Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 METACOGNITIONS, EMOTIONS ET MOTIVATIONS META­COGNITIONS, EMOTIONS AND MOTIVATIONS Bastien WAGENER1, Christophe BOUJON2, Benoît FROMAGE3 Reçu le 17 mars 2010, accepté le 1er septembre 2010 . Résumé Dans une société changeante où l’adaptation et le retour sur soi deviennent une nécessité fréquente, le concept de métacognition représente une piste de recherche à l’intérêt grandissant. Son utilisation de manière isolée nous semble cependant limitée, les apprentissages et adaptations que nous effectuons au quotidien impliquant bien d’autres domaines, qu’il nous faut également prendre en compte pour mieux comprendre le fonctionnement de l’homme et proposer des interventions pertinentes pour le plus grand nombre. Nous abordons donc ici les émotions, les motivations et leurs liens avec les métacognitions. Ce travail constitue un pas vers l’établissement de théories et de pratiques plus intégrées et adaptées à la complexité des situations d’adaptation auxquelles nous sommes tous confrontés. Cette démarche s’inscrit dans une perspective phénoménologique et holistique de l’homme, qui nous semble incontournable à l’heure actuelle. Mots­clés : Métacognition, émotions, motivation, cognition, phénoménologie Contact : Bastien WAGENER, 54 rue Chèvre, 49000 ANGERS.Tel: 02 41 20 95 89. Courriel : [email protected] 1 Développement et transmission des compétences métacognitives, sous la direction de B. FROMAGE, co-encadré par C. BOUJON, laboratoire PPI (Processus de Pensée et Interventions), UPRES- EA 2646 2 Maître de Conférence en Psychologie cognitive, Université d’Angers, Laboratoire de Psychologie ; UPRES- EA 2646 3 Professeur de Psychologie du développement, Université d’Angers, Laboratoire de Psychologie ; UPRES- EA 2646 1 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 Meta­cognitions, emotions and motivations Abstract In a changing society where adaptation and introspection become a frequent necessity, the concept of metacognition is becoming a research field of growing interest. Its use separately seems limited, however, learning and adapting involve many other aspects that we must also take into account in order to understand how the human mind works and suggest appropriate interventions for most people. In this paper, we address the emotions, the motivations and their links with metacognition. This work represents a step towards the establishment of theories and practices that are more integrated and fitted to the complex situations of adaptation, which we all face. This work is in the line of a phenomenological and holistic perspective of the human being, which seems, from our point of view, inevitable nowadays. Keywords: Metacognition, emotions, motivation, cognition, phenomenology. Metacognición, emociones y motivación Resumen En una sociedad cambiante donde la adaptación y la introspección convertido en una necesidad frecuente, el concepto de metacognición es una línea de investigación de mayor interés. Su uso de forma aislada parece limitado : el aprendizaje y adaptaciones que hacemos todos los días implica muchas otras áreas, que hay que tener en cuenta para entender mejor el funcionamiento de los humanos y proponer intervenciones apropiadas para la mayoría de la gente. Tratamos acqui de las emociones, motivaciones y sus vínculos con la metacognición. Este trabajo representa un paso hacia el establecimiento de teorías y prácticas que están integradas y adaptadas a las complejas formas de adaptación que nos enfrentamos. Esto es parte de una perspectiva fenomenológica y holístico del hombre, que parece inevitable actualmente. Palabras clave: Metacognición, emociones, motivación, cognición, fenomenología. 2 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 Les apprentissages sont au cœur de notre vie. Quel que soit notre âge ou notre situation, nous découvrons sans cesse de nouvelles choses, que ce soit dans le domaine intellectuel, manuel, sportif ou encore relationnel, pour ne citer que quelques grandes « catégories » d’apprentissage. Dans certaines situations, l’apprentissage semble automatique (sans réflexion consciente et intervention volontaire), dans d’autres, nous faisons appel à des stratégies bien rodées (répétition des chiffres pour retenir un numéro de téléphone par exemple) sans nous poser de questions. Mais dans certaines situations professionnelles, personnelles ou de loisirs, nous ne pouvons relever les défis qui se présentent à nous sans nous engager dans un processus plus conscient de résolution de problèmes. C’est alors que nous nous interrogeons sur la meilleure stratégie à adopter pour atteindre nos objectifs, qu’ils soient à court, moyen ou long terme. Dans ces situations, qui ne se présentent que lorsqu’une tâche n’est pas complètement maîtrisée ou complètement nouvelle (inutile en effet de s’interroger sur la meilleure manière de résoudre soi‐même un problème de physique quantique quand on ne possède aucune connaissance dans ce domaine), nous faisons appel à la métacognition (Weinert, 1987 ; Flavell, 1987). Sur quels éléments portent ces interrogations, ces réflexions sur notre fonctionnement ? Contrairement à ce qui est souvent admis dans la recherche, nous considérerons ici que la métacognition concerne un aspect réflexif qui a pour objet la cognition dans son sens très large de processus de traitement de l’information. Cette information n’étant pas forcément exclusivement conceptuelle ou sensorielle, mais aussi motivationnelle ou émotionnelle. En effet, ce dernier aspect a été historiquement ignoré dans la recherche sur la cognition, et il est désormais bien souvent considéré comme un domaine à part. Certes, les émotions sont des « informations » possédant leurs particularités (tout comme une information visuelle possède les siennes), cependant, ne pas les traiter ou les traiter de manière complètement indépendante sans jamais les intégrer aux modèles cognitifs plus globaux nous semble être une erreur qui fragmente notre compréhension de l’homme, qui n’est ni une machine raisonnante, ni un animal purement régi par l’émotion. C’est malheureusement à ce genre de caricatures qu’aboutissent parfois certains travaux. Grâce aux recherches en neuropsychologie (Damasio, 1999) sur les fonctions exécutives, il apparaît de plus en plus clairement que ce clivage conceptuel n’a pas de sens dans la réalité, les deux dimensions étant intimement liées. Par contre, il reste évident que la compréhension de tel ou tel type précis de cognition enrichit notre compréhension de l’homme de manière globale, les recherches sur des aspects très spécifiques ou plus globaux étant complémentaires. Notre objectif est donc ici d’analyser les liens qui unissent la métacognition à la motivation et aux émotions. Ceci nous permettra de poser un cadre travail plus large pour de futures recherches en métacognition. 1. Qu’est­ce que la métacognition ? C’est donc selon la vision de la cognition développée précédemment que nous allons aborder le concept de métacognition. Comme tout objet de recherche de 3 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 haut niveau, la métacognition est un concept complexe regroupant plusieurs aspects que nous allons détailler plus avant. Depuis les travaux de John Flavell (1976, 1979), celle‐ci est peu à peu devenue un objet d’intérêt croissant dans le monde de l’apprentissage où l’approche exclusivement cognitive montrait ses limites. Flavell pose ainsi les bases du concept de métacognition qui sera ensuite développé et utilisé dans le domaine de la psychologie et de l’éducation. Si la métacognition peut sembler réservée à des situations d’apprentissages « classiques », elle est pourtant mise en œuvre au quotidien dans une multitude de situations de résolution de problèmes par tout un chacun, comme nous l’avons vu précédemment. Regroupant à la fois les connaissances qu’une personne possède sur son propre fonctionnement ainsi que les processus mêmes de suivi et de régulation conscients de l’activité en cours (Gombert, 1990 ; Dunlosky & Metcalfe, 2009 ; Noël, 1997), la métacognition apparaît comme un ensemble regroupant des processus conscients et leurs produits en terme de connaissances. Ainsi, ce concept parfois nommé pensée réflexive se compose d’un savoir et de compétences. Nous allons ici séparer ces deux aspects pour des raisons discursives, mais il ne faut en aucun cas les concevoir comme indépendants et isolés des autres pans de la cognition humaine. a. Le savoir métacognitif Le savoir métacognitif regroupe les connaissances déclaratives et procédurales (et donc conditionnelles) sur la cognition et sur ce qui est susceptible de l’affecter. Ces connaissances sont composées de faits, de croyances et d’épisodes verbalisables et accessibles à la conscience (Flavell, 1979). En outre, comme tout savoir, les connaissances métacognitives sont stockées en mémoire à long terme (Pintrich, Wolters & Baxter, 2000) et peuvent être récupérées suite à une recherche consciente et délibérée, ou être activées automatiquement par des indices présents dans la tâche en cours (Flavell, 1979). Ce savoir va donc regrouper : Les connaissances sur la cognition et les stratégies cognitives : par exemple, savoir que nos capacités mnésiques sont limitées et que la répétition et le regroupement sémantique permettent d’améliorer la mémorisation. Les connaissances des tâches et contextes : par exemple, savoir que l’on n’est pas très bon en mathématiques ou en sport, et que nos capacités dans ces domaines se dégradent lorsque l’on est en situation d’évaluation. Les connaissances de soi : par exemple, savoir que l’on est meilleur joueur de guitare que de piano (différences intra‐individuelles), mais également que notre professeur de guitare a un meilleur niveau que le nôtre (différences inter‐individuelles). Savoir également que l’on est très émotif, ou encore que notre motivation s’affaiblit vite si l’on n’est pas correctement encadré et motivé par des personnes qualifiées. Enfin, il nous faut souligner le fait que ces connaissances et croyances peuvent être inexactes ou encore partiellement activées et donc créer des conflits dans l’apprentissage (Noël, 1997 ; Brown, 1987 ; Romainville, 1993). b. Les compétences métacognitives 4 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 Comme nous venons de l’évoquer, les compétences métacognitives se composent du suivi de l’activité cognitive et de sa régulation volontaire et consciente. Le premier élément appelé également monitoring métacognitif consiste en un suivi conscient de l’activité en cours et de son évaluation. Ce suivi de l’activité cognitive (parfois appelé « veille ») permet de vérifier le déroulement des processus cognitifs et leur pertinence par rapport aux objectifs, aux connaissances métacognitives (par rapport à des situations métacognitives similaires) et à la planification (et plus indirectement par rapport aux motivations). L’autoévaluation fait donc partie intégrante de ce pan de la métacognition et permet par ailleurs de détecter les erreurs. Le monitoring constitue ainsi la colonne vertébrale de la métacognition, puisque c’est sur cette base que vont se construire les connaissances métacognitives, l’ajustement des processus et stratégies ainsi que l’autocorrection. Cependant, les connaissances métacognitives vont également guider et modifier le monitoring selon la situation rencontrée. Si le monitoring implique bien la conscience, les éléments sur lesquels il se base ne sont pas nécessairement tous conscients (Koriat, 2007). En outre, le monitoring n’est pas nécessairement toujours exempt d’erreurs (Nelson, 1996 ; Koriat, 1997 ; Glenberg, Wilkinson & Epstein, 1982 ; Nelson, Gerler & Narens , 1984). Quant à la régulation métacognitive, elle a évidemment pour objectif de réguler les activités cognitives en cours. Cela consiste à poursuivre, à modifier ou à arrêter certains processus cognitifs. Le contrôle implique également la planification des tâches (Brown, 1983) pour atteindre un ou plusieurs objectifs fixés au préalable. Tout comme les processus cognitifs, les objectifs peuvent être réajustés au fur et à mesure, voire même totalement modifiés. Le contrôle métacognitif est souvent rapproché des fonctions exécutives et est constitué d’un ensemble complexe de compétences (Nelson & Narens, 1990 ; Pintrich, 2000 ; Winne & Perry, 2000). Ici aussi, la mise en place d’une régulation adaptée ne peut se faire que grâce à l’activation de connaissances métacognitives, qui vont par ailleurs s’enrichir des nouvelles situations et régulations métacognitives vécues. Les compétences métacognitives sont donc toujours contraintes (au moins partiellement) par les connaissances métacognitives disponibles. Les nouvelles expériences métacognitives et l’exercice de ces compétences vont également enrichir et modifier les connaissances métacognitives. Ces deux aspects de la métacognition sont donc différents mais sont en interaction permanente. 2. Métacognition et apprentissages Au sujet de l’aspect pratique de ce concept, notons que le lien entre métacognition, habileté d’apprentissage (capacité d’acquérir de nouvelles compétences facilement) et capacité à résoudre des problèmes (qui implique l’acquisition de connaissances, mais concerne des domaines très précis comparativement à l’apprentissage, plus général) a été démontré (Kruger & Dunning, 1999 ; Ehrlinger, Johnson, Banner, Dunning & Kruger, 2008 ; Brown, 1987 ; Veenman, 2008).Il reste pourtant difficile d’améliorer les connaissances et les compétences métacognitives par le biais d’entraînements (Romainville, 2000). 5 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 En effet, les remédiations proposées sont souvent limitées à des domaines très spécifiques (Nietfeld, Cao & Osborne, 2006 ; Delclos & Harrington, 1991). Si l’on devait proposer une remédiation plus large basée sur les techniques de remédiation précitées, le résultat, bien que ne recouvrant pas tous les domaines de l’apprentissage, serait un programme fastidieux et lourd pour les apprenants, composé d’un ensemble d’interventions spécifiques. L’approche fragmentaire d’une compétence de haut niveau, même lorsque celle‐ci est, comme ici, composite, ne tient pas réellement compte de l’expérience du sujet, c'est‐à‐dire de la manière dont la situation est consciemment vécue, ressentie et suivie par ce dernier. Dans le cas d’une situation faisant appel à la métacognition ce constat est primordial, comme l’avait déjà souligné Flavell dans ses travaux (1979). C’est à travers nos propres expériences que nous avons la possibilité de prendre conscience de notre avancement dans une activité et de la manière dont nous ajustons notre cognition et notre comportement pour atteindre des objectifs (de manière plus ou moins contrôlée et volontaire). Nous constatons alors que la conscience, ainsi que le fait de prêter attention à notre propre activité, sont au centre du concept de métacognition (McGovern & Baars, 2007 ; Delacour, 1995). Conséquemment, il devient clair que le développement du savoir et des compétences métacognitives implique un aspect plus global de la personne, dans le sens où la métacognition est en lien direct avec un vécu. Ce vécu n’implique d’ailleurs pas nécessairement une objectivité des perceptions et une justesse des évaluations. En effet, chez les personnes moins performantes pour un type de tâche donné, on observe un biais des évaluation métacognitives (Ehrlinger et al., 2008 ; Kruger & Dunning, 1999 ; Koriat, 1997). Ce biais, que nous avons déjà évoqué en détaillant les composantes de la métacognition, possède d’importantes conséquences sur les apprentissages mérite donc que l’on s’y attarde. Avec l’aspect expérientiel, nous abordons le versant phénoménologique de la métacognition, insistant par ce biais sur le fait qu’elle implique l’individu dans sa globalité, que ce soit dans une situation particulière ou par rapport à un ensemble plus large de situations. Il serait évidemment utopique de considérer que l’on pourrait dresser un portrait exhaustif des différents paramètres et caractéristiques qui définissent une situation métacognitive donnée pour une personne en particulier. Pourtant, lorsque l’on prône l’extrême inverse dans les remédiations cognitives (l’enseignement de « study skills », c’est‐à‐dire de stratégies considérées comme étant les meilleures pour un apprentissage donné quel que soit l’individu), les résultats sont assez médiocres, comme le souligne Romainville (1993). Une approche métacognitive plus éclairée que ce soit au niveau pratique ou théorique doit donc prendre en compte la manière dont les individus vivent les situations métacognitives. Ce vécu implique les émotions et les motivations, que nous allons désormais développer. 3. Aspect émotionnel dans les tâches métacognitives Nous avons vu qu’un lien relativement évident, et pourtant souvent ignoré, reliait la sphère émotionnelle à la métacognition. Regardons plus précisément la relation qu’entretiennent ces deux aspects différents et complémentaires. 6 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 Il n’est pas rare d’être perturbé ou motivé par des émotions négatives ou positives lorsque l’on entreprend un travail quel qu’il soit. Même si nous ne ressentons pas en permanence d’émotions fortes, les sentiments ou « humeurs » que les émotions engendrent créent un contexte dans lequel l’apprentissage a lieu, influant ainsi sur celui‐ci (de manière plus ou moins forte et plus ou moins bénéfique). L’émotion est d’ailleurs une des bases de l’apprentissage, comme l’ont entre autres montré les études sur l’apprentissage par association stimulus‐ renforcements, qui se produit par une procédure de conditionnement classique (Rolls, 2007). N’importe quelle tâche d’apprentissage peut être influencée ou modifiée de la même manière par les émotions ou les sentiments. N’est‐il en effet pas plus agréable et motivant d’apprendre de nouvelles choses dans une ambiance amicale et positive que dans une ambiance stressante et délétère ? Cet exemple est volontairement très contrasté pour bien illustrer notre propos, la réalité étant bien heureusement souvent plus subtile et complexe que cela. Pour clarifier davantage notre discours, il nous faut désormais définir plus précisément ce qu’est l’émotion. a. Emotion et Sentiment Une définition classique de l’émotion selon Scherer et Sangsue (2004) est la suivante : « réaction organisée et utile à une situation donnée ». Selon ces mêmes auteurs, le sentiment est l’aspect conscient d’une émotion et naît de l’association de l’évaluation inconsciente, de l’évaluation consciente et de la verbalisation des autres aspects de l’émotion. On est donc ici dans un processus d’évaluation. Cette « réaction organisée » qu’est l’émotion possède plusieurs ainsi plusieurs composantes : l’expérience subjective, la réponse physiologique et les réactions expressives et comportementales (Hess, 2004 ; Kappas & Descôteaux, 2004). Selon Philippot (2004), l’interaction entre cognition et physiologie est d’ailleurs nécessaire pour que naisse la facette phénoménale de l’émotion. Cette dépendance entre cognition et physiologie n’est pas anodine et doit être considérée comme riche et complexe. En d’autres termes, nous pouvons dire qu’en amont, l’évaluation émotionnelle d’une situation par des processus cognitifs implicites et explicites est nécessaire au déclenchement des réponses physiologiques de l’émotion. Cependant, il ne faut pas oublier qu’en aval, l’interprétation des sensations corporelles diffuses détermine en partie l’intensité et la qualité du sentiment, et donc l’évaluation de la situation contemporaine à ce sentiment. Pour revenir à la manière dont l’émotion influence d’autres aspects psychologiques de l’individu, intéressons‐nous aux fonctions de l’émotion. Selon Rolls (2007), les émotions permettent entre autres choses de susciter la motivation et de favoriser la mémorisation et le rappel. Le lien entre émotions et mémoire souligne leur influence directe sur les apprentissages. Par ailleurs, d’autres auteurs (Efklides & Petkaki, 2005) démontrent que les émotions (positives ou négatives) influencent le vécu des expériences métacognitives : l’effort ressenti pendant la tâche, la satisfaction et la difficulté de la tâche sont directement liés à l’humeur dans laquelle se trouve l’apprenant au moment de la réalisation de celle‐ci. De même, la confiance en ses productions et l’estimation de 7 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 l’exactitude des performances (monitoring) s’effectue en fonction des connaissances métacognitives, mais non sans l’influence importante de l’humeur, des émotions et surtout des sentiments de l’individu. b. Emotion et Métacognition Pour continuer, analysons de manière plus détaillée le lien entre la sphère émotionnelle et la sphère métacognitive. Tout d’abord, la régulation de l’émotion constitue une composante essentielle du processus émotionnel. Elle implique que l’individu ne se « contente » pas simplement d’éprouver des émotions, mais également qu’il intervienne sur l’expérience émotionnelle (de manière automatique ou volontaire), et ce grâce à des processus de suivi (monitoring) et de contrôle. Ainsi les émotions peuvent par exemple être inhibées, amplifiées, ou encore modifiées dans leur expression (Ricci Bitti, 2004). La régulation des émotions peut se situer sur le plan comportemental, expressif, ou encore sur le plan du ressenti, c’est‐à‐dire l’expérience subjective de l’émotion. Nous pouvons donc ici réaffirmer que les émotions peuvent être le sujet d’un traitement métacognitif, même si elles sont bien souvent régulées de manière automatique. À l’inverse, les expériences émotionnelles ont un impact à plus ou moins long terme sur les connaissances métacognitives : elles participent à la modification des théories implicites sur le monde, les autres et soi‐même (Rimé, 2004). Pour résumer, nous pouvons dire que les connaissances métacognitives sont régulièrement remodelées par les expériences émotionnelles (dans une mesure plus ou moins importante à chaque fois). La mémorisation de ces expériences émotionnelles permet en outre à l’individu de se forger des outils précieux d’anticipation et d’adaptation, immédiatement disponibles lorsqu’un souvenir et les informations pertinentes associées sont réactivés par le contexte. L’émotion et le sentiment sont donc également des activateurs de connaissances métacognitives très efficaces. Cette influence importante et très souvent implicite de l’émotion sur la métacognition, peut être très avantageuse dans certains cas, mais peut aussi freiner une démarche métacognitive constructive et adaptative dans certains cas : la métacognition des émotions est alors un passage indispensable pour optimiser les conditions et les résultats d’un apprentissage. Hudlicka (2005) précise d’ailleurs dans son modèle que les émotions, dans une situation métacognitive, émergent en rapport avec la génération d’attentes et la fixation d’objectifs. Cela les situe comme partie intégrante du processus de décision et d’évaluation métacognitive, même si elles peuvent bien entendu être régulées et soumises à d’importantes variations d’une situation et d’un individu à l’autre. Il apparaît alors évident que les émotions, leur monitoring et leur régulation, ont également un impact sur la motivation des individus à s’impliquer ou non dans telle ou telle activité. Si les émotions peuvent engendrer de la motivation, leur effet sur la composante « monitoring » de la métacognition n’est pas forcément positif, dans le sens d’une plus juste perception de son propre fonctionnement. Dans le pire des cas, elles peuvent même entraîner une sous‐évaluation ou une sur‐évaluation de ses propres performances. Mais n’oublions pas que les émotions sont avant tout « utiles » pour l’individu dans la plupart des cas non 8 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 pathologiques (protection de l’image de soi, situation apprise d’évitement, etc.). En clair, celles‐ci ont un impact important sur la sphère métacognitive, et il convient donc de ne pas les négliger. Ces deux aspects du fonctionnement d’une personne peuvent s’alimenter et être bénéfiques l’un pour l’autre mais aussi parfois néfastes. 4. Motivations et apprentissages Nous l’avons vu, l’émotion possède d’intimes liens avec la métacognition, tout comme la motivation dont il nous faut préciser les contours. Ce domaine étant au moins aussi complexe que celui de métacognition, nous n’entrerons pas dans tous les détails et subtilités de celui‐ci, mais nous le présenterons brièvement afin de souligner ses liens avec les deux autres concepts abordés dans cet article. La motivation se définit comme un construit hypothétique utilisé pour décrire les forces intérieures et/ou extérieures qui engendrent l’initiation, la direction, l’intensité et la persistance du comportement (Vallerand, Carbonneau & Lafrenière, 2009). Elle peut varier en intensité, mais aussi en orientation/type (Ryan & Deci, 2000). La motivation peut être de type intrinsèque (réaliser une activité pour le plaisir inhérent à celle‐ci), extrinsèque (faire quelque chose pour atteindre un but détaché de l’action : la réalisation de l’activité n’est qu’un moyen pour atteindre indirectement un objectif) ou absente (amotivation). Ces différents types de motivation peuvent évidemment se manifester de concert pour une seule et même activité (ex : faire du sport pour le plaisir de faire du sport, mais également pour améliorer sa santé ou ses performances physiques) et évoluer au cours du temps (ex : on peut faire une activité par obligation sociale et finir par y prendre du plaisir, ce qui modifie alors la dynamique motivationnelle de l’individu). Outre les différents types de motivation, on distingue plusieurs manières de réguler celle‐ci (Vallerand et al., 2009 ; Ryan & Deci, 2000). Lorsque la motivation est intrinsèque, la régulation l’est aussi. Ce premier type de régulation est plutôt automatique et liée au plaisir inhérent à la réalisation de la tâche concernée. En ce qui concerne la motivation extrinsèque, la régulation est soit externe (maintien de la motivation afin d’obtenir une récompense ou éviter une punition), introjectée (contingences externes qui ont été partiellement intériorisées dans le soi ; comportements pour éviter la honte ou rehausser l’estime de soi), identifiée (comportement émis par choix permettant d’atteindre des buts valorisés), ou intégrée (forte identification et intégration congruente avec les valeurs et les buts de l’individu). Enfin, dans le cas de l’absence de motivation, aucune régulation n’est mise en place. Il y a donc présence d’un continuum qui va d’une absence de motivation à un comportement plus autonome et auto‐régulé. Les régulations identifiées, intégrées ou intrinsèques de la motivation aboutissent notamment à de meilleurs performances et un apprentissage de meilleure qualité pour des tâches complexes (Ryan & Deci, 2000 ; Gagné & Deci, 2005). Cet aspect de l’individu en apprentissage est donc incontournable. Ajoutons à ceci que des stratégies de régulation conscientes plus opérationnelles peuvent être mises en place pour réguler plus précisément la motivation pour une tâche particulière (Wolters, 2003). Nous constatons alors 9 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 que la motivation nécessite d’être régulée pour être maintenue, et ce en fonction d’objectifs bien précis. Consnefroy (2009 : 101) précise d’ailleurs à ce sujet : « Il est capital de recevoir un feedback sur l’action en cours. En l’absence de cette information, il devient très difficile d’ajuster la direction ou la quantité d’effort pour atteindre le but fixé. Plus encore, le feedback a un véritable effet motivationnel : lorsque les personnes s’aperçoivent qu’elles sont en deçà de leur but elles vont augmenter l’effort pour l’atteindre. La recherche active d’un feedback est associée à la qualité des performances. » Nous voyons dès lors mieux en quoi la métacognition constitue une dimension intimement liée à la motivation, plus précisément lorsqu’il s’agit de réguler cette motivation de manière relativement consciente au cours de la réalisation d’une tâche. Ainsi, le monitoring métacognitif constitue un outil sur lequel la motivation, en tant qu’ensemble de cognitions, se construit ou se déconstruit. Brunel, Chantal et Shiano‐Lomoriello (2009 : 269) ajoutent d’ailleurs à ce sujet que « la compétence perçue est considérée comme ‘la pierre angulaire’ de la motivation. ». Ils précisent de surcroît que cette évaluation peut engendrer un investissement soutenu dans la tâche (si l’individu se sent efficace) ou à l’opposé un détournement de l’attention intermittent qui peut aller jusqu’à un désengagement total (si l’individu considère ses compétences médiocres et ressent des émotions négatives conséquemment à cette autoévaluation). Zimmerman (2002) rejoint ces constats en précisant que la motivation est régulée sur la base du monitoring de ses propres forces et limitations, et grâce à l’évaluation des comportements en fonction des objectifs (efficacité). Chez les apprenants à l’autorégulation efficace, cela permet le maintien voire l’augmentation de la motivation. La motivation varie en outre en fonction des contextes et des contenus. Elle peut ainsi être différente selon les situations et les domaines (le sport, les études, le travail, etc.). Enfin, les individus se distinguent par la forme la plus stable de leur motivation qui constitue un aspect de leur personnalité. C’est l’orientation motivationnelle globale ou générale, la tendance à interagir avec l’environnement selon un mode intrinsèque, extrinsèque ou amotivé. Au cours du temps, la motivation à ces différents niveaux est bien entendu susceptible d’évoluer. Les domaines sur lesquels la motivation a un effet sont principalement de nature cognitive (ex : attention & mémoire), affective (ex : plaisir, intérêt, émotions, satisfaction) et comportementale (choix d’action, persistance dans l’activité et performance par exemple). Pour résumer, la motivation possède donc, par rapport à la métacognition, deux facettes. Premièrement, elle peut être un objet métacognitif, en étant sujette à une régulation et un suivi, c’est‐à‐dire faire appel aux compétences métacognitives. Elle participe également à la constitution des connaissances métacognitives qui possèdent un aspect motivationnel : savoir quelle est notre motivation en fonction du contexte. Deuxièmement, la motivation peut influencer la métacognition en modulant la qualité et le recrutement des compétences et des connaissances métacognitives. Ainsi, comme l’émotion, elle est à la fois objet de 10 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 régulation et de connaissance métacognitive et facteur d’influence de toute activité impliquant la métacognition. 5. L’apprenant : un individu motivé, éprouvant des émotions et régulant ses propres activités Nous venons de le voir, les émotions, les sentiments qu’elles génèrent et les motivations sont des éléments dont l’interaction avec la sphère métacognitive sont incontestables au niveau autant pratique que théorique. En tant que cognitions, ces éléments peuvent faire appel à la métacognition pour être suivis ou régulés (avec des types de régulation différents bien entendu), et constituent autant d’éléments à partir desquels un individu va forger des connaissances et des croyances sur son propre fonctionnement et celui des autres. Cependant, n’oublions pas que la métacognition n’intervient pas dans toute tâche impliquant les émotions et les motivations. Leur régulation peut effectivement être automatique et un retour réflexif ne s’effectue bien entendu pas en permanence sur toutes nos émotions et toutes nos motivations. Lorsque l’objet métacognitif est une perception, un concept, ou encore un produit issu de raisonnements ou de réflexions, la motivation continue d’influencer l’activité en cours, tout comme l’émotion et le sentiment. Elles modifient cette activité en énergie, en force et en qualité en modifiant l’activation des compétences et des connaissances métacognitives ainsi que leur expression. La motivation peut activer certaines connaissances ou croyances métacognitives au détriment d’autres. Ainsi, elle pourra par exemple activer le minimum de connaissances requises à la réalisation d’une tâche lorsque la motivation est faible et plutôt extrinsèque, l’objectif n’étant alors que de produire un résultat tout juste acceptable. Dans le cas d’une motivation plutôt intrinsèque et importante, même pour une tâche assez nouvelle, un maximum de connaissances seront activées pour optimiser les chances de résoudre le problème qui se pose alors. De même, lorsque l’on se trouve dans une humeur plutôt négative, les connaissances et croyances activées peuvent avoir tendance à nous faire aborder une situation de manière défaitiste, même si la réalité des faits est tout autre et que nous disposons de connaissances plus réalistes et optimistes au niveau de l’atteinte de notre objectif, et qui ont été confirmées et utilisées plus fréquemment. A l’inverse, nous l’avons déjà évoqué, une humeur très positive pourra susciter une métacognition globalement trop optimiste. Si les émotions peuvent aboutir à une activation fragmentaire des connaissances métacognitives, il est également possible qu’elles aient un effet déformant sur celles‐ci, exagérant alors l’importance d’un échec ou d’une réussite précédente et des éléments qui sont nécessaires à l’accomplissement d’objectifs. Cette relation entre métacognition, émotions et motivation n’est pas à sens unique : la métacognition peut modifier la motivation et les sentiments ressentis en cours de tâche sans pour autant les réguler directement. Les objectifs, la force et même le type de motivation sont ainsi susceptibles d’évoluer grâce aux éléments recueillis et produits par les compétences métacognitives. De la même 11 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 manière, les émotions et l’expérience consciente de celle‐ci peuvent évoluer en fonction de l’activité métacognitive. Cet impact automatique (c’est‐à‐dire non consciemment contrôlé) de la métacognition va bien sûr se produire au moment de la réalisation d’une tâche, mais également plus tard, en agissant sur la formation de souvenirs et de connaissances métacognitives. Il apparaît désormais clairement que la métacognition, les émotions et les motivations sont en interaction permanente de trois manières différentes (figure 1) : Émotions, sentiments et motivations en tant qu’objets des métacognitions : suivis, régulés et intégrés aux connaissances métacognitives. Émotions, sentiments et motivations comme facteurs qui influencent toute activité métacognitive de manière directe et automatique (inconsciente). Émotions, sentiments et motivations comme domaines évoluant en fonction des produits et de l’activité métacognitive (lien automatique et inconscient). Figure 1 : Lien entre Métacognition, Motivation et Emotions. Ces trois domaines interagissent entre eux de manière directe. Les émotions et les sentiments influencent la motivation et la métacognition, tout en étant influencés par les motivations et l’activité métacognitive. Ce rapport de force existe entre les trois 12 Bastien Wagener, Christophe Boujon, Benoît Fromage, International Psychology, Practice and Research, 1, 2010 domaines évoqués ici. Par ailleurs, la métacognition régule l’activité cognitive (de manière partielle et non permanente), constituée de processus cognitifs (figurés par l’ensemble de chevrons) portant sur des « objets cognitifs » dont la nature est très variable. Ainsi les émotions, sentiments et motivations sont également susceptibles d’être des objets de la cognition régulés par la métacognition. On peut dès lors se demander comment se déroulent les apprentissages, lorsqu’on les analyse selon les éléments que nous venons de développer. Pour illustrer notre propos, nous avons travaillé à partir des travaux de Rheinberg, Vollmeyer et Rollett (2005) sur la motivation d’apprentissage et de Romainville (1993) sur la métacognition (figure 2). Un apprentissage est motivé par des facteurs personnels antérieurs à la situation (FP) qui vont rentrer en interaction avec celle‐ci (FS), créant ainsi le contexte de base de la situation d’apprentissage (facteurs interactifs). Ce dernier va susciter des sentiments, activer la métacognition et permettre la fixation d’objectifs. La motivation intégrant ces objectifs va exercer une influence importante sur l’activité cognitive qui constitue le cœur de la tâche d’apprentissage. Enfin, les résultats intermédiaires ou finaux de l’apprentissage vont influencer l’activité et sa régulation tout comme le contexte d’origine grâce au monitoring. Le découpage schématique en étapes proposé ici ne doit pas faire perdre de vue l’aspect profondément dynamique et intégré du fonctionnement cognitif et psychique de l’apprenant. Cette illustration nous permet de mieux comprendre la dynamique des différents éléments évoqués ainsi que leur rôle primordial. Comme Rheinberg et al. (2005), nous pensons que ce type de représentation schématique possède avant tout un intérêt pour organiser la recherche sur les apprentissages et les situations métacognitives. L’identification de différentes étapes et de différents modules permet de travailler sur un aspect spécifique du comportement tout en s’intéressant aux interactions de celui‐ci avec les autres sphères du fonctionnement de l’individu. En outre, nous pensons que ce type d’approche permet une analyse qualitative directe plus exhaustive de la situation, analyse qu’il s’agira de compléter avec d’autres outils comme par exemple l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2006), qui permet d’obtenir des éléments sur le vécu du sujet, c’est‐à‐dire sur l’aspect phénoménologique dont nous avons souligné l’importance au cours de cet article. 13