
En 1998, Michel Aglietta a fait le premier pas majeur dans cette voie en proposant, sous le titre “ le
capitalisme de demain ”, une théorie très développée de ce qu’il nomme “ le régime de croissance
patrimonial ”. Le terme désigne le rôle joué par les « marchés d’actifs » ainsi que « l’importance
des investisseurs institutionnels dans la finance et la gouvernance des entreprises comme instance
primordiale de régulation » 4. De son côté, en 1998 également, Frédéric Lordon a commencé à
employer, avec pas mal de précautions, l’expression de « régime d’accumulation financiarisé »5,
formulant à son tour l’hypothèse que le régime éventuellement successeur du régime fordiste
n’aurait pas en son cœur une forme d’organisation techno -industrielle nouvelle – par exemple le
« toyotisme » – mais la position économique acquise par la finance. L’année suivante, André
Orléan emploie à son tour le terme de régime d’accumulation financiarisé. La caractérisation repose
sur une théorie très développée de la « liquidité » et des marchés de titres d’entreprises. Le terme
désigne un régime, se constituant « en remplacement de la régulation fordiste », dont « le
gouvernement d’entreprise forme le noyau dur ». Pour André Orléan, « les économies
contemporaines ont pour caractéristiques centrales d’avoir porté le pouvoir financier à un niveau
jamais atteint et de l’avoir placé au centre même de leur régime d’accumulation »6.
En 2000, Frédéric Lordon a fait un pas en proposant une présentation générale du « régime
financiarisé », qui couvre plusieurs mais pas tous les aspects couverts par Michel Aglietta. On est
face, selon lui, à une configuration où « « la gestion de l’épargne collective s’est installée dans la
position d’une forme institutionnelle » lui permettant « d’imposer sa logique à tous les autres
arrangements institutionnels (rapport salarial, gouvernance d’entreprise, formes de la
concurrence) » et partant, de « donner sa physionomie propre au nouveau régime d’accumulation
du capital »7. L’analyse couvre un champ différent de celle de Michel Aglietta, mais elle est a une
portée d’une ampleur voisine. En revanche, au lieu de faire l’éloge du nouveau régime, Frédéric
Lordon en fait une critique sévère. Enfin, Robert Boyer, demeuré longtemps réservé quant à
l’hypothèse de l’émergence et la consolidation, ne fût-ce qu’aux Etats-Unis, d’un régime
d’accumulation dont le point nodal se situerait dans la finance, a publié en 2000 un travail qui pose
la question « un régime d’accumulation gouverné par la finance est-il une alternative viable au
fordisme ? »8. Parallèlement, enfin, Claude Serfati a commencé à utiliser, avec beaucoup de
précautions il me semble, le terme de régime d’accumulation à dominante financière, dans une
problématique marxienne ou marxiste voisine de la mienne.
2. Serait-il impropre d’accoler le qualificatif « financiarié » au terme « accumulation » ?
L’emploi de ma part du terme « régime d’accumulation » a surpris, voire choqué certains de mes
lecteurs plus ou moins proches sur le plan théorique et/ou politique. Parce qu’il a, tout au moins en
France, une forte connotation régulationniste, mais aussi parce qu’il paraît difficile aux yeux de
certains de parler d’accumulation dans un contexte où c’est la finance qui a les rennes en main.
Avant de dire où je situe ce terme par rapport à son usage régulationniste orthodoxe, je voudrais
faire une parenthèse.
4 M. Aglietta, Le capitalisme de demain, Notes de la Fondation Saint-Simon, n° 101, novembre 1998.
5 Intervention au congrès Marx International II à l’automne 1998. Publiée comme F. Lordon, « Le nouvel agenda de la
politique économique en régime d’accumulation financiarisé », dans G. Duménil et D. Lévy, Le Triangle infernal :
Crise, mondialisation, financiarisation, Actuel Marx Confrontation, PUF, Paris, 1999.
6 A. Orléan, Le pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob, 1999, page 214.
7 F. Lordon, Fonds de pension, piège à cons ? Mirage de la démocratie actionnariale, Raisons d’Agir, Paris,
2000, page 66.
8 R. Boyer, « Is a finance-led growth régime a viable alternative to fordism ? », Economy and Society, vol.29,
no.1, Febuary, 2000.