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NOTE n° 3 - Fondation Jean-Jaurès / Observatoire droit, justice, institutions - 16 octobre 2013 - page 1
La transparence
vue par
le Conseil
constitutionnel
Jean-David Dreyfus*
Xavier Magnon**
* Professeur des universités
(droit public), Université
Paris-Dauphine
** Professeur à l’Université
de Toulouse 1 Capitole
LIBERTÉ,
ÉGALITÉ, FRATERNITÉ, PROBITÉ
Jean-David Dreyfus
Ne faudrait-il pas ajouter à la devise de la République le terme de probité ? Telle est la
question que l’on peut se poser suite aux décisions du Conseil constitutionnel du
9 octobre 2013 (n° 2013-675 DC - Loi organique relative à la transparence de la vie
publique et 2013-676 DC - Loi relative à la transparence de la vie publique).
Le Conseil a en effet clairement fait sienne la préoccupation du législateur de renforcer
les garanties de probité et d’intégrité, de prévention de lutte contre les conflits d’intérêts
et de lutte contre ceux-ci. Il y a vu un motif d’intérêt général susceptible de justifier des
limitations à certaines libertés fondamentales comme le droit à la vie privée.
Déjà, par le passé, l’objectif de valeur constitutionnelle de transparence financière des
entreprises de presse a été déduit des dispositions de l’article 11 de la Déclaration des
droits de 1789 qui proclame la libre communication des pensées et des opinions
(décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984). Dans sa décision n° 92-316 DC du
Dans notre société ouverte, mondialisée, où l’Etat-providence recule, le droit et la justice sont
devenus les principaux régulateurs de notre vie sociale. Pour comprendre leur emprise sur la vie des
citoyens, des entreprises, des administrations, l’Observatoire droit, justice et institutions se donne
trois missions : information, réflexion et proposition. Avec une ambition : soumettre des solutions
innovantes, concrètes et progressistes en s’inspirant notamment d’expériences locales,
européennes, et étrangères.
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La transparence
vue par le Conseil
constitutionnel
20 janvier 1993, le Conseil avait aussi évoqué les « objectifs de transparence et de
concurrence » poursuivis par la loi relative à la prévention de la corruption et à la
transparence de la vie économique et des procédures publiques (dite loi Sapin) pour
justifier l’interdiction de contrats de délégation de service public à durée indéterminée.
Il fait ainsi écho à la préoccupation du président de la République face au doute qui
s’est installé dans la société quant à « l’exemplarité »1 : « la démocratie, rappelle François
Hollande, repose sur la confiance, donc sur la transparence afin d’éviter les conflits
d’intérêts et là encore, les confusions dans les activités (…) le rétablissement du lien civique
est à ce prix même s’il est exigeant ». L’exemplarité des responsables publics est une
condition de la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques et l’Etat de droit2.
La probité figurait déjà dans la Constitution de 1791 au chapitre V sur le pouvoir
judiciaire dont l’article 17 énonçait : « Nul homme ne peut être recherché ni poursuivi
pour raison des écrits qu’il aura fait imprimer ou publier sur quelque matière que ce soit,
si ce n’est qu’il ait provoqué à dessein la désobéissance à la loi, l’avilissement des
pouvoirs constitués, la résistance à leurs actes, ou quelques-unes des actions déclarées
crimes ou délits par la loi. - La censure sur les actes des Pouvoirs constitués est permise ;
mais les calomnies volontaires contre la probité des fonctionnaires publics et la droiture
de leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions pourront être poursuivies par ceux
qui en sont l’objet ».
L’économie du nouveau dispositif, admis par les Sages, au nom de la transparence,
repose tout entier sur des obligations déclaratives : déclaration d’intérêts et déclaration
de patrimoine, contrôlées par une autorité indépendante.
Mais à quelle transparence a-t-on affaire ? Est-on en présence, selon l’expression du
doyen Jean Carbonnier3, d’une transparence « naturelle », qui ne demande d’effort à
personne, qui coule de source ? Ou, plutôt, d’une transparence forcée, d’ordre public,
« fille de l’interventionnisme » ? A l’évidence, on est ici dans la seconde hypothèse !
Cette transparence a une substance, un prix, un coût.
1. Discours du 3 octobre 2013 pour les 55 ans de la Constitution de la Ve République.
2. Voir en ce sens : Commission nationale consultative des droits de l’homme, avis du 27 juin 2013.
3. Jean Carbonnier, Flexible droit, 10e éd., LGDJ, 2001, p. 319.
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Mais jusqu’où peut aller cette exigence de transparence sans heurter les principes dont
le Conseil constitutionnel assure le respect et qui avaient été mobilisés par les opposants
à ces lois : séparation des pouvoirs (article 16 DDHC) ; légalité des délits et des peines
(article 8 DDHC) ; droit au respect de la vie privée (dégagé de façon prétorienne par les
décisions 76-75 DC du 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de
la recherche et de la prévention des infractions pénales ; 94-352 DC du 18 janvier 1995,
Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité ; 99-416 DC du 23 juillet
1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle) ?
Le motif d’intérêt général de renforcement des garanties de probité, d’intégrité et de
prévention des conflits d’intérêts ne saurait tout justifier.
Malgré ce motif d’intérêt général, le Conseil constitutionnel a jugé que l’une des
rubriques de la déclaration d’intérêts et d’activités créant une obligation de déclarer les
activités professionnelles exercées par les enfants et les parents du déclarant portait une
atteinte au droit au respect de la vie privée qui ne pouvait être regardée comme
proportionnée au but poursuivi (2013-675 DC, cons. 29).
Les Sages ont également contrôlé la publicité de ces deux déclarations au regard de
l’atteinte à la vie privée. Au vu de la situation particulière et des prérogatives des
membres du Parlement, leur participation à l’exercice de la souveraineté nationale
(article 3 de la Constitution), leur rôle pour le vote de la loi et le contrôle de l’action du
gouvernement (article 24 de la Constitution), l’atteinte portée au droit au respect de la
vie privée n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif de renforcement des
garanties de probité et d’intégrité de ces personnes, de prévention des conflits d’intérêts
et de lutte contre ceux-ci (2013-675 DC, cons. 33). A n’en pas douter, les préfectures
vont être de plus en plus visitées par les citoyens en mal de transparence.
Au nom du principe révolutionnaire de légalité des délits et des peines, le Conseil
constitutionnel a censuré la rubrique de la déclaration d’intérêts et d’activités imposant
aux parlementaires de renseigner dans la déclaration les « autres liens susceptibles de
faire naître un conflit d’intérêts », sous peine de sanction pénale mais sans donner
d’indication sur la nature de ces liens ; les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient
pas suffisamment définis (2013-675 DC, cons. 30).
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Quid du principe lui aussi révolutionnaire de séparation des pouvoirs ? S’agissant des
députés et des sénateurs, la question était de savoir si ce principe à valeur
constitutionnelle faisait obstacle à ce qu’une autorité administrative (la Haute autorité
pour la transparence de la vie publique) fût investie d’un pouvoir d’examen des
déclarations de situation patrimoniale et des déclarations d’intérêts et d’activités, d’un
pouvoir d’injonction dans le cadre de cet examen, d’un pouvoir de contrôle de la variation
de la situation patrimoniale, d’un pouvoir de se prononcer sur une situation de conflit
d’intérêts et d’un pouvoir de saisir, selon le cas, le président de l’Assemblée nationale ou
le président du Sénat en cas de violation, par un parlementaire, de ses obligations
déclaratives. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’à l’exception des pouvoirs
d’injonction de la Haute autorité, ces pouvoirs n’étaient pas incompatibles avec le
principe de la séparation des pouvoirs.
Au total, les juges de la rue Montpensier ont fait preuve d’une assez grande
compréhension à l’égard des préoccupations de transparence et de probité du législateur.
Ils leur ont donné une portée pour le moins large. Ils ont toutefois censuré les
dispositions de l’article 2 de la loi organique qui interdisaient aux députés « d’exercer une
fonction de conseil, sauf dans le cadre d’une profession libérale soumise à un statut
réglementaire ou protégé ou dont le titre est protégé et qu’il exerçait au début de son
mandat ». Les députés pourront donc devenir avocats en cours de mandat. Les Sages ont
aussi exonéré les élus d’établissements publics et de collectivités territoriales (qui
devaient être soumis au même régime que les parlementaires) qui règlent les affaires de
leur compétence par des conseils élus. Il n’y a donc pas identité de régime, en la matière,
entre élus nationaux et élus locaux.
Comme le rappelait le chef de l’Etat le 3 octobre dernier, la Constitution est le « socle
des valeurs fondamentales – celles d’hier, celles d’aujourd’hui et celles de demain ». Très
clairement, parmi ces valeurs, dont le Conseil constitutionnel est le gardien, figure la
probité des acteurs de la chose publique. Elle justifie que certaines libertés
fondamentales soient restreintes, sans aucunement disparaître. Tout est question de
dosage. Dans ses décisions du 9 octobre 2013, le Conseil a considéré que le législateur
avait, pour l’essentiel, trouvé le bon équilibre.
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La transparence
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TRANSPARENCE
DE LA VIE PUBLIQUE, RESPECT DE
LA VIE PRIVÉE ET SÉPARATION DES POUVOIRS
Xavier Magnon
Première lecture rapide des décisions du Conseil constitutionnel du 9 octobre 2013 sur la
loi organique (n° 2013-675 DC) et sur la loi ordinaire (n° 2013-676 DC) relatives à la
transparence de la vie publique.
Il est possible que les décisions du 9 octobre 2013 sur la loi organique et la loi ordinaire
sur la transparence de la vie publique du Conseil constitutionnel fassent partie des rares
décisions pour lesquelles l’éventuelle censure du dispositif législatif pouvait être
attendue avec autant d’enthousiasme par les parlementaires de l’opposition que par ceux
de la majorité. Les lois sur la transparence avaient été discutées au sein même de la
majorité dans certaines de ses modalités. Le rôle assigné au Conseil constitutionnel
consiste à trancher d’un point de vue juridique les querelles politiques que les lois
contrôlées avaient pu susciter. Le juge constitutionnel procède à un arbitrage juridique
des choix politiques opérés par le législateur pour garantir la transparence de la vie
publique. La répartition des rôles peut être décrite de la manière suivante : le législateur
est libre dans la détermination d’un dispositif permettant de garantir la transparence de
la vie politique ; le Conseil constitutionnel, en tant que législateur négatif, vérifie que
ces choix sont conformes au droit et, plus précisément, à la Constitution, sans jamais se
substituer au législateur dans la détermination de ces choix. Dans les décisions
commentées, le dispositif prévu par le législateur n’a été censuré qu’à la marge et le juge
constitutionnel a prononcé plusieurs réserves d’interprétation permettant à la loi
d’échapper à la déclaration d’inconstitutionnalité.
Parmi les différents griefs opposés aux lois, deux principes constitutionnels principaux
semblent devoir être mis en évidence : le respect de la vie privée et la séparation des
pouvoirs. Le premier principe s’oppose au principe même de la transparence et à
certaines de ses modalités de mise en œuvre alors que le second ne concerne que les
modalités de garantie de cette exigence.
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La transparence
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La loi pour la transparence de la vie publique heurte le respect de la vie privée alors qu’il
oblige les élus politiques et certains titulaires de fonctions politiques ou publiques, selon
les cas, non seulement à des déclarations d’intérêts et d’activités et de situation patrimoniale mais également à la publicité de celles-ci. Les termes de l’arbitrage que doit opérer
le Conseil constitutionnel sont posés dans un considérant de principe selon lequel :
« aux termes de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la
résistance à l’oppression » ; que la liberté proclamée par cet article implique le droit au
respect de la vie privée ; que le dépôt de déclarations d’intérêts et d’activités ainsi que de
déclarations de situation patrimoniale qui contiennent des données à caractère personnel
relevant de la vie privée, ainsi que la publicité dont peuvent faire l’objet ces déclarations,
portent atteinte au respect de la vie privée ; que, pour être conformes à la Constitution,
ces atteintes doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de
manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (675 DC, cons. 26 pour une formule
englobant les déclarations d’intérêts et d’activités et de situation patrimoniale).
Le juge constitutionnel livre ainsi les clés de son appréciation des choix du législateur.
Le dispositif prévu par celui-ci de « dépôt de déclarations d’intérêts et d’activités ainsi
que de déclarations de situation patrimoniale qui contiennent des données à caractère
personnel relevant de la vie privée, ainsi que la publicité dont peuvent faire l’objet ces
déclarations » porte atteinte au respect de la vie privée. D’un point de vue constitutionnel, cette atteinte ne saurait être admise que si elle est, sur son principe, justifiée par
un motif d’intérêt général et qu’elle est, dans ses modalités de mise en œuvre, adéquate
et proportionnée à cet objectif. Les éléments décisifs dans l’appréciation du juge
constitutionnel repose sur ces deux derniers éléments : le caractère adéquat et proportionné du dispositif législatif au regard des objectifs qui lui sont assignés. L’on ne peut
que souligner ici l’indétermination forte des modalités du contrôle. Le dispositif est
adéquat s’il paraît adapté pour parvenir au résultat poursuivi ; il est proportionné si les
moyens retenus sont mesurés par rapport à l’objectif poursuivi. La marge d’appréciation
du juge constitutionnel est importante. A cet égard, l’appréciation du caractère adéquat
de la mesure peut laisser penser que le contrôle du juge est approfondi. Elle impliquerait
de vérifier si ce sont les bonnes modalités que le législateur a retenues pour parvenir à
l’objectif qu’il poursuit, ce qui impose d’établir en creux s’il n’existe pas des mesures plus
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La transparence
vue par le Conseil
constitutionnel
« adaptées ». En pratique cependant, le contrôle du Conseil constitutionnel est un
contrôle minimum. Malgré l’affirmation de principe, l’intérêt général est reconnu sans
difficulté, l’objectif de « renforcer les garanties de probité et d’intégrité » et de prévenir
les « conflits d’intérêts et de lutte contre ceux-ci » est considéré comme constituant un
motif d’intérêt général, le caractère adéquat n’est pas apprécié de manière explicite dans
les deux décisions, seule l’appréciation de la proportionnalité est visible.
Cette tendance se constate à propos de l’obligation prévue par le législateur organique
et le législateur ordinaire de mentionner les activités professionnelles exercées par les
enfants et les parents4 dans les déclarations d’intérêts et d’activités des personnes visées
par la loi. Le Conseil constitutionnel y voit « une atteinte au droit au respect de la vie
privée qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » (675 DC cons.
29 ; 676 DC, cons. 15). Tout est ici question de proportion. En effet, la mention des
activités professionnelles du conjoint, du partenaire dans le cadre d’un pacte civil de
solidarité ou le concubin, quant à elle, ne porte pas « une atteinte disproportionnée au
droit au respect de la vie privée comte tenu de la vie commune avec le déclarant ». La
vie commune justifie cette dernière obligation au regard de l’objectif du législateur de
« renforcer les garanties de probité et d’intégrité » des membres du parlement, « de
prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre ceux-ci » (675 DC cons. 26 ; 675 DC
cons. 26). La frontière est cependant ténue. Lorsque l’on est rapporteur à l’Assemblée
nationale sur un projet de loi sur l’exploitation du gaz de schiste, la probité et l’intégrité
sont-elles plus mises en cause si le conjoint travaille pour une entreprise concernée par
ce procédé ou si c’est « seulement » l’un de ses enfants ou de ses parents ? Le seuil de
la disproportion n’est pas toujours manifeste, du moins si l’on se contraint à interroger
les critères du juge et à remettre en cause les évidences supposées. Serait-on plus
influencé par son conjoint que par ses parents ou ses enfants ? Chacun pourra proposer
une réponse en fonction de son vécu comme de son expérience. Le Conseil
constitutionnel a tranché.
Il est encore question de proportion avec la publication des déclarations d’intérêts des
personnes titulaires de mandats électoraux visées par les 1° à 3° du § I de l’article 11 de
4. Voir par ailleurs pour une appréciation critique au moment de l’adoption de la loi, les interventions d’Isabelle
Le Callennec et de François De Rugy, Assemblée nationale, 2e séance, 17 juin 2013.
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La transparence
vue par le Conseil
constitutionnel
la loi, à savoir, dans un sens large, les parlementaires européens, les exécutifs locaux et les
élus des assemblées locales. Pour le Conseil constitutionnel, cette publication « ne revêt
pas un caractère disproportionné au regard de l’objectif poursuivi » (676 DC, cons. 19). Il
n’y a pas non plus de disproportion dans l’obligation de publication des déclarations
d’intérêts et de situation patrimoniale des membres du gouvernement (676 DC, cons. 17).
En revanche, en prévoyant la publicité du patrimoine des titulaires de certaines fonctions
exécutives, visés au 2° du § I de l’article 11, « le législateur a, s’agissant d’élus d’établissements publics et de collectivités territoriales qui règlent les affaires de leur compétence
par des conseils élus, porté au droit au respect de la vie privée une atteinte
disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » (676 DC, cons. 20). De même, le
Conseil constitutionnel adopte une solution particulière par rapport aux déclarations
d’intérêts des personnes exerçant des responsabilités de nature administrative et qui ne
sont pas élues par les citoyens. Si le principe de la déclaration à la Haute autorité ne
soulève pas de difficulté, la publicité est jugée comme « sans lien direct avec l’objectif
poursuivi et porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée » de
ces personnes (676 DC, cons. 22). La publicité ne semble ainsi justifiée, contrairement à
la déclaration, que par l’existence de responsabilités politiques et d’un mandat électif.
Autrement dit, la responsabilité politique impose la publicité et donc la transparence.
Avec le principe de séparation des pouvoirs, est visée l’une des modalités du dispositif
prévu par le législateur et, plus précisément, les compétences confiées à la Haute
autorité pour la transparence de la vie publique. Le cœur du grief tiré du respect de ce
principe consiste à dénoncer l’intrusion d’une autorité administrative indépendante, et
donc de l’administration dans un sens large, dans l’exercice de compétences relevant du
pouvoir législatif. Le pouvoir d’injonction de la Haute autorité à l’égard des
parlementaires a pu en particulier poser problème. L’exercice de ce pouvoir conduit à ce
que l’administration impose un certain comportement aux représentants élus du
Parlement. Le pouvoir d’injonction de la Haute autorité a cependant été validé dans son
principe. Le Conseil constitutionnel a notamment jugé que « le principe de la séparation
des pouvoirs ne fait pas obstacle à ce qu’une autorité administrative soit chargée de
contrôler la variation de la situation patrimoniale des députés et des sénateurs et puisse,
à cette fin, être investie du pouvoir de leur adresser des injonctions afin qu’ils
complètent leur déclaration ou apportent les explications nécessaires et, le cas échéant,
de saisir le parquet des manquements constatés » (675 DC, cons. 38). Il a cependant
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La transparence
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posé une réserve d’interprétation en jugeant que les dispositions de la loi organique
confiant un pouvoir d’injonction à la Haute autorité « ne sauraient, sans méconnaître le
principe de la séparation des pouvoirs, permettre à la Haute autorité d’adresser à un
député ou un sénateur une injonction dont la méconnaissance est pénalement réprimée,
relative à ses intérêts ou ses activités ou portant sur la déclaration qui s’y rapporte » (675
DC, cons. 39). La portée de la réserve est pour le moins étonnante, du moins si l’on
parvient à lui donner un sens certain. Elle conduit à empêcher l’utilisation de la
disposition qui fait l’objet de la réserve, à savoir l’article LO 135-4 du code électoral, et
conduit donc, en substance, à une censure de celle-ci. L’article LO 135-4 du code
électoral prévoit en effet que « le fait pour un député de ne pas déférer aux injonctions
de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ou de ne pas lui
communiquer les informations et pièces utiles à l’exercice de sa mission dans un
délai d’un mois à compter de la notification de l’injonction ou de la demande de
communication est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». S’il
est interdit à « la Haute autorité d’adresser à un député ou un sénateur une injonction
dont la méconnaissance est pénalement réprimée », selon la réserve exprimée, l’on ne
voit pas quelle pourrait être la portée de l’article LO 135-4 du code électoral. Sans doute
faut-il constater ici les limites de notre capacité d’analyse, même s’il s’agit d’une analyse
à chaud et sans recul, marquant en l’occurrence les limites et les risques de l’exercice du
commentaire immédiat auquel nous procédons ici. En tout état de cause, le pouvoir
d’injonction de la Haute autorité est limité dans les conséquences que son exercice
pourrait avoir : il ne saurait y avoir d’injonction dont la méconnaissance serait
pénalement réprimée.
Le pouvoir d’injonction de la Haute autorité s’est heurté à une autre limite lorsque
l’exercice de ce pouvoir touche les collaborateurs du président de l’Assemblée nationale
et du président du Sénat. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il y avait une
méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs si la Haute autorité adressait des
injonctions à ces collaborateurs afin que cesse une situation de conflit d’intérêts qui
« relèvent de la seule autorité du président de l’Assemblée nationale ou du président du
Sénat » (676 DC, cons. 45). Une réserve d’interprétation est émise en ce sens. Le fait
d’adresser une injonction aux collaborateurs des présidents des assemblées est considéré
comme une intrusion de l’administration dans l’exercice du pouvoir législatif.
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La transparence
vue par le Conseil
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Enfin, une dernière limite a été posée au pouvoir d’injonction de la Haute autorité par
une réserve d’interprétation : celle-ci « ne saurait (…) adresser et donc rendre publique
une injonction tendant à ce qu’il soit mis fin à une situation de conflit d’intérêts que si
la personne destinataire de cette injonction est en mesure de mettre fin à une telle
situation sans démissionner de son mandat ou de ses fonctions » (676 DC, cons. 62). Le
pouvoir d’injonction de la Haute autorité est limité dans son étendue : il ne saurait
imposer une démission à celui qui en fait l’objet. Le pouvoir d’injonction confié à la
Haute autorité ne doit être exercé que pour préserver l’objectif de transparence et non
pas pour remettre en cause le mandat ou la fonction dont est titulaire la personne visée
par le dispositif législatif.
Nul doute qu’un peu plus de recul et de temps affinera cette lecture des décisions
« Transparence de la vie publique ». Il n’en était pas moins possible d’apporter un
premier éclairage sur les traits saillants qui méritaient d’être mis en évidence. Le
dispositif de transparence de la vie politique a été admis dans son principe, seule sa
mesure a fait l’objet de quelques légers accrocs.
AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de concourir ainsi à la rénovation de la pensée
socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de
l’argumentation contribuent à atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles.
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