Ergonomie, humanitude et organisation du travail

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Ergonomie, humanitude et organisation du travail
Benoit Zittel, Sylvain Biquand
Abstract
Increased lifespan in western societies causes the increase of hospitalization in the old age, notably for patient
showing forms of dementia including Altzheimer disease. These patients relate poorly to care givers and nurses,
and cases of ill-treatment have repeatedly been reported. To prevent abuse and increase patient’s quality of life,
Gineste and Pelissier (2005) proposed a philosophy of care based on the Humanitude concept. Acknowledging
that being human is being vertical and related to other humans, the pillars of Humanitude are gaze, touch, talk,
and standing. These modes of relation are systematically developed in care giving techniques derived from the
concept.
After several studies in geriatric hospitals, to assess psychosocial and ergonomic aspects of work, we present
an analysis of the gap between the logic of human care and the logic of hospital organization, impacting
employees work conditions and psychological welfare. Care giving is not only a “one to one” relation with the
patient but needs to be integrated in the whole organization. Psychologists and ergonomists should be
instrumental in defining the project and the organization linking human care giving towards the patients and
better work conditions for healthcare employees.
Résumé
C’est dans le cadre de nos interventions dans les secteurs de la gériatrie que nous avons souhaité développer
une réflexion sur la mise en perspective des théories de l’humanitude et le point de vue de l’ergonomie. Quels
sont les logiques de prises en charge des personnes âgées leurs mises en œuvres et leurs impacts sur les
conditions de travail ?
Nos observations et entretiens réalisés avec les personnels soignants et non soignants soulignent l’expression
d’un ressentit du travail partagé : un mal être au travail au travers d’un système de soin qui essaye d’évoluer vers
l’humanitude malgré des logiques de fonctionnement et de financement de plus en plus restreintes.
Nous voulons montrer comment l’ergonomie et le point de vu du travail peut accompagner une institution dans
la mise en œuvre de cette humanitude.
Nous nous sommes également appuyé sur les écrits de Yves Gineste & Jérome Pellissier co-auteurs du livre
Humanitude.
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s’inscrit dans une posture de dépendance effective ou
à venir, volontaire ou imposée.
Méthodologie sur le terrain :
L’Ehpad devient ou fini par devenir la dernière
demeure. Il s’agit là d’une véritable rupture avec la
vie de la personne. Cela pour quatre raisons :
Notre réflexion se construit autour du livre
« humanitude » et de nos interventions sur une dizaine
d’établissements EHPAD. Les demandes étaient des
diagnostics des conditions de travail et évaluation du
risque psychosocial avec accompagnement.
Notre méthodologie croisée vise l’analyse du travail
(analyse documentaire, entretiens individuel et
collectifs, observations).
La rupture du lien sociétal vers la construction d’un
lien communautaire autour des autres résidents et du
personnel de l’établissement. La vie se construit en
dedans de l’établissement. Les sorties sont rares et
fonction de la dépendance.
Constat (ce qu’on observe)
La rupture du lieu de vie lui-même car l’on passe de
la maison au lieu spécialisé, médicalisé où le résident
est confronté aux autres qui sont autant de projection
du devenir et de la fin de vie.
Nos observations et entretiens réalisés avec les
salariés soulignent l’expression d’un ressenti du
travail partagé : un mal être au travail dans un
système de soin qui essaye d’évoluer vers des
logiques relationnelles type humanitude malgré des
logiques de fonctionnement et de financement de plus
en plus restreintes.
L’Ehpad est un lieu partagé, communautaire où les
espaces d’intimités sont restreints voire inexistants.
En effet, même si la chambre est individuelle et
personnalisée, le résident ne peut empêcher le
médecin, l’aide soignante ou l’ASH de rentrer pour
réaliser son travail.
L’Ehpad est un établissement professionnel qui
s’impose aux résidents. La vie se construit autour
d’un compromis entre les contraintes professionnelles
et la gestion du collectif.
« J’aime mon métier et les personnes âgées, mais je
n’arrive plus à le faire dans de bonnes conditions ».
« J’ai le sentiment de ne pas pouvoir faire mon métier
comme je le devrais ».
Nos expériences montrent que les établissements
sont en général bien équipés et que le personnel a ou
est cours de formations gestes et posture et
humanitude. Les plaintes ne sont pas majoritairement
centrées sur les manipulations ou les contraintes
physique. Elles sont d’ordre organisationnelles et
psychosociales.
La logique de l’humanitude
« L’Humanitude » ( Yves Gineste & Jérome
Pellissier) est le parfait exemple des nouvelles
philosophies de prise en charge des personnes âgées
et devient incontournable pour répondre aux
obligations de bien traitance. Elle est: « Une
philosophie de soins : qui puisse lier science et
conscience ; qui nous interroge sur ce qu’est une
relation de prendre-soin entre des personnes. Pour ne
jamais oublier ces précieuses caractéristiques qui
permettent un homme de se sentir humain et de rester
humain dans le regard de ses semblables. » La « mise
en humanitude » se construit autour du regard, la
parole et le toucher. De plus, tout acte de soin ne peut
se réaliser avant une étape préalable permettant
d’instruire la relation et le lien social entre le soignant
et le patient.
Interprétation
La prise en charge: vieillesse et institution
« Le vieillissement est un processus graduel et
irréversible des modifications des structures et des
fonctionnements de l’organisme résultant du passage
du temps. »
Les changements commencent à se faire sentir à
partir de 35-40 ans et restent généralement minimes
jusqu'à 60 ans, baisse des capacités motrices mais
aussi augmentation des modes de régulations
intellectuels et physiques.
Le processus de vieillissement vari en fonction des
individus et il y a une inégalité d’espérance de vie
selon le parcours de chacun.
Le processus qui nous concerne est celui qui conduit
un individu dans un établissement spécialisé pour le
prendre en charge et l’accompagner pour la fin de vie.
L’Humanitude souligne également les efforts pour
maintenir l’autonomie de la personne âgée. Le corps
est un organe dynamique qui se renforce dans le
mouvement et la perte de se mouvement favorise sont
dérèglement et son déclin. Prendre-soin ne peut
dissocier le technique du lien social et relationnel car
le dialogue et le maintien du mouvement réussissent
là ou le technique échoue.
L’arrivée dans une maison de retraite signifie
l’incapacité signifiée et/ou réelle d’un individu à
s’assumer seul. Dans l’ensemble des cas, la personne
2
L’organisation de la prise en charge (soins, et
hôtelier)
Cet écart est générateurs de souffrance et de mal être
au travail. C’est une niche pour le risque psychosocial
car il met en jeux des sentiments de non
reconnaissances,
de
non
satisfactions
professionnelles, des injonctions contradictoires.
Le premier aspect est l’impact d’une organisation
hiérarchique du soin très bien définie où le médecin
est en haut de la pyramide et le seul habilité au
diagnostic et traitement. Vient ensuite l’infirmière
pour réaliser la prescription et enfin l’aide soignante
pour tous les soins d’hygiènes autour du patient.
« J’ai le sentiment de ne pas pouvoir faire mon
travail comme je le devrais »
« Le soir quand je pars, j’ai le sentiment de ne pas
avoir fini »
« Quand sa sonne, des fois je n’y vais pas car je sais
que je n’ai pas le temps »
Il s’agit là d’une organisation descendante du soin et
de la prescription. Cette organisation s’illustre très
bien lors des transmissions. Il y a le premier cercle,
représenté par l’ordinateur (support mémoire et
traçabilité), le deuxième cercle représenté par les
infirmières qui échangent entres elles, le troisième
cercle composé des aides soignantes. Très souvent,
l’information va circuler du dernier cercle jusqu'au
premier et finalement rarement vers l’inverse.
Ce n’est pas le manque de formation, d’outils ou de
motivation qui nous remonte, mais le sentiment d’un
manque de temps et d’incapacité à réaliser le travail
selon les règles de l’art. Le personnel évalue sa
situation de travail comme ne lui permettant pas de
réaliser l’ensemble des tâches dans le temps qui lui est
impartie et surtout telles qu’il devrait les réalisées.
Notons également qu’il manque ici un dernier cercle
constitué du personnel non soignant rarement ou pas
présent dans la boucle des transmissions et de soins.
Cette situation pose question, car pourquoi la la
nécessité de bien traitance devient un facteur de
dégradation des conditions de travail et de souffrance,
alors quelle enrichie le sens du travail ?
Le temps dédier aux questions hors médicothérapeutiques est extrêmement restreint et surtout
non prévu par les temps de transferts des équipes et
les institutions.
Une situation de travail dégradé s’inscrit dans un
processus où la personne n’arrive pas ou difficilement
à gérer ce qu’on lui demande. Elle va se mettre en
situation de tension donc de stress perçu.
Alors comment les établissements mettent-ils en
place l’humanitude si les organisations de travail, le
fonctionnement de l’institution et les relations inter
service ne sont pas dans une gestion transversale de
cette posture ?
Le deuxième aspect est un fonctionnement des
organisations du travail dissociant les soins, des
prestations hôtelières et d’animations. Pourtant IDE,
AS et ASH sont dépendants et leurs activités sont
étroitement imbriquées.
En soit, cette inter dépendance est un élément
difficile à organiser mais ce qui ressort, c’est un
défaut de coordination, d’anticipation du travail. Les
services coopèrent, mais ne sont pas, d’un point de vu
organisationnel, des collaborateurs, co-acteurs des
soins.
Ce sera donc l’affaire de chacun d’assumer la mise
en œuvre de l’humanitude dans son travail. Institution
assumera la formation de ce qu’est un comportement
« humanitude ». L’humanitude devient plus une
question de comportements individuels qu’une
logique organisationnelle. Le salariés est évalué sur
son comportement dans son activité de travail sans
que l’organisation mette en œuvre les moyens
institutionnels et organisationnel pour.
Conclusion
Pourtant toute personne intervenant dans une maison
de retraite est confrontée à « l’humanitude », les
projets de soins sont unanimes. Toutes les professions
dans un Ehpad sont et participent la relation de prise
en charge du résident.
Même si la dimension comportementale est
essentielle, l’acte de soin s’inscrit dans l’interaction
de plusieurs activités de travail. La dimension
organisationnelle, la pluridisciplinarité sont donc
fondamentales dans l’acte car elles vont permettre de
réguler des tensions, d’informer, d’anticiper sur le
travail.
Force de constater qu’il est difficile de sortir de la
notion technique du soin et difficile d’y intégrer la
pluridisciplinarité.
La reconnaissance institutionnelle de la bien
traitance a relevé le niveau d’exigence des pratiques.
Cependant, il y a un écart entre cette nouvelle
prescription du travail et la réalité des pratiques intra
et interprofessionnelles.
La « bien traitance » ne peut pas être qu’une relation
entre un individu et un résident. Cela s’inscrit dans un
processus collaboratif et transversal de l’ensemble de
l’institution développant des moyens fonctionnels et
organisationnels pour faciliter cette relation. Il faut
Souffrance au travail et conflits de logique
3
donc interroger les mécanismes qui permettent aux
personnels de gérer leur activité de travail et de
construire l’humanitude.
Il est dès lors important d’amener les établissements
sur les actions suivantes :
-­‐ L’importance de la réflexion et de la
formalisation dans les statues et projets
d’établissements de la méthodologie et des
moyens mis en œuvres pour construire la
prise en charge en intégrant l’ensemble des
métiers de l’institution.
-­‐ La valorisation d’une logique d’encadrement
bicéphale (soins et hôtelier). L’organisation
du travail devient une collaboration.
L’humanitude est plus qu’une simple histoire
d’homme mais aussi une question d’organisation. Les
enjeux d’une logique de soins pluridisciplinaire sont :
! Offrir la possibilité à l’ensemble du
personnel de se reconnaître dans ce qui fait
sens : le maintien de l’humanitude des
personnes âgées.
! Ouvrir des leviers dans la régulation des
charges de travail.
! Instruire une culture d’entreprise facilitatrice
de l’intégration des nouveaux salariés
La mise en œuvre de cette politique
pluridisciplinaire et gestion transversale de la prise en
charge passe aussi par l’évolution du rôle des métiers
de la psychologie et l’ergonomie vers l’animation et
l’accompagnement des projets d’établissement et leur
mise en œuvre.
L’idée est de permettre de redonner du sens à la
prise en charge du résident, non pas sur les actions
purement individuelles, mais sur le travail d’un
collectif qui ensemble devient le garant de la mise en
humanitude. Cela implique, de donner la
reconnaissance du soin aux métiers annexes aux
soignants. Le collectif devient alors un organe de
concertation, d’anticipation et de régulation.
Il faut également réinterroger les mécanismes de
prise en soin et positionner la pluridisciplinarité au
centre du système. Cela veut dire, intégrer les autres
acteurs non soignant dans la coordination et
l’organisation des soins.
Biblio
Nous nous sommes également appuyé sur les écrits
de Yves Gineste & Jérome Pellissier
co-auteurs du livre Humanitude.
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