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LA REVUE FRANCOPHONE DE GÉRIATRIE ET DE GÉRONTOLOGIE • OCTOBRE 2009 • TOME XVI • N°158
C’est une prise de conscience
capitale qui va orienter nos
recherches: ces soignants volontaires
pour participer à cette étude ne sont
pas de mauvais soignants, au
contraire, ils sont persuadés de par-
ler, mais ne le font pas: ce qui est
naturel, c’est de se taire. Il devient
alors nécessaire, si l’on estime que
la relation verbale est importante quel
que soit l’état cognitif d’une personne
en soin, de professionnaliser la rela-
tion, d’élaborer des techniques pré-
cises, et de s’y entraîner. Nous créons
le premier outil, l’
auto-feed back
, et
mesurons alors qu’il faut entre six
mois et deux ans pour qu’il soit tota-
lement maîtrisé par les soignants.
Et nous constatons avec ces équipes
que les temps de communication ver-
bale directe passent entre 8 et 12
minutes par 24 heures, avec comme
résultat la disparition quasi totale
des syndromes d’immobilisation…
D’autres études viendront confir-
mer nos observations, dont celle de
2004 auprès d’un patient atteint de
la maladie d’Alzheimer en stade final,
rétracté, opposant aux soins, qui ne
reçoit que moins de 30 secondes de
communication verbale par jour.
La communication se basant prin-
cipalement sur les regards, la parole
et le toucher, nous avons étudié ces
piliers relationnels et avons élaboré
des techniques pour répondre aux
objectifs recherchés. Pour le regard,
nous avons mesuré, toujours pour
les mêmes types de pathologies et
d’états de dépendance, une dizaine
de regards par jour. Au lieu de plu-
sieurs milliers que nous recevons
chaque jour. Pour le toucher, la vie
de ces résidents très handicapés est
basée sur des touchers de mobili-
sations difficiles, de nursing, des tou-
chers utiles et invasifs, difficiles à
recevoir, très rarement ressentis
comme des touchers validants.
La Capture sensorielle®va donc
reprendre les modes de relations
positives entre les humains et pro-
fessionnaliser cette relation afin de
tenter d’éviter les pièges majeurs
tendus par la grande vieillesse, la
différence, la peur de la mort ou de
ressembler à celui dont nous pre-
nons soin.
Cette démarche typiquement
éthologique nous a permis d’identi-
fier quatre étapes distinctes dans la
relation: les pré-préliminaires, les
préliminaires, le rebouclage senso-
riel, la consolidation émotionnelle.
Pour faciliter la compréhension, nous
allons comparer une situation de la
vie courante, aller chez des amis
boire l’apéritif, et une situation de
soin.
Les pré-préliminaires
Il s’agit là de prévenir l’autre
qu’une rencontre va avoir lieu: on
sonne à la porte, les amis savent que
l’on arrive, ils se préparent à la ren-
contre. Dans les soins, on frappe à
la porte. La technique que nous
avons retenue après expérimenta-
tion permet d’augmenter le nombre
de réponses en gériatrie lourde de
40 %: frapper trois fois à la porte
suffisamment fort, attendre trois
secondes, refrapper trois fois,
attendre à nouveau trois secondes,
refrapper et entrer s’il n’y a pas de
réponse, frapper alors au pied du
lit. Dans les cas où il n’y a pas de
réponse verbale, nous pouvons
observer une modification positive
du comportement ou de l’attitude
chez plus de 50 % de ces patients.
Les préliminaires
Il serait mal venu chez des amis
de se précipiter sur l’apéritif à peine
la porte ouverte. Au contraire, pen-
dant quelques minutes, la mise en
relation se fait sans évoquer la rai-
son de l’invitation, mais en prenant
des nouvelles. Dans le soin, la
période des préliminaires au soin
est capitale. Elle a une durée de
moins de 40 secondes dans 90 % des
cas, peut aller jusqu’à 3 minutes sans
jamais les excéder. Elle vise à entrer
en relation positive et permet de faci-
liter l’acceptation du soin habituel-
lement refusé dans 70 % des cas étu-
diés.
Au cours de ces préliminaires,
le soin n’est pas évoqué. Cela s’ins-
crit dans la tentative d’offrir une rela-
tion «gratuite », nous venons pour
rencontrer la personne, pas à cause
d’un soin obligatoire. Ce n’est que
vers la fin des préliminaires que le
soin est proposé.
En pratique, et respectant les
techniques mises au point pour les
trois piliers relationnels, cela donne
une approche que nous pouvons
décrire ainsi, par exemple pour un
patient habituellement opposant au
soin par déficit cognitivo-mnésique:
•L’approche se fait de face, regard
long, axial, la parole doit impéra-
tivement arriver dans les trois
secondes suivant l’accroche
visuelle, puis le soignant choisit si
possible une position qui lui per-
met de porter un regard horizon-
tal, voir oblique vers le haut (le fait
de se positionner en dessous est
lu comme un signe de soumission,
donc le soignant ne peut être perçu
comme un agresseur).
•La main est proposée comme pour
dire bonjour, si elle n’est pas prise,
le toucher est reporté.
•La parole, toujours soutenue par
des regards proches, axiaux, longs,
horizontaux, est douce, rassurante,
les mots employés ne sont pris que
dans un registre positif: «bonjour»,
«cela me fait plaisir de vous voir»,
«ça va bien?», «vous êtes super
aujourd’hui», etc. Il est absolument
impératif d’éviter les mots néga-
tifs, d’opposition, de nommer le
soin à venir si c’est habituellement
un soin difficile (ne pas dire «je vais
vous doucher» si la douche est
insupportable).
•Dès que possible, en général très
rapidement, il est nécessaire de
rentrer dans l’espace intime de la
personne. En effet, en mémoire
émotionnelle, les personnes
admises dans l’espace intime sont
toujours des relations positives.
Le faire prudemment en guettant
les signes éventuels de refus (très
rares).
•Le toucher se fera de manière pro-
gressive en commençant par des
zones socialement neutres
(épaules, avant bras), pour conclure
cette mise en relation par des tou-
chers plus envahissants, comme
toucher la joue.
•Proposer le soin, sous forme ver-
bale atténuée: «Vous avez des dou- >
Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer
Actes du 2eColloque International. Paris. 2009
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