1 GLOBALISATION, RÉGIONALISATION ET

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GLOBALISATION, RÉGIONALISATION ET GOUVERNEMENT MONDIAL:
EUROPE, ASIE, AMÉRIQUE LATINE
Mario Telò*
1.
REGIONALISATION
ET
THEORIES
DES
RELATIONS
INTERNATIONALES
Plusieurs mutations de l'économie internationale et de la technologie ont créé les
conditions pour un marché mondial unifié. Ce processus de longue haleine fut accéléré par
l'effondrement du mur de Berlin et la fin de la division politique du marché mondial liée à
la confrontation planétaire entre les deux blocs. La vaste poussée vers la globalisation
s'accompagne de l'approfondissement des tendances économiques et politiques à
l'établissement d'accords commerciaux régionaux, c'est-á-dire à la régionalisation.
Néanmoins la globalisation est également á l'origine de nouveaux conflits et ne donne
toujours pas lieu à un nouvel ordre politique international. En effet, la fin du monde
bipolaire, loin de signifier la "fin de l'histoire", a ouvert une longue phase d'incertitude et
d'instabilité, susceptible d'évoluer vers plusieurs scénario, concernant tant l'évolution du
système politique international, que les implications politiques de la nouvelle économie
globalisée et régionalisée. On a généralement pris acte que le monde connaît une longue
transition de l'ancien système bipolaire vers un nouvel ordre international : quel est le rôle
de la régionalisation dans le cadre de la globalisation et del'évolution vers un nouveau
système international ?
Deux remarques préalables concernant notre approche.
Primo, ce papier souligne l'entrelacement entre économie mondiale et politique : il
est naïf d'imaginer une économie globalisée stable à laquelle ne corresponde pas de
*
Directeur des Recherches Politiques, Institut D´Etudes Européennes, Université Libre de Bruxelles
2
structure politique cohérente au niveau international. Nous porterons donc une attention
particulière aux implications politiques des relations -et des conflits- économiques.
Secundo, ce papier est axé sur la conviction que la portée des mutations intervenues
au niveau du système international ne peut être maîtrisée que par une nouvelle
combinaison des deux approches traditionnelles des relations internationales : la théorie
réaliste et la théorie idéaliste. Il s'agit donc modestement de laisser de côte les formulations
éclatantes, les plaidoyers brillants, les théories extrêmes. En langage littéraire, et suivant
Umberto Eco, nous ne partageons ni les approches des obsédés de l'Apocalypse, ni celles
des prôneurs hyperoptimistes de l'intégration: "l'Apocalypse est l'obsession du désaccord á
tout prix; l'intégration est la réalité concrète de ceux qui ne sont pas en désaccord. Les
apocalyptiques survivent en confectionnant des théories sur le déclin et la fin du monde;
les intégrés rarement formulent des théories mais oeuvrent plus facilement, produisent,
émettent leurs messages quotidiens á tout niveau. Les apocalyptiques, au fond, sont des
consolateurs car, dans la catastrophe générale, une communauté de super-hommes est
envisagée, capables de s'éléver, ne fût-ce que par leur refus, au-dessus de la moyenne"†.
La littérature scientifique internationale est, en effet, très partagée sur les caractères
du monde post-bipolaire et sur la place à attribuer aux tendances vers la régionalisation. La
première question est de savoir si nous assistons á une percée de la concentration des
pouvoirs économiques et politiques (notamment á un monde unipolaire, stable pour
certains, instable pour d'autres ) ou plutôt á une diffusion des pouvoirs dans le sens d'un
multipolarisme renforcé et durable.
Ce papier ne partage pas la perspective théorique du monde unipolaire et accepte la
thèse selon laquelle nous assistons à un retrait graduel des Etats-Unis, seule superpuissance
qui ait survécu à la fin du monde bipolaire. Certes, il ne s'agit ni d'un déclin généralisé, à la
fois économique et politique, ni d'un retour à l'isolationnisme classique. Simplement, les
USA ne sont pas en condition (et, en majorité, ils ne le veulent pas !) d'assumer un rôle
international comparable à celui qu'ils ont joué durant les premières décennies de l'aprèsdeuxième guerre mondiale ("le golden age" du capitalisme occidental, dont écrit Eric
Hobsbawm‡). Le retrait de l'ancienne puissance mondiale hégémonique ne manque pas de
†
‡
U.Eco, Apocalittici e integrati. Bompiani, Milano,1977.
E.Hobsbawm, The Age of Extremes, London 1995.
3
tendances allant à contrecourant. De toute façon, la fin de la grande hégémonie mondiale
implique-t-elle forcément le chaos et la dégradation militaire des conflits ?
La mondialisation économique donne lieu à un système global caractérisé par
l'émergence de plusieurs centres de développement du capitalisme et par des mutations en
ce qui concerne les hiérarchies économiques et politiques internationales. Certes, les USA
priment toujours au niveau des rapports de forces, militaires notamment ; mais ils ne sont
pas en condition de construire le "nouvel ordre mondial" trop vite annoncé par
l'administration Bush - Baker en 1989.
L'instabilité restera-t-elle donc une donne incontournable, un élément central et
durable du système international ? L'étude des tendances vers un monde multipolaire, à la
fois régionalisé et globalisé, nous amène à une critique des deux interprétations extrêmes
des évolutions en cours, celle des réalistes "catastrophiques" et celle des apologistes de la
stabilité du nouveau monde post-guerre-froide. En ce qui concerne les réalistes, trois
approches nous semblent particulièrement significatives. Mais, bien que l'intérêt de ces
démarches soit certain, celles-ci ne situent pas correctement le phénomène de la
régionalisation et surestiment les forces catastrophiques du monde post-bipolaire:
a) Le scénario catastrophe numéro 1 est celui du retour aux fantômes du passé
("back to the history"§). Centré surtout sur le continent européen (mais pas uniquemement),
il est axé sur l'hypothèse d'une réactualisation des conflits inter-étatiques ayant donné lieu à
deux guerres mondiales. Son mérite est de souligner que les Etats-nations, notamment les
Etats dominants, jouent toujours un rôle essentiel dans la lutte pour les sphères d'influence,
ce qui explique une partie des multiples tendances favorables à la régionalisation (on peut
parler de State-led strategies**), tant en Amérique qu'en Europe (l'Allemagne, ou le couple
franco-allemand) et en Asie orientale (le Japon, mais avec la complication que constitue
son exclusion de la seule organisation régionale importante de la région, l'ASEAN). Les
organisations infra-régionales également sont le produit de stratégies étatiques : voir
l'exemple du Brésil au niveau du "Mercosul" (ou Mercosur).
Ceci dit, à notre avis, on oublie trop vite que les Etats n'y jouent pas le rôle de seuls
acteurs. Des entités en devenir existent, de nouveaux acteurs se manifestent, des acteurs
§
3 J. Mearsheimer, Back to the Future? Instability in Europe after the Cold War l'International Security" n.1, 1990
A.Gambie et A.Payne, Regionalism and World Order, Macmillan 1996
**
4
publics et privés, des acteurs nationaux, mais aussi mondiaux et transnationaux, des acteurs
disposant de plusieurs ressources, d'un éventail très varié de moyens de pression et
d'action. Les Etats hégémoniques (tant au niveau mondial que régional) doivent, en
conclusion, situer leus actions et leurs intérêts dans un cadre de relations internationales
tout à fait nouveau par rapport à la phase pré-monde-bipolaire, un cadre caractérisé par une
forte pression dans le sens de l'interdépendence, par l'existence d'organisations et d'acteurs
internationaux,
transnationaux
et
supranationaux,
conditionnant
fortement
les
comportements des Etats. Même si on se limite au niveau strictement militaire, notre
analyse prend en compte l'émergence de nouvelles dimensions des problèmes de la
sécurité, notamment sociale, économique, identitaire.
b) Une version sans aucun doute plus originale de l'approche réaliste a été proposée
par S-Huntington : pour le nouveau siècle, il envisage une aggravation des conflits et une
précipitation des confrontations internationales entre des blocs régionaux unifiés autour des
"civilisations" (parmi les huit principales civilisations : l'occident, l'Islam, la Chine, la
Russie orthodoxe,etc). Le regroupement au nom de l'identité religieuse et culturelle ( "la
revanche de Dieu")†† primerait tant par rapport aux Etats-nations que par rapport à la
modernisation économique et fonctionnelle. Même si la tendance régionale et supraétatique est ainsi sérieusement prise en compte par Huntington, trois remarques critiques
nous paraissent pertinentes :
-d'abord, il sous-estime l'importance des relations économiques mondiales en tant
que facteur favorisant les relations interrégionales et interculturelles (par exemple, l'Asem ou processus de Bangkok, l'APEC, le processus de Barcelone ) et cette lacune est d'autant
plus grave que la civilisation de loin le mieux adaptée à la modernisation et à l'ouverture
économique, c'est la nôtre;
- deuxièmement, l'économie - et aussi la politique - peut agir en tant que facteur
critique au sein de la même civilisation (voir l'émergence des conflits ouest-ouest et des
divers types de capitalisme démocratique, en Europe et aux USA, notamment) ;
- troisièmementement, Huntington sous-estime le poids des Etats hégémoniques au
sein de chaque organisation régionale et les conflits interétatiques potentiels.
††
S.Huntington, The Clash of Civilisations and the Remakin of World Order, Simon & Schuster, 1996
5
c) Immanuel Wallerstein - bien qu'il se situe dans une tout autre perspective envisage aussi un "scénario-catastrophe", dans la mesure où l'effondrement du bloc
communiste (jadis classé comme semipériphérie) impliquerait, selon lui, une crise
inévitable de l'équilibre précédent entre le centre du capitalisme mondial et la periphérie
donnant lieu à une multiplication des conflits nord-sud dont la guerre du Golfe serait le
premier. La crise du communisme serait, en effet, la crise du libéralisme. Nous avons
apprécié l'importance des analyses systémiques de la globalisation. Néanmoins Wallerstein
ignore le dynamisme des nouveaux centres du capitalisme mondial et accepte l'approche
unipolaire du monde post- guerre-froide effaçant ainsi la dimension politique et stratégique
des conflits économiques au sein du centre. Enfin, I.Wallerstein présente une image
simplifiée du Sud, dont il sous-estime également les contradictions internes. Le phénomène
de l'intégration régionale est tout à fait ignoré, malgré ses implications sur le clivage NordSud. Sa thèse serait confirmée si la tendance vers la régionalisation concernait avant tout
les relations transatlantiques : mais, précisément, le projet TAFTA n'avance pas, alors que
les projets en route, c'est-à-dire tant l'APEC, que l'UE (processus de Barcelone et politique
méditerranéenne, Accord de Lomé, etc), que la NAFTA, ne suivent pas l'axe Ouest-Ouest,
mais agissent tous directement au niveau de la restructuration des relations Nord-SudQuelle que soit notre appréciation sur les chances de succès ou d'échec des politiques
d'ouverture commerciale et de coopération en cours, le conflit Nord-Sud en sortira
restructuré et fragmenté selon l'évolution des stratégies de régionalisations‡‡.
Les "intégrés", quant à eux, ne cessent de nous expliquer le scénario magnifique de
la globalisation bénéficiant à tous. La "pensée de Davos" en est un exemple
particulièrement significatif : les conséquences uniquement positives de la libéralisation
des échanges, des mouvements des capitaux, sont mises en exergue; les plaidoyers pour la
cohérence entre globalisation et régionalisation excluent toute analyse approfondie des
contre-tendances, interprétées en tant que simples erreurs ou irrationalismes.
‡‡
I.Wallerstein, Le marxisme-léninisme est mort. Vive quoi? in M.Telo' et G.Haarscher, Après le
communisme. Les bouleversements de la théorie
politique. Editions de l'ULB, 1991 et aussi sa conférence tenue à l'occasion de l'attribution de la "laurea honoris causa",
Bruxelles, octobre 1996
6
En parallèle, nous avons assisté, surtout pendant les premières années de l'aprèsguerre-froide, à une percée des attentes excessives d'un nouveau monde de paix et de
coopération suivant la victoire des valeurs démocratiques.
Ce phénomène culturel, présentant d'évidents aspects rhétoriques et très médiatisés,
constitue une sorte de légitimation apologétique de la globalisation en cours. Nous
essayerons pourtant de ne pas effacer la réalité incontournable d'un monde plus unifié
depuis la fin de la confrontation nucléaire et systémique entre Est et Ouest; un monde
caractérisé par la "complexe interdépendance", tant au niveau commercial et financier, que
culturel et technologique et par ses implications au niveau du système des relations
internationales§§ .
C'est dans ce cadre nouveau fait, d'une part, de la pression exercée par
l'interdépendance accrue et , de l'autre, de nouveaux facteurs d'instabilité, qu'il faut situer
les tendances vers la régionalisation.
2. REGIONALISATION ET SYSTEME INTERNATIONAL
Plusieurs malentendus, en ce qui concerne la régionalisation, sont dus à une
confusion entre interprétations scientifiques et normativisme : en effet, les tendances vers
la régionalisation et le multipolarisme constituent, tout à la fois, des éléments objectifs
caractérisant la nouvelle donne internationale et une des stratégies politiques d'Etats plus
ou moins puissants. Cette ambiguité était déjà évidente durant les phases du "bipolarisme
flexible" (M.Kaplan***), tant au niveau politique qu'économique. Exemples politiques les
plus évidents, même s'ils présentent des taux de crédibilité très différents : la France de De
Gaulle, la Chine de Mao ont lancé, au cours des années soixante, deux initiatives à la fois
étatiques et régionales, respectivement, "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural" et le
"polycentrisme communiste". Certes, malgré les divergences politiques et idéologiques
entre les puissances régionales et les deux superpuissances, le monde ne pouvait que rester
bipolaire en ce qui concerne sa structure systémique et de sécurité .
Toujours dans le cadre du monde bipolaire, se sont manifestées des tendances
économiques vers une réorganisation du monde capitaliste selon un modèle tripolaire,
§§
R.O.Keohane et J.S.Nye, Power and Interdependence : World Politics in Transition, Boston 1977 .
M.Kaplan, System and Process in International Politics, New York, 1957
***
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même si elles restent inévitablement subordonnées à - et freinées par - la logique de la
guerre froide : la fameuse "trilatérale" (USA, Japon et UE), dans les années soixante-dix, a
constitué la première hypothèse de régulation des problèmes de gouvernabilité au niveau
de la coordination de "la triade", c'est-à-dire des trois grandes puissances économiques et
commerciales. Certes, il était trop ambitieux de vouloir régler de cette façon
lagouvernabilité du capitalisme démocratique. Il faut enfin remarquer que, malgré ses
mérites, l'étude de Crozier et Huntington est l'expression d'une approche trop normative
pour dissiper les malentendus évoqués†††.
Durant les années '80, les divergences intercapitalistes, d'une part, et les processus
de coopération régionale de l'autre, se sont multipliés et approfondis : la percée du Japon,
l'expansion du capitalisme en Asie et l'emergence des N-I.C., la compétitivité accrue des
USA et du Japon dans les divers domaines des nouvelles technologies (informatique,
biotechnologies, etc) ont provoqué des réactions en Europe et aux USA : entre autres,
l'historien F-Braudel a lancé dans l'opinion publique le thème du "déclin de l'Europe" dans
le cadre de la nouvelle économie mondiale axée sur le Pacifique (on établissait un parallèle
entre les découvertes géographiques du XVe siècle et le déclin de la République de
Venise). Le programme "grand marché 1993" promu par l'Acte unique européen constituait
la réponse dynamique de l'Europe, c'est-à-dire une relance européenne dont, entre autres,
Michel Albert exprimait bien le côté compétitif
‡‡‡
et les prôneurs de l'Europe forteresse",
le côté protectionniste.
Quelques années plus lord, conséquence de l'essor du capitalisme asiatique et du
succès du programme '92 de la C-E-, Paul Kennedy dénonçait le spectre des conséquences
stratégiques de l'importance accrue de l'économie et de la technologie par rapport à la
notion classique de puissance et évoquait ainsi le danger d'une tendance vers le déclin des
USA§§§. Ainsi que R.Keohane l'avait écrit en 1984, l'hégémonie a de plus en plus des
racines économiques ("preponderance of material resources")****. Ce constat , entre autre,
ouvrait la porte à la reconnaissance du nouveau rôle potentiel des puissances régionales,
notamment des grands perdants de la IIe guerre mondiale, l'Allemagne et le Japon. Mais
†††
M.Crozier, S.Huntington et autres, Rapport de la Commission Trilatérale, 1974
Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme, Paris 1984
§§§
P.Kennedy, Rise and Fall of Great Powers, 1987
****
R.Keohane, After Hegemony. Princeton 1984.
‡‡‡
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avant le tournant historique de 1989-91, il n'y avait véritablement pas de chance pour que
le régionalisme économique soit durablement transféré sur le plan de la high politics, de la
politique et de la sécurité.
C'est, en effet, depuis la fin de l'URSS et de l'empire soviétique (1991) que les
tendances multipolaires et régionales peuvent se manifester beaucoup plus librement, tant
au niveau économique que politique. La fin du chantage nucléaire diminuant drastiquement
la nécessité de protection, affaiblit les alliances militaires, tant en Asie qu'en Europe, et
élargit les marges de manoeuvre des nouvelles stratégies régionales des Etats moyens. La
planète présente des tendances partiellement contradictoires. Dans le nouveau cadre
international en mutation, on assiste à des combinaisons multiples et variées de
globalisation et de régionalisation, y compris à des stratégies "anti-déclin" de la seule
superpuissance qui ait survécu. Dans le monde de l'aprés-guerre-froide, unifié par
l'économie de marché, les USA et le capitalisme américain cherchent plusieurs formes de
rééquilibrage potentiel avec des puissances moyennes, tant au niveau politique (réforme du
Conseil de Sécurité des N-U-, réforme de I'OTAN, etc) qu'économique (création de
l'O.M.C.-ou W-T-O- - etc). La communauté scientifique est très partagée sur la question de
savoir quel type de régionalisme pourra réussir, quel rapport entre régionalisation et
globalisation va s'imposer et si ces tendances nouvelles renforceront ou non la stabilité
internationale.
Ainsi que nous l'avons annoncé, notre analyse de la globalisation souligne
l'importance des questions posées par la réorganisation des rapports de pouvoir
économiques et ses implications politiques, notamment :
- au-delà du processus objectif et technique de la mondialisation, assiste-t-on á un
nouveau marte de régulation où bien á une simple fragmentation-diffusion des structures
precedentes de la régulation ?
-
quelles
nouvelles
hiérarchies
s'ébauchent-elles
dans
le
cadre
de
la
dérèglementation globale ? Quelles stratégies de contrôle des ressources stratégiques,
quelle nouvelle division internationale et intercontinentale du travail, quelles nouvelles
hiérarchies entre les économies, entre les Etats et les continents s'établissent-elles?
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- quelles tendances sont-elles en cours en ce qui concerne le lien entre
l'interdépendance économique accrue d'une pan et l'ordre politique global de l'autre (avec
ses implications en matière de sécurité)?
- un gouvernement politique de la globalisation, axé sur une coopération active et
volontaire entre des organisations régionales souveraines et démocratiquement contrôlées
est -il réaliste ?
Dans un cadre général marqué par l'incertitude, deux tendances principales, très
entrelacées, se manifestent:
- premièrement, on assiste á un renforcement des régimes internationaux provoqué
par l'interdépendence économique, commerciale, médiatique et technologique des marchés
du travail et par la multiplication des communications culturelles. Ces aspects dynamiques
sont soulignés par une très grande patrie de la littérature économique largement dominée
par l'approche " libérale".
Il est très important de souligner un point fondamental : cette nouvelle donne n'est
pas du tout à confondre avec "le gouvernement mondial", même si elle est susceptible
d'évoluer en ce sens à certaines conditions. Le problème est que, à présent, à cette nouvelle
donne techno-économique ne corresponde pas une structure institutionnelle et politique
légitime et les institutions politiques et les valeurs démocratiques sont, de ce fait, soumises
à de nouveaux challenges sans précédent : les pouvoirs économiques oligopolistes, parfois
anonymes, très performants mais politiquement irresponsables, se sont beaucoup renforcés.
Non seulement ils ne disposent d'aucune légitimité et se situent au-dessus des capacités de
maîtrise des Etats démocratiques, mais ils sont particulièrement intéréssés à utiliser, à leur
profit, la compétition entre les Etats pour attirer les investissements internationaux. Les
Etats connaissent donc une aggravation de leur déclin; en l'absence de nouvelles structures
politiques internationales adéquates, ce sera inévitablement le déclin de la politique
démocratique en tant que telle.
- deuxièmement, nous assistons à l'émergence des tentatives de contrôler ces
processus par des stratégies hégémoniques globales ou gérées par des Etats régionaux. A
propos des processus très variés d'intégration économique et commerciale à l'échelle
régionale, une partie de la littérature scientifique met en exergue les tensions entre
régionalisation et globalisation. Si l'on attire l'attention sur les nouvelles logiques des
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rapports de force, sur les luttes pour l'hégémonie auxquelles on assiste, notamment au
niveau des relations de coopération-compétion commerciale et technologique, entre les
trois pôles principaux, Japon, Europe et USA, on ne peut que constater l'ambiguité présente
des organisations régionales, entre la pression exercée par la globalisation et ses acteurs
d'une part, et, d'autre part, les projets des Etats membres les plus forts.
3. TROIS SCENARII. LA LIBERALISATION GLOBALE
Si on laisse de côté les interprétations extrêmes précedemment évoquées
(apologistes et "catastrophe"), les prévisions à moyen terme nous semblent être partagées
entre trois scénarii : la régionalisation en tant qu'aspect subordonné de la globalisation, le
"scénario vertueux" du gouvernement mondial et celui des conflits géo-économiques.
Dans le premier scénario, la libéralisation globale deviendrait un véritable nouveau
mode de régulation. Certes, à présent, elle ne l'est pas encore, mais elle pourrait évoluer en
ce sens sous certaines conditions:
- la primauté du système global par rapport aux systèmes régionaux. La supériorité
de l'approche systémique serait illustrée par le fait qu'elle "pousse au maximum vers le
haut le nombre des marchés internationaux concernés et évite les risques de discrimination
entre les partenaires et leurs implications politiques" ††††. Certes les processus d'intégration
régionale peuvent être utiles, car ils sont plus simples et faciles à réaliser (moins de
partenaires), plus enracinés dans l'histoire et susceptibles d'aller plus loin dans l'intégration
économique. Ceci explique que 60% du commerce mondial se développe dès à présent, au
sein d'accords de libre-échange (EU, NAFTA, APEC, MERCOSUR, AFTA, FTAA,
Australie-Nouvelle Zélande). Mais ils suscitent aussi des réactions de méfiance du fait
qu'ils font état de formes très hétérogènes et parfois asymétriques de libéralisation, pouvant
créer des entraves au bon déroulement du processus global. En conclusion, l'harmonie
entre la globalisation et la régionalisation qui a prévalu depuis les années '50 pourrait se
dégrader, surtout en l'absence d'un leadership aussi fort que celui des USA de l'aprèsguerre. La fragilité de cette harmonie serait prouvée, par exemple, par les difficultés de
l'Uruguay Round et par les tendances multiples à la formation de blocs en compétition.
††††
C.Fred Bergsten, 1996, p.105-107.
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- le modèle APEC devrait s'imposer par rapport aux autres types d'organisation
régionale.
Les USA ont concrétisé depuis 1989 cette stratégie de généralisation du modèle
global de libéralisation, certes réfusée par le sommet de Naples du G7 de 1994 (projet
"Open Markets 2000"), mais relancée par l'administration Clinton des "Big Emerging
Markets".
Cette dernière a obtenu des succès considérables, notamment à l'occasion des
sommets annuels de l'APEC de 1995 et 1996. Cette énorme région de "free trade and
investment (prévue pour 2010), incluant les trois économies nationales le plus importantes
de la planète (USA, Chine, Japon), a diminué et subordonné les organisations
infrarégionales concurrentes (le NAFTA et surtout l'ASEAN, cas exemplaire‡‡‡‡).
‡‡‡‡
L'ASEAN a été créée en 1970 par six Etats : Philippines, Indonésie, Malésie, Thàilande, Singapour,
Brunei et pendant plusieurs décennies, celle-ci a constitué la seule organisation régionale importante en
Asie orientale . Dans les années '80 d'importantes nouveautés se sont néammoins manifestées :
a) d'un côté la fin des guerres en Indochine et de la guerre froide avait permis de renforcer l'ASEAN,
qui, ainsi que les organisations européennes occidentales pouvait envisager son élargissement aux anciens
pays communistes, le Vietnam avant tout .
b) mais, de l'autre côté ,l'extraordinaire dynamisme économique de l'Asie orientale posait objectiment
la question de la création d'organisations économiques de coopération plus vastes incluant tous les
protagonistes de l'essor économique, y compris le Japon , le géant économique exclu de l'ASEAN. C'est
précisément dans ce cadre nouveau que, alors que la proposition de la Malésie de créer un "East Asian
Economic Caucus" était bloquée , les USA donnaient pourtant une impulsion déterminante à la création de
l' Asian Pacific Economic Cooperation (APEC, 1989), organisation intergouvernementale incluant les six
pays de l'ASEAN , la Nouvelle-Zélande et l'Australie, le Japon, le Canada et les USA eux-mêmes (les
possibilités d'un élargissement rapide à la Chine, à Taiwan et à Hong Kong existent également).
L'ASEAN est profondément mise en cause par ces changements: certaines de ses fonctions
intergouvernementales sont absorbées par les rencontres annuelles de l'APEC; son optique Sud-Nord est
affaiblie par l'appartenance à l'APEC; l'ensemble de la négociation au sein de l'ASEAN est faussé par
les solutions altematives éventuellement possibles au niveau APEC; le poids relatif des petits Etats de
l'ASEAN a drastiquement diminué dans le cadre des rapports entre les géants de l'APEC.
L' ASEAN a essayé de réagir, par exemple par le renforcement politique et financier de son organisation
(et du secrétaire général) et la professionnalisation du staff, par la régularisation des rencontres des
chefs d'Etat visant essentiellement à garantir que l'ASEAN parle d'une seule voix au sein de l'APEC;
dernièrement, 'ASEAN s'est engagée dans le développement du nouveau partnership commercial avec
'Europe par le processus de Bangkok, ou ASEM, incluant d'une part l'UE et de l'autre les sept de
l'ASEAN, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Et enfin, l'ASEAN a lancé de nouvelles initiatives dans le
domaine de la sécurité de la région (ASEAN Regional Forum) généralement orientées vers un
rééquilibrage par rapport à la puissance de la Chine.
Nous pouvons donc affirmer que la transition vers un nouvel ordre régional n'est certes pas achevée. Cependant, malgré la
vitalité de l'ASEAN, la perspective éventuelle d'une communauté Est-asiatique, berceau d'une communauté économique
et d'une identité des valeurs, est en train d'être diluée dans le cadre de la vaste collaboration interrégionale du Pacifique,
organisée par l'APEC. La libéralisation commerciale régionale sera, en ce sens, plus facilement intégrée et subordonnée
aux critères du système global OMC pour lequel elle jouera la fonction d'entremetteur et d'antichambre (système
commercial multilatéral ouvert; simplification des régimes douaniers, réduction des barrières commerciales, etc ).
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L'APEC a également diminué les chances du scénario des trois blocs en
compétition, en regroupant deux d'entre eux et a, enfin, inclu pays riches et pauvres. Le
projet de créer pour 2005 la FTAA (Free Trade Area of the Americas), incluant 34 pays, va
dans le même sens, alors que le Mercosul en raison de l'impulsion du Brésil, répond à une
autre logique§§§§
Un très vaste programme de libéralisation est donc en route, on dirait un agenda
pour le XXIe siècle. Certes d'importants préalables sont déjà établis tant au sein des USA
que dans les accords internationaux signés. Mais les USA et les intérêts multiples
convergeant autour de l'objectif d'une libéralisation globale doivent toujours faire face à
des problèmes formidables, d'ordres technique et stratégique.
Sur le plan technique il s'agirait de corriger les nombreuses asymétries au niveau de
l'ouverture commerciale entre les régions du monde au profit de l'application, partout, des
mêmes critères. Mais il est beaucoup plus difficile d'appliquer à part entière l'indispensable
réciprocité lorsqu'on va au délà de la simple réduction ou élimination des barrières et des
tarifs douaniers. Certains partenaires demandent des assurances contre le possible retour au
protectionnisme, d'autres exigent l'ouverture généralisée des marchés
et l'inclusion des nouveaux domaines de libéralisation. Ce n'est pas évident. Même
les partisans du libre-échange avouent qu'il faut un "herculean effort" pour surmonter la
"trade fatigue"*****.
En effet, au délà des difficultés conjoncturelles, nous soulignons quatre ordres de
problèmes fondamentaux :
a) Compte-tenu de la "théorie de la bicyclette", pour ne pas s'effondrer, le processus
de libéralisation est obligé d'avancer sans arrêt, afin de ne pas laisser des marges de
§§§§
Le Mercosul (ou Mercosul) a ses origines en 1986 avec l'accord (Integration Act) des deux "grands" de l'Amérique du
Sud, l'Argentine et le Brésil. En 1991 l'Uruguay et le Paraguay y ont adhéré et, fait plus intéressant encore, en 1995 est
entré en vigueur un nouvel accord ajoutant à la libéralisation commerciale une union douanière incluant un tarif extérieur
commun. Le secrétariat a son siège à Montevideo. Bien entendu, le Mercosur sollicite de ses Etats membres de s'orienter
vers une politique économique de libéralisation et d'occidentalisation, impliquant des politiques budgetaires orthodoxes,
dont les coûts sociaux sont très lourds. Mais on ne peut ignorer le fait que la logique de cette organisation subrégionale ne
coincide pas avec celle de NAFTA. D'une part, les traditions autonomes et indépendantistes particulièrement importantes
dans le cas du géant de la région le Brésil , et, d'autre part, la relance des anciens liens avec l'Europe (accord de
coopération commerciale envisagé pour 2001) permettent, notamment, de ne pas exclure de tensions dans le cadre des
projets USA de création d'une American Free Trade Area à dimension panaméricaine . Voir Ampliar as relações EuropaMercosul, Relatorio Forum Latino Americano, IER, Lisboa, 1996, Jean Grugel, Latin America and the Remakin of the
Americas in A.Gamble(ed), Regionalism and World Order, 1996. A propos du Brésil, voir également Th.Dos Santos 1993
et la polémique avec Henrique Cardoso.
*****
Bergsten, 1996, p.117
13
manoeuvre à ce qui est considéré comme un danger de contre-pied protectionniste des
"blocs régionaux compétitifs". Il doit donc ultérieurement s'élargir et intégrer les pays
demeurant à l'exterieur, notamment la Chine et la Russie, inclure des matières plus vastes
(services, agriculture, électronique, télécommunications, etc). Après "Uruguay Round" les
choses se sont deroulées très vite : que se passera-t-il si on est confronté à une stagnation
du type de celles qu'on a connues dans le passé, par exemple de celle qui a suivi le
"Kennedy Round"?
b) La stratégie de la globalisation a besoin de l'OMC (WTO), du renforcement de
son autorité et de sa crédibilité par rapport aux blocs régionaux. A ce niveau, il est
inévitable qu'un bras de fer se pointe à l'horizon entre la "logique APEC" et la "logique
Union européenne", engagée jusqu'à l'an 2000 dans la réalisation de ses propres priorités",
c'est-à-dire de son programme de régulation régionale (l'Union monétaire, la Conférence
Intergouvernamentale pour la réforme du Traité de Maastricht et l'élargissment de l'Union).
Certes la libéralisation externe serait cohérente avec une partie essentielle de l'acquis
communautaire. Mais peut-on avoir tellement de priorités? La confrontation de stratégies
portant sur le noyau des relations entre régionalisation et globalisation, un grand "bargain"
entre les USA et l'UE aura fatalement lieu durant les prochaines années. Ce sera le
véritable préalable de la négociation globale et il devra inclure les dossiers de la
libéralisation, mais aussi ceux de la clause sociale, de l'environnement, de la corruption,
etc. Les difficultés de cette négociation sont enracinées aussi dans les crises sociales
internes. Alors que les USA peuvent espérer réduire facilement leur déficit commercial par
l'accès aux nouveaux marchés, pour l'Europe et pour des pays comme l'Allemagne (qui a,
pour la première fois, réduit sa part du commerce mondial de 12% à 10%), les perspectives
sont plus sombres et justifient la "Globalisierungsangst" (angoisse). Il est d'ailleurs évident
que tous les pays ne pourront pas bénéficier d'une hausse des exportations et que ceci
demande à l'Europe (qui compte un taux de chômage superieur à 10%, soit le double du
taux des USA) des efforts particuliers et coûteux en matière des politiques de qualification
de la main d'oeuvre et demarché du travail.
c) Le troisième problème de la stratégie de la libéralisation globale est de nature
politique. On ne peut pas simplifier les questions politiques au point d'ignorer la dimension
de la sécurité. Par exemple, si l'armement nucléaire chinois menace les voisins asiatiques et
14
si les garanties américaines ne sont pas jugées suffisantes par le Japon, la Corée du Sud,
etc, on pourrait assister à une prolifération nucléaire mettant en question la logique
APEC†††††”. Le scénario de la libéralisation globale n'est évidemment pas compatible avec
celui que M.Kaplan appelait le scénario "unit veto", impliquant plusieurs puissances
nucléaires en équilibre.
d) Last but not least : de quelle façon vont évoluer les relations Nord -Sud au sein
des grandes organisations interrégionales du type APEC (ou AFTA) ? Plusieurs études
sociologiques et économiques font état d'une complémentarité entre la globalisation
économique d'une part et, de l'autre, l'approfondissement des coûts sociaux. En l'absence
de réponses démocratiques, la résurgence des particularismes ethniques et la diffusion de
conflits sociaux (Corée du Sud), de révoltes populaires des régions marginalisées (voir p.e.
le Chiapas, etc) ou bouleversées par les conséquences de la libéralisation, seront
incontournables. Ce qui est évident, c'est que l'identification entre libéralisation et
démocratisation n'a pas de confirmation empirique. Voilà une très bonne raison pour
élaborer de nouvelles formes ou prévoir une mise à jour, de la théorie de la dépendance
‡‡‡‡‡
.
En conclusion, le scénario de la libéralisation globale correspond à une certaine
vision des problèmes de gouvernabilité de la planète. Né d'une simple sollicitation
d'effacement des obstacles à la libre circulation, ce processus demande de plus en plus une
gestion forte de la part des organisation globales, même contre les résistances éventuelles
des organisations régionales essayant légitimement de concrétiser leur souveraineté. Dès
lors, ce scénario, une fois confronté aux dangers de fragmentation et d'anarchie, risque de
donner paradoxalement lieu à de nouvelles tentations hégémoniques ou, du moins, à un
mode de régulation rappelant, au moins pour un aspect important, les plus ambitieux des
systèmes internationaux, par exemple "la Sainte Alliance" issue du Congrès de Vienne de
1815. Ce dernier a échoué pour plusieurs raisons, dont son ambition excessive de vouloir
régler, à partir du centre, tant les relations internationales que la vie interne des Etats.
†††††
‡‡‡‡‡
Voir " Internationale Politik", Bonn, octobre 1996
Voir Dos Santos, 1993 et 1995 et Democracia e Socialismo no Capitalismo Dependente, Vozes 1991.
Pour les contradictions de la démocratisation en Amérique Latine , voir Marques-Pereira, 1993.
15
4. REGIONS ET GOUVERNEMENT MONDIAL
Le deuxième scénario diverge du premier sur certains aspects essentiels.
Néanmoins il présente un point commun : l'interdépendance économique, malgré son
dynamisme, n'est pas en condition, à elle seule, de donner lieu à un système stable, évitant
les conflits entre blocs régionaux (surtout en l'absence d'une superpuissance hégémonique.
Mais celui que nous avons appelé le "scénario vertueux" implique une architecture
institutionnelle complexe équilibrant les organisations régionales et les institutions du
gouvernement mondial. Les entités politiques régionales en formation constitueraient les
piliers d'une nouvelle architecture du système économique et politique international
permettant la maîtrise politique de la globalisation et facilitant ainsi, à la fois, la croissance
et la paix internationale. Dans ce cas, le renforcement d'entités régionales (UE, NAFTA,
nouvelles organisations en Asie orientale, Mercosul etc) serait souhaitable afin de
sauvegarder un meilleur équilibre entre efficacité économique et légitimité démocratique.
Ceci n'empêcherait pas la libéralisation ; bien au contraire, ce serait la seule façon de
permettre au plus grand nombre de pays d'en bénéficier, en raison du fait que cela
permettrait d'en infléchir les formes et les rythmes et ainsi d'essayer de gouverner la
globalisation. Les principaux avantages de ce scénario seraient de deux types :
a) la création de vastes régions économiquement intégrées bénéficiant d'institutions
crédibles et fiables, régions de plus en plus homogènes et stables à l'intérieur, permettant
de limiter les conflits centre-phériphérie (économiques, étatiques et culturels) au sein de la
même zone (exemple Union Européenne-Pays de l'Europe Centrale et Orientale ou USAMexique ou Japon-Asie Orientale) et maîtrisant ainsi les migrations massives, etc .
b) quant à l'extérieur, ces entités régionales solidement stabilisées pourraient établir
plus facilement des relations multilatérales, négocier les différends, contribuer à finaliser
des accords internationaux.
Il s'agit, à la fois, d'une tendance réelle déjà en cours et d'une approche normative,
qui, il est vrai, sous-estime quelquefois les obstacles politiques, économiques, identitaires
et stratégiques. Nous nous limitons ici à souligner deux aspects critiques qui nous
paraissent internationaux:
16
- pour ce qui est de leur structure interne, les organisations régionales, si elles
refusent de simplement transferer les impératifs internationaux de la globalisation, elles
devraient disposer d'un vrai pouvoir de régulation (une sorte de "rerégulation" régionale).
Dans ce cas, elles sont directement conditionnées d'une part par les rapports de force entre
les Etats et de l'autre par des systèmes politico-juridiques confrontés au déficit
démocratique, tant en ce qui concerne les procédures juridiques de contrôle, que l'égalité
entre les Etats membres (voir à ce propos, par exemple, l'important débat institutionnel en
cours sur le "noyau dur" de l'Union Européenne et sur l'Union différenciée§§§§§).
Leur caractère démocratique serait donc, à terme, une condition sine qua non de
leur renforcement institutionnel, une forme de rééquilibrage par rapport à la centralisation
des compétences internes et externes des Etats membres. Le renforcement des droits des
citoyens compenserait le développement de politiques communes, impliquant un processus
de centralisation.
- pour ce qui est des implications internationales d'un renforcement institutionnel
des organisation régionales, la différence fondamentale par rapport au premier scénario pur
est que la gouvernabilité de l'interdépendance mondiale ne serait possible que par la
coordination d'entités politiques régionales souveraines et légitimes. Loin d'être le résultat
direct et spontané de la libéralisation du marché, la stabilité internationale serait le resultat
d'accords et compromis entre les volontés politiques souveraines, selon une nouvelle
version du modèle classique du "contrat social international" de Kant et Rousseau.
Les procédures légales et constitutionnelles l'emporteraient graduellement sur les
procédures diplomatiques classiques. Les relations externes viseraient la constitution en
parallèle de "régimes politiques et économiques internationaux". Les organisations
régionales devraient premièrement négocier des règles du jeu et des normes communes,
permettant un déroulement normal des relations multilatérales, dépassant les interventions
"ad hoc" (dans les domaines commercial, monétaire, financier, social, politique, etc) et
impliquant également ceux qui sont en dehors des grandes puissances économiques. En
outre, le multipolarisme économique serait complété par le multipolarisme politique.
§§§§§
Dans le cadre de l'Union monétaire européenne la différenciation est déjà prévue par le traité de Maastricht; en outre,
des formes de différenciation apparaissent déjà pour ce qui est de la politique de sécurité interne et de la défense. Voir, La
différenciation dans l'Union, TEE, 1995
17
Au contraire des visions mythiques à la Von Hayek ou à la Fukuyama, le
gouvernement mondial, par ce "regional globalism", ne peut sortir que de la convergence
de volontés politiques indépendentes et légitimes. Les deux scénarii jusqu'à présent
évoqués partagent, au fond, l'idée que la "mondialisation bénéficiant à tous" n'est pas une
tendance automatique inhérente à l'unification du marché mondial. Mais, si on veut éviter
les risques de nouveaux projets hégémoniques, les régions devraient exprimer davantage
leur identité et aussi la diversité des modèles économiques sociaux, démocratiques
existants. Peut-être, l'Europe pourrait-elle jouer un rôle important à ce niveau, compte-tenu
de son expérience particulièrement importante dans ce domaine. Par cette voie, les
organisations internationales existantes devraient s'engager dans un véritable processus de
refondation.
Quelles institutions mondiales pourraient structurer ce nouveau système
international en formation, nécessairement multipolaire? Nous envisageons une longue
phase de transformation des institutions économiques et politiques internationales.
a) La réforme de l'ONU et du Conseil de Sécurité devrait garantir une plus grande
représentation des régions économiques du monde. Par conséquent, on pourrait imaginer
que les conditions soient réunies pour qu'une plus grande efficacité d'action en ce qui
concerne les intérêts communs au genre humain, le développement économique, la paix, la
protection de l'environnement, etc, soit atteinte. Le fait qu'un processus de transition vers
un rôle accru des représentations des organisations régionales au niveau des Nations Unies,
du Conseil de Sécurité soit logique n'est, en effet, pas une garantie de succès contre les
résistances hégémoniques des grands et moyens Etats. Des phases intermédiaires
pourraient pourtant être envisagées, où "le système de 1945" serait graduellement dépassé,
par exemple, par l'admission au Conseil, en rotation, à côté des seuls Etats vainqueurs de la
deuxième guerre mondiale, des nouvelles puissances continentales, vues en tant que
canaux de la participation des organisations régionales .
On peut imaginer une alliance entre les organisations régionales et l'organisation
universelle : sans faire appel uniquement aux anciennes puissances hégémoniques, les
Nations Unies pourraient renforcer leur administration et le sécrétariat général et surtout
créer un corps armé permanent afin d'augmenter leur capacité de prévention et de peace
Keeping. Les organisations régionales seraient particulièrement intéréssées par le
18
renforcement
du
système
"Nations
Unies",
ainsi
que
par
sa
réorganisation
décentralisée******.
Malgré leurs différentes procédures, les institutions supranationales et les
organisations internationales†††††† sont l'expression de la même exigence de surmonter la
Realpolitik des Etats et la pression des forces hégémoniques dans le sens d'une réforme
globale de la politique internationale.
b) De l'avis général, le G7, surtout en l'absence d'une réforme radicale et d'un
élargissement, n'est absolument pas en condition de contribuer avec efficacité aux tâches
de gouvernement économique et politique global évoquées. Il pourrait peut-être, une fois
élargi (à la Russie, à l'Inde, au Nigéria, au Brésil, à la Chine) constituer un forum de
discussion, mais certainement pas un directoire de l'économie et de la politique mondiale.
Il pourrait ainsi donner des impulsions pour des actions communes dans le domaine
des défis globaux : la lutte contre la famine dans le monde et la pauvreté, contre la
criminalité internationale et le terrorisme, contre le commerce de la drogue, etc.
c) L'hypothèse d'une harmonie entre régionalisation et mondialisation est
confrontée à l'exigence d'une réforme de l'Organisation Mondiale du Commerce (WTO). A
l'heure actuelle, on assiste à une tension évidente entre l'idéologie libre-échangiste de
l'OMC et l'évolution en cours au niveau des organisations régionales, comme si la
"rerégulation " régionale menaçait la libéralisation globale. Le choix est clair et net: soit les
organisations régionales deviennent de simples zones de libre échange (en Europe ce
serait, par exemple, l'expérience échouée de l'EFTA‡‡‡‡‡‡), soit l'OMC subit des réformes,
se mue en une structure multilatérale fiable de négociation et de réglementation de
commerce (ce qui implique des droits et devoirs pour chacun) basée sur des organisations
régionales renforcées, même si ceci devrait forcément impliquer une pluralité de modèles
capitalistes§§§§§§. La conférence de l'OMC de Singapour en décembre 1996, a témoigné de
graves difficultés et permis que des progrès très limités en ce qui concerne le lien entre la
******
††††††
D.Held, Prospects for Democracy, London, 1993, pp.5-53
A ce propos, voir M.Telo'(éd.), Démocratie et construction européenne, Editions de l'U-LB., 1995.
L'EFTA, European Free Trade Association, créée en 1960, regroupait la Grande-Bretagne, les pays Scandinaves,
l'Autriche, la Suisse, le Portugal, l'Islande et le Liechtenstein. L'expérience de trente ans a bien témoigné de la beaucoup
plus grande efficacité du modèle de la CE (axé sur la libéralisation, mais aussi sur l'intégration et des institutions aussi
supranationales) comme le prouvèrent largement les adhésions à l'UE des pays ex-EFTA - à part la Norvège, la Suisse, le
Liechtenstein et l'Islande.
‡‡‡‡‡‡
19
libéralisation commerciale et les nécessaires règles du jeu. Un exemple : le différend sur la
"clause sociale". Après le sommet de Copenhague de l'ONU, l'OIT est chargée d'étudier les
liens entre commerce international et normes sociales (voir les mandats de l'OCDE et de
l'OMC), notamment le socle de droits fondamentaux, l'interdiction du travail forcé, la
liberté syndicale, le droit à la négociation collective, la non-discrimination dans l'emploi,
l'abolition de l'exploitation des enfants. D'une part, introduire de nouvelles matières dans la
négociation est mal vu par certains, surtout lorsque des intentions protectionnistes se
cachent derrière les beau discours humanitaires ; d'autre part, il n'est pas réaliste de
remettre encore longtemps les questions cruciales pour toutes les civilisations : la
protection de l'environnement, le socle minimum des règles. Le sommet de 1998 jouera un
rôle crucial à cet égard.
d) Plusieurs symptomes indiquent que le processus de renforcement des
organisations régionales pourrait impliquer aussi un double effet "spill-over" : en effet, non
seulement ils poussent les Etats membres à intégrer d'autres domaines de compétence dans
leurs politiques communes, mais créent également de plus en plus de nouveaux régimes
internationaux par la coopération internationale ou interrégionale, par exemple, en ce qui
concerne la protection de l'environnement, la lune contre la criminalité internationale, la
réglementation concertée des flux migratoires, etc. De nouvelles institutions internationales
sont incontournables, tant au niveau intergouvernemental que non intergouvernamental,
suivant la logique de la création d'une société internationale*******.
Last but not least, cette stratégie de coopération est inévitablement confrontée aux
relations avec les pays pauvres et les zones du monde exclues des processus d'organisation
§§§§§§
Wilks, 1996
Les organisations intergouvernamentales classiques concernent surtout les accords commerciaux et la stabilité
internationale. Toute impulsion tavorable à la démocratisation interne resta fondamentalement absente jusqu'à l'innovation
constituée historiquement par la CE, qui ne prevoit que l'adhésion des seuls pays démocratiques et respectant les droits de
l'homme. Le Mercosul a, en partie, suivi cet exemple, ce qui a peut-être aussi contribué a freiner les tendances golpistes,
par exemple au Paraguay en 1996. Quant à l'Asie, ces questions ont été longtemps marginalisées et évacuées. Les
relations avec l'UE doivent, bien entendu, tenir compte de la pression de l'opinion publique et des organisations syndicales
européennes pour la démocratisation et les droitssociaux et individuels . C'est le cas des relations entre l'UE et Mercosul,
ou le cas du processus de coopération méditerranéenne entamé à Barcelone. Pourtant la déclaration de Bangkok réaffirme
"le principe de non- intervention dans les affaires intérieures des autres partenaires", même si, à un certain moment, on
parle de"droits fondamentaux". Le sommet de l'OMC de Singapour a déçu ceux qui s'attendaient à une déclaration pour
les droits sociaux et contre le travail des enfants. Il ne faut pas oublier que les pays asiatiques demandent le respect du
principe de non-ingérence, notamment la Chine et les pays de l'ASEAN (tant l'Indonésie que les autres pays présentent
plusieurs dossiers graves en matière de respect des droits des minorités, de mise en oeuvre de la démocratie et des droits
de l'homme, etc). Evidemment l'UE ne peut pas imaginer exporter son modèle de démocratie partout dans le monde, mais
la conviction de plusieurs observateurs est que , de toute manière, ces questions ne pourront être facilement marginalisées.
*******
20
régionale: soit les marges et les ressources pour une politique d'aide au développement
seront repérées et un engagement spécial sera déployé (une espèce de Plan Marshall pour
la croissance et contre la pauvreté), soit une sorte de logique d'exclusion mondiale sera
développée.
5. REGIONS FORTERESSES ?
Le Candide nous a appris que le meilleur des mondes possible ne se réalise pas
toujours. Donc il n'est pas étonnant qu'une vaste littérature reste très sceptique quant à la
réalisation de ces régimes politiques internationaux et envisage plutôt un scénario néoréaliste, attirant l'attention sur les possibles nouveaux conflits entre les nouvelles régions
du monde. Selon cette vision, l'économie étant toujours plus l'enjeu de conflits politiques et
les Etats n'étant plus à la hauteur des challenges liés à la globalisation, la création d'entités
régionales serait l'expression la plus cohérente de la tendance vers le nouvel âge, celui des
conflits géo-économiques .
Les déséquilibres existant entre les Etats et les régions du monde seraient ainsi
réglés par une conflictualité économique et commerciale permanente ("la logique de la
guerre et la grammaire de l'économie", écrit le politologue américain Luttwak†††††††). Les
entités géo-économiques régionales exprimeraient ainsi la nécessité non seulement de
rattraper les souverainetés économiques, commerciales, monétaires et sociales perdues par
les Etats membres, mais également de renforcer leurs chances commerciales et leur
compétitivité et d'affaiblir les concurrents.
Suivant cette optique, l'Europe s'intéresserait tout particulièrement à une telle
évolution, en raison de ses difficultés actuelles dans la compétition avec l'Asie orientale et
les USA. Les conquérants sont toujours plus pacifiques que les vaincus et la mondialisation
serait perçue, dans cette vision, comme l'instrument des vainqueurs extra-européens. Les
conflits militaires Nord-Nord étant exclus - en raison tant de la compatibilité relative des
intérêts vitaux des deux côtés de l'Atlantique que de la superpuissance écrasante
américaine - des guerres commerciales sont pourtant possibles:
-soit dans des buts politiques, alors que l'économie est utilisée en tant qu'arme pour
imposer aux autres les décisions prises par la puissance dominante;
†††††††
Luttwack, 1990
21
-soit dans des buts stratégiques, quand des décisions sont adoptées en vue de
reduire l'accès des autres à des ressources stratégiques (énergie p-e-) ou technologiques;
-soit dans des buts simplement économiques impliquant des pratiques
commerciales illégitimes ou unilatérales visant à augmenter le bien-être des citoyens au
détriment des autres pôles. Bien entendu le calcul des coûts et des bénéfices devrait être, en
principe, favorable‡‡‡‡‡‡‡.
Pourquoi ces conflits géo-économiques éclateraient-ils à la fin du XXe siècle?
Après la fin de la guerre froide, la compétition USA-Japon-Europe n'est plus surdéterminée
par la lune contre le communisme. Un nouveau contexte existe où, entre autre, le tiers
monde a perdu en force de négociation et fait l'objet d'instrumentalisation dans la lutte
entre les "régions forteresses".
Le scénario née-réaliste prévoit donc deux sous-scénarii:
a) soit l'aggravation du désordre politique et économique international, ce qui
implique la guerre géo-économique généralisée (et dans une dynamique conflictuelle, le
premier coup est important). Cette hypothèse n'est pas forcément favorable au
renforcement de la cohésion de l'Europe, car la dramatisation des conflits économiques
pourrait ouvrir des contradictions internes entre américanophiles et germanophiles.
L'Union européenne pourrait donc être tout particulièrement intéréssée à empêcher
une telle évolution .
b) soit la transformation des pôles économiques régionaux en entités politicoéconomiques en competition pacifique. Le maintien de plusieurs formes de cooperation et
d'intégration (régimes internationaux) n'empêcherait pourtant pas des conflits géoéconomiques ponctuels, coûteux et déstabilisants, d'éclater régulièrement. Leur but n'est
pas forcément d'affaiblir sérieusement le concurrent , mais :
- d'augmenter la compétitivité de chacun des pôles, par exemple, par des règles
extra-Gatt (ex-mesures non tarifaires) ;
- d'accaparer une partie plus importante du gâteau (par exemple les productions à
plus grande valeur ajoutée).
La stratégie géo-économique consiste surtout à utiliser les niches non couvertes par
les règles internationales, afin d'éviter les ripostes des concurrents. La formule d'un
‡‡‡‡‡‡‡
Jean, 1995
22
"colbertisme high tech" a été proposée (Bernard Cazes). Il ne s'agirait jamais d'un jeu à
somme nulle, mais de conflits multilatéraux à somme positive. Plusieurs formes de
protectionnisme régional seraient inévitables. Les organisations régionales les plus faibles,
les dernières arrivées (last comers), seraient soit marginalisées et penalisées, soit forcées à
se rallier à l'un des pôles principaux.
6. SIGNIFICATION INTERNATIONALE D'UNE EXPERIENCE
REGIONALE "SUI GENERIS" : L'UNION EUROPEENNE
Nous avons constaté l'existence de deux types d'organisations régionales, d'une
part, celles qui sont tout à fait cohérentes avec la libéralisation globale et celles qui, d'autre
part, impliquent des aspects potentiellement hétérogènes, notamment l'union douanière, la
politique industrielle et de la recherche, des institutions régionales renforcées, une
dimension identitaire au moins amorcée. Mieux, plutôt que de deux types d'organisations,
il s'agit de deux tendances entrelacées et en conflit, caractérisant plusieurs organisations
régionales. L'Union européenne constitue certainement l'exemple le plus poussé
d'organisation régionale où la coopération commerciale a donné lieu à un effet "spill-over"
vers une "union de plus en plus étroite entre les peuples", incluant les dimensions sociale et
industrielle ainsi que plusieurs politiques communes. Alors que l'expression extrême de
"Europe forteresse" est de plus en plus obsolète, le mot "rerégulation" a été proposé pour
exprimer cette particularité unique au monde, fruit d'une histoire tragique et de son
dépassement relativement récent.
Les éléments cruciaux de cette expérience sont les suivants : la combinaison de
procédures intergouvernementales traditionnelles avec des procédures communautaires; cet
équilibre complexe fait l'objet d'une controverse à l'heure actuelle, dans le cadre de la
réforme du Traité de Maastricht, notamment pour ce qui concerne les politiques étrangère,
de sécurité et de défense et la cooperation dans le domaine des affaires internes (police,
immigration, visa, etc). La Grande-Bretagne plaide traditionellement pour la thèse de
l'opposition entre globalisation et régionalisation renforcée.
Même si elle est freinée par les complications liées à l'élargissement oriental aux
anciens pays communistes ou par les replis de certains Etats-nations, la dynamique de
23
l'intégration ne pourra pas reculer vers une organisation internationale classique, de même
que l'acquis communautaire de cinquante ans ne sera que difficilement effacé.
a) La supranationalité normative s'accompagne de la supranationalité politique. Par
supranationalité normative, on entend souligner les particularités du droit européen,
notamment: l'applicabilité directe des normes aux citoyens, la primauté du droit
communautaire, l'existence de compétences exclusives de l'UE. Par supranationalité
politique ou institutionnelle, on entend : le monopole de l'initiative de la part de la
Commission, le vote à la majorité qualifiée au Conseil, les pouvoirs de codécision
(partielle) du Parlement européen élu au suffrage universel.
b) La légitimité des institutions européennes est donc double : respectivement les
Etats et les citoyens. La souverainété des Etats n'est pas déléguée à l'Union mais elle est
exercée en commun, ce qui a des implications sur l'importance de l'action externe
commune.
c) En effet malgré les graves limites de la politique étrangère commune, l'action de
l'Union européenne en tant qu'acteur global est importante :
- la première puissance commerciale au monde exerce une action extérieure dans
les domaines économique et commercial par les accords commerciaux, les sanctions, etc;
- un domaine particulièrement important est celui des accords bilatéraux entre
l'Union européenne et les autres organisations régionales; ces accords provoquent, par
réaction, des dynamiques au moins partiellement similaires au sein des autres régions du
monde (Mercosul Asie Orientale, etc)
- l'Union européenne pratique une action extérieure riche en implications politiques
par l'assistance et la coopération. L'exemple des pays de l'Europe centrale et orientale est
particulièrement important dans la perspective d'un nouvel ordre de paix au niveau du
Continent.
- last but not least, il ne faut pas oublier que par le fonctionnement du système de
négociations continues entre les Etats membres, l'Union européenne met en oeuvre ce que
l'on a appelé une "politique extérieure interne", ce qui permet de diminuer les conflits entre
des pays européens héritiers d'une histoire lourde de controverses sanglantes.
En conclusion, la Communauté européenne a manifesté de plus en plus la double
tendance à se transformer, d'un côté, en un système politique démocratique régional (U.E.)
24
et de l'autre côté, en un acteur global. Son évolution correspond au scénario que nous
avons appelé de " gouvernement mondial", mais plusieurs forces internes et externes
prônent soit un repli vers le scénario de l'Europe forteresse, soit une subordination à la
logique de la libéralisation globale. C'est l'enjeu des prochaines années. L'UE ne pourra
que difficilement évoluer vers le scénario vertueux indiqué en l'absence de tendances
analogues ou similaires ailleurs dans le monde. Bien entendu, celui de l'UE est un cas
unique, non exportable ailleurs. Pourtant nous avons constaté que :
- la tendance "spill-over" se présente même ailleurs. Le lien entre économie et
politique est tellement évident que la création de zones de coopération régionales donne
lieu à des enchaînements complexes, riches en implications sur de multiples terrains, y
compris politiques;
- les acquis internes des marchés régionaux présentent déjà en tant que tels des
implications internationales non négligeables ;
- la globalisation provoque des résistances partout dans le monde et aussi des
réactions identitaires : ces dernières donnent lieu, soit à une percée du néo-nationalisme ou
de l'ethnocentrisme, soit à des formes démocratiques de coopération régionale; ces
dernières sont moins dangereuses pour la paix internationale, pour les droits de l'homme et
pour le bien-être du nombre le plus grand des citoyens;
- les groupements régionaux permettent de gérer en dehors des tendances vers
l'hégémonie d'une seule puissance, celle qui est une réalité incontournable à la fin du XXe
siècle : la diversité des modèles de capitalisme au sein de l'économie globalisée, les divers
équilibres entre la libéralisation d'une part et la rerégulation régionale d'autre part.
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