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La psychanalyse
et le discours psychanalytique
Comme corpus clinique et théorique, la psychanalyse s’est consti-
tuée, à partir de faits dont la démarche médicale ne parvenait pas à
rendre compte. Non seulement S. Freud a montré que ces faits sont
des restes laissés pour compte de l’investigation médicale classique
fondée sur l’anatomo-pathologie, mais aussi qu’ils ont un détermi-
nisme interne et une fonction. Néanmoins, cet « ordonnancement
et ce déterminisme interne ne sont perceptibles que moyennant un
changement radical dans l’abord des phénomènes » (Lehmann A.,
2002, p. 73).
Dans les années 1880, S. Freud a eu, au départ, la volonté de faire
entrer les « maladies nerveuses » dans le champ de la médecine.
Il a même tenté d’en rendre compte selon un ordre causal inscrip-
tible dans les canons de la science de l’époque, à savoir les modèles
de la mécanique et de la thermodynamique. Mais dès les Études sur
l’hystérie (Freud, S. & Breuer, J., 1895), l’interrogation freudienne se
déplace de la recherche des causes (l’étiologie, la théorie du trauma)
vers l’énigme de la cause du désir. De « Qu’est-ce qu’ont subi les
hystériques ? à Qu’est-ce qu’elles veulent ? » (Bon N. 1997, p. 23),
S. Freud établit une logique du fantasme et laisse de côté la chrono-
logie des troubles. A partir de là, la psychanalyse ne peut plus être
envisagée comme une branche de la médecine, elle en est plutôt son
envers, au point même que Freud, dans « Psychanalyse et médecine »
(1926b) considère que la formation médicale est plutôt un obstacle
à l’inconscient. Et ce, comme tous les savoirs qui prétendent à une
scienticité qui identie science et méthode expérimentale.
Il est donc bien question d’un « changement radical dans l’attitude
envers le malade, dans le rapport à soi-même, au savoir et à la fonc-
tion « soignante » » (Lehmann A., 2002, p. 73).
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Qu’est-ce à dire ?
Avec la psychanalyse, l’acte auprès du patient est toujours singu-
lier, il n’y a pas d’extrapolation ni de reproductibilité à l’identique
possibles : cette expérience n’est pas généralisable.
De même, la méthode scientique dite « dure » s’appuie
sur l’objectivité maximum qui permet à la subjectivité du clinicien
de n’interagir théoriquement en rien avec celle du patient, la psy-
chanalyse exige un engagement subjectif spécique. Autrement dit,
lorsque nous nous engageons dans la méthode, nous ne pouvons plus
faire l’économie de la prise en compte de notre propre psychisme. Le
psychanalyste comme le patient sont tous les deux soumis à la même
loi du langage en tant que celle-ci implique l’inconscient. La dimen-
sion de la rencontre tend alors vers une plus grande symétrie et ce
qui est mis en jeu, c’est à dire les surgissements de l’inconscient, ne
peuvent, pour l’un comme pour l’autre des protagonistes, se calculer
à l’avance. Avec la psychanalyse, rien ne peut être prévu à l’avance.
C. G. Bruère-Dawson résume bien les choses lorsqu’il évoque « la
différence entre la pratique de la médecine, objectivante par essence,
qui n’aborde l’intime de la souffrance que dans un supplément d’âme
et par surcroît, et la pratique analytique dont la visée est de permettre
dans une rencontre transférentielle une « série de dires » sur la subjec-
tivité de celui que nous rencontrons à travers la nôtre » (2000, p. 35).
Le changement radical tiendrait donc au fait qu’en psychanalyse,
l’être l’humain est considéré comme entièrement constitué par la
parole et le langage : c’est un être de parole et de désir avant d’être
le lieu d’une affection morbide. C’est précisément ce sujet parlant et
désirant, affecté par son histoire et ses signiants, qui est, même en
cas de maladie somatique grave, l’objet de la psychanalyse. On re-
marque combien la psychanalyse a précisément pour objet ce qui se
situe hors du champ médical, c’est-à-dire la vie psychique et l’accès
à l’inconscient.
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Fin de Vie & Psychanalyse
Le pas de côté décisif se situe, selon moi, sur la dimension du
savoir. En effet, l’œuvre de S. Freud constitue moins un savoir sur
l’inconscient qu’une méthode pour le déployer dans la parole, le faire
exister là où il ne faisait qu’insister dans le symptôme. Cette bascule
provient d’une véritable prise en compte du langage, précisément de
la fonction subjectivante de la parole.
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Les concepts-clés
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La psychanalyse à laquelle nous allons nous référer se dénit
comme une « méthode mise en œuvre dans une pratique au sein d’un
dispositif particulier d’interlocution éprouvant l’efcacité symbolique
de la parole et l’équivocité de la langue » (Gori R. & Hoffmann C.,
2001, p. 30).
Son objet concerne l’impossible à supporter (en l’occurrence ici
l’impossible à supporter à proximité de la mort) lorsqu’il « prend une
forme parlée » (Le Bourvellec G. 2002, p. 46), et uniquement celui-ci.
En effet, dans le champ du mourir encore plus qu’ailleurs peut-être, le
repérage des limites de chaque discipline est crucial : la psychanalyse
en n de vie n’a pas vocation à aborder tout impossible à supporter.
Elle est concernée par la parole, parole du patient et/ou de ceux qui
l’entourent.
Le champ de la parole et du langage
Le « Discours de Rome » (Lacan J., 1953) a pour titre Fonction et
champ de la parole et du langage en psychanalyse. Ce texte constitue
un apport crucial pour ce qui nous occupe, notamment pour ce qui
concerne le registre symbolique, le primat du signiant et ses consé-
quences sur l’inconscient.
Une phrase annonce la thèse centrale du Discours de Rome : « Si
Freud a pris la responsabilité - contre Hésiode pour qui les maladies
envoyées par Zeus s’avancent sur les hommes en silence - de nous
montrer qu’il y a des maladies qui parlent et de nous faire entendre
la vérité de ce qu’elles disent - il semble que cette vérité à mesure de
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