scientifiques, des techniciens et des hommes de marketing. Boulton est celui qui
s’occupait de la fabrication (avec Watt) et de la commercialisation. A ce titre, il fut
l’inventeur d’un modèle économique étonnamment moderne puisqu’il s’agissait de
vendre un service et non la machine. A bien des égards, l’histoire de Black, Watt et
Boulton est un exemple d’innovation incrémentale de quasi-rupture dans une
économie de marché. C’est aussi un bon exemple du modèle linéaire : « science !
invention ! innovation ».
b - Les innovateurs cachés par l’entrepreneur
Dans le langage courant de l’époque, les innovateurs dont nous venons de parler
sont des inventeurs et parfois ) à partir du XVIII°, des entrepreneurs comme c’est le
cas de Boulton. Ces deux termes, notamment celui d’entrepreneur vont durablement
cacher la fonction d’innovateur.
La définition des fonctions de l’entrepreneur est réalisée progressivement par la
séparation des concepts de capitaliste et d’entrepreneur au XVIII° puis le
développement des notions de maîtrise du risque et d’organisation.
JB Say (1803) accorde une large place6 à « l’entrepreneur d'industrie, celui qui
entreprend de créer pour son compte, à son profit et à ses risques, un produit
quelconque.” Il est le premier à mettre l’accent sur la fonction d’organisation de
l’entrepreneur, en des termes plus modernes que ne le faisait Turgot. Il établit ainsi
clairement la distinction des fonctions d’entrepreneur et de capitaliste.
Dans le même temps, Cantillon (1755) met en lumière la notion de risque pris et
maîtrisé par l’entrepreneur, mais elle n’a reçu sa pleine mesure qu’avec Knight en
1921. L’entrepreneur décide en univers incertain et réagit à des problèmes
imprévisibles et parfois inconnus.
2 - L’émergence de l’innovateur au XX° siècle
Les grands entrepreneurs -et pour certains, innovateurs- de la fin du XIX° et du
début du XX°, jusqu’à la première guerre mondiale ont servi de référence à la
réflexion de Schumpeter, de Knight et de Coase. Ils ont pour nom : Daimler ou
Peugeot, Kuhlmann ou Bayer, les frères Wright ou Blériot, Ford ou Panhard, Edison
ou Branly. Leurs légendes, souvent amplifiées et entretenues à dessin, en fait des
personnages incontournables de la vie économique et conduisent les économistes à
approfondir la question de l’entrepreneur et de la R&D.
Pendant la première moitié du XX° siècle, le terme d’innovation prend son sens
moderne et celui d’innovateur fait une apparition progressive.
a - L’innovateur, concept naissant du XX° siècle
Deux approches complémentaires sont développées pendant la première moitié
du XX° siècle : d’un côté les théoriciens « traditionnels » finalisent une approche
globale de la fonction d’entrepreneur comme un rouage de l’économie de marché.
De l’autre côté Schumpeter qui développe une vision révolutionnaire d’un
entrepreneur-innovateur.
! Schumpeter (1911) a une claire définition de l’entreprise qui est très proche
d’une entreprise innovante : « Nous appelons « entreprise » l'exécution de nouvelles
combinaisons et également ses réalisations dans des exploitations, etc., et
entrepreneurs, les agents économiques dont la fonction est d'exécuter de nouvelles
6 Dans son Traité d’économie politique, il emploie le terme entrepreneur plus de 110 fois.
combinaisons et qui en sont l'élément actif. » Dans son ouvrage de 1911, il distingue
(inutilement ?) cinq catégories d’innovation avant d’arriver à une définition globale de
l’innovation dans son livre Business Cycles (1939) : « une modification de la fonction
de production » ; il oublie néanmoins de préciser « dans le sens d’une meilleure
efficacité », ce qui peut sembler naturel, mais ne va pas forcément de soi. Il oublie
aussi de l’étendre au domaine non marchand.
Schumpeter tente d’établir une restriction dans la définition de l’entrepreneur et
d’en limiter l’usage aux seuls entrepreneurs-innovateurs. Mais il provoque surtout
une confusion entre les deux termes dont nous ne sommes pas encore sortis. A
certains égards, le présent chapitre est une clarification du vocabulaire employé par
Schumpeter.
! Dans le même temps, Coase (1937) synthétise l’ensemble des approches
classiques dans son article sur la « Nature de la firme » en affirmant que « dans un
système concurrentiel, l’entrepreneur est celui qui se substitue au mécanisme des
prix pour l’allocation des ressources. » Cela rassemble bien l’ensemble des fonctions
détaillées par ses prédécesseurs. La question de l’innovation est ignorée
puisqu’implicitement exogène. Cette définition parfaite permet à son auteur de mettre
en évidence les coûts de transaction et d’accès à l’information puis de justifier dans
la lignée de Knight, le double rôle de l’entrepreneur : maître de l’incertitude et
gestionnaire du risque.
b - La relation entre l’innovation et l’entrepreneur :
Dans la seconde moitié du XX° différentes tentatives sont faites pour définir une
relation entre l’entrepreneur et l’innovation. On peut distinguer deux orientations
générales : une tentative de définir une fonction d’innovateur7 et une transformation
de l’innovation en une simple opportunité pour l’entrepreneur.
! Les tentatives d’ouverture des perspectives conceptuelles sont assez diverses :
Certaines approches systémiques et fonctionnelles de l’innovation mettent en
évidence une fonction entrepreneuriale. Ainsi, Hekkert, Suurs, Negro, Kuhlmann et
Smits (2005), considèrent que dans un système d’innovation, les activités
entrepreneuriales constituent la fonction n°1, avant le savoir et la formation. Ce texte
constitue une évolution tardive des approches systémiques qui ont souvent ignoré
l’entrepreneur et simplement fondé leur système sur des moyens matériels et des
structures.
Roberts & Fusfeld (1980) ont défini les étapes du processus d’innovation et ont
mis en évidence plusieurs « rôles » ou fonctions : la génération d’idées,
l’entrepreneuriat (détecter, développer, démontrer une idée technique ou une
approche nouvelle), la conduite de projet, le soutien.
Charles Wessner (2005) a utilisé l’expression “Local Heroes In The Global Village”
qui est très proche de notre concept, mais il n’en a pas donné une définition précise.
Quelques définitions récentes soulignent que l’innovateur est l’homme qui
transforme des idées en objets économiques. Nous sommes d’accord avec cette
définition sous réserve de préciser quelques points sur la durabilité notamment, car
la mode et un marketing à très court terme (de type PLV) ne relèvent pas de
l’innovation.
7 Ce chapitre s’inscrit dans cette tradition