Orientations de travail Q238 Revendications de deuxième

Orientations de travail
par Thierry CALAME, rapporteur général
Sarah MATHESON et John OSHA, rapporteurs généraux adjoints
Anne Marie VERSCHUR, Sara ULFSDOTTER et Kazuhiko YOSHIDA
assistants du rapporteur général
Q238
Revendications de deuxième application ou indication thérapeutique
Introduction
1) Cette question vise à établir la nature, l’étendue et le caractère exécutoire de la protection par
brevet pour de nouvelles applications de composés chimiques connus lorsqu’une nouvelle
application thérapeutique d’une substance connue est découverte. Par souci de commodité,
cette application sera désignée « deuxième application thérapeutique » dans les présentes
orientations. Divers types de deuxième application thérapeutique sont décrits ci-dessous.
2) L’octroi d’une protection par brevet pour les deuxièmes applications thérapeutiques pourrait
fortement encourager l’identification et le développement de solutions de nature à répondre
aux besoins thérapeutiques non satisfaits. Les brevets pour deuxième application
thérapeutique peuvent également se poser comme un outil essentiel des sociétés
pharmaceutiques innovantes dans le cadre de la gestion du cycle de vie de leurs brevets.
Toutefois, les travaux de R&D supplémentaires sont laborieux et onéreux. La protection par
brevet est importante, mais l’adéquation des incitations visant à favoriser la recherche sur les
deuxièmes applications thérapeutiques réside dans la possibilité de se prévaloir de droits de
brevets qui aient force exécutoire et soient de portée réelle.
3) À l’heure actuelle, la possibilité même d’obtenir une protection par brevet des deuxièmes
applications thérapeutiques et, si tel est le cas, la forme des revendications admises, varient
d’un pays à l’autre. La capacité à faire appliquer les revendications admissibles et l’étendue
de la protection accordée varient également en fonction de la juridiction. Or, l’absence
d’harmonisation affecte aussi bien les sociétés pharmaceutiques innovantes que les
laboratoires génériques en suscitant un climat d’incertitude tant pour les titulaires de brevets
que pour les contrefacteurs présumés.
4) L’octroi d’une protection par brevet pour les deuxièmes applications thérapeutiques a des
effets positifs et négatifs contradictoires sur la disponibilité de médicaments efficaces pour le
public. En effet, la protection par brevet pourrait permettre aux sociétés pharmaceutiques de
générer les revenus nécessaires pour financer de nouvelles innovations ; un avantage à long
terme pour le public. Toutefois, la baisse des prix rendue possible par l’arrivée sur le marché
de produits génériques présente également un avantage d’intérêt public en ce qui concerne le
coût supporté par les gouvernements finançant les produits pharmaceutiques, ainsi que le
coût d’achat pour le public.
5) À tout le moins pour les raisons exposées ci-dessus, le niveau approprié de protection par
brevet à accorder aux deuxièmes applications thérapeutiques reste incertain.
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Les travaux antérieurs de l’AIPPI
6) L’AIPPI a, par le passé, examiné des questions concernant la deuxième application
thérapeutique à l’occasion d’ateliers organisés dans le cadre d’un certain nombre de réunions
récentes de l’AIPPI.
a) Congrès de Paris (2010) - Atelier industrie pharmaceutique 4 intitulé « Questions
propres aux brevets protégeant des inventions pharmaceutiques ». Cet atelier s’est
penché sur la brevetabilité des inventions pharmaceutiques allant au-delà de la
simple molécule. Les inventions de deuxième application thérapeutique ont été
examinées aux côtés d’un certain nombre d’autres catégories d’inventions
pharmaceutiques.
b) Forum/ExCo d’Hyderabad (2011) - Atelier industrie pharmaceutique 1 intitulé
« Protection de nouvelles applications thérapeutiques en droit des brevets ». Cet
atelier s’est penché sur les premières et deuxièmes applications thérapeutiques, ainsi
que sur les pratiques visant à encourager les investissements dans les nouvelles
applications de composés connus.
c) Forum/ExCo d’Helsinki (2013) - Atelier industrie pharmaceutique 2 intitulé « Les
brevets de deuxième application thérapeutique ». Cet atelier a examiné l’étendue et
le caractère exécutoire des revendications de brevet portant sur de nouvelles
applications de médicaments connus. Parmi les sujets abordés, citons :
l’existence d’une protection ;
la contrefaçon par fournitures de moyens ;
la protection contre la responsabilité pour contrefaçon de brevet de
différentes catégories de personnes/institutions ;
ce qui oppose le droit des brevets et les régimes de réglementation des
médicaments.
7) Il est à souligner que chaque panel d’experts participant aux ateliers susvisés comptait parmi
ses rangs des orateurs représentant les points de vue américain (États-Unis), indien et
européen. Compte tenu du rôle important que les deuxièmes applications thérapeutiques
jouent au niveau de la santé publique, ainsi que des répercussions économiques de la
protection par brevet des revendications de deuxième application thérapeutique pour
l’industrie pharmaceutique, pour les gouvernements et pour le public, il est opportun que
l’AIPPI examine cette question dans une perspective plus large.
8) Par ailleurs, bien que des questions de travail antérieures de l’AIPPI aient englobé des
questions liées à la deuxième application thérapeutique, notamment dans le cadre des
questions Q202 « L’influence des questions de santé publique sur les droits exclusifs de
brevet » (Boston 2008) et Q209 - « Les inventions de sélection: le critère d’activité inventive,
autres conditions de brevetabilité et étendue de la protection » (Buenos Aires, 2009), l’AIPPI
ne s’est pas encore penchée sur la question à part entière de la deuxième application
thérapeutique.
Portée de cette question
9) Il existe différents types de deuxième application thérapeutique (ou « application
thérapeutique ultérieure »), des exemples en étant cités ci-après dans la rubrique intitulée
« Types d’applications ». Toutes ces applications se trouvent englobées dans l’expression
« deuxième application thérapeutique » telle qu’utilisée dans ces orientations et relèvent de la
portée de cette question.
10) Cette question se limite aux aspects suivants : l’admissibilité des revendications de deuxième
application thérapeutique, les types de revendications admissibles, ainsi que l’étendue de leur
protection et donc leur caractère exécutoire, quant aux contrefaçons aussi bien directes
qu’indirectes (lesquelles sont désignées dans ces orientations sous le terme de « contrefaçon
par fourniture de moyens »). Compte tenu de l’importance des considérations énoncées dans
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l’introduction, cette question vise également à étudier les considérations politiques
pertinentes.
11) À moins que cela ne soit pertinent en ce qui concerne l’admissibilité des revendications de
deuxième application thérapeutique, la brevetabilité des méthodes de traitement
thérapeutique à proprement parler (« première application thérapeutique ») ne s’inscrit pas
dans la portée de cette question. Il a été établi dans la question Q202 que bien que les
méthodes de traitement thérapeutique soient uniquement brevetables en Australie et aux
États-Unis1, bien d’autres pays encore admettent au moins une certaine forme de
revendications de deuxième application thérapeutique.
12) Bien que les critères de validité, notamment ceux de la nouveauté et de l’activité inventive,
puissent avoir leur importance quant à la logique sous-tendant l’admissibilité (ou non) des
revendications de deuxième application thérapeutique, l’appréciation de la nouveauté et de
l’activité inventive, ainsi que celle d’autres critères de validité, ne rentre pas dans le cadre de
cette question, à moins qu’elle ne relève de la portée de cette question telle que définie au
paragraphe 9) ci-dessus.
13) Sous réserve de cette même restriction, les questions de prolongation de la durée de validité
des brevets, de licence obligatoire, de droits et des certificats complémentaires de protection
(lorsqu’ils existent) ne s’inscrivent pas non plus dans la portée de cette question.
Discussion
Types d’applications
14) Le cas classique de deuxième application thérapeutique est lorsqu’un médicament est dans
un premier temps développé à des fins thérapeutiques particulières et que des travaux de
recherche continue ou ultérieure permettent de découvrir que ce médicament est efficace
dans un autre domaine thérapeutique. Tel a été le cas de l’aspirine. Initialement utilisée en
tant qu’antipyrétique et antalgique, elle s’est ultérieurement avérée être un anticoagulant, puis
un anti-AVC et un anti-ischémique, efficace. Un exemple plus récent est celui du groupe des
composés pyrazolopyrimidinone qui constituaient un traitement reconnu des maladies
cardiovasculaires. Or, en 1994, Pfizer s’est aperçu que l’un de ces composés, le citrate de
sildénafil, était également efficace pour traiter la dysfonction érectile. Commercialisé sous le
nom de Viagra, ce produit connaît un énorme succès et génère plusieurs milliards de dollars
de chiffre d’affaires.
15) Il peut aussi y avoir des cas dans lesquels la première application connue du composé n’a
pas connu de succès, mais une nouvelle application débouche sur un médicament important.
La nimodipine (commercialisée par Bayer sous le nom de Nimotop) avait, à l’origine, été
développée pour traiter l’hypertension. Rarement utilisée à cette fin, sa principale application
à l’heure actuelle est le traitement des troubles cérébraux. Parmi les autres médicaments
rentant dans cette catégorie, citons notamment Evista (chlorhydrate de raloxifène),
initialement développé comme agent anticancéreux et désormais commercialisé pour traiter
l’ostéoporose, ou encore Straterra (atomoxétine), initialement développé comme
antidépresseur, mais désormais uniquement commercialisé pour traiter le Trouble du Déficit
de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH).
16) Il arrive que des composés déjà découverts à des fins non thérapeutiques se révèlent par la
suite efficaces dans le cadre d’applications thérapeutiques. Un exemple de ce type est le
débat actuel sur la possibilité d’utiliser la marijuana à diverses fins thérapeutiques.
17) Dans la décision G2/082 de la Grande Chambre de recours (GCR) de l’Office européen des
brevets, une nouvelle posologie a été jugée brevetable alors qu’il s’agissait de l’unique
1 Rapport de synthèse Q202, « L’inuence des questions de santé publique sur les droits exclusifs de brevet », Partie I,
Question 5). Voir également le paragraphe 46) ci-dessous.
2 19 février 2008
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caractéristique nouvelle d’un médicament reconnu pour traiter une maladie connue. La
revendication contestée concernait l’utilisation d’un acide nicotinique à effet retard dans le
traitement de taux anormaux de lipides dans le sang. La nouvelle caractéristique résidait en
ce que le médicament était administré « une fois par jour avant le coucher ». Dans l’affaire
G2/08, la GCR a conclu que la nouveauté pouvait résider dans des caractéristiques telles que
le groupe de patients à traiter, un mode d’administration différent ou un effet technique
différent.
Protection
18) L’article 27, paragraphe 1, des ADPIC stipule que les brevets peuvent être délivrés pour
« toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à
condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible
d'application industrielle ». Reste à savoir si les ADPIC imposent ou non la protection des
revendications de deuxième application thérapeutique, bien que certains commentateurs
affirment que refuser la brevetabilité aux revendications de deuxième application
thérapeutique est contraire aux ADPIC, et notamment à l’article 27, paragraphe 1.
19) L’article 27, paragraphe 3, point a), des ADPIC permet d’exclure de la brevetabilité les
méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou
des animaux. Certains membres justifient le refus de la protection par les brevets aux
revendications de deuxième application thérapeutique au motif que ces revendications sont
liées à une méthode de traitement thérapeutique ou constituent tout simplement une autre
forme de méthode de traitement thérapeutique, et par conséquent peuvent, en toute licité,
être exclues de la brevetabilité.
20) La justification du refus de protection par brevet des deuxièmes applications thérapeutiques
peut reposer sur une définition stricte de la nouveauté - à savoir sur le fait que la structure
chimique du composé fait déjà partie de l’état de la technique. Certains commentateurs ont
également suggéré que l’attribution de la nouveauté à des revendications de deuxième
application thérapeutique revenait à confondre les critères de brevetabilité distincts que sont
la nouveauté et l’activité inventive.3 Une telle définition n’attribue ni nouveauté ni activité
inventive à l’identification et à la décision de poursuivre le développement d’un composé
connu afin de l’utiliser dans le traitement d’une maladie ou d’une affection pour laquelle il
n’avait pas encore été utilisé. (Voir également les paragraphes 34 à 39 ci-dessous.)
21) L’Inde, l’Egypte, les Philippines ainsi que des pays du Pacte andin4 font partie des pays
n’autorisant pas la protection par brevet des deuxième applications thérapeutiques. En Inde,
les composés chimiques et pharmaceutiques n’étaient pas du tout brevetables avant janvier
2005. Suite à diverses réformes liées aux ADPIC, la loi indienne sur les brevets interdit
encore à ce jour qu’une simple nouvelle application d’une substance connue soit brevetable.
22) L’article 21 de la décision 486 du Régime commun concernant la propriété intellectuelle de la
communauté andine prévoit que les « produits ou processus déjà brevetés et inclus dans
l’état de la technique… ne feront pas l’objet de nouveaux brevets au seul motif de leur
utilisation dans le cadre d’une application différente de celle envisagée à l’origine par le
brevet initial ». Cette interdiction ne vise pas spécifiquement les revendications de deuxième
application thérapeutique mais s’applique à tous les domaines technologiques. Toutefois,
lorsque le Pérou a promulgué un décret législatif en 1997 clarifiant le fait que les brevets
peuvent être délivrés pour de nouvelles applications si les critères de nouveauté, d’activité
inventive et d’applicabilité industrielle sont satisfaits, habilitant ainsi l’Office péruvien des
brevets à délivrer à Pfizer un brevet concernant le Viagra, suite à une plainte déposée par
l’association péruvienne des fabricants de produits génériques, la Cour de justice de la
communauté andine a jugé que le gouvernement péruvien avait enfreint la législation
régionale sur les brevets en délivrant ce brevet.
3 Juan Pablo Coy Navarro, « A critical study of the denial of first and second medical use patents in the Andean Community;
the Viagra case », thèse présentée dans le cadre des travaux nécessaires à l’obtention du Master de droit, spécialité droit
économique international de l’Université de Warwick, septembre 2003.
4 La Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou
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23) Dans le contexte européen, avant la décision de la GCR dans l’affaire G05/835, l’article 52,
paragraphe 4, de la Convention sur le brevet européen (CBE) de 1973 faisait obstacle à la
protection par brevet des revendications de deuxième application thérapeutique. En vertu de
l’article 52, paragraphe 4, les méthodes de traitement thérapeutique étaient, quelque peu
artificiellement, considérées comme des inventions mais n’étaient pas brevetables pour
défaut d’applicabilité industrielle. Dans le cadre de la décision G05/83, la GCR a adopté les
revendications « de type suisse » pour contourner les dispositions de l’article 52, paragraphe
4, concernant les deuxièmes applications thérapeutiques. (Voir également les sections
intitulées « Types de revendications » et « Concepts de 'traitement', 'traitant', 'utilisé pour
traiter' et similaires » ci-dessous).
24) Par contre, aux États-Unis, la situation a été réglée avant la recodification de la législation
américaine sur les brevets en 1952 avec, entre autres, une définition du terme « procédé »
(comme objet brevetable) qui comprend « une nouvelle application d’un procédé, …, d’une
composition de matière ou de matériau connu(e) ».6
25) En Australie, alors que cela faisait plusieurs décennies que la brevetabilité des méthodes de
traitement thérapeutique et des deuxièmes applications thérapeutiques était perçue comme
un droit constant, le fabricant canadien de produits génériques, Apotex, a récemment remis
en cause ce principe en introduisant un pourvoi devant la Haute cour australienne. Dans une
décision définitive rendue en décembre 20137, il a été clairement établi que les méthodes de
traitement thérapeutique et les deuxièmes applications thérapeutiques étaient brevetables en
Australie.8
Types de revendications
26) Il y a lieu de souligner que seuls les États-Unis et l’Australie autorisent les revendications
relatives à une méthode de traitement à proprement parler ; les autres pays autorisent les
revendications relatives à l’utilisation d’un composé pour préparer un médicament destiné à
traiter une maladie (revendications de type suisse) ; certains pays autorisent les
revendications relatives aux formulations pharmaceutiques destinées à une fin spécifique, ou
les revendications relatives au composé lorsque ce dernier est utilisé pour traiter une maladie.
27) Comme cela est indiqué ci-dessus, la décision G05/83 de la GCR a vu l’autorisation de la
revendication de type suisse, laquelle est une revendication de procédé. Ainsi baptisées du
fait de la pratique de l’Office fédéral suisse de la propriété intellectuelle de l’époque, les
revendications de type suisse se présentent généralement sous la forme suivante :
« Utilisation d’une substance X dans la fabrication/préparation d’un médicament pour
le traitement de l’affection Y »
La revendication relative à l’« utilisation d’une substance X dans la fabrication/préparation
d’un médicament » porte sur un procédé de fabrication et n’est pas perçue comme une
revendication relative à une méthode de traitement thérapeutique. De la même façon, «
pour le traitement d’une affection Y » décrit l’utilisation du médicament et constitue le
fondement de la nouveauté de la revendication (voir, toutefois, la discussion des enjeux
concernant les concepts de « traitement », « traitant », « utilisé pour traiter » et similaires aux
paragraphes 34 à 39 ci-dessous).
28) Aux alentours de la même époque que la décision G05/83 mais indépendamment de celle-ci,
les tribunaux allemands ont mis au point leur propre type de revendication de deuxième
application thérapeutique sous la forme suivante :
5 du 5 décembre 1983
6 Article 100, paragraphe b), de la loi américaine sur les brevets (US Patent Act) (1952), 35 USC.
7 Apotex Pty Ltd/Sanofi-Aventis Australia Pty Ltd & Ors [2013] HCA 50.
8 Cette décision n’a toutefois pas résolu de manière définitive tous les problèmes ayant trait à la validité des revendications de
deuxièmeapplication thérapeutique en vertu du droit australien.
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