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INTRODUCTION
Comme l’affirmait déjà Sénèque dans l’Antiquité, « Je ne me sauverai point par la mort
de la maladie, dans la mesure où elle est curable et ne nuit pas à l'âme. Je n'armerai point mes
mains contre moi en raison de souffrances ; mourir de la sorte est une déroute. Cependant, si je
me sais condamné à pâtir sans relâche, j'opérerai ma sortie, non en raison de la souffrance même,
mais parce que j'aurai en elle un obstacle à tout ce qui est raison de vivre. Faible et lâche, qui a
pour raison de mourir la souffrance ; insensé, qui vit pour souffrir »
1.
La problématique de l’euthanasie n’est donc pas simplement une spécificité contemporaine et
l’affirmation de Sénèque conserve tout son crédit. Etymologiquement, « Euthanasie » provient
du grec Eu Thanatos qui signifie selon le Littré « bonne mort, mort douce et sans souffrance ».
Le terme n’a ainsi à sa source qu’une signification philosophique qui s’apparente davantage à un
«art de mourir », « le terme euthanasia [désignant] dans l’Antiquité gréco-latine toujours un
vécu, une qualité des derniers instants de la vie »2. L’attention portée à la position du malade ou
la simple aération de la chambre de celui-ci sont des euthanasies3. Francis Bacon inaugurera la
fortune du mot en précisant que la fonction du médecin est « d’adoucir les peines et les douleurs,
non seulement lorsque cet adoucissement peut conduire à la guérison, mais aussi lorsqu’il peut
servir à procurer une mort calme et douce »4. L’euthanasie conserve son but originel mais
implique dorénavant l’intervention d’un tiers. Elle n’est plus seulement un fait juridique mais
suppose un acte, « l’euthanasie comme processus de mort se transforme en euthanasie comme
action de tuer »5. La fin du XIXème siècle marque pour sa part l’ajout d’une nouvelle condition
au mot, à savoir la volonté délibérée de mettre fin à la vie du malade.
La deuxième moitié du XXème siècle est l’objet d’une résurgence de la question, le
champ de la définition originelle s’avérant trop étroit au regard de l’évolution contemporaine.
Comme l’a souligné Madame POUSSON-PETIT, « la réalité sociale et médicale de la mort s’est
transformée »6. Le prolongement de la vie et la médicalisation de la fin de vie entraînent en effet
un déplacement de la mort vers l’hôpital. 70% des personnes décèdent aujourd’hui à l’hôpital
alors qu’au XIXème siècle 90% des gens mourraient chez eux7. Cette révolution médicale ne va
pas pourtant toujours de pair avec l’abolition de la douleur : des impasses thérapeutiques
1 SENEQUE, Lettres à Lucilius, Robert Laffont, 1993, lettre 58-36, p 743.
2 M. MARET, L’euthanasie : alternative sociale et enjeux pour l’éthique chrétienne, Ed. St Augustin, 2000, p 16.
3 P. VERSPIEREN, Face à celui qui meurt, Desclée de Brouwer, 1984, p 141.
4 F. BACON, Du progrès et de la promotion des savoirs (1605), Livre second, Paris, 1991, p 150.
5 S. AURENCHE, L’euthanasie, la fin d’un tabou, ESF éditeur, 1999, p 17.
6 J. POUSSON-PETIT, Propos paradoxaux sur l’euthanasie à partir de textes récents, Rev. Droit de la famille, fév.
2001, p 4.
7 Le Monde, Mieux vivre sa mort, 24 septembre 1998, p 17.