> Plus important est de savoir à quel type de femmes s’adresse le poète. Le deuxième vers procède, par la relative
du vers 58, à une restriction : « Quas pudor et leges et sua jura sinunt ». C’est aux femmes respectables donc,
qu’Ovide adresse ses conseils, ce sont ces femmes qui peuvent tirer des leçons (« praecepta ») de son « ars ».
Ovide déjoue ainsi les pièges d’accusation d’immoralité. Dès le début du livre I, Ovide avait insisté sur ce point :
« concessa furta canemus, / Inque meo nullum carmine crimen erit », v.33-34.
Ovide ne s’adresse pas aux courtisanes (I, 435), ni aux femmes mariées (III, 614) que les lois d’Auguste soumettent
à une stricte fidélité, mais aux femmes affranchies. Les lois et la pudeur sont encore mentionnées au vers 615. En
outre, Ovide parle de femmes jeunes, des « puellae » qui sont encore aux années du printemps de leur vie (« vernos
annos », v.61), et qui ont des prétendants que parfois elles rejettent, comme dans le passage à la 2ème du singulier,
où le poète reprend le motif de la porte close, déjà présent dans les Amours : « tua janua », « limina », v.71-72. Ces
femmes ne sont plus des enfants (« a virgine », v.75), mais en auront bientôt, comme le rappellent les deux derniers
vers. Les femmes visées sont donc encore libres, prêtes pour l’amour.
3. La leçon : profiter de la jeunesse
> Le poète engage les jeunes femmes à profiter de leur jeunesse, et des plaisirs qu’elle leur permet : « Ludite », dit
l’impératif en tête du vers 62. La jeunesse est présentée comme une période idéale, bénie, pour jouir des plaisirs. La
métaphore des années printanières (« vernos », à la coupe penthémimère, « annos », v.61), prépare l’image des
violettes (« violaria », v.67), des roses (« rosa », v.72) et l’image de la fleur à cueillir (« carpite florem ») du vers
79. La jeunesse est la période des avantages et des bienfaits : l’adjectif « bonus » est répété dans le vers 66, et
substantivé au vers 79.
> Le poème repose sur l’opposition entre cette jeunesse, désignée comme « aetas » (v.65, deux fois), et « juventa »
(v.81) qui s’oppose à la « senecta » du v.59, à la « vetustas » du 77. Le but de la vie est de ne laisser passer
« nullum tempus iners » (v.60), où l’adjectif « iners » prend tout son sens : qui est inactif, qui n’a rien produit ; il
s’agit de l’idée de gâchis. Il faut profiter de la vie, non seulement avant la vieillesse, mais avant d’avoir été
prématurément vieillie par les enfantements (« partus faciunt breviora », v.81). La formule « carpite florem »
rappelle le « carpe diem » d’Horace (Odes, I, 11), métaphore concise et efficace.
II- Une argumentation poétique basée sur la fuite du temps
1. Une argumentation par l’image
> Le texte fonctionne comme une argumentation avec ses arguments et ses exemples. Après les cinq premiers vers
qui précisent le destinataire et le but de l’extrait, Ovide entreprend de convaincre par les images de la fuite du
temps, qui viennent appuyer ses arguments. Ainsi les années qui passent (« eunt anni », celles qui suivent justement
les « vernos annos » du vers précédent), sont-elles semblables à l’eau qui s’écoule : « more fluentis aquae », v.62 ;
on trouve aussi la personnification de l’ « aetas » (« cito pede labitur », v.65) après une occurrence plus abstraite :
« Utendum est aetate ». Le texte tire sa force surtout de ces images répétées et moins des arguments, qui sont moins
nombreux qu’elles ; le poète revient constamment au concret des situations et de la vie. C’est l’adaptation du
discours philosophique abstrait.
> Du thème du temps qui s’enfuit, le poète en vient aux ravages de la vieillesse, qui donnent lieu à de nombreuses
images elles aussi. Le distique sur l’arbrisseau, qui se trouve au centre du poème, opère la transition. La blancheur
de l’arbuste (« canent » et « frutices » sont placés aux coupes penthémimère et hephthémimère) annonce les
cheveux blancs des vers 75-76 (« canas…comae »). Le temps prive de la vitalité du teint (v.74) et produit les rides
(« rugis » en fin de vers 73).
2. Avertissement et menaces
> Le tableau de la vieillesse donne au poème un aspect plus menaçant aussi. En employant souvent le futur de
certitude (« Tempus erit », v.69, « jacebis », v.70, « Spargentur », en tête du vers 76), le poète présente aux femmes
ce qui ne manquera pas de se produire, et doit les conduire à jouir du présent. Cela aboutit au système hypothétique
« nisi carptus erit…cadet » du vers 80, qui enferme les femmes dans une forme d’ultimatum. Les négations jouent
d’ailleurs un rôle important dans le poème. A cinq reprises, « Nec » est placé en tête de vers, et la négation peut,
comme au vers 66, redoubler l’idée dans une version négative : ainsi la fuite du temps (« labitur aetas ») est
renforcée par « Nec bona tam sequitur quam bona prima fuit » (v.65-66). Le distique 63-64 insiste, par la répétition
de structure (« Nec quae praeteriit ») initiale, sur l’idée d’un passage irrévocable.