
« […] Alors vous comprendrez qu’il ne me reste plus qu’à écrire, même s’il y a déjà tant de 
mots alignés, tant de tentatives désespérées de se faire comprendre, tant de manières de se 
faire croire qu’on a une réflexion unique alors que finalement ça tourne en rond, finalement on 
gravite tous dans la même orbite de pensée […] 
 
 Quand on écrit, on a la chance d’avoir du temps pour choisir ses mots, pour être clair 
et original, alors que dans la conversation courante ça va trop vite et c’est pour ça que je ne 
suis pas douée pour la conversation courante qui demande un sang-froid incroyable que je n’ai 
pas. 
 
 Alors vous comprendrez qu’il ne me reste qu’à écrire pour rattraper mon manque de 
clarté et  d’originalité dans  la  conversation courante,  et pour  ne  pas  rester  muette  devant  la 
démoralisation générale. Si je ne me concentrais pas sur le théâtre, peut-être que j’en viendrais 
à gesticuler sur place comme une noyée, ne sachant aller ni à gauche ni à droite pour combler 
les brèches innombrables, complètement dépassée, affolée par l’ampleur des choses à accom-
plir, à réparer, à consoler, indécise parce qu’il y a trop à faire pour le temps qui m’est alloué, et 
alors mon corps inoccupé ne serait plus qu’une suite de sursauts rythmés par les chocs perpé-
tuels que me procure le malheur, parce que je n’arrive pas à cesser d’être effrayée par notre 
tendance à nous rendre malheureux, et mes sursauts deviendraient si rapides dans la multipli-
cation de mes frayeurs qui se chevauchent, et mes gestes deviendraient si éparpillés dans leur 
incapacité d’agir, que je finirais peut-être par entrer en convulsions, ce qui n’est souhaitable à 
personne. Alors vous comprendrez qu’il ne me reste qu’à écrire pour ne pas entrer en convul-
sions. 
 
 Je ne pourrai jamais savoir si le théâtre est vraiment la meilleure façon d’utiliser mon 
temps, si je parviens à être claire et originale, si je comble ne serait-ce qu’une petite brèche 
quelque part, si mes amis aiment sincèrement ce que j’écris, si ce que j’écris vaut toutes les 
heures qui me privent de mes enfants, si mon agitation théâtrale est moins vaine que des con-
vulsions dans l’espace, mais une chose est certaine, c’est que j’y mets toute ma bonne foi et 
c’est la moindre des choses quand on a la chance d’être entendue. » 
 
                        Evelyne de la Chenelière, 2003