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Depuis trente ans, nous assurons
des formations de soin auprès
d’équipes soignantes. Lors de ces
stages, nous effectuons tous les jours
les soins de base auprès des patients
réputés les plus difficiles et choisis
par les équipes: patients rétractés,
opposants, souffrants, grabataires
et autres. L’observation systématique
des pratiques habituelles nous a
démontré l’importance de la rela-
tion dans ces soins extrêmes. Nous
avons étudié chaque composante de
cette relation, en créant de nombreux
outils en matière de nursing, de
mobilisation, de réhabilitation, d’or-
ganisation des services, et nous
mesurons leurs impacts lors de
nombreuses études.
Parmi les 150 techniques de soin
élaborées, nous décrivons ici la Cap-
ture sensorielle®. Bien que cette tech-
nique de relation s’adresse à tous les
types de patients, elle est particu-
lièrement nécessaire et performante
auprès des personnes atteintes d’un
syndrome cognitivo-mnésique.
Toutes ces techniques sont en
lien direct avec la Philosophie de
l’Humanitude®et constituent avec
elle la Méthodologie de soin Gineste-
Marescotti®.
L’observation et les constats
Il nous paraît essentiel de préci-
ser que cette technique est née du
terrain, de l’observation, de la pra-
tique, des modifications perma-
nentes que nous avons menées au
cours de plus de vingt mille soins,
de l’analyse des échecs et des ten-
tatives de compréhension des réus-
sites. La théorie n’est venue qu’ex-
pliquer les résultats observés.
En 1982 et 1983, nous lançons
une étude sur les temps de commu-
nication verbale dans les services
gériatriques. Parle-t-on aux vieillards
«grabataires», à ceux atteints d’un
syndrome d’immobilisation, aux
«déments séniles» qui ne commu-
niquent plus?
Pendant deux ans, avec l’accord
des équipes observées, nous pla-
çons des magnétophones à déclen-
chement vocal pour enregistrer sur
24 heures tous les mots qui s’adres-
sent à ces adultes âgés. Nous mesu-
rons ainsi qu’à l’époque, dans ce qui
s’appelait l’hospice, un grand vieillard
ne reçoit que 120 secondes de mots
par 24 heures…
La relation passe par des piliers: regard, toucher, parole. Ces piliers, naturels dans une relation qui se passe bien, disparais-
sent lors des soins difficiles aux Hommes très vieux. La Méthodologie de soin Gineste-Marescotti®propose des outils profes-
sionnels de soins relationnels d’acquisition de ces piliers – regard de mise en humanitude, Toucher-tendresse®, auto-feed-
back– actualisés dans une séquence de soin appelée Capture sensorielle®, composée de quatre étapes: les pré-préliminaires,
les préliminaires, le rebouclage sensoriel, la consolidation émotionnelle. L’application de la Capture sensorielle®évaluée lors
d’études scientifiques permet de transformer 83 % des soins difficiles en soins apaisants1.
MOTS CLÉS: Alzheimer – Humanitude – Soins relationnels – Communication.
SENSORIAL CAPTURE IN THE METHODOLOGY OF GINESTE-MARESCOTTI® CARE: AETIOLOGY OF TOOLS BASED
ON RELATIONSHIPS IN DIFFICULT CARE SITUATIONS
Relationships involve three main features: sight, touch, speech. These three features are natural in a good relationship, but
disappear in the difficult care of the very elderly. The methodology of Gineste-Marescotti®care proposes professional tools in
the field of care based on relationships enabling the 3 features to be achieved – sight in a human context, Toucher-tendresse®
(affectionate touch), auto-feedback – updated in a sequence called sensorial Capture®comprising four phases: pre-prelimina-
ries, preliminaries, restoration of sensorial capacity, emotional consolidation. Application of sensorial Capture®has been eva-
luated in scientific studies that have demonstrated that in 83% of difficult cases, care becomes soothing.1
KEY WORDS: Alzheimer’s disease – Human approach – Care based on relationships – Communication.
RÉSUMÉ/ABSTRACT
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Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer
La Capture sensorielle dans
la Méthodologie de soin Gineste-
Marescotti®: éthologie des outils de
la relation dans les soins difficiles
YVES GINESTE1, ROSETTE MARESCOTTI2
1. DIRECTEUR DE FORMATION, CO-AUTEUR DE LA PHILOSOPHIE DE SOIN DE L’HUMANITUDE ET DE LA MÉTHODOLOGIE
DE SOIN GINESTE-MARESCOTTI. CO-AUTEUR DU LIVRE HUMANITUDE (ÉDITIONS ARMAND COLIN, 2007).
2. DIRECTRICE CEC-IGM-FRANCE, CO-AUTEUR DE LA PHILOSOPHIE DE SOIN DE L’HUMANITUDE ET DE LA MÉTHODOLOGIE
DE SOIN GINESTE-MARESCOTTI.
Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer
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C’est une prise de conscience
capitale qui va orienter nos
recherches: ces soignants volontaires
pour participer à cette étude ne sont
pas de mauvais soignants, au
contraire, ils sont persuadés de par-
ler, mais ne le font pas: ce qui est
naturel, c’est de se taire. Il devient
alors nécessaire, si l’on estime que
la relation verbale est importante quel
que soit l’état cognitif d’une personne
en soin, de professionnaliser la rela-
tion, d’élaborer des techniques pré-
cises, et de s’y entraîner. Nous créons
le premier outil, l
auto-feed back
, et
mesurons alors qu’il faut entre six
mois et deux ans pour qu’il soit tota-
lement maîtrisé par les soignants.
Et nous constatons avec ces équipes
que les temps de communication ver-
bale directe passent entre 8 et 12
minutes par 24 heures, avec comme
résultat la disparition quasi totale
des syndromes d’immobilisation…
D’autres études viendront confir-
mer nos observations, dont celle de
2004 auprès d’un patient atteint de
la maladie d’Alzheimer en stade final,
rétracté, opposant aux soins, qui ne
reçoit que moins de 30 secondes de
communication verbale par jour.
La communication se basant prin-
cipalement sur les regards, la parole
et le toucher, nous avons étudié ces
piliers relationnels et avons élaboré
des techniques pour répondre aux
objectifs recherchés. Pour le regard,
nous avons mesuré, toujours pour
les mêmes types de pathologies et
d’états de dépendance, une dizaine
de regards par jour. Au lieu de plu-
sieurs milliers que nous recevons
chaque jour. Pour le toucher, la vie
de ces résidents très handicapés est
basée sur des touchers de mobili-
sations difficiles, de nursing, des tou-
chers utiles et invasifs, difficiles à
recevoir, très rarement ressentis
comme des touchers validants.
La Capture sensorielle®va donc
reprendre les modes de relations
positives entre les humains et pro-
fessionnaliser cette relation afin de
tenter d’éviter les pièges majeurs
tendus par la grande vieillesse, la
différence, la peur de la mort ou de
ressembler à celui dont nous pre-
nons soin.
Cette démarche typiquement
éthologique nous a permis d’identi-
fier quatre étapes distinctes dans la
relation: les pré-préliminaires, les
préliminaires, le rebouclage senso-
riel, la consolidation émotionnelle.
Pour faciliter la compréhension, nous
allons comparer une situation de la
vie courante, aller chez des amis
boire l’apéritif, et une situation de
soin.
Les pré-préliminaires
Il s’agit là de prévenir l’autre
qu’une rencontre va avoir lieu: on
sonne à la porte, les amis savent que
l’on arrive, ils se préparent à la ren-
contre. Dans les soins, on frappe à
la porte. La technique que nous
avons retenue après expérimenta-
tion permet d’augmenter le nombre
de réponses en gériatrie lourde de
40 %: frapper trois fois à la porte
suffisamment fort, attendre trois
secondes, refrapper trois fois,
attendre à nouveau trois secondes,
refrapper et entrer s’il n’y a pas de
réponse, frapper alors au pied du
lit. Dans les cas où il n’y a pas de
réponse verbale, nous pouvons
observer une modification positive
du comportement ou de l’attitude
chez plus de 50 % de ces patients.
Les préliminaires
Il serait mal venu chez des amis
de se précipiter sur l’apéritif à peine
la porte ouverte. Au contraire, pen-
dant quelques minutes, la mise en
relation se fait sans évoquer la rai-
son de l’invitation, mais en prenant
des nouvelles. Dans le soin, la
période des préliminaires au soin
est capitale. Elle a une durée de
moins de 40 secondes dans 90 % des
cas, peut aller jusqu’à 3 minutes sans
jamais les excéder. Elle vise à entrer
en relation positive et permet de faci-
liter l’acceptation du soin habituel-
lement refusé dans 70 % des cas étu-
diés.
Au cours de ces préliminaires,
le soin n’est pas évoqué. Cela s’ins-
crit dans la tentative d’offrir une rela-
tion «gratuite », nous venons pour
rencontrer la personne, pas à cause
d’un soin obligatoire. Ce n’est que
vers la fin des préliminaires que le
soin est proposé.
En pratique, et respectant les
techniques mises au point pour les
trois piliers relationnels, cela donne
une approche que nous pouvons
décrire ainsi, par exemple pour un
patient habituellement opposant au
soin par déficit cognitivo-mnésique:
L’approche se fait de face, regard
long, axial, la parole doit impéra-
tivement arriver dans les trois
secondes suivant l’accroche
visuelle, puis le soignant choisit si
possible une position qui lui per-
met de porter un regard horizon-
tal, voir oblique vers le haut (le fait
de se positionner en dessous est
lu comme un signe de soumission,
donc le soignant ne peut être perçu
comme un agresseur).
La main est proposée comme pour
dire bonjour, si elle n’est pas prise,
le toucher est reporté.
La parole, toujours soutenue par
des regards proches, axiaux, longs,
horizontaux, est douce, rassurante,
les mots employés ne sont pris que
dans un registre positif: «bonjour»,
«cela me fait plaisir de vous voir»,
«ça va bien?», «vous êtes super
aujourd’hui», etc. Il est absolument
impératif d’éviter les mots néga-
tifs, d’opposition, de nommer le
soin à venir si c’est habituellement
un soin difficile (ne pas dire «je vais
vous doucher» si la douche est
insupportable).
Dès que possible, en général très
rapidement, il est nécessaire de
rentrer dans l’espace intime de la
personne. En effet, en mémoire
émotionnelle, les personnes
admises dans l’espace intime sont
toujours des relations positives.
Le faire prudemment en guettant
les signes éventuels de refus (très
rares).
Le toucher se fera de manière pro-
gressive en commençant par des
zones socialement neutres
(épaules, avant bras), pour conclure
cette mise en relation par des tou-
chers plus envahissants, comme
toucher la joue.
Proposer le soin, sous forme ver-
bale atténuée: «Vous avez des dou- >
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leurs dans le dos, vous venez avec
moi, je vais vous masser le dos, cela
vous fera du bien…»
Les préliminaires sont terminés
quand des signes d’apaisement appa-
raissent. Le soin peut commencer.
Le rebouclage sensoriel
Il s’agit de l’état de bien être
obtenu quand tous les piliers sen-
soriels portent le même langage.
Avec nos amis, lors de l’apéritif, le
bien être s’installe, nous évitons les
sujets qui fâchent, on se lit comme
aimés dans le regard amical, les tou-
chers sont d’amitié, les mots dans
un registre de partage amical.
Dans le soin, si les piliers sont
les vecteurs d’émotions positives,
le rebouclage sensoriel se traduira
par des sourires, toujours par une
baisse du tonus musculaire, parfois
par des mots qui n’était plus pro-
noncés depuis des années par des
patients mutiques. La grande diffi-
culté consiste à maîtriser des tech-
niques de soin complexes comme
le toucher au cours de la toilette
intime, de manipulations délicates
ou difficiles, sans que le toucher ne
porte un message négatif qui vienne
contrarier les messages positifs des
deux autres piliers, parole et regards.
C’est pourquoi nous avons mis
au point des techniques appelées
«Toucher tendresse», mais aussi
des techniques de mobilisation où,
quels que soient le soin et le patient,
le soignant ne force jamais plus que
ne pourrait le faire un enfant de 10
ans.
La consolidation émotionnelle
Après l’apéritif, on ne se sauve
pas sans un mot, mais il y a toujours
un moment où l’on verbalise le bon
moment que l’on vient de passer, où
l’on fixe la prochaine rencontre.
Dans le soin, cette période vise
à faire entrer en mémoire émotion-
nelle, la seule persistante dans les
SCM, les bons moments que l’on
vient de passer. On valorise, la per-
sonne, la rencontre, le soin par des
mots positifs: «Vous êtes vraiment
agréable», «jeme suis régalé avec
vous», «la douche vous a fait du
bien», «vous avez aimé la douche,
n’est-ce pas?», etc.
L’application de cette technique
lors des soins difficiles avec des per-
sonnes atteintes de la maladie d’Alz-
heimer donne des résultats qui ont
été mesurés par une étude scienti-
fique publiée en juin 2008: 83 % de
ces soins qui se passaient dans les
cris, les coups, dans l’opposition la
plus radicale, se sont faits dans le
calme, avec des sourires, voire de
la coopération.
Cela place aujourd’hui les
approches non médicamenteuses
comme les approches majeures dans
les soins aux patients âgés atteints
de SCM.
1. Successfull Aging Database. «Évalua-
tion de la Méthodologie de soin Gineste-
Marescotti, dite «Humanitude», lors de
formations in situ.» La Revue de
Gériatrie, tome 33, Supplément A au
n°6, juin 2008.
RÉFÉRENCES
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