Progrès en Urologie (2003), 13. Supp. 1 3-8
3
RÉSUMÉ
Objectif
Le but de cette revue est de faire le point sur la phy-
siologie et les mécanismes de régulation du tissu
osseux dans le sexe masculin. Un rappel est fait sur
les différentes cellules du tissu osseux, les ostéo-
clastes, les ostéoblastes et les ostéocytes ainsi que sur
les principaux facteurs de régulation du remodelage
de l’os. Le rôle des androgènes dans le contrôle du
métabolisme osseux est discuté compte tenu des
données récentes qui démontrent que les œstrogènes
pourraient en fait jouer un rôle prédominant.
Mots clés :cellules du tissu osseux, physiologie du
tissu osseux chez l’homme, hormones sexuelles, densi -
té osseuse.
SUMMARY
Objective.
The aim of this paper is to review the main physio-
logic features of bone metabolism in male. A brief
description of bony cells and function is given.
Hormonal influences on bone biology are descri-
bed. Although androgens have been considered as
essential in the regulation of bone metabolism in
men, recent data have emphasised the fact that
estrogens could play a dominant role .
Key words: bone cells, physiology of bone tissue in
male, sexual hormones, bone density.
Nous envisagerons dans cette revue les aspects cellu-
laires et tissulaires de la physiologie du tissu osseux
dans le sexe masculin, en soulignant certains aspects de
sa régulation hormonale (rôle respectif des androgènes
et des œstrogènes), en rappelant les caractéristiques de
l’acquisition et de l’évolution de la masse osseuse au
cours de la vie, en soulignant enfin les conséquences
des altérations de la micro-architecture de l’os trabécu-
laire.
L’HISTOLOGIE DU TISSU OSSEUX.
LE REMODELAGE OSSEUX.
L’os est un tissu vivant, et, chez l’homme, comme chez
la femme, il fait l’objet d’un remodelage osseux per-
manent, tout au long de la vie, assuré par deux types de
cellules :
Les ostéoclastes, issus de cellules précurseurs hémato-
poïétiques ; ce sont de grandes cellules contenant plu-
sieurs noyaux (Fig. 1), caractérisées par une zone
d’ancrage sur l’os, une bordure en brosse, de nom-
breuses mitochondries et un appareil de Golgi dévelop-
pé. Ils possèdent un équipement enzymatique impor-
tant qui permet l’acidification et la dissolution de la
phase minérale de la matrice osseuse; des ions H+sont
produits par une anhydrase carbonique intracytoplas-
mique [1] et excrétés dans la chambre de résorption par
une pompe à protons [3]. Parallèlement des enzymes
lysosomiales sont crétées (phosphatases acides,
cathepsine K, métalloprotéases) qui assurent la dissolu-
tion de la phase organique de la matrice osseuse, abou-
tissant à une lacune de résorption. L’action de ces cel-
lules est contrôlée par des hormones systémiques, elle
Physiologie du tissu osseux chez l’homme
Maurice AUDRAN(1-2), Paolo INSALACO(1-2), Erick LEGRAND(1-2),
Hélène LIBOUBAN(2), Michel Félix BASLE(2), Daniel CHAPPARD(2)
(1) Service de Rhumatologie, CHU d’Angers, 49033 ANGERS Cedex - FRANCE
(2) INSERM EMI 0335- LHEA, Faculté de Médecine, 49045 ANGERS Cedex - FRANCE
Correspondance :
Maurice Audran, M.D. Service de Rhumatologie
49033 ANGERS Cedex 01 - FRANCE
Tel: (+33) 241 35 35 76 INSERM EMI 0335
Fax: (+33) 241 73 58 88 e-mail: [email protected]
est stimulée par l’hormone parathyroïdienne (PTH) et
le métabolite actif de la vitamine D, la 1,25 dihydroxy-
vitamine D (1,25(OH)2D), freinée par la calcitonine et
par les œstrogènes. Il existe aussi un niveau de régula-
tion locale, par des cytokines (autrefois regroupées sous
le nom de facteurs d’activation des ostéoclastes ou
OAF), et qui comprennent, entre autres, l’IL-1, IL-6 et
le TNF-α[16]. Plus récemment on a découvert le rôle
majeur de l’ostéoprotégérine, qui s’oppose à RANK et
RANK-L dans le contrôle de la résorption osseuse, et
on a pu notamment souligner l’importance de ce systè-
me en pathologie cancéreuse [16, 17, 18]. Les diffé-
rents agents impliqués dans la régulation de la résorp-
tion conditionnent donc la vie des ostéoclastes et la
survenue de leur mort ou apoptose.
Les ostéoblastes. Ces cellules mononucléées, disposées
en couches monocellulaires sur les surfaces osseuses,
ont pour fonction d’élaborer un os nouveau après l’ac-
tion des ostéoclastes (il faut 100 à 1000 ostéoblastes
pour reconstituer le volume d’os résorbé par un ostéo-
claste !). Elles ont un précurseur mésenchymateux (la
cellule stromale) commun aux fibroblastes, aux chon-
drocytes et aux adipocytes. Les ostéoblastes synthéti-
sent des protéines qui constituent une matrice non
minéralisée, composée de collagène de type I et de pro-
téines non collagéniques, le tissu ostéoïde ; ils produi-
sent aussi des enzymes (phosphatases alcalines) qui
permettent le dépôt de cristaux d’hydroxyapatite et
assurent ainsi la calcification de la matrice (Fig. 2). Un
facteur de croissance, le TGF-α, libéré de la matrice
osseuse lors de la phase de dissolution de l’os par les
ostéoclastes, pourrait être le facteur de couplage, le
médiateur entre la fin de la résorption et l’initiation de
la formation. Le contrôle de la formation osseuse fait
intervenir la PTH et les hormones sexuelles. Les gluco-
corticoïdes en exçès induisent l’apoptose prématurée
des ostéoblastes et une dépression marquée de l’ostéo-
formation.
On rencontre, emmurés au sein de la matrice osseuse,
les ostéocytes, qui sont en fait d’ “anciens ostéo-
blastes”, contenus dans de petites logettes (les ostéo-
plastes). Possédant de longs prolongements, les ostéo-
cytes sont reliés les uns aux autres et communiquent
avec la surface osseuse par un système de prolonge-
ments cellulaires cheminant dans un système de cana-
licules ménagés entre les fibres de collagène de la
matrice osseuse. Jouant vraisemblablement un rôle de
récepteurs mécaniques, ces cellules pourraient exercer
une influence importante sur la vitalité des autres cel-
lules osseuses. Il est possible aussi que ce soit l’apop-
tose des ostéocytes qui constitue le facteur déclenchant
l’ancrage des ostéoclastes sur les surfaces osseuses et la
mise en place du processus de résorption et de remode-
lage.
L’UNITÉ DE REMODELAGE
OSSEUX (“BASIC MULTICELLULAR
UNIT” OU BMU)
De la même manière que l’on considère le néphron
comme l’unité fonctionnelle du métabolisme rénal, on
définit les activités des ostéoclastes et des ostéoblastes
comme couplées dans le temps et dans l’espace au sein
d’une unité fonctionnelle, l’unité cellulaire de remode-
lage ou BMU (Fig. 3).
4
Figure 1 : Représentation d’un ostéoclaste, grande cellule
multinucléée, avec ses sites d’ancrage sur la matrice osseuse et
la bordure en brosse au contact de la chambre de résorption de
l’os.
Figure 2 : Représentation schématique des ostéoblastes et de
la synthèse de la matrice ostéoïde par ces cellules.
LARÉGULATION PHYSIOLOGIQUE DU MÉTABO-
LISME OSSEUX CHEZ LHOMME ;LE RÔLE PRÉSU-
DES ŒSTROGÈNES.
Il est largement démontré que l’insuffisance gonadique
(après castration médicale ou chirurgicale) s’accom-
pagne d’une élévation de la résorption ostéoclastique et
d’une perte osseuse souvent très marquée, tandis que la
supplémentation en testostérone induit dans ces condi-
tions une freination du remodelage et un gain osseux
significatif [16]. Ceci a conduit à considérer classique-
ment que le développement osseux et le remodelage
tout au long de l’existence étaient conditionnés chez
l’homme par le taux des androgènes circulants…
Cette opinion est aujourd’hui remise en question [9].
Tout d’abord en raison de l’observation de cas cliniques
très singuliers de déficience en œstrogènes (par carence
en aromatase ou en récepteur des œstrogènes) [6, 13];
d’autre part parce qu’il apparaît chez l’homme que les
taux libres d’œstrogènes sont mieux corrélés à la masse
osseuse que les taux de testostérone…Ceci a conduit à
avancer l’hypothèse que les œstrogènes peuvent donc
jouer, chez l’homme comme chez la femme, un rôle
important dans l’acquisition, la régulation physiolo-
gique du métabolisme osseux et le maintien du capital
osseux avec l’âge, une fraction de la testostérone pou-
vant être convertie en œstradiol par le biais d’une aro-
matase (Fig 4) [9]. La carence progressive en testosté-
rone observée chez l’homme au cours du vieillissement
exercerait donc indirectement ses effets sur l’os, par le
biais d’un déficit en œstrogènes [6, 8, 9].
LÉVOLUTION DE LA MASSE OSSEUSE AU COURS
DU TEMPS
Elle est d’abord caractérisée par une phase d’acquisi -
tion (Fig 5). Après une première phase de croissance
osseuse rapide de la naissance à 4 ans, survient une
seconde phase lors de la puberté débutant et finissant
plus tardivement chez le garçon que chez la fille. Le
capital osseux maximum (peak bone mass” des
auteurs anglo-saxons) est atteint dans les deux sexes
vers 20 ans [5]. L’acquisition du pic de masse osseuse
est conditionnée par le terrain génétique (ainsi les
enfants de sujets ostéoporotiques ont une masse osseu-
se lombaire et fémorale plus basse que les sujets
contrôles), l’activité physique (en particulier les exer-
cices en charge) et les facteurs nutritionnels (apports en
produits lactés, en protéines).
La croissance pré-pubertaire, qui conditionne large-
ment la taille des pièces osseuses, est plus longue de 2
ans en moyenne chez l’homme. A l’âge adulte, au début
de la troisième décennie le capital osseux maximum,
est supérieur d’environ 30 % à celui de la femme,
essentiellement d’ailleurs en raison de la plus grande
taille des os ; le diamètre des os longs et les surfaces
vertébrales sont ainsi plus élevés de 20 à 25 %, contri-
buant à une résistance biomécanique accrue. Par contre
la densité osseuse (en g/cm3), mesurée par densitomé-
trie scanner en site vertébral trabéculaire est similaire
dans les deux sexes [4].
Il n’y pas, chez l’homme, de perte osseuse rapide
comme on l’observe chez la femme dans les 5 à 8 ans
qui suivent l’arrêt de la sécrétion des œstrogènes [11,
14]. A partir de 40 – 45 ans débute toutefois chez
l’homme, une perte d’os dans les vertèbres, lente,
linéaire, de l’ordre de 3 % par décennie. Globalement à
80 ans la perte osseuse est de l’ordre de 25 à 30 % chez
l’homme, très inférieure à la diminution de l’ordre de
40 à 50 % enregistrée chez la femme (Fig. 5).
Néanmoins il est démontré que le risque fracturaire est,
chez l’homme comme chez la femme, lié à la baisse de
densité minérale osseuse que l’on peut aisément mesu-
rer par absorptiométrie à rayons X (Fig. 6). Toute dimi-
nution de 1 écart-type de la densité minérale mesurée
en site lombaire ou fémoral multiplie par 2 le risque de
fracture vertébrale [11]).
LAMICRO-ARCHITECTURE DU TISSU OSSEUX ;
ÉVOLUTION ET CONSÉQUENCES CHEZ LHOMME.
On distingue dans l’os deux secteurs : un secteur corti-
cal, de type ostéonique, quantitativement le plus impor-
tant (80 % du poids du squelette), très représenté dans
5
Figure 3 : Les activités cellulaires de résorption (ostéoclastes)
et de formation (ostéoblastes) sont couplées au sein d’une
unité fonctionnelle (“Basic Multicellular Unit “ ou BMU) ; la
résorption résorbe de l’os ancien et précède la formation d’un
os nouveau.
6
Figure 4 : Régulation de la formation et de la résorption par
les hormones “calciotropes” : PTH, 1,25(OH)2 D, calcitonine,
hormones sexuelles. Chez l’homme l’action des androgènes
semble indirecte, une fraction de la testostérone étant trans -
formée en œstrogènes qui freinent la résorption ostéoclastique.
Figure 5 : Evolution de la densité minérale au cours de la vie,
chez l’homme (courbe bleue), et chez la femme (courbe rouge).
On n’observe pas chez l’homme de perte osseuse rapide
comme on l’observe chez la femme à la ménopause.
Globalement à 80 ans la perte osseuse est de 25 à 30 % chez
l’homme, de 40 à 50 % chez la femme
Figure 6 : La densité minérale (DMO en g/cm2)peut être cal -
culée à l’aide d’un absorptiomètre biphotonique à rayons X
(DPX), soit en site lombaire (a), soit à l’extrémité supérieure
du fémur (b) ; la mesure est rapide, reproductible, exacte. Le
résultat, comparé à une courbe de référence, permet de déter -
miner si la DMO est normale ou correspond à une ostéoporo -
se.
Figure 7 : Le corps vertébral est riche en os trabéculaire (a).
Ce secteur, bien visualisé en microscopie électronique(b) se
présente sous forme de plaques et de piliers.
les diaphyses des os longs et un secteur trabéculaire,
constitué de larges plaques et piliers anastomosés en
réseau, très caractéristique de la structure des corps ver-
tébraux (Fig. 7)
L’évolution de l’os cortical diffère selon le sexe ; chez
l’homme on observe qu’il existe au cours du vieillisse-
ment une plus forte apposition périostée, une moindre
résorption endocorticale, une moindre porosité cortica-
le ; il en résulte une augmentation du diamètre des os
longs et surtout une meilleure résistance à la flexion
(alors que celle ci décline de 3,3 % tous les 10 ans chez
la femme, elle s’améliore de 2,1 % tous les 10 ans chez
l’homme…)
La micro-architecture de l’os trabéculaire peut être étu-
diée sur des coupes de biopsie osseuse transiliaques,
soit en 2 D, soit en 3 D [1,7]. On peut ainsi calculer le
volume osseux, mesurer le nombre et l’épaisseur des
travées ; la diminution du volume trabéculaire (en des-
sous de 11 % ) ou l’amincissement des travées (en des-
sous de 80 µ) constituent un facteur de risque important
de fragilité osseuse. Mais on peut compléter cette étude
en analysant le degré de connexion des travées osseuses
et à l’aide de divers index architecturaux caractériser
l’organisation du réseau trabéculaire (Fig. 8 et 9) [7].
Cette approche montre que la fragilité osseuse est chez
l’homme très largement sous la dépendance de la
microarchitecture trabéculaire ; à densité osseuse simi-
laire la perforation des travées et la rupture de la
connectivité du réseau multiplient par 2 le risque de
fractures vertébrales [12].
CONCLUSION
L’acquisition et le maintien de la masse osseuse sont
chez l’homme influencés non seulement par les andro-
gènes, mais aussi et peut-être surtout, par les œstro-
gènes ; ces hormones, comme d’autres hormones cal-
ciotropes engagées dans l’homéostasie osseuse et phos-
phocalcique (PTH, 1 ,25(OH)2 D, calcitonine) exercent
ce contrôle au travers du remodelage osseux. Celui-ci
voit alterner au sein d’unités élémentaires (les BMU),
d’abord les ostéoclastes (phase de résorption osseuse),
puis les ostéoblastes (phase d’ostéo-formation), dans
une séquence couplée dans le temps et dans l’espace.
La densité osseuse facilement mesurée en site lombaire
et fémoral est un élément déterminant du risque fractu-
raire. Parallement et indépendamment, la micro-
architecture et notamment le degré de connectivité des
travées joue un rôle fondamental dans la résistance
mécanique du squelette.
7
Figure 8 : Il est possible sur des coupes d’os iliaque de déli -
miter les travées (a) et de définir des paramètres micro-
architecturaux caractérisant les espaces médullaires (b) ou
le degré de connexion des travées (c,d)
Figure 9 : Analyse 3 D par microtomodensitométrie (µ-scan -
ner SKYSCAN) d’un fragment biopsique transiliaque au
cours d’une ostéoporose masculine par hypogonadisme.
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !