De la même façon, le capital « en général » apparaît d’abord comme une abstraction que l’esprit forme à partir ces capitaux particuliers, mais il n’acquiert lui-même une existence
réelle, en opposition avec tous les particuliers par exemple qu’ à partir d’un certain point de développement du capitalisme, en tant que capital financier disponible qui s’accumule
dans les banques.
Il faudrait faire l’historique de la transformation de l’argent en capital pour assister à la genèse du concept quand le rapport se transforme en chose :
L’argent joue d’abord le rôle d’intermédiaire dans les échanges , achat d’un côté, vente de l’autre : il est un moyen de circulation rendant possible les échanges ; dès lors que, à la
différence de toutes les marchandises particulières, lui seul permet de tout acheter, l’argent revêt la forme universelle de la richesse, substance monétaire que l’on peut accumuler.
Dans l’économie marchande, l’argent est donc aussi un moyen d’accumulation de la richesse. Ce n’est qu’avec la révolution industrielle et le développement du capitalisme, lorsqu’il
est investi dans l’entreprise en vue de la production, qu’il devient l’argent-capital , qui, à la différence de l’argent-marchand , a la capacité apparemment mystérieuse de croître par
lui-même. Cette capacité était sans doute ébauchée dans le profit commercial et le prêt à intérêt, mais cette forme de l’argent ne prend son véritable essor qu’avec le capitalisme
industriel.
Voici un troisième exemple: Le travail
Lorsque l’on parle du concept de « travail humain », il n’apparaît qu’à partir du moment où la force « humaine » devient une marchandise, c’est-à-dire un produit échangeable
(complet développement de la production marchande).
Dans l’époque grecque archaïque et classique, on trouve des métiers, des activités, des tâches mais on cherche en vain « le travail ». Les activités sont classées en deux catégories. Les
tâches rassemblées sous le terme de ponos sont des activités pénibles exigeant un effort et un contact avec les éléments matériels, donc dégradant. Par opposition, les tâches qui sont
identifiées comme ergon (œuvre) consistent en l’imposition d’une forme à la matière. La hiérarchie des activités s’ordonne selon le plus ou moins grand degré de dépendance vis-à-
vis des autres.
C’est au XVIIIe siècle que le terme de travail trouve très clairement son unité. Selon Adam Smith et ses contemporains, le travail est une unité de mesure dont l’essence est le temps. Il
rend comparable des marchandises différentes et rend différentes des actions comparables.
La révolution industrielle marque une coupure, un changement de nature : les liens personnels ne comptent plus, seul subsiste un échange matériel – travail contre argent. La relation
salariale devient le mode dominant de mobilisation et de rémunération de la force de travail. Le concept de travail est le reflet de cette mutation
III. La dialectique est la théorie de la connaissance
Le développement de la science moderne oblige à reprendre en une toute autre acception la catégorie d’essence dans le cadre d’une dialectique qui est le contraire de la Logique de
Hegel ; Ici l’essence ne renvoie plus du tout à la fiction d’une substance, mais à l’effectivité de rapports. Non point une entité d’arrière monde, en deçà ou au delà des phénomènes
mais fondement de l’apparition de la chose dans ce monde-ci, logique productive de ses manifestations où, à chaque fois de façon concrète elle se trouve tout entière investie.
Ainsi loin de rendre inaccessible la chose en soi, (comme dans la Critique kantienne) le phénomène n’est précisément rien d’autre que son apparaître dans la représentation : la chose
en soi est si peu inconnaissable que c’est elle et nulle autre qui ne cesse de se déterminer toujours davantage à travers le processus de la connaissance. Si comme le veut
l’épistémologie bachelardienne (qui radicalise la Critique kantienne) il fallait renoncer à l’hypothèse d’une existence de la chose en soi (c'est-à-dire d’une réalité indépendante de la
connaissance), le phénomène ne serait à proprement parler l’apparence de rien, et cela le condamnerait et la science avec lui à ne saisir jamais de la réalité qu’un fantôme. Au sens
vrai du mot, le phénoménal ne va pas sans l’essentiel qui s’y manifeste.
« Toute science serait superflue, écrit Marx, s’il y avait coïncidence immédiate entre la forme phénoménale et l’essence des choses ».
C’est bien ainsi que nombre de scientifiques aujourd’hui en sont venus à penser qu’il n’y a pas d’essence cachée derrière les phénomènes que la science étudie.
François Jacob par exemple dans son livre la Logique du vivant, souligne qu’il n’y a pas d’entité métaphysique pour se cacher derrière le mot de vie. Ce qu’il exprime en disant
qu’en passant des particules élémentaires à la vie il n’y a nul changement d’essence. Formulation par laquelle François Jacob veut éliminer cette notion métaphysique de vie qui
expliquerait les phénomènes qu’étudie la biologie ; Mais François Jacob ne s’exprime ainsi que parce qu’il continue à penser la notion d’essence en termes métaphysiques comme
une substance ou un principe qui serait caché derrière les phénomènes.
De fait, la logique dialectique permet précisément de penser le passage de la matière inerte à la vie comme un changement d’essence ; parce que l’essence correspond précisément à la
production d’une « nouvelle réalité ». François Jacob lui-même l’explique parfaitement en écrivant que « à chaque niveau d’organisation de la matière apparaissent des
nouveautés, tant de propriétés que de logique », soulignant ainsi qu’il y a bien d’un niveau à l’autre un changement d’essence qui est le résultat d’un devenir.
La vie ne renvoie nullement à un principe [vital] ; elle ne recouvre nulle abstraction substantifiable ; mais les phénomènes de la vie ont pour fondement des rapports et processus
essentiels qui ne sont pas immédiatement observables, et qu’il appartient à la raison non pas de découvrir, mais de reconstruire.
La nature n’a pas attendu l’homme pour pratiquer à tâtons le « omnis determinatio négatio » de Spinoza, pris dans son sens évolutif, déployant ainsi ce qu’il semble permis de
considérer comme une productivité.
Cette conception de la dialectique, qui permet de reconstruire les processus naturels, reste incompréhensible dans le cadre d’une théorie de la connaissance qui sépare le sujet
connaissant de l’objet à connaître.
Or, le dualisme classique du sujet et de l’objet se trouve mise en cause par les progrès de la science :
C’est une leçon épistémologique capitale qu’il faut recueillir des deux bouleversements opérés par la théorie de la relativité et celle des quanta. Regardons y de plus près : Dans le
dualisme classique, le sujet connaissant était conçu comme étranger aux déterminations spatio-temporelles comme aux interactions matérielles de l’objet connu. Présent au monde,
mais hors matière, l’entendement connaîtrait son objet pour ainsi dire sans y toucher.
Or,
1)En premier lieu, la théorie de la relativité remet en cause cette idée métaphysique selon laquelle la connaissance, mouvement de la pensée pourrait être étrangère à un processus
matériel. En effet, dans la mesure où nulle information ne peut cheminer plus vite que la lumière, la connaissance est irrémédiablement topique (située) dans l’espace temps.
2) En second lieu, la théorie quantique a ruiné l’idée que l’objet pouvait être une réalité étrangère au sujet pensant qui cherche à la connaître - au processus de la connaissance. En
effet, toute mesure dépendant d’un choix quant à ses modes technico-matériels d’obtention, la connaissance est un déterminant inévitable de ce qu’elle cherche à déterminer.
Expérience d’une exceptionnelle portée gnoséologique. Au sens fort du terme, la connaissance est une interaction : Les deux pôles du rapport cognitif, le subjectif et l’objectif,
doivent être reconnus non plus seulement comme l’opposé, mais en même temps comme identique. L’objectivité à laquelle la connaissance peut prétendre, est toujours en même
temps subjective : elle porte de toute nécessité la marque de l’interaction requise pour l’établir.
L’objectif est subjectif dans la mesure où la connaissance suppose l’intervention du sujet sur les processus matériels qu’il cherche à connaître. Mais le subjectif est objectif dans la
mesure où les concepts élaborés par la physique tiennent compte des interactions produites par les instruments de mesure. C’est ainsi que le physicien quantique écrit : « la prise en
compte des conditions d’observation dans la définition même des concepts, permet de défalquer l’effet de leur variation et permet d’accéder à une représentation affinée de la réalité
objective. »
Seule une épistémologie fondée sur le dualisme du sujet et de l’objet peut maintenir l’idée d’une objectivité vierge de toute subjectivité connaissante. Mais là où la dialectique
permet de comprendre la connaissance comme une interaction du sujet et de l’objet, le matérialisme, en affirmant la primauté de la matière, c'est-à-dire l’indépendance de la matière à
l’égard de la pensée interdit de comprendre à la façon de Bachelard, cette interaction comme une construction technologique de la réalité.