand il a connaissance de manœuvres de proches pour s’approprier le patrimoine de son patient. Il s’agit d’une mesure provisoire et la loi ne fait pas obligation au médecin qui fait la déclaration de prévenir le patient ou sa famille. 2. Durée, cessation et recours La sauvegarde de justice est prononcée pour une durée de deux mois, éventuellement renouvelable quand le médecin en a établi la procédure. Elle peut être prolongée de six mois. Le nombre de renouvellements n’est pas limité. Si la mesure est prise par le juge des tutelles elle se poursuit jusqu’à l’ouverture de la curatelle ou de la tutelle. Elle prend fin d’elle même à l’expiration du délai de sa déclaration. Un recours n’est pas envisageable de ce fait. 3. Conséquences La sauvegarde de justice a des effets limités : le majeur est protégé par une possibilité d’action en annulation ou en réduction pour excès, au nom du principe selon lequel la personne protégée ne peut se léser. Du vivant du protégé, ces actions peuvent être engagées par le patient, sa famille ou le juge des tutelles dans un délai de cinq ans après un acte civil. Après le décès du protégé, ces mêmes actions peuvent être diligentées par les héritiers. Les tribunaux saisis d’une demande en annulation ou en réduction d’un acte civil ayant lésé le protégé décident en prenant en compte les biens matériels en cause, et surtout la bonne foi de ceux qui ont traité avec le protégé et qui peuvent l’avoir abusé. Par contre, la sauvegarde de justice n’a pas de conséquences pour les droits civils ou civiques du protégé. Une mesure proche est celle de l’institution d’un mandataire spécial conformément à l’article 491-5 du Code civil. Celui-ci est désigné par le juge des tutelles et peut faire les actes de la vie civile d’administration nécessaires à une protection d’urgence du malade. Comme la sauvegarde de justice, cette mesure peut être appliquée d’urgence si l’état du malade justifie cette aide. L’avis sur la nécessité de la nomination d’un mandataire spécial peut émaner de tout intéressé, comme par exemple du service social de l’hôpital. Le médecin peut aussi être à l’origine de la mesure. Le mandataire peut être un proche ou un professionnel. La tutelle 1. Indications et procédure La tutelle s’adresse à un majeur présentant une pathologie ou un handicap confirmés et durable, ayant besoin d'être représenté de façon continue pour tous les actes de la vie civile. En psychiatrie elle s’applique donc par exemple aux pathologie déficitaires durables : psychoses schizophréniques, démences, insuffisances intellectuelles profondes…La demande émane du malade, du conjoint, de la famille, du curateur, des proches, du procureur de la république ou du juge des tutelles lui-même . Cette demande est destinée au juge des tutelles du tribunal d’instance dont relève le domicile du patient. Le certificat médical constatant l’altération des facultés est établi par un psychiatre figurant sur la liste spéciale du procureur de la république du Tribunal de Grande Instance. Ce certificat médical constate l’altération des facultés intellectuelles et physiques et démontre l’incidence de la maladie ou du handicap sur les actes de la vie civile (certificat tutelle). L’instruction préalable fait que l’intéressé est obligatoirement entendu. Une enquête sociale, l’avis du conseil éventuel, la réunion du conseil de famille sont diligentés par le juge des tutelles. Le tuteur peut être le conjoint, un enfant, ou tout autre personne physique ou morale (associations) nommée par le juge des tutelles. Le tuteur administre légalement le patrimoine du protégé sous le contrôle du juge des tutelles à qui il rend compte. 2. Durée, cessation et recours : Il s’agit d’une mesure durable qui persiste jusqu’à une mainlevée qui obéit à la même procédure. La cessation obéit aux mêmes formalités que l’ouverture. Un certificat médical d’un psychiatre appartenant à la liste du procureur de la république qui constate la récupération des fonctions intellectuelles est transmis au juge des tutelles. Celui-ci ouvre une procédure de mainlevée avec audition du protégé, du tuteur, du conseil de famille, et éventuelle enquête sociale. Sur l’ensemble de ces éléments le juge des tutelles peut lever la mesure contestée. Le recours se fait auprès du juge des tutelles par le protégé ou toute personne habilitée à demander l’ouverture de la tutelle. Il doit s’appuyer sur un certificat médical circonstancié d’un spécialiste inscrit sur la liste spéciale du procureur de la République. 3. Conséquences Le protégé perd sa capacité civile : il ne peut voter et n’est pas éligible. Le protégé est totalement privé de ses capacités civiles, civiques et juridiques et doit être en toutes circonstances de sa vie civile représenté par son tuteur. Les actes postérieurs à l’ouverture de la tutelle sont nuls en droit, les actes passés peuvent être annulés, en particulier si une sauvegarde de justice à été enregistrée antérieurement. Tout testament, toute donation ne peuvent se faire qu’avec l’accord du conseil de famille et ne concernent que le conjoint ou un descendant. Le mariage nécessite la consultation du conseil de famille et/ou des parents. D’après l’article 501 du Code civil, le juge peut énumérer certains actes que la personne aura la possibilité de réaliser elle même soit seule, soit avec l’assistance du tuteur. Différents types de tutelles peuvent être diligentés par le juge : Dans la tutelle complète, le tuteur gère les biens à la place du protégé et fait seul les actes conservatoires dans l'intérêt de celui-ci ; le tuteur de plein droit est le conjoint sauf si le juge l’interdit. Le conseil de famille occupe une place importante auprès du tuteur ; il est présidé par le juge des tutelles et comporte 4 à 6 membres nommés par celui-ci. Le subrogé-tuteur surveille la gestion du tuteur. L’administration légale est une tutelle allégée et administrative sans conseil de famille ni subrogé-tuteur. L’administrateur légal gère les biens. Le gérant de tutelle reçoit les revenus et assure avec ceux-ci la vie matérielle du protégé. La tutelle d’état est une tutelle simplifiée où le tuteur assure sa mission sans intervention de subrogé-tuteur ni du conseil de famille. La tutelle est confiée au préfet qui délègue cette mission au directeur de l’action sanitaire et sociale. Les délégués à la tutelle d’état sont nommés sur une liste établie par le procureur de la république, après avis du préfet. Dans la tutelle aux prestations sociales, le tuteur reçoit les prestations sociales du protégé et effectue les règlements des dépenses de première nécessité. C’est une forme de tutelle qui s’adresse aux malades ayant un handicap modéré et n’ayant comme seule ressource que des prestations sociales : RMI, Allocation Adulte Handicapé, Allocation logement… La curatelle 1. Indications et procédure Une curatelle est une mesure de protection intermédiaire entre sauvegarde de justice et tutelle. Elle s’adresse à un malade présentant une pathologie ou un handicap et qui a besoin d'être protégé de façon durable mais adaptée et souple. Elle s’adresse aux patients présentant des pathologies chroniques déficitaires que l’on souhaite protéger de décisions intempestives touchant leur patrimoine, tout en préservant au maximum leur autonomie et leur vie sociale. Elle peut être considérée comme une mesure de contrôle et de conseil d’aide à la gestion, d’assistance, confiée par le juge des tutelles à un curateur. La procédure est identique à celle décrite pour la tutelle : demande du malade, du conjoint, de la famille, du curateur, du procureur de la république ou du juge adressée au juge des tutelles avec un certificat médical constatant l’altération des facultés mentales ou physiques établi par un psychiatre figurant sur la liste spéciale du procureur de la République. Ce certificat précise que le protégé doit « être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile »(certificat curatelle). 2. Durée, cessation et recours Il s’agit d’une mesure durable ; la cessation obéit aux mêmes formalités que l’ouverture. Le recours se fait après du juge des tutelles par le protégé ou toute personne habilitée à solliciter l’ouverture de la curatelle. 3. Conséquences Sur le plan civique, le protégé conserve le droit de vote mais ne peut être éligible. Son mariage comme une donation ne peuvent être faits sans l’avis du curateur. Il peut faire un testament s’il est sain d’esprit ; il lui appartient de l’établir par un certificat d’un spécialiste inscrit sur la liste du procureur de la république. Le protégé conserve une autonomie pour les actes conservatoires et d’administration de son patrimoine mais il existe une possibilité d’action en nullité ou en réduction si le trouble mental au moment de l’acte peut être prouvé. Le protégé ou le curateur peuvent demander l’annulation d’un acte réalisé sans l’accord du curateur. L’action en nullité est soumise à l’appréciation du tribunal. Un autre type de curatelle est possible, la curatelle spéciale (article 512 du Code civil) ou curatelle renforcée. Dans ce cas le curateur a les mêmes pouvoirs que le tuteur : on parle de curatelle aggravée : il s’agit donc d’une protection intermédiaire entre tutelle et curatelle qui, de fait, à l’avantage par rapport à la tutelle de conserver le droit de vote au patient. Certificat en vue de l’ouverture d’une SAUVEGARDE DE JUSTICE Destinataire : M le Procureur de la République Tribunal de Grande Instance du département Je, soussigné, Docteur (préciser la qualification éventuelle en psychiatrie) certifie avoir examiné le (date) Monsieur né le à domicilié à Ce patient nécessite une protection dans les actes de la vie sociale. Il doit être placé sous sauvegarde de justice. Signature Certificat en vue de l’ouverture d’une TUTELLE Destinataire : M le Juge des Tutelles Tribunal d’Instance Je, soussigné, Docteur (préciser la qualifiation éventuelle en psychiatrie) certifie avoir examiné le (date) Monsieur né le à domicilié à et avoir constaté l’altération de ses facultés mentales (et/ou corporelles). : (présenter éventuellement un descriptif des altérations constatées) Ce patient nécessite d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile. Pour cette raison, l’ouverture d’une tutelle paraît justifiée. Le malade peut être entendu par le juge des tutelles sans que cela porte préjudice à sa santé. (ou : ... ne peut être entendu ; ou : ... peut être entendu à l’hôpital). Signature Certificat en vue de l’ouverture d’une CURATELLE Destinataire : M le Juge des Tutelles, Tribunal d’Instance Je, soussigné, Docteur certifie avoir examiné le (date) Monsieur né le à domicilié à et avoir constaté l’altération de ses facultés mentales (et/ou corporelles). (Présenter éventuellement un descriptif des altérations constatées) Ce patient nécessite d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile. Pour cette raison, l’ouverture d’une curatelle paraît justifiée. Le malade peut être entendu par le juge des tutelles sans que cela porte préjudice à sa santé. (ou : ... ne peut être entendu ; ou : ... peut être entendu à l’hôpital). Signature POUR EN SAVOIR PLUS : Albernhe T. : Psychiatrie et handicap, Masson, 1997 Cerruti F. R. : Médilex, Guide Juridique médical, Le Quotidien du Médecin, 1994 Godfryd M : Le droit et la santé mentale par les textes, Heures de France, 2000 Jonas C. : Législation hospitalière in Senon J. L., Sechter D., Richard D : Thérapeutique psychiatrique, Hermann, 1995 Jonas C. : Mesures de protection in Senon J. L., Sechter D., Richard D : Thérapeutique psychiatrique, Hermann, 1995 Senon J. L., Sechter D., Richard D. : Mémento de thérapeutique psychiatrique, Hermann, 1996 Tribolet S., Desous G. : Droit et psychiatrie, Heures de France, 1995 Tyrode Y., Albernhe T. : Psychiatrie légale, Ellipses, 1995 PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 5 - Vieillissement Question 63 - DÉPRESSION DU SUJET ÂGÉ Rédaction : I. Jalenques Objectifs : · Diagnostiquer un état dépressif chez une personne âgée · Argumenter l'attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient ÉPIDÉMIOLOGIE Les estimations de prévalence varient sensiblement selon les études et en fonction des instruments d’évaluation et des populations recrutées. En population générale, les taux sont de 1 à 4 % lors d’études basées sur les critères du DSM ou d’instruments standardisés tels que le Diagnostic Interview Schedule, mais atteignent 11 à 16 % lorsque les évaluations reposent sur des instruments spécifiques des populations âgées. De même, les taux de prévalence varient de 7 à 36 % parmi les patients ambulatoires, pour atteindre 15 à 43 % des patients hospitalisés et 42 à 51 % des patients en institution. CONTEXTE L’avancée en âge implique des changements biologiques, psychologiques et sociaux qui se manifestent de manières très hétérogènes d’un sujet à l’autre. Les modifications du fonctionnement cognitif liées au vieillissement, et quelques pathologies organiques cérébrales (« dépression vasculaire », dépression et démences) jouent un rôle dans la survenue de certaines dépressions tardives. Le vieillissement corporel et ses perturbations (endocriniennes, …) voire, plus encore, les polypathologies de certains sujets âgés influencent non seulement la survenue des dépressions mais aussi la démarche diagnostique et thérapeutique (Jalenques et al., 7, 8, 9, 10). Les facteurs iatrogènes doivent systématiquement être recherchés. Enfin, la position sociale qui se modifie et les échéances qui se rapprochent, rendent nécessaire une adaptation des stratégies interpersonnelles et intrasubjectives. Principales classes médicamenteuses associées aux dépressions iatrogènes (d’après Dhondt et al. 2002, 4) - médicaments du système nerveux central antagonistes calciques médicaments du tractus respiratoire médicaments gastro-intestinaux, métaboliques β-bloquants non sélectifs - médicaments à tropisme neurologique benzodiazépines corticothérapie générale β-bloquants La démarche diagnostique doit intégrer une évaluation psychique (humeur, cognition, vigilance, comportement, gestion des pulsions, …), somatique et des facteurs précipitants possibles (médicaments, environnement …) tout en gardant en permanence à l’esprit que le poids respectif de ces divers facteurs est toujours susceptible d’évolution à court ou long terme. Dans le cas contraire, le clinicien se heurtera immanquablement aux limites des approches standardisées. L’examen psychiatrique met classiquement en évidence une rupture, avec de nets bouleversements symptomatiques par rapport à l’état antérieur du sujet. Des particularités cliniques sont à connaître. La tristesse de l’humeur dépressive peut être remplacée par une irritabilité, une hostilité permanente à l’encontre de l’entourage, ou un émoussement affectif. L’anhédonie, au même titre que les autres symptômes, n’apparaît pas comme une exagération des signes physiologiques du vieillissement, mais pénible, douloureuse, permanente. Le ralentissement psychomoteur est d’autant mieux apprécié que l’on dispose de points de repère antérieurs. L’évaluation des troubles du sommeil doit prendre en considération le rythme nycthéméral et les changements de l’architecture du sommeil chez l’âgé. L’anxiété très fréquente et souvent patente, peut se traduire par une agitation improductive, des réactions hystériformes, voire des symptômes phobiques invalidants. Devant des troubles du caractère, relevés par l’entourage, et d’apparition récente, une symptomatologie dépressive doit systématiquement être recherchée. La symptomatologie cognitive est abordée dans le second article de ce cahier. La dimension délirante, souvent observée, peut s’exprimer sous forme d’idées persécutoires, de jalousie ou de préjudice. Un certain nombre de sujets âgés éprouvent des difficultés à se reconnaître dépressifs et s’en plaindre, d’autant plus qu’existe une comorbidité physique à laquelle seront dans la plupart des cas préférentiellement rattachées les manifestations somatiques de la dépression. Les dépressions masquées existent indubitablement, mais l’examen psychiatrique, sauf exception rarissime, retrouve d’autres symptômes de dépression, derrière le premier rang de signes somatiques. La symptomatologie hypochondriaque, fréquente, est parfois délirante ; le syndrome de Cotard (conviction délirante de transformation corporelle et de négation d’organe) en est une forme extrême. Si les comorbidités sont fréquentes chez les sujets âgés et en particulier les pathologies de la cognition et cardio-vasculaires, il est difficile de rattacher aux diverses pathologies somatiques des modalités dépressives spécifiques. Des affections neurologiques dégénératives ou vasculaires, des troubles métaboliques et endocriniens, certaines néoplasies, des processus infectieux, des déficiences nutritionnelles ont vu leurs rapports 2 aux dépressions particulièrement étudiés (Hermann, 6 ; Kaplan, 11) ; d’autres beaucoup moins (déficiences auditives, visuelles), voire pas (lupus cutané). Les relations entre pathologies somatiques et dépressions sont donc complexes, et le degré de handicap représente dans une majorité de cas, un facteur prépondérant. Il en résulte que l’évaluation d’une symptomatologie dépressive chez le sujet âgé débute par le recueil des antécédents, l’observation générale, l’examen psychiatrique et somatique, pour être complétée, presque toujours, par un bilan biologique général, un bilan thyroïdien, un scanner cérébral, une radiographie thoracique. Les E.E.G. (de sommeil notamment) sont plus rarement réalisés. Les évaluations cognitives sont abordées dans le troisième article de ce cahier. Enfin, des instruments d’évaluation spécifiques des populations âgées ont été développées : le CES-D (Center of Epidemiologic Studies Depression Scale) construit pour permettre l’évaluation d’un épisode dépressif majeur chez l’âgé selon le DSM (5 in Strnad), la GDS de Yesavage et Brinck (traduite en français par D. Lapp et J.D. Guelfi) (12), autoquestionnaire de 30 items binaires, utilisé pour le dépistage et l’évaluation de l’intensité des dépressions, dont une version à 4 items a été développée pour le dépistage en médecine générale (Clément and al., 1). L’emploi des échelles, lorsqu’il permet d’approfondir l’évaluation du sujet et fournit des points de comparaison lors du suivi et du traitement des patients, peut s’avérer utile. EVOLUTION ET PRONOSTIC Le pronostic des dépressions apparaît moins bon pour les sujets âgés suivis en population générale et en soins primaires, par comparaison avec ceux suivis en milieu psychiatrique hospitalier ; mais si l’hypothèse d’une insuffisance de détection et de prise en charge dans la première population, est bien souvent retenue, celle de populations qui ne soient pas strictement comparables ne peut être éliminée (Cole and al., 2, 3). Nombre d’auteurs s’accordent à reconnaître que les dépressions et les affections somatiques influencent leurs évolutions réciproques ; mais des études complémentaires apporteraient des précisions indispensables à cette « donnée classique », tout comme aux suivantes : une évolution chronique plus fréquente, un délai plus long entre l’apparition des premiers signes dépressifs et l’initiation d’un traitement antidépresseur, enfin un délai d’action des antidépresseurs retardé chez les sujets âgés par comparaison avec l’âge moyen de la vie (Jalenques et al., 7, 8, 9, 10). 3 1) Clément JP, Paulin S, Léger JM. Troubles de l’humeur. In : Léger JM, Clément JP, Wertheimer J, eds. Psychiatrie du sujet âgé. Paris : Flammarion, 1999 : 112-28. 2) Cole MG. Major depression in old age : outcome studies. In : Shulman Kl, Tohen M, Kutcher S, eds. Mood disorders across the life span. Wiley-Liss, 1996 : 361-76. 3) Cole MG, Bellavance F., Mansour A. Prognosis of depression in elderly community and primary care populations : a systematic review and meta-analysis. Am J Psychiatry 1999 : 156 (8) : 11829. 4) Dhondt ADF, Beekman ATF, Deeg DJH, Van Tilburg W Iatrogenic depression in the elderly. Results from a community-based study in the Netherlands. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 2002 ; 37 : 393-398. 5) Gallo JJ, Rabins PV, Lyketsos CG, Tien AY, Anthony JC. Depression without sadness : Functional outcomes of nondysphoric depression in later life. J Am Geriatr Soc 1997 ; 45 : 570-8. 6) Hermann N. Clinical features and pathogenesis of depression in old age. In : Shulman, Tohen and Kutcher eds. Mood Disorders Across the Life Span. Wiley-Liss, 1996 : 341-60. 7) Jalenques I, Albuisson E, Rancé JR, Coudert AJ. Les dix dernières années ou la fin du parcours. Psychol Med. 1990 ; 22 ; 12 : 1177-1182. 8) Jalenques I, Coudert AJ. La maladie dépressive du sujet âgé : Apports de l’épidémiologie. Psychogér 1990 ; 2 : n° 6. 9) Jalenques I, Coudert AJ. Dépressions du sujet âgé. Le Médecin du Centre. 1er sept. 1993 ; n° 12. 10) Jalenques I, Coudert AJ. Dépressions, pseudo-démences er dépressives, démences. Le Médecin du Centre. 1 oct. 1993 ; n° 14. 11) Kaplan HI, Sadock BJ. Evaluation médicale en psychiatrie. In : Synopsis de Psychiatrie, Entretien clinique, Examens, Classification et Législation, traduction française coordonnée par Patrice Louville. Masson, Williams et Wilkins, 1998 : 57-64. 12) Yesavage JA, Brink TL, Rose TL et al. Development and validation of a geriatric depression screening scale : a preliminary report. J Psychiatr Res 1983 ; 17 : 37-49. 4 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 6 – Douleurs, soins palliatifs, accompagnement Objectif 70 – DEUIL NORMAL ET PATHOLOGIQUE Rédaction : Catherine EPELBAUM Relecture : Jean-Pierre VISIER Objectifs : ● Connaître l’évolution du concept de mort chez l’enfant ● Connaître les étapes du deuil normal chez l’adulte et chez l’enfant ● Connaître ce que représente la notion de «travail de deuil » ● Connaître le diagnostic différentiel et les principaux symptômes d’un deuil pathologique chez l’adulte et chez l’enfant Introduction : La mort est un événement situé dans le réel, c’est à dire l’incontournable et nous renvoie à la finitude de notre condition humaine. Le décès d’une personne investie plonge les survivants dans une période de deuil dont les enjeux et le déroulement dépendent de la nature de la perte, mais aussi de l’âge du survivant. Quand un enfant décède, les processus de deuil des parents et de sa fratrie sont particuliers (perdre un adulte, voire un ascendant reste un événement qui s’inscrit dans la logique du vieillissement, pas la perte d’un enfant). Ils peuvent se situer dans une certaine normalité ou basculer dans des vécus très pathologiques, à diagnostiquer et à traiter dans une collaboration active entre pédiatre et pédopsychiatre. Quand un adulte décède, l’enfant qui lui survit traverse, particulièrement quand cet adulte est son parent, des turbulences particulières liée à l’intensité de la relation qu’il avait avec lui. L’évolution de la notion de mort chez l’enfant La notion de mort évolue chez l'enfant selon son âge, avec de grandes périodes dont les limites restent souples, en fonction des événements de vie traversés par l’enfant. Tout enfant confronté à la mort (mort d’un proche, d’un ami, voire d’un animal) ou porteur d’une maladie engageant le pronostic vital, peut voir s'accélérer ce développement conceptuel (cf. Module 1, objectif 1, module 3, objectif 44 et module 11, objectif 189) 2 L'âge Le type de ressenti de ce qu'est la mort - La mort est une absence temporaire, réversible. - Est vivant, ce qui bouge, ce qui se nourrit (aspect fonctionnel), -Est mort, ce qui est insensible, immobile, ce qui ne respire pas. - La mort est reconnue comme un phénomène irréversible, irrévocable, de chaque être vivant. L'enfant aborde les phénomènes de décomposition corporelle. - Pour un enfant à 5 ans - Entre 5 et 8 ans - A 8 ans - Entre 10 et 11 ans La question de la mort est souvent abordée par les parents quand l’enfant les questionne sur la naissance des bébés. Ceux-ci justifient souvent l’existence de la mort par la nécessité du renouvellement des générations. L’enfant aborde donc généralement en parallèle la reproduction, la sexualité et la mort. Les réactions de l’enfant dépendent : - de son âge chronologique (qui conditionne en partie son appréhension de ce que représente la notion de mort), - de son développement psychomoteur, - de la façon dont l'entourage va entourer l'enfant peut aussi accélérer ou biaiser ce développement. Un certain nombre de figures aident l’enfant à « apprivoiser »la notion de mort: - le fantôme : c’est un être qui reste en quelque sorte vivant et auquel l’enfant peut s’identifier (certains personnages de film ou de bandes dessinées sont des fantômes – enfants qui font des bêtises, se font gronder etc.) - le squelette : c’est un personnage qui a déjà passé le cap de la décomposition corporelle et se présente donc « propre », sans aspect « dégoûtant ». Les étapes du deuil normal A) Qu’est-ce qu’un deuil ? Tout deuil représente un traumatisme psychique qui sidère les défenses habituelles de ceux qui y sont confrontés. Il s’agit d’une perte définitive qui entraîne un sentiment intense de manque (et non d’une simple séparation qui permet de retrouver « l’objet », en l’occurrence, la personne perdue). Le « travail de deuil » représente un rééquilibrage progressif qui permet à chacun de se détacher de l’objet perdu et de réinvestir de nouveaux « objets » dans la vie présente. 2 3 Ce processus est lent (pas moins d’une année en général) et représente un véritable travail psychique qui vise à sortir de la contradiction douloureuse provoquée par le décès: - manque de l’être aimé qu’on cherche à retrouver par la pensée, notamment dans la tristesse ; - nécessité pour vivre (et pas seulement « survivre ») de retrouver des investissements éloignés de cet objet, qu’on a alors l’impression d’abandonner et de perdre vraiment définitivement, ce qui est dans un premier temps très douloureux. B) Déroulement du deuil : On décrit classiquement trois étapes dans le deuil : - L’installation : c’est le véritable choc, la sidération (parfois le sujet ne peut plus penser) provoqué par ce que la mort de l’être aimé a de traumatique. On retrouve des éléments tels que : * des perturbations physiques (troubles du sommeil, de l’appétit, asthénie) * des perturbations affectives (intense douleur psychique) * une hyperactivité désordonnée, ou au contraire une régression dans le sommeil * une dénégation de la perte (refus d’y croire) * une récupération de la personne perdue (rêves, rêveries diurnes, conversations centrées sur la personne perdue etc.) * une agressivité retournée sur l’entourage (en fait destinée inconsciemment à la personne perdue qui abandonne les survivants). - Le vécu douloureux qui s’installe immédiatement après : il s’agit d’un vécu dépressif réactionnel physiologique avec vécu de culpabilité (sans auto-accusation grave, comme dans les états mélancoliques), mais aussi parfois d’agressivité vis-à-vis de l’être perdu (expression de l’ambivalence des parents et de la fratrie qui ont parfois accompagné l’enfant de longues années dans la maladie) il est incontournable et permet de peu à peu «d’user le chagrin » disait F. Dolto. On retrouve :* un besoin d’isolement * des insomnies, une anorexie, une perte des intérêts (jeux, travail, loisir, relations amicales et amoureuses etc. ;) * une culpabilité, avec honte de survivre * une identification au mort - Retour à la vie: Freud écrit à son propos : « le Moi après avoir achevé son travail de deuil se retrouve libre et sans inhibition », c’est à dire que les parents et la fratrie peuvent investir à nouveau d’autres « objets » que l’enfant perdu et se souvenir de lui sans « sombrer » dans la tristesse ou la dépression. Cette étape fait également référence à l’acceptation de sa propre mort. Il est habituel de dire que plus la relation à l’être perdu est compliquée, plus le deuil est compliqué, puisqu’un conflit intra-psychique plus ou moins intense existe alors chez les survivants. 3 4 Dans certains cas, les « survivants » sont davantage encore en difficulté, car ils se sentent particulièrement coupables d’avoir survécu à l’être cher, en raison de leur implication directe dans la mort de cet être (accident de voiture dans lequel le survivant conduisait ; maladie génétique dans laquelle le survivant est porteur sain etc.). Enfin, la multiplication des deuils en peu de temps complique énormément leur résolution. C) Les appuis sociaux : Le deuil est habituellement visible socialement (on « porte le deuil » par exemple par la couleur de ses vêtements) par l’accomplissement d’un certain nombre de rites, différents selon les cultures, rites qui sont là pour aider les endeuillés à parcourir les étapes de leur deuil en leur fournissant des sortes de repères temporels et symboliques (rituels funéraires qui concrétisent la disparition et formalisent un au revoir ; périodes définies de « réclusion », puis de sortie ; allégement progressif, selon un calendrier défini, des contraintes liées au deuil etc.). Cependant, dans nos cultures occidentales, les rites sont de moins en moins forts et repérables, surtout dans les villes (on ne pratique que peu les « veillées mortuaires » ; on décède de plus ne plus souvent à l’hôpital ; on ne repère plus la maison du mort puisqu’on ne la décore plus de tentures noires à l’extérieur etc.). Ainsi le deuil « se privatise » et devient donc une expérience plus intime, moins codifiée socialement, donc plus difficile car laissant chacun seul face à sa souffrance et à l’avenir. Cas particulier : IMG ou mort néonatale, rituel funéraire à l’hôpital (cf. module 2 objectif 19) D) Particularités du deuil d’un enfant : Le deuil d’un enfant malade est souvent difficile car : - Il a représenté, par sa maladie, une blessure pour ses parents et un être avec lequel la rivalité était très intense pour sa fratrie, rivalité consciente et inconsciente (cf. Module 1, objectif 1). - Les parents peuvent se sentir dépossédés de leur enfant par les traitements que la maladie à entraînés, et ont l’impression « de ne pas en avoir fait assez ». - Sa mort est vécue comme particulièrement injuste et non conforme aux règles habituelles de l’espèce (les plus âgés « partent les premiers »), ce qui provoque souvent un « syndrome du survivant ». E) Particularités du deuil chez l’enfant : L’enfant réagit en fonction de son âge et de son niveau de développement. Les éléments anxieux sont prévalants (cauchemars, peurs, ruminations concernant la mort) , mais ce qui est le plus frappant c’est sans doute l’intermittence de l’expression de la souffrance psychique de l’enfant. 4 5 Celui-ci peut être extrêmement triste, sidéré, refusant de jouer, s’isolant complètement un jour, et ouvert, participant aux activités ludiques qu’on lui propose le lendemain. Parfois ces changements émotionnels s’effectuent dans la même journée, ce qui déroute certains adultes qui pensent que l’enfant n’est pas malheureux ou a déjà oublié la personne décédée (ce qui est faux). Cette intermittence est en fait très riche puisqu’elle signifie que l’enfant « reprend le dessus » par moments et elle est donc à soutenir. A noter que : - quand un enfant perd un de ses parents, certains éléments compliquent le deuil : la période de développement (par exemple l’adolescence ou la période œdipienne compliquent la perte du parent du même sexe : l’enfant peut croire que ses projections agressives ont été la cause de la mort de son parent) la trop grande dépendance par rapport au parent mort (relation symbiotique) la non-fiabilité du parent avant sa mort, voire sa violence et son agressivité par rapport à l’enfant (situation conflictuelle). - quand un enfant perd un frère ou une sœur, certains éléments compliquent le deuil : culpabilité liée aux projections agressives normales de la rivalité fraternelle, encore plus forte en cas de maladie de l’enfant décédé etc. Les principaux symptômes d’un deuil pathologique Le deuil peut être normal (non pathologique) mais prolongé : il s’agit alors d’un deuil qui peut évoluer vers une certaine chronicité, avec une culpabilité accentuée, la vie des survivants s’organisant autour d’une véritable « statue » du défunt, sans qu’on puisse parler de deuil pathologique (diagnostic différentiel), car il n’existe pas ici de symptômes psychiatriques (il s’agit seulement d’une « non-cicatrisation du deuil » qui en reste à la deuxième étape). Ce type de deuil est particulièrement fréquent dans la fratrie d’enfant décédé, comme si l’enfant survivant tentait, en s’identifiant à l’enfant mort, de récupérer l’attention parentale. Le deuil est dit pathologique s’il apparaît des symptômes psychiatriques chez les survivants qui ne présentaient pas, avant le décès, de pathologie psychiatrique. Les symptômes renvoient à différents tableaux psychiatriques qui peuvent advenir chez les adultes ou les enfants, avec les particularités propres à chaque âge : - Dépression - Trouble de la vie instinctuelle (anorexie, boulimie etc.) - Troubles psychosomatiques - Eléments psychotiques, avec délire plus ou moins organisé autour de l’enfant perdu - Episodes maniaques ou mixtes 5 6 - Episodes hystériques conversifs visant à alléger la souffrance de la perte (cécité fonctionnelle, pour ne pas « voir ») Eléments psychopathiques, conduites addictives, etc. L’évolution peut être très diverse (cicatrisation, aggravation, chronicisation) et dépend à la fois de la réaction de l’entourage (conjoint ; parents pour l’enfant) et de l’aide apportée (à la fois psychothérapique et médicamenteuse). Ainsi, après le décès d’un enfant, le médecin somaticien doit prendre en compte et analyser le vécu des parents pour repérer très tôt les situations propices à l’installation d’un deuil prolongé, voire d’un deuil pathologique. Il est habituel de reconvoquer les familles ou de leur proposer un rendez-vous dès le décès de l’enfant pour suivre l’évolution, et leur permettre de ne pas se sentir abandonnés. Le médecin généraliste référent peut aussi effectuer ce travail extrêmement important qui permet peu à peu aux parents de se reconstruire. Il est à noter que la fratrie ne doit pas être négligée dans cette évaluation, car elle est particulièrement en danger. Il faut pouvoir proposer aux parents un soutien pour elle dans les cas difficiles. Le travail auprès d’enfants atteints de maladies somatiques engageant le pronostic vital est particulièrement éprouvant pour les équipes médicales. Un travail de « Balint » (groupes de médecins somaticiens animé par un psychanalyste) peut les aider à mieux analyser leurs propres émotions pour rester à l’écoute, et capables de soutenir l’enfant et sa famille. Conclusion Lorsqu’un décès à lieu, il faut être attentif au déroulement du travail de deuil : - chez les adultes - chez les enfants. Ces derniers sont encore plus dépendants des réactions de l’entourage. Ils doivent être informés du déroulement des faits, en trouvant des mots adaptés à leur âge, au risque de rester « en attente », inhibés psychiquement (chute scolaire, éléments dépressifs etc. ;) : il ne faut surtout pas croire qu’ils sont insensibles ou aveugles, ou doivent être « protégés » de ce qui se passe par une absence totale d’informations. Celle-ci entraîne généralement des difficultés au niveau du droit que l’enfant se donne de « savoir » (puisqu’on le prive d’une partie de son histoire), avec, bien souvent, des troubles des apprentissages, voire une inhibition psychique plus globale. Par ailleurs, le fait de pouvoir aller « visiter le mort » (cimetière etc.) reste important, beaucoup d’enfants ne pouvant s’organiser une représentation sécurisante du mort s’ils ne savent pas où est son corps. Les adultes doivent rester fiables et disponibles pour eux à ce moment, ce qui est difficile quand ils partagent le chagrin lié à la perte. 6 7 Dans le cas du deuil d’un enfant de la fratrie, les adultes doivent resituer la place de chacun, pour que l’enfant survivant puisse garder la sienne et ne pas s’identifier à l’enfant disparu, en pensant ainsi garder l’amour de ses parents. La collaboration entre pédiatre, médecin généraliste et équipe de pédopsychiatrie est donc particulièrement importante. La formation des personnels soignants également pour repérer les dysfonctionnements interactionnels qui peuvent s’installer à l’occasion d’un deuil. Bibliographie - EPELBAUM, C. – L’enfant atteint de maladie mortelle. Les Cahiers de l’Enfance et de l’Adolescence, N° spécial 2001, 2729. - FREUD, S. Deuil et Mélancolie. Folio, 1999. - RAIMBAULT, G. L’enfant et la Mort. Toulouse, Privat, 1975. 7 1 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 10 – Cancérologie – Oncohématologie Question 142 Prise en charge et accompagnement d’un malade cancéreux à tous les stades de sa maladie. Problèmes psychologiques. "LES SYNDROMES DEPRESSIFS EN CANCEROLOGIE. SIGNIFICATION ET PRISE EN CHARGE" Rédaction : Emmanuelle CORRUBLE, Patrick HARDY I. INTRODUCTION Les progrès thérapeutiques en cancérologie ont permis d'améliorer l'efficacité des traitements, d'en diminuer la pénibilité et d'améliorer le pronostic des affections cancéreuses. Elles deviennent de plus en plus des pathologies au long cours. Malgré les progrès thérapeutiques constants, la représentation sociale du cancer demeure associée à la mort, à la douleur, à l'impuissance et à l'incertitude quant à l'avenir. Les épisodes dépressifs survenant chez les patients atteints de pathologies malignes comportent des points communs avec toutes les autres dépressions. Nous insisterons dans ce texte sur les éléments les plus spécifiques des syndromes dépressifs en cancérologie. II. REPERES EPIDEMIOLOGIQUES La prévalence des épisodes dépressifs chez les patients atteints d'une affection cancéreuse est importante, notablement plus élevée qu'en population générale. Ainsi, 20% des patients ayant reçu un diagnostic de cancer au cours des 12 mois précédents souffrent d'un trouble dépressif. III. ELEMENTS ETIOPATHOGENIQUES Plusieurs types de relations ont été évoqués. 2 Chez certains patients, ces deux pathologies peuvent survenir de façon indépendante l'une de l'autre. Ce cas de figure est relativement rare. De nombreux travaux ont montré que la dépression ou la dépressivité seraient en cause dans la survenue de certains cancers. Cet aspect ne sera pas traité dans ce document. Certains cancers peuvent être la cause de syndromes dépressifs. Il s'agit du type de relations le plus commun. Les mécanismes en cause peuvent être de trois types : - biologiques et/ou lésionnels ; - iatrogéniques, qui devront être systématiquement évoqués ; - psychologiques : la dépression survient alors en réaction à la maladie physique et aux deuils qu'elle impose : deuil de sa santé physique, de son rôle social, de la possibilité de voir évoluer sa famille, deuil de sa prise en charge médicale intensive lorsque l'état clinique s'améliore. Ces mécanismes ne sont pas exclusifs les uns des autres, et, pour la majorité des patients, plusieurs mécanismes parmi les précédents sont intriqués. IV. LES ENJEUX DES EPISODES DEPRESSIFS La première réaction de certains médecins, soignants ou parfois psychiatres, devant un état dépressif associé à un cancer est parfois de penser "c'est normal avec ce qui lui arrive", "on serait déprimé à moins". Cette première réaction pourrait rapidement conduire à considérer que l'état dépressif n'est pas du domaine pathologique et ne nécessite pas de traitement spécifique. Ce serait ignorer les conséquences des épisodes dépressifs, aujourd'hui bien connues : - la souffrance et le dysfonctionnement du patient et dans une moindre mesure de l'entourage ; - le risque suicidaire ; - la péjoration du pronostic de l'affection néoplasique et l'augmentation de la mortalité, notamment via la mauvaise observance des traitements médicaux ou même les refus de soins. Des travaux récents ont par ailleurs montré que les patients atteints d'épisodes dépressifs ne se voyaient pas proposer les mêmes traitements médicaux que les autres patients, comme si les médecins renonçaient à certains moyens thérapeutiques chez les patients déprimés, oubliant par là même que la dépression est, non pas une fatalité, mais une pathologie qui se soigne et se guérit dans la plupart des cas, à condition de s'en donner les moyens. V. QUELS CANCERS ET DANS QUELS CONTEXTES ? 3 V.1. Quels cancers ? Tous les cancers peuvent être associés à des dépressions, les dépressions n'étant pas l'apanage des tumeurs malignes neurologiques centrales. Certains cancers sont toutefois souvent en cause : tumeurs du pancréas, de la sphère ORL ou de la sphère génitale, par exemple. V.2. Dans quels contextes ? Les épisodes dépressifs peuvent survenir à toutes les étapes du diagnostic, du traitement et de l'évolution du patient. Une dépression peut ainsi apparaître : 1. Chez un patient porteur d'un cancer encore méconnu, le plus souvent profond (cancer du pancréas par exemple) 2. A l'annonce du diagnostic : Le diagnostic de cancer est déjà une cause importante de stress. Même si les progrès thérapeutiques modifient l'image des cancers dans l'esprit de chacun, l'évocation du diagnostic de cancer renvoie toujours le patient à la possibilité, concrète et à court terme, de sa propre mort. Une réaction de sidération anxieuse suit fréquemment l'annonce du diagnostic et des éventualités thérapeutiques, et s'accompagne souvent d'un sentiment de perte de contrôle du corps et de la vie et d'une crainte du handicap physique. Cette réaction peut laisser la place à un authentique épisode dépressif. Ainsi, les premiers mois qui suivent le diagnostic constituent une période de prévalence élevée de la dépression chez les patients cancéreux. 3. A l'arrêt du traitement : Il n'est pas rare d'observer des troubles dépressifs au décours de l'arrêt des traitements, et ce même si ces derniers ont été à l'origine d'un succès thérapeutique et si l'état somatique des patients s'est amélioré. Du fait des progrès thérapeutiques, ces cas sont de plus en plus fréquents. Des arguments psychologiques tels que le deuil du statut de malade ont pu être évoqués. La diminution des doses de corticoïdes et l'épuisement physique et psychologique induit par les traitements peuvent aussi jouer un rôle dans la survenue de ces épisodes. 4. Lors d'une récidive : Il s'agit d'une étape physique et psychologique délicate. Elle peut favoriser l'émergence d'un épisode dépressif. 5. Comme complication d'un traitement : Les effets indésirables des traitements chimiothérapiques ou radiothérapiques, comme l'asthénie, l'alopécie peuvent favoriser l'émergence d'épisodes dépressifs, par des effets physiques (dimension d'épuisement) et psychologiques (modifications de l'image du corps notamment). 4 Certains médicaments utilisés dans les traitements des cancers peuvent aussi avoir des effets iatrogèniques dépressogènes spécifiques. On citera par exemple les traitements par corticoïdes, interféron alpha, interleukine, vincristine, vinblastine, ou dacarbazine. Si l'on envisage la possibilité d'un facteur iatrogénique, il faudra, autant que possible et en concertation avec les médecins, tenter de les contrôler. 6. Dans un contexte de handicap physique et de restriction des activités et/ou des relations sociales : Dans de nombreux cas, la maladie et ses traitements induisent un handicap physique et une restriction des activités et relations sociales. Ceci peut expliquer en partie la survenue d'états dépressifs. 7. Dans un contexte de la douleur chronique et de la fin de vie : Les épisodes dépressifs sont fréquents dans ce contexte. Ils ont été abordés dans le module "douleur - soins palliatifs - mort". Le renoncement aux traitements curatifs, et le désinvestissement de la part des équipes soignantes sont souvent des facteurs favorisants des épisodes dépressifs chez les patients cancéreux. VI. PROBLEMES POSES PAR LE DIAGNOSTIC ET LE PRONOSTIC DES EPISODES DEPRESSIFS Aujourd'hui, les épisodes dépressifs sont insuffisamment diagnostiqués et traités chez les patients atteints d'affections cancéreuses. Une étude récente montre que dans des services d'oncologie médicale, moins de 50% des patients déprimés sont identifiés comme ayant une souffrance psychologique et adressés à un psychiatre. VI.1. La formation insuffisante des somaticiens : Les soignants somaticiens craignent, parfois d'induire une souffrance psychologique en abordant la question de la souffrance psychologique, ils estiment parfois ne pas avoir les compétences suffisantes pour aborder ce type de questions et peuvent craindre de se démarquer de l'équipe de soins en abordant ce type de questions. Dans bien des cas, il s'agit là de réactions défensives face à l'angoisse que peut générer chez le soignant, la souffrance psychologique de son patient. En effet, la souffrance psychologique du patient peut renvoyer le soignant à sa propre angoisse de mort et à son impuissance thérapeutique. On retiendra que la souffrance psychologique du patient nécessite d'être exprimée, entendue et prise en compte et que chaque soignant devrait être capable de s'interroger sur les réactions psychologiques que suscite chez lui la souffrance de son patient. Ce travail relève de la compétence de tout médecin et de tout soignant. VI.2. Eléments sémiologiques : 5 La dépression comporte des symptômes psychiques, cognitifs et somatiques. Les signes somatiques de la dépression sont difficiles à évaluer chez les patients atteints d'affections somatiques, car leur attribution à l'épisode dépressif ou au cancer peut poser problème. Les pathologies cancéreuses induisent ainsi souvent une asthénie, une anorexie, des plaintes douloureuses. Les symptômes somatiques sont donc moins contributifs pour faire un diagnostic de dépression chez les patients cancéreux que chez les autres patients. Pour établir un diagnostic d'épisode dépressif, les symptômes dépressifs les plus discriminants chez les patients présentant une pathologie cancéreuse sont les suivants : humeur dépressive, perte d'espoir, pessimisme, sentiments d'inutilité, d'incapacité ou de culpabilité inappropriée, sentiment de ne pouvoir être aidé, sentiment que la maladie est une punition, ralentissement psychomoteur ou agitation, diminution des intérêts ou du plaisir dans la plupart des activités, idées récurrentes de mort ou de suicide, troubles du sommeil, troubles de la mémoire, de l'attention et de la concentration, indécision. Ces symptômes prédominantes souvent le matin. VI.3. Les limites entre normal et pathologique et les différents types de troubles dépressifs : Une tristesse, des fluctuations de l'humeur, un découragement sont des sentiments qui ne sont pas toujours pathologiques et qui sont parfois adaptés au cours de certaines étapes de la maladie cancéreuse. Ils ne sont pas nécessairement synonymes d'épisode dépressif. Toutefois, s'ils sont intenses, s'ils s'installent dans le temps, s'ils sont associés à d'autres symptômes, ils doivent faire évoquer la possibilité d'un épisode dépressif. Les systèmes critériologiques se sont efforcés de définir des seuils de la pathologie. - Un épisode dépressif caractérisé ou "majeur" se définit par la présence, pendant une période d'au moins deux semaines, d'un nombre suffisant de symptômes dépressifs, d'une souffrance du sujet et d'un dysfonctionnement associés, ainsi qu'un changement par rapport à l'état antérieur. Cette définition a été évoquée en détail dans le cours consacré aux épisodes dépressifs. Dans le cas particulier où l'on considère que cet épisode dépressif est une conséquence physiologique directe du cancer, on retient la catégorie diagnostique "épisode dépressif dû à une affection médicale générale". - Certains patients présentent des tableaux symptomatiques incomplets, n'atteignant pas le seuil des épisodes dépressifs caractérisés, et qui surviennent en réaction à un facteur de stress survenu dans les trois mois précédents. Ce facteur de stress peut être la révélation du diagnostic de cancer, l'annonce d'un traitement mutilant ou l'annonce d'une rechute par exemple. Pour ces patients, les classifications internationales proposent le diagnostic de "trouble de l 'adaptation avec humeur dépressive". 6 Ce sont ces derniers types de troubles qui posent avec le plus d'acuité la question des limites entre normal et pathologique. VI.4. Qu'en est-il du risque suicidaire chez les patients cancéreux ? quelles relations entre suicide et dépression ? Le risque suicidaire est plus élevé chez les patients cancéreux que dans la population générale : chez eux, le risque suicidaire est en effet multiplié par 1,5 à 2,0, voire même par 15 dans la première année qui suit le diagnostic. Les cancers les plus souvent impliqués sont les cancers ORL, du poumon, gastro-intestinaux et du sein. Le suicide survient dans les suites immédiates du diagnostic (18%), en période de rémission (42%), ou en phase terminale (30%). Les moyens utilisés sont plus violents qu'en population générale (défenestration, pendaison). Comme en population générale, le sexe masculin est un facteur de risque et 2 pics d'âge sont retrouvés (adultes jeunes et sujets âgés). Le suicide survient dans 85% des cas dans un contexte de trouble psychiatrique : il s'agit d'une dépression dans 80% des cas, mais on estime aussi que 20% des cancéreux qui se suicident présentent une confusion mentale ou un syndrome mental organique. Le risque suicidaire est inhérent aux épisodes dépressifs. L'évaluation du risque suicidaire est un point essentiel qui conditionnera en partie la démarche thérapeutique. Elle repose, non sur un paramètre unique entièrement fiable à lui seul, mais sur un faisceau d'arguments. Chez les patients cancéreux déprimés, les facteurs de risque de suicide les plus spécifiques sont : la symptomatologie douloureuse, les problèmes majeurs d'image du corps, les complications sévères des traitements somatiques (comme par exemple les neuropathies secondaires aux chimiothérapies), les conceptions très négatives des possibilités de soins. VII. CERTAINS PATIENTS CANCEREUX ONT-ILS PLUS DE RISQUES QUE D'AUTRES DE DEVELOPPER UNE DEPRESSION ? Chez les patients cancéreux, on peut retrouver des facteurs de vulnérabilité dépressive propres à chaque individu et des facteurs qui sont plus spécifiquement associés au cancer. Ce sont ces derniers qui retiendront notre attention. Il semble que ce soit le mode d'adaptation psychologique à la maladie (modes de "coping") qui permette le mieux de prédire la survenue d'un épisode dépressif chez un patient cancéreux: - Les patients qui sont capables de trouver une explication à leur maladie ont, en règle générale, une meilleure adaptation à leur maladie. Les questions qu'ils se posent sont 7 - - souvent (" Pourquoi moi ?", " Pourquoi maintenant ?", " Qu'ai-je donc fait pour mériter cela ?"). Les patients infèrent souvent que leur cancer est le résultat de leur fragilité personnelle, de leur incapacité à faire face à une situation ou à exprimer leur anxiété dans certaines situations. Parfois, ils attribuent à autrui la responsabilité de leur maladie. Les patients font mieux face à leur maladie s'ils pensent qu'ils peuvent contribuer à leur guérison. Ainsi, en règle générale, les patients qui sont actifs dans des organisations ou des groupes de patients, qui utilisent des techniques comme la relaxation, les régimes, le yoga ont un meilleur pronostic que les autres, à moins que leur façon de se battre contre leur maladie ne devienne une obsession autour de laquelle toute leur vie s'organise. De même, les patients font mieux face à leur maladie s'ils ont pu en parler à leur entourage proche, plutôt que s'ils gardent cette information " secrète". La perception par le patient du soutien des soignants est un autre élément important. Un suivi de qualité, associé à une information adaptée et à un bon niveau d'écoute, peuvent permettre de prévenir la survenue de certains épisodes dépressifs. Certains soignants éprouvent parfois des difficultés à communiquer avec les patients cancéreux. Cela les renvoie en effet à leur propre angoisse de mort et à leurs échecs thérapeutiques. Cela les conduit, consciemment ou le plus souvent inconsciemment, à éviter les contacts avec les patients, à moins que ceux-ci ne soient absolument nécessaires. Il s'agit d'un facteur de risque de développer un épisode dépressif pour le patient. Les éléments précédents doivent être systématiquement recherchés avec un patient cancéreux et doivent faire partie intégrante du travail thérapeutique. VIII. TRAITEMENTS CURATIFS DES EPISODES DEPRESSIFS VIII.1. Le contexte thérapeutique : Interaction nécessaire entre les soignants : Le traitement de l'épisode dépressif doit reposer sur une bonne articulation entre soignants, psychiatres, psychologues, somaticiens. Cette articulation a pour objectif d'échanger des informations, de permettre aux soignants d'exprimer et de gérer 8 leurs propres difficultés, de permettre au patient de recevoir une information aussi pertinente que possible à propos de sa maladie et de son pronostic, et d'élaborer une stratégie thérapeutique commune. Indications de l'hospitalisation : L'hospitalisation doit être proposée (voire, dans de rares cas, imposée) dans les cas suivants : en cas de dépression mélancolique sévère ; lorsque le risque suicidaire est important ; lorsqu'il existe des caractéristiques psychotiques ; lorsqu'une surveillance particulière est justifiée lors de l'instauration du traitement ; lorsqu'il existe un isolement social ou un environnement matériel ou affectif défavorable ; lorsque la dépression est résistante au traitement ; enfin, lorsqu'on observe une aggravation du tableau clinique malgré une thérapeutique a priori bien conduite. Traiter la dépression et la maladie somatique associée : Il s'agit d'un point essentiel. Le seul traitement du cancer ne permettra pas, en règle générale, de guérir la dépression, et vice-versa. VIII.2. Le traitement antidépresseur : Il constitue une des premières étapes du traitement de la dépression du patient cancéreux. - - - Le choix de l' antidépresseur : Il repose sur plusieurs points articulés autour du rapport bénéfices/risques. Le premier point est la nécessité d'un antidépresseur efficace. Les études montrent que les antidépresseurs sont moins efficaces chez les patients présentant des maladies somatiques que chez les autres. Les causes de ce phénomène sont probablement multiples (Popkin et al., 1985). On citera une efficacité intrinsèque inférieure, une tolérance parfois médiocre induisant une faible compliance et un sousdosage du traitement, et enfin des interactions pharmacocinétiques. Le deuxième point est la prise en compte des propriétés associées, comme par exemple l'efficacité sur la symptomatologie douloureuse ou la symptomatologie anxieuse. Le troisième point est la nécessité d 'un antidépresseur bien toléré compte tenu du terrain somatique. La prise en compte des interactions pharmacocinétiques est essentielle, notamment chez le sujet polymédiqué, chez le sujet présentant une insuffisance hépatique ou rénale, chez le sujet recevant des traitements se liant aux protéïnes plasmatiques (AVK) ou inhibant les systèmes du cytochrome P450. 9 - - La prise en compte des interactions pharmacodynamiques est tout aussi importante. On citera par exemple les propriétés anticholinergiques, les propriétés alpha 1 bloquantes, l'effet quinidine-like des antidépresseurs imipraminiques. Il est aussi utile de considérer les effets indésirables spécifiques de la molécule. On évitera par exemple les antidépresseurs susceptibles d'induire des nausées chez les patients cancéreux traités par chimiothérapie émétisante. Le choix de la dose d'antidépresseurs : Les doses efficaces standard sont établies chez des patients ne présentant pas de maladies somatiques. Les patients " somatiques" sont particulièrement sensibles aux effets indésirables et sont sujets aux interactions pharmacocinétiques et pharmacodynamiques. On débutera le traitement avec des doses relativement faibles et on augmentera les doses plus lentement. La durée du traitement antidépresseur : Il existe très peu de données sur ce sujet puisque les études disponibles ont une durée comprise en règle générale entre 4 et 8 semaines. Compte tenu du risque de rechute et de récurrence qui existe chez ces patients, la durée actuellement recommandée est d'au moins 6 mois après la rémission complète. VIII.3. Les interventions thérapeutiques associées aux antidépresseurs : Elles ont un rôle essentiel dans le traitement du patient déprimé présentant une affection cancéreuse. Elles comportent l'éducation du patient sur la dépression, les antidépresseurs et leurs relations avec la maladie somatique, l'information des soignants somaticiens afin d'obtenir leur collaboration, les interventions auprès de la famille, et les psychothérapies, notamment de soutien, ou à médiation corporelle. La psychothérapie de soutien devrait pouvoir être proposée à tous les patients. Elle permet aux patients de parler de leurs problèmes et d'exprimer leurs sentiments sans avoir peur d'être jugés. Ces patients ont parfois un point de vue pessimiste quant à l'évolution de leur maladie et ont l'impression que la poursuite des traitements est inutile. En particulier dans les phases précoces de la maladie cancéreuse, les patients et leurs familles ont besoin d'être informés, encouragés, et compris psychologiquement. Ultérieurement, ils peuvent nécessiter une aide pour accepter et s'adapter au handicap physique ou au diagnostic de maladie terminale. Lorsqu'il existe des facteurs qui risquent de pérenniser la symptomatologie dépressive, il convient de proposer des approches psychothérapiques plus spécifiques et formalisées. 10 L'indication d'une psychothérapie est établie à partir de plusieurs éléments qui seront systématiquement évalués : la réaction du patient à sa maladie, l'effet de la maladie sur la capacité du patient à assumer son rôle professionnel et familial, et comment la maladie interfère avec l'image qu'il a de lui-même et de son corps, son niveau de motivation et ses capacités d'élaboration psychique. Pour ces patients, des approches de type thérapie cognitivo-comportementale ou psychothérapie d'inspiration psychodynamique ou relaxation ou psychothérapie de groupe pourront être adjointes au traitement médicamenteux. IX. UNE PREVENTION DES EPISODES DEPRESSIFS CHEZ LES PATIENTS ATTEINTS DE CANCERS EST-ELLE POSSIBLE ? Les études disponibles n'ont pas permis de démontrer avec certitude l'efficacité des interventions psychologiques dans la prévention des épisodes dépressifs chez le patient cancéreux en général. Toutefois, les psychothérapies de soutien ou cognitivocomportementales ont leur intérêt chez certains patients dans cette indication. De même, certains éléments sont importants pour la qualité de vie du patient au cours de sa maladie : qualité de la relation avec son médecin, information à propos du diagnostic et du traitement, conseils pratiques sur la façon de faire face à la maladie et aux complications du traitement, opportunité pour le patient de parler de ses problèmes et de ses sentiments, participation à des groupes psycho-éducationnels. X. CONCLUSION Bien que facteurs de péjoration du pronostic du cancer, de souffrance, de dysfonctionnement, de suicide, les épisodes dépressifs demeurent insuffisamment diagnostiqués et traités chez les patients atteints de cancers. Il est donc fondamental de former les professionnels et d'informer les patients et leur entourage. La prise en charge doit être concertée entre médecins, soignants, psychiatres et psychologues. Les traitements les plus efficaces des syndromes dépressifs en cancérologie associent traitement médicamenteux antidépresseur et soutien psychothérapique voire psychothérapie plus formalisée selon les cas. 11 Pour en savoir plus : Eschwège F. Dépression et cancer : le point de vue du cancérologue. L'Encéphale 1994 ; XX : 657-660. Gay C. Dépression et cancer : aspects thérapeutiques. L'Encéphale 1998 ; Numéro Hors série 2 : 72-80. Marx G, Gauvain-Picard A, Saltel P. Anxiété, dépression, cancers : aspects cliniques. L'Encéphale 1998 ; Numéro Hors série 2 : 66-71. Nezelof S, Vandel P. Cancers et dépressions : aspects épidémiologiques. L'Encéphale 1998 ; Numéro Hors série 2 : 59-65. Razavi D. La dépression au cours de la maladie cancéreuse. L'Encéphale 1994 ; XX : 647-655. 12 RESUME 1. Les troubles dépressifs sont fréquents chez les patients atteints d'une affection cancéreuse (ils s'observent chez 20% des patients ayant reçu un diagnostic de cancer au cours des 12 mois précédents). 2. Habituellement secondaires au cancer, ces troubles peuvent être liés à différents facteurs : facteurs biologiques et/ou lésionnels ; facteurs iatrogéniques ; facteurs psychologiques, enfin. 3. Eux-mêmes source de souffrance, de handicap et de risque létal (suicide), les troubles dépressifs péjorent souvent le pronostic cancéreux (mauvaise adhésion aux soins, résignation médicale). 4. Ces troubles dépressifs peuvent apparaître à toutes les phases de l'évolution du cancer : chez un patient porteur d'un cancer encore méconnu ; à l'annonce du diagnostic (+++) ; après l'arrêt du traitement ; lors d'une récidive ; au cours du traitement (comme complication) ; en cours d'évolution, comme conséquence d'un handicap ou d'une douleur chronique ; en fin de vie. 5. Les troubles dépressifs demeurent encore insuffisamment diagnostiqués et traités. Plusieurs éléments contribuent à cet état de fait : la formation encore insuffisante des praticiens ; l'intrication symptomatique symptômes liés au cancer et symptômes dépressifs (dans ce contexte, les symptômes émotionnels et cognitifs sont les plus spécifiques de la dépression) ; la difficulté à distinguer parfois entre humeur normale et pathologique (la dépression pouvant être diagnostiquée comme "épisode dépressif" ou comme "trouble de l'adaptation avec humeur dépressive"). 6. Le suicide est relativement fréquent chez les cancéreux (risque multiplié par 15 dans la première année qui suit le diagnostic) : il survient dans 85% des cas dans un contexte de trouble psychiatrique (70% des cancéreux suicidés sont déprimés, 20% présentent une confusion mentale ou un syndrome mental organique). 7. Les patients cancéreux partagent les mêmes facteurs de vulnérabilité dépressive que les autres individus. Certains facteurs leur sont toutefois plus spécifiques : insuffisante capacité d'adaptation psychologique à la maladie ("coping"), perception par le patient d'un bon support de la part des soignants, notamment. 13 8. Un diagnostic de dépression nécessite un traitement spécifique (le traitement anticancéreux ne peut suffire à lui seul). Les patients cancéreux étant souvent polymédicamentés, le traitement pharmacologique devra particulièrement prendre en compte la tolérance ainsi que les effets pharmacocinétiques et pharmacodynamiques des antidépresseurs. Les interventions éducationnelles et psychothérapiques jouent également un rôle essentiel dans la prévention et le traitement des troubles dépressifs. PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 11 - Synthèse clinique et thérapeutique Question 168 EFFET PLACEBO ET MÉDICAMENTS PLACEBO Rédaction : M.-F. Poirier Objectif pédagogique général Définir l’effet placebo Connaître les mécanismes psychologiques expliquant l’effet placebo L’effet placebo est un effet indiscutable. Il varie au cours du temps. Le mot placebo vient de la première personne du singulier du futur du verbe placere, je plairai. Il a été décrit au 18ème siècle comme une « méthode commode de traitement ». Pierre Pichot a défini en 1961 l’effet placebo de la manière suivante : « l’effet placebo est, lors de l’administration d’une drogue active, la différence entre la modification constatée et celle imputable à l’action pharmacologique de la drogue ». Le placebo se définit comme une substance inerte qui est délivrée dans un contexte thérapeutique. L’effet placebo souligne que le contexte d’utilisation d’un médicament est déterminant. Dans les essais d’antidépresseurs, par exemple, les patients sous placebo présentent des effets indésirables alors qu’ils reçoivent une substance inerte. Il existe aussi une proportion importante de patients qui voient leur état d’humeur s’améliorer sous placebo. L’effet propre du placebo est différent de l’absence de traitement. L’une des explications de l’effet placebo est le conditionnement. Les expériences antérieures satisfaisantes avec un médicament et les antécédents du patient déterminent sa réponse au placebo. Les attentes du patient et sa foi envers le médecin interviennent dans l’amplitude et la nature de l’effet placebo. Cette observation est particulièrement nette en ce qui concerne les traitements de l’anxiété et de la douleur. Les facteurs influençant la réponse placebo sont : - le type de maladie - les attentes du patient et du médecin - la qualité de la relation médecin-patient - la personnalité du patient (il n’existe cependant pas de personnalité placebo-répondeur typique). L’objet placebo est également déterminant. La présentation, la couleur et le goût du médicament le déterminent. Les industriels s’attachent également à choisir des noms évocateurs. Le prix (médicament cher donc efficace) détermine aussi le placebo. L’effet placebo existe en psychiatrie et également en médecine. Les taux de réponse au placebo vont de 46 à 73 % pour les maux de tête, de 20 à 58 % pour la migraine, de 3 à 60 % pour l’hypertension, de 14 à 84 % pour les rhumatismes. Il est observé dans tous les essais thérapeutiques de psychotropes y compris dans les schizophrénies, les états maniaques. Dans les dépressions l’effet placebo peut être rapporté chez près de 50 % des sujets. PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 11 - Synthèse clinique et thérapeutique De la plainte du patient à la décision médicale – urgences Question 177 Prescription et surveillance des psychotropes Rédaction : E Haffen, P Vandel, F Thibaut, D Sechter. Objectifs pédagogiques Connaître les indications et les principales contre-indications des psychotropes Connaître les différentes situations de prescription : service d’urgence, pratique de ville, hospitalier, spécialiste… Savoir prescrire rationnellement et à bon escient en respectant les indications, en utilisant de manière pertinente les différents produits, en connaissant les risques et effets secondaires inhérents à chacun de ces produits Etre au courant des RMO les concernant Connaître les limites d’efficacité des médicaments et proposer soit conjointement, soit en alternative d’autre modalités de prise en charge. Savoir expliquer le traitement et ses buts Savoir aider le patient à être compliant En 1957, Delay et Deniker ont proposé la classification des psychotropes en fonction de leurs propriétés pharmacologiques et cliniques qui fait toujours référence près d’un demi-siècle plus tard (cf. tableau 1). Nous considérerons les substances destinées à un usage thérapeutique à l’exclusion de toutes autres substances psycho-actives, en particulier celles utilisées dans un but toxicomaniaque. Les antidépresseurs Dans les années 1950, la découverte de deux substances totalement différentes, l’iproniazide (Marsilid®), premier inhibiteur des monoamines oxydases (IMAO), et l’imipramine (Tofranil®), va rapidement révolutionner l’approche thérapeutique des dépressions. Si les antidépresseurs imipraminiques restent un traitement de choix des épisodes dépressifs les plus sévères, les IMAO de première génération n’ont plus qu’un intérêt anecdotique en raison de leur action non sélective associée à de multiples effets indésirables parfois létaux. Pharmacodynamie Les antidépresseurs partagent une spécificité d’action sur les neuromédiateurs centraux : sérotonine, noradrénaline, dopamine. Les mécanismes d’action restent mal connus, mettant en jeu d’autres systèmes de médiation, la régulation des récepteurs neuronaux, des seconds messagers, la sécrétion de facteurs neurotrophiques. La classification pharmaco-clinique des antidépresseurs distingue : les IMAO sélectifs (IMAO A), les imipraminiques, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA), les antidépresseurs spécifiques de la sérotonine et noradrénaline (NaSSA), et les atypiques (cf. tableau 2). Pharmacocinétique et métabolisme L’administration des antidépresseurs s’effectue per os, la voie parentérale n’apportant pas de bénéfice pharmacocinétique en dehors des soins de nursing et de l’effet placebo surajoutés. La biodisponibité est variable selon les produits, de 30 à 80%. Les antidépresseurs sont métabolisés au niveau hépatique. L’élimination s’effectue par voie biliaire et urinaire. Les interactions médicamenteuses sont nombreuses en particulier au niveau métabolique. Les médicaments inhibiteurs des cytochromes P450 (CYP2D6, 3A3/4, 2C19) qui participent à l’élimination des antidépresseurs peuvent provoquer l’augmentation des taux sériques avec majoration des effets indésirables (imipraminiques). Inversement certains antidépresseurs (fluvoxamine, Floxyfral®, paroxétine, Déroxat®, fluoxétine, Prozac®) inhibiteurs des mêmes cytochromes P450 peuvent perturber le métabolisme de médicaments co-prescrits, psychotropes et non psychotropes. Indications 2 Les antidépresseurs sont indiqués dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs, c’est-à-dire caractérisés, d’intensité modérée à sévère. Ils sont également indiqués dans la prévention des rechutes dépressives : nécessité de traiter un épisode pendant au moins 6 mois à partir de la résolution symptomatique ; dans la prévention des récidives : (AMM : sertraline, Zoloft®) : traitement antidépresseur pendant 3 à 5 ans chez les sujets qui ont présenté au moins trois épisodes dépressifs en 3 ans, voire à vie lors de récidives fréquentes et invalidantes. L’association chimiothérapie antidépressive et psychothérapie a fait la preuve de son efficacité. Les dépressions chroniques et résistantes nécessitent des stratégies thérapeutiques complexes associant chimiothérapies et psychothérapies structurées, voire l’utilisation de l’électroconvulsivothérapie. L’intrication de troubles de la personnalité rend plus aléatoire l’efficacité du traitement antidépresseur. Les antidépresseurs sont utilisés dans d’autres troubles psychiatriques en particulier les troubles anxieux : • • • • Troubles obsessionnels compulsifs (antidépresseurs sérotoninergiques) : clomipramine (Anafranil®), fluoxétine (Prozac®), fluvoxamine (Floxyfral®), paroxétine (Déroxat®), sertraline (Zoloft®, AMM à partir de 6 ans). Anxiété généralisée : paroxétine (Déroxat®), venlafaxine (Effexor®). Troubles paniques avec ou sans agoraphobie : imipraminiques, fluvoxamine (Floxyfral®), paroxétine (Déroxat®), citalopram (Séropram®, Séroplex®). Phobies sociales : imipraminiques, paroxétine (Déroxat®). Ils sont également prescrits dans le traitement de certains troubles du sommeil (insomnies, énurésie et narcolepsie (imipraminiques)), les douleurs chroniques (imipraminiques, IRS, IRSNA), les douleurs au décours des maladies cancéreuses, les douleurs post-zostériennes, les migraines (antidépresseurs sérotoninergiques) et névralgies. Principes de prescription, choix d’un traitement antidépresseur Le choix d’un traitement antidépresseur s’articule autour de la connaissance de l’activité thérapeutique et des effets indésirables de la molécule, des antécédents du patient, de la sémiologie de l’épisode dépressif, des contreindications et précautions d’emploi, du rapport bénéfice/risque. Un traitement antidépresseur est efficace dans le traitement de 60 à 70% des épisodes dépressifs majeurs. Les imipraminiques sont préférés dans les épisodes dépressifs majeurs avec caractéristiques mélancoliques. Les IRS sont utilisés 3 dans le traitement des épisodes dépressifs en ambulatoire, notamment en raison de leur meilleure tolérance et sécurité d’emploi. Les antidépresseurs sédatifs sont utilisés dans les dépressions anxieuses, et inversement pour les antidépresseurs stimulants (dépressions avec ralentissement psychomoteur, asthénie, hypersomnie). Chez les sujets présentant des antécédents dépressifs, le choix porte sur le traitement antidépresseur efficace et bien toléré lors de l’épisode précédent. Il est indispensable d’informer le patient sur les effets attendus du traitement qui sont retardés par rapport à l’initiation du traitement (délai d’action de 15 à 21 jours), des effets indésirables possibles, de la nécessité de poursuivre le traitement pendant une durée suffisante qui dépasse la résolution symptomatique. L’ensemble de ces précautions favorise l’observance thérapeutique. L’initiation du traitement antidépresseur s’effectue à dose progressivement croissante en fonction de la clinique et de la tolérance jusqu’à une posologie efficace. La répartition sur le nycthémère n’est ni indispensable (demi-vie d’élimination des antidépresseurs > 12 heures, sauf exception : milnacipran, venlafaxine, tianeptine, IMAO A qui requièrent 2 à 3 prises par jour), ni souhaitable pour des raisons d’observance thérapeutique. Le facteur principal d’échec à un traitement antidépresseur est la prescription à des posologies insuffisantes. En ambulatoire, il est nécessaire de revoir régulièrement le patient (une fois par semaine les 3 premières semaines) afin d’évaluer la tolérance, l’évolution de la symptomatologie, la nécessité d’ajustement posologique ou des coprescriptions (anxiolytiques, hypnotiques). Un traitement sédatif peut être associé à un antidépresseur (benzodiazépines, neuroleptiques sédatifs à faibles doses : lévomépromazine, Nozinan®, cyamémazine, Tercian®). Les anxiolytiques benzodiazépiniques ne protègent pas de la levée de l’inhibition qui apparaît dans les 48 à 72 heures après introduction de l’antidépresseur. Les antidépresseurs de nouvelle génération ont un index thérapeutique plus élevé que les imipraminiques, ils seront préférés en ambulatoire, notamment chez les sujets à risque (impulsivité, antécédents de passage à l’acte suicidaire). Ils sont également mieux tolérés que les imipraminiques, surtout lors de prescription au long cours, ce qui favorise l’observance thérapeutique. L’inefficacité d’un traitement antidépresseur n’est envisagée qu’après vérification du diagnostic (recherche de co-morbidités), de l’observance, de la posologie et de la durée de prescription (au moins 4 semaines). L’alternative à une réponse insuffisante, à la persistance (ou à l’aggravation) de la symptomatologie consiste à changer de classe d'antidépresseur, avoir recours à 4 un antidépresseur imipraminique à posologie efficace (indispensable avant d’évoquer une dépression résistante), voire à l’électroconvulsivothérapie. La persistance de symptômes résiduels augmente significativement le risque de rechute et de récidive. Surveillance, effets indésirables et contre-indications La surveillance du traitement porte sur l’efficacité, la tolérance et l’observance thérapeutique. La durée du traitement à dose efficace est de 6 mois minimum à partir de la guérison symptomatique de l’épisode. L’arrêt s’effectue par paliers successifs sur plusieurs semaines afin d’éviter un syndrome de sevrage (discontinuation). Lors de traitement au long cours sur plusieurs années, l’arrêt sera très progressif sur plusieurs mois. Les dosages plasmatiques des antidépresseurs sont réalisés en routine pour l’adaptation posologique des antidépresseurs imipraminiques. Ils se pratiquent pour vérifier l’ajustement des doses en fonction du métabolisme hépatique, des interactions éventuelles lors d’associations médicamenteuses, l’observance, pour surveiller les patients à risque d’effets indésirables (fortes posologies, insuffisance hépatique, rénale, sujets âgés). En urgence, le dosage plasmatique permet de rechercher un surdosage notamment lors d’une intoxication médicamenteuse volontaire (toxicité si taux > 450 µg/L). Les contre-indications absolues aux antidépresseurs tricycliques sont : le glaucome à angle fermé, l’hypertrophie prostatique, les coronaropathies, les troubles du rythme, l’infarctus du myocarde récent, l’insuffisance cardiaque décompensée, la grossesse, l’association aux IMAO. L’épilepsie, l’insuffisance hépatique et rénale sont des contre-indications relatives. Les contre-indications absolues aux IRS se limitent aux IMAO non sélectifs. Les contre-indications relatives sont relativement restreintes : anticoagulants coumariniques, IMAO sélectifs, β-bloquants, lithium et carbamazépine (adaptation des doses). Les contre-indications absolues aux IMAO A sont les IMAO non sélectifs, les triptans, la péthidine, le dextrométhorphane, les états délirants, les accès maniaques, les enfants de moins de 15 ans. Les contre-indications relatives associent les morphiniques, sympathomimétiques, IRS, grossesse et allaitement. Les effets indésirables des antidépresseurs sont répertoriés tableau 3. 5 Le syndrome sérotoninergique survient essentiellement après association d’antidépresseurs pro-sérotoninergiques (IMAO A, imipraminiques sérotoninergiques, IRS), de lithium à des pro-sérotoninergiques ou lors d’une intoxication aiguë à un pro-sérotoninergique. Les signes cliniques associent une confusion mentale, une hypomanie avec agitation, des myoclonies, des tremblements, une hypo ou hypertension artérielle, une tachycardie, une diarrhée, des sueurs, frissons, une hyperthermie, et dans de rares cas un coma avec hyper-reflexie. Le traitement curatif consiste à suspendre les traitements en cause et à prescrire une benzodiazépine, à mettre en place des mesures de réanimation dans les formes sévères. La prévention consiste à éviter les associations à risque, espacer le remplacement d’un IMAO A par un IRS et inversement. Les neuroleptiques et antipsychotiques La chlorpromazine a été utilisée pour la première fois en 1952 par Henri Laborit comme « stabilisateur végétatif ». En 1957, Delay et Deniker définissent les critères de la classification pharmaco-clinique des neuroleptiques : action psycholeptique sans effet hypnotique ; action inhibitrice de l’excitation, l’agitation, l’agressivité ; action réductrice des états maniaques, des psychoses aiguës et chroniques, effets neurologiques et neurovégétatifs importants ; action principalement sous-corticale. Les neuroleptiques de nouvelle génération ou antipsychotiques n’entrent plus dans cette classification du fait de la réduction significative des effets neurologiques (absence d’effet cataleptique). Pharmacodynamie Les neuroleptiques sont des médicaments ayant essentiellement des effets sur le système dopaminergique (surtout une action antagoniste des récepteurs de type D2). Ce dernier joue un rôle dans la régulation de la vie émotionnelle et le contrôle de la motivation, dans la modulation de la perception ainsi que dans l'organisation des comportements adaptatifs. Ces domaines sont perturbés dans la psychose. Le système dopaminergique joue aussi un rôle dans le contrôle de la motricité et dans l'inhibition de la sécrétion de prolactine, à l'origine des effets secondaires de certains neuroleptiques. A côté des effets sur les récepteurs de type D2, chaque neuroleptique possède un profil d'action spécifique sur d'autres types de récepteurs par exemple sérotoninergiques (qui pourrait contribuer à améliorer les symptômes négatifs et d'autres troubles cognitifs associés à la 6 schizophrénie) ou encore cholinergiques, histaminergiques et alpha1 adrénergiques, à l'origine des effets secondaires. Dans les années 1990, une nouvelle génération de neuroleptiques alliant une bonne efficacité sur les symptômes psychotiques à une meilleure tolérance neurologique a été développée. On les appelle neuroleptiques de seconde génération ou encore atypiques car, aux doses habituellement préconisées, ils n'obéissent plus à l'ensemble des critères décrits par Delay et Deniker (amisulpiride ou Solian , aripiprazole ou Abilify, clozapine ou Leponex, olanzapine ou Zyprexa , rispéridone ou Risperdal ). Pharmacocinétique et métabolisme L’administration des neuroleptiques s’effectue par voie orale ou intramusculaire, dans les situations d’urgence ou pour les formes à action prolongée. La résorption digestive est variable, les produits sont très lipophiles et subissent un catabolisme hépatique avec un effet de premier passage important. La plupart des neuroleptiques sont métabolisés au niveau hépatique par le cytochrome P 450, à ce niveau existent des interactions médicamenteuses possibles. Les métabolites sont nombreux, certains majorent les effets de la molécule mère (phénothiazines). Ils sont éliminés par voie urinaire et biliaire. Les neuroleptiques d’action prolongée sont libérés lentement par hydrolyse et agissent pendant plusieurs semaines. Le penfluridol (Semap®) est le seul neuroleptique d’action prolongée administré par voie orale. Indications Depuis leur introduction, la principale indication des neuroleptiques demeure les troubles psychotiques de l'adulte. Outre les états psychotiques aigus, les psychoses chroniques représentent l'essentiel des prescriptions. Les neuroleptiques ont considérablement amélioré le pronostic évolutif des schizophrénies, d'autant plus que le traitement est instauré précocement. Les autres indications concernent les troubles bipolaires, les troubles comportementaux associés à la démence, le trouble obsessionnel compulsif résistant aux thérapeutiques habituelles. Certains neuroleptiques peuvent être utilisés pour traiter les troubles comportementaux sévères associés aux psychoses de l'enfant. Certains neuroleptiques (cyamémazine ou Tercian , lévomépromazine ou Nozinan ) peuvent être utilisés à titre anxiolytique sur de courtes durées, en cas d'inefficacité des thérapeutiques habituelles. Le tiapride peut être employé lors du sevrage alcoolique, du syndrome de Gilles de la Tourette ou dans certains syndromes douloureux ou choréiques. 7 Les formes injectables de neuroleptiques ont l'indication dans les traitements de courte durée des états d'agitation et d'agressivité au cours des psychoses. Les recommandations les plus récentes préconisent de débuter le traitement le plus précocement possible après établissement du diagnostic de schizophrénie. Le choix du neuroleptique repose sur les effets thérapeutiques et indésirables des neuroleptiques précédemment pris par le patient, sur les préférences du patient, sur les comorbidités somatiques associées contre-indiquant certains neuroleptiques et enfin, sur le risque d'interactions avec d'autres traitements prescrits. L'usage des neuroleptiques de seconde génération, du fait de leur meilleure tolérance neurologique, est recommandé, en première intention, dans le traitement de la phase aiguë de la schizophrénie, sauf chez les patients ayant été traités antérieurement avec succès par un neuroleptique de première génération ou préférant ce dernier. Le choix d'un neuroleptique de seconde génération, par rapport à un autre, est guidé par son profil d'effets secondaires (Tableau 6). Les neuroleptiques de première et de seconde génération sont efficaces dans le traitement des symptômes positifs de la schizophrénie (délire, hallucinations) (effets antipsychotiques ou incisifs). Ils exercent également, pour la plupart d'entre eux, des effets sédatifs en cas d'agitation. Leur efficacité dans le traitement des symptômes négatifs ou déficitaires (émoussement affectif, retrait social…) (effet désinhibiteur et/ ou antidéficitaire) et dans celui des troubles cognitifs demande a être confirmée. Les neuroleptiques à action prolongée sont réservés aux patients non observants ou à ceux qui préfèrent cette voie d'administration dans le cadre de pathologies chroniques (schizophrénie). Leur usage doit toujours être précédé par la prescription du même neuroleptique par voie orale. L'usage de la clozapine (neuroleptique de seconde génération) est réservé, en France, à la schizophrénie sévère et résistante, évoluant depuis au moins 2 ans, sous réserve d'une surveillance hématologique stricte. La précocité de la mise en route du traitement, l'absence de symptômes négatifs, un âge de début plus tardif, le sexe féminin sont des facteurs prédictifs d'une réponse favorable au traitement. Les posologies seront progressivement croissantes. Les doses quotidiennes prescrites lors des phases aiguës de psychose seront de 10 à 30 mg/j pour l'aripiprazole, 10-20 mg/j pour l'olanzapine, 2-8 mg/j pour la rispéridone, 200-800 mg/j pour l'amisulpride, de 5 à 20 mg/j pour l'halopéridol. Il n'y a pas lieu d'associer deux neuroleptiques à visée antipsychotique, ni d'administrer d'emblée un correcteur anticholinergique. 8 Des recommandations spécifiques ont été établies pour les premiers épisodes psychotiques. Les doses de neuroleptiques sont plus faibles (la fourchette maximale est réduite de moitié environ). Le traitement de la phase de stabilisation, au décours de l'épisode aigu, repose sur la poursuite du même traitement pendant au moins un an. En ce qui concerne le traitement d'entretien, si le patient a présenté de multiples épisodes ou deux épisodes en moins de 5 ans, l'utilisation d'un neuroleptique au long cours est préconisée. Dans le trouble bipolaire, les neuroleptiques sont principalement utilisés dans le traitement aigu de la manie, dans les épisodes thymiques avec caractéristiques psychotiques et chez les bipolaires résistants aux thymorégulateurs. Les neuroleptiques de seconde génération seront privilégiés, du fait de leur meilleure tolérance neurologique. Ils peuvent être associés à des thymorégulateurs et éventuellement à des benzodiazépines Surveillance, effets indésirables et contre-indications Le dosage plasmatique n’est pas réalisé en routine, son intérêt est limité (observance, prescription chez l’enfant, résistance aux traitements, surdosage, interactions médicamenteuses). La surveillance d’un traitement neuroleptique est clinique, biologique. Les effets secondaires sont nombreux. En début de traitement, il est recommandé de surveiller la fréquence cardiaque, la tension artérielle et la température. Le bilan sanguin initial comprendra : NFS, ionogramme, bilan rénal, hépatique et un test de grossesse au besoin. Un ECG doit être réalisé s'il existe des facteurs de risque cardiaque. Une surveillance du poids, de la glycémie, du bilan lipidique sont nécessaires, surtout en cas de prescription de la clozapine ou de l'olanzapine. Une surveillance clinique de la tolérance neurologique est également nécessaire. Sous réserve d'une utilisation à doses modérées, les effets indésirables neurologiques (dyskinésies aiguës, syndrome parkinsonien, akathisie, et enfin dyskinésies tardives) sont peu fréquents avec les neuroleptiques de seconde génération. La clozapine peut favoriser la survenue de crises comitiales. Par contre, les effets métaboliques deviennent une préoccupation importante avec certains neuroleptiques de seconde génération (prise de poids parfois importante, diabète de type 2, hyperlipidémie, surtout observés avec l'olanzapine et la clozapine). Une hyperprolactinémie, des effets secondaires sexuels, une sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique peuvent survenir. Des effets secondaires anticholinergiques centraux (confusion) ou périphériques (sécheresse buccale, mydriase, rétention aiguë d'urine, constipation avec parfois occlusion intestinale aiguë) sont surtout observés avec les neuroleptiques 9 sédatifs de type cyamémazine Tercian ou lévomépromazine Nozinan ou encore, pour les neuroleptiques de seconde génération, avec la clozapine ou l'olanzapine. Des effets indésirables cardiaques (hypotension orthostatique, allongement de l'espace QT, à l'origine de syncopes, voire de mort subite par fibrillation ventriculaire) sont observés préférentiellement avec le sultopride ou Barnetil et avec la plupart des neuroleptiques de seconde génération, en dehors de l'aripiprazole. Le risque d'agranulocytose est surtout observé avec la clozapine. Les autres effets secondaires peuvent être hépatiques (cytolyse ou rétention), réactions cutanées, cataracte ou rétinite pigmentaire ; chez la femme enceinte ou allaitant, la clozapine doit être évitée. Le syndrome malin est un accident rare (incidence : 0.5%) mais grave, avec mise en jeu du pronostic vital (20% de décès sans traitement). Il associe une hyperthermie sévère avec pâleur, collapsus, sueurs profuses, rigidité extrapyramidale, hypotension, tachycardie, coma. Les examens biologiques montrent une élévation des CPK, LDH, ASAT et ALAT, une hyperleucocytose. Le traitement, non codifié, passe par des mesures de réanimation. De ce fait, toute hyperthermie non expliquée impose l’arrêt immédiat d’un traitement neuroleptique. Ce risque existe avec tous les neuroleptiques. Il n’existe pas de contre-indications absolues aux neuroleptiques en dehors du phéochromocytome (benzamides), du glaucome à angle fermé (neuroleptiques anticholinergiques), du risque de rétention aiguë d’urine (neuroleptiques anticholinergiques), d’une hypersensibilité, d’un coma toxique, d’un antécédent d’agranulocytose toxique (phénothiazines, clozapine), d’une porphyrie (phénothiazines), d’un allongement de l’espace QT (sultopride, pimozide), d’une bradycardie < 65/minute et d’une hypokaliémie (sultopride). Les antécédents de syndrome malin doivent rendre très prudent. Les contre-indications relatives sont nombreuses : épilepsie, insuffisance cardiaque, arythmies, angor, hypotension orthostatique, maladie de parkinson, insuffisance hépatique et rénale, insuffisance respiratoire, grossesse et allaitement, diabète, sevrage à l’alcool, aux barbituriques et aux benzodiazépines. Les anxiolytiques Les anxiolytiques sont des substances qui appartiennent à des classes chimiques distinctes, dont la propriété pharmacologique essentielle est d’agir sur le système GABAergique. Les anxiolytiques sont représentés par les 10 benzodiazépines, les carbamates, les antihistaminiques, l’étifoxine et le captodiame (cf. tableau 7). les azapirones, Pharmacodynamie L’agonisme GABAergique concerne non seulement les benzodiazépines mais également des apparentés tels que les carbamates, des hypnotiques non benzodiazépiniques (zolpidem, zopiclone) et des anesthésiques généraux. Toutes ces substances présentent des propriétés similaires associant : une action anxiolytique, sédative, myorelaxante, anticonvulsivante, amnésiante et accessoirement orexigène. De ces propriétés pharmaco-cliniques découlent les indications et les précautions d’emploi. Pharmacocinétique et métabolisme Les anxiolytiques offrent une bonne biodisponibilité, le métabolisme est hépatique et l’élimination s’effectue par voie urinaire. L’absorption est quasitotale, seule la vitesse de résorption est variable : selon la formulation galénique : plus rapide avec les solutions buvables que les comprimés ou gélules, selon la voie d’administration : plus rapide par voie veineuse (intraveineuse lente, perfusion) que par voie sublinguale ou orale. L’administration par voie intramusculaire ne présente pas d’avantages en terme de rapidité d’action et la biodisponibilité est mauvaise et irrégulière avec une accumulation dans les tissus puis une redistribution retardée dans le sang circulant. Elle est réservée aux situations où l’observance est compromise, lors d’un risque de surconsommation, ou pour obtenir un effet surajouté (effet placebo plus important lors d’une administration par voie injectable que per os). L’utilisation de la voie intraveineuse se limite aux situations d’urgences et requière une surveillance médicale stricte en raison des risques de détresse respiratoire. L’utilisation de la voie rectale est tombée en désuétude et se limite au traitement des convulsions de l’enfant (diazépam, Valium®). Les métabolites intermédiaires sont actifs et certains métabolites terminaux tels que l’oxazépam (Séresta®) sont commercialisés. Leur utilisation est intéressante chez les insuffisants hépatiques. La distinction entre benzodiazépines à demi-vie courte, intermédiaire ou longue a peu d’intérêt en pratique clinique en raison des métabolites actifs. Les benzodiazépines à demi-vie courte (triazolam, Halcion®) sont peu à peu retirées du marché en raison d’effets amnésiants prononcés. A la différence des barbituriques, les benzodiazépines ne sont pas inducteurs enzymatiques et les interactions pharmacocinétiques sont exceptionnelles. Indications 11 Les anxiolytiques sont indiqués dans les troubles anxieux : anxiété généralisée et attaques de panique, trouble panique (associés aux antidépresseurs), anxiété phobique (associés aux antidépresseurs), troubles obsessionnels compulsifs (associés aux antidépresseurs), troubles de l’adaptation, sevrage alcoolique (en particulier Valium® et oxazépam, Séresta®, les autres psychotropes ne sont pratiquement plus utilisés, notamment le méprobamate, les barbituriques, les neuroleptiques, dont l’efficacité est variable et la tolérance moindre), syndrome douloureux chronique (clonazépam, Rivotril®), syndromes extrapyramidaux iatrogènes, dystonies musculaires, état de mal épileptique, convulsions fébriles de l’enfant, prémédication opératoire, anesthésie générale. Principes de prescription Les anxiolytiques constituent une vaste classe thérapeutique dont le spectre d’activité est souvent similaire. Les effets recherchés lors de la prescription de benzodiazépines sont l’anxiolyse, l’induction du sommeil et/ou l’effet myorelaxant. Elles sont efficaces rapidement dès la première prise, sur une courte période. Il est indispensable de poser correctement l’indication, en raison notamment d’une surconsommation fréquente. Leur utilisation dans l’anxiété situationnelle mineure est un non sens, elles n’ont pas d’action préventive et leur effet est symptomatique et transitoire. La prescription initiale s‘effectue à la posologie la plus faible possible, progressivement croissante, adaptée au patient (en fonction de l’âge, des pathologies somatiques notamment hépatiques et rénales, du poids) et pendant une durée limitée. A posologie habituelle, la répartition est fractionnée sur le nycthémère en deux ou trois prises. Les benzodiazépines doivent être proscrites pendant le premier trimestre de grossesse, au cours de l’allaitement maternel ainsi que chez l’enfant en raison du risque surajouté de conduites addictives ultérieures. A la différence des benzodiazépines, la buspirone a une activité retardée et inconstante après une semaine de traitement. Elle n’entraîne pas de dépendance, ni troubles mnésiques et la sédation est modérée. Les carbamates sont très efficaces mais provoquent une sédation marquée avec une toxicité importante lors d’ingestion massive, un effet inducteur enzymatique et induisent un risque de dépendance. Les antihistaminiques tels que l’hydroxyzine (Atarax®) ont l’avantage de ne pas provoquer de dépendance, mais leur efficacité est moins constante. Les β-bloquants, en particulier le propranolol (Avlocardyl®), sont 12 indiqués dans les manifestations fonctionnelles cardiovasculaires lors de situations émotionnelles transitoires mais n’ont pas d’effet anxiolytique propre. Surveillance, effets indésirables et contre-indications Il n’existe que de rares contre-indications absolues à l’utilisation des benzodiazépines : l’hypersensibilité, la myasthénie, l’insuffisance respiratoire sévère, les apnées du sommeil et l’encéphalopathie hépatique. La vigilance sera accrue chez les sujets insuffisants hépatiques et rénaux, toxicomanes (contre-indications : flunitrazépam, Rohypnol®, clorazépate dipotassique, Tranxène®, dans sa présentation la plus dosée), pendant les 2ème et 3ème trimestre de la grossesse : risque d’hypotonie (syndrome du « bébé mou » ou floppy infant syndrom qui se manifeste par des troubles de la conscience, une hypotonie, des troubles respiratoires, des troubles de la succion et une hypothermie), un risque de détresse respiratoire à la naissance ou de syndrome de sevrage chez le nouveau-né (état de mal épileptique). Les anxiolytiques sont généralement bien tolérés, les effets indésirables sont rares, les interactions médicamenteuses limitées. Les effets secondaires les plus fréquents sont la somnolence diurne (qui pose le problème de l’utilisation de machine dont la conduite automobile), les troubles mnésiques (généralement moins importants que ceux générés par l’anxiété). L’effet sédatif est renforcé par la co-prescription d’autres psychotropes. La prescription doit être systématiquement réévaluée. Elle ne doit pas être isolée et doit s’accompagner d’une prise en charge psychothérapique. L’effet du traitement s’évalue sur deux semaines. En l’absence de résolution symptomatique, il est nécessaire de réviser le diagnostic (rechercher une dépression masquée…). La surveillance des taux plasmatiques n’a aucun intérêt en dehors de la recherche d’une intoxication aiguë. Les benzodiazépines peuvent être associées aux antidépresseurs dans le traitement des épisodes dépressifs caractérisés ou de troubles anxieux spécifiques, mais devront être rapidement arrêtées sauf cas exceptionnel. L’association ne doit être en aucun cas systématique. Les risques majeurs en cas de traitement prolongé sont l’accoutumance, la dépendance physique et psychique, l’usage toxicomaniaque. L’arrêt doit s’effectuer progressivement, par paliers successifs, afin d’éviter un effet rebond de l’anxiété, voire dans de très rares cas, un état de mal épileptique. Le syndrome de sevrage aux benzodiazépines, variable dans son intensité, s’inscrit dans le cadre général des manifestations liées à l’arrêt 13 d’hypno-sédatifs : barbituriques, carbamates et alcool. Le score de Tyrer (1983) permet d’apprécier le risque de dépendance (cf. tableau 8). Les anxiolytiques sont fréquemment utilisés lors de passage à l’acte suicidaire. Si le risque létal est faible, ils ne doivent pas masquer une prise concomitante de substances plus toxiques tels que les antidépresseurs imipraminiques. Les carbamates et l’hydroxyzine peuvent être toxiques à forte dose (troubles cardio-vasculaires corrélés à la méprobamatémie). L’hospitalisation est indispensable, tant pour évaluer les conséquences physiques que pour rechercher les causes et proposer des solutions à la résolution de la crise suicidaire (recommandations de l’ANAES). Les hypnotiques Les hypnotiques (cf. tableau 7) représentent une classe pharmacologique proche des anxiolytiques, dont les propriétés sédatives sont privilégiées. Il s’agit essentiellement de benzodiazépines ou d’apparentés, sachant que les barbituriques ne doivent plus être utilisés dans les troubles du sommeil. Accessoirement certaines substances dont l’effet hypnotique est secondaire, sont prescrites dans cette indication, en particulier les neuroleptiques sédatifs (Nozinan®, Tercian®, Théralène®), et les antihistaminiques (Atarax®, Donormyl®). Indications Les indications des hypnotiques doivent se limiter aux insomnies occasionnelles. La durée de prescription doit être la plus réduite possible et ne devrait pas dépasser 4 semaines, sauf exception. L’association d’hypnotiques n’a pas d’intérêt sur le plan thérapeutique. Le choix est fonction du type d’insomnie : d’endormissement, par réveils multiples, par réveil précoce (il s’agit dans ce cas d’un symptôme avant tout dépressif qu’il faut alors considérer comme tel dans la démarche diagnostique et thérapeutique). Les benzodiazépines à demi-vie courte ou intermédiaire, zopiclone (Imovane®) et zolpidem (Stilnox®) sont préférentiellement utilisées dans le traitement des insomnies d’endormissement et du sujet âgé. Surveillance, effets indésirables et contre-indications 14 Les effets indésirables ainsi que les contre-indications sont ceux des classes pharmacologiques correspondantes. Zopiclone et zolpidem à la différence des benzodiazépines respectent l’architecture du sommeil. Les insomnies rebonds sont principalement décrites avec les hypnotiques à demi-vie courte et prescrits à de fortes posologies. Zopiclone et zolpidem peuvent induire une anxiété de sevrage analogue à l’insomnie rebond en particulier chez les sujets anxieux. Les conduites de dépendance à l’égard des hypnotiques ne sont pas négligeables notamment en ce qui concerne les benzodiazépines à demi-vie courte et intermédiaire. En raison des potentialités toxicomaniaques du flunitrazépam (Rohypnol®), la prescription est limitée à 14 jours avec dispensation fractionnée pour 7 jours. Les effets secondaires au long cours d’hypnotiques non benzodiazépiniques ne doivent pas être négligés. En particulier l’utilisation de neuroleptiques à visée hypnotiques (alimémazine, Théralène®) expose au risque d’effets neurologiques tardifs (dyskinésies tardives). Les thymorégulateurs Les régulateurs de l’humeur constituent une classe pharmacologique restreinte représentée par les sels de lithium d'une part (Téralithe®, Neurolithium®), et les anticonvulsivants ou apparentés d'autre part que sont la carbamazépine (Tégrétol®), l’acide valproïque (Dépakine®), le valproate (Dépakote®) ou le valpromide (Dépamide®). Ces trois dernières substances ont des potentialités équivalentes dans les indications psychiatriques. Le valproate a l’indication (AMM) pour le traitement des épisodes maniaques de la maladie maniacodépressive en cas de contre-indication ou d’intolérance au lithium. Le valpromide est proposé dans la prévention des rechutes chez les sujets souffrant d’un trouble bipolaire de type I et présentant une contre-indication au lithium. L’acide valproïque (Dépakine®), à la différence de la pratique dans les pays anglosaxons, n’a pas d’AMM en France pour le traitement des troubles bipolaires. Pharmacodynamie Les thymorégulateurs agissent directement sur les neuromédiateurs tels que la sérotonine, ont un effet stabilisateur de membrane et modifient les activités enzymatiques protéine-G dépendantes. Pharmacocinétique et métabolisme 15 Ils s’administrent par voie orale et sont métabolisés au niveau hépatique, à l’exception des sels de lithium (ion métallique directement éliminé par voie rénale). Il existe de nombreuses interactions médicamenteuses, notamment avec la carbamazépine, qu’il sera nécessaire de considérer notamment lors de pathologiques somatiques intercurrentes. Indications En dehors des troubles bipolaires de l’humeur, les thymorégulateurs sont proposés dans les troubles du caractère et du comportement et comme adjuvant des thérapeutiques antidépressives dans les dépressions résistantes. Les thymorégulateurs anti-épileptiques seraient plus efficaces que les sels de lithium lors d’une évolutivité importante du trouble de l’humeur avec un âge de début précoce, des cycles rapides, un état mixte ou manie dysphorique, lors de co-morbidités somatiques ou psychiatriques, lors d’antécédents familiaux de troubles bipolaires, enfin lors de résistance, inobservance ou intolérance au lithium. Principes de prescription L’instauration d’un traitement thérapeutique qui comprend : thymorégulateur nécessite un bilan pré- -La recherche de contre-indications, -Un examen clinique complet, notamment neurologique, avec mesure de la masse corporelle (permettant l’ajustement initial de la posologie), -Des examens paracliniques à la recherche d’une pathologie cardio-vasculaire, hépatique, rénale ou thyroïdienne : ECG, bilan hépatique (avant administration d’un thymorégulateur antiépileptique), bilan rénal (avant administration de sels de lithium : créatininémie, clairance de la créatinine, protéinurie, glycosurie, HLM), TSH (avant administration de sels de lithium), ionogramme sanguin (avant administration de sels de lithium : recherche d’une déplétion sodée ou potassique), NFS plaquettes, -Un test de grossesse chez les femmes en âge de procréer. L’initiation du traitement s’effectue de façon progressive sous surveillance clinique et biologique, avec un contrôle régulier des concentrations plasmatiques jusqu’à l’équilibre. Une information claire et précise du patient est nécessaire sur les effets du traitement tant bénéfiques qu’indésirables et sur la nécessité de maintenir la même posologie au long cours. Surveillance, effets indésirables et contre-indications 16 La surveillance au long cours s’articule autour de la surveillance de l’action préventive et de la tolérance au traitement. L’information donnée au patient est un facteur clé de l’observance thérapeutique, qui peut-être facilitée par le recours aux formes à libération prolongée et la prescription en une seule prise quotidienne. L’évaluation porte sur l’efficacité et la survenue d’effets indésirables, le contrôle des concentrations plasmatiques et des examens paracliniques. En ce qui concerne les sels de lithium : -Lithiémie tous les 2 à 3 mois et lors d’une suspicion de surdosage, zone thérapeutique : 0.5-0.8 mEq/L 12 heures après la dernière prise si forme à libération immédiate, 0.8-1.2 mEq/L 12 heures après la prise si forme à libération prolongée, -Contrôle annuel de la TSH, -Contrôle annuel de la clairance de la créatinine. Carbamazépine : -Carbamazépinémie : tous les 2 à 3 mois, zone thérapeutique : 6-10 µg/mL, -Contrôle NFS plaquettes et TP régulier, avec arrêt immédiat du traitement si leucopénie < 3000 ou neutropénie < 1500, -Contrôle régulier transaminases, bilirubine, γGT, avec arrêt immédiat du traitement si altération importante des paramètres biologiques. Valproate : -Valpromidémie : tous les 2 à 3 mois, zone thérapeutique : 60-100 µg/mL -Contrôle régulier NFS plaquettes et TP, avec arrêt immédiat ou diminution du traitement si thrombopénie, -Contrôle régulier transaminases, bilirubine, γGT, avec arrêt immédiat du traitement si altération importante des paramètres biologiques. L’intoxication aux sels de lithium est facilitée par les associations médicamenteuses (AINS, diurétiques, cyclines, 5-nitro-imidazolés), l’insuffisance rénale, la déshydratation, un régime désodé, une pathologie infectieuse. Elle se manifeste par : asthénie, tremblements (lithiémie > 1.2 mEq/L), troubles de la concentration, myoclonies, somnolence, apathie, faiblesse musculaire, dysarthrie, ataxie, nystagmus, vertiges, troubles de la vision, 17 nausées, diarrhée, confusion mentale (lithiémie > 1.6 mEq/L), hypotonie musculaire, perturbations de l’EEG, oligo-anurie, perturbations de l’ECG, hypotension, coma hyperréflexique, décès possible par collapsus cardiovasculaire (lithiémie > 2 mEq/L). L’intoxication par la carbamazépine associe des signes neuro-musculaires (troubles de la conscience, convulsions, vertiges, ataxie, mydriase, nystagmus, hyper- puis hypo-réflexie), cardiovasculaires (tachycardie, hypotension, perturbations de l’ECG, état de choc) et respiratoires. L’intoxication par le valproate associe coma calme, myosis, hypotonie musculaire, hyporéflexie. Les effets indésirables des thymorégulateurs antiépileptiques associent des effets digestifs (hépatopathies, troubles du transit), cardiovasculaires (hypotension, tachycardie), hématologiques (thrombopénie, leucopénie, voire rare tricytopénie), cutanés (alopécie, dermite, épidermite toxique), syndrome confusionnel, prise de poids. Le lithium a la particularité d’induire des effets collatéraux immédiats et retardés après l’initiation du traitement. Les effets immédiats sont caractérisés par des effets digestifs (sécheresse buccale, sensation de soif, nausées, diarrhée), neurologiques (tremblements fins, sensation de vertiges, somnolence), cardiovasculaires (troubles de la repolarisation), rénaux (syndrome polyuropolydipsique réversible), hématologiques (hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles fréquente et réversible). Les effets retardés sont endocriniens (hypothyroïdie ou plus rarement hyperthyroïdie), cardiovasculaires (troubles du rythme et de la conduction, myocardiopathie), rénaux (syndrome polyuropolydipsique, insuffisance rénale), cutanés (acné, rash, prurit, aggravation d’une dermatose chronique), psychiques (troubles cognitifs, ralentissement), prise de poids. Les contre-indications absolues au lithium associent : insuffisance rénale même modérée (clairance de la créatinine < 85 mL/minute), déplétion hydro-sodée, régime hypo- ou désodé, coronaropathie sévère, insuffisance cardiaque instable, allaitement, grossesse (1er trimestre, en sachant que si un traitement thymorégulateur est indispensable pendant cette période, il faudra utiliser la carbamazépine) . Les contre-indications à l’acide valproïque sont : les antécédents d’hépatite médicamenteuse, hépatite aiguë ou chronique, hypersensibilité, porphyrie hépatique, association à la méfloquine (risque de convulsions). 18 Les contre-indications à la carbamazépine sont : bloc auriculo-ventriculaire, allaitement, antécédent d’hypoplasie médullaire, porphyrie aiguë intermittente, hypersensibilité, IMAO non sélectifs, insuffisance hépatique. La consommation de boissons alcoolisées est formellement déconseillée chez les patients traités par des anticonvulsivants. Les psychostimulants La classe des médicaments psychostimulants, après la mise en évidence des propriétés toxicomanogènes des amphétamines et leur retrait progressif, se limite aujourd’hui au méthylphénidate (Ritaline®), à l’adrafinil (Olmifon®) et à son métabolite actif le modafinil (Modiodal®). Il existe accessoirement de nombreuses substances commercialisées comme anti-asthéniques. Pharmacodynamie et pharmacocinétique Le méthylphénidate est un dérivé amphétaminique qui augmente la concentration de monoamines cérébrales (dopamine et noradrénaline) dans la fente synaptique. La résorption digestive est complète mais la biodisponibilité de 30% en raison d’un effet de premier passage hépatique important. L’adrafinil et le modafinil sont des psychostimulants non amphétaminiques dit « eugrégoriques » qui ont un effet alpha-1 adrénergique au niveau cérébral. Les interactions médicamenteuses sont nombreuses en raison d’un effet inducteur enzymatique. Indications Le méthylphénidate est indiqué dans les troubles de l’attention de l’enfant avec hyperactivité au-delà de 6 ans et dans le traitement de la narcolepsie en cas d’échec du modafinil. Le modafinil est indiqué dans le traitement de la narcolepsie (efficacité sur les accès de sommeil diurne mais pas sur la cataplexie qui doit être traitée par un imipraminique) et de l’hypersomnie idiopathique. L’adrafinil, moins stimulant, est indiqué dans les troubles de la vigilance et de l’attention du sujet âgé. Principes de prescription La prescription initiale de méthylphénidate est réservée aux médecins hospitaliers : psychiatres, pédiatres, neurologues et médecins de centre d’exploration du sommeil et nécessite une confirmation diagnostique par une 19 équipe pluridisciplinaire. Le renouvellement est possible par tout médecin. La posologie initiale est de 5 mg matin et midi avec augmentation progressive par paliers de 5 à 10 mg par semaine. La prise le soir n’est pas recommandée en raison de l’insomnie induite. La posologie maximale est de 60 mg jour. En raison du retentissement staturo-pondéral, la prise peut-être arrêtée le week-end. La prescription d’adrafinil est possible par tout médecin. Par contre, pour le modafinil, l’initiation de la prescription est limitée aux psychiatres et neurologues hospitaliers. Il s’agit d’un médicament onéreux dont la dispensation est spécifique (ordonnance de médicament d’exception). Surveillance, effets indésirables et contre-indications La surveillance est centrée sur l’évaluation clinique, la recherche d’un surdosage et d’une mauvaise tolérance qui peut faire interrompre le traitement. Les effets indésirables sont nombreux notamment en ce qui concerne le méthylphénidate. Ils sont essentiellement neurologiques et psychiques. La surveillance tensionnelle est recommandée (risque d’hypertension artérielle). Les contraceptifs oraux sont déconseillés avec le modafinil (inactivation). Les IMAO, anesthésiques volatils et les agents vasopresseurs sont contre-indiqués avec le méthylphénidate. Pour en savoir plus Thérapeutique psychiatrique. Senon JL, Sechter D, Richard D, Editeurs. Hermann, 1995. Essential psychopharmacology. Stahl S, Editor. Second edition. Cambridge University Press, 2000. Essentials of clinical psychopharmacology. Schatzberg AF, Nemeroff CB, Editors. American psychiatric Publishing INC, 2001. Stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques. (Conférence de consensus - 13 - 14 janvier 1994), ANAES. Prescription des hypnotiques et anxiolytiques. Recommandations et Références Médicales 1995 - Tome 2. 20 Prescription des neuroleptiques. Recommandations et Références Médicales 1995 - Tome 2. Suivi des psychotiques. Recommandations et Références Médicales 1995 - Tome 2. Médicaments antidépresseurs (Décembre 1996). Supplément au n° 42 du Concours Médical du 14/12/96 - Recommandations et Références Médicales 1996 Prise en charge d'un épisode dépressif isolé de l'adulte en ambulatoire (Mai 2002), ANAES. Pharmacologie et mode d'action des neuroleptiques (Part I). Modalités d'utilisation des neuroleptiques (Part II). N Franck et F Thibaut. A paraître dans l'Encyclopédie Médico-Chirurgicale Psychiatrie en 2005. 21 Tableau 1 Substances psychotropes Effets dépresseurs Action sur la vigilance Action sur l'anxiété Régulation Action sur l'humeur et autres fonctions Action sur l’humeur Effets stimulants Action sur la vigilance Action sur l'humeur anxiolytiques benzodiazépines antihistaminiques carbamates azapirones etifoxine captodiame nooanaleptiques hypnotiques benzodiazépines cyclopyrrolones imidazopyridines antihistaminiques autres 22 TABLEAU 3 Spécialités DCI Effets anticholinergiques sécheresse buccale, constipation, troubles de l'accommodation, mydriase, dysurie, élévation de la pression intra-oculaire Effets cardiovasculaires hypotension artérielle tachycardie troubles du rythme et de la conduction Tricycliques (imipraminiques) Pertofran® Tofranil® Anafranil ® Prothiaden® Ludiomil ® Défanyl® Quitaxon® Laroxyl® Elavil® Surmontil ® désipramine imipramine clomipramine dosulépine maprotiline amoxapine doxépine amitriptyline trimipramine IMAO A Moclamine® Humoryl® moclobémide toloxatone +/+ -k - - - IRS Prozac® Zoloft® Séropram®, Séroplex® Déroxat® Divarius® Floxyfral® fluoxétine sertraline citalopram paroxétine fluvoxamine +/+ +/+ +/+ ++ / + +/+ +/+ ++ / ++ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ - IRSNA Effexor® Ixel® venlafaxine milnacipran ++ / + ++ / + -k -k +/+ +/+ - NaSSA Norset® mirtazapine ++ / + +/+ - - Atypiques Vivalan® Stablon® Athymil viloxazine tianeptinej miansérine +/+ +/+ - ++ / ++ +/+ +/+ +/+ + / ++ - +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / + + + + + + + + + +++ / ++ +++ / ++ +++ / ++ +++ / ++ +++ / ++ +++ / ++ +++ / ++ +++ / ++ +++ / ++ +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / +++ / + + + + + + + + + + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / + : fréquence ( + : rare, +++ : fréquent) / sévérité (+ : bénin, +++ : grave, nécessitant arrêt du traitement et/ou mesure thérapeutique adaptée) Tous les antidépresseurs exposent au risque suicidaire par levée de l'inhibition, de réactivation délirante chez les patients psychotiques, ainsi qu'à l'inversion de l'humeur (notamment les imipraminiques) k : plutôt élévation de la pression artérielle (posologise élévées) TABLEAU 3 ( Suite ) Spécialités DCI Effets centraux insomnie et somnolence, anxiété asthénie confusion mentale troubles mnésiques dysarthrie convulsions agitation troubles extraParesthésies céphalées pyramidaux vertiges hyperprolactinémie Tricycliques (imipraminiques) Pertofran® Tofranil® Anafranil® Prothiaden® Ludiomil® Défanyl® Quitaxon® Laroxyl® Elavil® Surmontil® désipramine imipramine clomipramine dosulépine maprotiline amoxapine doxépine amitriptyline trimipramine +++ / + +++ / + +/+ +/+ - +/+ +/+ ++ / + ++ / + ++ / + +++ / + +++ / + + / +++a + / +++a + / +++a + / +++a + / +++a + / +++a + / +++a + / +++a + / +++a +/+ +/+ +/+ +/+ ++ / + ++ / + ++ / + ++ / + ++ / + +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ ++ / ++ ++ / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ ++ / +b ++ / +b ++ / +b ++ / +b ++ / +b ++ / +b ++ / +b ++ / +b ++ / +b +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ - - +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ IMAO A Moclamine® Humoryl® moclobémide toloxatone +/+ +/+ - + / ++ - - - - - - - +/+ +/+ +/+ +/+ + - IRS Prozac® Zoloft® Séropram®, Séroplex® Déroxat® Divarius® Floxyfral® fluoxétine sertraline citalopram paroxétine fluvoxamine +++ / + ++ / + +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ ++ / + +++/ + - +/+ +/+ +/+ +/+ - + / +++ + / +++h + / +++ + / +++ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ ++ / ++ ++ / ++ ++ / ++ ++ / ++ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ - IRSNA Effexor® Ixel® venlafaxine milnacipran ++ / + ++ / + +/+ - - - - + / +++ - +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ - +/+ +/+ ++ / + ++ / + - NaSSA Norset® mirtazapine - ++ / + - +/+ - + / +++ - +/+ - ++ / + +/+ - Atypiques Vivalan® Stablon® Athymil viloxazine tianeptinej miansérine +++ / + +/+ - +/+ +/+ ++ / + - +/+ - ++ / +++ + / +++ +/+ - +/+ - - +/+ - +/+ +/+ - + / + : fréquence ( + : rare, +++ : fréquent) / sévérité (+ : bénin, +++ : grave, nécessitant arrêt du traitement et/ou mesure thérapeutique adaptée) Tous les antidépresseurs exposent au risque suicidaire par levée de l'inhibition, de réactivation délirante chez les patients psychotiques, ainsi qu'à l'inversion de l'humeur (notamment les imipraminiques) a : sujets âgés b : dose dépendant h : lors d'associations médicamenteuses TABLEAU 3 ( Suite ) Spécialités DCI Effets digestifs bouffée de chaleur nausées vomissements diarrhée hépatopathies prise de poids anorexie Effets hématologiques leucopénie, troubles agranulocytose, sexuels thrombopénie, éosinophilie Effets respiratoires dyspnée Tricycliques (imipraminiques) Pertofran® Tofranil® Anafranil® Prothiaden® Ludiomil® Défanyl® Quitaxon® Laroxyl® Elavil® Surmontil® désipramine imipramine clomipramine dosulépine maprotiline amoxapine doxépine amitriptyline trimipramine +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ - - - + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ +/+ + /+ ++ / + ++ / + +++ / + +++ / + +++ / + - + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / ++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ - IMAO A Moclamine® Humoryl® moclobémide toloxatone - +/+ +/+ - - + / +++ - - - - - IRS Prozac® Zoloft® Séropram®, Séroplex® Déroxat® Divarius® Floxyfral® fluoxétine sertraline citalopram paroxétine fluvoxamine - + / +g + / +g ++ / +g ++ / +g +++ / +g +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ + / ++ + / ++ + / ++ + / +++ + / ++ +/+ +/+ +/ + +/+ +/+ +/+ +/+ ++ / ++ ++ / ++ ++ / ++ ++ / ++ ++ / ++ + / +++e + / +++e + / +++e + / +++e + / +++e - IRSNA Effexor® Ixel® venlafaxine milnacipran +/+ ++ / + ++ / + +/+ +/+ +/+ +/+ - + / ++ + / ++ - +/+ - +/+ - + / +++ - - NaSSA Norset® mirtazapine +/+ - - - + / ++ +++ / + - - + / +++a - Atypiques Vivalan® Stablon® Athymil viloxazine tianeptinej miansérine - + / +i +/+ - +/+ +/+ - +/+ +/+ - + / ++ + / ++ + / ++ ++ / + +/+ - - ++ / +++a +/+ - +++ +++ +++ +++ +++ / +g / +g / +g / +g / +g + / + : fréquence ( + : rare, +++ : fréquent) / sévérité (+ : bénin, +++ : grave, nécessitant arrêt du traitement et/ou mesure thérapeutique adaptée) Tous les antidépresseurs exposent au risque suicidaire par levée de l'inhibition, de réactivation délirante chez les patients psychotiques, ainsi qu'à l'inversion de l'humeur (notamment les imipraminiques) a : sujets âgés e : hémorragie par trouble de l'adhésion plaquettaire g : début de traitement TABLEAU 3 ( Suite ) Spécialités DCI Effets cutanés réactions allergiques choc anaphylactique Chute des cheveux hypersudation Tricycliques (imipraminiques) Pertofran® Tofranil® Anafranil® Prothiaden® Ludiomil® Défanyl® Quitaxon® Laroxyl® Elavil® Surmontil® désipramine imipramine clomipramine dosulépine maprotiline amoxapine doxépine amitriptyline trimipramine + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++ + / +++c + / +++c + / +++c + / +++c + / +++c + / +++c + / +++c + / +++c + / +++c +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ - IMAO A Moclamine® Humoryl® moclobémide toloxatone - - - IRS Prozac® Zoloft® Séropram®, Séroplex® Déroxat® Divarius® Floxyfral® fluoxétine sertraline citalopram paroxétine fluvoxamine + / +++f + / +++ + / +++ + / +++ - +/ +++ +/ +++ + / +++ - IRSNA Effexor® Ixel® venlafaxine milnacipran + / ++ + / ++ NaSSA Norset® mirtazapine Atypiques Vivalan® Stablon® Athymil viloxazine tianeptinej miansérine Autres hyponatrémi hypoglycémi myalgies e e Avitaminose B +/ +/ +/ +/ +/ +/ +/ +/ +/ +++d +++d +++d +++d +++d +++d +++d +++d +++d - - - - - - - - +/+ - +/+ +/+ +/+ +/+ +/+ - + / +++ + / +++a + / +++a + / +++ + / +++ + / +++ - +/+ - - ++ / + ++ / + - + / +++ - - - + / ++ - - - - - - - + / ++ + / ++ - - - - - - +/+ - + / + : fréquence ( + : rare, +++ : fréquent) / sévérité (+ : bénin, +++ : grave, nécessitant arrêt du traitement et/ou mesure thérapeutique adaptée) Tous les antidépresseurs exposent au risque suicidaire par levée de l'inhibition, de réactivation délirante chez les patients psychotiques, ainsi qu'à l'inversion de l'humeur (notamment les imipraminiques) a : sujets âgés c : réaction au sulfites dans certaines formes injectables d : au long cours f : érythème, rash, toux persistante, vascularite, arthralgies Tableau 7 ANXIOLYTIQUES SPECIALITES D.C.I. Benzodiazépines Posologie (mg/j) 3-12 Anxyrex ® Gé bromazépam Bromazépam GNR ® bromazépam Equitam ® lorazépam Lexomil ® bromazépam Lysanxia ® prazépam Nordaz ® nordazépam Novazam ® Gé diazépam Séresta ® oxazépam Témesta ® lorazépam Tranxène ® clorazépate dipotassique Urbanyl ® clobazam Valium Roche ® diazépam Vératran ® clotiazépam Victan ® loflazépate d’éthyle Xanax ® alprazolam 3-12 2-5 3-12 20-40 7.5-15 5-20 30-60 2-5 5-100 10-60 5-20 10-30 1-3 0.5-4 Buspirone Buspar ® 15-60 buspirone Hydroxyzine Atarax ® 50-100 hydroxyzine Méprobamate Equanil ® 600-1600 méprobamate Autres Covatine ® captodiame Stresam ® étifoxine 150 150 HYPNOTIQUES SPECIALITES D.C.I. Benzodiazépines Posologie (mg/j) 27 0.125 Halcion ® triazolam Havlane ® loprazolam Mogadon ® nitrazépam Noctamide ® lormétazépam Normison ® témazépam Nuctalon ® estazolam Rohypnol ® flunitrazépam 0.5-1 2.5-10 0.5-2 10-20 1-2 0.5-2 Zolpidem Ivadal ®, Stilnox ® 10-20 zolpidem Zopiclone Imovane ® 7.5 zopiclone Tableau 2 Spécialités DCI Polarité Propriétés stimulante sédative noradrénergiques adrénergiques anticholinergiques sérotoninergiques Tricycliques Pertofran® Tofranil® Anafranil® Prothiaden® Ludiomil® Défanyl® Quitaxon® Elavil® Laroxyl® Surmontil® désipramine imipramine clomipramine dosulépine maprotiline amoxapine doxépine amitriptyline amitriptyline trimipramine +++ ++ ++ + +/+ + - +/+ + + ++ ++ +++ +++ +++ + ++ ++ + + +/+ ++ ++ + ++ ++ ++ + + + + ++ ++ + +/+ + + + - IMAO A Moclamine® Humoryl® moclobémide toloxatone ++ + - +/+/- - + + IRS Prozac® Zoloft® Séropram®, Séroplex® Déroxat® Floxyfral® fluoxétine sertraline citalopram paroxétine fluvoxamine ++ + + - +/+ +/+/+/+/+/- + - + + + + + IRSNA Effexor® Ixel® venlafaxine milnacipran + + +/+/- + + +/+/- + + 28 NaSSA Norset® mirtazapine - ++ + +/- + Atypiques Vivalan® Stablon® Athymil viloxazine tianeptine miansérine ++ +/- +/++ +/+/+ +/+/- +/- Tableau 4 PRINCIPALES INDICATIONS DES NEUROLEPTIQUES CHEZ L'ADULTE DCI Phénothiazines chlorpromazine cyamémazine* fluphénazine lévomépromazine* pipotiazine propériciazine thiopropérazine thioridazine* Butyrophénones dropéridol halopéridol pipampérone Etats d'agitation, d'excitation, d'agressivité Etats psychotiques aigus Etats psychotiques chroniques Fourchette posologique per os chez l'adulte (mg/j) X X X X X X X X X X X X X X X X 25-300 (jusqu'à 600) 50-300 (jusqu'à 600) 25-300 (jusqu'à 800) 25-200 (jusqu'à 400) 5-20 (jusqu'à 30) 30-100 (jusqu'à 200) 5-40 100-400 voie injectable X X 15-120 0-20 20-120 voie injectable voie injectable X X X X X X 50-800 (jusqu'à 1200) 200-1000 400-800 200-300 X X X 150-450 (jusqu'à 600) 75-200 (jusqu'à 600) X 5-20 X X 20-200 (jusqu'à 400) 20-100 (jusqu'à 200) voie injectable voie injectable voie injectable Benzamides amisulpride sulpiride sultopride tiapride Diazépines et oxazépines clozapine** loxapine X olanzapine Thioxanthènes flupentixol zuclopenthixol X X X X Autres 29 pimozide rispéridone X X X 1-10 (jusqu'à 16) 4-8 * Ces neuroleptiques sont employés dans le traitement symptomatique de l'anxiété, en cas d'inefficacité des thérapeutiques habituelles. ** La clozapine est réservée au traitement des schizophrénies chroniques sévère (évoluant depuis au moins deux ans) en cas de résistance ou d'intolérance aux neuroleptiques classiques. Sa posologie initiale est de 12,5 mg par jour. Une surveillance hématologique est indispensable. *** Précautions d'emploi a respecter (risque d'allongement espace QT) Tableau 5 FORMES "RETARD" (solutions injectables IM) Dosages unitaires (mg/ampoule ou flacon) Posologie DCI SPECIALITES Phénothiazines fluphénazine décanoate Modécate® 25/125 25-150 mg/3-4 semaines Trilifan® retard Piportil® L4 100 25/100 50-300 mg/2-4 semaines 25-200 mg/2-4 semaines 50 50-300 mg/4 semaines 20/100 20-300 mg/2-3 semaines 200 200-400 mg/2-4 semaines perphénazine énanthate pipotiazine plamitate Butyrophénones halopéridol décanoate Haldol® Decanoas Thioxanthènes flupentixol décanoate Fluanxol® LP zuclopenthixol décanoate Clopixol action prolongée ® 30 Tableau 8. Score de Tyrer (1983) Facteurs Posologie moyenne élevée Traitement poursuivi plus de 3 mois Antécédents de dépendance Demi-vie de la molécule courte Augmentation des doses Scores 2 2 2 1 2 Score total : pas de risque (0), risque faible (1-3), risque fort (4-6), dépendance presque certaine (7-9). 31 32 Tableau 6. Fréquence relative des principaux effets indésirables des neuroleptiques (Franck et Thibaut, 2005) Amisulpride Aripiprazole Chlorpromazine Clozapine Halopéridol Olanzapine Quétiapine Rispéridone Sertindole Ziprasidone Dyskinésies aiguës Syndrome parkinsonie n Akathisi e Dyskinésies tardives Epilepsie Prise de poids Dyslipidémies Hyperglycémie 0 0 + 0 +++ 0 0 + 0 0 0 0 + 0 +++ 0 0 + 0 0 0 ++ + 0 ++ 0 0 ++ + + 0 0 + 0 +++ 0 0 0 0 0 + + + +++ + + 0 + + + ++ 0 + +++ + +++ ++ + + 0 0 0 ++ +++ 0 +++ + 0 0 0 0 0 + +++ 0 +++ ++ 0 0 0 Hy PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 11 – Synthèse Clinique et Thérapeutique Question 183 Accueil d’un sujet victime de violences sexuelles Rédaction : N. Giraudeau, M. Langlois et F. Thibaut Objectifs pédagogiques généraux § Savoir reconnaître un état de choc psychologique et mettre en place très précocement les modalités d’intervention thérapeutique adaptées § Savoir évaluer, chez un sujet, les conséquences d'un psychotraumatisme ou d'un facteur de stress psychosocial, les traiter et les prévenir quand cela est possible Objectifs pédagogiques spécifiques § Savoir diagnostiquer un état de stress aigu, dans les suites d'une agression ou d'un accident grave § Savoir en cas de stress aigu apporter une assistance psychologique immédiate en en connaissant les principes directeurs § Savoir diagnostiquer un état de stress post-traumatique et orienter le patient dans les filières de soins adéquates Accueil d'un sujet victime de violences sexuelles – Prise en charge immédiate Introduction Tout médecin (quel que soit sa spécialité ou son mode d’exercice) doit savoir reconnaître ce type de violences et être capable d’accueillir et d'orienter les victimes. Il est essentiel de ne pas agir seul mais de travailler en partenariat avec les services sociaux, l’école, la justice, la police et également avec les associations. Actuellement, la prise en charge des victimes de violences sexuelles répond à des critères admis par tous. Des pôles de référence régionaux chargés de l'accueil et de la prise en charge des victimes de violences sexuelles existent à peu près partout en France et fonctionnent sur le même mode. Il ne faut pas hésiter à se mettre en contact avec eux pour y adresser la victime ou y obtenir des conseils. 1. Les définitions En droit, les crimes et délits d’agression sexuelle correspondent au viol (tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, menace, contrainte ou surprise est un viol), à l’agression sexuelle (toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise), à l'exhibition sexuelle (s'imposer à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public) et au harcèlement sexuel (le fait de harceler autrui en usant d’ordres de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions). En matière de législation, l’inceste n’est reconnu par le droit qu’en terme de circonstance aggravante. On fait une différence entre atteinte et agression sexuelle. Les atteintes sexuelles concernent spécifiquement les enfants et les adolescents. Les faits sont commis sans violence, contrainte, menace ni surprise par un majeur sur un mineur. Au sein des infractions sexuelles, seul le viol est considéré comme un crime et jugé par la cour d’assises. Les autres infractions sont des délits jugés par le tribunal correctionnel (tribunal de grande instance). Le terme d’abus sexuels qui est d’origine anglo-saxonne, n’a pas toujours le même sens dans la littérature internationale. 2. Les données épidémiologiques Dans l’Enquête sur les Violences Envers les Femmes en France (ENVEFF) de 2000, 11 % des femmes déclaraient avoir subi au moins une agression sexuelle dans leur vie. Les violences sexuelles sont la première cause de maltraitance chez l’enfant. Les enfants jeunes (3-6 ans) sont particulièrement touchés. La plupart des études s'accordent pour constater que 80 % des victimes sont de sexe féminin (tous âges confondus). En France, en 1998, 40 % des crimes sexuels et 50 % des délits sexuels concernaient des mineurs1. D'autre part, 80 % des victimes entretiennent avec leurs agresseurs des relations familiales proches. 3. Le cadre juridique a. Signalement et secret professionnel Lorsque la victime est un mineur ou une personne vulnérable, le médecin est autorisé à signaler2 les faits au procureur de la république sans que puisse lui être reprochée une violation du secret professionnel dont il est alors délié. Le médecin n’est tenu de signaler que des faits constatés. Il rapportera aussi fidèlement que possible les paroles de la victime en les notant entre guillemets. Le médecin ne peut présenter des agressions comme fait avéré sur la seule foi des déclarations d’un parent ou d’un accompagnant. L’accord de la victime est nécessaire au signalement pour toute victime de plus de 18 ans mais il est souvent difficile, voire impossible de recueillir un tel consentement chez des personnes âgées ou handicapées mentales. En conclusion, la crainte d’une poursuite pour violation du secret médical ou dénonciation calomnieuse ne doit pas arrêter le médecin qui souhaite faire un signalement. 1 2 CFV Collectif Féministe contre le viol. Etude statistique sur les appels reçus. 1998. Un modèle de signalement a été établi par la chancellerie, le ministère de la santé, en collaboration avec le conseil national de l'ordre. Il est téléchargeable sur le site de l'ordre : www.conseil-national.medecin.fr b. L'examen peut se faire avec ou sans réquisition La réquisition est un acte par lequel une autorité judiciaire (procureur de la république ou juge d'instruction) fait procéder à un acte médico-légal qui ne peut être différé. Tout médecin, sauf s'il est le médecin traitant de la personne à examiner, peut être requis, quel que soit son mode d'exercice ou sa spécialité. Le respect du secret professionnel doit être préservé mais il faut pouvoir expliquer aux autorités la nécessité d'orienter la victime vers une structure spécialisée pour une prise en charge plus adaptée et optimale d'emblée. Mais l'examen peut aussi être réalisé sans réquisition. Il y a alors plusieurs cas : - Les faits sont récents (< 3 jours) et la victime ne veut ou n'ose pas porter plainte. Il faut réaliser l'examen et les prélèvements comme en cas de réquisition pour conserver les preuves qui sont "fugaces". Cette prise en charge encourage la victime à porter plainte. Le médecin, avec l'accord de la victime, peut lui-même procéder au signalement judiciaire. - Les faits sont plus anciens et la demande est médicale (bilan de l'état de santé sur le plan somatique) ou d’ordre psychologique. - La demande est parfois plus confuse (demande de certificat ou de prélèvement vaginal pour porter plainte ultérieurement). 4. L'accueil en urgence de victimes d'agression et l’examen médico-légal initial L'accueil doit avoir lieu dans un endroit calme avec une relative intimité, sans attente. Cet aspect est capital pour les enfants et les adolescents. La victime doit pouvoir se laver et se vêtir au sortir de l'examen. Aucun examen ne doit être pratiqué sans l'accord préalable de la victime. Le premier examen médical a des conséquences judiciaires, médicales et psychologiques. Sa qualité est essentielle pour la suite des événements. Il est préférable de ne pas pratiquer cet examen dans un cabinet médical privé. a. L'évaluation globale de la situation L'anamnèse des faits comporte les conditions et le lieu de l’agression, l’identification du ou des agresseurs, leur nombre, les modalités précises de l’agression. Il faut rechercher les antécédents médicaux, psychiatriques et gynécologiques de la victime ainsi que la notion de virginité et la date des dernières règles. Une première évaluation psychologique est réalisée et les plaintes de la victime sont prises en compte et écoutées avec empathie. b. L'examen clinique Il doit toujours être réalisé avec des gants. Les prélèvements sont effectués avec des gants. Un examen normal ne permet pas d'éliminer une agression sexuelle. - Les examens communs à la femme, l'homme et l'enfant Noter la date et l’heure de l'examen ainsi que le délai écoulé depuis l'agression. L’examen général comprend la taille et le poids de la victime, l’examen de la cavité buccale et l'examen cutanéo-muqueux avec la recherche de traces de violence. L’examen de l'anus est indispensable et systématique. - L'examen de la femme L'examen gynécologique se fait après l'examen général. Il doit être expliqué et réalisé par une personne compétente. Les prélèvements sont effectués dans le même temps. - L'examen de l'homme et du garçon comporte l'examen des organes génitaux externes. - L'examen de la petite fille Si l'intérêt de l'enfant exige un examen clinique et le recueil de sperme pour soustraire l'enfant à un environnement dangereux, la question de l'anesthésie se pose; si par contre, l'intérêt de l'enfant n'exige pas un examen approfondi, celui-ci ne doit pas être fait, car il serait une agression supplémentaire. c. Les prélèvements à réaliser et la prévention en cas d'agression récente - La recherche de spermatozoïdes et les prélèvements en vue d'analyses génétiques - La recherche et la prévention d'une éventuelle grossesse - la recherche et la prévention des Maladies Sexuellement Transmissible (MST) bactériennes (Chlamydia Trachomatis, gonocoque et syphilis) et virales. Pour le Virus de l'Immuno Déficience Humaine (VIH), il faut adresser le patient en urgence au médecin référent des accidents d'exposition localement. Lorsque l'agression date de moins de 8 jours, une injection de vaccin contre l'hépatite B est recommandée de façon systématique. Pour l'hépatite C, il n'y a pas de traitement préventif. - Prévention du tétanos - Recherche de toxiques 5. L'aide psychologique violences sexuelles immédiate aux victimes de a. Le vécu de l'agression Le traumatisme a des effets à court, moyen et long terme. Selon le fonctionnement psychique de chacun, son âge, son sexe et ses antécédents (psychiatriques et/ou traumatiques), le vécu de l'agression sera très différent. A court terme, un état de stress intense va durer quelques heures (parfois quelques jours) et va se manifester par un état de sidération anxieuse (mécanisme de défense archaïque de camouflage dans le milieu naturel) ou, au contraire, d’agitation inadaptée (équivalent d’un réflexe de fuite avorté). La verbalisation est souvent difficile voire impossible. Au niveau du comportement on peut observer un repli sur soi avec un désarroi émotionnel, des pleurs et de l’angoisse allant parfois jusqu’à des tremblements ou des vomissements. La culpabilité3 est omniprésente. L'impression de souillure n'est pas toujours évoquée spontanément mais parfois dans un second temps. Le sentiment de honte4 est également parfois retrouvé. b. La prise en charge immédiate Elle vise principalement à rassurer la personne sur la normalité de ce qu'elle ressent. Il s'agit d'être attentif et empathique sans pour autant dramatiser l'agression. Pour le praticien, c'est aussi un temps d'évaluation des risques d'apparition de troubles secondaires et la possibilité d'instaurer un climat de confiance qui permettra, si cela s'avère nécessaire, une orientation vers un spécialiste. Il est important d’évaluer la qualité de l’entourage et le risque de passage à l’acte suicidaire. Une hospitalisation ou un hébergement social d’urgence peuvent au besoin être proposés. c. Ce qu'il ne faut pas dire aux victimes Tout ce qui peut induire un sentiment de culpabilité est à éviter : “ Vous n’aviez jamais pensé que vous pouviez vous faire violer ? ”, “ Comment étiez-vous habillé(e)? ”, “ Que faisiez vous là à cette heure là ? ”, “ Pensez-vous avoir laissé entendre que vous étiez d'accord ? ”, “ Ce qu’il faut c’est vous déculpabiliser ”, “ Ce n’est pas si grave que ça ”, “ Maintenant il va falloir essayer d’oublier ”, “ Vous êtes sûr que vous ne pouviez pas vous défendre ? ” … Se souvenir également que lors d'une agression la menace et la peur entraînent un état de sidération. Un oubli total ou partiel des faits est très fréquent. Il ne faut pas souligner trop ouvertement ces incohérences lors de la description des faits. C'est le rôle de l'enquête judiciaire. En règle générale, il ne faut perdre de vue que, face à une victime, toute insinuation même légère sur la véracité de ses dires peut être interprétée comme une nouvelle agression. d. Quand faut il faire appel à un psychiatre ? D’emblée : - Lorsque la personne présente des antécédents sur le plan psychiatrique ou des éléments de fragilité sur le plan psychologique. - Lors d’un état de détresse manifeste avec prostration intense, agitation, agressivité anormale. - Lors de symptômes de déréalisation ou de dépersonnalisation (la victime a le sentiment d’avoir été spectateur de sa propre agression). - Lors d’un risque de passage à l’acte suicidaire. Dans un second temps : - Lorsque les symptômes présentés par la victime ont des répercussions sur sa vie quotidienne : par exemple l’incapacité à sortir de chez soi ou à reprendre une vie sociale normale. - Lorsque les fonctions vitales (sommeil, appétit …) et le rythme de vie sont perturbés de façon persistante. - Lorsqu'il existe des symptômes de dépression (avec ou sans idées suicidaires) ou d’état de stress post-traumatique (voir chapitre e). 3 Culpabilité : sentiment d’être en faute, d’avoir suscité une telle réaction chez l’autre ou d’avoir transgressé une règle. 4 Honte : sentiment d’humiliation, de dégradation de soi. e. Risques évolutifs des agressions sexuelles insuffisamment prises en charge - L’état de stress aigu5 Dans les heures, les jours ou les semaines (de 2 jours à 4 semaines) qui suivent une agression on peut observer un état de sidération avec une impression de détachement qui peut aller parfois jusqu'à un tableau de dépersonnalisation. L’événement traumatique est alors totalement envahissant et peut désorganiser la pensée. L’anxiété est majeure et peut se manifester sous diverses formes. - L’état de stress post-traumatique (PTSD pour les anglo-saxons) Il s’agit d’un trouble anxieux spécifique qui survient après “ un événement stressant patent qui entraînerait des signes évidents de détresse chez la plupart des individus ”. Cet état apparaît chez la victime après une phase de latence (quelques semaines à quelques mois). Un événement intercurrent (rupture, bouleversement familial ou professionnel, nouvelle exposition à un traumatisme) peut favoriser son installation. Il faut savoir que les symptômes du PTSD sont variés et complexes et qu’il n’existe pas de syndrome post-abus sexuel spécifique. Le PTSD est caractérisé par le syndrome de répétition traumatique dont la durée est supérieure à un mois. Les symptômes sont les suivants : - Des cauchemars où le sujet revit l’agression dont il a été victime. - Des ruminations diurnes durant lesquelles la victime pense à l’agression de façon obsédante, au point d’être dans l’incapacité de mémoriser ou de se concentrer sur un travail. - Des réactions de sursaut qui traduisent un état d’hypervigilance où tout élément de l’environnement est vécu comme potentiellement dangereux ou anxiogène. Des conduites d’évitement peuvent alors s’installer et aller jusqu’à empêcher le patient de sortir de chez lui. - La personne présente souvent un émoussement affectif et un désintérêt de plus en plus marqué pour les activités et le monde extérieur. Toute initiative devient alors pénible et le sujet a tendance à se replier sur lui-même. Ces troubles peuvent devenir chroniques dans plus d’un tiers des cas. - Le cas particulier des abus sexuels qui se déroulent sur une longue période Ils sont majoritairement le fait de violences sexuelles intra-familiales, soit dans le cas de violences conjugales ou lors d'abus sexuels sur les enfants. Le facteur familial est à prendre en considération avec toute l'ambivalence des sentiments que cette situation peut générer. La victime se trouve alors, de fait, coupée de tout étayage familial. Dans ces situations, la question de la réparation, est beaucoup plus compliquée du fait de l’implication affective des victimes vis-à-vis de leur agresseur. f. La prise en charge psychothérapeutique des victimes Une prise en charge globale de la victime est impérative pour permettre un véritable travail de réparation du traumatisme subi. Le thérapeute ne peut pas faire l'impasse de l'importance symbolique et réelle de la réparation judiciaire. Les associations d'aide aux victimes peuvent dans ce cas faire le lien avec l'institution judiciaire. Il est donc 5 DSM IV (Diagnostic and statistical manual of mental disorders) de l'American Psychiatric Association. Chapitre des "Troubles anxieux". Etat de stress aigu et état de stress post-traumatique. nécessaire de se référer à la loi, cadre de référence, sans néanmoins jamais imposer un dépôt de plainte comme préalable au travail thérapeutique. Les approches thérapeutiques recommandées par la conférence de consensus de novembre 20036 sont les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et les thérapies psychodynamiques qui vont permettre au sujet une ré appropriation progressive de son corps et de sa vie psychique sans chercher à modifier en profondeur le fonctionnement psychique. La plupart des victimes n'avaient pas avant l'agression le projet de rencontrer un psychothérapeute. Il ne s'agit pas d'une demande motivée par un désir personnel mais d'un besoin de soutien et d'accompagnement. g. La place des traitements psychotropes et de l'hospitalisation L’aide que peuvent apporter les médicaments psychotropes ne doit pas être négligée car l’absence de prescription par le médecin ouvre souvent la porte de l’automédication. A court terme on peut proposer un anxiolytique type benzodiazépine sur une courte période du fait de leur incidence sur la mémoire et du risque important d’accoutumance. Pour les troubles du sommeil, les hypnotiques doivent être prescrits avec parcimonie selon les recommandations en cours. On privilégiera l’utilisation de la zopiclone et du zolpidem. Plusieurs Inhibiteurs de Recapture de la Serotonine (IRS) ont reçu l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour le traitement du PTSD. Il faut cependant adapter la posologie et savoir que le délai d’action est plus long que pour une dépression. Les indications d’hospitalisation dans les jours qui suivent un viol sont les suivantes : Risque de passage à l’acte suicidaire, état de détresse psychologique majeur, contexte d’isolement familial ou relationnel suite à la découverte des faits (hospitalisation ou hébergement social d’urgence) ou blessures physiques. Elle est quasi systématique lorsque la victime est un enfant. Conclusion La grande majorité des victimes de violences sexuelles sont de sexe féminin. La moitié des crimes et des délits sexuels concerne des mineurs. Les victimes ont, le plus souvent, un lien familial avec leur agresseur. Il est important de suspecter ce type de violences face à certains symptômes parfois peu spécifiques chez l'enfant et l'adolescent. En cas d'agression récente les victimes seront accueillies sans délai. La prise en charge doit se faire avec empathie à la fois sur le plan médical (examen clinique, prélèvements) et psychologique. Un état de stress aigu peut être observé et à plus long terme la victime peut présenter un état de stress post-traumatique. Certains symptômes posttraumatiques immédiats ou différés peuvent nécessiter une prise en charge psychiatrique. Pour permettre une véritable réparation du traumatisme subi, la victime doit être abordée de façon globale et la question de la réparation judiciaire est essentielle. Cependant on ne doit pas imposer un dépôt de plainte comme préalable à une prise en charge médicale ou psychologique. Bibliographie 6 Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir. 7° conférence de consensus de la Fédération Française de Psychiatrie. ANAES. 6 et 7 novembre 2003. Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir. 7° conférence de consensus de la Fédération Française de Psychiatrie. ANAES. 6 et 7 novembre 2003. - Le praticien face aux violences sexuelles. Document réalisé en 2000 et validé par le Conseil National de l'Ordre des Médecins, la Chancellerie, le Ministère de l'intérieur et le Ministère de la défense. Consultable sur le site psydocfr.broca.inserm.fr - - Le signalement des sévices et la nouvelle rédaction de l'article 226-14 du code pénal. Bulletin de l’ordre des médecins. Mars 2004. - Stress et troubles psychiques post-traumatiques. Monographie. La revue du praticien 2003, 53. - C. Damiani. L'aide psychologique immédiate aux victimes d'abus sexuels. Le journal des psychologues. Février 2003. - Soutoul J.H., Chevrant Breton O. L'agression sexuelle de l'adulte et de l'enfant. Ed Ellipses. Paris. 1994. - Audet J., Katz J.-F. Précis de victimologie générale. Dunod. Sur Internet - www.allo119.gouv.fr - www.anaes.fr - www.psydoc-fr.broca.inserm.fr - www.conseil-national.medecin.fr (modèle de signalement) Téléphones Pour les enfants : Allo Enfance Maltraitée 119 Pour les jeunes : Fil Santé Jeunes 0800 235 236 Pour les femmes : SOS viols 0800 05 95 95 et SOS violences conjugales 01 40 33 80 60 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 11 – Synthèse clinique et thérapeutique Question 184 AGITATION ET DELIRES AIGUS AGITATION Rédaction : P. Lebain S. Dollfus BOUFFEE DELIRANTE AIGUE Rédaction : F.Thibaut, S.Dollfus Objectif pédagogique général Savoir faire face à une urgence psychiatrique Savoir adopter et conserver une attitude médicale pertinente face à un sujet agité Objectifs pédagogiques spécifiques AGITATION Savoir mener un entretien et un examen avec un sujet agité Connaître les étiologies toxiques et organiques des états d’agitation et savoir les hiérarchiser selon leur prévalence et importance Connaître les mesures thérapeutiques symptomatiques à mettre en œuvre (orientation, médicaments, mesures administratives) DELIRES AIGUS Savoir porter le diagnostic de bouffée délirante aiguë et d’état délirant aigu secondaire (psychogène, toxique) Savoir rechercher une cause organique ou toxique avant d’affirmer qu’il s’agit d’une origine psychiatrique Connaître les modalités évolutives de la bouffée délirante Connaître, pour les mettre en œuvre, les mesures thérapeutiques adéquates, à court terme concernant la bouffée délirante aiguë 1 CONDUITE A TENIR DEVANT UN ETAT D'AGITATION L’agitation est un trouble non spécifique pouvant venir ponctuer le cours de toute maladie mentale ou alors pouvant être symptomatique d’un grand nombre d’affections organiques. Elle se définit par un excès d'activité ou de mouvements qui peuvent se traduire par des manifestations agressives plus ou moins importantes et constitue une urgence. La prise en charge d’une agitation dépend du diagnostic. Le malaise qu’un état d’agitation provoque chez l’entourage et le médecin est aggravé par le sentiment d’urgence qui impose une action rapide. Les attitudes maladroites du milieu tiennent au vécu de peur induit par cette symptomatologie. Or l’agité perçoit souvent le sentiment de peur qu’il inspire. Cette absence totale de rupture de la réalité est un facteur d’entretien sinon d’aggravation du tableau d’agitation. Il s’agit, afin de ne pas entrer dans le cercle infernal de l’agitation par la prise de mesures coercitives, de saisir la structure psychopathologique dont l’agitation n’est que l’expression psychomotrice. La préoccupation thérapeutique vise : à faire céder l'agitation le plus rapidement possible, à rechercher une éventuelle étiologie organique sous-jacente, à adapter le plus vite possible la conduite thérapeutique selon l'étiologie. I. LES GRANDS TYPES CLINIQUES D'AGITATION EN PSYCHIATRIE I.1. L’agitation dans le cadre des états maniaques L'agitation est presque de règle. Un tableau typique est réalisé par la manie franche aiguë : il y a apparition brutale d’un état d’excitation psychique évoluant de manière variable, associé à un état d’agitation psychomotrice. A l’examen, on retient une euphorie, des idées mégalomaniaques, un ludisme, une labilité de l’humeur, une fuite des idées. Souvent c’est l’entourage qui signalera une phase prodromique d’irritabilité, d'agressivité, avec quelquefois survenue d'incidences médico-légales. Cliniquement, le maniaque agité crie, hurle, injurie, menace et brise ce qui est à sa portée. En fait toute cette turbulence est d’une stérilité entière. Le contact est marqué d’une hypersyntonie, à l’origine de superficialité. L’angoisse associée est très importante, du fait de l’exaltation thymique et de la difficulté d’établir un contact. 2 I.2. L’agitation dans le cadre des états mélancoliques Généralement, les états mélancoliques se caractérisent par un ralentissement psychomoteur, mais néanmoins, certaines formes peuvent s’accompagner d’agitation anxieuse (mélancolie délirante, anxieuse) où le risque de passage à l'acte suicidaire est majeur. I.3. L’agitation dans le cadre des psychoses délirantes aiguës (bouffées délirantes) ou chroniques (schizophrénies et délires chroniques) Les troubles du comportement sont en général liés aux idées délirantes surtout dans le cadre des bouffées délirantes aigues ou des délires chroniques non schizophréniques. Dans le cadre des schizophrénies, ce qui caractérise l'agitation c'est son caractère discordant et son imprévisibilité. Le sujet est apparemment en retrait par rapport à l’ambiance, il a des activités stéréotypées, itératives, bizarres ; il peut avoir des activités très diverses en particulier de destruction (déchirer ses vêtements, ou la literie) ; sur ce fond de discordance et de stéréotypies itératives et gestuelles se produisent de brusques impulsions motrices généralisées et de soudaines manifestations affectives ou émotionnelles discordantes. L’agitation catatonique dure un moment puis cesse, le sujet pouvant se figer totalement dans une posture ou redevenir apragmatique, passif. I.4. Etats d’agitation associés aux troubles du caractère ou de la personnalité Les crises surviennent surtout chez l’hystérique, souvent déclenchées par un évènement stressant ; leur expression est théâtrale et sensible à la suggestion. L’agitation chez le psychopathe caractériel est un drame bref mais fréquent dans la pratique psychiatrique d’urgence. L’aspect le plus habituel sera celui de la colère ou du désespoir apparu en réaction à un évènement récent. La colère est réactionnelle aux frustrations imposées par le milieu, sans possibilité d’élaboration, avec une difficulté pour le sujet à contrôler son impulsivité. C’est en raison de ce phénomène de projection que le caractériel agité peut être dangereux et réaliser des actes médicolégaux. I.5. Etats d’agitation lors des accès aigus d’angoisse Les états névrotico-réactionnels conduisent le plus souvent à des tableaux anxieux où l’agitation, si elle existe, est au second plan par rapport à l’angoisse. Ici, la prise en charge et l’évolution sont voisines. 3 I.6. L’agitation dans le cadre d’un état confusionnel L’épisode confuso-onirique alcoolique aigü ou subaigü en réalise l’étiologie majeure chez l’Homme. Chez le sujet âgé, il s'agit le plus souvent d'une confusion d'origine médicamenteuse (surdosage ou au contraire sevrage brutal). début : brutal, avec facteurs déclenchants (classiquement : sevrage médicamenteux ou alcoolique, affections intercurrentes, traumatisme, désordre hydro-électrolytique). Le début a souvent lieu à l’approche de la nuit dans un contexte d’anxiété extrême avec malaise physique (trémulation en particulier), insomnie rapide entraînant une sorte d’état somnambulique avec conduite incohérente. période d’état : onirisme franc, agi, avec hallucinations visuelles et auditives, terrifiant le sujet et auquel il adhère et est à l’origine d’une agitation très importante. Ici, l’agitation qui va dépendre des zoopsies terrifiantes et l’ambiance générale est interprétée par le sujet comme une menace extérieure ; cherchant à se défendre contre ces menaces généralisées, le sujet sera en proie à un sentiment d’agression, lui-même à l’origine du comportement agressif. Ici, il existe donc un vécu intense terrifiant et une réalité menaçante. Parallèlement, on pourra rechercher les signes classiques d’imprégnation alcoolique chronique et les signes particuliers de l’état aigü (tremblement extrême, sueurs profuses, fébrilité...). I.7. Etats d’agitation d’origine toxique autre que l’alcoolisme C’est le cas des agitations liées aux expériences psychodysleptiques, ou contemporaines d’un sevrage aux morphiniques. Les confusions toxiques peuvent être induites par de fortes doses de cocaïne, éther, solvants organiques, hallucinogènes, amphétamines, barbituriques. Le syndrome de sevrage apparaît à l’arrêt brutal de la drogue et peut entraîner une agitation. Schématiquement, lors d’une toxicomanie à la morphine, les premières manifestations cliniques apparaissent 8 à 16 h après la dernière prise et comprennent des larmoiements, des bâillements, des sueurs, une rhinorrhée. Plus tard, une insomnie s’installe ; puis le malade se plaint de dysesthésies, de douleurs aux jambes, au dos, au ventre, de secousses musculaires, d’horripilation. L’agitation commence 36 à 48 h après l’arrêt. En plus, il existe des nausées, des vomissements, de la diarrhée, une polypnée et quelquefois, de la fièvre. Les éléments cliniques de suspicion sont la maigreur, les traces d’injection, un myosis ou une mydriase. Le syndrome de sevrage aux barbituriques s’installe 2 à 3 jours après l’arrêt. Il se caractérise par des crises convulsives, et ultérieurement des hallucinations, un délire et une agitation qui miment un delirium tremens. 4 I.8. L’agitation dans le cadre d’un état démentiel Dans la démence sénile banale : les malades sont désorientés du fait du déficit mnésique ; l’activité psychomotrice est très souvent stéréotypée (rangement, reproduction, gestes automatisés, habillage, déshabillage...). La difficulté à se repérer entraîne un sentiment anxiogène d’insécurité, à l’origine d’un sentiment d’hostilité à l’ambiance, verbalisée dans les idées de préjudice. Un fait futile peut dans la vie quotidienne exacerber le vécu angoissant, et déclencher le comportement d’agitation. Ils chercheront à fuir au hasard, dévêtus et hagards. Ces états de turbulence (plutôt qu'accès d’agitation francs) et de sub-agitation nécessitent quelquefois des mesures de contention souvent nuisibles car anxiogènes. L’agitation anxieuse s’accompagne fréquemment d’un vécu dépressif avec refus d’alimentation et de boisson. D’où très rapidement intrication des signes psychiques et physiques. II. ETIOLOGIES MEDICO-CHIRURGICALES En fait, les agitations d’origine psychiatrique sont envisagées une fois que l’on a éliminé de façon certaine une cause organique. II.1. Médicaments L'agitation peut être provoquée par l'isoniazide, les psychotropes, les corticoïdes ; les confusions d’origine médicamenteuse sont fréquentes avec les psychotropes (antidépresseurs, benzodiazépines, lithium, antiparkinsoniens, L-Dopa). II.2. Autres intoxications CO, plomb, atropiniques, amphétamines II.3. Causes métaboliques et endocriniennes hypoglycémie : la prise de médicaments hypoglycémiants retient l’attention en faveur du diagnostic ; signes cliniques : sueurs, confusion, hypertonie généralisée (avec signe de Babinski bilatéral), des convulsions sont parfois signalées ; l’agitation est un signe de la gravité de l’hypoglycémie (---> 1 mg IM ou IV de glucagon) ; acidocétose diabétique ; urémie ; grandes déshydratations (coma hyperosmolaire) ; perturbation de la natrémie, de la calcémie ; hypocapnie, hypercapnie (insuffisance respiratoire) ; hyperthyroïdie ; syndrome de Cushing ; hyperparathyroïdie. 5 II.4. Causes neuroméningées hémorragies méningées ; méningite : l’irritation méningée se manifeste éventuellement par une agitation ; en fait, une crise d’agitation brutale et inexpliquée, chez une personne normale est justiciable d’une ponction lombaire surtout si une fièvre s’y associe ; on s’assure auparavant qu’il n’y a pas d’oedème cérébral en faisant le traditionnel fond d’oeil (ou un scanner cérébral) ; crises épileptiques temporales ; encéphalites ; tumeurs cérébrales (frontales) ; hypertension intra-cranienne ; hématome sous dural (aigu ou chronique) peut occasionner une symptomatologie trompeuse qui peut être à l’origine d’une agitation. Ils surviennent après un traumatisme, au cours d’un traitement anticoagulant, chez une personne âgée ou un éthylique. Après un traumatisme crânien causal, apparaissent des céphalées, une somnolence, une confusion, une irritabilité ; les convulsions sont rares et les signes de localisation tardifs (hémiparésie homo ou controlatérale, mydriase homolatérale). Un scanner cérébral détecte la collection sanguine ; épilepsie : les états d’agitation ou de fureur épileptique se caractérisent, outre la symptomatologie électroencéphalographique, par leur survenue soudaine, leur inconscience, la profondeur de la régression et l’amnésie lacunaire. II.5. Cas particulier des manifestations de l’alcoolisme éthylisme aigu : ivresses agitées ---> des manifestations neurologiques sont présentes lorsque l’alcoolémie atteint ou dépasse 1.5 g/l ; lorsqu’il existe une note confusionnelle, celle-ci peut-être associée à une agitation motrice, une agressivité ou des phénomènes hallucinatoires ; la crise excito-motrice est un accès paroxystique de fureur ; les bouffées confuso-délirantes et confuso-oniriques sont des aspects fréquents des ivresses compliquées ; le delirium tremens ou accès confuso-onirique aigu alcoolique. Le diagnostic est souvent porté à la phase de prédelirium qui relève d’un traitement rapide en milieu hospitalier. Une recrudescence des tremblements et des troubles du sommeil annonce l’état confuso-onirique avec agitation anxieuse. 6 III. PRISE EN CHARGE La prise en charge d’une agitation dépend du diagnostic ; les principes du traitement visent en urgence à assurer une sédation immédiate, ensuite le traitement dépendra de l'étiologie. L'observation attentive et l'écoute du patient permettront d'apprécier dans l'urgence le type d'agitation, l'humeur, l'affectivité, le degré de lucidité, d'attention, l'existence d'un délire. Cette première approche rapide permet de définir des critères de gravité, de dangerosité éventuelle et d'orienter le diagnostic. Dès que possible un examen somatique et un bilan biologique systématique seront pratiqués. L'interrogatoire de l'entourage, lorsque celui-ci est possible recherchera la notion de prise d'alcool ou d'autres toxiques, la consommation de médicaments et les antécédents personnels et familiaux. III.1. Attitude face à une agitation La plupart des états d’agitation sont sensibles au contexte et à la relation même transitoirement. Dans tous les cas, on cherchera à établir une relation avec le patient : dialogue, dédramatisation de la situation : il s'agit enfin de procéder au calme à un examen soigneux afin d’éliminer une cause organique. On est parfois amené à exclure les personnes susceptibles d’amplifier l’agitation du patient (famille). La contention physique est parfois nécessaire ; un traitement médicamenteux est alors prescrit d’emblée (voie IM), afin de calmer l’agitation et de poursuivre l’examen somatique. L’examen psychiatrique (rapide) précisera l’état de vigilance et de l’humeur, l’existence éventuelle d’un syndrome confuso-onirique ou délirant (il est toujours préférable d’avoir une notion des antécédents somatiques et psychiatriques avant d’administrer un traitement médicamenteux). Mesures non-médicamenteuses assurer un nombre suffisant d’aides afin d’éviter une agression supplémentaire et/ou dangereuse ; appel aux forces de l’ordre si notion d’armes ; prévoir rapidement une place à l’hôpital, si le contexte suggère une hospitalisation à moyen terme ; prévoir éventuellement une hospitalisation à la demande d’un tiers ou hospitalisation d’office. 7 III.2. Traitements médicamenteux de l’agitation III.2.1. Neuroleptiques sédatifs On peut utiliser (par voie orale de préférence ou en injection si le patient refuse le traitement) des produits tels que la loxapine (Loxapac® : 50 à 300 mg/IM en 2 à 3 prises), la cyamémazine (Tercian® : 100 à 300 mg/j) ou l’acétate de zuclopenthixol semi-retard (clopixol semi-prolongé : 50 ou 100 mg (50 à 150 mg en une prise tous les 2 à 3 jours sans dépasser 6 jours). Cependant, le risque tensionnel (plus fréquent pour le dernier produit cité) imposera une surveillance de la TA, voire la prise en position allongée, jambes surélevées (si nécessaire). La survenue d’effets neurologiques indésirables (dystonie aiguë) imposera leur correction par un antiparkinsonien anticholinergique. III.2.2. Tranquillisants Les benzodiazépines n’ont en général qu’un effet sédatif modéré et tardif. Ils ne sont donc pas utilisés au premier chef en urgence dans les états d’agitation. Par contre, ils sont utilisés en première intention lorsque l’agitation est liée à l’anxiété (hystérie, attaques de panique), en l’absence de signes psychotiques. Les benzodiazépines sont indiquées essentiellement dans les agitations liées à une crise d’angoisse aiguë, ou au sevrage alcoolique et/ou aux benzodiazépines. Il faut être prudent dans la prescription de tranquillisants dans les agitations de cause toxique, alcoolique en particulier (potentialisation de l’effet du toxique). Les composés de délai d’action courte seront préférés : pour la plupart des benzodiazépines, la résorption par voie intra-musculaire est plus lente que per os. III.3. La décision d’hospitalisation En milieu spécialisé, ne se justifie qu’en cas d’agitation sévère non-réductible par le traitement immédiat et/ou coexistence d'un trouble susceptible de justifier l’hospitalisation (trouble psychotique, agitation d’origine toxique, agitation symptomatique d’une pathologie organique). Une hospitalisation sous contrainte peut être nécessaire. Une hospitalisation brève peut être nécessaire dans les services d’urgence (agitation isolée résolutive, agitation situationnelle, ou névrotique). III.4. Aspects spécifiques III.4.1. Agitation d’origine toxique et organique Chercher la cause surtout quand il existe une confusion. 8 III.4.1.1. Ivresse agitée Les sédatifs risquent de potentialiser les effets de l’alcool ; les neuroleptiques (risque d’hypotension) seront évités. Les tranquillisants (benzodiazépines) seront préférés ; la prise en charge est centrée sur l’isolement et la surveillance (hydratation) du patient. III.4.1.1.2. Ivresse pathologique (confuso-onirique) Ici, il y a risque de dangerosité : les neuroleptiques seront utilisés (tiapride, Tiapridal®) avec bilan hospitalier de 2 à 3 jours. III.4.1.1.3. Delirium tremens Ici, l’hospitalisation s’impose : hydratation importante (4 à 6 litres par jour), vitaminothérapie (B1,B6, 1g IM) ; une benzodiazépine tel que diazépam (Valium®)ou oxazépam (Seresta®) pourra traiter l’agitation. On évitera les phénothiazines trop sédatives, par contre, l’halopéridol (Haldol®) permet de traiter l’onirisme. III.4.1.1.4. Autres agitations d’origine toxique Dans les expériences psychodysleptiques, ou après sevrage aux morphiniques. L’hospitalisation s’impose : le traitement repose sur les neuroleptiques. III.4.2. Etats d’agitation d’origine névrotique ou réactionnel L’agitation est souvent au deuxième plan, par rapport à l’angoisse. La prise en charge fait appel aux benzodiazépines. III.4.3. Etats d’agitation dans le cadre des troubles psychotiques ou thymiques Ils nécessitent le plus souvent une hospitalisation en milieu spécialisé, sur le mode de l’HDT ou l’HO. Un neuroleptique d’urgence, sédatif (Tercian® ou Loxapac®) sera prescrit et relayé dès que possible par le traitement spécifique. III.4.4. Etats d’agitation d’origine épileptique Ceux-ci peuvent être l’expression d’une activité automatique critique, souvent symptomatique d’une crise temporale ---> contrôle par le traitement anti-épileptique. Les cas d’agitation violente des épileptiques sont observés durant la période confusionnelle post-critique. Si un traitement sédatif est nécessaire, le diazépam IM sera prescrit. III.4.5. Agitation chez le vieillard Souvent, c’est la conséquence d’une étiologie organique : on préférera des tranquillisants ou des neuroleptiques sédatifs (zuclopenthixol, Clopixol®, Tiapridal®). 9 III.4.6. Agitation chez l’enfant Les neuroleptiques comme le Largactil® (2-5 mg/kg), le Neuleptil® (2 mg/kg) sont utiles. III.4.7. Agitation chez la femme enceinte Equanil® IM ou Largactil®, dépourvus d’effets tératogènes. III.4.8. Agitation chez un sujet impulsif On utilisera un neuroleptique sédatif. L’utilisation des benzodiazépines (par leur effet désinhibiteur) peut en effet dans certains cas aggraver l’agitation (effet paradoxal). BOUFFEE DELIRANTE Il s'agit d'une psychose délirante aiguë caractérisée par l'apparition brutale d'un délire non systématisé dont les thèmes et les mécanismes sont riches et polymorphes. Ce délire est vécu de façon intense, avec parfois des incidences médico-légales ou des troubles du comportement majeurs. Le concept de bouffée délirante, hérité de MAGNAN (1866), conserve, en France, une place privilégiée désignant un état psychotique aigu, bien différencié des autres psychoses aiguës que sont les accès maniaques et les états confusionnels. Dans les autres pays, on l'apparente plus volontiers à une forme de schizophrénie aiguë. Si certaines de ces bouffées délirantes restent uniques ou récidivent sur un mode aigu et entièrement résolutif, d'autres marquent l'entrée dans une schizophrénie ou un trouble bipolaire. 10 I. Diagnostic La bouffée délirante survient surtout chez l'adolescent ou l'adulte jeune et peut être favorisée par la prise de toxique ou par un stress. Le diagnostic peut être évoqué devant l'association d'une agitation psychomotrice ou plus rarement d'une sidération, d'une anxiété importante et d'un état délirant. Le début, en général brutal (coup de tonnerre dans un ciel serein), a pu être précédé de prodromes non spécifiques (troubles du sommeil, anxiété, bizarreries du comportement). Les idées délirantes sont polymorphes, tant en ce qui concerne les thèmes, qui sont multiples et variables ( les plus fréquents sont d'ordre mystique, sexuel, messianique, mégalomaniaque ou persécutif) qu'en ce qui concerne les mécanismes : les hallucinations psychosensorielles (organes des sens) sont riches et multiples (acoustico-verbales, visuelles, cénesthésiques (génitales), olfactives (gaz) parfois), les hallucinations psychiques sont très fréquentes (voix intérieures (sans spatialité)), les intuitions et les interprétations sont présentes. L'automatisme mental est toujours présent, il s'agit d'une mécanisation et d'une perte d'intimité de la pensée : les idées, les intentions, les actes sont devinés, répétés, commentés ou imposés. Le délire est non systématisé, il se distingue en général du délire paranoïde de la schizophrénie par la richesse et le polymorphisme des thèmes et des mécanismes et par l'absence de dissociation. La dépersonnalisation est souvent importante, s'exprimant en termes de dédoublement, de transformation, de dissolution affectant le corps autant que l'esprit. Le délire engage l'affectivité du sujet. Il est vécu de façon intense. La participation thymique est fréquente ; l'humeur très variable subit les fluctuations du délire, passant ainsi d’une tristesse à l'exaltation, parfois en quelques minutes. L'angoisse est souvent importante en réaction au délire. C'est dans ce contexte que des actes médico-légaux peuvent survenir. La conscience n'est pas réellement altérée, à la différence des confusions, mais l'attention est dispersée. Les troubles du sommeil sont fréquents. L'examen somatique, indispensable, sera pratiqué dès que possible ainsi que le bilan biologique. Ils sont en règle normaux en dehors d'une déshydratation modérée, parfois retrouvée si l'agitation est importante. Ils permettent d'éliminer une étiologie organique éventuelle. L’éventualité d’une telle étiologie (bien que rare) justifie des examens complémentaires (scanner, EEG, TSH, dosage de vitamine B12, recherche de toxiques dans les urines). 11 Dans la plupart des cas on ne retrouve pas d'étiologie. Toutefois, l'interrogatoire doit rechercher les antécédents personnels et familiaux, psychiatriques et somatiques du sujet, ainsi que la prise de toxiques (amphétamines, cocaïne, cannabis, LSD ou autres psychodysleptiques) ou encore la consommation de médicaments (en particulier antidépresseurs, corticoïdes, antituberculeux tel que Rimifon, antipaludéens tel que Lariam et antiparkinsonien tel que Artane). Les bouffées délirantes aiguës peuvent être engendrées par une consommation de toxiques, on parle alors de pharmacopsychoses, les amphétamines peuvent ainsi induire des psychoses délirantes aiguës interprétatives, les hallucinogènes (LSD, phencyclidine), l'ecstasy peuvent induire des états psychotiques aigus hallucinatoires, qui peuvent évoluer pour leur propre compte pendant quelques semaines après l'arrêt de l'intoxication. Les psychoses puerpérales, certaines psychoses post-opératoires, s'expriment parfois sur le mode d'un délire aigu. Certaines pathologies organiques (encéphalite aiguë, thyroidite de Hashimoto, tumeur cérébrale) ou exceptionnellement un traumatisme crânien ou une carence en vitamine B12 peuvent occasionner des épisodes délirants aigus. Ces causes organiques doivent être systématiquement recherchées lorsque le tableau clinique est atypique et que le traitement neuroleptique est peu efficace. II. Evolution L'évolution est favorable dans la majorité des cas et ce, d'autant plus que le traitement neuroleptique est instauré rapidement. La bouffée délirante évolue sous forme d'accès, la guérison peut être brusque, ou le plus souvent progressive, en quelques semaines. Sa guérison est écourtée par le traitement neuroleptique. La critique de son délire par le sujet est un indice d'amélioration de la bouffée délirante. Dans un tiers des cas environ, la bouffée délirante reste un accident unique dans la vie d'un sujet. Dans un bon tiers des cas, une évolution intermittente peut être observée, soit sous la forme de récidives d'accès délirants de même type, soit de la survenue secondaire d'épisodes maniaques. La bouffée délirante a alors représenté l'épisode inaugural d'un trouble bipolaire, ce qui est d'autant plus fréquent que le sujet est adolescent. 12 Le risque essentiel, sur le plan du pronostic, est celui de l'évolution vers une schizophrénie, dans un peu moins d'un tiers des cas. Celle-ci peut s'installer au décours d'un premier épisode ou après plusieurs récidives. Sont considérés comme étant de pronostic défavorable dans l'évolution d'une bouffée délirante : la notion de personnalité prémorbide (schizotypique ou schizoïde), un délire peu riche sans polymorphisme des thèmes et des mécanismes, une évolution subaiguë, une mauvaise réponse ou une réponse incomplète au traitement neuroleptique, une critique incomplète de l'épisode délirant, l'existence d'un syndrome dissociatif, des antécédents familiaux de schizophrénie. Cependant aucun élément sémiologique ne permet d'établir le pronostic de la bouffée délirante de façon certaine et ce n'est qu'après plusieurs mois qu'une évolution vers une schizophrénie doit être redoutée. III. Diagnostics différentiels L'accès maniaque est facile à évoquer dans les formes typiques où l'on retrouve une exaltation euphorique de l'humeur, une fuite des idées. Le diagnostic est plus difficile à évoquer lorsque l'euphorie est peu marquée et que les éléments délirants sont intenses, ce qui est parfois observé dans les manies débutant à l'adolescence. L'accès dépressif mélancolique est facilement évoqué lorsque la thymie est triste, avec une douleur morale intense, et une inhibition psychomotrice. Le diagnostic peut être plus difficile chez l'adolescent dans les formes délirantes de mélancolie. La confusion mentale est facilement éliminée devant l'absence de désorientation temporo-spatiale. IV. Traitement Il s'agit d'une urgence psychiatrique qui nécessite une hospitalisation. Le recours à une hospitalisation à la demande d'un tiers est souvent nécessaire. Le traitement neuroleptique s'impose pour obtenir rapidement une sédation et pour améliorer le pronostic évolutif de l'accès. Au début la voie intra-musculaire peut être nécessaire. Les neuroleptiques dits atypiques seront préférés en première intention compte-tenu de leur meilleure tolérance neurologique (risque moindre de dyskinésies aiguës et de symptomatologie extrapyramidale) (par exemple : amisulpride ou Solian 400 à 800 mg/j, rispéridone ou Risperdal 4 à 8 mg/j, olanzapine ou Zyprexa 5 à 20 mg/j, ce dernier pouvant être prescrit par voie IM). La posologie sera rapidement progressive. L'association d'une benzodiazépine pourra être préconisée afin de potentialiser la sédation. L'association d'une phénothiazine sédative (cyamémazine ou Tercian 50 à 200 mg/j par exemple) pourra également être utilisée pour obtenir une action rapide sur l’agitation et/ou les troubles du sommeil. Le traitement tiendra compte de la découverte d'une étiologie médicale et de la correction d'éventuels désordres hydro-électrolytiques. 13 Le traitement neuroleptique sera surveillé et adapté quotidiennement à l'état du patient. Les effets secondaires doivent être recherchés et corrigés (en particulier les effets neurologiques ou l'hypotension orthostatique). Le traitement sera poursuivi au moins 1 an après l'amélioration des troubles, afin de limiter le risque de récidive ou d'évolution vers une schizophrénie. Les doses pourront être réduites de moitié environ, dès le troisième mois et la monothérapie neuroleptique sera préférée. En cas de mauvaise observance du traitement, le recours éventuel à un traitement neuroleptique retard pourra être envisagé (ex Haldol decanoas ou Risperdal Consta). Une psychothérapie de soutien sera associée. 14 PREMIERE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 3 - Maturation et vulnérabilité Question 44 - RISQUE SUICIDAIRE DE L’ADULTE : IDENTIFICATION ET PRISE EN CHARGE Rédaction : J.P. Kahn - Relecture : J.L. Terra Objectifs généraux : · Savoir détecter les situations à risque suicidaire chez l'adulte · Argumenter les principes de la prévention et de la prise en charge Objectifs spécifiques : · Connaître les principales données épidémiologiques concernant le suicide en France · Connaître les différents facteurs de risque associés à un risque suicidaire · Savoir évaluer et prendre en charge une personne en situation de crise suicidaire PRESENTATION ET CONSIDERATIONS INTRODUCTIVES Pendant longtemps, le corps social et les médecins avec lui, ont abordé le suicide sous un angle moral et philosophique, considérant que cet acte devait être assimilé à un péché et condamné, car contraire à la volonté divine, soit considéré, au contraire, comme l'ultime expression de la liberté individuelle. Actuellement dépénalisé, le suicide est plutôt abordé sur le plan phénoménologique, cherchant à en comprendre et à en expliquer les multiples déterminants. Les recherches tendent à intégrer actuellement différents facteurs de risque et précipitants de nature biologique, psychologique et sociale. La France est actuellement l'un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide et d'après les données de l'OMS de 1999 portant sur 97 pays, la France se situe entre le 11ème et le 20ème rang des pays ayant la plus forte mortalité suicidaire, avec près de 12000 décès par suicide par an. Le suicide représente ainsi la première cause de mortalité chez les adultes jeunes, avant les accidents de la route et, pour l'ensemble de la population, le suicide est la troisième cause d'années de vie perdues, après les maladies coronariennes et le cancer. Ces données inquiétantes ont conduit la France, à partir de 1998, à l'instar de nombreux autres pays, à instaurer un Programme National pour la Prévention du Suicide, aboutissant à la mise en place de diverses mesures et programmes d'action pour la période 2000-2005. C'est ainsi que la prévention du suicide est l'une des dix priorités de santé publique définies par la Conférence 1 Nationale de Santé ; par ailleurs, la crise suicidaire, sa reconnaissance et sa prise en charge ont fait l'objet d'une conférence de consensus et de recommandations, en 2001, disponibles sur le site de l'ANAES (www.anaes.fr). Enfin, un programme de formation à l'intervention et de sensibilisation des intervenants des champs sanitaire, éducatif, social et associatif est également piloté, à l'échelon des régions, par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES). La prévention et la prise en charge des risques et conduites suicidaires nécessitent d'énoncer quelques vérités simples et de se débarrasser de certaines idées fausses, mais fort répandues : 1 : le suicide n'est ni un acte de courage ni un acte de lâcheté ; ce n'est pas non plus un choix librement consenti, mais une mauvaise solution pour un sujet ne pouvant trouver d'autre issue à une souffrance devenue insupportable ; 2 : il est faux de croire que les personnes qui parlent de suicide ne passent pas à l'acte : huit personnes sur dix en parlent avant leur suicide ou tentative de suicide ; 3 : parler ouvertement de suicide à quelqu'un ne lui donne pas envie de le faire ; au contraire ceci permet à la personne d'exprimer ses difficultés, sa souffrance, des idées dont elle a souvent honte et de se sentir entendue, comprise et momentanément soulagée ; I : DEFINITIONS DES CONDUITES SUICIDAIRES Il convient de les reconnaître et de les identifier, pour les prendre en charge, ainsi que la souffrance qui les accompagne et éviter un passage à l'acte aux conséquences fatales. 1 : le suicide est une mort volontaire. Dürkheim (1897) l'a défini comme "la fin de la vie, résultant directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif de la victime ellemême, qui sait qu'elle va se tuer". On parle de mortalité suicidaire et de sujets suicidés. 2 : la tentative de suicide (TS) est plus difficile à définir, tant est variable l'intentionnalité suicidaire d'un sujet à l'autre ; Ce terme recouvre tout acte par lequel un individu met consciemment sa vie en jeu, soit de manière objective, soit de manière symbolique et n'aboutissant pas à la mort. Il ne s'agit donc pas d'un simple suicide raté. On parle de sujets suicidants et de morbidité suicidaire. 3 : les idées de suicide correspondent à l'élaboration mentale consciente d'un désir de mort, qu'il soit actif ou passif ; ces idées sont parfois exprimées sous la forme de menaces suicidaires. On parle de sujets suicidaires. 2 Les conduites suicidaires comprennent les suicides, mais aussi les tentatives de suicide, certaines conduites à risque s'apparentant à des "équivalents suicidaires" et les idées de suicide, pouvant survenir -ou non- au cours d'une crise suicidaire. 4 : la crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur est le suicide. Il s'agit d'un moment dans la vie d'une personne, où celle-ci se sent dans une impasse et est confrontée à des idées suicidaires de plus en plus envahissantes ; le suicide apparaît alors de plus en plus à cette personne comme le seul moyen, face à sa souffrance et pour trouver une issue à cet état de crise. 5 : les "équivalents suicidaires" sont des conduites à risque qui témoignent d'un désir inconscient de jeu avec la mort. Ces conduites, tout comme certaines lésions ou mutilations autoinfligées non suicidaires, ne doivent pas être abusivement considérées comme des tentatives de suicide. II : EPIDEMIOLOGIE DU SUICIDE Le suicide donne lieu, dans la plupart des pays, à la publication des statistiques officielles. Les méthodes de recueil sont en réalité très variables et on estime de manière générale que ces statistiques sous-estiment d'environ 20% le nombre des suicides. En France, elles résultent d'une part des certificats médicaux de décès et d'autre part, des conclusions formulées par les médecins légistes après l'examen des morts suspectes ou violentes. 1 : L'autopsie psychologique est une méthode, née aux EtatsUnis dans les années 1960, dont le but initial était d'élucider les origines des décès pour lesquelles un suicide était suspecté, sans pouvoir être clairement affirmé comme un acte mortel autoinfligé et intentionnel. Elle repose sur une enquête à posteriori, conduite sur la base de l'interrogatoire des proches, l'analyse des sources médicales, le recueil d'informations concernant les antécédents familiaux et personnels, la psychologie de la personne décédée, son style de vie, ses relations et les événements ayant précédé la mort. Ces données sont confrontées aux données objectives relatives au passage à l'acte pour conclure – ou non – à l'existence d'un suicide. L'autopsie psychologique s'est rapidement révélée une méthode intéressante pour documenter l'existence de troubles psychiatriques ou somatiques et la nature des soins dont les personnes avaient bénéficié. 2 : indices épidémiologiques du suicide Trois principaux indices sont utilisés : ¨ L'incidence du suicide : elle correspond au nombre de suicides répertoriés chaque année. Elle varie en France de 11000 à 12000 3 par an (1997), en rappelant que ce chiffre est sans doute sousestimé de 20%. ¨ Le taux de suicide, ou mortalité suicidaire qui s'exprime en nombre annuel de suicides pour 100 000 habitants : il est, en France, de 20 à 24 pour 100 000 globalement, ce qui fait de la France un pays à forte mortalité suicidaire d'après l'OMS (1999). ¨ Le taux de mortalité prématurée, attribuable au suicide : il est de 9 à 10%, le suicide étant la 3ème cause de mortalité prématurée en France, après les maladies coronariennes et les cancers. Le suicide représente ainsi 10% des années de vie perdues avant 65 ans, soit autant que les accidents de la circulation ou les maladies cardio-vasculaires. 3 : données descriptives ¨ le suicide est trois fois plus fréquent chez l'homme que chez la femme. La mortalité suicidaire était en France, en 1995 de 31,5/100 000 chez les hommes et de 10,7/100 000 chez les femmes. Cette surmortalité masculine est observée dans tous les pays disposant de statistiques sur le suicide, à l'exception de la Chine. ¨ Le suicide augmente fortement avec l'âge, surtout chez l'homme et surtout après 75 ans. ð ð ð ð 6% des suicides surviennent entre 15 et 24 ans, 66% entre 25 et 64 ans 28% chez les personnes âgées de 65 ans et plus Chez les adultes jeunes (25-34 ans) le suicide est la première cause de mortalité ð Chez les adolescents, il représente la 2ème cause de mortalité (16%), après les accidents de la circulation (38%). ð Le suicide est plus rare chez les sujets jeunes et peut être considéré comme exceptionnel chez l'enfant pré-pubère. (0,2/100 000 chez les 5-14 ans, chiffres 1994). Mais la notion de mort, chez l'enfant, ne peut être assimilée aux représentations qu'en ont couramment les adultes, une représentation construite de la mort, dans sa dimension d'irréversibilité, n'étant acquise qu'à partir de 8 ans. ¨ La mortalité par suicide varie selon le temps et le contexte géographique : La mortalité par suicide a montré une certaine stabilité jusqu'en 1975, suivie d'une forte augmentation d'indice (près de 40%) de 1975 à 1985, puis d'une légère diminution jusqu'en 1990, pour fluctuer entre 12000 et 11000 décès par an depuis. L'augmentation du suicide chez les jeunes a largement contribué à l'augmentation globale de l'incidence du suicide en France. Les données internationales concernant le suicide sont proches de celles décrites en France, mais il existe aussi des différences : en Angleterre par exemple, on a 4 observé une réduction notable de l'incidence du suicide au cours des années 1960-1970. En France, il existe également des disparités régionales sensibles. 4 : les moyens utilisés ¨ les modes de suicide les plus utilisés sont la pendaison (37%), les armes à feu (25%), l'intoxication par médicaments (14%) ; viennent ensuite la submersion-noyade et la précipitation d'un lieu élevé. Il faut signaler que la consommation d'alcool accompagne fréquemment les suicides par arme à feu. ¨ Conséquences pour la prévention : l'utilisation de ces moyens semble liée à leur disponibilité et à la réglementation les concernant, en particulier pour les armes à feu. C'est pourquoi, en termes de prévention, le contrôle de l'accès aux moyens de suicide et la diminution de leur potentiel létal représentent des aspects importants. ¨ Les "cibles" principales de la prévention du suicide, mais aussi les plus difficiles à atteindre, sont les hommes et les personnes âgées. III : EPIDEMIOLOGIE DES TENTATIVES DE SUICIDE 1 : problèmes méthodologiques ¨ Le recensement de la prévalence des tentatives de suicide (TS) est difficile car, contrairement aux suicides, il n'y a pas d'enquête systématique sur les TS Les enquêtes en population générale sont évidemment difficiles à mettre en place. ¨ Par ailleurs, malgré les recommandations de l'ANAES (2001), toutes les TS ne sont pas hospitalisées ou vues par un médecin. On estime que 30 % des personnes ayant commis une TS sont actuellement maintenues à domicile. 2 : données descriptives ¨ Les TS sont estimées en France à 160 000 par an ¨ Le sex ratio des TS est l'inverse de celui du suicide : les femmes réalisent deux fois plus de TS que les hommes ¨ Effets de l'âge : les TS sont les plus fréquentes entre 15 et 35 ans et diminuent ensuite. Selon une enquête de l'INSERM effectuée en 1999, au moins 5,2 % des filles et 7,7 % des garçons âgés de 11 à 19 ans auraient fait au moins une fois une tentative de suicide. 5 ¨ Des études conduites en population générale aux Etats-Unis permettent d'estimer la prévalence sur la vie entière des TS à 4,6 % chez les 15-54 ans (étude NCS, Kessler, 1999). 3 : moyens utilisés ¨ 90 % des TS résultent d'intoxications médicamenteuses volontaires. Les phlébotomies sont également fréquentes. 4 : pronostic ¨ on note 40 % de récidives, dont la moitié dans l'année suivant la tentative de suicide. ¨ Il y a 1 % de mortalité par suicide dans l'année qui suit la TS (contre 0,02 % dans la population générale, soit 50 fois plus !). ¨ Il y a plus de 10 % de décès par suicide, au cours de la vie, après une première tentative de suicide. Un antécédent de TS est ainsi l'un des plus importants facteurs de risque de suicide. IV : EPIDEMIOLOGIE DES IDEES SUICIDAIRES ¨ La prévalence des idées suicidaires a fait l'objet de plusieurs enquêtes récentes, permettant de situer le rapport des idées de suicide/TS autour de 4. ¨ En population générale, en France, lors d'un sondage réalisé par la SOFRES en janvier 2000, au domicile de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française, 13 % d'entre elles ont répondu par l'affirmative à la question : "vous-même, avez-vous déjà envisagé sérieusement de vous suicider ?" ¨ Chez les jeunes en France, 23 % des garçons et 41 % des filles de 15 à 19 ans ont rapporté avoir eu des idées suicidaires, soit un taux 4 fois supérieur à celui des TS (Choquet et Ledoux, 1994). ¨ La chronicité des idées suicidaires est un facteur de risque de passage à l'acte : celui-ci est de 40 % si les idées sont fréquentes, 15 % si les idées de suicide sont occasionnelles, 1 % en l'absence d'idées suicidaires. ¨ Le risque de passage à l'acte est augmenté quant il y a élaboration d'un plan suicidaire, c'est pourquoi la prévention du geste suicidaire passe par le repérage et l'évaluation des idées suicidaires. V : FACTEURS DE RISQUE ET POPULATIONS A RISQUE 6 On appelle "facteur de risque" un facteur qui a été mis en relation statistique avec la survenue d'un suicide, au niveau d'une population donnée. Il ne s'agit donc en aucun cas, d'un facteur individuel. Les facteurs de risque suicidaire sont en interaction les uns avec les autres et l'importance de leur effet va dépendre de la présence ou de l'absence d'autres facteurs. Dans une perspective pragmatique et préventive Rihmer (1996) a proposé de les classer en trois catégories : 1 : les facteurs de risque primaires Les facteurs primaires ont une valeur d'alerte importante, au niveau individuel, ils sont en forte inter action les uns avec les autres et peuvent être influencés fortement par les thérapeutiques. Ce sont : - les troubles psychiatriques, - les antécédents familiaux et personnel de suicide et tentatives de suicide, - la communication à autrui d'une intention suicidaire - l'existence d'une impulsivité, facilitant le risque de passage à l'acte. 2 : les facteurs de risque secondaires Les facteurs secondaires sont observables dans la population générale. Leur valeur prédictive est faible en l'absence de facteurs primaires. Ils ne sont que faiblement modifiables par les thérapeutiques. Ce sont : - les pertes parentales précoces l'isolement social : séparation, divorce, veuvage… le chômage ou l'existence d'importants facteurs financiers les "événements de vie" négatifs sévères. 3 : les facteurs de risque tertiaires Les facteurs de risque tertiaires n'ont pas de valeur prédictive en l'absence de facteurs primaires et secondaires et ne peuvent être modifiés, ce sont : - l'appartenance au sexe masculin - l'âge, en particulier l'adolescence et la sénescence - certaines périodes de vulnérabilité (phase prémenstruelle chez la femme, période estivale…). 4 : les facteurs de vulnérabilité On appelle "facteur de vulnérabilité" des éléments majorant les facteurs de risque précédemment décrits et pouvant contribuer, dans certaines circonstances, à favoriser un passage à l'acte 7 suicidaire sous l'influence de facteurs précipitants. Il s'agit d'événements de la biographie passée, survenus souvent au cours de pertes parentales précoces, de carences affectives, de violence, de maltraitance ou de sévices… 5 : les facteurs précipitants On appelle facteurs précipitants des circonstances précédent de peu le passage à l'acte ou déterminants dans la crise suicidaire : des événements de vie négatifs, tels une séparation, une maladie, un échec, etc. Il s'agit parfois d'événements anodins pour l'intervenant mais qui revêtent une importance affective d'autant plus grande pour la personne qu'ils réactualisent, à un moment donné, des problématiques liées au passé du sujet, sous-tendues par les facteurs de vulnérabilité précédemment décrits. 6 : les facteurs de protection S'il existe de nombreux facteurs de risque suicidaire, il faut mentionner l'existence de facteurs de protection. Il s'agit essentiellement de facteurs psycho-sociaux tels un soutien familial et social de bonne qualité, le fait d'avoir des enfants, des relations amicales diversifiées, etc. Bien que ceux-ci soient insuffisamment documentés actuellement, on peut citer également "la résilience", c'est à dire la capacité d'un individu à faire face à l'adversité. 7 : au total La mortalité par suicide concerne surtout l'homme mûr et âgé, alors que la morbidité suicidaire concerne surtout la femme jeune. Le risque de décès par suicide augmente avec l'âge, alors que le risque de décès diminue. VI : RECONNAITRE ET EVALUER UNE CRISE SUICIDAIRE La notion de "crise suicidaire" offre une méthode pragmatique pour évaluer et prendre en charge une personne à haut potentiel suicidaire. 1 : définition de la crise suicidaire La crise suicidaire peut être définie comme un moment de crise psychique, au cours de la vie du sujet, où celui-ci va épuiser progressivement ses ressources adaptatives, psychologiques et comportementales et envisager , progressivement, par le biais de distorsions cognitives, le suicide comme seule possibilité de réponse aux difficultés qu'il rencontre et éprouve. 2 : signes d'orientation et de diagnostic 8 ¨ la crise suicidaire se traduit par des signes de rupture par rapport au comportement habituel de la personne, dont le regroupement doit alerter l'entourage et provoquer une assistance professionnelle. ¨ Il peut s'agir de signes manifestes, tels : Ø la manifestation explicite d'idées et d'intentions suicidaires par le discours ("je veux mourir", "je n'en peux plus", "je voudrais partir…", etc.) ou sous forme de textes, de dessins, chez les enfants en particulier. Ø l'expression de la crise psychique dans les attitudes, le comportement, les relations interpersonnelles : la personne a un visage triste, douloureux ou inexpressif ; elle peut paraître étrangement absente ; on peut noter un changement de comportement avec l'entourage, un désintérêt ou l'abandon des centres d'intérêt habituels, des décisions irréfléchies, parfois illogiques ou peu compréhensibles, ; une consommation et un recours inhabituel ou excessifs aux médicaments, à l'alcool, aux drogues ; un repli sur soi, une anxiété, une irritabilité, un désinvestissement inhabituels. Ø des distorsions cognitives : elles traduisent le fait que la personne ne perçoit et n'analyse plus de façon réaliste et objective les événements extérieurs ou ses propres capacités à faire face : elle présente une image altérée et dévalorisée d'elle-même, se sent impuissante à surmonter ses émotions et à affronter les événements de sa vie. Ce sentiment peut confiner au désespoir, à une vision cynique et désabusée d'elle-même et d'autrui, une réduction du sens des valeurs, un sentiment de constriction psychique. Ø des "comportement de départ" à forte valeur d'orientation doivent être activement recherchés et attirer l'attention : la recherche soudaine d'une arme à feu, le don d'effets personnels investis d'une valeur affective, la rédaction de lettres aux proches ou d'un testament, en sont des exemples. ¨ Les signes d'alerte peuvent varier selon l'âge : Ø chez l'enfant, la crise psychique sera peu verbalisée et s'exprimera plutôt sous la forme de dessins traduisant des préoccupations pour la mort, par la survenue de plaintes somatiques, des blessures à répétition, une hyperactivité, des troubles du sommeil, une tendance à l'isolement; des troubles des apprentissages ; une réduction des activités ludiques et une tendance à devenir le "souffre-douleur" d'autrui… Des bouleversements familiaux (décès, maladie, séparation…) la maltraitance ou les carences affectives sont des facteurs de vulnérabilité qui doivent être recherchés. 9 Ø chez l'adolescent, l'expression répétitive d'une intentionnalité suicidaire est un motif suffisant d'intervention. Cependant, il faut également être attentif à un fléchissement inattendu des résultats scolaires, la survenue des conduites déviantes, de prise inconsidérée de risques ou de conduites addictives ; des fugues et des conduites violentes contre soi ou autrui … Les ruptures sentimentales, les échecs scolaires ou autres, les conflits d'autorité, la solitude affective sont des facteurs de vulnérabilité. Ø chez l'adulte, la crise psychique peut se manifester par des arrêts de travail à répétition, des consultations médicales itératives pour douleurs ou fatigue, des conflits avec la hiérarchie ou le conjoint, un sentiment d'incapacité, d'inefficience ou d'inutilité dans le travail et les relations sociales, etc. Les conflits professionnels ou conjugaux, les maladies graves, la toxicomanie, les blessures narcissiques, l'émigration… sont des facteurs de vulnérabilité. Ø chez la personne âgée : les idées suicidaires sont rarement exprimées de façon explicite mais plutôt allusivement : "laissez moi partir", "à quoi bon, je dérange tout le monde"… La crise psychique doit être recherchée devant une perte progressive d'intérêt pour les personnes et les activités investies ; un refus de soin, des conduites anorexiques… Chez le sujet âgé, la dépression, les maladies physiques -en particulier celles qui génèrent handicap et douleurs-, les changements d'environnements et le départ en institution (hôpital, maison de retraite…), le décès du conjoint sont des facteurs de vulnérabilité. 3 : Evaluation de la crise suicidaire Une manière commode dévaluer les modalités et l'urgence des interventions, préconisées par l'ANAES, consiste à décomposer et analyser la menace suicidaire en trois composantes : les facteurs de risque, l'urgence de la menace, la dangerosité du scénario suicidaire. Cette méthode simple s'avère opérante pour les professionnels de santé, mais aussi pour tous les intervenants de "première ligne" susceptibles d'être confrontés à une menace suicidaire : enseignants, travailleurs sociaux, personnels des différentes administrations, bénévoles… Chacune de ces trois dimensions : risque, urgence, dangerosité est évaluée séparément selon trois degrés d'intensité : faible, moyen ou élevé. ¨ Les facteurs de risque suicidaire : RISQUE. En dehors des facteurs de risque déjà mentionnés (âge, sexe, isolement social, communication d'une intention suicidaire) il s'agit de la 10 présence actuelle ou dans troubles psychiatriques : les antécédents d'un ou plusieurs Ø antécédents familiaux et personnels de suicide : la moitié des suicides (30 à 60 %) sont précédés d'une ou plusieurs TS. Finalement, 10 % des suicidants parviennent à se suicider et, chez eux, le risque relatif de suicide est multiplié part 40 par rapport à la population générale. On admet que, globalement, le taux de suicide chez les suicidants augmente de 1 % chaque année, au cours des dix premières années, la première année étant celle à plus fort risque. Ø les maladies psychiatriques sévères, en particulier les troubles de l'humeur, l'alcoolisme, les schizophrénies. Le fait de présenter un trouble psychiatrique constitue un important facteur de risque suicidaire, et ce d'autant plus que la pathologie a nécessité une hospitalisation. Les études fondées sur un suivi prospectif montrent que 10 à 15 % des patients décèdent par suicide. Par ailleurs, 4 % des suicides surviennent chez des patients hospitalisés en psychiatrie (c'est à dire durant l'hospitalisation, lors d'une permission ou dans les 48 h suivant leur sortie d'hôpital). Comparativement à des sujets contrôles issus de la population générale, le risque de suicide est de 6 à 22 fois supérieur chez les sujets souffrant d'un trouble mental avéré. Ø les études "par autopsie psychologique" réalisées aux Etats Unis et en Europe du Nord (Angleterre, Suède, Finlande) montrent l'existence d'un trouble psychiatrique chez plus de 90 % des suicidés. Les diagnostics les plus fréquemment portés sont ceux de dépression (50 %), alcoolisme (30 %), trouble de la personnalité (35 %), schizophrénie (6 %). Ø la comorbidité psychiatrique est importante chez les suicidés. Les troubles de la personnalité et les abus de substances sont rarement les diagnostics principaux ou exclusifs mais s'associent fréquemment à celui de dépression. Ø Si l'existence d'un trouble psychiatrique est un facteur de risque primordial, il n'est pas nécessairement un facteur suffisant. C'est dans ces cas que les facteurs de vulnérabilité et précipitants (événements de vie, inter relations avec l'environnement familial …) jouent un rôle déterminant dans le passage à l'acte suicidaire. Dans la semaine qui précède, on retrouve souvent de nombreux conflits interpersonnels, de l'hostilité ou de la violence, et chez les adolescents des conflits disciplinaires ou des circonstances s'accompagnant de forts sentiments de déception, de rancœur, d'humiliation ou d'injustice. Ø La présence actuelle d'un ou de facteur(s) de risque, leur sommation permettent d'évaluer le degré d'intensité des facteurs de risque 11 ¨ L'urgence de la menace suicidaire : URGENCE Ø deux éléments doivent être pris en compte : l'existence d'un scénario suicidaire et l'absence pour le sujet d'une alternative autre que le suicide. Ø l'urgence doit être évaluée comme "faible" en l'absence d'un scénario construit, "moyenne" si un scénario existe, mais que sa date de réalisation est éloignée ou imprécise, "élevée" s'il existe une planification précise ou une date arrêtée pour les jours suivants. ¨ La dangerosité létale du moyen suicidaire : DANGEROSITE Ø doivent être évaluées la dangerosité mortelle du moyen considéré et son accessibilité : la personne peut-elle facilement disposer -lors de l'évaluation- du moyen qu'elle se propose d'utiliser ? Si l'accès au moyen est facile et/ou immédiat, la dangerosité doit être évaluée comme "élevée", l'intervention doit alors être immédiate et viser, en priorité, à empêcher l'accès à ce moyen. VII : PRENDRE EN CHARGE LA PERSONNE EN CRISE SUICIDAIRE 1 : aborder et interroger un sujet en crise suicidaire ¨ La rencontre doit pouvoir se dérouler en toute confidentialité, en face à face, dans un endroit calme et favorisant l'expression des affects. Il faut organiser le contexte de l'entretien au préalable, chaque fois que cela est possible. ¨ L'entretien doit être conduit de façon à la fois directive et empathique, laissant à la personne le temps de s'exprimer. Il n'est pas inutile de laisser le sujet pleurer ou exprimer son désespoir, son désarroi, ses frustrations ou sa colère. Les sujets en crise psychique sont souvent en proie à une souffrance intense et ne peuvent réfléchir ou s'exprimer de façon posée. L'entretien doit en premier lieu permettre de soutenir le sujet, établir une relation de confiance, mettre à jour sa souffrance et l'assurer qu'on le comprend. ¨ Si l'on suspecte une personne d'être en crise suicidaire, il faut l'interroger simplement et après un temps introductif, aborder directement le sujet d'éventuelles idées suicidaires. ¨ Le questionnement de l'intervenant doit se faire dans un style sobre, simple et direct, évitant les jugements de valeur et les périphrases, telles que "il me semble que…", "vous avez l'air de…". 12 ¨ On peut procéder de façon interrogative : "avez-vous des idées de suicide, envie de mourir ?"; on peut également utiliser le mode affirmatif : ("vous êtes en colère n'est ce pas?") et reformuler en résumant, à certains moments, la situation telle qu'on l'analyse, en insistant toujours sur l'affectivité, les sentiments de la personne : "si je comprends bien ce que vous me dites, vous êtes très en colère parce que…"). 2 : identifier protection l'existence de facteurs précipitants et de ¨ L'identification et l'évaluation de facteurs de vulnérabilité et de facteurs précipitants sont importants pour montrer à la personne que l'on comprend sa souffrance, pour évaluer si elle a envisagé des alternatives possibles et comment elle y réagit, pour juger des ressources psychologiques dont elle peut encore disposer. ¨ L'entretien doit permettre d'identifier d'éventuelles sources de soutien dans l'entourage et apprécier comment la personne en crise les perçoit. On peut recenser les intervenants déjà impliqués ou possibles, relever leurs coordonnées et proposer de les contacter et de les informer. ¨ La capacité de coopération de la personne est importante évaluer pour juger de l'urgence d'une intervention. à 3 : distinguer entre crise psycho-sociale et crise en rapport avec un trouble mental La situation n'est évidemment pas la même si la menace suicidaire est en relation avec une pathologie psychiatrique manifeste, ou si elle est sous-tendue par une crise psycho-sociale. La prise en charge d'un trouble psychiatrique est évidemment prioritaire qunad elle existe et justifie alors souvent une hospitalisation. En revanche, dans certains cas, l'exploration du contexte de vie du sujet permet d'identifier la nature psycho-sociale de la crise et d'analyser les circonstances qui conduisent la personne à vouloir mourir. Cette distinction permet de juger des capacités de la personne à relativiser sa situation et de la possibilité, pour l'intervenant, de réduire la tension psychique. Elle permet d'orienter la prise en charge et les interventions proposées. 4 : proposer une orientation et intervenir ¨ Un traitement médicamenteux symptomatique peut être proposé en cas de souffrance majeure persistante, d'agitation irrépressible et pour permettre la poursuite d'une prise en charge adéquate. Dans l'immédiat, un traitement anxiolytique et/ou sédatif peut 13 être prescrit. Un traitement de fond ne doit être entrepris qu'en hospitalisation, si elle est nécessaire). ¨ L'hospitalisation s'impose si l'urgence est élevée, si le suicide est planifié, les moyens mortels disponibles, si le sujet est "froid" et coupé de ses émotions, ou impulsif, s'il refuse toute coopération ou présente d'importants troubles du jugement. Une hospitalisation sans consentement (Hospitalisation à la Demande d'un Tiers : HDT) peut être nécessaire, en l'absence de coopération du sujet, on doit cependant toujours expliquer à la personne les raisons conduisant à cette décision et son caractère temporaire. L'hospitalisation, qu'elle soit réalisée en accord avec la personne ou sous contrainte, a pour but de protéger la vie du sujet, de mettre temporairement à distance les situations ayant précipité l'état actuel de crise suicidaire , d'établir une relation de confia de qualité suffisante et réévaluer plus finement ultérieurement, l'état psychiatrique et/ou le contexte d'existence de la personne. L'ANAES recommande l'hospitalisation systématique pendant 48 heures au moins de tout adolescent suicidant. Un patient suicidaire présentant des signes d'intoxication (alcool, psychotropes… ) doit être maintenu au service des urgences jusqu'à la disparition des signes d'intoxication et une nouvelle évaluation clinique. ¨ Surveillance d'un patient hospitalisé : les suicides en milieu hospitalier représentent 5 % des suicides ; l'hospitalisation d'un patient suicidant n'est donc pas à elle seule, une mesure suffisante pour éviter un passage à l'acte et il est indispensable d'évaluer la potentialité suicidaire également chez les patients hospitalisés. Deux profils cliniques distincts sont retrouvés dans les études : Ø en hôpital général, il s'agit de personnes âgées de la soixantaine, atteints de maladies chroniques et de cancers, Ø en service de psychiatrie, il s'agit en général de sujets jeunes, schizophrènes ou dépressifs. Le suicide survient alors en début de séjour ou avant une sortie non désirée ou redoutée par le patient. Certaines précautions peuvent être prises consistant à limiter l'accès à des moyens mortels, en particulier la défenestration et la pendaison : ouverture limitée des fenêtres, suppression des moyens d'appui résistant au poids du sujet et permettant une pendaison : crochets, tringles à rideaux, poignées… La vérification des effets personnels de la personne, en sa présence et après avoir recherché son accord, permet également de neutraliser certains moyens : couteaux, ceinture, médicaments, etc. Si la situation l'exige, le patient devra être installé dans une chambre proche du local de soins et une surveillance rapprochée devra être prescrite. A l'hôpital, les périodes de changement (début ou fin d'hospitalisation, transfert dans une 14 autre chambre ou unité, absence du médecin référent habituel…) sont des périodes où le risque est le plus élevé. ¨ Prise en charge ambulatoire : si l'évaluation de la menace suicidaire est moyenne ou faible, une prise en charge ambulatoire peut être proposée, à condition de s'assurer d'un soutien rapproché : coopération du sujet, entourage proche et disponible, nouvel entretien programmé et accepté avec la personne. ¨ Prise en charge psychologique et suivi. Que le patient soit hospitalisé ou non, le but principal de la prise en charge d'un sujet en crise suicidaire consiste à définir et mettre en place des alternatives valables au projet suicidaire. L'évaluation du ou des facteurs précipitants, l'analyse de la manière dont la personne perçoit la crise actuelle, le soutien dont elle dispose, ses capacités personnelles à mobiliser ses propres ressources adaptatives vont aider à construire ces alternatives. C'est pourquoi, l'entretien doit également permettre de repérer les éléments positifs de sa vie et de sa personnalité, même si elle n'est pas toujours capable de les percevoir êlle même. 5 : Suivi et évaluation Le suivi doit être réfléchi et organisé pas à pas, dès le début de la prise en charge et assurer la permanence et la continuité de la prise en charge. En fonction des besoins de la personne et avec sa collaboration, des ressources adéquates et effectivement accessibles seront recherchées et sollicitées dans l'entourage du sujet ou au niveau institutionnel. Il faut planifier pas à pas des démarches simples : téléphoner à un proche, au médecin traitant habituel, faire intervenir l'assistante sociale ou aider à la réalisation de telle ou telle démarche. L'intervenant doit s'assurer personnellement jalons aient effectivement été mis en place. que ces relais et Une réévaluation de la situation après quelques jours est toujours souhaitable : elle permet à la personne de sa fixer des échéances pragmatiques et atteignables. On considère que, même chez une personne sans facteur de risque primaire, une vigilance de l'entourage est nécessaire dans les douze mois suivant une crise suicidaire ou une tentative de suicide. VIII : PREVENTION DU SUICIDE 1 : l'impossible prédiction du suicide L'identification de plus en plus précise et étendue de facteurs de risque suicidaire ne permet cependant pas de pouvoir prédire un suicide. Si les différents facteurs de risque ont une utilité en pratique clinique, leur connaissance permet d'envisager deux 15 catégories d'actions préventives : l'une vise à mieux traiter certains facteurs de risque curables, tels les troubles psychiatriques, en particulier les dépressions, l'autre consiste à identifier des populations à haut risque suicidaire, de manière à leur appliquer des mesures préventives. La rareté statistique du suicide fait que, dans ces populations à risque, la "prédiction" du suicide s'accompagne d'un nombre très élevé de faux positifs. Il faut donc limiter cette prévention à des mesures peu contraignantes, tant sur le plan individuel que sur le plan économique, si l'on ne veut pas voir leur coût et leurs inconvénients excéder les bénéfices qu'on peut en attendre. 2 : la nécessaire prévention médicale Quatre types d'interventions médicales peuvent cependant permettre de prévenir utilement le suicide : ¨ ¨ ¨ ¨ le repérage et l'intervention lors de situations de crise suicidaire la prise en charge des suicidants l'amélioration du diagnostic et du traitement des troubles mentaux, en particulier des dépressions la prévention du suicide auprès des sujets à hauts risques que sont les malades hospitalisés en psychiatrie. Les deux premières : repérage et intervention lors de situations de crise suicidaire et la prise en charge des suicidants ont fait l'objet, en France de conférences de consensus, soutenues par l'ANAES (cf. bibliographie). BIBLIOGRAPHIE Pour en savoir plus : 1. Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) : Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide. Recommandations pour la pratique. Novembre 1998. Texte long disponible sur demande à l'ANAES et par internet (www.anaes.fr) 2. Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) : La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge. Octobre 2000. Texte long et recommandations disponibles sur demande à l'ANAES et par internet (www.anaes.fr) 3. HARDY P., La prévention du suicide. Rôle des praticiens différentes structures de soins. DOIN Editeurs, Paris 1997 16 et 4. WALTER M., KERMARREC I., Idées ou conduites suicidaires : orientation diagnostique et conduite à tenir en situation d'urgence, Revue du Praticien, 1999, 49 : 1685-1690 17 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 11 - Synthèse clinique et thérapeutique De la plainte du patient à la décision médicale – urgences Question 191 Crise d’angoisse aiguë et attaque de panique Rédaction : A Pelissolo, G Loas. Objectifs pédagogiques - Diagnostiquer une crise d’angoisse aiguë et une attaque de panique. - Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge. Introduction La crise d’angoisse aiguë, dénommée attaque de panique dans les classifications actuelles, se rencontre fréquemment en psychiatrie, en médecine d’urgence et en médecine générale. Elle peut survenir dans de nombreux syndromes différents, sans réelle spécificité, comme dans les dépressions, certaines psychoses, des états d’intoxication, et surtout dans différents troubles anxieux et phobiques. Elle peut également survenir de manière isolée et ponctuelle, sans conséquence ni répétition. Mais les attaques de panique peuvent également constituer le signe central d’une pathologie sévère et chronique, dénommé trouble panique, qui est abordé dans le chapitre des troubles anxieux (module 3, question 41). L’objectif de l’examen d’un patient présentant, ou ayant présenté, une crise d’angoisse est donc de poser le diagnostic d’attaque de panique mais surtout de tenter d’en déterminer le contexte et dans certains cas la cause, afin de décider du traitement à court et long terme le plus adapté. Sémiologie Les attaques de panique correspondent à la survenue brutale d’une sensation de peur intense qui s’accompagne de symptômes psychiques, physiques et comportementaux (tableau 1). Le diagnostic repose avant tout sur le caractère paroxystique de ces manifestations, avec une intensité maximale atteinte en quelques secondes ou quelques minutes, et surtout sur l’impression de perte de contrôle totale que ressentent les patients qui y sont confrontés. Symptômes psychiques Les principaux symptômes psychiques sont la peur, l’angoisse, voire une réelle terreur ou panique. Ils peuvent s’accompagner, dans les formes sévères, d’une impression violente de dépersonnalisation (« je ne sais plus qui je suis, mon corps se transforme ») ou de déréalisation (l’environnement se modifie, dans ses formes ou ses couleurs par exemple). L’esprit est assiégé par des pensées catastrophiques : peur de s’évanouir, d’étouffer, d’avoir un accident cardiaque, et surtout de perdre le contrôle de soi (« devenir fou ») ou de mourir. La concentration sur une tache devient impossible, et la mémoire peut être fortement perturbée. Symptômes physiques et comportementaux Les signes physiques sont très polymorphes, les plus fréquents concernant la respiration (polypnée, dyspnée, sensation d’étouffement ou de blocage respiratoire) et le rythme cardiaque (palpitations, tachycardie), à côté de symptômes généraux : étourdissement, vertiges, sensation de dérobement des jambes, sueurs, bouffées de chaleur ou frissons, tremblements, secousses musculaires, douleurs ou gênes thoraciques ou abdominales, nausées, vomissement, diarrhée, impériosité mictionnelle, paresthésies. Certains signes peuvent être objectivés par l’examen clinique, comme une élévation de la tension artérielle systolo-diastolique, ainsi qu’une discrète augmentation de la température corporelle. Les signes physiques augmentent l’angoisse du patient, craignant un infarctus ou un autre accident fatal, ce qui ne fait que les augmenter en retour. L’hyperventilation est souvent à l’origine de nombreux autres symptômes (paresthésies, crispation, vertiges). Le comportement du patient peut être aussi très variable : agitation désordonnée, fuite immédiate d’un lieu considéré comme dangereux, ou au contraire inhibition plus ou moins marquée, jusqu’à la sidération totale. A la différence des crises conversives d’agitation hystérique, les crises d’angoisse s’accompagnent peu de manifestations spectaculaires et théâtrales, les sujets anxieux ayant le plus souvent tendance à dissimuler autant que possible leur gêne aux yeux des autres. Évolution de la crise L’évolution de chaque crise d’angoisse dépend de son étiologie et du contexte dans lequel elle survient. Le plus souvent, l’intensité des symptômes augmente très rapidement au départ, atteint un maximum puis un plateau qui peut durer quelques minutes ou plus, puis le calme revient progressivement avec persistance pendant un certain temps d’une grande fatigue ou d’une grande émotivité (larmes, instabilité émotionnelle). La durée totale des crise peut varier de quelques minutes à une heure, voire un peu plus, avec une moyenne autour de 20 à 30 minutes. Formes particulières Certaines attaques de panique ne comportent qu’un ou que quelques signes physiques isolés, comme des palpitations, des douleurs abdominales ou des vertiges. Leur diagnostic est alors difficile, et les patients consultent souvent de nombreux spécialistes avant que l’origine anxieuse ne soit évoquée, alors que ces crises peuvent être très gênantes et se répéter souvent. Les crises dites de « spasmophilie » (ou de « tétanie »), terme utilisé uniquement en France, correspondent le plus souvent à des attaques de panique marquées par des manifestations respiratoires (hyperventilation), neuromusculaires (paresthésies, hypertonie) et comportementales. Elles ne correspondent en rien à un syndrome biologique spécifique, et ne doivent pas être traitées par magnésium, calcium ou vitamine D puisqu’il ne s’agit pas de réelles crises de tétanie, comme celles qui peuvent survenir chez des patients dénutris ou carencés. Diagnostic étiologique Les attaques de panique peuvent être de quatre types : 1/ complètement spontanées (sans facteur déclenchant et donc imprévisible), 2/ secondaires à des peurs préalables ou à un état psychologique particulier (anxiété phobique ou humeur dépressive par exemple), 3/ déclenchées par des événements traumatisants intenses, et 4/ favorisées par une prise de toxiques ou par une maladie organique. Les crises spontanées, quand elles se répètent, peuvent correspondre au trouble panique et se compliquer d’agoraphobie. La plupart des crises secondaires surviennent chez des patients phobiques lors de la confrontation avec l’objet ou la situation redoutée (être enfermé pour un claustrophobe, devoir faire face à un public pour un phobique social, etc.). De nombreuses substances sont susceptibles d’induire des attaques de panique, et leur recherche doit être systématique en cas de contexte évocateur : alcool, cannabis, cocaïne, hallucinogènes (LSD), amphétamines (ecstasy), solvants volatils, théophylline, phencyclidine, produits anticholinergiques, dérivés nitrés, préparations thyroïdiennes, corticostéroïdes, oxyde et dioxyde de carbone. Des crises peuvent être également induites par le sevrage de certaines substances : alcool, opiacés, caféine, benzodiazépines, certains anti-hypertenseurs. Certaines pathologies somatiques aiguës peuvent comporter des symptômes anxieux, parfois au premier plan, ou mimer les symptômes habituels de l’anxiété : • cardio-vasculaires : angor, infarctus, poussée d’insuffisance cardiaque, hypertension artérielle, troubles du rythme ; • pulmonaires : asthme, embolie pulmonaire ; • neurologiques : épilepsie, notamment les crises temporales, crises migraineuses, maladie de Menière, accidents ischémiques transitoires, etc. • endocriniennes : hypoglycémie, phéochromocytome, hyperthyroïdie, syndrome de Cushing, hypoparathyroïdie, etc. • autres : hémorragies internes, pancréatite, porphyrie, vertiges labyrinthiques, réactions anaphylactiques, etc. Physiopathologie La physiopathologie des attaques de panique n’est pas univoque, et différents facteurs biologiques et psychologiques peuvent se combiner. Au plan psychologique, des réactions liées à des interprétations « catastrophistes » de sensations internes (palpitations évoquant une crise cardiaque, vertiges évoquant une attaque cérébrale, etc.) ou de conditions extérieures (lieu clos, impossibilité de sortir, stress intense, etc.) contribuent à une perte de contrôle des émotions et à un véritable état de panique. Il se met en place un véritable cercle vicieux s’auto-renforçant car la peur aggrave les signes physiques qui eux-mêmes amplifient l’angoisse. On sait par ailleurs qu’il existe des agents inducteurs biologiques permettant de déclencher des attaques de panique : le lactate de sodium, le dioxyde de carbone (CO2), la cholécystokinine (et notamment le tétrapeptide cholécystokinine 4 (CCK4) ainsi que des dérivés qui stimulent les systèmes noradrénergiques ou sérotoninergiques. Par l’intermédiaire de l’action de ces agents inducteurs, des hypothèses physiopathologiques sont formulées : possibilité de l’existence d’une voie finale commune entre le CO2, le lactate, le CCK4 à travers le noyau du tractus solitaire qui module les fonctions cardiorespiratoires et existence probable de dysfonctionnements dans la régulation de neurotransmetteurs tels que la noradrénaline, la sérotonine, le GABA et la cholécystokinine. Traitement Conduite à tenir à court terme L'examen somatique dans l'urgence est à adapter à la situation et aux premiers signes d'orientation, pouvant se limiter à une auscultation et à une prise de tension artérielle mais pouvant aller jusqu'à la réalisation d'examens complémentaires en urgence : électro-cardiogramme, examens sanguins, et recherche de toxiques au moindre doute. Au plan psychopathologique, il est surtout important de recueillir le plus d'informations possibles sur les antécédents du patient et les circonstances de la crise, avec la contribution éventuelle de l'entourage. Une écoute attentive du discours du patient est naturellement indispensable, même sur une période courte, pour orienter le diagnostic étiologique. Dans la plupart des cas, l'éloignement des facteurs anxiogènes extérieurs et la présence rassurante d'un professionnel permettent très rapidement de réduire l'intensité de la crise ou de la faire cesser. Si l'examen est en faveur de l'existence d'une pathologie organique associée à l'angoisse, il faut le préciser au patient et le prévenir des éventuels traitements et examens complémentaires prescrits. Dans le cas contraire, il est important également de le signaler au patient, sans conclure à l'absence de pathologie mais en pointant l'origine psychologique de son état, permettant d'attribuer à l'anxiété les symptômes physiques observés. Lui rappeler que la crise va naturellement céder et qu'en aucun sa vie n'est en danger est souvent indispensable. Des méthodes simples permettent également de réduire les symptômes psychiques et physiques : défocaliser l'attention du patient des menaces externes ou de sensations internes anxiogènes, orienter cette attention vers un essai de détente d'une partie du corps comme les muscles du bras ou des épaules, et surtout modifier le rythme respiratoire. Celui-ci doit être le plus lent et le plus « superficiel » possible, bouche fermée et en s'aidant d'une respiration abdominale plutôt que thoracique. Les respirations amples et l'hyperventilation favorisent en effet l'hypocapnie responsable de nombre des symptômes somatiques. Ces mesures permettent dans la très grande majorité des cas d'obtenir une interruption de la crise. Il faut ensuite expliquer au patient ce qu'il vient de vivre, compléter éventuellement l'examen somatique, et approfondir l'évaluation psychopathologique. En fonction de celle-ci, le patient sera orienté vers son médecin traitant ou vers un spécialiste en fonction de l'étiologie (traitement préventif dans un trouble panique par exemple). La prescription médicamenteuse au cours de la crise d'angoisse elle-même doit être limitée autant que possible. Le patient ne doit pas en effet conserver en mémoire une issue uniquement « médicalisée » de sa crise, en évitant tous les actes les plus symboliques et les plus techniques (perfusions, injections, etc.). C'est ainsi qu'un meilleur contrôle du sujet sur son anxiété pourra être obtenu, dans la perspective d'éventuelles récidives, évitant de le rendre dépendant des structures de soin les plus lourdes. Une administration médicamenteuse ne s'impose que lorsque la crise se prolonge malgré les méthodes énoncées ci-dessus, par exemple au-delà d'une demi-heure, ou que les symptômes sont très intenses (agitation psychomotrice très importante par exemple). La voie orale est à privilégier, car elle assure la meilleure biodisponibilité et rapidité d'action pour les produits anxiolytiques, et elle permet de limiter le caractère technique de l'acte. Les traitements disponibles dans le traitement aigu de l'anxiété sont essentiellement les benzodiazépines, par exemple : - diazépam (Valium®), un comprimé à 5 ou 10 mg; - alprazolam (Xanax®), un comprimé à 0,25 ou 0,50 mg; - lorazépam (Témesta®), un ou deux comprimés à 1 mg. L'effet anxiolytique, s'accompagnant éventuellement d'un effet sédatif (en fonction de la dose et de la sensibilité du sujet), est obtenu en 15 à 30 minutes environ. La surveillance concerne essentiellement la vigilance et la fonction respiratoire, surtout en cas de prise récente d'alcool ou d'autres toxiques, opiacés notamment. La voie intra-musculaire est à réserver aux cas exceptionnels où la voie orale n'est pas accessible (agitation majeure, contracture de la mâchoire, troubles de la déglutition), avec par exemple : - diazépam (Valium®), une ampoule à 10 mg; - clorazépate dipotassique (Tranxène®), une ampoule à 20 mg. La voie intra-veineuse ne doit pas être utilisée dans les crises d'angoisse aiguë. Signes de gravité En dehors des éventuels signes de gravité somatique qui peuvent être liés à la co-existence d’une pathologie organique, et qui doivent alors être pris en charge en urgence par une unité de réanimation par exemple, certains signes de gravité psychiatrique (très rares) doivent être repérés : - risque de raptus suicidaire - risque d’hétéro-agréssivité - sidération anxieuse - répétition des crises - pathologie associée : abus d’alcool ou de toxiques, troubles graves de la personnalité, épisode dépressif majeur, épisode délirant aigu, schizophrénie et autres psychoses chroniques. Dans ce contexte une hospitalisation en milieu psychiatrique doit être envisagée, soit en hospitalisation libre si le patient reconnaît la nécessité des soins, est demandeur de soins et si son consentement est recevable ; soit en milieu psychiatrique spécialisé selon la loi du 27 juin 1990 (hospitalisation à la demande d'un tiers) si les troubles du patient rendent impossible son consentement aux soins. Conduite à tenir à moyen et long terme En cas de diagnostic avéré de trouble psychiatrique, et notamment de trouble anxieux chronique (trouble phobique, trouble panique, etc.), une prise en charge spécifique au long cours doit être mise en place. Elle combine en général un suivi psychiatrique régulier, une psychothérapie et en particulier une thérapie comportementale et cognitive, et un traitement médicamenteux préventif, le plus souvent un antidépresseur sérotoninergique (voir troubles anxieux : module 3, question 41). Tableau I. Critères diagnostiques de l'attaque de panique selon la classification DSM-IV (Diagnostic Statistical Manual, 4ème révision). Période bien délimitée de crainte ou de malaise intense, durant laquelle au moins 4 des symptômes suivants se sont développés de façon brutale et ont atteint un pic d'intensité dans les 10 minutes : 1. Palpitations, sentiment de battement cardiaque ou accélération du rythme cardiaque 2. transpiration 3. tremblements ou secousses musculaires 4. sensations de "souffle coupé" ou d'étouffement 5. sensation d'étranglement 6. douleur ou gêne thoracique 7. nausée ou gêne abdominale 8. étourdissement, sensations d'instabilité ou d'évanouissement 9. déréalisation (sentiment d'irréalité) ou dépersonnalisation (sentiment d'être détaché de soi) 10. peur de perdre le contrôle ou de devenir fou 11. peur de mourir 12. paresthésies (sensations d'engourdissement ou de picotements) 13. bouffées de chaleur ou frissons DEUXIÈME PARTIE : MALADIES ET GRANDS SYNDROMES Question 266 NÉVROSE Rédaction : J. Adès, JP Boulenger, E. Corruble, P. Hardy, M. Patris, C Piquet Objectif pédagogique général Connaître le sens et la signification du concept de névrose Connaître l’approche contemporaine de la névrose au regard de la notion de troubles anxieux Connaître la notion de mécanisme de défense Connaître les conséquences médico-économiques des névroses et des troubles anxieux Connaître les différentes entités nosographiques regroupées sous le terme de névrose et leurs principales caractéristiques cliniques Connaître les risques évolutifs des états névrotiques Objectifs pédagogiques spécifiques Psychopathologie Connaître les modèles théoriques des névroses et des troubles anxieux Prise en charge Connaître les diverses stratégies thérapeutiques qui peuvent être proposées et leurs indications Savoir prescrire les médications tranquillisantes en tenant compte à la fois des références médicales érigées par la communauté médicale et des modalités singulières relationnelles de la consultation médicale avec un sujet névrotique Connaître la place des Thérapies Cognitivo-Comportementales dans les différents troubles anxieux Savoir pratiquer la psychothérapie de soutien et d’accompagnement auprès des sujets névrotiques Névroses Névrose obsessionnelle, névrose d’angoisse, névrose phobique et post-traumatique : voir module angoisse Névrose hystérique : connaître les principaux accidents de conversion hystérique, connaître les principaux traits de personnalité associés à la névrose hystérique, connaître les principes du traitement de la névrose hystérique A. Introduction sur la notion de névrose L'emploi du terme "névrose", dont la signification précise n'a cessé de varier au cours du temps, fait actuellement l'objet de controverses. La classification Nord-Américaine du D.S.M. III, en 1980, marquait un tournant : - au mot "névrose", considéré comme imprécis et peu susceptible de recueillir un consensus, se voyait préféré le terme de "Trouble névrotique", proposant la description de constellations syndromiques observables ne préjugeant en principe d'aucune étiopathogénie. Cette classification, dont l'influence internationale est devenue considérable, opérait dans les découpages nosographiques traditionnels des Névroses, largement hérités de la Psychanalyse freudienne, un considérable bouleversement. La névrose d'angoisse, la névrose phobique, la névrose obsessionnelle, la névrose hystérique, dont la cohésion conceptuelle tenait aux approches psychodynamiques de la Psychanalyse, faisaient l’objet de nouveaux découpages, dont la légitimité est sans cesse évaluée aujourd’hui par de multiples travaux épidémiologiques, biologiques, thérapeutiques, d'inspiration largement biologico-comportementale. Les Troubles Névrotiques représentent un très vaste champ de la pathologie mentale, dont les limites nosographiques et l'étiopathogénie, malgré l'accumulation de données nombreuses, demeurent incertaines. Le mot "névrose" fut forgé en 1769 par le médecin écossais W. CULLEN. Les "maladies nerveuses" avaient été auparavant regroupées par WILLIS, puis par SYDENHAM, et reliées à l'idée d'un dysfonctionnement du système nerveux. R. WHYTT, peu avant CULLEN, regroupait sous ce terme un ensemble de troubles disparates, hystérie, hypocondrie et "troubles nerveux simples", symptômes protéiformes attribués à une "faiblesse inhabituelle du système nerveux". Les Névroses de CULLEN, maladies générales opposées aux maladies locales, regroupaient des syndromes divers, allant de l'épilepsie à l'hystérie, dont le trait commun essentiel était l'absence de lésion localisée et de fièvre. Le postulat étiologique de "l'absence de lésion observable", étayé par les progrès des méthodes anatomo-cliniques, dominera jusqu'à la fin du XIXème siècle l'histoire du concept de Névrose, histoire enrichie de descriptions cliniques affinées concernant notamment l'hystérie (CHARCOT), la neurasthénie (G. BEARD). Avant l'ère psychodynamique, le champ nosographique des névroses se partageait entre trois entités protéiformes, la neurasthénie (qui regroupait l'ensemble des troubles anxieux somatiques et psychiques), l'hystérie et l'hypocondrie. Les phénomènes phobiques et obsessionnels, décrits au XIXème siècle dans leurs formes graves par les aliénistes français (FALRET, LEGRAND DU SAULLE) ou allemands (BENEDIKT, WESTPHAL qui décrivaient l'Agoraphobie en 1871) n'étaient pas rattachés aux névroses. Les travaux de P. JANET et ceux de FREUD et de ses élèves allaient, à partir des postulats théoriques d'une psychopathologie dynamique, opérer dans la nébuleuse hétérogène des névroses des descriptions successives et des choix synthétiques qui fixeraient les termes et donneraient aux névroses leur statut. JANET postulera l'existence d'un déficit fonctionnel de l'énergie neuro-psychique (la "tension psychologique") dans les névroses, dont les symptômes revêtent un "caractère automatique et inférieur". Il différencie de l'asthénie modérée ou "nervosisme" la psychasthénie dans laquelle sont incluses obsessions et phobies, et l'hystérie avec rétrécissement du champ de conscience. Les névroses furent la pierre angulaire de l'édifice théorique de la Psychanalyse freudienne. FREUD opposa les névroses actuelles (névrose d'angoisse et neurasthénie), dont la cause devait être recherchée dans des "désordres de la vie sexuelle actuelle" aux Psychonévroses de défense dont le conflit sous-jacent dépend de l'histoire infantile du sujet. Au terme d'une oeuvre clinique et théorique d'une exceptionnelle richesse, le concept de Névrose trouvait une unité fondée sur une approche dynamique du fonctionnement mental : - La névrose, selon FREUD, est une maladie globale de la personnalité impliquant tout à la fois la présence de symptômes, parfois désignés du nom même du mécanisme de défense supposé les induire (la "conversion") et d'une organisation pathologique du caractère (le "caractère névrotique") liée au même type de conflit infantile. Toute définition du terme névrose, jusqu'aux années récentes, et à quelque obédience qu'appartienne l'auteur, se reférait à cette approche, dont LAPLANCHE et PONTALIS proposaient la plus concise des formulations : "Affection psychogène où les symptômes sont l'expérience symbolique d'un conflit psychique trouvant ses racines dans l'histoire infantile du sujet et constituant des compromis entre le désir et la défense" (1967). De la nosographie freudienne et post-freudienne, par ailleurs, la psychiatrie retiendra pour longtemps les distinctions opérées entre névrose d'angoisse, névrose hystérique, hystérie d'angoisse ou névrose phobique, et névrose obsessionnelle. L'influence de la psychiatrie anglo-saxonne, et surtout Nord-Américaine, allait être déterminante dans un cheminement qui allait aboutir, avec le D.S.M. III en 1980, à l'éclatement nosographique des névroses et à une critique radicale du concept. Les causes de cette évolution sont nombreuses et complexes. Les principales, qui ont joué, de façon parallèle, sont le déclin d'influence de la Psychanalyse, le développement croissant des thérapies comportementales puis cognitives, la multiplication de travaux épidémiologiques, cliniques, psychométriques recourant à des méthodologies statistiques et permettant des approches quantitatives, l'affinement enfin des traitements chimiothérapiques interprétés comme "analyseurs nosographiques" de certains états névrotiques. Le D.S.M. III, distinguant dans sa préface le "processus névrotique", porteur des hypothèses étiopathogéniques, du "Trouble névrotique", description de symptômes observables regroupés en syndromes, établissait en fait une différence entre les théories, "relevant de la croyance", et les faits mentaux quantifiables et repérables par l'ensemble des cliniciens. Le mot "névrose" était abandonné au profit de celui de "Trouble névrotique", défini comme un - "comportement non activement opposé aux normes sociales (bien que le fonctionnement puisse être gravement perturbé) - une perturbation relativement constante ou récurrente en l'absence de traitement, ne se limitant pas à une réaction transitoire à des facteurs de stress - l'absence d'étiologie ou de facteur organique démontrable". La catégorie diagnostique des Névroses se trouvait, en fait, purement et simplement supprimée. Les "Troubles névrotiques" euxmêmes, peu présents en tant que tels, étaient littéralement "atomisés", et répartis sur l'Axe I de cette classification entre cinq catégories : - Troubles anxieux (incluant le Trouble Panique, le Trouble Anxieux Généralisé, l'Agoraphobie avec ou sans attaques de panique, les phobies sociales, les phobies simples) - Troubles somatoformes - Troubles dissociatifs - Troubles psychosexuels. L'unicité du concept de Névrose, sous-tendue par l'interrelation supposée de symptômes et d'une structure de la personnalité, était battue en brèche par la présence des Troubles de la Personnalité sur l'Axe II, sans qu'aucune relation de principe ne soit établie entre symptômes névrotiques et caractère. L'Hystérie perdait toute consistance, émiettée entre les troubles somatoformes pour ses expressions somatiques, les Troubles dissociatifs pour ses expressions psychiques, et la personnalité histrionique sur l'Axe II. Le D.S.M. III, pour résumer ses positions et son influence, allait entraîner, en supprimant la catégorie diagnostique des névroses, l'effacement d'un concept fondamental de la psychiatrie jugé trop imprécis et trop mal délimité. Les conséquences de cette position, à propos des névroses, seront vite considérables : la très large diffusion internationale du D.S.M. III, favorisée par l'influence de la psychiatrie américaine, allait imposer peu à peu l'idée d'une hétérogénéité du concept de névrose, et consacrer son effacement. Les névroses, détachées des troubles de la personnalité, privées du corpus théorique d'une étiopathogénie cantonnée dans le champ des connaissances incertaines, perdaient l'identité que leur conférait l'histoire de la psychiatrie. Deux évolutions se dessinent à l'heure actuelle : La classification Nord-Américaine du D.S.M. (D.S.M. III, D.S.M. III R, D.S.M. IV, D.S.M. IV TR) tend à s'imposer au niveau international. Elle est, à propos des névroses, très largement reprise par celle de l'O.M.S. (I.C.D.10, 1992). L'usage, renforcé par la multiplication de travaux épidémiologiques, cliniques, génétiques, pharmacologiques, thérapeutiques, consacre l'effacement du concept global de "névrose". Il entérine la distinction opérée entre des regroupements syndromiques (Troubles anxieux et phobiques - Troubles obsessionnels-compulsifs - Troubles somatoformes - Etats de stress post-traumatique) et les Troubles de la personnalité. Il confirme et renforce l'individualisation d'ensembles syndromiques tels le Trouble Panique, le Trouble anxieux généralisé, les phobies sociales, le Trouble obsessionnel compulsif et leur appartenance à une vaste catégorie, celle des Troubles anxieux. Il entérine également, malgré les critiques, le démembrement de la névrose hystérique, dont les aspects somatiques (conversion - troubles somatoformes), les expressions psychiques ("Troubles Dissociatifs"), les expressions caractérielles enfin ne trouvent plus d'autre unité que celle des possibilités aléatoires d'un regroupement de ces trois catégories diagnostiques si leur présence simultanée l'autorise. - Le terme de "névrose" dans l'I.C.D.10, est ainsi abandonné, comme il l'était dans les versions successives récentes du D.S.M. (D.S.M. III, D.S.M. III R, D.S.M. IV, D.S.M. IV TR). Le terme même de "Trouble névrotique", utilisé, n'est considéré comme porteur d'aucune fonction classificatrice générale puisque le chapitre consacré aux anciennes névroses s'intitule "Troubles névrotiques, liés à un facteur de stress et somatoformes". Des positions critiques, vis-à-vis du D.S.M. III et de sa conception des névroses se développent très largement depuis plusieurs années et émanent d'horizons divers. Beaucoup, parmi les psychiatres français notamment, récusent l'athéorisme affiché de cette classification et lui reprochent d'écarter toute approche structurelle des névroses au profit d'une référence implicite aux abords comportementaux. L'atomisation de l'hystérie, la prééminence accordée au Trouble Panique dans le classement des Troubles anxieux et phobiques, et plus encore l'effacement du concept global de névrose sont vivement critiqués par le courant psychodynamique d'inspiration psychanalytique. D'autres travaux critiques dénoncent, à propos des névroses, les insuffisances de systèmes catégoriels trop rigides (D.S.M. III R, D.S.M. IV, I.C.D.10) auxquels sont reprochés de ne pas prendre en compte le polymorphisme clinique des états névrotiques, les associations fréquentes entre états névrotiques et états dépressifs, l'évolution dans le temps des troubles névrotiques. L'anglais P. TYRER, en 1989, proposait une synthèse des travaux portant sur les déficiences des classifications principales des névroses : les arguments critiques relevés portent sur la comorbidité élevée des troubles entre eux, leur peu de stabilité dans le temps, notamment pour les troubles anxieux et phobiques, le manque de spécificité des réponses aux traitements pour chacun des troubles, l'absence de prise en compte enfin des associations cliniquement établies entre certains troubles de la personnalité et certains troubles névrotiques. Ces critiques conduisent actuellement certains auteurs à postuler l'existence d'un "Syndrome Névrotique Général", qui marque un certain retour au concept structurel de névrose. Le Syndrome Névrotique Général, décrit par P. TYRER (1989), impliquerait la coexistence de symptômes anxieux et dépressifs, alternant au cours du temps, et de traits de personnalité relevant de l'inhibition ou de la dépendance. La nosographie des névroses est ainsi en perpétuelle évolution. Certains syndromes, identifiés et décrits depuis longtemps par la psychiatrie classique, et fixés dans leurs formes par la psychanalyse (les troubles obsessionnels-compulsifs, les troubles phobiques) semblent suffisamment homogènes pour opposer une résistance aux changements. D'autres, comme les troubles anxieux, les manifestations hystériques, les états névrotiques anxio-dépressifs, cherchent encore leurs limites et leur identité. B. Névrose obsessionnelle B.1. Le caractère obsessionnel – La personnalité obsessionnelle Le caractère obsessionnel est davantage le propre de l'homme que celui de la femme. Les traits obsessionnels contribuent à leur efficacité professionnelle et au maintien d'un ordre social stable. Sens de la mesure, de la prudence, du raisonnable, du consensuel, respect de la hiérarchie, de la loi, de la morale, souci de l'autre, du bien général sont pour beaucoup des qualités reconnues. Ce qu'il gagne du côté de l'ordre et de la stabilité, l'homme de caractère obsessionnel le perd cependant en imagination, en créativité et en audace. Il laisse à l'hystérique le chapitre de la mode, de l'innovation et du scandale. A la loi du cœur il préfère la loi tout court quitte à céder sur son désir. Son altruisme se nourrit plus de bonne conscience que d'amour. La personnalité obsessionnelle : A un degré de plus, elle se dégage de la banalité par des traits plus exigeants pour soi mais aussi pour les autres. - Souci de l'anticipation et de l'organisation : rien n'est laissé au hasard, tout est prévu, planifié, calculé (exemple : choix de la pierre tombale, budgétisation de ses propres obsèques) ; - Amour de la précision, de l'exactitude, de la méticulosité (passion des mécanismes d'horloge) ; - Préoccupations anxieuses d'erreurs possibles, de faute, de préjudice commis par distraction. Ceci pouvant engendrer des doutes et des ruminations, des scrupules. - Evitement de l'imprévu, du hasard, de l'aventure, autant de failles dans un système basé sur la maîtrise du temps et des choses. - Souci de la propreté et l'hygiène, de l'asepsie, de la diététique. - Le sens de l'économie, de l'épargne, mais aussi de la parcimonie ; hantise du gâchis, de la perte, du superflu. B.2 Les Troubles Obsessionnels-Compulsifs (TOC) Chez l’enfant comme chez l’adulte, la prévalence du TOC est de 1 à 2 % avec une moyenne d’âge d’apparition à 10 ans et une évolution le plus souvent chronique et progressive. Il associe de façon variable deux types de symptômes spécifiques : les obsessions et les compulsions. Les obsessions sont des idées, des pensées, des impulsions ou des représentations persistantes qui sont vécues comme intrusives et inappropriées et qui entraînent une anxiété ou une souffrance importante. Les obsessions les plus communes sont des pensées répétées de contamination, des doutes répétés, un besoin de placer les objets dans un ordre particulier, des impulsions agressives ou inadaptées, des images sexuelles ou horribles... Les compulsions sont des comportements répétitifs ou des actes mentaux qui s'imposent au sujet et que l’individu se sent obligé d’exécuter pour conjurer les obsessions, diminuer le niveau d’anxiété ou dans l’espoir qu’elles puissent entraîner ou prévenir une situation ou un événement redouté (Exemple : laver, compter, vérifier, accumuler, rectifier…). Le diagnostic est porté lorsque les manifestations symptomatiques sont à l’origine de sentiments marqués d’anxiété ou de détresse émotionnelle, d’une perte de temps importante (plus d’une heure par jour), ou d’une entrave au fonctionnement normal de l’individu (scolaire, social ou professionnel). Chez l’enfant, le TOC peut être partie constituante du syndrome de Gilles de la Tourette (caractérisé par des tics moteurs et vocaux parfois invalidants) ou d’une trichotillomanie. Fréquemment, l’enfant, l’adolescent ou le jeune adulte présentant des symptômes obsessionnels ou compulsifs, n’a pas conscience du caractère pathologique de ces derniers, leur aggravation progressive au cours du temps n’amenant le patient à consulter qu’après la trentaine du fait d’un handicap croissant ou à l’occasion d’une dépression. Chez l’adulte les troubles associent le plus souvent obsessions et compulsions, mais l’un et l’autre de ces éléments peuvent aussi être présents isolément ; le patient reste toujours conscient du caractère absurde ou excessif de ses symptômes et cette autocritique le distingue des patients psychotiques chez lesquels ils peuvent également être rencontrés. L’évolution est le plus souvent chronique, revêtant parfois des formes très invalidantes. Certains TOC peuvent débuter à la suite d’un facteur de stress, d’une grossesse ou dans les suites de troubles du comportement alimentaire chez la femme. Contrairement à une opinion largement répandue, l’existence d’une personnalité obsessionnelle n’est pas un élément nécessaire au développement du trouble, ce dernier pouvant coexister avec d’autres types de personnalité pathologique. C. Névrose phobique La phobie se définit comme la crainte « absurde » d’un objet, d’un animal, d’un autre humain, d’une situation dont la rencontre produit inéluctablement un état d’angoisse. Comme dans l’obsession, le phobique critique son symptôme et reconnaît le caractère infondé de sa crainte. Il sait que « les petites bêtes ne mangent pas les grosses » que tous les trains ne déraillent pas, cela n’empêche qu’il soit terrorisé par les pigeons, qu’il ne puisse monter dans un compartiment… Contrairement à l’obsédé, le phobique peut éviter l’objet de son angoisse, projeté dans l’espace extérieur. Il peut recourir à des moyens de rassurement plus ou moins ritualisés : accompagnement par un tiers jouant le rôle d’objet contra phobique. Les phobies les plus fréquente sont : 1) Les phobies de lieu : - agoraphobie : phobie des vastes espaces découverts. - claustrophobie : phobie des espaces restreints et clos. - des hauteurs : vertiges. - des moyens de transport. 2) Les phobies liées à la présence d’un tiers ou d’un « public » : - peur de parler en public (à rapprocher du trac), de téléphoner. - peur d’être pris d’envie d’uriner au cours d’une réunion. - peur de rougir (éreutophobie), de bégayer. 3) Les phobies des petits animaux (certaines sont très banales) : araignées, souris, reptiles et des gros animaux : chiens, chats, chevaux. 4) Les phobies des objets potentiellement dangereux (couteaux, aiguilles, armes à feu) ou anodins (fourrures, huile, goudron) ou microscopiques (poussières, microbes, brin de textile). 5) Les phobies d’impulsion (peur de commettre un acte grave) sont rattachées à la névrose obsessionnelle. La névrose phobique ressort d’un traitement - psychothérapique : - psychanalytique - comportementaliste (déconditionnement) - symptomatique anxiolytique de manière ponctuelle quand le phobique « ne peut faire autrement » que d’affronter sa peur : nécessite de se déplacer, d’affronter un jury, etc… D. Névrose hystérique Décrite depuis l’Antiquité et rapportée par Hippocrate aux avatars de l’utérus – d’où son nom - : migrations intempestives dans le corps, sécheresse excessive… l’hystérie reste historiquement liée à la sexualité féminine que les anciens réduisaient volontiers à la fonction matricielle. La connotation péjorative voire insultante du qualificatif d’hystérique tient à ses évidentes résonances misogynes. Les « manifestations » hystériques ont de tout temps défié l’ordre et le savoir, médicaux au premier chef mais pas seulement. Ces « maladies de femme », ces « vapeurs », ces « crises », ces « symptômes sine materia » ont suscité questionnement, hypothèses mais aussi ironie, condescendance et pire, rejet et persécution. Le médecin d’aujourd’hui se doit de connaître ou plus modestement reconnaître l’hystérie non pas comme une pathologie en soi, une maladie parmi d’autres, mais comme une limite à sa maîtrise du savoir et du pouvoir médical. Le symptôme hystérique de conversion est en effet un non-sens pour ne pas dire un scandale au regard de la démarche anatomo-physiopathologique, modèle scientifique dominant en médecine. Vouloir le traiter comme une maladie conduit à des impasses thérapeutiques ; le rejeter et le nier comme maladie factice ne vaut guère mieux. L'hystérie pose en fait le problème de la formation psychologique des médecins et de la dimension relationnelle en général de leur pratique. Qu'est-ce qu'une plainte, une demande, une somatisation et quelle réponse peuvent-ils y apporter ? A une époque qui célèbre le pragmatisme, la réponse thérapeutique standard, immédiate, brève et économiquement correcte, l'hystérie – et peu importe le nom qu'on lui donne – réclame autre chose, autre chose que des antalgiques, des antidépresseurs, des examens complémentaires, des arrêts de travail, des invalidités… tous aussi vains que coûteux, autre chose qui exige parfois l'abstinence thérapeutique, souvent du temps, toujours la prise en compte du patient dans sa singularité. La personnalité hystérique L'humanité se prête mal aux psychotypologies ou classifications des caractères. Il n'y a pas dans la nature des hystériques et des non hystériques. Chacun l'est plus ou moins et nul n'est à l'abri d'une somatisation de type conversif. On entend donc par personnalité hystérique quelques traits essentiellement relationnels, perceptibles dans la dynamique du dialogue patient-médecin. - L'hyperexpressivité : qualifiée aussi de théâtralisme, tendance à la dramatisation, elle peut donner le sentiment que le sujet joue un personnage en forçant le trait pour apitoyer, choquer, séduire, culpabiliser son public. - Le besoin de susciter l'intérêt, dans le prolongement logique, fait que le sujet "ne passe pas inaperçu". Dans un cabinet comme dans un groupe, une collectivité, il ne manque pas de se faire remarquer, de chercher à avoir la vedette, d'être l'objet de soins, d'attentions particulières. - La quête et l'insatisfaction affective : l'hystérique a non seulement besoin d'être aimé (qui ne l'a pas ?) ; il a besoin d'être aimé plus, mieux ou autrement. Il en cherche les marques, les preuves, les assurances mais sa demande d'amour est un tonneau sans fond : la position hystérique est celle d'un désir irrémédiablement insatisfait de par sa structure même. Aucune réponse ne saurait le combler. Le pire qu'on puisse lui dire est qu'il a tout pour être heureux et qu'il a tort de se plaindre dès lors que le manque d'amour (ou de ce qui en tient lieu sous une forme déplacée) est le cœur même de sa manière d'être vis-à-vis des autres. Déçu par la réalité, l'hystérique privilégie sa vie imaginaire, idéalise ses sentiments ; il confond sa vie avec un roman. - - L'autocommisération. Eternel insatisfait, l'hystérique pleure sur son sort et prend les autres à témoin de son malheur. Ces témoins sont d'ailleurs des coupables en puissance et plus ou moins implicitement accusés de carence, négligence, indifférence, maladresse. L'hystérique en un mot se plaint de ce que les autres sont insuffisants, impuissants, décevants, incompétents. Mais il convient ici d'y reconnaître aussi une structure au sens où l'hystérique construit son monde, distribue les rôles, écrit l'histoire de manière à s'entourer, rencontrer de manière répétitive, des êtres décevants, insuffisants, impuissants, tôt ou tard démasqués dans leurs carences. L'identification à une victime, un martyr. L'hystérique tient volontiers le rôle de victime. Le préjudice est affectif (pour le paranoïaque, il est réel). Le symptôme hystérique de conversion - - - - Défini comme tel par S. Freud en 1894, le mécanisme de conversion correspond à la fuite dans le corps d'un affect lié à une représentation insupportable. Il s'agit donc, sous cet angle théorique, de mécanisme de défense contre l'angoisse. Les symptômes de conversion empruntent classiquement les voies sensori-motrices et sensorielles. Mais leurs formes cliniques varient considérablement dans le temps. Rares sont aujourd'hui les paraplégies, les cécités, les aphonies hystériques. La "somatisation", qu'il s'agisse d'une gêne ou d'une incapacité fonctionnelle (torticolis spasmodique, crampe de l'écrivain), d'une douleur ou d'une anesthésie (migraine, myalgie, arthralgie), d'un déficit sensoriel…, se présente de plus en plus souvent comme une plainte sans troubles manifestes et visibles. De ce fait, le symptôme de conversion pose parfois des problèmes diagnostiques délicats : vraie ou fausse migraine ? vraie ou fausse dépression ? Caractéristiques du symptôme de conversion absence de substratum organique : l'examen clinique et les investigations complémentaires ne décèlent pas de lésions organiques sinon des lésions banales (exemples classiques : becs de perroquet à la radiographie de la colonne cervicale, "diverticules" coliques au lavement baryté…) ; fluctuation dans le temps : recrudescence dans certains contextes : consultation médicale, visite de la famille. Atténuation voire disparition sous l'effet de certaines suggestions ou de certains traitements placebos ; de manière inconstante : absence d'angoisse à propos du symptôme – jusqu'à "la belle indifférence" – contrastant avec la dramatisation du symptôme : théâtralité : soupirs, grimaces, boiterie grossière, revendication insistante d'examen et de soin ; présence de "bénéfices secondaires" (sans oublier qu'il en existe aussi dans les maladies ordinaires) - attentions particulières de l'entourage - congés de maladie prolongés, indemnités versées par une assurance - assistance permanente d'un proche parent - évitement de certaines situations (notamment les relations sexuelles, impossibilité de se rendre au chevet d'une mère démente) ; ne pas perdre de vue que certains symptômes de conversion sont manifestement réactionnels à des événements (dont la valeur traumatique doit s'évaluer en fonction de la subjectivité du patient et non de manière générale). Mais les symptômes névrotiques hystériques ne se limitent pas au modèle de la conversion au sens strict. On y retrouve : - des symptômes sexuels : troubles de l'érection, éjaculation précoce, anorgasmie chez l'homme ; frigidité, vaginisme chez la femme ; - des troubles des conduites alimentaires et des addictions : anorexie, boulimie, polyphagie, alcoolisme, dépendance médicamenteuse ; - des conduites "à risque", d'échec, une tendance à répéter en les provoquant des situations conflictuelles notamment en famille, au travail, dans un groupe de voyage, etc ; - des épisodes dépressifs névrotiques gardant les traits de la personnalité hystérique : . dramatisation . culpabilisation de l'entourage . fluctuations rapides . sensibilité à la suggestion . résistance aux thérapies biologiques même au-delà d'un bref effet placebo . chantage au suicide. Conduite à tenir devant un symptôme hystérique Toute problématique névrotique suppose une approche psychothérapique. Le traitement du symptôme en soi "comme une maladie", produit des effets iatrogènes : escalade dans les examens, les traitements, les arrêts de travail sans véritable bénéfice thérapeutique. Les thérapies par suggestion, notamment l'hypnose médicale, et toute thérapie qui s'appuie sur des pratiques dites parallèles (homéopathie, acupuncture) démontrent leur efficacité dès lors que ceux qui les appliquent ont quelques talents psychothérapiques. Deuxième partie : Maladies et grands syndromes Question 278 - PSYCHOSES ET DELIRES CHRONIQUES 1. La Schizophrénie Rédaction : Florence THIBAUT, Franck BAYLÉ Objectifs généraux : Savoir diagnostiquer une psychose et un délire chronique Argumenter l'attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient Objectifs spécifiques : Signes cliniques de la schizophrénie Connaître les signes du syndrome dissociatif Formes de début de la schizophrénie Modalités évolutives (risque suicidaire, pronostic social) de la schizophrénie Attitude diagnostique et thérapeutique face à un épisode délirant aigu Connaître les stratégies de soins des états schizophréniques (traitement chimiothérapique, réseau de soin, sectorisation) Le terme de "schizophrénie", introduit par Bleuler en 1911, désigne un ensemble, probablement hétérogène, d'affections aboutissant à une désorganisation profonde de la personnalité. Il succède à celui de "démence précoce", proposé par Kraepelin à la fin du XIXe siècle. La schizophrénie est une maladie propre à l'Homme, qui affecte les fonctions supérieures du cerveau et qui est caractérisée par la présence d'une dissociation mentale et d'affects émoussés ou inappropriés, d'hallucinations et de délire. Ces symptômes se traduisent par un comportement bizarre ou inadapté du sujet atteint. La prévalence du trouble est d'environ 1% dans tous les pays. Il s'agit d'une maladie qui affecte essentiellement l'adolescent et l'adulte jeune (incidence maximale entre 15 et 35 ans). Pour les anglo-saxons, la psychose hallucinatoire chronique et la paraphrénie sont considérées comme des schizophrénies de début tardif. La bouffée délirante est considérée aux EtatsUnis comme un trouble schizophréniforme. 1 L'étiologie de la schizophrénie demeure mal connue, même si la majorité des auteurs s'accorde actuellement à penser qu'il existe une composante génétique bien établie, interagissant avec des facteurs environnementaux (modèle polygénique et multifactoriel à seuil). Plusieurs gènes conféreraient une prédisposition à la maladie, elle-même influencée par l'environnement (infection virale in utéro, complications obstétricales à la naissance, traumatisme crânien dans l'enfance, stress …). La conjonction des facteurs génétiques et environnementaux conduirait lorsqu'un certain seul de vulnérabilité serait atteint, à l'apparition de la maladie. Le rôle précipitant de la consommation de toxiques (cannabis surtout) n'est quasiment plus discuté. De plus, la consommation de toxiques favorise les rechutes délirantes. Cependant, malgré le rôle établi des facteurs génétiques, seulement 10 % des schizophrénies sont des formes familiales, c'est-à-dire que plusieurs autres membres de la famille en sont atteints également. Dans le cadre de ce modèle théorique, l'implication de divers systèmes de neurotransmission a été soulignée (en particulier le système dopaminergique, cible d'action privilégiée des neuroleptiques). 1. SIGNES CLINIQUES Le diagnostic est souvent difficile à établir au début de la maladie en raison de l'extrême diversité des tableaux cliniques rencontrés. Pourtant, la rapidité avec laquelle le traitement neuroleptique est débuté contribue considérablement à améliorer le pronostic évolutif de cette maladie grave. Habituellement, on considère que l'évolution du trouble doit être supérieure à six mois pour porter le diagnostic de schizophrénie. La sémiologie schizophrénique comporte : 1.1. Un syndrome dissociatif Sa présence signe le diagnostic, il a donné son nom à la schizophrénie (skhizein : couper, phren : cerveau, pensée). 2 Il s'agit d'un dysfonctionnement brutal ou progressif de la vie psychique qui donne au comportement du sujet une tonalité étrange, bizarre et discordante. (discordance : expression comportementale de la dissociation idéo-affective). La dissociation peut être décrite comme un défaut d'intégration synthétique ou comme un relâchement des processus associatifs entre idées, attitude et affectivité. Ce syndrome confère à la pensée, aux émotions, ou au comportement du sujet une dysharmonie voire une incohérence. Ce processus de désorganisation de la personnalité est donc susceptible d'affecter tous les secteurs de la vie psychique. - sphère intellectuelle : On constate une diminution très précoce des performances scolaires et/ou professionnelles. troubles du cours de la pensée : - un symptôme pathognomonique : les barrages (brève suspension du discours, non motivée, dont le sujet est conscient (à la différence des absences) mais à laquelle il est indifférent). Parfois, le discours ralentit simplement et le volume sonore se réduit progressivement; il s'agit alors d'un fading. - relâchement des associations d'idées (les propos ne sont pas organisés de façon logique et cohérente), le discours est peu compréhensible, sans idée directrice, les propos sont elliptiques, la pensée est dite diffluente. troubles du contenu de la pensée : - appauvrissement des idées. - altération du système logique (propos hermétiques, parfois incompréhensibles, illogiques ; explications pseudo-logiques : rationalisme morbide ; pensée abstraite, floue). - altération des capacités d'abstraction (difficultés à expliquer des proverbes, interprétation des propos au premier degré). troubles du langage : - maniérisme (vocabulaire précieux, décalé, concret). - invention de mots (néologismes). - la syntaxe peut être altérée. - usage de mots inappropriés au contexte (paralogisme). 3 Lorsque ces troubles sont importants, le langage peut perdre sa valeur de communication, il s'agit alors d'une schizophasie. Il peut également exister des phases de mutisme. - sphère affective ambivalence (coexistence simultanée de sentiments contraires) se traduisant par des attitudes et des propos bizarres ou incongrus (agressivité brutale inexpliquée, affects inappropriés aux circonstances, réactions affectives paradoxales et imprévisibles). émoussement affectif, très fréquent, même en dehors des phases aiguës. Certains auteurs en font un facteur de mauvais pronostic lorsqu'il est présent. Il est peu amélioré par le traitement neuroleptique (froideur du contact, indifférence, insensibilité aux réactions d'autrui). perte de l'élan vital : desintérêt, inertie, perte de la motivation (athymhormie). parfois négativisme (refus du contact). - sphère motrice Le comportement apparaît étrange, bizarre avec parfois des actes dangereux hétéro ou auto-agressifs. Il existe une réduction d'activité avec une perte d'initiative, de spontanéité (apragmatisme). Le sujet éprouve des difficultés à organiser des tâches complexes. comportement discordant. maniérisme gestuel (préciosité, attitudes empruntées). sourires immotivés. négativisme ou comportement d'opposition. décharges motrices imprévisibles ou impulsions paradoxales (gestes violents, cris …) : parakinésies. stéréotypies motrices ou gestuelles ; on peut également observer des gestes (ou mimiques) parasites ou en écho (mimant l'interlocuteur). 4 troubles du tonus. catalepsie (flexibilité cireuse avec maintien des attitudes). catatonie (rare). Il s'agit d'une réduction globale de l'activité avec mutisme et immobilité, conservation des attitudes imposées (ou au contraire hypertonie) contrastant avec des décharges impulsives verbales ou motrices. 5 1.2. Un syndrome délirant paranoïde ou non systématisé. Il est fréquent mais pas toujours manifeste. Le sujet peut être réticent à exprimer son délire. L'observation du comportement est alors importante (attitudes d'écoute par exemple). Les manifestations délirantes n'ont pas de spécificité particulière en ce qui concerne leurs thèmes et leurs mécanismes. Mécanismes Les mécanismes hallucinatoires psycho-sensoriels sont souvent au premier plan du tableau clinique : - hallucinations auditives verbales surtout. - hallucinations intra-psychiques (sensation de pensée étrangère introduite dans l'esprit). - hallucinations olfactives, cénesthésiques. - les hallucinations visuelles sont plus rares. Le syndrome d'automatisme mental (décrit par Clérembault) est particulièrement fréquent. Il s'agit du fonctionnement automatique et dissident de la totalité ou d'une partie de la pensée. Il associe : - vol et devinement de la pensée - commentaires de la pensée, des actes - écho de la pensée - pensées ou actes imposés (parfois à l'origine d'actes dangereux). D'autres mécanismes délirants sont souvent présents : intuition, interprétation, imagination. Parfois, au début, il peut s'agir d'un simple sentiment d'étrangeté (monde différent, factice), avec souvent un sentiment d'hostilité ambiante. 6 Thèmes Les thèmes délirants sont très polymorphes. On note la fréquence des thèmes persécutifs, mystiques, érotomaniaques, hypochondriaques, mégalomaniaques, d'influence, de référence. Des thèmes de transformation corporelle (dysmorphophobie) (le sujet peut passer beaucoup de temps à se regarder dans le miroir : signe du miroir), des troubles de l'identité du sujet lui-même (recherche d'identité) ou des troubles de l'identité sexuelle (conduisant parfois à des tentatives de mutilation) sont fréquents et fortement évocateurs du diagnostic. Les thèmes sont vécus dans une angoisse intense, peu accessible à la réassurance, et le sujet à parfois l'impression d'être dévitalisé ou morcelé (angoisse de morcellement). Organisation du délire L'absence d'organisation du délire (délire non structuré ou non systématisé) est caractéristique de la schizophrénie. Ce délire flou et incohérent est qualifié de paranoïde par opposition au délire paranoïaque qui, lui, est logique, cohérent et structuré. 1.3. Le repli Le terme de schizophrénie implique une rupture dans la vie psychique du sujet (dissociation) mais également entre le sujet et le monde environnant. Il s'agit d'un repli sur soi se manifestant par : - un retrait social actif [isolement social, apragmatisme conduisant parfois à l'incurie (le sujet ne se lave plus, ne mange plus …)] le sujet est lointain, distant, son regard est ailleurs. une pensée secrète, illogique, non subordonnée au principe de réalité, il s'agit d'une pensée magique, peu communicable. 1.4. Des troubles de l'humeur sont fréquemment associés (fréquence des symptômes dépressifs lors des phases aiguës ou parfois au décours de celles-ci). Les symptômes décrits peuvent également être regroupés d'une autre manière, plus classiquement utilisée par les anglo-saxons. On distingue ainsi des symptômes négatifs et positifs. 7 Les symptômes négatifs seraient au cœur du processus pathologique, selon certains auteurs. Ils correspondent à une perte ou à une diminution de fonction. Il s'agit essentiellement de l'émoussement affectif, du retrait social et de la perte de l'élan vital. Les symptômes positifs correspondent à un gain de fonction par rapport au fonctionnement cérébral habituel. Ils comprennent le délire, les hallucinations et la désorganisation de la pensée. Cependant, certains auteurs classent la désorganisation de la pensée à part des symptômes positifs et négatifs. 2. FORMES CLINIQUES 2.1. Les formes de début Elles sont très diverses et parfois trompeuses. 2.1.1. le début peut être brutal. Il s'agit principalement d'une expérience délirante, moins souvent d'un trouble de l'humeur. - bouffée délirante aiguë Il s'agit de l'apparition d'un délire en quelques jours ou semaines, à l'origine de troubles du comportement . La bouffée délirante, telle que décrite dans l'école française, a une évolution le plus souvent favorable. Cependant, environ 30 % des bouffées délirantes évoluent vers une schizophrénie. Des facteurs de mauvais pronostic ont été décrits. Une évolution subaiguë, des troubles du comportement préexistants (personnalité introvertie ou schizoïde, désinvestissement scolaire ou professionnel, isolement social), un syndrome dissociatif, une mauvaise réponse au traitement neuroleptique, une pauvreté du délire, l'absence de facteur déclenchant sont des indices de mauvais pronostic mais seul le critère évolutif, après plusieurs mois d'évolution, permettra de trancher. 8 - manie et dépression atypique L'existence d'hallucinations, d'une bizarrerie, d'incohérences, d'un délire non congruent à l'humeur, d'une froideur des affects avec détachement ou d'une excitation sans réelle euphorie peuvent faire évoquer le diagnostic de schizophrénie. Il faut toutefois noter que, chez l'adolescent et l'adulte jeune, la manie ou la mélancolie peuvent s'accompagner d'un délire intense, parfois au premier plan. 9 - trouble du comportement Une tentative de suicide, une fugue, un voyage pathologique ou un acte médico-légal (souvent dans un contexte délirant) peuvent être inauguraux. 2.1.2. Le début est le plus souvent progressif, insidieux et difficile à distinguer des troubles du comportement qui peuvent être associés à l'adolescence. On recherchera alors : - un fléchissement scolaire inexpliqué, un engouement récent pour les phénomènes paranormaux, - un retrait social, une modification de l'affectivité, une froideur du contact ou une indifférence, - des troubles du comportement inhabituels et bizarres (négligence corporelle, modification du comportement alimentaire ou sexuel, fugues, marginalisation, inversion du rythme de vie (vie nocturne), - l'apparition de conduites addictives (alcoolisme ou toxicomanie), - l'apparition de symptômes pseudo-névrotiques : phobies atypiques : éreuthophobie (peur de rougir en public) ou nosophobie (peur de maladies) ; obsessions inhabituelles ( hypochondriaques ou abstraites, associées à des rituels bizarres) ; agoraphobie sous-tendue par des idées délirantes de référence ; des symptômes hystériques atypiques par la froideur du sujet, - un sentiment de dépersonnalisation (dysmorphophobie, signe du miroir, angoisse de morcellement avec peur de perte de l'intégrité corporelle, des troubles de l'identité) ou, de façon moins importante, de déréalisation (impression d'étrangeté et parfois d'hostilité du monde environnant). 2.1. Les formes cliniques symptomatiques Elles sont nombreuses et confèrent une certaine hétérogénéité au tableau de schizophrénie. L'évolution de la maladie et l'efficacité du traitement diffèrent souvent entre les formes cliniques mais il peut exister des passages d'une forme clinique à une autre. Les formes cliniques les plus classiquement retrouvées sont : 10 2.1.1 Paranoïde (ou productive) Plus fréquente, elle débute un peu plus tardivement que les formes hébéphrénique ou catatonique. Le délire prédomine. La réponse au traitement neuroleptique est généralement satisfaisante et l'appauvrissement de la vie psychique est moindre. L'évolution se fait par poussées dites processuelles, entrecoupées de périodes de rémission plus ou moins complètes du délire. Parfois, elle peut présenter une évolution continue avec enkystement du délire. 2.1.2. Hébéphrénique (20 % des cas) Elle débute en règle générale insidieusement au cours ou au décours de l'adolescence. Une personnalité prémorbide schizoïde est parfois retrouvée. La dissociation et l'autisme prédominent. Les perturbations du fonctionnement intellectuel (troubles du contenu et du cours de la pensée, troubles du langage, troubles de l'attention et de la concentration) ainsi que l'émoussement affectif avec retrait social sont au premier plan. Le délire est pauvre ou parfois absent. Le pronostic évolutif, malgré le traitement neuroleptique est souvent défavorable et la désinsertion socio-professionnelle habituelle. 2.1.3. Catatonique Elle n'a pratiquement plus qu'un intérêt historique. La désorganisation motrice prédomine et se produit par un aspect statufié ou catatonie. Elle partage le même devenir que la forme précédente à laquelle elle peut d'ailleurs être associée. Le pronostic vital peut être engagé en raison du refus d'alimentation et des troubles neurovégétatifs associés. La stabilité, au cours du temps, des trois formes cliniques précédentes est modeste, le plus souvent on parle alors de forme indifférenciée (sans prédominance de l'une des trois formes précédentes). 2.1.4. Dysthymique (ou schizo-affective pour les anglo-saxons) 11 Les poussées processuelles associent : - un syndrome délirant au premier plan non congruent à l'humeur. - des troubles de l'humeur (manie, dépression, état mixte). - une évolution périodique Entre les poussées, le sujet présente des symptômes schizophréniques, en règle générale mineurs. Elles sont caractérisées par leur sensibilité aux traitements thymorégulateurs et leur pronostic plus favorable. 12 2.1.5. Pseudo-psychopathique (ou héboïdophrénique) Cette forme se caractérise essentiellement par des troubles du comportement (impulsivité, instabilité, conduites anti-sociales ou addictives et délinquance). Le comportement est bizarre et inadapté. Il existe une froideur affective et une impossibilité à s'adapter à une vie sociale normale. Des actes hétéro-agressifs, parfois graves, peuvent en compliquer l'évolution . 2.1.6. Pseudo-névrotique Au début des troubles, le diagnostic est souvent difficile en raison de la ressemblance symptomatique avec un trouble névrotique. L'atypicité de cette symptomatologie, la présence d'un syndrome dissociatif et parfois d'idées délirantes permettent le diagnostic. On distingue également les formes : - simple Le tableau de schizophrénie est très peu marqué (pensée floue, peu de contacts, bizarrerie), avec une absence de délire (parfois simple impression de devinement de la pensée ou de transmission de pensée). Cependant, ces symptômes ont un retentissement sur le fonctionnement socio-professionnel du sujet. - résiduelle Terme issu de la terminologie américaine. Il s'agit d'une forme de schizophrénie stabilisée dans laquelle persistent des symptômes négatifs mais où les symptômes positifs sont absents ou très atténués. 13 3. DIAGNOSTICS POSITIF ET DIFFÉRENTIEL Diagnostic positif : Le diagnostic positif repose sur l'anamnèse et l'examen clinique psychiatrique (entretien avec le sujet et sa famille). Un bilan psychométrique évaluant l'efficience intellectuelle (mesure du QI), une évaluation neuro-psychologique du fonctionnement du cortex préfrontal pourront également être réalisés. Des tests psychométriques de personnalité et projectifs peuvent avoir une valeur d'orientation. On recherchera systématiquement des antécédents familiaux psychiatriques. On évaluera l'adaptation prémorbide et le retentissement scolaire et professionnel. Chez un adolescent ou un adulte délirant ou encore présentant des troubles du comportement bizarres ou des symptômes psychiatriques délirants ou encore thymiques atypiques, la question d'une schizophrénie débutante se pose. On éliminera une cause organique (neurologique ou toxique) en associant à la recherche de toxiques et à l'examen clinique, un Scanner cérébral au moindre doute. Diagnostic différentiel : 3.1. Devant un état délirant aigu non systématisé On peut discuter les autres diagnostics suivants : - bouffée délirante (voir forme à début aigu) - trouble de l'humeur délirant ( manie ou dépression) ( voir forme à début aigu) - confusion mentale (dans laquelle il existe une désorientation temporospatiale et un trouble de la vigilance). Il faut alors éliminer une cause organique et rechercher une prise de toxiques. 3.2. Devant un état délirant chronique 14 On éliminera : - un délire d'interprétation où le délire compréhensible et le syndrome dissociatif absent. est logique, cohérent, - une psychose hallucinatoire chronique ; l'âge de survenue est plus tardif et la dissociation discrète voire absente. Rappelons que les anglo-saxons la considèrent comme une schizophrénie de début tardif. - la paraphrénie; le mécanisme délirant prévalent est imaginatif, la dissociation discrète, l'âge de début tardif. Encore une fois, les anglo-saxons la considèrent comme une schizophrénie de début tardif. - un trouble bipolaire. Il n'y a pas de syndrome dissociatif, les idées délirantes sont congruentes à l'humeur et les intervalles entre les accès permettent le plus souvent un retour à l'état antérieur. - une psychose infantile, parfois difficile à distinguer d'une schizophrénie de début infantile survenant avant l'âge de 12 ans. - certaines anomalies chromosomiques peuvent être associées à l'apparition de symptômes schizophréniques (ex. syndrome de Di George). La dysmorphie associée et le retard mental fréquent conduiront à demander une consultation génétique. 3.2. Devant une catatonie On éliminera une mélancolie (trouble thymique prévalent, délire congruent à l'humeur) ou un syndrome malin des neuroleptiques (élévation thermique, troubles neuro-végétatifs et dysrégulation tensionnelle, élévation des CPK). 15 4. EVOLUTION ET PRONOSTIC 4.1. Modalités évolutives Typiquement, la schizophrénie commence à la fin de l'adolescence. Elle débute avant 23 ans dans 50% des cas. Cependant il existe des formes de schizophrénie infantile (âge de début inférieur à 12 ans) dont la prévalence est de 1/10 000. La maladie débute un peu plus tôt chez les hommes (de 3 à 5 ans) et l'évolution est souvent plus sévère que chez les femmes. Elle débute également un peu plus tôt dans les formes paranoïdes. La stabilité des formes cliniques les plus habituellement décrites (paranoïde, hébéphrénique et catatonique) est faible et le plus souvent la maladie évolue vers un tableau dans lequel aucune des trois formes ne prédomine, qualifié d'indifférencié. Les formes paranoïdes ont plus souvent une évolution intermittente (par poussées). La forme catatonique pure est très rarement observée depuis les traitements neuroleptiques et l'amélioration de la prise en charge des patients. Les traitements neuroleptiques ont considérablement amélioré les symptômes positifs (délire, hallucinations) alors que leur efficacité sur la symptomatologie négative (surtout l'émoussement affectif et le retrait social) est restée plus modeste. La schizophrénie dysthymique a été individualisée par son évolution intermittente (poussées entrecoupées de rémissions partielles) et sa sensibilité aux traitements thymorégulateurs en association avec les neuroleptiques. La schizophrénie est une maladie grave, par les troubles du comportement qu'elle implique [prévalence élevée des suicides (10% de décès par suicides), de la toxicomanie (40 à 50% des patients consomment régulièrement du haschich) et des comportements hétéro-agressifs] et, egalement par le handicap fonctionnel qu'elle engendre. L'introduction des neuroleptiques, au cours des années 1960, a permis de limiter la durée d'hospitalisation des patients, mais la prise en charge reste très lourde. Elle nécessite un important suivi, à l'aide des structures du secteur psychiatrique, et de nombreuses réhospitalisations. Le bénéfice thérapeutique à long terme est encore insuffisant (seulement 20% à 30% des malades exercent une activité professionnelle). Les sujets atteints de schizophrénie représentent environ 30 % des patients hospitalisés en institution psychiatrique. La rapidité avec lequel le traitement neuroleptique est instauré contribue à améliorer le pronostic évolutif de cette maladie. 16 Il s'agit d'une maladie chronique dont les symptômes s'améliorent généralement avec le traitement mais dont le risque de rechute reste élevé. La durée d'évolution des symptômes est un élément du diagnostic puisqu'on considère que celle-ci doit être supérieure à six mois pour poser le diagnostic de schizophrénie. Les anglo-saxons ont défini une forme de schizophrénie appelée résiduelle. Elle fait en général suite à un épisode aigu et constitue la modalité évolutive la plus fréquente sous traitement. L'évolution peut parfois se faire vers une rémission complète voire définitive des symptômes (environ 20 % des cas). Cependant les auteurs qui considèrent qu'il existe des guérisons incluent des schizophrénies simples ou des bouffées délirantes aiguës [qualifiées aux USA de trouble schizophréniforme et dont on connaît le pronostic évolutif (20 à 30 % de guérison]. L'évolution peut également être plus défavorable, avec dans environ 20 % des cas, un tableau de schizophrénie déficitaire caractérisée par un émoussement affectif au premier plan, un retrait social et une mauvaise réponse au traitement neuroleptique. 4.2. Facteurs pronostiques En ce qui concerne les indicateurs pronostiques, on peut dire que l'évolution est d'autant plus favorable que le plus grand nombre des facteurs suivants sont réunis: - âge de début plus tardif (âge adulte) - début rapide - sexe (l'évolution serait plus favorable chez les femmes ou bien la tolérance sociale serait meilleure) - forme paranoïde (délire au premier plan) - institution précoce du traitement neuroleptique - bonne réponse au traitement neuroleptique - bonne coopération du patient et de la famille - bonne adaptation prémorbide - présence de symptômes thymiques (schizophrénie dysthymique) - absence d'antécédents familiaux de schizophrénie (discuté). La sévérité de la maladie est évaluée à l'aide de la symptomatologie clinique (délire, hallucinations, émoussement affectif et retrait social, importance des troubles cognitifs), à l'aide du nombre de rechutes et de réhospitalisations et enfin à l'aide de la qualité de l'insertion socio-professionnelle et familiale du sujet (des échelles de mesure de qualité de vie sont utilisées à cette fin). 17 5. TRAITEMENT Les neuroleptiques (encore appelés antipsychotiques) représentent l'élément central du traitement. Ils ont considérablement modifié le pronostic évolutif de la schizophrénie depuis leur apparition au début des années 50. Les neuroleptiques sont en général efficaces en quatre à six semaines pour contrôler les symptômes positifs de la schizophrénie. Ils permettent également de prévenir les rechutes. Par contre, leur efficacité sur les symptômes négatifs est moins nette. Au traitement pharmacologique sont associés une prise en charge psychothérapique et des mesures de réinsertion sociale. 5.1. L'hospitalisation en milieu spécialisé Elle est nécessaire pour réaliser l'évaluation initiale lors du premier épisode psychotique et faciliter la mise en route du traitement et, ensuite, lors des phases aiguës ou en cas de risque suicidaire. Au besoin, on aura recours à une hospitalisation à la demande d'un tiers en cas de refus du patient. Exceptionnellement, il sera fait appel à l'hospitalisation d'office (en cas de danger pour autrui). 5.2. Le traitement pharmacologique 5.2.1. Les neuroleptiques (dispositif central du traitement). Ils doivent être instaurés précocement pour améliorer le pronostic évolutif. Le traitement neuroleptique est débuté préférentiellement en milieu hospitalier lors des épisodes aigus afin de pouvoir surveiller quotidiennement l'état psychique et somatique et de corriger ou prévenir les éventuels effets secondaires du traitement. Celui-ci sera instauré à doses progressives per os ou IM (en fonction de la coopération du sujet). La prescription impose une surveillance régulière des constantes (pouls, T.A., température), de la tolérance (neurologique notamment, cardiaque pour certains neuroleptiques (E.C.G) et l'appréciation des effets thérapeutiques. Les produits correcteurs ne seront pas administrés à titre systématique mais seulement en cas de survenue de symptômes extra-pyramidaux. Les autres effets secondaires potentiels dépendent de la molécule prescrite. Le risque d'apparition de dyskinésies tardives existe avec toutes les molécules au bout de plusieurs mois ou années de traitement mais apparaît moindre avec les nouveaux neuroleptiques. 18 La préférence va à la monothérapie en matière de prescription neuroleptique. Cependant, en cas d'agitation ou d'anxiété importante, un neuroleptique sédatif (Nozinan R ou Tercian R) pourra être associé de manière ponctuelle. Le choix entre un neuroleptique classique type halopéridol (Haldol R) ou un neuroleptique atypique dit "de seconde génération" rispéridone (Risperdal R), olanzapine (Zyprexa R) ou encore amisulpride (Solian R) dépendra du prescripteur et surtout du patient (efficacité, tolérance, âge, forme clinique, traitement d'attaque ou d'entretien, notion de réponse antérieure). La tolérance des neuroleptiques de seconde génération est bien meilleure et ils seront souvent utilisés en première intention dans le traitement des premiers épisodes schizophréniques. La posologie dépend du choix de la molécule mais, dès que la phase aiguë sera jugulée, elle sera ajustée à la dose minimale efficace afin d'en améliorer la tolérance et donc l'observance. A titre indicatif dans les formes paranoïdes, on pourra utiliser en phase aiguë 2 à 15 mg d'Haldol R, 4 à 6 mg de Risperdal R, 5 à 15 mg de Zyprexa R ou 600 à 1200 mg de Solian R. Dans les formes hébéphréniques ou lorsque l'émoussement affectif prédomine, on pourra utiliser 50 à 200 mg de Solian R ou 1 à 4 mg d'Orap R. La prescription de clozapine (Leponex R) sera réservée aux schizophrénies sévères (évolution supérieure à 2 ans) et résistantes (20 à 30 % des cas) à deux traitements neuroleptiques bien conduits prescrits successivement. La résistance sera jugée au bout de quatre à six semaines de traitement pour les symptômes délirants et de deux à trois mois pour l'émoussement affectif. La seule contre-indication absolue des neuroleptiques est l'existence d'une hypersensibilité connue à ces molécules. La durée du traitement sera prolongée, au moins deux ans au décours d'un premier épisode psychotique, au moins cinq ans lorsqu'il y a déjà eu plusieurs épisodes. Sous réserve de l'absence d'antécédents médico-légaux ou de rechutes fréquentes, une interruption progressive du traitement pourra alors être discutée. En cas de mauvaise observance, on pourra avoir recours aux neuroleptiques d'action prolongée ou retard (à titre d'exemple Haldol décanoas R ou Piportil L4 R) injection mensuelle IM, mais toujours après usage initial de la molécule mère. 19 D'autres traitements pharmacologiques peuvent parfois être associés : 5.2.2. Les antidépresseurs Ils peuvent être prescrits lors des épisodes dépressifs, en association avec le traitement neuroleptique, à des doses en règle inférieures à celles habituellement utilisées dans le traitement des dépressions. Leur prescription doit être réservée aux psychiatres. 5.2.3. Les thymorégulateurs Ils sont efficaces dans la prévention des rechutes des schizophrénies dysthymiques en association avec les neuroleptiques. Le lithium (TéralitheR) ou le valproate de sodium (Dépakote R) peuvent être utilisés. 5.2.4. La sismothérapie Elle peut être utilisée dans les formes catatoniques, parfois dans les formes à forte participation thymique, ou exceptionnellement, dans les formes résistantes ou encore en cas d'intolérance aux neuroleptiques. 5.3. Les psychothérapies Une approche psycho-sociale bien conduite, en association avec le traitement neuroleptique permettra d'améliorer significativement l'adaptation sociale, la qualité de vie et de diminuer le risque de rechute. Une psychothérapie de soutien sera systématiquement proposée et souvent effectuée par le prescripteur ou la même équipe. Les psychothérapies d'inspiration analytique n'ont pas fait la preuve de leur efficacité dans cette indication. Les thérapies cognitives et/ou comportementales peuvent être proposées. Elles permettent une meilleure éducation à la maladie, une meilleure observance du traitement et l'amélioration de la gestion des événements de vie stressants ("coping"). Des thérapies en groupe peuvent être préférées aux thérapies individuelles. Des thérapies familiales peuvent également être proposées (éducation des familles à la maladie, gestion de l'expression émotionnelle familiale). 20 5.4. La réhabilitation psycho-sociale Un reclassement professionnel ou l'obtention d'un statut de travail handicapé peuvent être demandés auprès de la COTOREP. En cas de handicap plus sévère, un travail en atelier protégé ou dans un centre d'aide par le travail (CAT) peuvent être envisagés. Si le patient est incapable de travailler, il peut recevoir une indemnité (allocation adulte handicapé, AAH) et être pris en charge par l'hôpital de jour du secteur psychiatrique dont il dépend. Un travail en réseau entre les différents intervenants (médecin généraliste, psychiatre, travailleurs sociaux…) est le plus souvent nécessaire. Il peut également bénéficier d'un hébergement en appartement thérapeutique. Une protection des biens peut être nécessaire (sauvegarde de justice en période aiguë, souvent nécessité de tutelle aux prestations, curatelle ou tutelle à plus long terme). Les associations de familles de patients et de patients jouent un rôle important, en particulier, dans l'éducation à la maladie et le soutien social. Pour en savoir plus : 1. La schizophrénie. Recherches actuelles et perspectives. Daléry J., d'Amato T., 2e édition, Masson, Paris, 1999, 285 p. 2. Approches contemporaines de la clinique des troubles schizophréniques. Hardy – Baylé MC et al., Encyclopédie Médico-Chirurgicale 1996, 37-282-A20 3. Données biologiques de la schizophrénie. Bonnet-Brilhault F., Thibaut F., Petit M.. Encyclopédie Médico-Chirurgicale 2001, 37-285-A17. 4. Génétique de la schizophrénie. Thibaut F., J. Libbey éditions, Paris, 2003, 146 p. 5. Conférence de consensus "Stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques". Paris, 1994. 6. Décider pour traiter (Traduction Française de Clinical Evidence). Thibaut F., Petit M., Gozlan G., Olié J.P., Rand éditions, Paris, 2001, pp. 493-504. 21 DEUXIEME PARTIE : MALADIES ET GRANDS SYNDROMES Question 278 - PSYCHOSES ET DELIRES CHRONIQUES 2. Les délires chroniques non schizophréniques Rédaction : G. Fouldrin, R. Gourevitch, F. Baylé, F. Thibaut Objectifs Généraux : · Savoir diagnostiquer une psychose et un délire chronique · Argumenter l'attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient · Objectifs Spécifiques : · Connaître les principes de l'analyse sémiologique d'un délire chronique · Connaître les différentes formes de délire paranoïaque · Connaître les principes du traitement des délires chroniques La nosographie française distingue au sein de ces états délirants trois entités pathologiques principales : les délires paranoïaques, les psychoses hallucinatoires chroniques et les paraphrénies. Cette classification a été proposée en se référant aux travaux nosographiques, réalisés essentiellement au cours du siècle dernier, par l'Ecole de Psychiatrie Française. Il n'est cependant pas certain que chacun de ces troubles corresponde à une entité pathologique distincte et de nombreux pays n'ont pas adopté cette classification. Il existe d’autres pathologies délirantes à évolution chronique telles que l’illusion des sosies de Capgras, le délire de négation d’organes de Cotard, les délires à deux ou encore le syndrome d’Ekbom. Ces pathologies, beaucoup plus rares, ne seront pas traitées dans ce chapitre. Ces trois états délirants ont en commun un âge de survenue tardif (début en général après 35 ans), un mécanisme délirant prépondérant caractérisant chacun d'eux (interprétation délirante pour les délires paranoïaques, hallucinatoire pour la psychose hallucinatoire chronique, imagination délirante pour la paraphrénie), une évolution chronique sans traitement contrastant parfois avec un maintien prolongé de l'intégration sociale et une absence de dissociation mentale. 1. Les délires paranoïaques Le terme personnalité toujours en trouble de la de paranoïaque qualifie à la fois un trouble de la et une pathologie délirante. Il convient donc de préciser l'attribution en terme de délire ou de personnalité. 1 Les délires paranoïaques sont des états délirants chroniques, de mécanisme interprétatif et systématisé. La systématisation du délire lui confère un caractère extrêmement cohérent qui, associé à la conviction absolue et inébranlable du patient, peut entraîner l'adhésion de tiers. Ils se développent plus volontiers chez des patients présentant un trouble de personnalité prémorbide de type paranoïaque dont les principaux traits sont représentés par l'hypertrophie du moi, la fausseté du jugement, la méfiance, la psychorigidité et l'orgueil. Il est habituel d'identifier au sein des délires paranoïaques les délires passionnels, les délires d'interprétation et les délires de relation des sensitifs de Kretschmer. 1.1. Les délires passionnels Les délires passionnels regroupent l'érotomanie, les délires de jalousie et les délires de revendication. Ils ont été regroupés et qualifiés de passionnels du fait de la nature des sentiments et des thèmes qui les inspirent. Ces états ont en commun d'être des états délirants chroniques débutant généralement brusquement par une interprétation ou par une intuition délirante. Ils peuvent secondairement s'enrichir de nombreuses interprétations délirantes et comportent en général une forte participation affective pouvant être à l'origine de passages à l'acte. Les délires passionnels ont une construction dite "en secteur" car ils ne s'étendent pas à l'ensemble de la vie psychique, affective ou relationnelle du sujet et les idées délirantes restent centrées sur l’objet et la thématique quasi unique du délire. - L'érotomanie ou l'illusion délirante d'être aimé : La description clinique définitive de ce trouble a été réalisée en 1921 par Clérambault. Le délire érotomaniaque touche plus fréquemment des femmes et l’objet de l’érotomanie tient souvent une position sociale élevée et enviée (prêtres, médecins…). Ce trouble débute par un postulat fondamental, formé par une intuition délirante, au cours duquel l’objet de l’érotomanie déclarerait son amour. L’évolution de l’érotomanie se fait en trois stades successifs : espoir, dépit, rancune. Au cours de ces deux derniers stades, des actes auto et surtout hétéroagressifs sont à craindre. - Le délire de jalousie : Le délire de jalousie touche essentiellement des hommes. Il s’installe le plus souvent de façon insidieuse et va se nourrir et se développer aux dépens d’évènements anodins qui feront l’objet d’interprétations délirantes. 2 Il s’associe régulièrement à un alcoolisme chronique qui peut dans certains cas favoriser la survenue d'un passage à l'acte. - Les délires de revendication : Ce type de délire passionnel regroupe : - les « inventeurs méconnus » qui cherchent au travers d’innombrables démarches à obtenir la reconnaissance que la société leur refuse, - les « quérulents processifs » qui multiplient les procédures judiciaires, les « idéalistes passionnés » qui cherchent à transmettre leurs convictions. 1.2. Le délire d’interprétation de Sérieux et Capgras Les délires d'interprétation se développent le plus souvent chez des patients présentant une personnalité pathologique de type paranoïaque. Ils peuvent survenir brutalement, faisant suite à un facteur déclenchant, ou s'installer de façon insidieuse. Ce type de délire peut se structurer et évoluer durant des années. Les interprétations délirantes sont nombreuses et tous les évènements rencontrés par le sujet seront rattachés au système délirant. Il n’y a plus de hasard dans la vie du sujet. La structure de ce type de délire est dite « en réseau » puisque tous les domaines (affectif, relationnel et psychique) de la vie du sujet sont envahis par les idées délirantes. Les thématiques les plus régulièrement rencontrées sont celles de persécution et de préjudice. 1.3. Le délire de relation des sensitifs de Kretschmer Ce délire, décrit par Kretschmer en 1919, se développe chez des sujets présentant une personnalité prémorbide de type sensitive. On ne retrouve pas dans les personnalités qualifiées de sensitives ou sensibles l’hyperestime de soi ou la quérulence qui caractérisent les autres types de personnalités paranoïaques. Elles présentent par contre orgueil, sens des valeurs et de la morale, vulnérabilité et tendance à intérioriser douloureusement les échecs relationnels et affectifs qu’elles rencontrent. Sur ce type de personnalité, le délire émerge en général progressivement dans les suites de déceptions. Il se construit sur des interprétations délirantes et les thématiques les plus fréquemment rencontrées sont celles de persécution, de préjudice, de mépris ou d’atteinte des valeurs morales. Ce délire se systématise peu et s’étend rarement au-delà du cercle relationnel proche du sujet (collègues, famille, voisins). Il peut se compliquer d’évolution dépressive. 1.4. Principes de traitement des délires paranoïaques 3 Il n’est pas aisé de traiter un patient atteint d’un délire paranoïaque. Ces organisations délirantes font rarement l’objet de remise en question par le sujet qui en souffre et il va falloir savoir amener un patient, qui ne se considère pas comme malade mais plus comme victime, à accepter des soins. - Problème de l’hospitalisation : L’hospitalisation de ces patients est en général assez rare, les soins ambulatoires étant à privilégier au maximum, et en général dans deux types de situations particulières : ¨ lors d’une exacerbation anxieuse ou d’une décompensation dépressive. ¨ lorsque la dangerosité du patient est importante. Il est toujours important d’évaluer chez ces patients le potentiel de dangerosité (présence d’un persécuteur désigné, imminence d’un passage à l’acte, impossibilité de différer l’acte auto ou hétéro agressif et d’envisager des solutions alternatives). Dans ce cas, l’hospitalisation se fait plutôt selon le mode de l’Hospitalisation d’Office puisque les troubles mentaux présentés constituent un danger imminent pour la sûreté des personnes. L’Hospitalisation Sur Demande d’un Tiers n’est pas recommandée dans ce cas puisque le tiers pourra faire l’objet de toute l’attention du patient et devenir le persécuteur désigné. - Les traitements médicamenteux : Les traitements pharmacologiques reposent essentiellement, comme dans toutes les pathologies délirantes, sur l’utilisation des neuroleptiques. A titre d'exemple : ¨ Les neuroleptiques sédatifs sont des traitements à court terme indiqués en cas d’agitation ou de menace de passage à l’acte. On utilise principalement la cyamémazine (Tercian® 50 à 200 mg par jour), la lévopromazine (Nozinan® 50 à 200 mg par jour) ou encore la chlorpromazine (Largactil® 100 à 300 mg par jour) ¨ Le traitement de fond repose sur les neuroleptiques incisifs dont l’action est inconstante sur ce type de délire. Il faut par ailleurs savoir que la tolérance de ces médicaments par ces patients est en général assez mauvaise et il est recommandé d’employer les doses les plus faibles possibles afin de concilier effets attendus et effets indésirables. A titre indicatif, on peut utiliser des neuroleptiques classiques, tels que l’halopéridol (Haldol 1 à 5 mg par jour), dont certains disposent de formes à action prolongée garantes d’une meilleure observance. Les molécules de nouvelle génération, appelées neuroleptiques à profil atypique ou antipsychotiques, sont souvent employées en première intention du fait de leur meilleure tolérance sur le plan 4 neurologique. Il s’agit de la rispéridone (Risperdal® 1 à 3 mg par jour), de l’amisulpride (Solian® 100 à 400 mg par jour) ou encore de l’olanzapine (Zyprexa® 2,5 à 5 mg par jour). ¨ Les antidépresseurs peuvent être indiqués en cas de décompensation dépressive lorsque le délire a été réduit par le traitement neuroleptique. Il faut les utiliser avec prudence car il est toujours possible de favoriser la réactivation de la construction délirante. Leur usage doit rester une décision du psychiatre. ¨ Les benzodiazépines trouvent leur indication dans les traitements d’appoint et de courte durée des troubles anxieux associés. Place des psychothérapies : Face à un patient souffrant de délire paranoïaque, il est conseillé au médecin de savoir garder des distances et de faire preuve d’honnêteté dans les soins proposés afin d’établir un climat de confiance, préalable indispensable à l’acceptation d’un traitement. Il faut éviter d'affronter le patient et d'avoir des attitudes de rejet. La place des psychothérapies chez ces patients est restreinte du fait de leur faible capacité de remise en question et d'introspection. L'indication du type de thérapie dépend de la nature du délire, de l'existence de troubles de l'humeur associés, de la structure de personnalité, des capacités de remise en question et ne peut être prise que par un psychiatre. 2. La Psychose Hallucinatoire Chronique La psychose hallucinatoire chronique a été individualisée par Ballet en 1911. Il s’agit d’un délire chronique survenant le plus souvent chez une femme (7 femmes pour 1 homme) âgée et vivant seule, de mécanisme principal hallucinatoire, sans dissociation mentale et d’évolution chronique. Cette terminologie n’est utilisée qu’en France et on retrouve, dans les classifications internationales, une partie de ces pathologies sous le terme de schizophrénie d'apparition tardive. 5 2.1. Description clinique Il est possible de retrouver un facteur déclenchant dans les semaines précédant l’éclosion du délire ainsi que des prodromes à type de troubles de l’humeur, de modifications comportementales ou caractérielles. Le début peut être brutal ou progressif. Dans sa phase d’état, la psychose hallucinatoire chronique est caractérisée par un état délirant richement hallucinatoire. Les hallucinations peuvent toucher les cinq sens. Les hallucinations cénesthésiques (ondes, courant électrique, attouchements sexuels) et olfactives seraient plus fréquentes que dans les autres pathologies délirantes. Les thématiques les plus fréquemment rencontrées sont à contenu de persécution, sexuelle, mystique ou d’influence. Si les hallucinations représentent le mécanisme délirant principal de cette pathologie, les autres mécanismes notamment interprétatif et intuitif peuvent être retrouvés. Le tableau clinique comporte également un automatisme mental pouvant être idéo-verbal, idéo-moteur ou idéo-sensitif. L’évolution est en général chronique marquée par des périodes de rémission partielle ou totale du délire alternant avec des périodes de recrudescence délirante. Il a été habituel de dire que cette riche pathologie délirante s'accompagnait d'un maintien longtemps préservé de l’intégration sociale. Il faut relativiser cette affirmation. En effet, si ces patients ne connaissent pas d’évolution aussi déficitaire que les schizophrènes, ils ont le plus souvent une vie sociale ou affective très pauvre. 2.2. Principes de traitement des psychoses chroniques hallucinatoires Il faut aménager et privilégier une relation thérapeutique basée sur la confiance afin d'amener le patient à accepter les soins. - Place de l'hospitalisation : La place de l'hospitalisation est marginale dans le traitement des psychoses hallucinatoires chroniques. Elle peut se faire à l'occasion d'une exacerbation délirante, d'une décompensation dépressive ou encore à l'occasion d'un bilan réalisé pour éliminer une organicité. Il faut privilégier les hospitalisations en service libre. - Les traitements pharmacologiques : Les psychoses hallucinatoires chroniques sont améliorées par la prescription de neuroleptiques incisifs à faible posologie. Le délire peut entièrement régresser ou persister sous une forme atténuée, mieux tolérée par le malade. Il faudra, surtout si le sujet est âgé, privilégier l'emploi de molécules peu anticholinergiques , réduire au minimum la posologie et 6 fractionner tolérance. les prises dans la journée afin d'améliorer la Quelques exemples de traitements sont donnés à titre indicatif cidessous : ¨ relais ¨ ¨ ¨ halopéridol (Haldol 1 à 5 mg par jour) avec éventuellement par la forme à action prolongée (Haldol Décanoasâ). rispéridone (Risperdal® 1 à 3 mg par jour) amisulpride (Solian® 100 à 400 mg par jour) olanzapine (Zyprexa® 2,5 à 5 mg par jour). - Place des psychothérapies : ¨ Les thérapies de soutien visent à encourager le patient à gérer des conflits présents, à mieux connaître les facteurs responsables d'aggravation délirante (arrêt du traitement, stress important…) et à tolérer les symptômes délirants résiduels. ¨ Les thérapies cognitives ont pour but de permettre au patient de mieux contrôler et comprendre son expression délirante. ¨ Les thérapies d'orientation analytique ne trouvent habituellement aucune indication dans ce type de pathologie. 3. Les paraphrénies 3.1. Description clinique Les paraphrénies sont des délires rares dont le mécanisme délirant prédominant est l'imagination délirante. Il s'agit de délires sans dissociation mentale, d'évolution chronique et survenant chez des sujets âgés. Le début est le plus souvent progressif, marqué par l'apparition de troubles du comportement, de bizarreries ou de troubles affectifs. Le délire, dont le mécanisme est imaginatif, prend l'aspect de rêveries, de contes ou encore de fiction. Les thématiques cosmiques et fantastiques seraient plus fréquentes. Ce système délirant coexiste le plus souvent avec une pensée normale et les fonctions intellectuelles du patient sont préservées. Deux formes sémiologiques avaient été individualisées : ¨ la exclusif. paraphrénie imaginative de mécanisme ¨ la paraphrénie fantastique qui associe au délirant principal imaginatif d'autres mécanismes hallucinatoire et parfois un automatisme mental. 7 imaginatif mécanisme notamment 3.2. Principes de traitement des paraphrénies Les délires imaginatifs sont peu sensibles aux traitements neuroleptiques. Les principes de traitement sont les mêmes que ceux des psychoses hallucinatoires chroniques. Les principaux diagnostics différentiels des délires chroniques à envisager : - Diagnostics différentiels psychiatriques : ¨ les délires chroniques du sujet âgé se différencient entre eux essentiellement par le type de mécanisme délirant prédominant (interprétatif, hallucinatoire ou imaginatif). ¨ La schizophrénie est une pathologie hallucinatoire avec automatisme mental, d'évolution chronique, qui survient chez des patients plus jeunes. Elle peut comporter des interprétations délirantes mais le délire est alors flou, peu cohérent et non systématisé. Les patients peuvent de plus présenter des troubles affectant le comportement, le langage et l'affectivité rentrant dans le cadre de la dissociation mentale. ¨ les bouffées délirantes aiguës sont principalement des pathologies hallucinatoires avec automatisme mental survenant chez des sujets jeunes dont l'évolution se fait le plus souvent vers la guérison sans séquelle en quelques semaines. ¨ Les troubles thymiques peuvent comporter des éléments délirants de mécanisme interprétatif. Le diagnostic sera posé sur la présence initial d’un trouble thymique et sur le fait que la thématique délirante sera congruente à la tonalité de l’humeur. - Diagnostics différentiels organiques : En présence d'hallucinations : ¨ On éliminera un syndrome confusionnel et ses principales étiologies. ¨ Devant la présence d’hallucinations olfactives, on recherchera une épilepsie partielle temporale, ainsi qu’une tumeur osseuse de la lame criblée de l’ethmoïde. ¨ Devant la présence d’hallucinations visuelles on cherchera (en plus des causes de confusion mentale) une pathologie neurodégénérative à type de démence à corps de Lewy (surtout en cas d’association d’une symptomatologie extrapyramidale en l’absence de traitement neuroleptique et de signes de 8 détérioration cognitive), une thyroïdite d’Hashimoto (très rare) ou encore une tumeur cérébrale. Lorsqu'il s'agit d'un délire interprétatif : ¨ Il faudra songer à chercher principalement, notamment chez les sujets âgés, un début de pathologie neurodégénérative. Les interprétations délirantes accompagnent fréquemment l'apparition de troubles mnésiques ou de la compréhension. ¨ Les encéphalopathies alcooliques telles que le syndrome de Korsakoff peuvent comporter quelques interprétations. ¨ Des tumeurs cérébrales, notamment de localisation frontale, peuvent donner des tableaux cliniques de délire paranoïaque à type d'érotomanie POUR EN SAVOIR PLUS Lanteri-Laura G et Tevissen R, EMC de Psychiatrie, Les psychoses délirantes chroniques en dehors de la schizophrénie. 1997, 37-299 D10. 9 1 DEUXIEME PARTIE : MALADIES ET GRANDS SYNDROMES Question 285 Trouble de l’humeur. Psychose maniaco-dépressive Rédaction : G. Fouldrin, F.J. Baylé, R. Dardennes, F. Thibaut Relecture : M-C. Hardy-Bayle Objectifs pédagogiques généraux Savoir reconnaître et diagnostiquer un trouble de l’humeur, trouble dépressif et trouble maniaque Connaître les diverses modalités d’évolution des troubles de l’humeur Connaître les modalités de traitement et de prise en charge de ces troubles Objectifs pédagogiques spécifiques Epidémiologie Connaître la fréquence des états dépressifs et du suicide chez les sujets déprimés Connaître le pourcentage de réponse aux traitements, de récidive et de chronicisation Connaître les principales données de l’épidémiologie analytique des états dépressifs (sexe, âge) Connaître les aspects socioéconomiques et culturels de l’épidémiologie analytique des états dépressifs Connaître la prévalence du trouble bipolaire de l’humeur Diagnostic Connaître les différents modes d’expression clinique d’altération pathologique de l’humeur (dépression majeure, hypomanie, accès maniaque, état mixte, dysthymie) Connaître la sémiologie d’un état maniaque Connaître l’existence de plusieurs sous-types de trouble bipolaire de l’humeur Connaître la sémiologie d’un état dépressif majeur ou caractérisé Connaître les spécificités liées à l’âge, au sexe, à l’environnement socioculturel Savoir distinguer le deuil de la dépression Connaître l’existence du syndrome de Cotard Savoir reconnaître les dépressions mélancoliques 2 Connaître l’existence de dépressions iatrogènes Connaître l’existence des dépressions saisonnières et les dépressions secondaires à des affections organiques Connaître l’existence des dépressions récurrentes brèves et des dysthymies Psychopathologie et physiopathologie Connaître les grandes lignes des hypothèses psychodynamiques de la dépression Connaître les grandes lignes des hypothèses neurobiologiques de la dépression Prise en charge Connaître les situations nécessitant le recours à l’hospitalisation ou à l’avis d’un spécialiste Connaître les objectifs et les méthodes de la psychothérapie de soutien du patient déprimé ainsi que des autres psychothérapies Connaître les modalités du traitement pharmacologique de l’épisode dépressif (posologie, durée, éléments de surveillance) Connaître la durée de traitement antidépresseur Connaître les spécificités du traitement pharmacologique selon l’âge, la gravité de l’épisode Connaître les principes des traitements et leurs éléments de surveillance des troubles bipolaires. Connaître les indications de la sismothérapie Les Psychoses Maniaco-Dépressives ou Troubles Bipolaires de l’humeur 1. Notions historiques : Les descriptions cliniques d’épisodes maniaques et mélancoliques existent depuis l’antiquité. Le lien fait entre ces deux syndromes et leur union au sein de l’entité clinique de psychose maniaco-dépressive est régulièrement attribuée à Kraepelin. En réalité, quelques années auparavant en 1854, Falret avait individualisé la « folie circulaire » quand Baillarger parlait de « folie à double forme ». Il est maintenant montré que depuis l’antiquité, le lien qui unissait ces syndromes était connu. 3 Kraepelin sera l’un des défenseurs de la notion d’étiologie endogène des psychoses. C’est en référence à cette conception étiologique qu’il persiste dans la nosographie clinique la notion d’opposition entre dépression endogène qui appartiendrait à ce groupe d’affection et dépression psychogène. Nous savons à présent que cette approche dichotomique n’est pas valide. D’une part les patients atteints d’un trouble maniaco-dépressif peuvent présenter des décompensations dépressives « psychogènes » et d’autre part la notion de psychose endogène sous-entend que l’individu, constitutionnellement prédisposé, ne pourrait échapper à l’apparition de la maladie C’est en partie pour ces raisons que la terminologie de Psychose ManiacoDépressive est fortement controversée ; les anglo-saxons préférant parler de troubles bipolaires de l’humeur. Cette nouvelle dénomination a l’avantage d’insister sur le fait que le trouble thymique constitue le problème essentiel de cette pathologie et de la démarquer des psychoses chroniques notamment schizophréniques dont l’évolution est totalement différente. 2. Les dépressions mélancoliques : 2.1. Description clinique : Il est possible de retrouver des facteurs déclenchant favorisant l’apparition d’un épisode de dépression mélancolique. L’accès mélancolique peut survenir à tout âge et s’installe le plus souvent progressivement même si quelques cas sont d’apparition brutale. Dans sa phase d’état, le patient présente un tableau clinique de dépression sévère dans lequel toutes les dimensions de la symptomatologie dépressive sont exacerbées : ♦ Caractéristiques mélancolique : sémiologiques de l’humeur dépressive du L’humeur est triste. Cette tristesse profonde envahit tout le champ de la conscience et se traduit par une douleur morale intense. Le patient présente des sentiments d’ennui, de dégoût, d’inutilité ou encore de désespoir. Le patient peut présenter des idées délirantes que l’on qualifie de congruentes à l’humeur, toute la thématique du délire étant en général imprégnée par la tristesse. Il s’agit le plus souvent d’idées délirantes de ruine d’indignité, d’incurabilité, de culpabilité (le patient s’accuse d’avoir commis des 4 fautes, des pêchés, des crimes…). Il est possible d’observer des idées d’influence, de possession, de transformation corporelle et de damnation. Les mécanismes délirants peuvent être intuitifs, interprétatifs, imaginatifs ou hallucinatoires. Il existe une forme particulière de mélancolie délirante appelée syndrome de Cotard. Ce syndrome décrit par Jules Cotard en 1880 se traduit le plus souvent par des idées de négation d’organes. Il s’agit en fait le plus souvent d’une négation du fonctionnement des organes (arrêt du fonctionnement des intestins, du cœur, de la respiration…) que d’une négation de l’existence des organes. Ce syndrome regroupe également les idées délirantes d’immortalité et de grandeur (ces dernières sont représentées par des impressions de grandeur de parties de corps). ♦ Fonctionnement psychomoteur des mélancoliques : Le ralentissement psychomoteur du mélancolique est très marqué. Le patient peut rester assis, immobile dans une inertie totale durant des heures. La lenteur du discours et idéique correspond à la bradyphémie et la pauvreté de la mimique constitue l’hypomimie. L’inhibition peut être telle sur le plan psychomoteur que le patient peut être totalement mutique et clinophile, voire catatonique. ♦ Signes somatiques associés : Leur présence est constante dans la dépression mélancolique. Les troubles du sommeil sont marqués par une insomnie totale ou avec des réveils précoces et sont en général rebelles au traitement hypnotique simple. Les troubles digestifs sont représentés par la constipation et les refus alimentaires. Il est d’ailleurs possible d’observer une perte de poids importante, des signes de carence nutritionnelle parfois même de déshydratation. ♦ Evaluation du potentiel suicidaire : Il faut considérer que la dépression mélancolique s’accompagne toujours d’un potentiel suicidaire élevé et ne surtout pas se sentir rassuré par l’intensité du ralentissement psychomoteur en pensant que le patient n’aura pas la force de tenter de mettre fin à ses jours. Le désir de mort est constant et permanent et est parfois considéré par le patient comme un châtiment ou une punition nécessaire. Les tentatives de suicide peuvent survenir à n’importe quel moment et parfois en fin d’accès après une amélioration clinique franche. 5 2.2. Formes cliniques de dépression mélancoliques : Ces formes ont été décrites en fonction de la prédominance de certains groupes de symptômes (mélancolie délirante, stuporeuse, catatonique, anxieuse). Il ne s’agit pas réellement de catégories distinctes de mélancolies. 2.3. Diagnostics différentiels : Peu de diagnostics différentiels sont à envisager face à un épisode de dépression mélancolique. Il faut principalement discuter les autres troubles dépressifs, les psychoses et rechercher une pathologie organique : La symptomatologie de la dépression mélancolique est en général suffisamment intense pour ne pas être confondue avec un épisode dépressif non mélancolique. 6 Les symptômes délirants, lorsqu'ils accompagnent un syndrome mélancolique, peuvent parfois être au premier plan (notamment chez l'adolescent) et faire évoquer à tort une bouffée délirante aiguë ou un début de schizophrénie. L'analyse de la thématique délirante est alors essentielle. Dans le cadre des dépressions mélancoliques, l'ensemble de la thématique est congruente à l'humeur triste. Comme pour tous les épisodes dépressifs, il convient de rechercher, surtout lors d'un premier épisode, une pathologie organique ou un traitement responsables d'un tableau de dépression secondaire (nous ne présentons ci-dessous que les principales étiologies) : - causes neurologiques : toutes les lésions cérébrales (ischémiques, tumorales, lésions inflammatoires…), notamment celles de l'hémisphère droit, peuvent donner des tableaux dépressifs. Les maladies neurodégénératives se manifestent régulièrement en début d'évolution, et avant que leur diagnostic ne soit établi, par des épisodes dépressifs. - causes endocrinologiques : les principales pathologies responsables de dépressions secondaires sont représentées par les dysfonctionnements thyroïdiens (hyper et surtout hypothyroïdie) et surrénaliens. - causes générales : un certain nombre d'affections générales telles que les maladies de système, les pathologies carcinologiques (estomac, pancréas), la tuberculose, et les hémopathies se traduisent parfois par des troubles dépressifs. - causes iatrogènes : de très nombreux médicaments et toxiques provoquent des épisodes dépressifs. On retiendra notamment les corticoïdes, l'interféron alpha… 2.4. Principes de prise mélancoliques : en charge thérapeutique des dépressions La prise en charge d’un épisode dépressif mélancolique se fait en milieu hospitalier en général dans un service de Psychiatrie. On peut recourir à un mode d’hospitalisation sous contrainte si le patient refuse les soins. Il faut limiter au maximum les risques de suicide en retirant au patient objets tranchants, ceintures… Le bilan réalisé visera à rechercher les répercussions somatiques de l’épisode (notamment en cas de refus alimentaire prolongé), à éliminer un facteur organique responsable d’une dépression secondaire ainsi qu’éventuellement à 7 éliminer une contre-indication à la réalisation de sismothérapie ou à la prescription d’antidépresseurs tricycliques. Nous ne présenterons que quelques principes et exemples de traitement médicamenteux : La clomipramine (Anafranil®) reste dans cette indication le traitement médicamenteux de référence permettant d'obtenir le plus de rémissions complètes. La voie d’administration peut être orale ou parentérale. Après avoir éliminé les contre-indications classiques à la prescription des antidépresseurs tricycliques (glaucome à angle fermé, adénome de la prostate et troubles de la conduction cardiaques…), il est recommandé d’augmenter la posologie progressivement par paliers de 25 mg tous les jours jusqu’à l’obtention d’une posologie de 100 à 150 mg par jour. Il faut souligner que parmi les « nouveaux » antidépresseurs seule la venlafaxine (Effexor®) a obtenu en France une Autorisation de Mise sur le Marché dans cette indication. Lorsque le patient présente un tableau clinique de mélancolie délirante, il est recommandé d'associer à l'antidépresseur une petite dose de neuroleptique comme par exemple l’amisulpride (Solian® 50 à 100 mg par jour) ; cette association permet de potentialiser l’action de l’antidépresseur. Elle doit cependant être réalisée avec prudence, notamment chez le sujet âgé, car elle accentue des modifications de l'ECG (allongement du segment QT) pouvant favoriser l'apparition de troubles du rythme cardiaque. 8 La prescription de traitements sédatifs est nécessaire pour apaiser l'angoisse des patients, corriger les troubles du sommeil et prévenir la survenue d’un geste suicidaire. Des neuroleptiques sédatifs comme la cyamémazine (Tercian® 50 à 150 mg / j) ou la lévopromazine (Nozinan® 50 à 150 mg / j) ont l'indication : association avec un antidépresseur dans les dépressions graves. Il est également possible de leur adjoindre des benzodiazépines. Les molécules dont la demi-vie est courte sont à éviter car elles augmentent le risque de dépendance et de sevrage. La sismothérapie ou électroconvulsivothérapie est indiquée en cas de résistance ou de contre-indication au traitement médicamenteux. Elle peut également être indiquée d’emblée en cas de mélancolie délirante, stuporeuse ou de refus de soins et d’alimentation mettant en jeu le pronostic vital. Elle consiste à déclencher une crise d’épilepsie généralisée d’au moins 30 secondes par la diffusion d’un faible courant électrique au niveau cérébral. Elle est réalisée sous anesthésie générale au rythme de 2 à 3 séances par semaine et la guérison est obtenue en 8 à 12 séances. La sismothérapie représente le plus efficace des traitements antidépresseurs avec 80 à 85 % de rémission. Les contre-indications à la sismothérapie sont représentées par celles de l’anesthésie générale, par la présence de lésions vasculaires ou tissulaires intracrâniennes ainsi que par la présence d’un anévrysme de l’aorte abdominale. Il faudra donc réaliser en plus du bilan et de la consultation pré-anesthésique une échographie abdominale, un scanner cérébral avec injection. Il existe un certain nombre d’effets indésirables de la sismothérapie. Les plus fréquents, en dehors du risque anesthésique, sont les céphalées, les troubles mnésiques (peuvent persister plusieurs mois), les luxations de l’épaule, les tassements vertébraux chez le sujet âgé, les fractures dentaires, la sensibilisation à faire des crises d’épilepsie chez des patients prédisposés. 2.5. Evolution des dépressions mélancoliques : Sans traitement, un épisode mélancolique dure 6 à 8 mois. La prise en charge thérapeutique permet de ramener la durée de l’épisode à 4 à 8 semaines et surtout de réduire le risque suicidaire. Les patients qui présentent des résistances au traitement médicamenteux doivent bénéficier de la réalisation de séances de sismothérapie. Le second problème concernant l’évolution de ces dépressions consiste à savoir s’il s’agit d’un épisode unique ou d’un épisode s’intégrant dans le cadre d'un 9 trouble bipolaire nécessitant la prescription d’un régulateur de l’humeur comme traitement préventif. 3. Les épisodes maniaques : 3.1. Description clinique : Les accès maniaques peuvent survenir à tout âge mais sont beaucoup plus fréquents chez les patients de 15 à 30 ans. Des facteurs déclenchants sont fréquemment rencontrés dans les jours précédant l’apparition d’un épisode maniaque. Les prodromes de l’accès maniaque doivent être recherchés. Ils ne sont pas spécifiques (irritabilité, insomnie, labilité émotionnelle) mais sont souvent retrouvés en cas de rechute et leur détection précoce permet de sensibiliser le patient et son entourage. Les épisodes maniaques se caractérisent par un état de surexcitation des fonctions psychiques à l’origine d’une exaltation de l’humeur et d’une exacerbation pulsionnelle et affective. Certains décomposent la sémiologie des états maniaques en différentes dimensions calquées sur la sémiologie des épisodes dépressifs en opposant les symptômes. ♦ Caractéristiques de la thymie dans l’accès maniaque : Le patient présente une exaltation de l’humeur avec euphorie. Cette hyperthymie se traduit par une euphorie et un optimisme infatigable. Il fait preuve de jovialité, plaisante fait des jeux de mots et s’amuse durant l’entretien. Il est possible que le patient présente des idées délirantes congruentes à l’humeur. Leur thématique est marquée par la jovialité l’euphorie et l’expansivité (idées mégalomaniaques, sentiments de grandeur, de supériorité, de puissance, d’invulnérabilité, projets démesurés et capacités hors du commun…). Les mécanismes délirants sont le plus souvent l’interprétation et les intuitions délirantes. On retrouve plus rarement des hallucinations et parfois des éléments d’automatisme mental notamment chez de jeunes patients. ♦ Fonctionnement psychomoteur des maniaques : L’excitation psychique se traduit par une accélération des processus de pensée (tachypsychie). Cette excitation se traduit par la fuite des idées, les passages du coq à l’âne et des troubles de la concentration et de l’attention, il existe une logorrhée difficile à contrôler. Sur le plan moteur, le patient a fréquemment une présentation débraillée, extravagante et l’hyperactivité est importante et souvent non productive. Il est possible d’observer des troubles 10 des conduites sociales (mises en danger, conduites de désinhibition, en particulier sexuelle, dépenses excessives…). ♦ Signes somatiques associés : Le signe le plus fréquemment rencontré est l’insomnie totale sans fatigue. Les patients peuvent présenter une hyperphagie, une hypersexualité, et parfois des troubles à type de déshydratation. 3.2. Formes cliniques des accès maniaques : Quelques formes cliniques méritent d’être détaillées compte tenu de leurs particularités sémiologiques. ♦ L’hypomanie : elle correspond à une forme atténuée de manie. L’hyperactivité reste productive et les répercussions sociales sont limitées. Cet état constitue cependant une rupture avec l’état antérieur et à l’accélération des processus psychiques et l’euphorie s’associe une réduction du sommeil. Cet état risque d’évoluer sans traitement vers un authentique accès maniaque. ♦ La manie délirante : elle peut prendre notamment chez le jeune adulte et l’adolescent l’aspect d’une bouffée délirante aiguë à l’origine de confusion diagnostique et thérapeutique. Chez ces patients, le délire est souvent au premier plan de la clinique et l’euphorie peut être remplacée par de l’irritabilité et de l’agressivité. Il faut également noter que des symptômes appartenant à l’automatisme mental peuvent être observés dans les manies délirantes. ♦ Les états mixtes : ils se caractérisent par la présence simultanée des symptômes maniaques et dépressifs pendant une durée d’au moins une semaine. La fureur maniaque : représentée par un état d’agitation et de violence extrême ne s’observe presque plus. ♦ Particularités sémiologiques liées à l’âge : nous ne reviendrons pas sur celles de l’adolescent ou de l’adulte jeune.. Chez le sujet âgé, l’euphorie est souvent absente et les manifestations agressives et caractérielles peuvent être au premier plan. La fréquence des états mixtes est également plus élevée chez le sujet âgé et on cherchera attentivement une cause de manie secondaire en cas de premier épisode survenant après 50 ans. 3.3. Diagnostics différentiels des épisodes maniaques : ♦ Les manies iatrogènes : Elles sont constituées par des épisodes maniaques déclenchés par la prise d’une substance psychostimulante. Elles durent le plus souvent le temps de 11 l’intoxication. On retiendra que ces accès peuvent faire suite à la prise de toxiques (cannabis, cocaïne, opiacés, ecstasy) ou de médicaments (antidépresseurs, corticostéroïdes, agonistes dopaminergiques, interféron alpha, hormones thyroïdiennes, certains anti-inflammatoires non stéroïdiens, antipaludéens, izoniazide). Ces listes correspondent aux substances les plus fréquemment retrouvées mais n’est en aucune façon limitative, de nombreuses autres molécules occasionnant des virages de l’humeur. ♦ Les manies secondaires à une pathologie somatique : Cette éventualité suppose que devant tout premier syndrome maniaque des examens (cliniques et paracliniques) soient réalisés. Sur le plan neurologique, des syndromes maniaques peuvent être symptomatiques de lésions cérébrales, de poussées inflammatoires de sclérose en plaques, d’encéphalopathies à VIH, de syphilis tertiaire, d’épilepsies partielles notamment temporales. Certains syndromes confusionnels peuvent s’accompagner de symptômes maniaques. Des affections générales telles que les hyperthyroïdies, les hypercorticismes ou encore les porphyries et la maladie de Wilson peuvent occasionner des manies secondaires. ♦ Les manies dans le cadre du trouble schizo-affectif : Les troubles schizoaffectifs correspondent à l’ancienne dénomination de schizophrénie dysthymique. Ils s’observent chez des patients qui présentent une symptomatologie schizophrénique persistante entre les troubles thymiques. Leur présentation est par ailleurs souvent atypique, la symptomatologie étant incomplète. 3.4. Principes de prise en charge des manies : Le plus souvent la prise en charge des patients maniaques se fait en milieu hospitalier spécialisé. Il est impératif de systématiquement évaluer la nécessité de réaliser une mesure de protection de biens telle qu’une sauvegarde de justice. Le bilan réalisé a pour objectifs d’évaluer les répercussions somatiques de l’accès maniaque (par exemple sur l’état d’hydratation du patient), de rechercher l’existence d’une cause de manie secondaire et éventuellement de permettre l’instauration d’un thymorégulateur. Le traitement médicamenteux a pour but de réduire l’exaltation de l’humeur. Parmi les régulateurs de l'humeur, le lithium semble être celui qui soit doté de la plus grande action thérapeutique dans le traitement curatif de l'accès maniaque. Son action sur l'expansion euphorique de l'humeur est plus spécifique mais ne se 12 manifeste pas avant 8 à 10 jours de traitement. La dose de lithium nécessaire sera adaptée en fonction de la lithiémie plasmatique effectuée le matin, à jeun de lithium, 12h après la prise du soir et mesurée au moins 4 jours après la dernière modification du traitement. La lithiémie doit être proche de 0.8-0.9 meq/l (Téralithe 250) ou de 1.2 meq/l (Téralithe LP 400). La surveillance du traitement portera sur les constantes (pouls, tension artérielle, température), la tolérance neurologique et l'efficacité du traitement. Le traitement chez l'adulte de moins de 50 ans devra être débuté par 2 ou 3 cp de Téralithe 250 répartis en 2 ou 3 prises avec la prise maximale le soir ou encore par 1 ou 2 cp de Téralithe LP 400 le soir. En cas de taux sériques de lithiémie insuffisants, la dose sera augmentée par paliers de ½ cp. Le bilan et les effets secondaires seront détaillés dans le chapitre 6.1. Afin d'éviter un surdosage en lithium, les doses seront réduites en fin d'accès maniaque. La carbamazépine (Tégretol) (600-1200 mg/j) et surtout le divalproate de sodium (Dépakote) (1-2 g/j) ont également cette indication thérapeutique en cas d'intolérance ou de contre-indication au lithium. En pratique clinique, les patients bénéficient souvent d'une association entre un thymorégulateur et un neuroleptique. Ces derniers médicaments représentent souvent la base du traitement symptomatique de l'accès maniaque. Ils permettent de contrôler rapidement les symptômes tels que l'agitation, l'excitation, l'agressivité et diminuent les éléments délirants. Les neuroleptiques sédatifs ou antiproductifs (halopéridol) peuvent être utilisés dans cette indication, mais leur usage est en général réservé aux formes sévères de manie. Les neuroleptiques atypiques seront préférés dans cette indication (rispéridone ou olanzapine). Il ne faut pas perdre de vue que ces traitements peuvent être à l'origine d'effets indésirables sérieux tels que les dyskinésies tardives ou les syndromes malins. Il faut donc dans la mesure du possible réserver leur usage au traitement symptomatique des accès maniaques et essayer de les interrompre le plus rapidement possible au décours de l'accès. Cependant la neurotoxicité potentielle de l'association lithium-neuroleptiques impose une stricte surveillance neurologique et l'utilisation conjointe de doses modérées de neuroleptiques et d'une lithiémie strictement inférieure à 1 Meq/l. Les neuroleptiques, bien que moins spécifiques que le lithium ou d'autres thymorégulateurs dans cette indication, présentent un certain nombre d'avantages : rapidité d'action sur la réduction de l'agitation psychomotrice, existence de formes injectables qui peuvent être utiles pendant les premiers jours de traitement. Le choix du traitement sera guidé par les antécédents du patient (terrain, réponse à un traitement neuroleptique antérieur …). L'adjonction de benzodiazépines pourra être faite pour potentialiser la sédation. Des correcteurs anticholinergiques seront réservés aux cas de mauvaise 13 tolérance des systématique. neuroleptiques et ne seront pas prescrits de manière 3.5. Evolution des accès maniaques : L’évolution spontanée d’un accès maniaque sans traitement est en général de 4 à 8 semaines. Le traitement permet de réduire la durée de cet accès. Il existe de rares cas de résistance au traitement de l’accès maniaque avec une évolution chronique du trouble. Ces formes résistantes peuvent nécessiter la réalisation de cures de sismothérapie. 4. Le diagnostic de trouble bipolaire de l’humeur : Le fait de pouvoir poser ce diagnostic va permettre de pouvoir proposer une prise en charge spécifique visant à limiter les rechutes. Il faut retenir qu’aujourd’hui encore le retard au diagnostic concernant ce type de troubles est considérable avoisinant 5 à 10 ans. Par ailleurs sans thymorégulateur, 10 à 15 % de ces patients décèdent par suicide. Ces dernières années, la nosologie de ces troubles a suscité beaucoup de travaux et le champ des troubles bipolaires s’est trouvé élargi. Les troubles bipolaires de l’humeur constituent ainsi un ensemble hétérogène de troubles s’étendant de la forme classique de psychose maniacodépressive correspondant au trouble bipolaire de type 1, aux notions plus controversées que représenteraient les formes atténuées de la maladie. Nous présenterons les différentes situations cliniques au cours desquelles le diagnostic doit être envisagé et aborderons les limites de l’abord nosologique du trouble bipolaire. 4.1. Le trouble bipolaire de type I : Il correspond à l'alternance d’épisodes dépressifs, d’accès maniaques et d’intervalles libres. Cette situation correspond à la forme typique. Toutes les combinaisons entre ces différents épisodes peuvent s'observer. Le diagnostic est facile si l'interrogatoire retrouve cette alternance. Le problème diagnostique est plus compliqué lorsque le patient est vu au cours du premier épisode de trouble de l'humeur. Si le premier épisode de trouble de l'humeur est un accès maniaque, il faut envisager systématiquement ce diagnostic (en dehors d’une cause organique ou toxique). 14 Si le premier épisode est une dépression mélancolique, il est proposé d'attendre un deuxième épisode de trouble de l'humeur avant de poser un diagnostic et d'introduire un régulateur de l'humeur. Cette attitude thérapeutique est justifiée par le fait que les dépressions mélancoliques peuvent s'observer en dehors du trouble bipolaire et que les régulateurs de l'humeur ont une action préventive modérée sur les rechutes dépressives. 4.2. Le trouble bipolaire de type II : Il correspond à la survenue de plusieurs épisodes dépressifs alternants avec des hypomanies. En général, la morbidité inter épisodes est plus importante, les dépressions sont plus sévères et le risque de suicide est plus élevé. 4.3. Les cycles rapides : Ils représentent une forme clinique particulière des troubles bipolaires de type I et II qui est définie par l’évolution et le nombre d’accès annuel (≥ 4 accès par an). Ces patients seraient plus souvent des femmes. Lorsque les accès des cycles durent 48 heures, on parle de cycles ultrarapides. Ils représentent 15 à 20% des troubles bipolaires. Le lithium a été accusé d'accélérer la fréquence des rechutes. 4.4. Les limites de la notion de troubles bipolaires : Les troubles présentés dans ce paragraphe représentent pour certains des formes mineures ou atténuées de troubles bipolaires. Pour l’instant, leur appartenance au spectre des troubles bipolaires est fortement discutée au niveau international et il n’est pas justifié de préconiser une prescription systématique de régulateur de l’humeur au long cours à toutes ces personnes. ♦ La notion de tempérament et ses liens avec le trouble bipolaire : La notion de tempérament renvoie à la clinique des traits de personnalité. Les tempéraments constitueraient des états de vulnérabilité aux troubles thymiques. Leur prévalence dans la population générale pourrait atteindre 20 %. Certains les considèrent comme des états de vulnérabilité prédisposant à l’apparition de troubles thymiques alors que d’autres pensent qu’ils constituent plus des prodromes de troubles thymiques ou encore des formes atténuées de 15 maladie. Quatre tempéraments différents ont été individualisés (hyperthymique, cyclothymique, dysthymique et irritable). ♦ Le trouble bipolaire de type III : Le diagnostic est envisagé en cas d'épisodes maniaques ou hypomaniaques induits pharmacologiquement et en cas d'épisodes dépressifs récurrents avec des antécédents familiaux de troubles bipolaires et un tempérament hyperthymique. ♦ Le trouble dysthymique : Il constitue une forme atténuée de trouble de l’humeur évoluant de façon chronique et correspondrait à un état intermédiaire entre la notion d’épisode dépressif majeur et celle d’une vulnérabilité dépressive de tempérament. Dans la nosographie classique, ce trouble correspond aux dépressions névrotiques. ♦ Le trouble cyclothymique : Ce serait une forme atténuée de trouble bipolaire de type 2 avec une alternance d’hypomanie et d’épisodes de dépressions légères. ♦ Le trouble thymique à caractère saisonnier : Le pic saisonnier de ces troubles dépressifs serait en septembre octobre et ils seraient associés à une hypersomnie avec hyperphagie. La photothérapie serait efficace. 16 5. Principales notions d’épidémiologie troubles bipolaires de l’humeur : et facteurs de vulnérabilité aux La prévalence en population générale du trouble bipolaire de type 1 est estimée à 1 %. Les hypomanies toucheraient 4 à 6 % de la population. L’âge moyen de début du trouble se situe entre 15 et 30 ans. Des débuts tardifs ou, au contraire précoces dans l’enfance, dès 5 ans, sont cependant décrits. De nombreux travaux ont démontré que la part des facteurs génétiques était importante dans l’apparition des troubles bipolaires. Le modèle physiopathologique le plus couramment admis serait celui d’un modèle multifactoriel et polygénique à effet de seuil ; plusieurs gènes mineurs auraient un effet additionnel conditionnant un état de vulnérabilité et le trouble se déclencherait lors de l’exposition à différents facteurs environnementaux. Les évènements de vie stressants sont fréquemment retrouvés dans le déclenchement des premiers épisodes, notamment dépressifs. Les expositions répétées au stress engendreraient au niveau du système nerveux central une baisse du seuil de réactivité aux stress ultérieurs. Cliniquement, cette sensibilisation se traduirait par l’apparition de décompensations thymiques pour des facteurs stressants moindres et aboutirait à terme à une véritable autonomisation du trouble bipolaire, les accès survenant sans facteur déclenchant. Cette hypothèse physiopathologique correspond à la théorie du "kindling" (embrasement), développée dans la physiopathologie de certaines formes d’épilepsie. Sa validité est actuellement sous-tendue par de nombreux travaux neurobiologiques et elle contribuerait à l’action thymorégulatrice des antiépileptiques. 6. Les traitements prophylactiques des troubles bipolaires. La prescription d'un traitement médicamenteux prophylactique dans le trouble bipolaire représente un point fondamental de la prise en charge. Les régulateurs de l’humeur encore appelés thymorégulateurs ou stabilisateurs de l’humeur ont fait la preuve qu’ils diminuaient le risque d’apparition de nouveaux épisodes dépressifs ou maniaques. Il existe deux grandes familles de thymorégulateurs : les sels de lithium et les anticonvulsivants même si tous, parmi ces derniers, n’ont pas d’autorisation de mise sur la marché dans cette indication en France. 6.1. Le lithium : 17 ♦ Bilan préthérapeutique et instauration du traitement : Le lithium est disponible sous deux formes, le carbonate de lithium (Téralithe 250 mg et Téralithe LP 400) et le gluconate de lithium (Neurolithium) qui n'est presque plus utilisé. Avant d'instaurer un traitement à base de lithium, il est nécessaire de réaliser un bilan visant à éliminer une contre-indication : - créatinémie, protéinurie pour éliminer une insuffisance rénale. Après 50 ans, il est préférable de réaliser en plus un dosage de la clairance rénale de la créatinine. - ionogramme sanguin afin d’éliminer une hyponatrémie. - ECG (en plus de l'examen clinique) afin d'éliminer une insuffisance cardiaque sévère - THSUS afin d'écarter un dysfonctionnement thyroïdien. - βHCG, le lithium étant contre-indiqué lors du premier trimestre de la grossesse. Le traitement est instauré progressivement jusqu’à l’obtention d’une lithiémie plasmatique efficace (0,6 à 0,8 mEq/l pour le Téralithe 250 mg et 0,8 à 1.2 mEq / l pour le Téralithe 400 LP). Chez le sujet âgé la lithiémie sera réduite (0.4-0.6 meq/l). La demi-vie du lithium étant de 24 heures, on vérifie la lithiémie plasmatique environ 4 à 5 jours après un changement de posologie. Un antécédent familial de trouble bipolaire, le début du trouble bipolaire par un épisode maniaque, une bonne adaptation pendant les épisodes intercritiques, l'absence de cycles rapides, l'absence d'abus d'alcool ou de substances toxiques, l'absence de troubles de personnalité prémorbide, sont des facteurs positifs de réponse au lithium. Lorsque la lithiémie est satisfaisante, les dosages sanguins sont effectués toutes les semaines pendant le premier mois, puis tous les mois pendant le premier trimestre puis tous les 2 à 3 mois. ♦ Surveillance du traitement : La surveillance du traitement consiste en une surveillance clinique des effets attendus et en un dépistage des effets indésirables associés à une surveillance régulière de la lithiémie. Il est recommandé de contrôler la lithiémie tous les 3 mois lorsque le traitement est équilibré. On dosera de façon annuelle la TSH et la créatinémie. ♦ Effets indésirables : 18 La survenue de la plupart d'entre eux dépend de la valeur de la lithiémie. Leur incidence est accrue par l'âge et la co-prescription de neuroleptiques et d'antidépresseurs. - Troubles digestifs : ils sont fréquents en début de traitement (jusqu’à 30%). Le plus souvent il s’agit de diarrhées, de nausées, de vomissements, de douleurs épigastriques, de météorisme abdominal, de brûlures… - Troubles neurologiques : sont essentiellement représentés par un tremblement fin, d’attitude et d’action des extrémités. Il est augmenté par la fatigue, les émotions, la caféine, l’âge du patient. Il peut nécessiter de réduire la posologie et peut être amélioré par les béta-bloquants (propranolol). Un syndrome extrapyramidal peut être observé chez des patients traités depuis plusieurs années et nécessite de réduire la posologie. Les éléments confusionnels et la dysarthrie témoignent d’un surdosage. Les syndromes cérébelleux constituent une complication rare mais grave des intoxications au lithium. Des crises comitiales peuvent être observées. - Troubles de la fonction rénale : un syndrome polyuro-polydipsique est observé chez 10 à 40 % des patients traités par lithium, en début de traitement. Ce syndrome est directement induit par le lithium et ne se traite pas. Le patient doit augmenter son apport de boissons pour limiter le risque de déshydratation. Le lithium pourrait induire des néphrites chroniques interstitielles notamment lorsque la lithiémie est trop élevée de façon prolongée mais la responsabilité directe du lithium reste controversée. - Effets cardiovasculaires : ils sont représentés par des troubles de la conduction auriculo-ventriculaire, des troubles de la repolarisation, des arythmies graves et des cardiomyopathies en cas d’intoxication. - Effets endocriniens : on peut observer un effet antithyroïdien réversible (baisse de T3 et T4 avec augmentation de TSH), un goitre euthyroïdien, une hypothyroïdie (dans 1 à 3% des cas, surtout en cas d’association avec un antidépresseur tricyclique ou une phénothiazine) qui ne nécessite pas d’arrêter le lithium. Un traitement substitutif thyroïdien est alors proposé. Les modifications sont réversibles à l’arrêt du traitement. Les hyperthyroïdies et les hyperparathyroïdies sont très rares. - Effets métaboliques : Il peut exister une hyperglycémie en début de traitement qui se corrige par un hyperinsulinisme. Le lithium à également un effet insuline-like responsable d’une légère prise de poids (3 à 5 kg en moyenne dans 70% des cas). - Effets hématologiques : une hyperleucocytose avec leucopénie peut être observée en début de traitement. - Effets cutanés : ils concernent 1 % des patients traités par lithium. Il s’agit d’acné, de révélation ou d’aggravation d’un psoriasis, de prurit, d’alopécie et exceptionnellement d’éruption papulo-érythémateuse ou de rash cutané. 19 - Une diminution de la libido est parfois rapportée. - Effets sur les fonctions psychiques : presque 30% des patients décrivent des troubles de l’attention, de la concentration et surtout des troubles mnésiques. L’insertion sociale des patients traités demeure cependant nettement meilleure. La diminution des activités artistiques ne s’observe que lorsque cette dernière survient lors des épisodes de manie ou d’hypomanie. ♦ Contre-indications : L'insuffisance rénale sévère, l'allaitement et la grossesse de moins de trois mois (risque de malformations fœtales graves en particulier cardio-vasculaires) sont des contre-indications absolues à la prescription de lithium. Les contre-indications relatives sont essentiellement représentées par les interactions médicamenteuses qui peuvent modifier la lithiémie ou majorer la toxicité du lithium. Tous les AINS sauf les salicylés augmentent la lithiémie. Les diurétiques, la méthyldopa, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les neuroleptiques augmentent également la lithiémie. L'association à la carbamazépine (Tégrétol) majore la neurotoxicité des produits. L'association aux antidépresseurs sérotoninergiques peut provoquer des syndromes sérotoninergiques. L'association à la clozapine (Léponex) peut donner des troubles neuropsychiques à type de désorientation, de myoclonies et de tremblements. Dans tous ces cas, la prescription doit être prudente et nécessite une surveillance clinique et des dosages sanguins réguliers de la lithiémie plasmatique. ♦ Les signes de surdosage : Les symptômes de surdosage apparaissent en général lorsque la lithiémie plasmatique dépasse 1,2 mEq/l. Les principaux symptômes sont représentés par des tremblements amples, un syndrome cérébelleux, un syndrome extrapyramidal, une dysarthrie, des troubles de la conscience (de la confusion mentale au coma), une vision floue, des troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs gastriques, diarrhées), des fasciculations. Le décès peut survenir par troubles du rythme cardiaque, insuffisance rénale et œdème cérébral. Ces formes sévères peuvent nécessiter une épuration extra-rénale. Le patient et son entourage doivent être informés des symptômes et pouvoir les reconnaître précocement. En général, on retrouve une cause ayant favorisé l’apparition de l’intoxication au lithium. On retrouve les intoxications volontaires, les circonstances favorisant les états de déshydratation (périodes de fortes chaleur, restriction hydrique, fièvre, diarrhée…), l’instauration d’un régime sans sel et des facteurs iatrogènes (diurétiques thiazidiques, anti-inflammatoires non stéroidiens, inhibiteurs de 20 l'enzyme de conversion, inhibiteurs de l'angiotensine II, certains inhibiteurs calciques, digitaliques…). La carbamazépine, les neuroleptiques à fortes doses et surtout la clozapine, les antidépresseurs sérotoninergiques (risque de syndrome sérotoninergique) imposent une surveillance accrue. 21 6.2. La carbamazépine (Tégrétol®) : ♦ Instauration du traitement : Le bilan à réaliser avant d’instaurer ce traitement comporte une NFS avec dosage des plaquettes, un ionogramme sanguin et un bilan hépatique. L’augmentation de la posologie se fait progressivement et la posologie à atteindre dans la prévention des rechutes des troubles bipolaires se situe entre 400 et 800 mg/j. La carbamazépine est un puissant inducteur enzymatique qui modifie le métabolisme de nombreux autres médicaments ; elle risque notamment de rendre inefficace une contraception oestroprogestative. ♦ Surveillance du traitement : Le dosage de la tégrétolémie peut être réalisé en cas de suspicion de surdosage, en cas d’effets indésirables et en cas de doute sur l’observance du traitement. On surveillera régulièrement la NFS, le taux de plaquettes, le ionogramme sanguin et le bilan hépatique. ♦ Effets indésirables : - Effets neurologiques : Ils sont représentés par la somnolence, les vertiges, l’ataxie, la diplopie et la confusion mentale. - Effets indésirables imposant l’arrêt du traitement : neutropénie, thrombopénie, agranulocytose, aplasie médullaire, hépatite, hyponatrémie, troubles de la conduction, éruption cutanée, maladie thromboembolique. ♦ Signes de surdosage : Somnolence, tremblements, convulsions, ataxie, vertige, nystagmus, opisthotonos, coma, tachycardie, hypotension, troubles de conduction, état de choc, nausées vomissements, oligurie. ♦ Précautions d’emploi : L’utilisation devra être prudente chez les sujets âgés, les conducteurs de machine, en cas d’adénome de prostate et de glaucome par fermeture de l’angle, d’insuffisance cardiaque, hépatique et rénale. Le bloc auriculo-ventriculaire, une porphyrie, une hypersensibilité à la carbamazépine, un antécédent d'hypoplasie médullaire, l'association avec des antidépresseurs IMAO représentent des contre-indications à la prescription de carbamazépine. 6.3. Le valpromide (Dépakote®) : (Dépamide®) et le divalproate de sodium 22 ♦ Instauration du traitement : Avant de débuter un de ces traitements, il faut réaliser une NFS avec dosage des plaquettes, un bilan hépatique avec un dosage du TP. A visée thymorégulatrice, le traitement sera augmenté par paliers progressifs pour atteindre 1000 à 2000 mg/j de Dépakote® ou plus rarement 2 à 6 cp par jour de Dépamide 300. Le Dépakote (divalproate de sodium) est une association de valpromide de sodium (Dépamide®) et de valproate de sodium (Dépakine®). ♦ Effets indésirables : - Hépatotoxicité : une élévation modérée et transitoire des transaminases est fréquemment observée en début de traitement. Les hépatites cytolytiques sont exceptionnelles. - Effets neurologiques : confusion mentale, tremblements, convulsions - Autres troubles : irrégularité menstruelle et aménorrhée, troubles digestifs, alopécie, hyperammoniémie, thrombopénie, anémie et pancréatite. ♦ Signes de surdosage : Le surdosage peut donner un tableau de coma calme avec hypotonie et aréflexie. 6.4. Autres molécules pouvant être utilisées comme régulateurs de l’humeur : En France la carbamazépine, le valpromide et le divalproate de sodium ont des autorisations de mise sur le marché à visée thymorégulatrice. D’autres anticonvulsivants semblent également être dotés d’action thymorégulatrice (lamotrigine (surtout prévention des épisodes dépressifs), gabapentine, topiramate, clonazépam). 7. Choix et efficacité des régulateurs de l’humeur dans les troubles bipolaires : La récurrence du trouble est un facteur important à considérer dans la prescription d'un thymorégulateur, que les épisodes soient dépressifs ou maniaques, en sachant que la séquence manie puis dépression est prédictive d'une meilleure efficacité de ces traitements. 23 Chez les patients atteints de trouble bipolaire de type I, l'efficacité préventive du lithium a été parfaitement démontrée dans la prévention des rechutes, surtout lorsque les accès maniaques typiques sont prédominants. 70 % des patients auront une action satisfaisante sur la prévention des rechutes maniaques et 30 % sur la prévention des rechutes mélancoliques. Ils sont prescrits d'emblée aux USA lors d'un premier accès maniaque notamment lorsqu'il n'existe pas de cause de manie secondaire (prise de toxiques, lésions cérébrales, dysfonctionnement endocrinien), après au moins deux épisodes en Europe, sauf si le premier est très sévère ou s'il existe des antécédents familiaux au premier degré de trouble bipolaire. Dans 35% des cas, l'adjonction de neuroleptiques ou d'antidépresseurs sera nécessaire pour obtenir une bonne prévention. Face à un premier épisode de mélancolie, le bénéfice thérapeutique obtenu par la prescription d'un régulateur de l'humeur semble plus modéré et il est d'usage d'attendre 2 (en moins de 3 ans) voire 3 épisodes de trouble thymique avant d'initier ces traitements. Il faut souligner qu'aucun régulateur de l'humeur n'a d'effet curatif sur l'épisode de dépression mélancolique et que l'efficacité des régulateurs de l'humeur dans la prévention des rechutes dépressives demeure modeste. Durée du traitement : Pour certains auteurs (recommandations WFSBP 2004) le traitement doit être maintenu à vie. L'interruption du traitement ne peut être envisagée raisonnablement qu'après une période de stabilisation parfaite de la maladie d'au moins 2 ans et sera réalisée sous stricte surveillance médicale. Cette interruption sera progressive (sur plusieurs semaines) pour éviter une hypomanie de sevrage. Un mauvais contrôle de la maladie dans l'année qui a précédé l'interruption, une période à risque (printemps ou automne), l'absence de contrôle médical de l'interruption, la nécessité d'adjoindre des neuroleptiques ou des antidépresseurs afin d'obtenir une prophylaxie efficace sont des facteurs de risque de rechute à l'arrêt du lithium. La carbamazépine ou le divalproate de sodium sont utilisés dans le trouble bipolaire de type I, en cas d'efficacité insuffisante ou de mauvaise tolérance du lithium. 50 % des patients auront une action prophylactique satisfaisante dans la prévention des rechutes maniaques et 30 % dans la prévention des rechutes dépressives. Ils sont surtout préconisés lorsque le trouble bipolaire de type I est atypique ou chez les bipolaires de type II. Le valpromide a un effet prophylactique avoisinant 40 % dans la prévention des rechutes maniaques et 30 % pour les rechutes dépressives, il demeure un traitement prophylactique de seconde, voire de troisième intention, dans le trouble bipolaire de type I. L'olanzapine (neuroleptique atypique) a l'indication dans la prévention des rechutes du trouble bipolaire I, cependant, les risques métaboliques et le risque 24 d'apparition de dyskinésies tardives doivent rendre prudent quant à son utilisation prolongée. Lorsque les dépressions sont répétées en l'absence d'épisodes maniaques, les antidépresseurs peuvent être maintenus au long cours au delà du deuxième ou troisième épisode. Des thymorégulateurs peuvent être préconisés en association avec les antidépresseurs dans les troubles bipolaires de type II et III. Le traitement des troubles bipolaires à cycles rapides relève d'une prise en charge spécialisée. Dans le traitement des troubles schizoaffectifs, l'association d'un thymorégulateur et d'un neuroleptique atypique est en règle utilisée. 8. L’abord psychoéducatif des troubles bipolaires : Le patient atteint d’un trouble bipolaire doit apprendre à vivre avec une maladie chronique et l’adhésion aux soins, comme l’observance médicamenteuse, sont améliorés par la connaissance de sa maladie. En dehors des épisodes dépressifs et maniaques, le traitement repose sur le bilan des facteurs pronostiques susceptibles d'agir sur l'état du patient et des propositions thérapeutiques pouvant y répondre. Le bilan des autres facteurs susceptibles d'influencer le pronostic de ces troubles est essentiel afin de mettre en œuvre l'ensemble des mesures utiles pour l'obtention de l'état optimal de stabilité thymique et d'une qualité de vie satisfaisante : - La structure psychique du patient. Une co-morbidité trouble BP- trouble de la personnalité péjore le pronostic. La prise en compte de la dynamique intra-psychique du sujet détermine en grande partie la compliance aux soins et le risque de rechute thymique aux évènements de vie. L'approche cognitivo-comportementale peut être utile, notamment en l'absence d'indication ou d'engagement dans un travail psychothérapique du patient. En l'absence de pathologie flagrante de la personnalité ou d'une accessibilité à une approche psychothérapique, la psycho-éducation est essentielle, l'information du patient étant un élément essentiel de l'alliance thérapeutique qu'il est essentiel d'obtenir. La nature de l'information à transmettre, obligation de tout psychiatre à l'égard de son patient, dépend du moment évolutif du patient, de sa capacité à s'engager dans un suivi psychiatrique et de sa capacité à élaborer cet événement de vie. 25 - La qualité des relations entretenues avec les aidants naturels du patient, essentiellement le conjoint. L'évaluation de l'impact de la pathologie sur la dynamique du couple est essentielle. Selon le caractère fonctionnel ou dysfonctionnel de cette dynamique, l'abord de la famille se limitera à une information sur le trouble et les traitements et à un soutien psychologique en fonction des difficultés rapportées par la famille (psycho-éducation) ou imposera une approche à visée plus thérapeutique (thérapie systématique ou familiale notamment). - Les facteurs psycho-sociaux pouvant agir sur le devenir du patient et la stabilité de son trouble devront être également pris en compte (évènements de vie ou difficultés durables, notamment la qualité de l'environnement professionnel et satisfaction du patient à l'égard de cet environnement et plus globalement de ces conditions de vie). Quelques règles d’hygiène de vie simples sont à respecter pour limiter les décompensations (aucune consommation de drogues et de psychostimulants, essayer de maintenir un rythme de sommeil régulier, limiter les décalages horaires, planification de l’emploi du temps pour réduire les stress). - Les facteurs somatiques sont également un facteur pronostique à évaluer. DEUXIEME PARTIE : MALADIES ET GRANDS SYNDROMES Question 286 - TROUBLES DE LA PERSONNALITE Rédaction : O Gales, JD Guelfi, F Baylé, P Hardy Objectifs : · Diagnostiquer un trouble de la personnalité et apprécier son retentissement sur la vie sociale du sujet · Identifier les situations d'urgence et planifier leur prise en charge · Argumenter l'attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient Objectif général · Savoir repérer ce qui caractérise la façon d’être au monde d’un sujet selon ses pensées, ses sentiments et ses comportements (sa personnalité) et en reconnaître les anomalies dès lors qu’elles génèrent une altération du fonctionnement social ou une souffrance de l’individu ou de son entourage (trouble de personnalité ou personnalité pathologique). Objectifs spécifiques · Connaître les grands traits de caractères des principales personnalités pathologiques (hystérique, évitante, limite, antisociale, paranoïaque…) · Identifier les principales modalités évolutives des personnalités pathologiques · Savoir que les troubles de la personnalité sont associés aux autres troubles psychiatriques. I. INTRODUCTION La personnalité est définie comme le résultat, chez un sujet donné, de l’intégration dynamique de composantes cognitives, pulsionnelles et émotionnelles. L’agencement de ces différents facteurs constitue les traits de personnalité, à savoir les modalités relationnelles de la personne, sa façon de percevoir le monde et de se penser dans son environnement. L'unité fonctionnelle intégrative que constitue la personnalité présente deux autres caractéristiques : elle est à la fois stable (la personnalité contribue à la permanence de l'individu) et unique (elle rend le sujet reconnaissable, distinct de tous les autres) 1 La personnalité ne devient pathologique que lorsqu’elle se rigidifie, entraînant des réponses inadaptées, source d’une souffrance ressentie par le sujet ou d’une altération significative du fonctionnement social. La définition qu’en propose l’Organisation Mondiale de la Santé dans la dixième révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM-10) est la suivante : « Modalités de comportement profondément enracinées et durables consistant en des réactions inflexibles à des situations personnelles et sociales de nature très variée. Ils représentent des déviations extrêmes ou significatives des perceptions, des pensées, des sensations et particulièrement des relations avec autrui par rapport à celles d’un individu moyen d’une culture donnée ». L'étude des personnalités pathologiques s'est appuyée sur deux approches : - Une approches dite dimensionnelle, qui consiste à caractériser la personnalité d'un sujet selon un répertoire de traits de personnalité (dimensions) plus ou moins accusés : un individu peut ainsi être plus ou moins impulsif, introverti, dépendant, etc. - Une approche dite catégorielle, qui consiste à définir plusieurs types de personnalités pathologiques et à rechercher si un sujet donné présente ou non les caractéristiques d'un (ou de plusieurs) de ces types. Cette approche est celle de la clinique psychiatrique et de la CIM-10, qui a guidé les descriptions qui suivent. Celles-ci reposent sur des regroupements statistiquement validés d’attitudes et de comportement, sans préjuger des raisons pouvant expliquer ces regroupements. Les associations entre troubles de la personnalité et pathologies psychiatriques sont fréquente. La présence d’un trouble de la personnalité est un facteur aggravant d’une pathologie psychiatrique. Les troubles de la personnalité se distinguent des symptômes des différentes pathologies psychiatriques par le fait qu’ils apparaissent classiquement à la fin de l’adolescence, qu’ils se caractérisent par des comportements durables et stables dans le temps indépendamment des situations auxquelles se trouvent confrontés les sujets. II. LES DIFFERENTES PERSONNALITES PATHOLOGIQUES Il n'existe pas de consensus définitif sur le regroupement par catégories des différentes personnalités pathologiques. Classiquement, on distinguait les personnalités psychotiques des personnalités névrotiques, les personnalités psychopathiques et borderline se situant à part. Ce découpage 2 a été en partie repris par la classification américaine des troubles mentaux (le DSM-IV), qui distingue : · · Le groupe A, qui correspond aux personnalités "psychotiques". Il inclut les personnalités paranoïaques, schizoïdes et schizotypiques (sujets bizarres ou excentriques). Le groupe B, qui inclut les personnalités antisociales, borderline, histrioniques et narcissiques (sujets d'apparence théâtrale, émotifs et capricieux). Le groupe C, qui correspondant aux personnalités "névrotiques". Il inclut les personnalités évitantes, dépendantes et obsessionnelles compulsives (sujets anxieux et craintifs). II.1. Personnalité paranoïaque : A. - Epidémiologie : 0,5 à 2,5 % de la population générale. 10 à 30 % de la population hospitalisée en psychiatrie. 2 à 10 % des consultants en psychiatrie. B. Description clinique : - sensibilité excessive aux échecs et aux rebuffades, - refus de pardonner les insultes ou les préjudices et tendance rancunière tenace, - caractère soupçonneux et tendance envahissante à déformer les événements en interprétant les actions impartiales ou amicales d’autrui comme hostiles ou méprisantes, - sens tenace et combatif de ses propres droits légitimes hors de proportion avec la situation réelle, - doutes répétés et injustifiés sur la fidélité du conjoint ou du partenaire, - tendance à surévaluer sa propre importance avec perpétuelles références à soi-même, - préoccupation par des explications sans fondement à type de conspiration. C. Evolution : - Ces caractéristiques en font un individu ténébreux, difficile à supporter. - Isolement social assez fréquent. - Risque d’épisodes psychotiques brefs ou installation d’un véritable délire paranoïaque. D. Diagnostique différentiel : Délire paranoïaque constitué. II.2. Personnalité schizoïde : 3 A. Epidémiologie : Hommes > femmes B. - Description clinique : incapacité à éprouver du plaisir, froideur, détachement ou émoussement de l’affectivité, incapacité à exprimer aussi bien des sentiments chaleureux et tendres envers les autres que de la colère, indifférence aux éloges comme à la critique, intérêt réduit pour les relations sexuelles, préférence marquée pour les activités solitaires, préoccupation excessive par l’imaginaire et l’introspection, désintérêt pour les relations amicales et absence d’amis proches, indifférence nette aux normes et conventions sociales. C. Evolution : Relativement stable. Peu de tendance à l’évolution. D. - Diagnostic différentiel : Schizophrénie. Syndrome d’Asperger. Personnalité évitante (pauvreté du contact par peur d’être rejeté). Personnalité schizotypique. II.3. Personnalité schizotypique : La CIM-10 ne considère pas ce trouble comme une variété de trouble de la personnalité, mais plutôt comme un trouble s’apparentant à la schizophrénie en raison de la fréquence accrue de schizophrénie chez les ascendants (spectre de la schizophrénie). A. Epidémiologie : 3 % de la population générale. B. Description clinique : - croyance bizarre ou pensée magique comportement, - idées de référence, - perceptions corporelles inhabituelles, - méfiance, idéation persécutoire, - pensées et langage bizarres sans lien culturel de référence, - vie affective pauvre, - comportement excentrique. 4 influençant avec le le groupe C. Evolution : La personnalité schizotypique représente, pour beaucoup d’auteurs, un mode d’entrée dans la schizophrénie ou une forme mineure de cette pathologie. D. - Diagnostic différentiel : Personnalité borderline. Schizophrénie. Personnalité schizoïde. II.4. Personnalité dyssociale (ou antisociale, ou psychopathique, ou sociopathique : classique déséquilibre mental) : A. - Epidémiologie : 3 % des hommes, 1 % des femmes. 2 à 3 % de la population générale. Taux plus élevés en prison. B. Description clinique : Ce trouble est encore appelé personnalité psychopathique ou sociopathique. Il correspond à la notion classique de « déséquilibre mental ». Il est caractérisé par les manifestations suivantes : - indifférence froide envers les sentiments d’autrui, - attitude irresponsable manifeste et persistante, mépris des normes, des règles et des contraintes sociales, - incapacité à maintenir durablement des relations, - très faible tolérance à la frustration et abaissement du seuil de décharge de l’agressivité, - incapacité à éprouver de la culpabilité ou à tirer un enseignement des expériences, notamment des sanctions, - tendance nette à blesser autrui. Ce trouble peut s’accompagner d’une irritabilité persistante. C. Evolution : - Biographie faite de ruptures répétées avec des conséquences sur le plan de l’adaptation sociale : actes médico-légaux, incarcérations … les troubles s’amendent classiquement dans la seconde moitié de la vie. - Les principales complications psychiatriques sont les abus de substances. Le risque de décès est élevé (accident, suicide). Après 40 ans, peuvent apparaître des manifestations anxieuses et/ou dépressives. D. Diagnostic différentiel : - Héboïdophrénie. - Personnalité borderline, schizoïde, histrionique l’homme quand la mythomanie est au 1er plan. 5 chez - Délinquance simple ne présentant pas les critères sociopathie (car inséré dans son groupe social). de la II.5. Personnalité borderline (ou personnalité "limite") : A. - Epidémiologie : 2 % de la population générale. 10 % des consultants en psychiatrie. 20 % des patients hospitalisés en psychiatrie. B. Description clinique : Polymorphisme important des manifestations cliniques, aucune n’étant spécifique (elles peuvent emprunter des symptômes aux autres personnalités pathologiques). Selon la CIM-10, la personnalité émotionnellement labile comprend deux types cliniques : le type impulsif et le type borderline ou limite marqué de plus par une perturbation de l’image de soi, des incertitudes concernant les objectifs, les valeurs, les préférences personnelles et un sentiment souvent envahissant de vide. Les principales caractéristiques de la personnalité impulsive sont : - l’instabilité émotionnelle et le manque de contrôle des impulsions. Les principales caractéristiques de la personnalité borderline sont, en outre : - la perturbation de l’image de soi, - l’incertitude concernant les objectifs, les préférences, les choix, les valeurs, - le sentiment envahissant de vide. Une tendance à s’engager dans des relations intenses et instables conduit fréquemment à des crises émotionnelles et peut s’associer à des efforts démesurés pour éviter les abandons et des menaces répétées de suicide ou des gestes auto-agressifs. C. Evolution : - Chaotique marquée par les conséquences de l’impulsivité (addiction, prise de risques …). - Actes médico-légaux parfois. - Tentatives de suicide. - Attaque de panique avec déréalisation (état crépusculaire). - Episodes hallucinatoires brefs. - Dépression. D. Diagnostic différentiel : - Trouble de l’humeur sans trouble de la personnalité (se méfier des diagnostics hâtifs). - Les autres troubles de la personnalité dont la personnalité antisociale, la personnalité narcissique, histrionique… 6 II.6. Personnalité histrionique : A. Epidémiologie : - 2 à 3 % de la population générale. - 10 à 15 % des consultants en psychiatrie. B. - Description clinique : dramatisation, théâtralisme, hyperexpressivité émotionnelle, suggestibilité, affectivité superficielle et labile, désir permanent de distractions et d’activités où le sujet est le centre d’attention d’autrui, aspect ou comportement de séduction inappropriée, préoccupation excessive par le souci de plaire physiquement. Le trouble peut s’accompagner d’un égocentrisme, d’une indulgence excessive envers soi-même, d’un désir permanent d’être apprécié, d’une tendance à être facilement blessé et d’un comportement manipulateur persistant visant à satisfaire ses propres besoins. C. Evolution : Variable : soit atténuation des traits avec l’âge au bénéfice d’activités gratifiantes (œuvres caritatives, bénévolat…), soit évolution marquée par le risque d’addiction, de dépression… D. Diagnostic différentiel : - Personnalité narcissique - Personnalité borderline II.7. Personnalité obsessionnelle-compulsive ou anankastique : A. Epidémiologie : - 1 % de la population générale. - 3 à 10 % des consultants en psychiatrie. B. Description clinique : Synthèse de différents concepts dont : - La personnalité psychasthénique de P. Janet (doutes, ruminations, prévalence de la vie intellectuelle sur les réalisations pragmatiques). - La personnalité compulsive marquée par la vérification, la ritualisation et la parcimonie, avec un goût prononcé pour l’ordre. La personnalité obsessionnelle-compulsive principalement par : - indécision, doutes et prudence excessive, 7 se traduit - préoccupation par les détails, les règles, les inventaires, l’ordre, l’organisation, les programmes, perfectionnisme qui entrave l’achèvement des tâches, scrupulosité extrême, méticulosité et souci excessif de la productivité aux dépens de son propre plaisir et des relations interpersonnelles, discours recherché et attitude excessivement conformiste, rigidité et entêtement, insistance pour que les autres se conforment exactement à sa propre manière de faire ou réticence déraisonnable pour laisser les autres faire quoi que ce soit. C. Evolution : - Personnalité stable avec pauvreté des investissements sociaux. - Complications dépressives, hypochondriaques, anxieuses, symptômes obsessionnels avec intrusion de pensées et d’impulsions importunes s’imposant au sujet. D. Diagnostic différentiel : - Trouble obsessionnel, mais, dans ce cas, présence prédominante d’idées obsédantes et de compulsions. - Personnalité psychotique (paranoïaque ou schizoïde). II.8. La personnalité évitante (ou personnalité anxieuse) : Elle se caractérise par : - un sentiment envahissant et persistant de tension et d’appréhension, une perception de soi comme socialement incompétent, sans attrait, inférieur, une préoccupation excessive par la crainte d’être critiqué, rejeté, un refus de nouer des relations à moins d’être certain d’être accepté sans critique, une restriction du style de vie résultant du besoin de sécurité, un évitement des activités sociales ou professionnelles impliquant des contacts avec autrui de peur d’être critiqué, rejeté. La question des limites diagnostiques entre l’anxiété normale, la timidité, la personnalité évitante et la phobie sociale est toujours débattue. II.9 La personnalité dépendante : 8 On rappelle que la classique personnalité histrionique regroupait les traits histrioniques et les traits passifsdépendants de personnalité. La personnalité dépendante se caractérise surtout par : le fait d’autoriser ou d’encourager autrui à prendre la plupart des décisions importantes à sa place, la subordination de ses propres besoins à ceux des personnes dont on dépend, la réticence à formuler des demandes – mêmes justifiées – aux personnes dont on dépend, un sentiment de malaise ou d’impuissance quand le sujet est seul de peur de ne pouvoir se prendre en charge, la préoccupation par la peur d’être abandonné, une capacité réduite à prendre des décisions sans être rassuré ou conseillé de manière excessive par autrui. Les troubles mixtes de la personnalité : De nombreux sujets ont des troubles de la personnalité associant à des degrés divers des traits appartenant à plusieurs troubles distincts de la personnalité : ce sont les troubles mixtes de la personnalité ; par exemple personnalités hystéro-dépendantes, personnalités hystéroparanoïaques, personnalités histrioniques et borderline, etc… III. TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ ET PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUES Les associations entre troubles de la personnalité et troubles mentaux (comorbidité) est particulièrement fréquentes. Elles ont conduit à analyser selon plusieurs points de vue les relations entre ces deux types de pathologies : III.1. Les troubles de la personnalité appartiennent-ils au même continuum que les pathologies psychiatriques ? L'école psychanalytique postule l'existence d'une continuité entre la personnalité et certains troubles mentaux (névroses, notamment) : ainsi, à la personnalité obsessionnelle correspond la névrose obsessionnelle, à la personnalité hystérique, la névrose hystérique, etc. La clinique contemporaine a pour sa part constaté : · Qu'il n'existe pas de relation systématique entre pathologies mentales et troubles de la personnalité : un trouble obsessionnel-compulsif peut, par exemple, survenir en l'absence de personnalité pathologique ou être associé à des troubles de personnalité autres qu'obsessionnels. 9 · Que la distinction entre certaines pathologies mentales et certains troubles de la personnalité peut être difficile çà faire : par exemple la distinction entre personnalité évitante (phobique) et phobie sociale, entre personnalité psychasthénique et trouble obsessionnel-compulsif. Certains tempéraments et certains troubles de la personnalité sont même considérés actuellement comme des formes "a minima" d'une pathologie mentale (comme faisant partie du "spectre" de la pathologie). Ainsi : - dans le domaine des troubles de l'humeur, les tempéraments hyperthymique, cyclothymique, dépressif, voire irritable, sont considérés comme appartenant au spectre de la maladie maniaco-dépressive ; - la personnalité schizotypique appartient au spectre de la maladie schizophrénique. On considère toutefois que troubles de la personnalité et pathologies psychiatriques disposent d'une assez large autonomie. Les troubles anxieux, les troubles dépressifs, comme la plupart des pathologies mentales peuvent en effet s'associer à n'importe quel trouble de la personnalité. III.2. Les pathologies psychiatriques ont-elles un impact sur la personnalité ? Le fait de souffrir d'un trouble mental sévère et durable représente, au même titre qu'une pathologie organique chronique grave, un élément susceptible de remanier profondément la personnalité des sujets. Certains traits de personnalité peuvent ainsi s'accuser : perte de confiance en soi, sentiment de manquer de secours (d'insécurité), démoralisation, pessimisme, dépendance interpersonnelle … Du fait de cette interférence, il est donc souvent difficile de diagnostiquer un trouble de la personnalité chez un sujet présentant un trouble mental. Pour ce faire, il importe de se référer à la situation prémorbide (en s'aidant des informations fournies par l'entourage) et de réévaluer la situation au décours de l'épisode pathologique. III.3. Certains troubles de la personnalité (ou certains traits de personnalité) sont-ils des facteurs de risque pour certains troubles mentaux ? Cette hypothèse est confortée par de nombreuses études cliniques et épidémiologiques. Ainsi : - les personnalités borderline et psychopathiques sont associées à un risque élevé de conduites addictives et suicidaires ; - les personnalités borderline et hystérique se caractérisent par un risque élevé d'anxiété et de dépression ; 10 - la personnalité paranoïaque prédispose au délire chronique paranoïaque ; la personnalité schizoïde prédispose au développement ultérieur d'une schizophrénie. III.4. Les troubles de la personnalité interfèrent-t-ils avec les troubles mentaux ? Ces troubles interfèrent au niveau sémiologique. Ainsi : Les dépressions associées à une personnalité hystérique sont souvent hyperexpressives, caractérisées par une dysphorie anxieuse, une hypersensibilité au rejet, une réactivité aux événements extérieurs. Les traits de personnalité peuvent être amplifiés par le trouble de l'humeur. L'existence d'un trouble de la personnalité est un facteur de mauvais pronostic pour la pathologie psychiatrique. Les épisodes dépressifs associés à un trouble de la personnalité sont ainsi plus souvent résistants aux traitements et évoluent davantage vers la chronicité que les autres. BIBLIOGRAPHIE Féline A., Guelfi J.D., Hardy P. Les troubles de la personnalité. Flammarion Médecine-Sciences éd., Paris, 2002. 11 DEUXIEME PARTIE : MALADIES ET GRANDS SYNDROMES Trouble psychosomatique Question 289 Rédaction : M. Ferreri – Fl. Ferreri – C. Agbokou – M. Lejoyeux Le trouble psychomatique se définit comme un trouble somatique dont la dimension psychologique est prépondérante dans sa survenue et dans son évolution. Dans la définition restrictive du trouble psychosomatique, il s’agit d’une maladie comportant une altération organique. Une définition plus large inclut certains troubles dits fonctionnels tels que les conversions, les somatisations, les douleurs et le stress. Les conceptions du trouble psychosomatique s’inspirent de deux écoles de pensée. L’Ecole Psychanalytique met en avant le rôle prévalant de l’inconscient dans le déterminisme des manifestations corporelles. L’Ecole Cognitivo-comportementale fait jouer un rôle majeur à l’apprentissage et aux croyances. L’Ecole de Paris (Fain, Marty, de Muzan) a développé une théorie rendant compte des troubles psychosomatiques : la pensée opératoire. Cette organisation psychique se caractérise par un discours factuel, rationnel avec un déficit du fantasme une difficulté à mobiliser et exprimer ses affects, à élaborer les conflits ou à les refouler. Le patient est focalisé sur les symptômes de son corps et ne peut s’en éloigner qu’avec difficulté pour parler de sa vie. L’évocation de ses émotions reste modeste. La relation apparaît impersonnelle, neutre. On parle de relation blanche marquée par l’absence de mots adaptés pour exprimer les émotions. Les manifestations corporelles n’ont pas de sens par rapport à la vie du sujet. Les psychosomaticiens ont pu parler de « bêtise du symptôme ». Lorsque les défenses sont débordées, la pensée opératoire augmente le risque d’un retentissement désorganisant le corps. La conception de pensée opératoire a été reprise d’une manière voisine sous le terme d’alexithymie par Sifneos. L’alexithymie se définit par l’incapacité à lire ses émotions. L’individu éprouve de la gêne à ressentir ou à parler de ses états affectifs. Sa vie imaginaire est limitée. Dans ses propos, les énoncés factuels et la description « sèche » des symptômes prédominent. Les passages à l’acte sont fréquemment utilisés pour tenter de résoudre les conflits. 1 La notion d’événements de vie La théorie psychosomatique envisage également le rôle des événements de vie. Ce concept d’événement de vie qualifie l’impact d’événements stressants obligeant à un effort d’adaptation pour recouvrer un équilibre antérieur. Selon le degré d’impact des événements sont distingués : les événements majeurs, éprouvants, traumatisants, pouvant entraîner un traumatisme majeur les événements mineurs représentés par les soucis, les tracas de la vie quotidienne, dont l’effet cumulatif peut entraîner une situation de stress et un trouble psychosomatique. Selon le moment, sont distingués : les événements anciens, précoces. Ils apparaissent tôt dans la vie de l’enfant. Ils sont repérés comme traumatisants lorsqu’ils comportent une perte, un éloignement ou un décès de l’un des parents, en particulier de la mère. S’il n’y a pas de personne de substitution, ils aboutissent à une vulnérabilité qui se manifeste surtout chez l’adulte par des états dépressifs lors de situations de stress (rupture sentimentale, licenciement…) les événements récents. Ils peuvent précipiter la survenue d’un trouble psychosomatique. Les facteurs de personnalité La personnalité de type A est repérée comme déterminant la vulnérabilité dans la pathologie coronarienne. Elle est caractérisée par : la célérité dans l’action la compétitivité l’investissement professionnel majeur la modestie de la demande d’aide une agressivité éventuellement contenue Ce profil de personnalité est caractérisé par une hyper-réactivité au stress. Il détermine la survenue de pathologies somatiques et de pathologies psychosomatiques. La notion de locus de contrôle Il distingue une attribution de la causalité des événements internes ou externes. Le lieu de contrôle est dit interne lorsque le sujet pense être à l’origine de toutes les situations. Le lieu de contrôle est dit externe lorsque le sujet attribue aux situations qu’il vit une cause externe qu’il ne maîtrise pas. 2 Un sujet dont le lieu de contrôle est fréquemment interne est davantage vulnérable dans les situations de stress et vis à vis des maladies psychosomatiques. Il pense qu’il ne peut contrôler les situations. La vulnérabilité est d’autant plus importante qu’il existe une contradiction entre les personnalités et les lieux de contrôle. La notion de coping ou d’adaptabilité Le coping est la capacité à faire face. Il est lié à l’évaluation subjective du sujet, à la fois de la situation et de ses compétences pour pouvoir l’aménager. Le sujet affronte la situation sachant qu’il peut la surmonter. Le fait de ne pas l’affronter ou de demander une aide de l’entourage apparaît aussi comme un mode d’adaptation. Exemples cliniques de troubles psychosomatiques Les troubles psychosomatiques sont étudiés dans chaque spécialité médicale. De nombreuses pathologies apparaissent comme liées aux frustrations, aux traumatismes et aux conflits. Les pathologies les plus souvent impliquées sont : les asthmes en pneumologie, les eczémas en dermatologie, les colopathies en gastroentérologie, l’aggravation des coronaropathies en cardiologie, les céphalées en neurologie, les coliques idiopathiques en pédiatrie. Chaque patient souffrant de trouble psychosomatique nécessite un abord particulier pour inscrire sa pathologie dans sa propre histoire, déterminer les principaux mécanismes et les facteurs déclenchants afin de proposer les indications thérapeutiques appropriées. Le stress Le stress est, selon les auteurs, considéré comme faisant ou non partie des troubles psychosomatiques. Le concept de stress précise que le sujet est en équilibre avec son milieu, selon des capacités d’adaptation variables en fonction des individus. La réaction de stress est la réponse à une sollicitation de l’environnement. Le stress normal ne dépasse pas les possibilités adaptatives du sujet. Il représente un apprentissage positif. Le stress pathologique correspond à une rupture d’équilibre entre le sujet et son milieu. Il aboutit à une désadaptation. Trois phases de stress sont observées : la phase d’alerte, la phase de lutte et la phase d’épuisement. 1 - La phase d’alerte : le système sympathique et médullo-surrénalien sont activés. Il s’agit d’une réponse physiologique immédiate et brève marquée par la libération des catécholamines : adrénaline par le système sympathique 3 noradrénaline par la médullo-surénale Le rôle des catécholamines est d’anticiper l’effort avec augmentation de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle. 2 - La phase de lutte : le système hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien. Il prend le relais de la réponse précédente. Sa durée est d’environ deux heures. Le système a une double fonction : la néoglycogénèse productrice d’énergie le contrôle de la réaction excessive, pathogène des autres systèmes 3 - La phase d’épuisement : lorsque l’adaptation dépasse les possibilités du sujet et que la réaction de stress se prolonge, apparaîssent : un épuisement des surrénales une atrophie du thymus d’autres pathologies possibles comme les ulcères de stress. Clinique du stress La phase d’alerte est dominée par l’hypervigilance : stimulation des processus intellectuels stimulation des processus biologiques activation du comportement, notamment l’anticipation de l’action et l’élaboration d’une stratégie de réponse La phase de lutte Elle correspond à l’adaptation de la stratégie de réponse avec élaboration de nouvelles stratégies adaptatives pour recouvrer un nouvel équilibre avec l’environnement. La phase de rupture Elle correspond à une phase de désorganisation avec désadaptation du sujet à son milieu. Les capacités adaptatives sont débordées, tant dans les registres physiques, psychiques et comportementaux. 4 Les troubles somatoformes au sens de la classification américaine du DSM-IV Les troubles somatoformes ne sont pas à proprement parler des troubles psychosomatiques. Ils sont cependant caractérisés par la coexistence de manifestations physiques et de symptômes psychologiques. Trouble somatisation Le trouble somatisation correspond à une reformulation en termes de critères diagnostiques d’une entité classique de la psychiatrie : la conversion hystérique. La définition du DSM propose un tableau clinique coupé de toute étiologie inconsciente. La définition psychanalytique classique de la conversion hystérique rattache ce symptôme à un conflit inconscient. Les critères du trouble somatisation sont les suivants : Des symptômes douloureux touchant au moins quatre locations ou fonctions du corps (par exemple la tête, le dos, les articulations, les extrémités, la poitrine, le rectum, les règles, les rapports sexuels, la miction). Des symptômes gastro-intestinaux autres que des douleurs (par exemple ballonnements, vomissements en dehors de la grossesse, diarrhée ou intolérance à plusieurs aliments différents). Des symptômes sexuels (par exemple, désintérêt sexuel, anomalie de l’érection ou de l’éjaculation, règles irrégulières, règles excessives, vomissements tout au long de la grossesse). Des symptômes pseudo-neurologiques (par exemple trouble de la coordination ou de l'équilibre, paralysie ou faiblesse musculaire localisée, difficultés de déglutition ou boule dans la gorge, aphonie, rétention urinaire, perte de la sensibilité tactile ou douloureuse, diplopie, cécité, surdité ou crises pseudoépileptiques). Le trouble conversion Le DSM limite la notion de conversion aux déficits moteurs (par exemple trouble de la coordination ou de l’équilibre, paralysie ou faiblesse musculaire), aux déficits sensitifs ou sensoriels (par exemple perte de sensibilité tactile, diplopie ou cécité), aux crises d’allure épileptique ou convulsions L’hypocondrie L’hypocondrie ne se rapporte que de manière indirecte aux troubles psychosomatiques. Elle représente, là encore, une situation où s’associent des manifestations physiques et psychiques. L’hypocondrie se définit par la préoccupation 5 centrée sur la crainte ou l’idée d’être atteint d’une maladie grave fondée sur l’interprétation erronée par le sujet de symptômes physiques. Cette préoccupation persiste malgré un bilan médical approprié et rassurant. La plupart du temps, l’hypocondriaque reconnaît que sa préoccupation est excessive ou déraisonnable. Elle n’a pas la tonalité d’un délire. Conclusion Les troubles psychosomatiques classiques sont des affections somatiques dont le déterminisme est principalement en rapport avec des troubles psychologiques. Parallèlement aux manifestations psychosomatiques classiques, existent de nombreuses entités « frontières » entre les phénomènes somatiques et psychiques. En pratique, l’approche thérapeutique devra exclure une étiologie somatique : pour les allergies cela les exclut de fait et prendre en charge la dimension psychopathologique par une psychothérapie. La recherche d’une dépression, d’un trouble anxieux ou d’une conduite de dépendance à l’alcool fera elle aussi partie de l’évaluation psychiatrique de ces troubles. 6