Un procès pour mémoire Le procès de Paul Touvier est le premier procès d'un Français accusé de complicité de crimes contre l'humanité. En effet, l'action de la justice s'éteignant avec la disparition des accusés, les procès de Jean Leguay, décédé en 1979, et de René Bousquet, assassiné en 1993, n'ont pu se tenir. Le procès consacre l'aboutissement d'une procédure judiciaire ralentie par la négligence coupable ou inconsciente des autorités religieuses, d'hommes politiques, de la police et de la justice. Inévitablement, la question de l'opportunité d'une justice rendue cinquante ans après les faits a été soulevée. Mais puisqu'on avait jugé et condamné un Allemand, Klaus Barbie, il aurait été inconcevable et choquant de ne pas poursuivre un Français accusé de complicité de crimes semblables. Un ensemble d'archives unique Le procès de Paul Touvier a été intégralement enregistré par l'INA, conformément à la loi du 11 juillet 1985. L'enregistrement a été réalisé par Guy Saguez, réalisateur de FR3-Ile-de-France. Il dure cent huit heures, correspondant aux vingt-quatre audiences du procès. La diffusion à l'automne 2000, à la fois sur l'antenne et sur le site Internet de la chaîne, d'une série de trente-sept émissions consacrées au procès Barbie, a été unanimement saluée par le public et la presse comme un programme exceptionnel à double titre : la diffusion du procès Barbie a constitué un événement audiovisuel qui a déjà fait date dans la courte histoire de la télévision et cette diffusion a participé au nécessaire travail de mémoire sur cette période tragique, en apportant à un large public un éclairage nouveau sur la Seconde Guerre mondiale. Forte de ce succès, histoire a voulu renouveler l'expérience avec le film du procès de Paul Touvier, chef du service de renseignements de la Milice de Lyon à partir de 1943. A cette fin, histoire a déposé, le 13 mars 2001, une requête auprès du tribunal de grande instance de Paris pour demander l'autorisation de diffuser de larges extraits des enregistrements audiovisuels du procès de Paul Touvier, réalisés en mars et avril 1994 à la cour d'assises des Yvelines (Versailles). Le 15 mars 2001, le président du tribunal de grande instance de Paris, M. Jean-Claude Magendie, accédait à la requête de la chaîne, autorisée à procéder « à la réalisation, la programmation et la diffusion d'une série d'émissions consacrées au procès Touvier », dans un but « pédagogique et historique ». L'autorisation concerne la diffusion aussi bien sur l'antenne d'histoire pendant toute la durée de la programmation que sur son site Internet jusqu'en mai 2002. Les choix de la chaîne Les contingences techniques ont entraîné des coupes pas toujours souhaitables, mais inévitables : lorsque les cassettes de l'enregistrement s'achèvent dans l'enceinte du tribunal, nous avons un « trou », qui va de une minute dans le meilleur des cas à dix minutes dans le pire des cas. Il a fallu adapter le découpage à cette pesante contrainte, car les trous entraînent des coupes au montage en amont et en aval pour que le sens des phrases ne soit pas trahi. L'expérience du traitement du film du procès Barbie nous sert : les lectures de pièces d'instruction, d'actes de renvois… sont écartées. Les témoignages ont été conservés, en insistant sur la déposition et en écartant les questions, sauf lorsqu'elles révélaient un point obscur ou éclairaient les informations précédentes. Les plaidoiries des avocats des parties civiles sont longues et nombreuses. Nous avons choisi de les présenter dans leur intégralité, pour ne pas nuire à la qualité du raisonnement et de l'argumentation. Ce choix a pour conséquence d'écarter de nombreuses interventions, tout en respectant un équilibre entre les plaidoiries qui portent directement soit sur les faits reprochés à Paul Touvier, soit sur les définitions de crime de guerre et de crime contre l'humanité. L'éclairage historique Le dispositif retenu pour le procès Touvier est différent de celui mis en place pour le procès Barbie : histoire propose, après un lancement assuré par Anne Sinclair, un rendezvous quotidien au début de chaque émission sous la forme d'une intervention de quinze minutes assurée par un historien, un juriste ou un journaliste chargé d'apporter un éclairage sur l'audience qui suit (1h45 d'archives). Parmi les intervenants, des personnalités (Simone Veil, Bertrand Poirot-Delpech), des historiens spécialistes de la période (Jean-Pierre Azéma, Laurent Douzou, Jean-Noël Jeanneney, René Rémond, Olivier Wieviorka, Annette Wieviorka), des juristes (Pierre Truche, Jean-Olivier Viout) ou des journalistes (Laurent Greilsamer, Pascale Froment, Marie-Françoise Masson). Il ne s'agit nullement de commenter le procès mais d'apporter quelques éléments de réflexion aux téléspectateurs. Le comité éditorial Présidé par Jean-Noël Jeanneney, par ailleurs président du conseil d'orientation des programmes d'histoire, ce comité est composé de : Laure Adler, directrice de France-Culture, Jean-Pierre Azéma, professeur des universités, Laurent Greilsamer, journaliste au Monde, Jean-Louis Nembrini, doyen des inspecteurs d'histoire-géographie, René Rémond, de l'Académie française, président de la Fondation nationale des sciences politiques, Henry Rousso, directeur de l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP), Pierre Truche, président honoraire de la Cour de cassation et de la Commission consultative nationale des droits de l'homme, Simone Veil, Michel Zaoui, avocat. Ce comité, mis en place en juin 2001, a pour mission de définir les principales orientations du programme. Il peut pour partie se prévaloir de l'expérience acquise lors de la préparation du procès Barbie, car il réunit de nouveau des personnalités de référence dans les domaines de l'histoire et du droit, pour certaines déjà présentes l'an dernier sur le procès Barbie. Une équipe d'historiens est chargée du travail de visionnage des archives et de préparation des émissions,en suivant les principes énoncés par le comité éditorial. Placée sous la direction de Dominique Missika, directrice de la rédaction de la chaîne, cette équipe comprend : Jean-Claude Lescure, professeur des universités à Grenoble et à l'IEP de Paris, Agnès Chauveau, maître de conférences à l'université Paris X-Nanterre, Frédéric Attal, maître de conférences à l'université d'Orléans, assistés de Marie-Laure Pelosse, diplômée de l'IEP de Paris. SUR L'ANTENNE 48 heures d'émissions dont : 42 heures d'archives sur 108 heures enregistrées tous les jours, du 21 janvier au 13 février à 19h00 24 émissions quotidiennes de deux heures programmées à 19h00, rediffusées à 23h00 et le lendemain à 8h45. Chaque émission comporte 1 heure trois quarts d'archives, complétées par une introduction d'Anne Sinclair et des interventions de spécialistes, historiens, juristes, journalistes ayant suivi le procès. La programmation suit la chronologie du procès : Emissions 1 à 9 : identité de l'accusé, examen de personnalité et énoncé des charges. Emissions 10 à 17 : auditions des témoins. Emissions 18 à 24 : plaidoiries et verdict. Par ailleurs La diffusion du procès Touvier est accompagnée par la programmation d'un certain nombre de documentaires et de films qui apportent des éclairages variés sur la période : Milice, film noir Documentaire (138') (1997). Réalisation Alain Ferrari. Enquête : Bernard Cohn et Charles Chaboud. Entretiens : Bertrand Poirot-Delpech et Alain Ferrari. Commentaire : Jacques Delperrié de Bayac et Alain Ferrari, dit par Michel Bouquet. Production : Samusir et 16bis Productions. A travers les récits de témoins de cette période encore en vie, anciens miliciens, résistants ou proches des victimes, et la présentation de documents d'époque, ce film retrace l'histoire de la Milice, nous entraînant de sa genèse aux traces encore présentes après guerre. Diffusion le 14 janvier à 21h00 M. Zeizig Documentaire (52') (1994). Auteur et réalisateur : Christian Tran. Production : Ardèche Images Production/ Novimages/Huit Mont Blanc. En compagnie de René Zeizig, 80 ans, fils de l'un des sept juifs exécutés à Rillieux-la-Pape par la Milice, ce documentaire suit les étapes du procès de Paul Touvier et revient sur la nature et l'évolution de l'antisémitisme dans la société française. Diffusion le 15 janvier à 21h00 L'affaire Touvier Documentaire (52') (1990). Réalisation : Stephen Walker. Enquête : Lucy Wadham. Conseillers historiques : Laurent Greilsamer et Daniel Schneidermann. Production : BBC Television/ LMK Images. Ce documentaire retrace le parcours de Paul Touvier, depuis la guerre jusqu'à son arrestation en 1989. Il met en évidence les complicités dont a bénéficié Touvier durant les quarante-cinq ans de sa cavale. Diffusion le 16 janvier à 22h00 Hôtel du Parc Documentaire (2x100') (1991). Réalisation : Pierre Beuchot. Auteurs : Daniel Lindenberg et Jérôme Prieur. Conseiller historique : Denis Peschanski. Production Archipel 33/INA/La Sept. Voyage imaginaire au cœur du gouvernement de Vichy sous forme d'enquête, à partir d'archives authentiques et de reconstitutions. « Hôtel du Parc » est le nom de la résidence de Pétain à Vichy. Diffusion les 17 et 18 janvier à 21h00 La production déléguée à été confiée à la société Morgane, la production exécutive à la Sept Vidéo. La réalisation des émissions est assurée par Frédéric Pichon. L'Institut national de l'audiovisuel et le Centre historique des Archives nationales, qui conservent les enregistrements du procès, sont associés à cette programmation. Le suivi juridique du dossier a été assuré par maîtres Olivier Cousi et Charles-Edouard Renault, du département média du cabinet Gide, Loyrette, Nouel. SUR LE SITE histoire.fr Toutes les émissions seront accessibles sur le site Internet de la chaîne, www.histoire.fr, dès le début de la programmation sur l'antenne. Sur Internet, les émissions seront indexées. Il sera ainsi possible de consulter la totalité du procès ou certaines parties uniquement, comme par exemple les interventions du procureur général ou de différents témoins... La programmation détaillée du procès à l'antenne sera consultable sur le site. L'internaute pourra aussi accéder à un ensemble d'informations complémentaires d'ordre général sur les plans historique et juridique, sur la Milice et la Collaboration, sur le déroulement du procès Touvier, avec notamment une biographie des principales parties prenantes, ainsi qu'une bibliographie. www.histoire.fr proposera un annuaire sélectif de références disponibles sur Internet permettant d'en savoir plus sur toutes ces questions. Enfin, la chaîne ouvrira sur son site un forum mettant en relation les internautes avec des historiens et des juristes. LE PROCES Le procès de Paul Touvier s'est déroulé devant la cour d'assises des Yvelines, du 17 mars au 20 avril 1994. Paul Touvier, déjà condamné à mort par contumace en 1946 et 1947 pour trahison et pour intelligence avec l'ennemi, comparaît pour complicité de crime contre l'humanité, notamment pour le rôle qu'il a tenu lors de l'exécution de sept otages par la Milice à Rillieux-la-Pape. Les premières plaintes avaient été déposées en 1973, le mandat d'arrêt lancé en 1981. A l'ouverture du procès, près d'une cinquantaine de plaintes de personnes physiques ou morales ont été déposées contre Paul Touvier. Celui-ci est défendu par maître Jacques Trémolet de Villers et maître Françoise Besson. L'accusation et les parties civiles sont représentées par plus de vingt avocats parmi lesquels maître Arno Klarsfeld, maître Alain Jakubowicz, maître Joë Nordmann, maître Michel Zaoui. La cour d'assises, présidée par monsieur Henri Boulard, a rendu son verdict le 20 avril 1994 : Paul Touvier a été condamné à la réclusion à perpétuité. Il se pourvoie en cassation le jour même. Le pourvoi est rejeté le 1er juin 1995. BIOGRAPHIE DE PAUL TOUVIER La jeunesse de Touvier Paul Touvier naît à Saint-Vincent-sur-Jabron, dans l'actuel département des Alpes-de-Haute-Provence, le 3 avril 1915. Il est le fils de François Touvier, percepteur des impôts, ancien séminariste et ancien militaire, et d'Eugénie Roumeau. Il a 15 ans quand meurt sa mère. Sa scolarité se déroule dans des établissements religieux de Chambéry (1921-1931). Il effectue son service militaire entre 1935 et 1936 durant dix-huit mois (dont neuf sur la ligne Maginot). En 1936, il est engagé comme expéditionnaire aux chemins de fer. Il épouse en septembre 1937 Joséphine Charléty. Elle meurt en juin 1938 en mettant au monde des jumeaux ; l'un des enfants ne survit que quelques semaines, l'autre meurt accidentellement quelques années plus tard. A la déclaration de la guerre en 1939, Paul Touvier est mobilisé. Suspecté de désertion en 1940, il est brièvement emprisonné puis libéré avec un non-lieu. Le 30 octobre 1940, il adhère à la Légion des combattants puis devient responsable de quartier. En avril 1942, il est nommé secrétaire à Chambéry du service d'ordre légionnaire (SOL). Il est notamment chargé du fichage des résistants. Touvier milicien En janvier 1943, il adhère à la Milice (créée le 30 janvier 1943) avec plusieurs membres de sa famille. En mars 1943, il est volontaire pour suivre le premier stage de l'école des cadres de la Milice à Uriage. Il y rencontre Joseph Darnand et Joseph Lecussan. En septembre 1943, il est nommé chef du 2e service (renseignements) de la Milice pour le département du Rhône (Lyon). Il devient permanent rétribué et gère la prison de l'impasse Catelin. En janvier 1944, il est chef régional du 2e service de la Milice et contrôle dix départements. Le 29 juin 1944, la Milice assassine sept otages au cimetière de Rillieux-la-Pape, en représailles à l'assassinat, par des résistants, du secrétaire d'Etat à l'Information de Vichy, Philippe Henriot. Les victimes sont : Léo Glaeser, Louis Krzyzkowski, Maurice Schlusselman, Claude Benzimra, Emile Zeizig, Siegfried Prock et un homme non identifié. Louis Goudard, résistant incarcéré avec les sept otages, est écarté du peloton d'exécution sur ordre de Touvier parce qu'il n'est pas juif. La clandestinité Lyon est libéré le 3 septembre 1944. Paul Touvier fuit et trouve refuge auprès de diverses instances religieuses. Le 10 décembre 1946, la cour de justice de Lyon prononce sa condamnation à mort par contumace pour trahison. Le 4 mars 1947, c'est la cour de justice de Chambéry qui prononce la deuxième condamnation à mort par contumace pour intelligence avec l'ennemi. Arrêté par les Renseignements généraux le 3 juillet 1947, Touvier s'évade le 9 juillet de la rue des Saussaies. Il épouse religieusement Monique Berthet en août 1947. Leur fille Chantal naît en 1948, leur fils Pierre en 1950. En 1949, ils s'installent clandestinement dans la maison familiale à Chambéry. En 1957, par l'intermédiaire de l'abbé Duben, l'aumônier des prisons qui l'a marié clandestinement, Paul Touvier rencontre Mgr Charles Duquaire, secrétaire du cardinal Gerlier, qui l'aide dans ses démarches en vue d'obtenir une amnistie ou une grâce présidentielle. Touvier gagne sa vie en effectuant de menus travaux pour des organisations religieuses. Il rencontre Jacques Brel en 1959 et travaille pour lui. En 1963, l'introduction d'un recours visant à obtenir l'amnistie se heurte au refus de De Gaulle. La loi sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité est votée le 26 décembre 1964 alors que les condamnations à mort de Touvier tombent sous le coup de la prescription en mars 1967. L'ancien milicien demeure cependant l'objet d'une interdiction de séjour dans plusieurs départements, d'une dégradation nationale et d'une confiscation de ses biens. Entre 1969 et 1971, il poursuit donc, avec l'aide de Mgr Duquaire, les démarches pour bénéficier d'une grâce ; celle concernant les peines d'interdiction de séjour et de confiscation des biens est accordée par décret par Georges Pompidou le 23 novembre 1971. L'article de Jacques Derogy dans l'hebdomadaire L'Express du 5 juin 1972 qui révèle que Paul Touvier a bénéficié d'une mesure de grâce alerte l'opinion publique : l'affaire Touvier débute. Les poursuites engagées contre lui et son procès Les premières plaintes pour crimes contre l'humanité sont déposées en 1973 et, après de multiples rebondissements judiciaires, l'instruction s'ouvre en 1979. Quatre juges instruisent successivement le dossier et ce n'est que le 27 novembre 1981 qu'un mandat d'arrêt est lancé contre Touvier. La parution dans le quotidien Le Dauphiné libéré d'un « avis de remerciements » inséré dans la rubrique nécrologique et signé « familles Berthet et Touvier », le 19 septembre 1984, laisse penser que Paul Touvier serait décédé. L'instruction suit cependant son cours. En 1988, le juge d'instruction Claude Grellier décide de confier les recherches à la gendarmerie sous la responsabilité du colonel Recordon. En mai 1989, l'enquête des gendarmes, dans le sillage d'une association intégriste, « l'Ordre des chevaliers de Notre-Dame », les conduit à Saint-Maur, au domicile du responsable Jean-Pierre Lefèvre, puis au monastère de Wisques, près de Saint-Omer, et au monastère de Mézière-en-Brenne, près de Châteauroux. Paul Touvier est arrêté le 24 mai 1989 au prieuré Saint-Joseph de Nice où il se cachait sous le nom de Paul Lacroix. Le juge Jean-Pierre Getti l'inculpe de crimes contre l'humanité et le place en détention. Le procès de Paul Touvier s'ouvre devant la cour d'assises des Yvelines le 17 mars 1994. Dans la nuit du 19 au 20 avril 1994, Paul Touvier est jugé « coupable de s'être à Lyon, les 28 et 29 juin 1944, sciemment rendu complice d'un crime contre l'humanité, d'une part en donnant des instructions, d'autre part en aidant ou assistant avec connaissance les auteurs des homicides volontaires commis avec préméditation, sur les personnes de MM. Glaeser Léo, Krzyzkowski Louis, Schlusselman Maurice, Ben Zimra Claude, Zeizig Emile, Prock Siegfried et d'un homme non identifié, alors que lesdits homicides volontaires entraient dans le cadre d'un plan concerté pour le compte d'un Etat pratiquant une politique d'hégémonie idéologique, en l'occurrence l'Allemagne nazie, à l'encontre de personnes choisies en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse ». Paul Touvier est condamné à la peine de réclusion criminelle à perpétuité. Il meurt en prison le 17 juillet 1996. VICHY, LA COLLABORATION ET LA MILICE. Il s'agit ici de donner quelques points de repère pour comprendre l'itinéraire intellectuel et politique de Paul Touvier et de ceux qui, comme lui, se sont engagés dans la voie de la collaboration. Ces rappels, qui n'ont rien d'exhaustif, sont évoqués au travers des mouvements aux origines de la Milice, du fonctionnement de cette dernière. Généalogie de la Milice L'Action française Fondée en avril 1898 par Henri Vaugeois et Maurice Poujo, l'Action française réunit d'abord des intellectuels nationalistes opposés au parlementarisme mais républicains. Sous l'influence de Charles Maurras, elle évolue vers le « nationalisme intégral », c'est-à-dire la monarchie traditionnelle, autoritaire, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée, et proclame vouloir renverser le régime démocratique par un coup de force. Le quotidien L'Action française paraît dès 1908. Très influent dans les milieux catholiques, le mouvement connaît une condamnation pontificale en 1926 qui réduit le nombre de ses fidèles. Ses militants les plus jeunes, les « camelots du roi », par leur recours à la violence et leur agressivité, en font une redoutable force. Son rôle dans la préparation de la manifestation du 6 février 1934 n'empêche pas son déclin et ses éléments les plus actifs passent au fascisme (la Cagoule). En 1936, lors des obsèques de l'historien monarchiste Jacques Bainville, un groupe de dissidents conduit par Jean Filliol organise l'attaque contre Léon Blum aperçu dans la rue. Cette opération entraîne la dissolution des ligues. L'Action française approuve les accords de Munich en septembre 1938. Germanophobe mais intérieurement divisée par ses sympathies pour les régimes de Franco et de Mussolini, elle s'oppose en 1939 à la guerre. Soutien de Vichy, l'Action française voit un grand nombre de ses membres rejoindre les groupes collaborateurs, voire s'engager dans la Milice au nom de la rénovation nationale, alors que quelques-uns, pour qui le patriotisme passe par la lutte contre l'occupant, s'engagent dans la Résistance. La Cagoule A la suite de l'assaut manqué contre la Chambre des députés le 6 février 1934, deux dissidents de l'Action française, Eugène Deloncle et Jean Filliol, fondent le « Comité secret d'action révolutionnaire » (CSAR), organisation secrète, structurée, qui s'étend à toute la France et qui prépare la guerre civile en tentant d'y entraîner l'armée. Elle passe à l'acte en organisant un attentat le 11 septembre 1937 contre la Confédération générale du patronat français et du groupe des industries métallurgiques : la police passe alors à l'action et arrête l'état-major civil en juillet 1938, alors que les militaires compromis rentrent dans les rangs. Certains de ses éléments les plus actifs font partie de l'équipe dirigeante de la Milice ou des mouvements collaborationnistes gravitant autour. Les Croix-de-Feu et le PSF L'association des Croix-de-Feu, ou Association nationale des combattants et des blessés de guerre cités pour action, regroupe des anciens combattants français décorés pour leur héroïsme. Fondée en 1927, elle s'ouvre aux membres des familles des anciens combattants, ce qui en fait l'organisation la plus nombreuse, présidée à partir de 1930 par le lieutenant-colonel François de La Rocque. Elle s'affirme nationaliste et antiparlementaire. Après la dissolution des ligues ordonnée par Blum en juin 1936, ses anciens adhérents se regroupent autour de De La Roque dans le Parti socialiste français. Sous l'Occupation, de La Rocque est partisan de Pétain mais, attaché d'abord à la nation France, il se montre hostile à la politique de collaboration. Devenu résistant, il est arrêté en mars 1943 et déporté. Il meurt en 1946. La Légion française des combattants Cette association d'anciens combattants est créée le 29 août 1940 par Xavier Vallat et présidée par le maréchal Pétain. Les chefs sont nommés (et non plus élus comme dans les associations traditionnelles d'anciens combattants). Le Service d'ordre légionnaire (SOL) Il est créé au sein de la Légion française des combattants le 12 décembre 1941 à l'initiative de Pierre Gallet, Marcel Gombert et Jean Bassompierre. Il rassemble les partisans les plus déterminés de la Révolution nationale. Son programme est codifié par Bassompierre, Noël de Tissot et le docteur Durandy. Joseph Darnand est nommé chef régional de la Légion pour le sud-est de la France. Le 5 janvier 1943, Pétain autorise le SOL à se séparer de la Légion française des combattants. Il devient un organisme autonome qui dépend du chef du gouvernement, Pierre Laval. La collaboration La Milice La Milice est créée le 30 janvier 1943 par le discours de Pierre Laval à la réunion des chefs départementaux du SOL à Vichy où il annonce la transformation du SOL en Milice nationale. Le lendemain, le Journal officiel de l'Etat français publie la loi relative à la Milice française, signée par Pierre Laval. Les principaux responsables Le chef de la Milice est Pierre Laval, chef du gouvernement. Le secrétaire général, nommé par le précédent, est Joseph Darnand. Le service de la propagande et de l'information est dirigé par Francis Bout de l'An. Le responsable du 2e service est Jean Degans. Marcel Gombert et ses lieutenants, Henri Millou, Joannès Tomasi, Paul Fréchoux, gèrent le service de sécurité. Noël de Tissot s'occupe de la coordination entre le haut-commandement et les services. Les conditions d'admission Etre français de naissance, ne pas être juif, n'adhérer à aucune société secrète, être volontaire. Insigne : le gamma, représentation zodiacale du Bélier, symbole de force et de renouveau (le printemps débute sous le signe du Bélier). L'armée de la Milice est la Franc-Garde, créée officiellement le 2 juin 1943, au camp des Calabres près de Vichy. Au moment de la Libération, ses effectifs sont d'environ 8 000 hommes. Effectifs : autour de 15 000. Bulletin : L'Assaut (mensuel). Organisation : organisation territoriale : villes, départements, régions ; organisation militaire : « main » (5 hommes), « dizaine » (groupe d'infanterie), « trentaine » (petite section), « centaine » (3 trentaines et 1 dizaine de commandement = petite compagnie), « cohorte » (3 centaines et un groupe de commandement = un petit bataillon), « centre » (3 ou 4 cohortes = un régiment). Emissions radiophoniques : La Milice française vous parle, La Minute de la Milice. Journal : Combats, dirigé par Henry Charbonneau. Les partis de la collaboration : le MSR, le PPF et le RNP De nombreux mouvements et groupuscules fascistes français soutiennent le régime de Vichy. Leurs dirigeants et leurs militants n'ont jamais su se fédérer, intriguant à Vichy ou auprès des Allemands. Ils possèdent cependant une capacité de nuisance qu'ils ont souvent pu exercer au sein de la Milice (ou en concurrence avec cette dernière) et des divisions de Français sous l'uniforme allemand. Le MSR, Mouvement social révolutionnaire, est un parti maréchaliste fondé par Eugène Deloncle. Il fournit la plupart des membres de la Légion des volontaires français (LVF) qui combattent sur le front de l'Est, tout comme le PPF, Parti populaire français, fondé en 1936 par Jacques Doriot et qui compte 100 000 adhérents à la veille de la guerre. Son organe de presse est L'Emancipation nationale. Le RNP, Rassemblement national populaire, est créé en février 1941 et codirigé par Marcel Déat et Eugène Deloncle ; il rassemble des collaborateurs de diverses tendances. Les Français combattant auprès des Allemands Finissant par être regroupés au sein de la division Charlemagne, division de la Waffen-SS créée en octobre 1944 par Himmler, les Français qui ont choisi de combattre auprès des Allemands, quelquefois sous le même uniforme, appartiennent soit à la Milice, soit à des groupes plus anciens comme la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) ou la SS Sturmbrigade française. La légion de volontaires français (LVF), combattant sur le front russe sous l'uniforme allemand, est créée le 5 août 1941. Fondée par Marcel Déat, d'après une idée de Jacques Doriot, son président est Deloncle. Rapidement reprise en main par les Allemands, elle est intégrée en août 1944 aux Waffen-SS puis à la division Charlemagne. La SS Sturmbrigade française est la brigade d'assaut des volontaires français de la Waffen-SS. La division Charlemagne, groupe hétéroclite d'aventuriers et de vrais fanatiques, minée par les querelles de ses chefs et totalement sous l'emprise des Allemands, regroupe environ 8 000 hommes (seuls un tiers d'entre eux est jugé apte au combat et y participe effectivement) qui lutteront en Poméranie et pour certains jusqu'au bout, dans les ruines de Berlin. 1: Deux ans après le procès Barbie, vous renouvelez l'expérience avec le procès Touvier. Qu'est-ce qui vous a fait accepter ? L'initiative d'histoire est inédite et ce devoir de mémoire que fait la chaîne, il me plaisait bien de m'y associer. La diffusion du procès Barbie a été un grand succès. histoire a voulu renouveler l'expérience avec le procès Touvier, qui aborde un autre plan de notre histoire, sans doute plus difficile, car il s'agit d'un Français et non d'un Allemand, et cela m'a semblé opportun. J'ajoute que la trilogie ne sera pour moi complète qu'avec la diffusion du procès Papon : le nazi, le milicien et, enfin, le fonctionnaire de Vichy. 2 : En quoi le procès Touvier diffère-t-il du procès Barbie ? Il s'agit d'un Français et de la Milice, c'est-à-dire l'instrument le plus noir de la collaboration. C'est donc à un regard critique sur nous-mêmes que ce procès invite, davantage encore que Barbie, plus facile à condamner, puisque allemand. Le personnage apparaît sans doute moins démoniaque, mais il ne faut pas s'y fier ; si Touvier joue les pauvres types, il n'en est pas un, et il est pleinement, lui aussi, responsable de ses actes. Enfin, pas plus que Barbie, il n'éprouve de remords. La différence la plus flagrante, à mon avis, vient du motif juridique plaidé pour obtenir sa condamnation : il fallait prouver que Touvier avait agi sur pressions allemandes, mais qu'il aurait eu la latitude de ne pas exécuter les ordres. C'est juridiquement plus délicat. On aurait bien aimé plaider sa responsabilité pleine et entière, mais il aurait risqué de passer à travers les mailles de la définition du crime contre l'humanité. 3 : Le procès Barbie, puis le procès Touvier. Que pensez-vous que la diffusion de ces procès, opération jusqu'alors inédite en France, apporte à la mémoire collective ? Cela participe du besoin des Français, de tous âges, de regarder l'histoire contemporaine avec courage et lucidité. Par ailleurs, c'est un outil d'information inappréciable pour ceux qui n'ont pas vécu cette période autant que pour les survivants, ainsi qu'un instrument de travail important pour les chercheurs et les étudiants. Enfin, pour tous les citoyens qui connaissent mal le fonctionnement de notre procédure judiciaire et en particulier celui d'une cour d'assises, c'est un apport considérable de voir un procès « grandeur nature » à la télévision, plutôt qu'un téléfilm americain. 4 : Quelles sont pour vous les difficultés de l'exercice ? Il faut intéresser sans lasser, être pédagogue sans être ennuyeux. Ce fut surtout le travail remarquable de l'équipe d'historiens qu'histoire a réunie de découper et rendre lisible un procès qui n'est pas fait pour la télévision. De plus, le travail de réalisation a rendu ce procès, encore plus que le procès Barbie, lisible à l'antenne. Enfin, les éclairages, avant chaque émission, donnés par des témoins, des historiens ou des juristes aident à la compréhension de ce qui se passe. Pour moi, dès lors, il devenait facile de présenter chacune des séances du tribunal. 5 : Vous multipliez les activités et les interventions, notamment en faveur de la TNT. Quels sont vos projets ? J'ai décidé cette année de me consacrer davantage à mon métier de journaliste, si bien que ce procès Touvier tombait à pic dans ce que j'avais envie de faire. Je collabore aussi à Paris Match, j'écris un livre. Enfin, je consacre un peu de temps à la télévision numérique, parce que cela fait un pont entre mon métier de toujours, la télé, et mes activités des dernières années, l'Internet et l'interactivité. Je pense que l'écran interactif de demain sera davantage celui de la télévision que celui de l'ordinateur, toujours trop cher et trop difficile d'emploi. Et la télévision numérique, qui va donner aux Français gratuitement trois fois plus de chaînes, leur permettra aussi cette interactivité devant leur poste de télévision. Enfin, ce qui pourrait être un grand écart pour moi entre la mémoire et l'avenir technologique est au contraire très enrichissant et complémentaire. Photo Olivier Pascaud