décembre 2010 - N° 14 ASSOCIATION RIVAGE Groupe Interdisciplinaire de Recherche et d’Action en Bénévolat d’Accompagnement Conférence du docteur Régis Aubry - 9 octobre 2010 - Hôtel de Ville de Versailles RIVAGE Editorial p. 2 Le rendez-vous de mars p. 2 Vie associative p. 3 Les artistes p. 5 et 6 Kaléidoscope des 20 ans p 4 Bibliographie, film p. 22 Contacts p. 23 DOSSIER LES ACTES DES 20 ANS Madame Bébin, maire adjoint p. 7 Marie Quinquis p. 8 et 9 Les accompagnants p. 10 à 13 Docteur Régis Aubry p. 14 à 18 Madame Catant p. 19 et 20 Les 20 ans, une suite à Clamart p. 21 RIVAGE Editorial Chers Amis, Le 9 octobre, nous nous sommes retrouvés nombreux à l’Hôtel de Ville de Versailles pour fêter Rivage, ses 20 ans d’engagement, de combat, de réflexion sur la fin de vie, selon l’ esprit des soins palliatifs. Ce sont des mercis que je voudrais redire à tous ceux qui ont travaillé, pensé, combattu avec nous durant toutes ces années, des mercis à la ville de Versailles pour son aide constante, ainsi qu’à tous ceux qui nous ont soutenus. Dans les lignes de ce journal, je voudrais dire un merci tout spécial aux bénévoles engagés dans notre association, à ceux d’hier et à ceux d’aujourd’hui. Par leur simple présence, par leur disponibilité, leur fidélité, ils ont apporté à notre monde un élan d’humanité qui permet à chacun, à chacune de regarder l’avenir avec espérance. Vous trouverez dans ces pages l’intégrale des interventions de cette journée. Merci pour ces conférences, merci à Régis Aubry, Président de l’Observatoire national de la fin de la vie, pour son analyse courageuse, merci à Chantal Catant, pour la voix irremplaçable qu’elle représente, merci à Marie Quinquis et aux accompagnants bénévoles d’avoir si bien exposé leur démarche auprès des malades. Je ne veux pas oublier dans mes remerciements les Artistes : calligraphe, sculpteur, photographe, musiciens et Valérie pour sa décoration florale. Ils ont embelli merveilleusement notre journée. Forts de ce passé construit avec les uns et les autres, regardons les 20 ans à venir : - gardons le souci d’humanisme qui permet de veiller sur la vie, - entretenons l’élan qui ouvre vers des recherches de sens, - transmettons au plus grand nombre le désir de prendre avec nous ce chemin qui propose de s’approcher du plus vulnérable, avec respect, étonnement et gratitude pour le trésor irremplaçable «d’être ensemble ». Sylvie Wolff Présidente de Rivage INVITATION AU RENDEZ VOUS DE MARS conférence-débat «sur le Deuil » (titre en cours d’élaboration) avec le docteur Christophe Fauré, psychiatre mardi 22 mars 2011 à 20 h 30 CENTRE HUIT : 8 rue Porte de Buc 78000 VERSAILLES Réservez cette date, venez nombreux, prévenez vos amis. Sœur Myriam, ancienne prieure de la Communauté des Diaconesses, nous a quittés fin octobre 2009. Elle avait participé à la formation continue de nos premiers bénévoles. Avec gratitude, l’association Rivage, consciente du bel héritage qu’elle nous a laissé, s’associe à la peine de toute la Communauté. -2- DEPENSES ET RESSOURCES EN 2009 VIE ASSOCIATIVE EN 2009 - 2010 Le CREAVie Dépenses Dépenses51 51 000 000€€ Comité de Recherche en Ethique d’Accompagnement pour la fin de Vie. . Avis 1 « La fin de vie, l’euthanasie et le suicide assisté ». Document qui affirme la réflexion éthique de notre association, schéma directeur sur cette question fondamentale de notre engagement. . Avis 2 (en cours d’élaboration, sur la vieillesse) La communication - le journal - la « bouteille à la mer » - l’actualisation du fascicule « Accompagner la vie » qui présente sous une forme claire et synthétique l’ensemble de nos activités 9% 6% 45% 40% - refonte totale du site internet Les relations extérieures - ACA 2 - SFAP = CABA et congrès - une conférence annuelle ouverte au grand public, mars 2010, 6è conférence avec Eric Fiat sur le vieillissement Formation initiale 23200€ Formation continue 20400€ Communication 4500€ Administration 2900€ BENEVOLAT EN 2009 Ressources 48 500€ Formation . 30 bénévoles ont suivi la formation initiale (36 heures en 6 modules) . 80 bénévoles ont participé au titre de la formation continue à deux conférences sur les thèmes : . Écoute de la maltraitance . Compréhension des troubles de comportement de la personne âgée Accompagnement . 100 bénévoles ont assuré 16000 heures d’accompagnement sur 4 sites : - Clamart (15 bénévoles) - Meudon (5 bénévoles) - Claire Demeure (65 bénévoles) - Courbevoie (15 bénévoles) . 4 bénévoles interviennent dans le réseau EPSILON d’accompagnement à domicile 14% 49% 16% 17% 4% Subventions SFAP 23500€ Subventions 2000€ Dons 8200€ Cotisations adhérents 7900€ Prestations formation 6900€ Amortissement 2200 € Déficit 4700€ -3- RIVAGE Kaléidoscope des 20 ans Corinne Bébin, maire adjoint, Hervé Fleury et le docteurJean-Yves Perrier François de Mazières, maire de Versailles, sœur Nathanaëlle et Marie Quinquis Sœur Evangéline, prieure des Diaconesses de Reuilly Olivier Joël, Directeur général de la Fondation Diaconesses de Reuilly L’ensemble de musique Baroque des Flûtes Avelaines Conférence du docteur Régis Aubry - 4- RIVAGE les artistes Tous, de Rivage et de la Cité, nous sommes sensibles à l’un des invariants de l’homme qui, même dans son état de vie vulnérable, est attiré par plus grand que lui, par la beauté, par sa diversité mystérieuse qui dévoile une réjouissance et un désir de la partager. Le 9 octobre 2010, Rivage a proposé à ses amis une étape artistique à regarder... Hippocrate Hassan Massoudy Françoise Bissara Fréreau Valérie Winckler -5- RIVAGE Les artistes L’ensemble Baroque des Flûtes Avelaines et à partager ! à écouter... Créations florales, Valérie de Saint Maur -6- Les 20 ans Accueil à l’Hôtel de Ville Corinne Bébin Maire Adjoint de Versailles déléguée aux affaires sociales Je suis heureuse de vous accueillir dans les salons de l’Hôtel de Ville de Versailles, au nom de François de Mazières, le maire, et au nom de toute l’équipe municipale, représentée ici par Hervé Fleury et le docteur Jean-Yves Perrier. Impliquée moi-même dans la réflexion sur les lois de bioéthique, l’action que vous menez me tient très à cœur. Elle fait aussi écho au souci humanitaire de toute l’équipe municipale. Madame la présidente, mes sœurs, chers amis, nous nous retrouvons aujourd’hui autour d’un sujet qui est essentiel pour notre société : « comment vivre notre pleine humanité jusqu’au bout ». Pour entrer dans un présent, il faut savoir sur quelle histoire il s’est bâti. Sœur Nathanaëlle nous donne aujourd’hui l’occasion de l’évoquer. En 1965, vous avez fait, à Paris, votre entrée aux Diaconesses de Reuilly, comme infirmière. De 1980 à 2001, vous avez assumé la responsabilité de Surveillante générale de la maison de santé Claire Demeure à Versailles. En 1987, vous êtes l’un des membres fondateurs de la Société Française d’Accompagnement et des Soins Palliatifs, et c’est en 1988, que vous avez souhaité créer un groupe de recherche en Soins Palliatifs et en accompagnement à Lyon. En 1990, avec Madame Quinquis, vous avez créé l’association Rivage à Claire Demeure, dont nous fêtons les 20 ans aujourd’hui. De 2001 à 2008, vous avez assuré une mission à la direction générale des Oeuvres et Institutions des Diaconesses de Reuilly. Au vu des différentes lectures qui ont été les miennes dans le cadre de cette réflexion sur les lois de bioéthique, je voudrais vous citer quelques lignes qui me paraissent essentielles dans l’action qui est la vôtre, lignes tirées du livre Eloge de la patience (1) : « La patience n’est pas maîtrise mais elle est accueil du temps. Elle ne consiste pas à répondre à la puissance du temps par la puissance de la volonté mais par une volonté de non puissance. Elle est manière paradoxale d’attendre, manière de prendre plaisir à l’attente. N’est-ce pas en apprenant la patience que le jeune homme devient un bon amant. Etre patient, c’est savoir attendre, c’est se laisser envahir par le temps de l’autre. C’est donner du temps au temps de l’autre. Et voilà pourquoi elle fut si souvent dite vertu féminine. Accueil aimant du présent, vertu qui donne au temps sa chance : voilà ce qu’est la patience. Et si l’attente impatiente nous met à distance de nous même et fait de tout délai une souffrance, la patience attentive nous réconcilie avec nous-mêmes et fait du délai une source de plaisir et d’approfondissement. Et même le temps passé dans l’attente de la mort peut être dès lors un temps pleinement vécu. » Soeur Nathanaëlle, je crois que votre histoire est résumée dans ces quelques lignes. C’est l’histoire de toute votre association, de toute votre action, et je vais vous avouer une chose, le plus gros défaut que j’ai : c’est l’impatience. Je viens me ressourcer aujourd’hui auprès de vous. Permettez-moi, avec mes collègues, au nom de toute l’équipe municipale, de vous remettre la médaille de la ville en témoignage de cet enseignement que vous nous avez laissé, que vous nous laissez chaque jour, et pour lequel vous êtes entourée par chacune des personnes qui est ici présente avec nous. Au nom de toute la ville de Versailles, de tous ses administrés, recevez cette médaille en signe de notre gratitude. (1) Eloge de la Patience, de Carl Norac. Editeur La Différence 1999 -7- Les 20 ans Rivage : un anniversaire Marie Quinquis accompagnant bénévole depuis 1988, co-fondatrice de l’association Rivage, vice présidente, responsable du Bénévolat Intervention rythmée selon des questions/ réponses Quelles valeurs pour l’accompagnement bénévole telles que RIVAGE les transmet ? L’action du bénévolat est originale car elle se fonde sur la gratuité. Des hommes et des femmes se construisent un bonheur dans le partage. En acceptant de se confronter à la fin de la vie, à la maladie grave, au vieillissement et au deuil, nous entrons dans un mouvement de protestation sociale. Boris Cyrulnik (1) a écrit «Je ne peux devenir moimême que s’il y a un autre » La gratuité offre une autre dimension à l’altruisme. La valeur du respect de l’autonomie et de la vulnérabilité de la personne soignée participe à la restauration de la compassion dans un monde violent. L’accompagnement permet à chacun de s’interroger sur les valeurs essentielles, le sens de la vie, la solitude, le souci de l’autre et l’importance de la confiance en l’homme jusqu’à son dernier souffle de vie comme ferment de croissance de notre société, de notre humanité. Le champ de l’accompagnement est large, son centre est partout où l’on peut rencontrer celui qui souffre et nous avons compris que l’entraide et la solidarité conduisent à la liberté. D’après le sens grec de « polis » la ville, on peut méditer…L’accompagnement se replace au cœur de la cité des hommes, cité qui est aujourd’hui souvent synonyme de peur, de solitude et de violence. Notre bénévolat d’accompagnement s’inscrit dans une action citoyenne où notre présence et notre témoignage essayent de donner aux mots liberté, égalité et fraternité leur saveur originelle. Le bénévolat d’accompagnement a une particularité, celle d’avoir été reconnue par le législateur comme partie intégrante de l’accompagnement du patient en fin de vie, dans sa globalité médicale, psychologique, sociale et spirituelle. L’article 10 de la loi du 9/06/1999 donne à chaque association la trame de sa charte, son cadre, ses règles. L’engagement est important, mais reste un choix personnel. Cela implique des droits et des devoirs, notamment celui de signer une convention entre l’association et l’établissement qui nous reçoit. La sélection et la formation initiale sont indispensables à la pratique de l’accompagnement ; ainsi que les stages pratiques avec un tuteur et un bilan de formation. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de donner un savoir, car il n’existe pas de technique d’accompagnement, mais plutôt de transmettre le fait « d’apprendre à désapprendre » tout ce qui nous pollue, qui fait obstacle à une relation authentique avec le patient, qui est de l’ordre des jugements moraux, du pouvoir sur l’autre, du projet sur lui. Dans nos formations nous essayons d’offrir aux futurs accompagnants bénévoles un lieu de convivialité, de calme, de liberté, d’expression en essayant de relier 3 pôles : l’accompagné - l’accompagnant - l’association. C’est en suivant ensemble ces 3 axes que le futur bénévole pourra descendre en lui-même afin de faire venir au jour les réserves de bienveillance, d’altruisme et d’amour qui pouvaient y sommeiller. Dans l’accompagnement, tout ce que nous apprenons de nous, c’est par l’autre que nous le découvrons. Quel engagement lié à la formation et à la pratique de l’accompagnement bénévole, selon la Société Française d’Accompagnement en Soins Palliatifs et d’Accompagnement et selon l’éthique de l’association RIVAGE ? .../... -8- Les 20 ans Rivage : un anniversaire Au fil du temps de la formation et des stages pratiques, cette transmission se fait dans la finalité de l’être et non du faire. Chaque accompagnant œuvre dans une équipe qu’anime un coordinateur. L’accompagnant s’engage par contrat avec l’association à 4 heures de bénévolat par semaine, à assister à une réunion de fonctionnement de son équipe chaque mois et à assister au groupe de parole mensuel animé par un psychologue. La formation continue est également importante, elle permet d’affiner notre compréhension de l’autre et de nous-mêmes. L’investissement dans l’association est également indispensable pour chacun d’entre nous car c’est le cœur et la ressource de notre bénévolat. Nous avons également un comité d’éthique le CREAVie (2) où nous réfléchissons ensemble pour permettre à l’association Rivage d’émettre des avis et des recommandations sur des sujets concernant l’accompagnement bénévole et par extension sur des thèmes de société touchant à la maladie, la vieillesse, le deuil, le handicap et la mort. Son objectif est de fournir aux bénévoles de Rivage, un avis clair, argumenté, facilement compréhensible et représentatif de la position éthique de notre association. Le fort accent que nous mettons sur l’engagement et ses exigences permet qu’aujourd’hui nous comptons une centaine de bénévoles qui, par le sérieux de leurs engagements, sont respectés dans les établissements où ils interviennent. C’est aussi à cause de cet engagement que nos équipes sont animées par des coordinatrices très investies dans leur responsabilité. Pour Rivage, il s’agit avant tout d’offrir le goût de la rencontre authentique, libre et gratuite, afin de moissonner le sens profond de notre propre humanité. Les 20 ans de Rivage : quel est le sens de cet anniversaire pour nous et la ville de Versailles ? Le mot anniversaire vient du latin. Il signifie revenir sur les années écoulées. Célébrer, c’est une coutume sociale qui implique le sens de la fête. Nous célébrons aujourd’hui les 20 ans de Rivage. Dans la tradition des indiens Hopis de l’Arizona, le nombre 20 représente le dieu solaire dans sa fonction d’archétype de l’homme parfait ! L’association Rivage a-t-elle atteint la plénitude ? Cet anniversaire ouvre la possibilité à la ville de Versailles Grand Parc, aux médecins, soignants et simples citoyens de prendre à nouveau conscience de ceux qui sont engagés - dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, - dans les associations de bénévoles : ASP, JALMALV, Blouses Roses et autres - dans les soins à la personne : EPSILON, Le Pallium, Relais Etoile de Vie - ou comme intervenants sociaux auprès des malades ou des personnes âgées. Versailles, ville solaire par excellence, nous offre la grande joie aujourd’hui de célébrer la vie, cette vie qui est en nous, autour de nous. Accueillons la ensemble avec l’admiration que méritent les choses éphémères et méditons les mots de Gaston Bachelard (3) : « Nous vivons endormis dans un monde en sommeil. Mais qu’un « tu » murmure à notre oreille et c’est la saccade qui lance les personnes, le moi s’éveille par la grâce du toi. L’efficacité spirituelle de deux consciences simultanées, réunies dans la conscience de leur rencontre, échappe soudain à la causalité visqueuse et continue des choses. La rencontre nous crée : nous n’étions rien, ou rien que des choses, avant d’être réunis. » (1) Boris Cyrulnik : psychanalyste, psychologue, neuropsychiatre et écrivain français (2) CREAVie : Comité de Recherche en Ethique d’Accompagnement pour la fin de Vie (3) Gaston Bachelard : Philosophe français 1884/1962 Très bon anniversaire ! -9- Les 20 ans A Rivage – l’accompagnement Deux accompagnants, Jehanne de Courrèges et Dominique Lehman sont intervenus le 9 octobre. Voici la transcription de leurs paroles en trois temps. Accompagner, devenir accompagnant D - Je vis cette fonction comme compagnon. Je me sens compagnon. J’aime beaucoup ce mot qui vient du latin cum panio, c’est-à-dire « manger du même pain ». Avec le patient, nous mangeons du même pain, nous faisons la même route, nous sommes côte à côte. En tant que retraité, j’ai une facilité, si j’ose dire, celle de me considérer comme un « jeune vieux » : cela me rapproche des patients. Nous sommes traversés par les mêmes phénomènes de décroissance : une espèce de retrait progressif de l’activité professionnelle, de la vigueur physique. C’est un terrain, dans le livre de la vie, entièrement commun avec les patients que je rencontre, nous sommes au même chapitre, mais pas à la même page. Ainsi, quelque chose peut se partager, le patient a simplement une longueur d’avance, j’allais dire : c’est sa supériorité, il me montre des éléments de mon futur. Je ne serai pas comme lui, mais ce qu’il vit me concerne profondément, je ne peux pas être indifférent à tout ce qui va se passer. Voilà ce qu’est un compagnon : il n’est pas indifférent. Un petit exemple d’une vieille dame, partie depuis, me disant : « Mais je vous ennuie avec mes petites histoires, ma petite personne. » « Oh, lui répondisje, si vous m’ennuyiez, je ne serais pas là. Je suis avec vous, avec ce que vous me racontez, et je vis cela avec beaucoup d’émotion. » Elle n’a plus jamais ré-exprimé cette peur de m’ennuyer. Nous étions dans un partage. Un mot encore sur l’accompagnement Dans les dernières années, dans les dernières heures, il se passe beaucoup de choses. C’est un temps de latence, le temps d’une sorte de métamorphose. (1) Thérèse Vanier, Médecin, Spécialiste des soins palliatifs., Fondatrice des communautés de l'Arche en Grande-Bretagne (sœur de Jean Vanier). - 10 - J – J’aime aussi beaucoup le terme de compagnon plutôt que celui de bénévole. Il exprime bien cette joie d’être avec quelqu’un. Quand certains m’interrogent sur mon bénévolat, je réponds souvent : il y a tout et rien à apporter dans ces visites. La phrase fondatrice de notre association : « C’est quand il n’y a plus rien à faire que tout reste à faire » (1) est un vrai moteur dans nos rencontres. Concrètement, chaque accompagnant passe une demi-journée par semaine auprès de personnes souffrant physiquement et psychologiquement devant ce « quitter » qu’elles vivent. Ces personnes sont en grande souffrance, très vulnérables, mais je suis frappée de voir, au fil des rencontres, combien certaines sont étonnamment pacifiées. Notre rôle consiste à « être avec », c'est-à-dire à être dans l’écoute ; c’est le cœur de notre bénévolat. L’écoute se vit dans le silence ou dans le dialogue quand la personne le souhaite et peut dialoguer. Ce n’est pas toujours facile d’être en phase, c’est à nous, accompagnants, de sortir de nous-mêmes afin de ne pas interpréter ce que le patient nous dit, spécialement quand il est inaudible ou incompréhensible. Voilà tout le cœur de notre rôle : être à l’écoute, être avec. Un mot encore sur l’accompagnement en écho à celui de Dominique Dans ces rencontres de personnes proches de la fin de leur vie, je reconnais et me sens en phase avec cette période de latence, d’attente. …/… Les 20 ans A Rivage – l’accompagnement Comment se passe un accompagnement ? D – Jamais comme prévu. C’est le patient qui dirige, mais serais-je capable d’être là, de supporter ? Je commence par ces mots : « Voulez-vous un petit moment ensemble ? » Il faut surtout que la personne se donne le droit de refuser si elle n’en a pas envie. Qu’est-ce qu'une rencontre ? Comment respecter la liberté de chaque patient ? Y-a-t-il à faire quelque chose ? C’est à moi d’être le plus simple possible, dépouillé, dépourvu de force, d’image etc. L’accompagnement vu sous deux aspects : - Côté lumière Je suis étonné de l’accueil que nombre de patients réservent aux accompagnants. Comment se fait-il qu’ils soient aussi gentils, prévenants ; je ne suis pas du tout sûr qu’à leur place je le serais autant. Aurais-je d’ailleurs envie que quelqu’un vienne me rencontrer sous prétexte qu’il frappe à ma porte ? Dans chaque accueil de patient, c’est comme une paix contagieuse que je ne comprends pas mais que je reçois avec un grand plaisir, une grande joie. - Côté ombre Un autre exemple, une personne me dit l’an dernier : « Cela m’a fait du bien de parler. Je suis heureuse. » Elle avait vidé son sac. J’en étais surpris. Ce fut un temps de relation fraternelle, nous étions frère et sœur en humanité. Ce fut tout. Notre fragilité partagée, c’est le nerf de l’affaire. De ces rencontres, je ressors épuisé et rechargé. Ne me demandez pas de vous expliquer. Mon énergie est anéantie mais j’ai emmagasiné quelque chose de contagieux, de vital. Elles sont nombreuses les personnes apaisées, beaucoup plus que je ne le pensais ; à moi de ne pas mélanger mon anxiété avec ce que je supposais être la leur. Cependant, les rencontres ne se passent pas toujours de manière idyllique. Parfois, le patient me pose des questions auxquelles je ne sais répondre. Il me demande des choses que je ne peux pas lui donner, des soins, de la nourriture… Psychologiquement, socialement, je ne peux rien. Au niveau des siens ? Chaque famille a son histoire à laquelle je ne touche pas. L’accompagnant se retrouve démuni. Il n’a même pas à rassurer. Les personnes qu’il rencontre ne sont plus dans la comédie humaine. C’est du nouveau. « La comédie c’est fini » chantait Reggiani. Le patient n’est plus dans le paraître, il a quitté toute cette scène. Et moi, accompagnant, je suis là, fragile, avec quelqu’un de fragile. C’est ma fragilité qui me relie à lui, c’est le lieu de rencontre. Ce n’est pas mon assurance, mes bonnes idées, mes bons sentiments qui vont donner à la personne le petit coup de soulagement, de rassérènement, pas du tout. J – Nous, les accompagnants, nous venons avec ce que nous sommes, avec notre personnalité. Ce n’est pas en contradiction avec l’idée de sortir de ce que l’on est pour être en phase avec l’autre. Chacun de nous vient avec ce qu’il est, il n’y a pas deux rencontres pareilles avec un même patient d’une semaine à l’autre. Chaque jour est différent et chacun dans l’équipe est différent. J’ai beaucoup appris dans l’humilité de la rencontre. Certains accompagnants font mieux que moi avec tel ou tel patient ; c’est toute la richesse d’une équipe. Il y a des patients que j’ai du mal à rejoindre alors que d’autres y arrivent très bien : tant mieux. Il y a des jours où je ne suis pas complètement disponible, même si j’ai l’impression de l’être, ou des moments qui ne sont pas propices pour la personne que je viens voir. Elle peut le dire ou l’exprimer par son attitude. J’ai découvert cette humilité de la rencontre. Je ne viens pas pour faire quelque chose, mais pour vivre une rencontre qui se construit au fil des heures et selon chaque personne. Un petit exemple d’une patiente me disant la semaine dernière : « Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? » Je lui ai répondu : « Je ne sais pas, je ne sais pas plus que vous. » Nous avons partagé notre ignorance. Elle m’en remercia comme rassérénée. …/… - 11 - Les 20 ans A Rivage – l’accompagnement L’accompagnement vu sous deux aspects : - Côté ombre Certaines rencontres attisent des points douloureux de mon histoire. Pour moi, le risque serait de tomber dans l’émotif. Heureusement nous participons régulièrement au groupe de paroles. Ce sont des rencontres avec un psychologue qui nous aide à mettre en mots ce qui trouble, et qui nous permet ainsi d’être vraiment en résonance avec le patient, en nous éloignant du niveau de l’affectif. C’est grâce à ces groupes de paroles, au psychologue, à l’équipe, que chaque accompagnant est protégé et gardé dans un professionnalisme de bénévole. - Côté lumière C’est le retour dans le monde des bienportants, si je puis dire. Dominique, je te rejoins vraiment dans cette dualité vidée / rechargée : une part d’énergie s’évade mais quelque chose de fort se construit. Je fais mon bénévolat l’après-midi, et j’enchaîne avec la sortie d’école de mes jeunes enfants. Je saute d’un monde à l’autre. Cet accompagnement m’aide vraiment à remettre les choses à leur juste place. Finalement, certaines ont peu d’importance par rapport à ce que je viens de quitter, à la souffrance, à la mort. Ces choses que j’avais l’habitude de considérer comme importantes n’auraient-elles finalement qu’un petit degré de valeur : tels les ennuis quotidiens, ou même l’orientation d’un enfant ? Ce sont des choses graves en soi, mais qui se remettent à leur juste place. Tandis que de petites choses, qui peuvent paraître futiles, acquièrent à mes yeux une plus grande importance parce qu’elles parlent du cœur de la personne : un enfant que je vais retrouver à 16 h 30 me parle d’une joie toute simple de sa cour de récréation, d’une amitié avec un camarade. Grâce aux visites que j’ai faites l’après midi, ces choses là retrouvent leur juste place dans ce qu’est la vie vraie. Je viens le matin : moment où il y a beaucoup de relations avec le personnel qui fait les soins, les toilettes. Les accompagnants se font chasser des chambres à tout moment : nous ne sommes pas chez nous. Nous sommes dans le monde soignants/patients, avec leurs règles ; dont certaines nous incombent aussi, telles celles de la confidentialité, du respect de l’éthique. Dans les maisons de santé, il y a beaucoup de jeunes, ce sont les soignants. Nous échangeons avec eux pour connaître les urgences de chaque jour ou pour demander d’intervenir auprès de telle personne. Un petit exemple : j’assiste au déjeuner donné par une aide-soignante stagiaire et je suis surpris de la virulence, de la violence avec laquelle elle s’adressait avec cette vieille patiente, j’étais étonné et je lui dis : « Je serais incapable de faire ce que vous faites, je ne supporterais pas.» L’aide-soignante me regarde puis commence à me parler, cela a duré une demi-heure. Nous nous sommes revus huit jours plus tard : ce n’était plus la même. Elle avait vidé tout un sac. Ce fut un accompagnement de même nature : entendre ce qui n’arrive pas à se dire et ce qui peut se dire. Il ne s’agit pas de morale. Quelle morale ? J’étais seulement avec cette aide-soignante à égalité, en vérité, comme avec le patient. Une autre histoire. Une personne venait de faire rentrer son mari dans l’établissement avec, ô combien de culpabilité ! Je lui dis « Cela me rappelle des choses récentes, ma mère, ma culpabilité. » « Vous connaissez cela, alors vous me comprenez ». Ce fut toute sa réponse, juste un partage, un réel compagnonnage, un « être avec », sans leçon à donner, sans jugement. Qui peut donner des leçons ? Etre accompagnant c’est « être là » tout simplement avec le patient, le soignant, la famille. Quelle richesse incroyable de relations chaque semaine ! Des rencontres : le patient, le soignant, la famille D - Il y a du monde dans une maison de santé. Toute l’équipe de soins autour du patient : médecins, infirmières, aidessoignantes, puis l’entourage, les proches, les amis. …/… - 12 - Les 20 ans A Rivage – l’accompagnement Conclusion J - Nous voyons beaucoup les soignants, et j’aime les soignants. Nous les retrouvons semaine après semaine, c’est une vraie relation. Nous parlons de leur vie quotidienne. Nous leur demandons desSœur Nathanaëlle nouvelles des patients à voir afin de connaître d’une semaine sur l’autre l’évolution de chacun, les soucis particuliers. Quand les soignants nous parlent de leurs patients, j’aime les entendre, parce que je mesure combien ils ont vraiment au cœur de leur métier ces personnes qu’ils soignent chaque jour. L’accompagnement avec les soignants, c’est un vrai bonheur. Je viens l’après-midi : je rencontre beaucoup de familles, et je suis étonnée de tout ce qu’elles apportent dans le service, de tout ce qu’elles vivent pendant ces moments avec leur proche, leur malade qui est là. Ces familles m’ont engagée dans des chemins d’humanité, avec des discussions conviviales, à bâtons rompus, et, avec des discussions de fond sur ce qu’elles vivent, ce qu’elles portent d’important, sur leur rapport à la famille et les liens qui changent avec ce deuil qui s’annonce, sur leur rapport à la souffrance, à la mort. C’est pour moi un chemin de réflexion qui me force à m’interroger sur toutes ces lois de bioéthique, sur la loi Leonetti, sur tout ce à quoi elles nous engagent, sur tout ce à quoi sont confrontées les familles ! Quelle multitude de situations, de questionnements ! D - La musique : avec un collègue accompagnant, nous proposons des séances de chansons, parfois viennent aussi des musiciens. Chez de nombreux patients, nous assistons à un réveil de la mémoire. Certains qui ne parlaient plus, ou de manière inaudible, retrouvent des textes de chansons connues, ou se mettent à chanter d’une voix de soprano, comme cette vieille dame Alzheimer. Il y a comme un réveil d’émotion, de mémoire de sons, de mémoire de chansons. Le changement est instantané, dû à la puissance jubilatoire de la musique et de la chanson, cependant les progrès ne perdurent pas. La musique fait partie de la matière de l’accompagnement. Cela signifie une chose forte pour moi : dans ces fins de vie plus ou moins longues, que de métamorphoses possibles, que de changements insoupçonnés ! Voici ce que j’explore, je découvre. Où cela va-t-il me mener ? Je ne sais pas, mais, au fil des rencontres, je deviens de plus en plus compagnon. J - En conclusion, j’ai vraiment découvert, dans ces accompagnements, combien le mouvement des soins palliatifs est profondément humain, qu’il donne de l’importance à ceux qui meurent, et qu’il considère chaque instant comme important, chaque instant que nous passons avec le patient est important pour lui. Pour moi. L’essentiel est dans la qualité de relation. C’est vraiment un message pour notre monde aujourd’hui. Réponse de Régis Aubry Je viens d’écouter avec attention les deux témoignages des accompagnants. Je voudrais en reprendre trois mots importants : partager, partager l’incertitude, la relativité. • Rencontrer à la fin de sa vie quelqu’un qui se propose de partager un peu de temps, c’est essentiel. Il n’y a pas de médicament contre cette souffrance existentielle constitutive de la fin de la vie. Ne pas laisser seule la personne qui finit sa vie et qui en souffre, c’est beaucoup plus important que tout ce que la médecine ne peut plus donner. • Partager l’incertitude, ces mots résonnent justes. A la fin de la vie, la seule certitude c’est le non savoir. Médecin, malade ou bénévole, que sait-on vraiment ? Celui qui vit sa fin toute proche pourrait peut-être en parler. L’incertitude est justesse essentielle ; devant la mort toute proche, c’est dans l’incertitude partagée exprimée par les écoutants, soignants ou bénévoles, que vient se loger l’espoir ou l’espérance. • La relativité des choses de la vie : c’est une grande école que celle de pouvoir mesurer, toucher du doigt la question de la relativité. Vous l’avez dit : parce qu’on mesure cette relativité, on peut donner aux choses l’importance qu’elles ont ou qu’elles n’ont pas. Mesurer la relativité de la vie, son début, sa fin, c’est permettre à la vie de prendre du sens. Le sens de la vie n’existe que parce que nous appréhendons cette temporalité. L’accompagnement est certainement une école de la relativité de la vie. Merci pour vos propos très justes car éprouvés. - 13 - Un Observatoire de la fin de la vie Docteur Régis Aubry Président de l’Observatoire national de la fin de la vie Un Observatoire de la fin de la vie Vous fêtez les 20 ans de votre association Rivage. Il y a 20 ans, au travers des problèmes du SIDA puis Olivier Abel avec les soins palliatifs, le milieu associatif a ramené le citoyen au cœur de la réflexion éthique et de l’expression des droits citoyens de la personne malade. Il y a 20 ans, le mouvement associatif des soins palliatifs s’élevait contre les conditions de la fin de vie ; conditions générées en particulier par l’usage que l’on faisait des progrès de la médecine. Aujourd’hui, il est possible de mieux appréhender les conséquences de ces progrès de la santé dans nos sociétés occidentales et les enjeux de l’accompagnement qui permettent de préserver ce qui fait leur ciment, ce qui fonde les sociétés, c’est-àdire le respect des personnes les plus vulnérables. Les sociétés qui sont capables de témoigner dans leur fonctionnement, et dans leurs engagements politiques, de leur capacité à accompagner les personnes les plus fragilisées, que ce soit sur le plan social ou sur le plan médical, sont des sociétés qui ont de l’avenir. Les sociétés qui nient la vulnérabilité ou veulent la gommer sont des sociétés qui se mettent en danger. Il y a donc une action très politique (au sens de la vie ensemble) dans le mouvement des soins palliatifs. Premier enjeu : les progrès de la médecine Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la découverte des antibiotiques, la médecine a fait des progrès plus considérables en 50 ans qu’elle n’en avait fait en 2000 ans. Aujourd’hui, grâce à ces progrès, l’augmentation de l’espérance de vie dans notre pays est de 30 ans ; c’est de l’impensé. Ceci est devenu possible grâce à l’amélioration de la santé en général, aux conditions de vie, à l’environnement dans lequel nous travaillons et aux conséquences des progrès formidables de la médecine. Nous sommes de plus en plus nombreux à vivre de plus en plus longtemps, sans maladie, sans handicap, c’est globalement vrai et c’est un progrès. Mais, depuis notre place d’acteurs soignants, (tous soignants confondus : je considère le bénévole comme un soignant car donner du soin ce n’est pas simplement avoir une pratique soignante ) nous voyons qu’il y a un corollaire à l’augmentation de l’espérance de vie sans maladie et sans handicap : de plus en plus de personnes vont vivre de plus en plus longtemps, avec de plus en plus de maladies de plus en plus graves. C’est à réfléchir. C’est la zone d’ombre du progrès. Il faudrait caractériser ce progrès autrement que par l’augmentation de l’espérance de vie. Le vrai progrès n’est pas d’augmenter du temps de vie, mais d’augmenter du temps de vie qui aurait de la qualité et du sens. Aujourd’hui, ce ne sont pas les médecins qui nous appellent à penser cette question de l’éthique du progrès, ce sont les personnes malades. Dans le champ de la cancérologie, cette discipline a permis de modifier complètement l’évolution de cette maladie. Aujourd’hui, on guérit du cancer, c’est écrit sur toutes les affiches. Ce que l’on dit moins, c’est qu’aujourd’hui on peut vivre avec un cancer, vivre longtemps avec cette maladie qui peut être freinée ; mais est-ce un progrès en soi ? Ecoutons une patiente : « Le cancérologue me disait de me réjouir ; parce qu’il y a 10 ans avec une telle maladie, je devrais être morte. Il ne comprend pas ma vie. Je vis avec une maladie en moi, ce n’est pas simple. Je vis avec la trace, l’inscription de ma vulnérabilité, c’est une souffrance. Je vis avec les conséquences des soins faits pour freiner ou arrêter la maladie, je vis avec les séquelles de la chirurgie, de la chimiothérapie, de la radiothérapie. Finalement, je vis quelque chose qui s’apparente à une forme de souffrance qui provoque la question du sens de la vie et du progrès que l’on m’énonce comme exceptionnel. » …/… - 14 - Un Observatoire de la fin de la vie Il est de notre devoir, pour les décennies à venir, de travailler sur la qualité et le sens de la vie des personnes dont l’existence est maintenue du fait du progrès. Olivier Abel en EVC (1) • Les malades Un exemple pour illustrer cette nécessité du questionnement éthique du progrès. Je travaille dans le cadre d’une action de recherche sur les personnes en EVC, personnes qui sont vulnérabilisées au maximum : elles dépendent de nous pour la toilette, les soins, la nourriture. Elles sont de plus en plus nombreuses. La prise en charge des urgences s’est améliorée depuis 20 ans, son organisation est un modèle du genre dans notre pays, mais les progrès des urgences mêlés aux progrès de la réanimation, aux progrès de la neurochirurgie, de la médecine neuro-vasculaire, font que des personnes, qui seraient mortes il y a 10 ans, ont aujourd’hui statistiquement une chance de s’en sortir sans trop de séquelles. Pour celles-là, c’est un progrès ; mais pour celles qui vont retrouver une autonomie respiratoire, cardiaque, mais vivent dans une dépendance totale, pouvons-nous dire qu’il s’agisse d’un progrès ? Que vivent ces personnes, qu’éprouvent-elles, que ressentent-elles ? Est-ce de la vie cette forme végétative ? Qu’a-t-on fait pour accompagner ce que le progrès sécrète ? Comment se fait-il qu’aujourd’hui il n’y ait pas d’endroit, pas d’espace, pas assez de soignants pour s’occuper de ces personnes ? (Certains le font, en les considérant comme des personnes, et non comme des objets.) Nous avons pris un retard considérable pour développer des services permettant d’accueillir, d’accompagner, d’exprimer l’humanité nécessaire pour ces personnes totalement vulnérables, au point même, parfois, de culpabiliser les proches ; comme s’il n’était pas du devoir de la société et de la solidarité de se matérialiser autour de ce patient. • Les personnes confuses Corollaire de l’augmentation de l’espérance de vie, l’augmentation du nombre de personnes atteintes de détériorations cognitives, de maladies Alzheimer ou de type Alzheimer. Aujourd’hui, en France, 800 000 personnes en sont atteintes, dans 10 ans, les statistiques prévoient que 1 200 000 sujets français seront atteints de cette maladie gravissime. Les mêmes questions se posent, et doivent rester des questions, si nous voulons pouvoir donner à ces personnes toute l’humanité que nous leur devons. Qu’éprouvent ces personnes atteintes d’une maladie d’Alzheimer ? S’agit-il d’une question médicale ? (1) EVC : Etat Végétatif Chronique Ces personnes éprouvent-elles du plaisir, trouventelles du sens ? Une certitude : elles éprouvent. Nous ne pouvons répondre clairement à toutes ces questions, mais il s’agit de personnes très vulnérables. Si notre société montre sa capacité à les accompagner, notre société aura de l’avenir. Un exemple : J’étais l’an dernier devant la Commission sociale du Sénat sur ces questions de fin de vie et d’augmentation de personnes demandant des soins palliatifs. Après mon rapport, voici une des premières questions : « Est-ce que vous pensez que cela sert à quelque chose de maintenir en vie ces personnes ? » Bien sûr, dans cette question il y avait la peur de la mort, de la différence. Consubstantiellement, l’Homme sert à quelque chose. Il sert à être Homme. Consubstantiellement, l’homme vulnérable témoigne de la vulnérabilité intrinsèque de l’Homme et de sa finitude, il sert à autrui, il lui permet de se rendre compte de sa propre vulnérabilité. Attention à une véritable dérive utilitariste de la vie dans nos sociétés. L’homme ne servirait plus dès qu’ il ne ferait plus, qu’il ne produirait plus, voire quand il ne serait plus rentable. Nous les soignants, nous avons à opposer une véritable résistance à cette dérive qui n’est pas uniquement sémantique. C’est dans la résistance que naissent ou renaissent les valeurs essentielles. Deuxième enjeu : la solitude, conséquence du progrès Le champ de la fin de vie est en train d’augmenter de façon considérable. Si on se projette dans 10 ans, dans 50 ans (je suis chercheur associé à l’Institut national des Etudes démographiques) le nombre de personnes relevant d’accompagnement va être extrêmement important. Non seulement le progrès produit de la survie sans, mais aussi avec, maladies et handicaps, mais il fabrique aussi de la solitude. Plus il y aura de personnes qui vont vivre longtemps, plus elles seront nombreuses à vivre seules. Il nous faut penser les solitudes qui existent déjà, et celles qui vont exister dans les 20 ou 30 ans à venir. L’épisode de la canicule en 2003 en fut le révélateur. On se rendit compte que 2000 personnes âgées mouraient du fait de la chaleur. L’analyse de cet épisode révéla l’existence d’une population vulnérable et isolée. Ce n’est qu’un début. …/… - 15 - Un Observatoire de la fin de la vie Nous n’avons pas saisi cette occasion pour réfléchir à cette vulnérabilité à l’œuvre dans notre société qui vieillit du fait même des conséquences du progrès. Pour l’avenir, il va nous falloir bien connaître cette réalité des vulnérabilités issues de la solitude, et, en miroir, il nous faudra penser les solidarités à développer. Une société qui a de l’avenir est une société qui ne laisse pas tomber les personnes vulnérables. Qu’entend-on par « solidarités »? Rivage illustre bien ce propos. Au travers d’une association, la société s’engage bénévolement à accompagner les plus vulnérables d’entre nous. Etre bénévole c’est intéressé et intéressant. C’est intéressé parce qu’un jour peutêtre ce sera notre tour d’être vulnérable et seul. Il y a donc lieu de penser aujourd’hui les solidarités de demain. Différentes formes de solidarités sont à développer avec de l’inventivité, de la créativité. Vous l’avez dit combien l’inventivité est facile dans le bénévolat, même dans un cadre très contrôlé comme celui des accompagnants bénévoles, quand vous parliez de musique, quand vous parliez de réveiller la mémoire par la sensorialité. Exemple : J’ai le souvenir d’un malade sans papiers que nous avions accueilli. C’était un homme en grande souffrance, malheureux, atteint d’un cancer. Il se retrouvait à l’hôpital dans un état que nous avions pris pour un coma. Ce monsieur était si grand qu’on avait dû retirer le bout de son lit, pour lui laisser étendre les pieds. Soignants et bénévoles, nous étions tous très ennuyés car nous ne connaissions ni sa langue, ni ses origines, ni sa famille, nous ne connaissions rien de lui, si ce n’est qu’on l’avait retrouvé dans une rue, qu’il semblait être du Ghana et qu’il était mourant. Un jour, un bénévole nous dit qu’au Ghana il y avait une musique particulière. Il la trouve, la lui met et voilà cet homme, qu’on croyait déjà mort, battant la mesure avec ses pieds. Ce fut notre seul moyen de communication ; cet homme est mort en battant la mesure. Le bénévolat en France est menacé. Nous sommes dans un pays où le bénévolat est parfois suspect. Il doit être très encadré parce qu’il ne faudrait pas qu’un bénévole vienne prendre la place d’un professionnel. J’ai été formé en partie au Canada, il y a 17 ans maintenant. J’avais été très surpris de voir combien dans cette culture le bénévolat était consubstantiel à la vie. On apprend à tout individu à dégager un peu de son temps pour autrui, quelque soit son temps à lui enfant ou adulte professionnel. Et ceci, non pas dans un contexte religieux, mais dans un contexte que je qualifierai plus largement de spirituel, c’est-à-dire du sens qui se trouve dans notre capacité de créer du lien avec autrui. Au Canada, le suspect était celui qui ne faisait pas de bénévolat. Je ne sais pas pourquoi franchir l’Atlantique amène à inverser la suspicion. Vous, les bénévoles, vous avez dû entendre des réflexions de ce type : « Qu’est-ce qui te prend d’aller t’occuper de ceux qui vont mourir ? » On vous parle d’appétence morbide de ceux qui s’approchent des malades en fin de vie. Vous pourriez répondre : « Qu’est-ce qui vous prend de ne pas vous en occuper. Est-ce une peur, une angoisse ? » Troisième enjeu : la poussée des droits des malades A l’origine de l’Observatoire, il y a la loi Leonetti « Droit des malades en fin de vie ». Les lois n’existent que parce qu’elles s’imposent. C’est la société qui fait la loi, c’est une évolution de la société. Les droits des malades ne sont pas ancrés et définitifs. Actuellement, on considère que la personne malade est peut-être malade mais aussi et avant tout citoyenne. Peut-on penser que le citoyen soit tenu à l’écart de ce qui le concerne en premier chef, en l’occurrence sa maladie, et peut-être l’incertitude à le guérir ? Les deux lois, du 4 mars 2002 : « Droits du malade et organisation du système de santé » et la loi du 22 avril 2005, « Droits des malades et fin de vie » mettent la personne malade au cœur de tout ce qui constitue les décisions et orientations qui vont être prises. C’est un changement total dans l’organisation du système de santé. Lorsque j’étais jeune médecin, le code de déontologie de l’époque me disait : il ne faut pas embêter le malade avec sa maladie. Il faut s’occuper de sa maladie et lui dire qu’on s’occupe de lui. Il ne faut pas lui révéler sa maladie. Aujourd’hui, le code de déontologie a changé à l’instar de la société qui le fait. Aujourd’hui, d’après la loi il s’agirait de tout mettre en œuvre pour que le principal intéressé soit informé, pour qu’il puisse se positionner en connaissance de cause par rapport aux choix qui pourraient être fait pour lui concernant sa maladie. C’est très difficile de faire une ligne de loi ; j’ai collaboré à l’écriture de la loi « Droits des malades et fin de vie ». Ecrire tout patient a le droit de refuser tout traitement (art. 3) c’est une ligne de loi qui ouvre des tonnes de difficultés pour nous les soignants ; parce que, pour que nous puissions affirmer que le refus d’un traitement est éclairé, encore faudrait-il que nous puissions être sûrs que la personne qui refuse est une personne qui sait, qui a écouté, entendu, intégré et qui peut réellement se positionner. …/… - 16 - Un observatoire de la fin de la vie Exemple : Il y a quelques mois une collègue Je dirige un espace éthique interrégional ; l’an cancérologue me demandait de revoir en deuxième dernier, j’étais aux Etats-Unis pour un congrès sur consultation une jeune patiente à qui elle venait les greffes d’organes et la baisse des donneurs dans d’annoncer qu’elle avait un cancer ovarien assez grave. le monde (du fait même du progrès, nous sommes Le cancérologue disait : « Très honnêtement et avec les de plus en plus nombreux et vieux, ainsi nous éléments scientifiques dont nous disposons, le traitement sommes moins donneurs, non par manque de que nous vous proposons peut vous mettre en rémission complète, par contre le traitement n’est pas dénué générosité, mais à cause de l’âge). Un médecin d’effets secondaires. Il faut que vous connaissiez les américain nous annonce avoir la réponse éthique à effets secondaires. » A la fin de ma visite, alors que j’étais la limitation des greffes d’organes. Il a fabriqué un sur le point de partir, cette dame me dit «D’ailleurs, je cœur artificiel, il était passionné. Je pensais : sais bien comment cela finit, ma mère est morte d’un combien coûte un cœur artificiel ? Un prix très élevé cancer des ovaires il y a 25 ans, je me rappelle combien bienafghanes sûr. Va-t-on développer cela ou maintenir elle a souffert, je me rappelle les effets Aurore de sur lales montagnes l’égalité de l’accès aux soins, ce qui est un progrès chimiothérapie, soyez assuré monsieur que je vous en dans notre pays dont nous n’avons plus conscience. voudrais beaucoup de me faire subir la même chose qu’à En France, depuis l’après-guerre et l’avènement de ma mère ». Je me suis assis à nouveau auprès d’elle. Elle m’a décrit la fin de vie de sa mère il y a 20 ans. la sécurité sociale, on a permis à tout individu d’avoir L’éclairage que nous tentions de lui apporter était un accès égal aux soins, indépendamment de son perturbé par la représentation qu’elle se faisait, niveau socio- économique. Même si cette égalité est représentation ancrée dans son vécu. On peut battue en brèche chaque année un peu plus au comprendre. Nous avons retravaillé sur la relativité de la moment du projet de loi de financement de la représentation : au final cette jeune femme accepta de sécurité sociale, nous restons le pays où l’accès aux suivre un traitement. soins est le plus facile. Il suffit de faire quelques kilomètres pour se rendre compte de la vérité de ce que je vous dis là. A vouloir développer ce qui brille, ne risque-t-on pas de ne plus permettre ce vrai progrès ? Il faudra demain que nous sachions énoncer des choix parce que nous ne pourrons pas tout faire. D’ailleurs, faut-il que nous fassions tout ce que nous savons faire ? Cette question s’est posée quand on a vu que l’on pouvait pratiquer le clonage reproductif. Faut-il que nous allions jusque là, jusqu’à la possibilité de nous cloner. Serait-ce du progrès de cloner l’homme ? Les contraintes économiques dans lesquelles nous nous trouvons vont nous obliger à avoir un débat citoyen sur ces questions. Ce qui m’a fait répondre entre autres à votre invitation, c’est que précisément les questions dont nous débattons sont des questions de société, ce ne sont pas des questions médicales. Ce dont nous parlons, les soins palliatifs par exemple, ne doit certainement pas être enfermé dans le champ médical. Il y aurait grand danger à ramener les soins palliatifs à une affaire de médecins, de soignants. Vous voyez combien la loi énonce facilement des choses qu’il sera difficile de mettre en œuvre. Les droits des malades, cela implique un engagement très fort de la part du soignant et un changement de paradigme : le médecin, les soignants, ne décident pas mais ils vont devoir s’impliquer très sérieusement dans la communication. C’est un véritable changement. Quatrième enjeu : le contexte économique dans lequel le progrès se développe Il y a les circonstances de la crise économique actuelle, l’avenir ne sera pas comme par le passé, il faudra que nous fassions avec les limites économiques dans lesquelles le progrès pourra se développer ou pas. Les questions vont être fondamentales pour notre société : nous n’avons pas les moyens de toutes nos ambitions. Ce n’est pas parce que nous savons faire beaucoup de choses du fait du progrès, et le progrès est exponentiel, que nous avons les moyens d’investir Conclusion tous les champs du progrès. En termes politiques, il L’Observatoire de la fin de la vie faudra bien que l’acteur politique permette de fonder des choix par rapport au progrès. Aurore sur les montagnes afghanes L’Observatoire a semblé être une nécessité aux législateurs, via la Commission d’évaluation de la loi « Droits des malades et fin de vie », présidée par Jean Leonetti. …/… - 17 - Un observatoire de la fin de la vie Cette loi vise à promouvoir le respect de la personne, elle s’adresse aux citoyens. Elle apporte une pédagogie et une obligation d’avoir comme fil conducteur de la pensée de l’acteur de la santé, le respect de la personne qu’il a en face de lui. Une loi qui donne des repères pour respecter la personne est une très belle loi, même si, au regard du juriste, elle n’apporte rien de nouveau. Il apparaît aujourd’hui, dans ce contexte d’augmentation d’espérance de vie, la nécessité de penser les nouvelles solidarités, d’accompagner le progrès d’une réflexion sur les choix en matière de progrès. C’était nécessaire alors qu’une population de plus en plus importante va relever d’une démarche palliative. On aurait bien aimé que la fin de vie soit un instant très court, que cela se résume à l’agonie en quelque sorte. La fin de vie est un champ qui est en train de s’étendre, d’augmenter. On voit des gens qui prennent conscience de leur finitude beaucoup plus tôt qu’avant, parce qu’ils sont malades et qu’ils vont avoir une exigence de démarche palliative beaucoup plus forte qu’autrefois. Il apparaissait important de créer un Observatoire pour observer précisément ce changement sociétal, pour mesurer la façon dont celui-ci se déroule, se vit, s’accompagne. En d’autres termes, cet Observatoire de la fin de vie va se doter de tous les moyens dont il dispose, même s’ils sont assez limités, pour mener des études, pour observer les changements majeurs dans notre société, même au-delà de notre société française. Je rencontrais hier une représentante de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; nous allons essayer de développer cette réflexion au sein de l’Europe, dans une communauté de progrès, avec de belles différences qui sont des richesses. Les différences de culture, les différences d’histoire, qui ont fondé les nations, sont autant de richesses ; il ne s’agit pas de vouloir tout harmoniser, mais de penser le respect de l’homme de façon universelle. Cet Observatoire va devoir aider par sa production de « savoir » objectif, neutre. Il ne va pas se mettre dans des courants partisans - pour ou contre l’euthanasie - ce n’est pas le problème. C’est plutôt : comment peut-on permettre au législateur, au décideur, au citoyen de fonder son opinion sur des questions qui le concernent au premier chef ? Cet Observatoire va essayer d’éclairer sur une réalité que nous aurions tendance à vouloir enfouir : le vieillissement de la population, sa vulnérabilisation, l’isolement de plus en plus important, la paupérisation économique de nos systèmes qui a une traduction sur le plan de la recherche et sur les conséquences de la recherche. Il faut que nous mettions tout ceci au jour afin que nous puissions en « débattre ». Tous les ans, je dois présenter un rapport des actions de cet Observatoire auprès des Parlementaires. L’enjeu sera de susciter un débat, mais pas un débat du type binaire. Il s’agira de parler de la complexité, d’écouter parler de la complexité. Le citoyen sait bien que la vie est complexe, que l’homme est encore plus complexe parce qu’il est un, unique. Présenter les choses en les réduisant à une forme de simplicité binaire « pour ou contre » c’est créer de l’insatisfaction. Je crois qu’il faut arriver à fournir au citoyen une matière à réfléchir sur ce mouvement inéluctable de notre société. Si nous voulons que ce progrès soit réellement un progrès, il faut que nous l’accompagnions. Si le progrès se résume simplement à augmenter la durée de vie des gens peu importe la qualité de leur vie : c’est un drame. Cet Observatoire va servir à faire savoir, à faire connaître cette loi « Droits des malades et fin de vie », toutes les lois sur les droits des malades, sur l’évolution de la législation. Il servira aussi à faire connaître les autres législations des autres pays, des autres cultures ; il ne s’agit pas d’opposer les législations. Les législations ne font que marquer le lieu où en sont les cultures et les populations. Peu nous importe qu’il y ait telle ou telle loi, pourvu que l’on soit dans des sociétés hautement civilisées dont la démocratie se matérialise aujourd’hui dans la capacité à respecter les personnes les plus vulnérables. Nous, les acteurs de cet Observatoire, nous devons aider les décideurs et les acteurs que nous sommes à mieux comprendre les enjeux du futur. L’Observatoire va travailler en réseau avec toute la communauté scientifique, savante aussi bien dans le champ de la médecine, dans celui des sciences de l’homme : philosophes, psychologues, anthropologues. Nous sommes preneurs de propositions d’aide. Aidez-nous à faire en sorte que cet Observatoire puisse avancer. Je vous remercie. - 18 - Les soins palliatifs, une longue histoire Chantal Catant Membre fondateur de la SFAP ex- présidente de JALMALV – Ile de France vice présidente de la Fédération JALMALV 20 ans d’histoire de Rivage ! Nous avons tant de souvenirs en commun. En 20 ans, s’écrivent tant d’événements, s’instaurent toute une vie, toute une progression. Ces souvenirs font prendre conscience de la durée du mouvement des soins palliatifs. Les débuts de cette histoire ont été si humbles. Chacun de notre côté, nous étions interrogés par les fins de vie que nous côtoyions. La rencontre de ces mourants vulnérables et quasiment abandonnés (à l’époque, on mettait des paravents devant leurs lits) a construit une force commune. Nous, les soignants, nous étions formés pour guérir. Quel choc de rencontrer ces personnes qui avaient besoin de soins, de soins plus particuliers, ces malades qui exprimaient encore des projets de vie. Quelle interrogation pour nous, les soignants ! L’histoire de Rivage est associée à celle des soins palliatifs, vous y avez apporté et vous continuez à y apporter votre part. L’histoire des soins palliatifs est une histoire collective, enrichie par les réflexions, les actions entremêlées des soignants et des associations. Chacun et chacune avec sa propre culture, sa dynamique typique et son expérience particulière nourrissaient l’ensemble. Si le mouvement des soins palliatifs a pu devenir ce qu’il est aujourd’hui, comme l’a exprimé Régis Aubry, c’est bien grâce à cette force collective. Vous y avez pris votre part, une part énorme. Parler d’histoire, c’est évoquer un passé, mais aussi un présent et un avenir, car cette histoire est vivante, elle continue, elle n’est pas près de finir : la mort fait partie de la vie. Que ce soit la SFAP (1) ou mon milieu originel Jalmalv (2) ou Rivage, tout le milieu associatif a été extraordinaire. Soignants et associations, nous avions en commun cette passion de l’Homme, le désir que l’Homme soit soigné et vivant jusqu’au bout. Après des années d’accompagnement, je puis dire que tout être est bien vivant jusqu’au moment de la mort. Nous ne sommes pas les personnes centrales de cette histoire, ce sont les personnes que nous accompagnons, celles qui sont confrontées à la mort, à des maladies chroniques graves, à des vies en état végétatif, comme vous les accompagnez à Rivage. Je voudrais évoquer aussi les personnes très âgées dont la vie a été prolongée, et parler de leur solitude. Je voudrais rendre hommage à sœur Nathanaëlle et à Marie Quinquis, avec lesquelles une grande amitié est née dans le militantisme. On ne compte pas les réunions, les congrès, les réflexions, les combats, les difficultés ; ce ne fut pas simple mais nous avions toujours au cœur ce souci d’avancer, d’être au service de ces personnes en grande souffrance qui avaient besoin d’être reconnues. Tout cela nous interpelle. La mort fait partie de la vie humaine, la réflexion sur la fin de la vie n’est pas finie, elle a à s’approfondir car, si la réalité de l’Homme est une finitude absolue qui fait partie de son ontologie, le monde change dans des conditions difficiles. La pression économique est là, l’émiettement du tissu social qui nourrit cette …/… (1) SFAP : Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (2) Jalmalv : Jusqu’ A La Mort Accompagner La Vie - 19 - Les soins palliatifs, une longue histoire solitude, la médecine, les conditions des soins et de l’accompagnement évoluent. L’histoire n’est jamais finie. Nous la vivons au présent et ce que nous vivons prépare l’avenir. Ce « prendre soin » c’est l’expression d’une solidarité humaine fondamentale à honorer particulièrement dans notre société individualiste du fait du poids de la vie, de la dispersion sociologique, etc… Il appartient à chacun de nous de faire vivre cette solidarité, notamment dans ces périodes difficiles de l’approche de la mort, de la grande souffrance des malades ou de leurs familles. Les bénévoles de Rivage sont une expression de cette solidarité humaine. Je voudrais évoquer ici René-Claude Baud (3) , un grand compagnon qui n’est plus là. Je pense à son association Albatros qui reste vivante et je sais tous les liens qui l’unissaient à Rivage. René-Claude Baud et d’autres qui nous ont quittés, avec leur forte capacité d’engagement, sont les pierres d’angle du mouvement auquel nous appartenons aujourd’hui. Ayant un parcours de soignante, puis de bénévole, je puis dire combien la place des bénévoles est une Je voudrais dire aussi que, si le droit français fonction irremplaçable. Lorsque j’étais soignante, reconnaît à tous, d’où qu’ils soient, le droit de mourir j’avais la chance d’avoir une équipe très avec des soins appropriés et un accompagnement, performante. Je m’approchais souvent des malades c’est grâce à toutes les associations qui, après des pour vérifier avec eux comment ils ressentaient leurs combats complètement obscurs, ont vu tout à coup soins, ce qu’ils pouvaient encore désirer ; nous une lumière surgir : les assemblées représentatives avions le souci de proposer des soins de la nation ont approuvé à l’unanimité la loi pour les accompagnants : les soignants étaient très présents, Droits des malades en fin de vie. très écoutants mais dans la limite de leur profession. Quand une loi est promulguée, il faut l’appliquer : il Malgré cette application, j’entends encore le cri d’une reste encore beaucoup à faire. L’Observatoire de la fin dame : « Je paierais quelqu’un pour m’écouter ». Ce de la vie y contribuera, mais, nous tous les citoyens, cri m’habite toujours. Ce jour-là, j’ai compris que nous devons en avoir le souci, car cette loi évoqueouvert à tous ! un musée devenait indispensable auprès des grands malades pour la première fois la présence des bénévoles et et de leurs familles, la présence de personnes des associations auprès des personnes proches de formées, librement choisies, capables d’écouter ces la mort ; la société s’ implique. La mort de chacun souffrants, afin qu’ils puissent être eux-mêmes dans nous regarde tous : c’est un message fort. Le monde une relation de libre choix, dans un monde où ils sont évoluant, la médecine évoluant, la réflexion sur la fin encore des citoyens. La présence des soignants est de vie est toujours à poursuivre. obligatoire, tandis que celle du bénévole est un A Versailles, cette réflexion est très vivante depuis les choix : le malade peut l’accepter ou la refuser ; cela premiers jours. A l’origine des soins palliatifs, il y avait permet une relation humaine libre. Pour cette raison, deux grands hôpitaux en France : Percy avec l’ASP (4) j’ai été une soignante inconditionnelle du bénévolat, et Claire Demeure. Vous étiez phare déjà pour les que j’ai rejoint humblement depuis. soins palliatifs ; nous collaborions en tant que Accompagner les malades, c’est découvrir par eux soignants, mais à l’époque nous n’aurions jamais des valeurs différentes sur la vie, des cultures osé dire que nous faisions des soins palliatifs. différentes, des façons de vivre différentes, des Le mouvement est né après, à partir de ces relations tellement enrichissantes, variant d’une interrogations, de cette passion de l’Homme, de personne à l’autre. Chacun est unique et, dans la l’Homme souffrant, de l’Homme confronté à sa rencontre, chacun livre un magnifique cadeau : une destinée. La réflexion doit se poursuivre au titre des part de sa propre histoire, souvent difficile, toujours soins à porter ; la médecine palliative est une emplie de beautés. médecine qui vit, qui bouge, qui a un Observatoire L’accompagnement est une école de vie. national, c’est un des facteurs d’évolution, mais je J’espère qu’en France, à Versailles et ailleurs, les pense que « le prendre soin » des personnes, soins palliatifs resteront indissociables de l’accompagnement, c’est quelque chose qui nous l’accompagnement, de ce « prendre soin » des regarde tous. personnes sans lequel la vie n’est plus imaginable. (3) René-Claude Baud : jésuite, fondateur d’Albatros (4) Accompagnement bénévole en Soins Palliatifs - 20 - RIVAGE Les 20 ans, une suite à Clamart Les 20 ans de Rivage à la Clinique du Plateau à Clamart (92) Pour fêter les 20 ans de Rivage, le 1er décembre 2010, les accompagnants bénévoles de Clamart ont organisé une réception dans le salon du 3ème étage de la Clinique. Entre 12h et 15h, afin de recevoir au mieux les soignants pendant leur pause, les patients et leurs familles, Rivage a offert à tous boissons et nourritures apéritives préparées par les bénévoles. Un grand panneau exposant les différents sites dans lesquels Rivage intervient, décorait le mur au-dessus du buffet. Ce panneau permet de mettre en évidence la taille de notre association et son sérieux. Nous avons eu le plaisir d’accueillir Monsieur Chiche, médecin-directeur de la clinique, les médecins, l’une des psychologues, les soignants, les agents du service hospitalier et le personnel administratif, certains résidents sont aussi venus passer un moment en notre compagnie. A chacun, nous avons remis une documentation sur notre association. Le docteur Chiche, directeur de la clinique, le docteur Haddad, soeur Nathanaëlle, Marie Quinquis et Catherine Reclus La présence de Marie Quinquis et de Sœur Nathanaëlle a réjoui tout le monde ; cela a permis un échange fructueux avec les acteurs principaux de la clinique. Quant à nous les accompagnants, nous avons beaucoup apprécié que cette réception informelle nous amène à avoir des discussions aussi inhabituelles qu’intéressantes avec tous. Un détail, preuve s’il en est besoin de la bonne ambiance qui règne dans la clinique, plusieurs soignants ont été heureux d’emporter des assiettes garnies pour leurs collègues qui ne pouvaient venir. Cette rencontre autour des 20 ans de Rivage fut un vrai succès, nous en sommes fiers et heureux. Catherine RECLUS Coordonnatrice des Accompagnants à la Clinique du Plateau - 21 - L’équipe des accompagnants Bibliographie La rencontre de l’autre, c’est notre quotidien d’accompagnateur, c’est aussi notre émerveillement. Par cette page, Rivage propose de se mettre à l’écoute de la voix des écrivains et cinéaste d’hier et d’aujourd’hui afin d’élargir encore et toujours notre perception de la personne humaine. Le lieu perdu Norma Huidobro, éd. Liana Lévi 2009 (18 €) Approcher la personne qui souffre Violaine Journois éd.Nouvelle Cité 2010 (17€) Dans la fraîche pénombre du café où Marita travaille, jour après jour, la tension monte… Norma Huidobro, dans une langue presque incantatoire, nous plonge dans ce lieu perdu, écrasé de soleil. Ce livre est une splendeur, un chef d’oeuvre ! Ce livre propose des repères et des outils pour aider à approcher celui qui souffre. Il apprend à être présent sans être englouti, à être efficace sans mettre l'autre sous emprise, à être dans une relation vraie, à accompagner l'autre. Ce guide conviendra à ceux qui côtoient la souffrance à titre professionnel ou particulier. Il apprend qu'un accompagnement bien compris mène à une vraie rencontre et procure ainsi une joie véritable. Departures Film de Yojiro Takita, avec Masahiro Motoki, sorti en France en 2009, actuellement en dvd. Ouragan Laurent Gaudé, éd. Actes Sud 2010 (18 €) Au cœur de la tempête qui dévaste la Nouvelle-Orléans, dans un saisissant décor d'apocalypse, quelques personnages affrontent la fureur des éléments, mais aussi leur propre nuit intérieure. Un saisissant choral romanesque qui résonne comme le cri de la ville abandonnée à son sort, la plainte des sacrifiés, le chant des rescapés. Vous connaissez cet auteur à la plume magnifique. Il a obtenu le prix Goncourt en 2004 pour un merveilleux livre « Le soleil des Scorta ». « Ouragan » est un très bon ouvrage. Daigo, un violoncelliste, retourne dans son village natal du Japon afin de chercher un nouveau travail. Croyant répondre à une offre d'emploi dans une agence de voyage, il est engagé dans une entreprise de pompes funèbres. Ce travail nouveau pour lui est décrit comme apportant du réconfort, la célébration de la vie, comme un beau et dernier accompagnement. Sorti au Japon en 2008, « Departures » s'est imposé comme un succès majeur dans de nombreux pays. Il reçu, en 2009, l'Oscar du meilleur film étranger. Film d’une grande beauté, magnifique et grave, à voir, en particulier par tous les groupes de soutien de deuil. Katiba Jean-Christophe Rufin, éd. Flammarion 2010 (20 €) Une jeune femme, Jasmine, à la fois française et algérienne, marche à la frontière entre deux mondes ennemis : la diplomatie occidentale et les nouvelles lois de la guerre terroriste. Complice, victime ou agent double Jasmine incarne le mélange de répulsion et de fascination que le fondamentaliste religieux exerce sur chacun de nous . Thriller captivant… Le souffle du jasmin Gilbert Sinoué, éd. Flammarion 2010 (21 €) Quatre familles : juive, palestinienne, iranienne et égyptienne dont les destins s’entrecroisent dans le tourbillon de la grande histoire. Gwénaëlle d’Anterroches et Marie-Christine Delmotte - 22 - Contacts 12, rue Porte de Buc - 78000 VERSAILLES Permanence téléphonique : 01 39 07 30 58 (Mardi et jeudi de 14h à 16h ou répondeur) Courriel : [email protected] http://www.association-rivage.org/ En adhérant à Rivage vous rejoignez la grande chaîne de solidarité qui unit les bénévoles d’accompagnement aux personnes qu’ils soutiennent. Soyez les bienvenus ! BULLETIN D’ADHESION Présidente - Administration Sylvie Wolff (06 08 47 78 31) A retourner avec votre règlement à l’ordre de Association Rivage Association Rivage - Adhésions - 12 rue Porte de Buc – 78000 VERSAILLES Recrutement et formation Marie Quinquis (06 09 11 18 35) Communication Gwénaëlle d’Anterroches [email protected] Nom ----------------------------------- Membre actif : 30 € Prénom -------------------------------- Trésorier (le mardi) Alain Barbet-Massin (01 39 07 30 58) Membre sympathisant : 45 € Adresse -------------------------------- Soutien au Deuil en région parisienne Coordinatrice : Chantal Gout Écoute téléphonique et accueil à notre siège : Le lundi de 14 à 17 heures : 01 39 07 30 10 Entretiens individuels : sur rendez-vous Groupe de partage et d’écoute : chaque premier mardi du mois de 19 à 20 heures 30. -------------------------------------------- Personne morale : 75 € -------------------------------------------Donateur : € Tél ------------------------------------Portable ---------------------------- Lieux de présence de Rivage E-mail -------------------------------- Maison de santé Claire - Demeure 12 rue Porte de Buc – 78000 VERSAILLES Fonction ---------------------------- La Cité des Fleurs - Soins de Suite et de Réadaptation Hôpital privé de gériatrie 1 rue de Dieppe - 92400 COURBEVOIE Date --------------------------------Signature Association loi 1901, reconnue d’intérêt général Dons partiellement déductibles des impôts. Clinique du Plateau - Soins de Suite et de Cancérologie 5 rue Carnets 92140 CLAMART Maison de retraite du Châtelet 3 bis rue de Bel-Air – 92190 Meudon Réseau Epsilon – Soins palliatifs à domicile 195 avenue du Général Leclerc 78220 VIROFLAY Association RIVAGE ATLANTIQUE 13 avenue Darcy Brun - 17750 ETAULES Tél. 05 46 36 42 63 Président : André Tiercet Secrétaire : Bernadette Dussauld, [email protected] Rivage n°14 – décembre 2010 – Tiré à 600 exemplaires Journal d’informations réalisé et publié par les bénévoles de l’association Rivage Comité de Rédaction : G. d’Anterroches, Sœur Nathanaëlle et signataires Illustrations : Rivage - 23 - « Donner du sens à la fin de vie » AVEC L’ASSOCIATION RIVAGE DEVENEZ BENEVOLE D’ACCOMPAGNEMENT auprès des personnes en fin de vie et des personnes âgées (en institution) Nouvelle session de formation en avril 2011 inscrivez-vous dès maintenant au Tel : 06 09 11 18 35 (Marie Quinquis) RIVAGE, association de loi 1901, membre de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins palliatifs) Bénévolat d’accompagnement en institutions : Maison de Santé Claire Demeure à Versailles, Hôpital de soins de suite La Cité des Fleurs à Courbevoie, Clinique du Plateau à Clamart, Maison de retraite du Châtelet à Meudon, et accompagnement à domicile avec le réseau Epsilon. Fondation Diaconesses de Reuilly Contact : [email protected]