1 GLOBALISATION, RÉGIONALISATION ET GOUVERNEMENT MONDIAL: EUROPE, ASIE, AMÉRIQUE LATINE Mario Telò* 1. REGIONALISATION ET THEORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES Plusieurs mutations de l'économie internationale et de la technologie ont créé les conditions pour un marché mondial unifié. Ce processus de longue haleine fut accéléré par l'effondrement du mur de Berlin et la fin de la division politique du marché mondial liée à la confrontation planétaire entre les deux blocs. La vaste poussée vers la globalisation s'accompagne de l'approfondissement des tendances économiques et politiques à l'établissement d'accords commerciaux régionaux, c'est-á-dire à la régionalisation. Néanmoins la globalisation est également á l'origine de nouveaux conflits et ne donne toujours pas lieu à un nouvel ordre politique international. En effet, la fin du monde bipolaire, loin de signifier la "fin de l'histoire", a ouvert une longue phase d'incertitude et d'instabilité, susceptible d'évoluer vers plusieurs scénario, concernant tant l'évolution du système politique international, que les implications politiques de la nouvelle économie globalisée et régionalisée. On a généralement pris acte que le monde connaît une longue transition de l'ancien système bipolaire vers un nouvel ordre international : quel est le rôle de la régionalisation dans le cadre de la globalisation et del'évolution vers un nouveau système international ? Deux remarques préalables concernant notre approche. Primo, ce papier souligne l'entrelacement entre économie mondiale et politique : il est naïf d'imaginer une économie globalisée stable à laquelle ne corresponde pas de * Directeur des Recherches Politiques, Institut D´Etudes Européennes, Université Libre de Bruxelles 2 structure politique cohérente au niveau international. Nous porterons donc une attention particulière aux implications politiques des relations -et des conflits- économiques. Secundo, ce papier est axé sur la conviction que la portée des mutations intervenues au niveau du système international ne peut être maîtrisée que par une nouvelle combinaison des deux approches traditionnelles des relations internationales : la théorie réaliste et la théorie idéaliste. Il s'agit donc modestement de laisser de côte les formulations éclatantes, les plaidoyers brillants, les théories extrêmes. En langage littéraire, et suivant Umberto Eco, nous ne partageons ni les approches des obsédés de l'Apocalypse, ni celles des prôneurs hyperoptimistes de l'intégration: "l'Apocalypse est l'obsession du désaccord á tout prix; l'intégration est la réalité concrète de ceux qui ne sont pas en désaccord. Les apocalyptiques survivent en confectionnant des théories sur le déclin et la fin du monde; les intégrés rarement formulent des théories mais oeuvrent plus facilement, produisent, émettent leurs messages quotidiens á tout niveau. Les apocalyptiques, au fond, sont des consolateurs car, dans la catastrophe générale, une communauté de super-hommes est envisagée, capables de s'éléver, ne fût-ce que par leur refus, au-dessus de la moyenne"†. La littérature scientifique internationale est, en effet, très partagée sur les caractères du monde post-bipolaire et sur la place à attribuer aux tendances vers la régionalisation. La première question est de savoir si nous assistons á une percée de la concentration des pouvoirs économiques et politiques (notamment á un monde unipolaire, stable pour certains, instable pour d'autres ) ou plutôt á une diffusion des pouvoirs dans le sens d'un multipolarisme renforcé et durable. Ce papier ne partage pas la perspective théorique du monde unipolaire et accepte la thèse selon laquelle nous assistons à un retrait graduel des Etats-Unis, seule superpuissance qui ait survécu à la fin du monde bipolaire. Certes, il ne s'agit ni d'un déclin généralisé, à la fois économique et politique, ni d'un retour à l'isolationnisme classique. Simplement, les USA ne sont pas en condition (et, en majorité, ils ne le veulent pas !) d'assumer un rôle international comparable à celui qu'ils ont joué durant les premières décennies de l'aprèsdeuxième guerre mondiale ("le golden age" du capitalisme occidental, dont écrit Eric Hobsbawm‡). Le retrait de l'ancienne puissance mondiale hégémonique ne manque pas de † ‡ U.Eco, Apocalittici e integrati. Bompiani, Milano,1977. E.Hobsbawm, The Age of Extremes, London 1995. 3 tendances allant à contrecourant. De toute façon, la fin de la grande hégémonie mondiale implique-t-elle forcément le chaos et la dégradation militaire des conflits ? La mondialisation économique donne lieu à un système global caractérisé par l'émergence de plusieurs centres de développement du capitalisme et par des mutations en ce qui concerne les hiérarchies économiques et politiques internationales. Certes, les USA priment toujours au niveau des rapports de forces, militaires notamment ; mais ils ne sont pas en condition de construire le "nouvel ordre mondial" trop vite annoncé par l'administration Bush - Baker en 1989. L'instabilité restera-t-elle donc une donne incontournable, un élément central et durable du système international ? L'étude des tendances vers un monde multipolaire, à la fois régionalisé et globalisé, nous amène à une critique des deux interprétations extrêmes des évolutions en cours, celle des réalistes "catastrophiques" et celle des apologistes de la stabilité du nouveau monde post-guerre-froide. En ce qui concerne les réalistes, trois approches nous semblent particulièrement significatives. Mais, bien que l'intérêt de ces démarches soit certain, celles-ci ne situent pas correctement le phénomène de la régionalisation et surestiment les forces catastrophiques du monde post-bipolaire: a) Le scénario catastrophe numéro 1 est celui du retour aux fantômes du passé ("back to the history"§). Centré surtout sur le continent européen (mais pas uniquemement), il est axé sur l'hypothèse d'une réactualisation des conflits inter-étatiques ayant donné lieu à deux guerres mondiales. Son mérite est de souligner que les Etats-nations, notamment les Etats dominants, jouent toujours un rôle essentiel dans la lutte pour les sphères d'influence, ce qui explique une partie des multiples tendances favorables à la régionalisation (on peut parler de State-led strategies**), tant en Amérique qu'en Europe (l'Allemagne, ou le couple franco-allemand) et en Asie orientale (le Japon, mais avec la complication que constitue son exclusion de la seule organisation régionale importante de la région, l'ASEAN). Les organisations infra-régionales également sont le produit de stratégies étatiques : voir l'exemple du Brésil au niveau du "Mercosul" (ou Mercosur). Ceci dit, à notre avis, on oublie trop vite que les Etats n'y jouent pas le rôle de seuls acteurs. Des entités en devenir existent, de nouveaux acteurs se manifestent, des acteurs § 3 J. Mearsheimer, Back to the Future? Instability in Europe after the Cold War l'International Security" n.1, 1990 A.Gambie et A.Payne, Regionalism and World Order, Macmillan 1996 ** 4 publics et privés, des acteurs nationaux, mais aussi mondiaux et transnationaux, des acteurs disposant de plusieurs ressources, d'un éventail très varié de moyens de pression et d'action. Les Etats hégémoniques (tant au niveau mondial que régional) doivent, en conclusion, situer leus actions et leurs intérêts dans un cadre de relations internationales tout à fait nouveau par rapport à la phase pré-monde-bipolaire, un cadre caractérisé par une forte pression dans le sens de l'interdépendence, par l'existence d'organisations et d'acteurs internationaux, transnationaux et supranationaux, conditionnant fortement les comportements des Etats. Même si on se limite au niveau strictement militaire, notre analyse prend en compte l'émergence de nouvelles dimensions des problèmes de la sécurité, notamment sociale, économique, identitaire. b) Une version sans aucun doute plus originale de l'approche réaliste a été proposée par S-Huntington : pour le nouveau siècle, il envisage une aggravation des conflits et une précipitation des confrontations internationales entre des blocs régionaux unifiés autour des "civilisations" (parmi les huit principales civilisations : l'occident, l'Islam, la Chine, la Russie orthodoxe,etc). Le regroupement au nom de l'identité religieuse et culturelle ( "la revanche de Dieu")†† primerait tant par rapport aux Etats-nations que par rapport à la modernisation économique et fonctionnelle. Même si la tendance régionale et supraétatique est ainsi sérieusement prise en compte par Huntington, trois remarques critiques nous paraissent pertinentes : -d'abord, il sous-estime l'importance des relations économiques mondiales en tant que facteur favorisant les relations interrégionales et interculturelles (par exemple, l'Asem ou processus de Bangkok, l'APEC, le processus de Barcelone ) et cette lacune est d'autant plus grave que la civilisation de loin le mieux adaptée à la modernisation et à l'ouverture économique, c'est la nôtre; - deuxièmement, l'économie - et aussi la politique - peut agir en tant que facteur critique au sein de la même civilisation (voir l'émergence des conflits ouest-ouest et des divers types de capitalisme démocratique, en Europe et aux USA, notamment) ; - troisièmementement, Huntington sous-estime le poids des Etats hégémoniques au sein de chaque organisation régionale et les conflits interétatiques potentiels. †† S.Huntington, The Clash of Civilisations and the Remakin of World Order, Simon & Schuster, 1996 5 c) Immanuel Wallerstein - bien qu'il se situe dans une tout autre perspective envisage aussi un "scénario-catastrophe", dans la mesure où l'effondrement du bloc communiste (jadis classé comme semipériphérie) impliquerait, selon lui, une crise inévitable de l'équilibre précédent entre le centre du capitalisme mondial et la periphérie donnant lieu à une multiplication des conflits nord-sud dont la guerre du Golfe serait le premier. La crise du communisme serait, en effet, la crise du libéralisme. Nous avons apprécié l'importance des analyses systémiques de la globalisation. Néanmoins Wallerstein ignore le dynamisme des nouveaux centres du capitalisme mondial et accepte l'approche unipolaire du monde post- guerre-froide effaçant ainsi la dimension politique et stratégique des conflits économiques au sein du centre. Enfin, I.Wallerstein présente une image simplifiée du Sud, dont il sous-estime également les contradictions internes. Le phénomène de l'intégration régionale est tout à fait ignoré, malgré ses implications sur le clivage NordSud. Sa thèse serait confirmée si la tendance vers la régionalisation concernait avant tout les relations transatlantiques : mais, précisément, le projet TAFTA n'avance pas, alors que les projets en route, c'est-à-dire tant l'APEC, que l'UE (processus de Barcelone et politique méditerranéenne, Accord de Lomé, etc), que la NAFTA, ne suivent pas l'axe Ouest-Ouest, mais agissent tous directement au niveau de la restructuration des relations Nord-SudQuelle que soit notre appréciation sur les chances de succès ou d'échec des politiques d'ouverture commerciale et de coopération en cours, le conflit Nord-Sud en sortira restructuré et fragmenté selon l'évolution des stratégies de régionalisations‡‡. Les "intégrés", quant à eux, ne cessent de nous expliquer le scénario magnifique de la globalisation bénéficiant à tous. La "pensée de Davos" en est un exemple particulièrement significatif : les conséquences uniquement positives de la libéralisation des échanges, des mouvements des capitaux, sont mises en exergue; les plaidoyers pour la cohérence entre globalisation et régionalisation excluent toute analyse approfondie des contre-tendances, interprétées en tant que simples erreurs ou irrationalismes. ‡‡ I.Wallerstein, Le marxisme-léninisme est mort. Vive quoi? in M.Telo' et G.Haarscher, Après le communisme. Les bouleversements de la théorie politique. Editions de l'ULB, 1991 et aussi sa conférence tenue à l'occasion de l'attribution de la "laurea honoris causa", Bruxelles, octobre 1996 6 En parallèle, nous avons assisté, surtout pendant les premières années de l'aprèsguerre-froide, à une percée des attentes excessives d'un nouveau monde de paix et de coopération suivant la victoire des valeurs démocratiques. Ce phénomène culturel, présentant d'évidents aspects rhétoriques et très médiatisés, constitue une sorte de légitimation apologétique de la globalisation en cours. Nous essayerons pourtant de ne pas effacer la réalité incontournable d'un monde plus unifié depuis la fin de la confrontation nucléaire et systémique entre Est et Ouest; un monde caractérisé par la "complexe interdépendance", tant au niveau commercial et financier, que culturel et technologique et par ses implications au niveau du système des relations internationales§§ . C'est dans ce cadre nouveau fait, d'une part, de la pression exercée par l'interdépendance accrue et , de l'autre, de nouveaux facteurs d'instabilité, qu'il faut situer les tendances vers la régionalisation. 2. REGIONALISATION ET SYSTEME INTERNATIONAL Plusieurs malentendus, en ce qui concerne la régionalisation, sont dus à une confusion entre interprétations scientifiques et normativisme : en effet, les tendances vers la régionalisation et le multipolarisme constituent, tout à la fois, des éléments objectifs caractérisant la nouvelle donne internationale et une des stratégies politiques d'Etats plus ou moins puissants. Cette ambiguité était déjà évidente durant les phases du "bipolarisme flexible" (M.Kaplan***), tant au niveau politique qu'économique. Exemples politiques les plus évidents, même s'ils présentent des taux de crédibilité très différents : la France de De Gaulle, la Chine de Mao ont lancé, au cours des années soixante, deux initiatives à la fois étatiques et régionales, respectivement, "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural" et le "polycentrisme communiste". Certes, malgré les divergences politiques et idéologiques entre les puissances régionales et les deux superpuissances, le monde ne pouvait que rester bipolaire en ce qui concerne sa structure systémique et de sécurité . Toujours dans le cadre du monde bipolaire, se sont manifestées des tendances économiques vers une réorganisation du monde capitaliste selon un modèle tripolaire, §§ R.O.Keohane et J.S.Nye, Power and Interdependence : World Politics in Transition, Boston 1977 . M.Kaplan, System and Process in International Politics, New York, 1957 *** 7 même si elles restent inévitablement subordonnées à - et freinées par - la logique de la guerre froide : la fameuse "trilatérale" (USA, Japon et UE), dans les années soixante-dix, a constitué la première hypothèse de régulation des problèmes de gouvernabilité au niveau de la coordination de "la triade", c'est-à-dire des trois grandes puissances économiques et commerciales. Certes, il était trop ambitieux de vouloir régler de cette façon lagouvernabilité du capitalisme démocratique. Il faut enfin remarquer que, malgré ses mérites, l'étude de Crozier et Huntington est l'expression d'une approche trop normative pour dissiper les malentendus évoqués†††. Durant les années '80, les divergences intercapitalistes, d'une part, et les processus de coopération régionale de l'autre, se sont multipliés et approfondis : la percée du Japon, l'expansion du capitalisme en Asie et l'emergence des N-I.C., la compétitivité accrue des USA et du Japon dans les divers domaines des nouvelles technologies (informatique, biotechnologies, etc) ont provoqué des réactions en Europe et aux USA : entre autres, l'historien F-Braudel a lancé dans l'opinion publique le thème du "déclin de l'Europe" dans le cadre de la nouvelle économie mondiale axée sur le Pacifique (on établissait un parallèle entre les découvertes géographiques du XVe siècle et le déclin de la République de Venise). Le programme "grand marché 1993" promu par l'Acte unique européen constituait la réponse dynamique de l'Europe, c'est-à-dire une relance européenne dont, entre autres, Michel Albert exprimait bien le côté compétitif ‡‡‡ et les prôneurs de l'Europe forteresse", le côté protectionniste. Quelques années plus lord, conséquence de l'essor du capitalisme asiatique et du succès du programme '92 de la C-E-, Paul Kennedy dénonçait le spectre des conséquences stratégiques de l'importance accrue de l'économie et de la technologie par rapport à la notion classique de puissance et évoquait ainsi le danger d'une tendance vers le déclin des USA§§§. Ainsi que R.Keohane l'avait écrit en 1984, l'hégémonie a de plus en plus des racines économiques ("preponderance of material resources")****. Ce constat , entre autre, ouvrait la porte à la reconnaissance du nouveau rôle potentiel des puissances régionales, notamment des grands perdants de la IIe guerre mondiale, l'Allemagne et le Japon. Mais ††† M.Crozier, S.Huntington et autres, Rapport de la Commission Trilatérale, 1974 Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme, Paris 1984 §§§ P.Kennedy, Rise and Fall of Great Powers, 1987 **** R.Keohane, After Hegemony. Princeton 1984. ‡‡‡ 8 avant le tournant historique de 1989-91, il n'y avait véritablement pas de chance pour que le régionalisme économique soit durablement transféré sur le plan de la high politics, de la politique et de la sécurité. C'est, en effet, depuis la fin de l'URSS et de l'empire soviétique (1991) que les tendances multipolaires et régionales peuvent se manifester beaucoup plus librement, tant au niveau économique que politique. La fin du chantage nucléaire diminuant drastiquement la nécessité de protection, affaiblit les alliances militaires, tant en Asie qu'en Europe, et élargit les marges de manoeuvre des nouvelles stratégies régionales des Etats moyens. La planète présente des tendances partiellement contradictoires. Dans le nouveau cadre international en mutation, on assiste à des combinaisons multiples et variées de globalisation et de régionalisation, y compris à des stratégies "anti-déclin" de la seule superpuissance qui ait survécu. Dans le monde de l'aprés-guerre-froide, unifié par l'économie de marché, les USA et le capitalisme américain cherchent plusieurs formes de rééquilibrage potentiel avec des puissances moyennes, tant au niveau politique (réforme du Conseil de Sécurité des N-U-, réforme de I'OTAN, etc) qu'économique (création de l'O.M.C.-ou W-T-O- - etc). La communauté scientifique est très partagée sur la question de savoir quel type de régionalisme pourra réussir, quel rapport entre régionalisation et globalisation va s'imposer et si ces tendances nouvelles renforceront ou non la stabilité internationale. Ainsi que nous l'avons annoncé, notre analyse de la globalisation souligne l'importance des questions posées par la réorganisation des rapports de pouvoir économiques et ses implications politiques, notamment : - au-delà du processus objectif et technique de la mondialisation, assiste-t-on á un nouveau marte de régulation où bien á une simple fragmentation-diffusion des structures precedentes de la régulation ? - quelles nouvelles hiérarchies s'ébauchent-elles dans le cadre de la dérèglementation globale ? Quelles stratégies de contrôle des ressources stratégiques, quelle nouvelle division internationale et intercontinentale du travail, quelles nouvelles hiérarchies entre les économies, entre les Etats et les continents s'établissent-elles? 9 - quelles tendances sont-elles en cours en ce qui concerne le lien entre l'interdépendance économique accrue d'une pan et l'ordre politique global de l'autre (avec ses implications en matière de sécurité)? - un gouvernement politique de la globalisation, axé sur une coopération active et volontaire entre des organisations régionales souveraines et démocratiquement contrôlées est -il réaliste ? Dans un cadre général marqué par l'incertitude, deux tendances principales, très entrelacées, se manifestent: - premièrement, on assiste á un renforcement des régimes internationaux provoqué par l'interdépendence économique, commerciale, médiatique et technologique des marchés du travail et par la multiplication des communications culturelles. Ces aspects dynamiques sont soulignés par une très grande patrie de la littérature économique largement dominée par l'approche " libérale". Il est très important de souligner un point fondamental : cette nouvelle donne n'est pas du tout à confondre avec "le gouvernement mondial", même si elle est susceptible d'évoluer en ce sens à certaines conditions. Le problème est que, à présent, à cette nouvelle donne techno-économique ne corresponde pas une structure institutionnelle et politique légitime et les institutions politiques et les valeurs démocratiques sont, de ce fait, soumises à de nouveaux challenges sans précédent : les pouvoirs économiques oligopolistes, parfois anonymes, très performants mais politiquement irresponsables, se sont beaucoup renforcés. Non seulement ils ne disposent d'aucune légitimité et se situent au-dessus des capacités de maîtrise des Etats démocratiques, mais ils sont particulièrement intéréssés à utiliser, à leur profit, la compétition entre les Etats pour attirer les investissements internationaux. Les Etats connaissent donc une aggravation de leur déclin; en l'absence de nouvelles structures politiques internationales adéquates, ce sera inévitablement le déclin de la politique démocratique en tant que telle. - deuxièmement, nous assistons à l'émergence des tentatives de contrôler ces processus par des stratégies hégémoniques globales ou gérées par des Etats régionaux. A propos des processus très variés d'intégration économique et commerciale à l'échelle régionale, une partie de la littérature scientifique met en exergue les tensions entre régionalisation et globalisation. Si l'on attire l'attention sur les nouvelles logiques des 10 rapports de force, sur les luttes pour l'hégémonie auxquelles on assiste, notamment au niveau des relations de coopération-compétion commerciale et technologique, entre les trois pôles principaux, Japon, Europe et USA, on ne peut que constater l'ambiguité présente des organisations régionales, entre la pression exercée par la globalisation et ses acteurs d'une part, et, d'autre part, les projets des Etats membres les plus forts. 3. TROIS SCENARII. LA LIBERALISATION GLOBALE Si on laisse de côté les interprétations extrêmes précedemment évoquées (apologistes et "catastrophe"), les prévisions à moyen terme nous semblent être partagées entre trois scénarii : la régionalisation en tant qu'aspect subordonné de la globalisation, le "scénario vertueux" du gouvernement mondial et celui des conflits géo-économiques. Dans le premier scénario, la libéralisation globale deviendrait un véritable nouveau mode de régulation. Certes, à présent, elle ne l'est pas encore, mais elle pourrait évoluer en ce sens sous certaines conditions: - la primauté du système global par rapport aux systèmes régionaux. La supériorité de l'approche systémique serait illustrée par le fait qu'elle "pousse au maximum vers le haut le nombre des marchés internationaux concernés et évite les risques de discrimination entre les partenaires et leurs implications politiques" ††††. Certes les processus d'intégration régionale peuvent être utiles, car ils sont plus simples et faciles à réaliser (moins de partenaires), plus enracinés dans l'histoire et susceptibles d'aller plus loin dans l'intégration économique. Ceci explique que 60% du commerce mondial se développe dès à présent, au sein d'accords de libre-échange (EU, NAFTA, APEC, MERCOSUR, AFTA, FTAA, Australie-Nouvelle Zélande). Mais ils suscitent aussi des réactions de méfiance du fait qu'ils font état de formes très hétérogènes et parfois asymétriques de libéralisation, pouvant créer des entraves au bon déroulement du processus global. En conclusion, l'harmonie entre la globalisation et la régionalisation qui a prévalu depuis les années '50 pourrait se dégrader, surtout en l'absence d'un leadership aussi fort que celui des USA de l'aprèsguerre. La fragilité de cette harmonie serait prouvée, par exemple, par les difficultés de l'Uruguay Round et par les tendances multiples à la formation de blocs en compétition. †††† C.Fred Bergsten, 1996, p.105-107. 11 - le modèle APEC devrait s'imposer par rapport aux autres types d'organisation régionale. Les USA ont concrétisé depuis 1989 cette stratégie de généralisation du modèle global de libéralisation, certes réfusée par le sommet de Naples du G7 de 1994 (projet "Open Markets 2000"), mais relancée par l'administration Clinton des "Big Emerging Markets". Cette dernière a obtenu des succès considérables, notamment à l'occasion des sommets annuels de l'APEC de 1995 et 1996. Cette énorme région de "free trade and investment (prévue pour 2010), incluant les trois économies nationales le plus importantes de la planète (USA, Chine, Japon), a diminué et subordonné les organisations infrarégionales concurrentes (le NAFTA et surtout l'ASEAN, cas exemplaire‡‡‡‡). ‡‡‡‡ L'ASEAN a été créée en 1970 par six Etats : Philippines, Indonésie, Malésie, Thàilande, Singapour, Brunei et pendant plusieurs décennies, celle-ci a constitué la seule organisation régionale importante en Asie orientale . Dans les années '80 d'importantes nouveautés se sont néammoins manifestées : a) d'un côté la fin des guerres en Indochine et de la guerre froide avait permis de renforcer l'ASEAN, qui, ainsi que les organisations européennes occidentales pouvait envisager son élargissement aux anciens pays communistes, le Vietnam avant tout . b) mais, de l'autre côté ,l'extraordinaire dynamisme économique de l'Asie orientale posait objectiment la question de la création d'organisations économiques de coopération plus vastes incluant tous les protagonistes de l'essor économique, y compris le Japon , le géant économique exclu de l'ASEAN. C'est précisément dans ce cadre nouveau que, alors que la proposition de la Malésie de créer un "East Asian Economic Caucus" était bloquée , les USA donnaient pourtant une impulsion déterminante à la création de l' Asian Pacific Economic Cooperation (APEC, 1989), organisation intergouvernementale incluant les six pays de l'ASEAN , la Nouvelle-Zélande et l'Australie, le Japon, le Canada et les USA eux-mêmes (les possibilités d'un élargissement rapide à la Chine, à Taiwan et à Hong Kong existent également). L'ASEAN est profondément mise en cause par ces changements: certaines de ses fonctions intergouvernementales sont absorbées par les rencontres annuelles de l'APEC; son optique Sud-Nord est affaiblie par l'appartenance à l'APEC; l'ensemble de la négociation au sein de l'ASEAN est faussé par les solutions altematives éventuellement possibles au niveau APEC; le poids relatif des petits Etats de l'ASEAN a drastiquement diminué dans le cadre des rapports entre les géants de l'APEC. L' ASEAN a essayé de réagir, par exemple par le renforcement politique et financier de son organisation (et du secrétaire général) et la professionnalisation du staff, par la régularisation des rencontres des chefs d'Etat visant essentiellement à garantir que l'ASEAN parle d'une seule voix au sein de l'APEC; dernièrement, 'ASEAN s'est engagée dans le développement du nouveau partnership commercial avec 'Europe par le processus de Bangkok, ou ASEM, incluant d'une part l'UE et de l'autre les sept de l'ASEAN, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Et enfin, l'ASEAN a lancé de nouvelles initiatives dans le domaine de la sécurité de la région (ASEAN Regional Forum) généralement orientées vers un rééquilibrage par rapport à la puissance de la Chine. Nous pouvons donc affirmer que la transition vers un nouvel ordre régional n'est certes pas achevée. Cependant, malgré la vitalité de l'ASEAN, la perspective éventuelle d'une communauté Est-asiatique, berceau d'une communauté économique et d'une identité des valeurs, est en train d'être diluée dans le cadre de la vaste collaboration interrégionale du Pacifique, organisée par l'APEC. La libéralisation commerciale régionale sera, en ce sens, plus facilement intégrée et subordonnée aux critères du système global OMC pour lequel elle jouera la fonction d'entremetteur et d'antichambre (système commercial multilatéral ouvert; simplification des régimes douaniers, réduction des barrières commerciales, etc ). 12 L'APEC a également diminué les chances du scénario des trois blocs en compétition, en regroupant deux d'entre eux et a, enfin, inclu pays riches et pauvres. Le projet de créer pour 2005 la FTAA (Free Trade Area of the Americas), incluant 34 pays, va dans le même sens, alors que le Mercosul en raison de l'impulsion du Brésil, répond à une autre logique§§§§ Un très vaste programme de libéralisation est donc en route, on dirait un agenda pour le XXIe siècle. Certes d'importants préalables sont déjà établis tant au sein des USA que dans les accords internationaux signés. Mais les USA et les intérêts multiples convergeant autour de l'objectif d'une libéralisation globale doivent toujours faire face à des problèmes formidables, d'ordres technique et stratégique. Sur le plan technique il s'agirait de corriger les nombreuses asymétries au niveau de l'ouverture commerciale entre les régions du monde au profit de l'application, partout, des mêmes critères. Mais il est beaucoup plus difficile d'appliquer à part entière l'indispensable réciprocité lorsqu'on va au délà de la simple réduction ou élimination des barrières et des tarifs douaniers. Certains partenaires demandent des assurances contre le possible retour au protectionnisme, d'autres exigent l'ouverture généralisée des marchés et l'inclusion des nouveaux domaines de libéralisation. Ce n'est pas évident. Même les partisans du libre-échange avouent qu'il faut un "herculean effort" pour surmonter la "trade fatigue"*****. En effet, au délà des difficultés conjoncturelles, nous soulignons quatre ordres de problèmes fondamentaux : a) Compte-tenu de la "théorie de la bicyclette", pour ne pas s'effondrer, le processus de libéralisation est obligé d'avancer sans arrêt, afin de ne pas laisser des marges de §§§§ Le Mercosul (ou Mercosul) a ses origines en 1986 avec l'accord (Integration Act) des deux "grands" de l'Amérique du Sud, l'Argentine et le Brésil. En 1991 l'Uruguay et le Paraguay y ont adhéré et, fait plus intéressant encore, en 1995 est entré en vigueur un nouvel accord ajoutant à la libéralisation commerciale une union douanière incluant un tarif extérieur commun. Le secrétariat a son siège à Montevideo. Bien entendu, le Mercosur sollicite de ses Etats membres de s'orienter vers une politique économique de libéralisation et d'occidentalisation, impliquant des politiques budgetaires orthodoxes, dont les coûts sociaux sont très lourds. Mais on ne peut ignorer le fait que la logique de cette organisation subrégionale ne coincide pas avec celle de NAFTA. D'une part, les traditions autonomes et indépendantistes particulièrement importantes dans le cas du géant de la région le Brésil , et, d'autre part, la relance des anciens liens avec l'Europe (accord de coopération commerciale envisagé pour 2001) permettent, notamment, de ne pas exclure de tensions dans le cadre des projets USA de création d'une American Free Trade Area à dimension panaméricaine . Voir Ampliar as relações EuropaMercosul, Relatorio Forum Latino Americano, IER, Lisboa, 1996, Jean Grugel, Latin America and the Remakin of the Americas in A.Gamble(ed), Regionalism and World Order, 1996. A propos du Brésil, voir également Th.Dos Santos 1993 et la polémique avec Henrique Cardoso. ***** Bergsten, 1996, p.117 13 manoeuvre à ce qui est considéré comme un danger de contre-pied protectionniste des "blocs régionaux compétitifs". Il doit donc ultérieurement s'élargir et intégrer les pays demeurant à l'exterieur, notamment la Chine et la Russie, inclure des matières plus vastes (services, agriculture, électronique, télécommunications, etc). Après "Uruguay Round" les choses se sont deroulées très vite : que se passera-t-il si on est confronté à une stagnation du type de celles qu'on a connues dans le passé, par exemple de celle qui a suivi le "Kennedy Round"? b) La stratégie de la globalisation a besoin de l'OMC (WTO), du renforcement de son autorité et de sa crédibilité par rapport aux blocs régionaux. A ce niveau, il est inévitable qu'un bras de fer se pointe à l'horizon entre la "logique APEC" et la "logique Union européenne", engagée jusqu'à l'an 2000 dans la réalisation de ses propres priorités", c'est-à-dire de son programme de régulation régionale (l'Union monétaire, la Conférence Intergouvernamentale pour la réforme du Traité de Maastricht et l'élargissment de l'Union). Certes la libéralisation externe serait cohérente avec une partie essentielle de l'acquis communautaire. Mais peut-on avoir tellement de priorités? La confrontation de stratégies portant sur le noyau des relations entre régionalisation et globalisation, un grand "bargain" entre les USA et l'UE aura fatalement lieu durant les prochaines années. Ce sera le véritable préalable de la négociation globale et il devra inclure les dossiers de la libéralisation, mais aussi ceux de la clause sociale, de l'environnement, de la corruption, etc. Les difficultés de cette négociation sont enracinées aussi dans les crises sociales internes. Alors que les USA peuvent espérer réduire facilement leur déficit commercial par l'accès aux nouveaux marchés, pour l'Europe et pour des pays comme l'Allemagne (qui a, pour la première fois, réduit sa part du commerce mondial de 12% à 10%), les perspectives sont plus sombres et justifient la "Globalisierungsangst" (angoisse). Il est d'ailleurs évident que tous les pays ne pourront pas bénéficier d'une hausse des exportations et que ceci demande à l'Europe (qui compte un taux de chômage superieur à 10%, soit le double du taux des USA) des efforts particuliers et coûteux en matière des politiques de qualification de la main d'oeuvre et demarché du travail. c) Le troisième problème de la stratégie de la libéralisation globale est de nature politique. On ne peut pas simplifier les questions politiques au point d'ignorer la dimension de la sécurité. Par exemple, si l'armement nucléaire chinois menace les voisins asiatiques et 14 si les garanties américaines ne sont pas jugées suffisantes par le Japon, la Corée du Sud, etc, on pourrait assister à une prolifération nucléaire mettant en question la logique APEC†††††”. Le scénario de la libéralisation globale n'est évidemment pas compatible avec celui que M.Kaplan appelait le scénario "unit veto", impliquant plusieurs puissances nucléaires en équilibre. d) Last but not least : de quelle façon vont évoluer les relations Nord -Sud au sein des grandes organisations interrégionales du type APEC (ou AFTA) ? Plusieurs études sociologiques et économiques font état d'une complémentarité entre la globalisation économique d'une part et, de l'autre, l'approfondissement des coûts sociaux. En l'absence de réponses démocratiques, la résurgence des particularismes ethniques et la diffusion de conflits sociaux (Corée du Sud), de révoltes populaires des régions marginalisées (voir p.e. le Chiapas, etc) ou bouleversées par les conséquences de la libéralisation, seront incontournables. Ce qui est évident, c'est que l'identification entre libéralisation et démocratisation n'a pas de confirmation empirique. Voilà une très bonne raison pour élaborer de nouvelles formes ou prévoir une mise à jour, de la théorie de la dépendance ‡‡‡‡‡ . En conclusion, le scénario de la libéralisation globale correspond à une certaine vision des problèmes de gouvernabilité de la planète. Né d'une simple sollicitation d'effacement des obstacles à la libre circulation, ce processus demande de plus en plus une gestion forte de la part des organisation globales, même contre les résistances éventuelles des organisations régionales essayant légitimement de concrétiser leur souveraineté. Dès lors, ce scénario, une fois confronté aux dangers de fragmentation et d'anarchie, risque de donner paradoxalement lieu à de nouvelles tentations hégémoniques ou, du moins, à un mode de régulation rappelant, au moins pour un aspect important, les plus ambitieux des systèmes internationaux, par exemple "la Sainte Alliance" issue du Congrès de Vienne de 1815. Ce dernier a échoué pour plusieurs raisons, dont son ambition excessive de vouloir régler, à partir du centre, tant les relations internationales que la vie interne des Etats. ††††† ‡‡‡‡‡ Voir " Internationale Politik", Bonn, octobre 1996 Voir Dos Santos, 1993 et 1995 et Democracia e Socialismo no Capitalismo Dependente, Vozes 1991. Pour les contradictions de la démocratisation en Amérique Latine , voir Marques-Pereira, 1993. 15 4. REGIONS ET GOUVERNEMENT MONDIAL Le deuxième scénario diverge du premier sur certains aspects essentiels. Néanmoins il présente un point commun : l'interdépendance économique, malgré son dynamisme, n'est pas en condition, à elle seule, de donner lieu à un système stable, évitant les conflits entre blocs régionaux (surtout en l'absence d'une superpuissance hégémonique. Mais celui que nous avons appelé le "scénario vertueux" implique une architecture institutionnelle complexe équilibrant les organisations régionales et les institutions du gouvernement mondial. Les entités politiques régionales en formation constitueraient les piliers d'une nouvelle architecture du système économique et politique international permettant la maîtrise politique de la globalisation et facilitant ainsi, à la fois, la croissance et la paix internationale. Dans ce cas, le renforcement d'entités régionales (UE, NAFTA, nouvelles organisations en Asie orientale, Mercosul etc) serait souhaitable afin de sauvegarder un meilleur équilibre entre efficacité économique et légitimité démocratique. Ceci n'empêcherait pas la libéralisation ; bien au contraire, ce serait la seule façon de permettre au plus grand nombre de pays d'en bénéficier, en raison du fait que cela permettrait d'en infléchir les formes et les rythmes et ainsi d'essayer de gouverner la globalisation. Les principaux avantages de ce scénario seraient de deux types : a) la création de vastes régions économiquement intégrées bénéficiant d'institutions crédibles et fiables, régions de plus en plus homogènes et stables à l'intérieur, permettant de limiter les conflits centre-phériphérie (économiques, étatiques et culturels) au sein de la même zone (exemple Union Européenne-Pays de l'Europe Centrale et Orientale ou USAMexique ou Japon-Asie Orientale) et maîtrisant ainsi les migrations massives, etc . b) quant à l'extérieur, ces entités régionales solidement stabilisées pourraient établir plus facilement des relations multilatérales, négocier les différends, contribuer à finaliser des accords internationaux. Il s'agit, à la fois, d'une tendance réelle déjà en cours et d'une approche normative, qui, il est vrai, sous-estime quelquefois les obstacles politiques, économiques, identitaires et stratégiques. Nous nous limitons ici à souligner deux aspects critiques qui nous paraissent internationaux: 16 - pour ce qui est de leur structure interne, les organisations régionales, si elles refusent de simplement transferer les impératifs internationaux de la globalisation, elles devraient disposer d'un vrai pouvoir de régulation (une sorte de "rerégulation" régionale). Dans ce cas, elles sont directement conditionnées d'une part par les rapports de force entre les Etats et de l'autre par des systèmes politico-juridiques confrontés au déficit démocratique, tant en ce qui concerne les procédures juridiques de contrôle, que l'égalité entre les Etats membres (voir à ce propos, par exemple, l'important débat institutionnel en cours sur le "noyau dur" de l'Union Européenne et sur l'Union différenciée§§§§§). Leur caractère démocratique serait donc, à terme, une condition sine qua non de leur renforcement institutionnel, une forme de rééquilibrage par rapport à la centralisation des compétences internes et externes des Etats membres. Le renforcement des droits des citoyens compenserait le développement de politiques communes, impliquant un processus de centralisation. - pour ce qui est des implications internationales d'un renforcement institutionnel des organisation régionales, la différence fondamentale par rapport au premier scénario pur est que la gouvernabilité de l'interdépendance mondiale ne serait possible que par la coordination d'entités politiques régionales souveraines et légitimes. Loin d'être le résultat direct et spontané de la libéralisation du marché, la stabilité internationale serait le resultat d'accords et compromis entre les volontés politiques souveraines, selon une nouvelle version du modèle classique du "contrat social international" de Kant et Rousseau. Les procédures légales et constitutionnelles l'emporteraient graduellement sur les procédures diplomatiques classiques. Les relations externes viseraient la constitution en parallèle de "régimes politiques et économiques internationaux". Les organisations régionales devraient premièrement négocier des règles du jeu et des normes communes, permettant un déroulement normal des relations multilatérales, dépassant les interventions "ad hoc" (dans les domaines commercial, monétaire, financier, social, politique, etc) et impliquant également ceux qui sont en dehors des grandes puissances économiques. En outre, le multipolarisme économique serait complété par le multipolarisme politique. §§§§§ Dans le cadre de l'Union monétaire européenne la différenciation est déjà prévue par le traité de Maastricht; en outre, des formes de différenciation apparaissent déjà pour ce qui est de la politique de sécurité interne et de la défense. Voir, La différenciation dans l'Union, TEE, 1995 17 Au contraire des visions mythiques à la Von Hayek ou à la Fukuyama, le gouvernement mondial, par ce "regional globalism", ne peut sortir que de la convergence de volontés politiques indépendentes et légitimes. Les deux scénarii jusqu'à présent évoqués partagent, au fond, l'idée que la "mondialisation bénéficiant à tous" n'est pas une tendance automatique inhérente à l'unification du marché mondial. Mais, si on veut éviter les risques de nouveaux projets hégémoniques, les régions devraient exprimer davantage leur identité et aussi la diversité des modèles économiques sociaux, démocratiques existants. Peut-être, l'Europe pourrait-elle jouer un rôle important à ce niveau, compte-tenu de son expérience particulièrement importante dans ce domaine. Par cette voie, les organisations internationales existantes devraient s'engager dans un véritable processus de refondation. Quelles institutions mondiales pourraient structurer ce nouveau système international en formation, nécessairement multipolaire? Nous envisageons une longue phase de transformation des institutions économiques et politiques internationales. a) La réforme de l'ONU et du Conseil de Sécurité devrait garantir une plus grande représentation des régions économiques du monde. Par conséquent, on pourrait imaginer que les conditions soient réunies pour qu'une plus grande efficacité d'action en ce qui concerne les intérêts communs au genre humain, le développement économique, la paix, la protection de l'environnement, etc, soit atteinte. Le fait qu'un processus de transition vers un rôle accru des représentations des organisations régionales au niveau des Nations Unies, du Conseil de Sécurité soit logique n'est, en effet, pas une garantie de succès contre les résistances hégémoniques des grands et moyens Etats. Des phases intermédiaires pourraient pourtant être envisagées, où "le système de 1945" serait graduellement dépassé, par exemple, par l'admission au Conseil, en rotation, à côté des seuls Etats vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, des nouvelles puissances continentales, vues en tant que canaux de la participation des organisations régionales . On peut imaginer une alliance entre les organisations régionales et l'organisation universelle : sans faire appel uniquement aux anciennes puissances hégémoniques, les Nations Unies pourraient renforcer leur administration et le sécrétariat général et surtout créer un corps armé permanent afin d'augmenter leur capacité de prévention et de peace Keeping. Les organisations régionales seraient particulièrement intéréssées par le 18 renforcement du système "Nations Unies", ainsi que par sa réorganisation décentralisée******. Malgré leurs différentes procédures, les institutions supranationales et les organisations internationales†††††† sont l'expression de la même exigence de surmonter la Realpolitik des Etats et la pression des forces hégémoniques dans le sens d'une réforme globale de la politique internationale. b) De l'avis général, le G7, surtout en l'absence d'une réforme radicale et d'un élargissement, n'est absolument pas en condition de contribuer avec efficacité aux tâches de gouvernement économique et politique global évoquées. Il pourrait peut-être, une fois élargi (à la Russie, à l'Inde, au Nigéria, au Brésil, à la Chine) constituer un forum de discussion, mais certainement pas un directoire de l'économie et de la politique mondiale. Il pourrait ainsi donner des impulsions pour des actions communes dans le domaine des défis globaux : la lutte contre la famine dans le monde et la pauvreté, contre la criminalité internationale et le terrorisme, contre le commerce de la drogue, etc. c) L'hypothèse d'une harmonie entre régionalisation et mondialisation est confrontée à l'exigence d'une réforme de l'Organisation Mondiale du Commerce (WTO). A l'heure actuelle, on assiste à une tension évidente entre l'idéologie libre-échangiste de l'OMC et l'évolution en cours au niveau des organisations régionales, comme si la "rerégulation " régionale menaçait la libéralisation globale. Le choix est clair et net: soit les organisations régionales deviennent de simples zones de libre échange (en Europe ce serait, par exemple, l'expérience échouée de l'EFTA‡‡‡‡‡‡), soit l'OMC subit des réformes, se mue en une structure multilatérale fiable de négociation et de réglementation de commerce (ce qui implique des droits et devoirs pour chacun) basée sur des organisations régionales renforcées, même si ceci devrait forcément impliquer une pluralité de modèles capitalistes§§§§§§. La conférence de l'OMC de Singapour en décembre 1996, a témoigné de graves difficultés et permis que des progrès très limités en ce qui concerne le lien entre la ****** †††††† D.Held, Prospects for Democracy, London, 1993, pp.5-53 A ce propos, voir M.Telo'(éd.), Démocratie et construction européenne, Editions de l'U-LB., 1995. L'EFTA, European Free Trade Association, créée en 1960, regroupait la Grande-Bretagne, les pays Scandinaves, l'Autriche, la Suisse, le Portugal, l'Islande et le Liechtenstein. L'expérience de trente ans a bien témoigné de la beaucoup plus grande efficacité du modèle de la CE (axé sur la libéralisation, mais aussi sur l'intégration et des institutions aussi supranationales) comme le prouvèrent largement les adhésions à l'UE des pays ex-EFTA - à part la Norvège, la Suisse, le Liechtenstein et l'Islande. ‡‡‡‡‡‡ 19 libéralisation commerciale et les nécessaires règles du jeu. Un exemple : le différend sur la "clause sociale". Après le sommet de Copenhague de l'ONU, l'OIT est chargée d'étudier les liens entre commerce international et normes sociales (voir les mandats de l'OCDE et de l'OMC), notamment le socle de droits fondamentaux, l'interdiction du travail forcé, la liberté syndicale, le droit à la négociation collective, la non-discrimination dans l'emploi, l'abolition de l'exploitation des enfants. D'une part, introduire de nouvelles matières dans la négociation est mal vu par certains, surtout lorsque des intentions protectionnistes se cachent derrière les beau discours humanitaires ; d'autre part, il n'est pas réaliste de remettre encore longtemps les questions cruciales pour toutes les civilisations : la protection de l'environnement, le socle minimum des règles. Le sommet de 1998 jouera un rôle crucial à cet égard. d) Plusieurs symptomes indiquent que le processus de renforcement des organisations régionales pourrait impliquer aussi un double effet "spill-over" : en effet, non seulement ils poussent les Etats membres à intégrer d'autres domaines de compétence dans leurs politiques communes, mais créent également de plus en plus de nouveaux régimes internationaux par la coopération internationale ou interrégionale, par exemple, en ce qui concerne la protection de l'environnement, la lune contre la criminalité internationale, la réglementation concertée des flux migratoires, etc. De nouvelles institutions internationales sont incontournables, tant au niveau intergouvernemental que non intergouvernamental, suivant la logique de la création d'une société internationale*******. Last but not least, cette stratégie de coopération est inévitablement confrontée aux relations avec les pays pauvres et les zones du monde exclues des processus d'organisation §§§§§§ Wilks, 1996 Les organisations intergouvernamentales classiques concernent surtout les accords commerciaux et la stabilité internationale. Toute impulsion tavorable à la démocratisation interne resta fondamentalement absente jusqu'à l'innovation constituée historiquement par la CE, qui ne prevoit que l'adhésion des seuls pays démocratiques et respectant les droits de l'homme. Le Mercosul a, en partie, suivi cet exemple, ce qui a peut-être aussi contribué a freiner les tendances golpistes, par exemple au Paraguay en 1996. Quant à l'Asie, ces questions ont été longtemps marginalisées et évacuées. Les relations avec l'UE doivent, bien entendu, tenir compte de la pression de l'opinion publique et des organisations syndicales européennes pour la démocratisation et les droitssociaux et individuels . C'est le cas des relations entre l'UE et Mercosul, ou le cas du processus de coopération méditerranéenne entamé à Barcelone. Pourtant la déclaration de Bangkok réaffirme "le principe de non- intervention dans les affaires intérieures des autres partenaires", même si, à un certain moment, on parle de"droits fondamentaux". Le sommet de l'OMC de Singapour a déçu ceux qui s'attendaient à une déclaration pour les droits sociaux et contre le travail des enfants. Il ne faut pas oublier que les pays asiatiques demandent le respect du principe de non-ingérence, notamment la Chine et les pays de l'ASEAN (tant l'Indonésie que les autres pays présentent plusieurs dossiers graves en matière de respect des droits des minorités, de mise en oeuvre de la démocratie et des droits de l'homme, etc). Evidemment l'UE ne peut pas imaginer exporter son modèle de démocratie partout dans le monde, mais la conviction de plusieurs observateurs est que , de toute manière, ces questions ne pourront être facilement marginalisées. ******* 20 régionale: soit les marges et les ressources pour une politique d'aide au développement seront repérées et un engagement spécial sera déployé (une espèce de Plan Marshall pour la croissance et contre la pauvreté), soit une sorte de logique d'exclusion mondiale sera développée. 5. REGIONS FORTERESSES ? Le Candide nous a appris que le meilleur des mondes possible ne se réalise pas toujours. Donc il n'est pas étonnant qu'une vaste littérature reste très sceptique quant à la réalisation de ces régimes politiques internationaux et envisage plutôt un scénario néoréaliste, attirant l'attention sur les possibles nouveaux conflits entre les nouvelles régions du monde. Selon cette vision, l'économie étant toujours plus l'enjeu de conflits politiques et les Etats n'étant plus à la hauteur des challenges liés à la globalisation, la création d'entités régionales serait l'expression la plus cohérente de la tendance vers le nouvel âge, celui des conflits géo-économiques . Les déséquilibres existant entre les Etats et les régions du monde seraient ainsi réglés par une conflictualité économique et commerciale permanente ("la logique de la guerre et la grammaire de l'économie", écrit le politologue américain Luttwak†††††††). Les entités géo-économiques régionales exprimeraient ainsi la nécessité non seulement de rattraper les souverainetés économiques, commerciales, monétaires et sociales perdues par les Etats membres, mais également de renforcer leurs chances commerciales et leur compétitivité et d'affaiblir les concurrents. Suivant cette optique, l'Europe s'intéresserait tout particulièrement à une telle évolution, en raison de ses difficultés actuelles dans la compétition avec l'Asie orientale et les USA. Les conquérants sont toujours plus pacifiques que les vaincus et la mondialisation serait perçue, dans cette vision, comme l'instrument des vainqueurs extra-européens. Les conflits militaires Nord-Nord étant exclus - en raison tant de la compatibilité relative des intérêts vitaux des deux côtés de l'Atlantique que de la superpuissance écrasante américaine - des guerres commerciales sont pourtant possibles: -soit dans des buts politiques, alors que l'économie est utilisée en tant qu'arme pour imposer aux autres les décisions prises par la puissance dominante; ††††††† Luttwack, 1990 21 -soit dans des buts stratégiques, quand des décisions sont adoptées en vue de reduire l'accès des autres à des ressources stratégiques (énergie p-e-) ou technologiques; -soit dans des buts simplement économiques impliquant des pratiques commerciales illégitimes ou unilatérales visant à augmenter le bien-être des citoyens au détriment des autres pôles. Bien entendu le calcul des coûts et des bénéfices devrait être, en principe, favorable‡‡‡‡‡‡‡. Pourquoi ces conflits géo-économiques éclateraient-ils à la fin du XXe siècle? Après la fin de la guerre froide, la compétition USA-Japon-Europe n'est plus surdéterminée par la lune contre le communisme. Un nouveau contexte existe où, entre autre, le tiers monde a perdu en force de négociation et fait l'objet d'instrumentalisation dans la lutte entre les "régions forteresses". Le scénario née-réaliste prévoit donc deux sous-scénarii: a) soit l'aggravation du désordre politique et économique international, ce qui implique la guerre géo-économique généralisée (et dans une dynamique conflictuelle, le premier coup est important). Cette hypothèse n'est pas forcément favorable au renforcement de la cohésion de l'Europe, car la dramatisation des conflits économiques pourrait ouvrir des contradictions internes entre américanophiles et germanophiles. L'Union européenne pourrait donc être tout particulièrement intéréssée à empêcher une telle évolution . b) soit la transformation des pôles économiques régionaux en entités politicoéconomiques en competition pacifique. Le maintien de plusieurs formes de cooperation et d'intégration (régimes internationaux) n'empêcherait pourtant pas des conflits géoéconomiques ponctuels, coûteux et déstabilisants, d'éclater régulièrement. Leur but n'est pas forcément d'affaiblir sérieusement le concurrent , mais : - d'augmenter la compétitivité de chacun des pôles, par exemple, par des règles extra-Gatt (ex-mesures non tarifaires) ; - d'accaparer une partie plus importante du gâteau (par exemple les productions à plus grande valeur ajoutée). La stratégie géo-économique consiste surtout à utiliser les niches non couvertes par les règles internationales, afin d'éviter les ripostes des concurrents. La formule d'un ‡‡‡‡‡‡‡ Jean, 1995 22 "colbertisme high tech" a été proposée (Bernard Cazes). Il ne s'agirait jamais d'un jeu à somme nulle, mais de conflits multilatéraux à somme positive. Plusieurs formes de protectionnisme régional seraient inévitables. Les organisations régionales les plus faibles, les dernières arrivées (last comers), seraient soit marginalisées et penalisées, soit forcées à se rallier à l'un des pôles principaux. 6. SIGNIFICATION INTERNATIONALE D'UNE EXPERIENCE REGIONALE "SUI GENERIS" : L'UNION EUROPEENNE Nous avons constaté l'existence de deux types d'organisations régionales, d'une part, celles qui sont tout à fait cohérentes avec la libéralisation globale et celles qui, d'autre part, impliquent des aspects potentiellement hétérogènes, notamment l'union douanière, la politique industrielle et de la recherche, des institutions régionales renforcées, une dimension identitaire au moins amorcée. Mieux, plutôt que de deux types d'organisations, il s'agit de deux tendances entrelacées et en conflit, caractérisant plusieurs organisations régionales. L'Union européenne constitue certainement l'exemple le plus poussé d'organisation régionale où la coopération commerciale a donné lieu à un effet "spill-over" vers une "union de plus en plus étroite entre les peuples", incluant les dimensions sociale et industrielle ainsi que plusieurs politiques communes. Alors que l'expression extrême de "Europe forteresse" est de plus en plus obsolète, le mot "rerégulation" a été proposé pour exprimer cette particularité unique au monde, fruit d'une histoire tragique et de son dépassement relativement récent. Les éléments cruciaux de cette expérience sont les suivants : la combinaison de procédures intergouvernementales traditionnelles avec des procédures communautaires; cet équilibre complexe fait l'objet d'une controverse à l'heure actuelle, dans le cadre de la réforme du Traité de Maastricht, notamment pour ce qui concerne les politiques étrangère, de sécurité et de défense et la cooperation dans le domaine des affaires internes (police, immigration, visa, etc). La Grande-Bretagne plaide traditionellement pour la thèse de l'opposition entre globalisation et régionalisation renforcée. Même si elle est freinée par les complications liées à l'élargissement oriental aux anciens pays communistes ou par les replis de certains Etats-nations, la dynamique de 23 l'intégration ne pourra pas reculer vers une organisation internationale classique, de même que l'acquis communautaire de cinquante ans ne sera que difficilement effacé. a) La supranationalité normative s'accompagne de la supranationalité politique. Par supranationalité normative, on entend souligner les particularités du droit européen, notamment: l'applicabilité directe des normes aux citoyens, la primauté du droit communautaire, l'existence de compétences exclusives de l'UE. Par supranationalité politique ou institutionnelle, on entend : le monopole de l'initiative de la part de la Commission, le vote à la majorité qualifiée au Conseil, les pouvoirs de codécision (partielle) du Parlement européen élu au suffrage universel. b) La légitimité des institutions européennes est donc double : respectivement les Etats et les citoyens. La souverainété des Etats n'est pas déléguée à l'Union mais elle est exercée en commun, ce qui a des implications sur l'importance de l'action externe commune. c) En effet malgré les graves limites de la politique étrangère commune, l'action de l'Union européenne en tant qu'acteur global est importante : - la première puissance commerciale au monde exerce une action extérieure dans les domaines économique et commercial par les accords commerciaux, les sanctions, etc; - un domaine particulièrement important est celui des accords bilatéraux entre l'Union européenne et les autres organisations régionales; ces accords provoquent, par réaction, des dynamiques au moins partiellement similaires au sein des autres régions du monde (Mercosul Asie Orientale, etc) - l'Union européenne pratique une action extérieure riche en implications politiques par l'assistance et la coopération. L'exemple des pays de l'Europe centrale et orientale est particulièrement important dans la perspective d'un nouvel ordre de paix au niveau du Continent. - last but not least, il ne faut pas oublier que par le fonctionnement du système de négociations continues entre les Etats membres, l'Union européenne met en oeuvre ce que l'on a appelé une "politique extérieure interne", ce qui permet de diminuer les conflits entre des pays européens héritiers d'une histoire lourde de controverses sanglantes. En conclusion, la Communauté européenne a manifesté de plus en plus la double tendance à se transformer, d'un côté, en un système politique démocratique régional (U.E.) 24 et de l'autre côté, en un acteur global. Son évolution correspond au scénario que nous avons appelé de " gouvernement mondial", mais plusieurs forces internes et externes prônent soit un repli vers le scénario de l'Europe forteresse, soit une subordination à la logique de la libéralisation globale. C'est l'enjeu des prochaines années. L'UE ne pourra que difficilement évoluer vers le scénario vertueux indiqué en l'absence de tendances analogues ou similaires ailleurs dans le monde. Bien entendu, celui de l'UE est un cas unique, non exportable ailleurs. Pourtant nous avons constaté que : - la tendance "spill-over" se présente même ailleurs. Le lien entre économie et politique est tellement évident que la création de zones de coopération régionales donne lieu à des enchaînements complexes, riches en implications sur de multiples terrains, y compris politiques; - les acquis internes des marchés régionaux présentent déjà en tant que tels des implications internationales non négligeables ; - la globalisation provoque des résistances partout dans le monde et aussi des réactions identitaires : ces dernières donnent lieu, soit à une percée du néo-nationalisme ou de l'ethnocentrisme, soit à des formes démocratiques de coopération régionale; ces dernières sont moins dangereuses pour la paix internationale, pour les droits de l'homme et pour le bien-être du nombre le plus grand des citoyens; - les groupements régionaux permettent de gérer en dehors des tendances vers l'hégémonie d'une seule puissance, celle qui est une réalité incontournable à la fin du XXe siècle : la diversité des modèles de capitalisme au sein de l'économie globalisée, les divers équilibres entre la libéralisation d'une part et la rerégulation régionale d'autre part. 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