dossier
page 22 Paul Sabatier - Le magazine scientifique - numéro 2
La cognition animale : du
comportement aux neurones
La cognition animale
Ces quelques questions
définissent un champ de
recherches d’actualité, celui des
études sur les processus cognitifs.
Dans ce domaine, des mots clés
comme perception,
apprentissage, mémoire, cerveau
et représentation neuronale du
monde extérieur (codage
neuronal) sont à la base d’une
série d’études menées à partir
d’approches complémentaires
allant du comportement animal
jusqu’aux études des molécules
impliquées dans ces phénomènes.
L’objectif est d’étudier l’ensemble
des mécanismes par lesquels une
information reçue par les sens (le
goût, l’odorat, l’ouïe, le toucher,
la vue) est transformée, réduite,
élaborée, récupérée et employée
chez les animaux . Ceci ramène
donc à l’études des facultés
d’apprentissage, reconnaissance,
attention, mémoire,
représentation et organisation de
la connaissance (imagerie
visuelle, catégorisation,
orientation spatiale) mais aussi
à l’implémentation de ces
facultés par rapport à autrui,
c’est-à-dire à leur emploi et/ou
modification dans un contexte
collectif. La pertinence de ces
études vient d’être soulignée par
le récent prix Nobel de Médecine
décerné à deux chercheurs
américains, Richard Axel et
Linda Buck, ayant décodé les
bases neuronales de l’olfaction à
partir de leurs travaux de
recherches sur la mouche et sur
la souris. Quatre ans
auparavant, le même prix Nobel
fut décerné à un autre chercheur
américain, Eric Kandel, ayant
décodé les bases cellulaires de
l’apprentissage et la mémoire à
partir de ses études sur l’Aplysie,
un mollusque marin.
Différentes approches sont
adoptées afin d’étudier les
phénomènes cognitifs.
Au niveau de l’individu, la
cognition s’exprime sous forme
de processus perceptuels,
d’attention sélective,
d’apprentissage et de
mémorisation. Ces processus
cognitifs ayant des bases
comportementales et des bases
neuronales, leur compréhension
nécessite la mise en oeuvre
d’études relevant de l’éthologie
(étude du comportement
animal), de la psychologie
expérimentale, de la
neuroéthologie (étude des bases
neuronales du comportement),
de la neurobiologie et de la
modélisation. Dans ce cadre,
l’étude du cerveau animal et
de sa plasticité constitue une
priorité.
Au niveau des sociétés ou des
espèces vivant en groupe, la
coordination des activités peut
impliquer la mise en œuvre
Comment percevons nous le monde ? Comment apprenons nous ? Comment nous
rappelons nous des informations apprises ? Quels sont les processus qui ont lieu
dans notre cerveau quand nous récupérons une information mémorisée ?
Comment notre système nerveux traite-t-il le flux d’informations qu’il reçoit
de façon à construire une représentation interne pertinente du monde extérieur ?
Contact : giur[email protected]
d’algorithmes comportementaux
simples d’où peuvent émerger, par
des processus d’auto-organisation,
des phénomènes collectifs. Dans ce
cadre, des études relevant de
l’éthologie et de la modélisation
permettent de comprendre les
règles fondamentales de
l’organisation sociale et du
traitement collectif de
l’information.
Le potentiel d’application de ces
études est énorme : l’étude du
cerveau animal est des
mécanismes cellulaires et
moléculaires sous-jacents aux
phénomènes d’apprentissage et de
mémoire est indispensable à
l’industrie pharmaceutique et aux
recherches médicales visant des
maladies où ces capacités sont
affectées de façon dramatique
(Maladie d’Alzheimer, Parkinson,
etc). Par ailleurs, les études sur
l’organisation des comportements
collectifs et des réseaux
biologiques de transmission
d’informations contribuent à
l’organisation efficace des réseaux
de transmission d’information au
sein des sociétés humaines
(réseaux téléphoniques, de
transports, etc.).
>>> Martin GIURFA, Professeur à l’UPS,
membre de l’IUF, directeur du CRCA
(UMR UPS/CNRS 5169)
>>> reconstitution tridimensionnelle du cerveau
d’une abeille en base à microscopie confocale
dOSSIER
La cognition animale
En ce qui concerne la cognition
animale proprement dite,
seulement le CRCA et le CERCO
sont concernés. Les recherches du
CRCA se concentrent sur les
processus cognitifs et la plasticité
comportementale de différentes
espèces animales. Les animaux
utilisés comme référence sont le
plus souvent les abeilles, les
souris et les fourmis. L’emploi de
modèles vertébrés et invertébrés
permet une approche
comparative et la compréhension
des divers moyens par lesquels
différentes espèces animales
atteignent des objectifs
similaires. En effet, malgré leurs
histoires évolutives différentes, la
plupart de animaux vivants
(l’Homme y compris) sont
confrontés aux mêmes problèmes
dans leurs environnements
respectifs : s’orienter, naviguer,
retrouver de la nourriture et
retrouver un partenaire sont
seulement quelques unes des
taches que tout animal doit
assurer pour sa survie.
L’apprentissage et la
mémorisation, en tant que
manifestations de la plasticité
individuelle, permettent à
l’individu d’extraire des règles
prédictives sur son
environnement. Les sociétés
animales, d’autre part,
s’organisent aussi suivant des
règles qui leur permettent de
mieux gérer leur milieu naturel.
L’approche utilisée a pour but
d’articuler ces deux niveaux à
partir de l’étude des processus
cognitifs qui les caractérisent.
Les équipes du CRCA étudient
ces processus selon différents
niveaux d'organisation, du
comportement aux aspects
moléculaires (imagerie calcique).
Au CERCO, les travaux de
recherche visent à étudier les
Le potentiel Toulousain
Les unités de Neurosciences Cognitives à Toulouse étudient les mécanismes
de la cognition humaine et animale dans son fonctionnement normal et
pathologique. Elles cherchent à comprendre les bases de la plasticité compor-
tementale et nerveuse chez l'homme et dans diverses espèces animales, des
primates aux insectes. Ces recherches incluent à la fois une dimension fonda-
mentale et appliquée.
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activités neuronales engendrées
par la présentation d'un
stimulus visuel et les modalités
de leur intégration jusqu'à la
perception consciente. Ils se
concentrent essentiellement sur
les primates et sur l’homme,
suivant trois thématiques :
1) Structure, fonction et
développement du cortex visuel,
2) Perception tridimensionnelle
de l'espace et
3) Identification et
catégorisation visuelles.
Une start-up, SPIKENET
TECHNOLOGY développe
des logiciels de reconnaissance
d'objets basés sur une
technologie d'algorithmes
avancés inspirés du
fonctionnement du système
visuel humain.
Contacts :
>>> Jean-Michel LASALLE,
Professeur à l’UPS, chercheur au CRCA
>>> Michèle FABRE-THORPE, DR CNRS,
Directrice du CERCO
Les forces en présence
Trois unités de recherche rattachées à l’UPS ont pour objectif l’étude des processus cognitifs :
le Centre de Recherche sur la Cognition Animale CRCA (UMR UPS/CNRS 5169),
le Centre de Recherche Cerveau et Cognition,CERCO ; (UMR UPS/CNRS 5549) et le Laboratoire
de Neuroimagérie, Plasticité Cérébrale et Pathologie Neurologique (UMR INSERM/UPS 455)
Ces trois laboratoires comprennent 50 chercheurs permanents et 29 personnels techniques et
administratifs. Ces trois unités sont regroupées dans l’Institut des Sciences du cerveau
de Toulouse (IFR 96) avec une unité de l’Université du Mirail, le Centre Interdisciplinaire
des Sciences du langage et de la Cognition (laboratoire Jacques Lordat).
>>> Expérience d’imagerie cérébrale
chez l’abeille. Les régions du cerveau
qui codifient pour les odeurs sont
visualisées par fluorescence à l’écran
dOSSIER
l’abeille. Chaque odeur
détermine un motif spatial
d’activation glomérulaire
spécifique. Cette même stratégie
de codage neuronal des odeurs
est retrouvée chez les vertébrés
où le centre olfactif primaire est
le bulbe olfactif, qui présente lui
aussi une organisation
glomérulaire.
La méthode de l’imagerie
calcique étant déjà établie dans
le cas du lobe antennaire, la
question à laquelle il faut
pondre maintenant est celle du
rôle de l’expérience dans la
modification éventuelle des
motifs d’activation glomérulaire.
Comment l’apprentissage olfactif
modifie-t-il les représentations
neuronales des odeurs au niveau
du lobe antennaire ? Est-ce que
différents types d’apprentissage
olfactif renvoient à des
représentations glomérulaires
différentes pour une même
odeur ?
Contacts :
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Ces questions sont au centre
d’un projet de recherches où
l’actrice principale est l’abeille
domestique Apis mellifera.
Les abeilles sont capables
d’apprendre des odeurs associées
à une récompense de solution
sucrée. Cet apprentissage est
biologiquement important car
il est à la base de la constance
florale exhibée par les abeilles,
c’est à dire de leur fidélité à une
espèce florale sur laquelle elles
travaillent “ à la chaîne ” tant
que celle-ci offre du nectar et/ou
du pollen. L’apprentissage
olfactif peut être étudié chez
l’abeille dans le laboratoire : une
abeille affamée et immobilisée,
dont seulement les antennes et
les pièces buccales peuvent
bouger, montre un réflexe inné
toutefois qu’on touche ses
antennes avec du sucre : elle
étire le proboscis (la trompe).
Si on associe une stimulation
olfactive (une odeur) envoyée aux
antennes (le ‘nez’ des insectes)
à la stimulation sucrée, l’abeille
apprend très vite que l’odeur
anticipe la récompense et étire
le proboscis à l’odeur toute seule.
Cet apprentissage Pavlovien est
facilement reproductible en
laboratoire et a permis de
caractériser les lois sous-jacentes
aux phénomènes d’apprentissage
et mémoire olfactifs chez
l’abeille. Ces lois sont similaires à
celles qui régissent ces mêmes
phénomènes chez les vertébrés.
Dans le cerveau de l’abeille, les
lobes antennaires sont les centres
olfactifs primaires. Leur fonction
est de traiter et coder
l’information olfactive en
provenance des récepteurs
olfactifs sur les antennes. Deux
lobes antennaires (un dans
chaque hémisphère cérébral)
peuvent être identifiés dans le
cerveau de l’abeille.
Le codage olfactif au sein du lobe
antennaire et sa modification
par l’apprentissage est étudié au
CRCA grâce à des techniques
d’imagerie calcique. Ces
techniques permettent
d’enregistrer l’activation
neuronale (glomérulaire) quand
une odeur stimule l’antenne
d’une abeille. Le principe de base
sous-jacent à l’imagerie calcique
est la libération de calcium par
des cellules excitées. Ainsi,
des produits fluorescents qui
s’unissent au calcium sont
employés pour baigner le cerveau
de l’abeille stimulée avec des
odeurs choisies. Ceci détermine
un changement de fluorescence,
détectable à partir d’une camera
CCD dirigée vers le lobe
antennaire. De cette façon, il est
possible de visualiser l’activité
cérébrale pendant que l’insecte
sent des odeurs, et de
comprendre comment se fait le
codage et la représentation des
odeurs au niveau du cerveau de
Comment le cerveau code-t-il les différentes odeurs que nous pouvons discriminer ?
Comment ce codage olfactif est modifié quand nous apprenons qu’une odeur est
associée a une récompense ou à une punition ?
Imagerie cérébrale
des réseaux olfactifs
du cerveau de l'abeille
La cognition animale
>>> Jean-Christophe SANDOZ,
CR CNRS au CERCA
>>> Une abeille est fixée en face d'un
dispositif automatique d'envoi d'odeurs
(photo du haut à droite), qu'elle apprend
à associer avec une récompense en sucre
apportée par un cure dent (photo du haut
à gauche). La même abeille fixée tire
la trompe de manière très visible, quand
on la stimule avec l'odeur seule (photo du bas).
>>> Schéma des principales connexions internes de la formation hippocampique
dOSSIER
Cette question est au centre de
notre projet. Nous étudions les
mécanismes synaptiques et
moléculaires responsables de la
transformation d’une
information spatiale labile en un
souvenir mémorisé à long terme
dans le cerveau. Ces processus
doivent permettre à l'individu
d'une part de retrouver
facilement l’information stockée
et d'autre part, de reconstruire
complètement ce souvenir à
partir de fragments
d'informations comme c'est le
cas dans l'exemple de la
madeleine de Proust.
Nos travaux portent sur une
structure cérébrale particulière,
l'hippocampe, car c’est le lieu
privilégié du traitement de
l'information spatiale et l’on sait
depuis peu que c’est également
une des seules régions du cerveau
où des neurones continuent à
naître chez l’adulte. A l'intérieur
de cette structure, nous étudions
particulièrement la région CA3
hippocampique qui est
généralement décrite comme
étant un réseau ou une matrice
associative. Ce réseau est formé
par les axones des neurones du
gyrus denté et les dendrites des
cellules pyramidales de la région
CA3 (cf. figure) et dans ce
réseau, un stockage de
l'information serait possible sous
Comment notre cerveau mémorise t-il la localisation
d’une salle de cinéma, par exemple ?
Rôle de l'hippocampe
dans la consolidation
mnésique des apprentissages
spatiaux chez la souris
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forme de modification à long
terme de la force synaptique.
Nous avons montré, chez la
souris, que suite à un
apprentissage, des cascades
moléculaires sont activées dans
cette région CA3 hippocampique
aboutissant à des changements
synaptiques. Ces modifications
sont nécessaires pour le rappel ou
la reconstruction ultérieure de ce
souvenir. En revanche, nous ne
savons pas actuellement si les
changements synaptiques
indispensables à la mémorisation
impliquent les neurones
nouvellement nés dans le gyrus
denté hippocampique et cela
constitue notre projet de recherche
futur en collaboration avec Claire
Rampon (Détachement IUF).
Contact :
>>> Pascal ROULLET Maître de Conférences UPS,
chercheur au CRCA (UMR 5169 UPS/CNRS)
La cognition animale
en œuvre par les insectes sociaux
depuis maintenant plus de
100 millions d'années pour
organiser leurs activités ou
traiter l'information peuvent
constituer ainsi une source
d'inspiration pour créer des
modes d’organisation et des
systèmes artificiels plus fiables,
plus flexibles et plus robustes.
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La cognition animale
L’une caractéristiques les plus
importantes des sociétés
d’insectes est leur capacité à
résoudre des problèmes d’une
manière très flexible et robuste :
la flexibilité permet à la colonie
de s’adapter aux brusques
changements d’environnement et
la robustesse permet à la colonie
de continuer à fonctionner
lorsque certains individus
échouent à accomplir leur tâche.
Les problèmes quotidiens résolus
par une colonie sont nombreux
et de nature très variée:
recherche de nourriture,
construction du nid, division du
travail et allocation des tâches
entre les individus, etc. Grâce
aux avancées réalisées dans
l’étude des systèmes complexes
au cours des trente dernières
années, de nouveaux outils
conceptuels ont permis de
comprendre certains des
mécanismes utilisés par les
insectes sociaux pour coordonner
leurs activités. Parmi ces
mécanismes, les processus
d’auto-organisation ont fait
l’objet d’une attention toute
particulière car ils sont impliqués
dans un grand nombre de
comportements collectifs. L’auto-
organisation caractérise des
processus au cours desquels des
structures émergent au niveau
collectif, à partir d’une
multitude d’interactions simples
entre insectes, sans être codées
explicitement au niveau
individuel. Les processus d’auto-
organisation que l’on retrouve
dans un grand nombre d’espèces
vivant en groupes (insectes,
poissons, ongulés …) montrent
que la complexité des structures
et des décisions produites
collectivement par une colonie ne
résulte pas nécessairement d’une
complexité cognitive au niveau
individuel mais d’interactions
entre des individus qui suivent
des règles comportementales
relativement simples. Certaines
de ces interactions, une fourmi
qui suit la piste de phéromone
laissée par une autre, permettent
à une colonie de résoudre
collectivement des problèmes
difficiles, par exemple trouver le
chemin le plus court parmi
d'innombrables voies conduisant
à une source de nourriture. En
collaboration avec des
informaticiens et des ingénieurs
nous avons pu transformer
certains modèles de
comportements collectifs des
insectes sociaux en méthodes
utiles pour l’optimisation et le
contrôle. Ce nouveau domaine de
recherche qui a pour objet de
transformer la connaissance que
les éthologistes ont des capacités
collectives de résolution de
problèmes des insectes sociaux en
techniques artificielles de
résolution de problèmes est
appelée Intelligence en Essaim.
Ces nouvelles techniques
permettent de résoudre en
particulier beaucoup plus
efficacement des problèmes
d’optimisation, comme le
problème du voyageur de
commerce, et permettent
également d’adapter le flux des
communications circulant sur un
réseau. Les comportements mis
>>> Guy THERAULAZ, DR CNRS,
au CRCA (UMR UPS/CNRS)
L'intelligence
collective
des sociétés
d'insectes >>> Un exemple d'optimisation collective
observé lors du recrutement alimentaire
chez les fourmis Lasius niger. a. : formation
d'une piste de recrutement. b. : dispositif
expérimental utilisé pour mettre en
évidence la sélection du chemin le plus
court conduisant à une source de nourriture.
c. : simulation numérique du processus de
recrutement par piste de phéromone
conduisant à la sélection du chemin le plus
court entre le nid et la source de nourriture
>>> Micro-robotique bio-mimétique. a. :
micro-robot Alice développé par l'EPFL
à Lausanne utilisé comme leurre autonome
dans des expériences de contrôle de
comportements collectifs chez des insectes.
b. : une expérience de robotique en essaim
destinée à mimer le comportement
d'agrégation de blattes
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