À voir Discours à la Nation, on la sent, cette envie de changer le monde. On se souvient tous d’un
soir de notre existence, dans une salle quelque part, de ce moment, de ce spectacle qui nous a
touchés, et qui a planté en nous une graine. David Murgia, ça se voit, a cette ambition-là. « C’est
une illusion que je ne regrette pas d’avoir perdue, depuis mon adolescence, où je croyais que le
théâtre pouvait changer les choses. C’est le travail des hommes politique, a priori. Le comédien, lui,
il travaille sur les mots. Et les mots, eux, peuvent changer le monde. Les mots qualifient le monde,
le déterminent. La crise, la solidarité, la démocratie… Nous, on observe comment les classes
dirigeantes les emploient, ces mots. Comment ils les confisquent, les vident de leur substance…
Comment ça détermine nos vies. À nous de réinterpréter ces mots, leur trouver d’autres
significations possibles. Leur redonner une dimension à travers la bouche d’un acteur… ça, je ne
sais pas si ça peut changer le monde, mais ça peut être une énergie active, constructive…»
Déjà au Conservatoire de Liège (plus précisément l’ESACT), il ne fait pas comme les autres. Avec
ses petits camarades il crée un groupe, le Raoul Collectif, pour un travail de fin d’études qui doit se
faire sans pédagogue. Et le résultat ne se fait pas attendre. Dès l’année de leur sortie, ils
enchaînent les représentations, avec un spectacle écrit, mis en scène et joué tous ensemble: Le
Signal du Promeneur. « C’est comme si le spectacle avait décidé lui-même qu’il ne voulait pas se
faire avec quelqu’un qui décide pour tout le monde. Il fallait que toutes les singularités émergent et
explosent dans le spectacle. Aujourd’hui, c’est comme un laboratoire. »
Retour vers le futur
Puis commence la grande aventure du cinéma. Dans La régate (Bernard Bellefroi, 2009), Murgia
incarne le copain d’entraînement du héros. Et déjà tout le monde trouve son rôle «trop court». On
en voulait plus, un signe qui ne trompe pas. Mais c’est dans Rundskop qu’il montre pour la première
fois l’étendue de sa gamme. Dans le rôle du gamin débile qui s’en prend au héros, dans les flash-
back qui nous ramènent aux années 80, il est impressionnant. Ceux qui l’ont repéré dans La régate
ne le reconnaissent pas. La majorité croit à un vrai fou furieux dégoté on ne sait où.
En 2012 le public peut enfin l’admirer dans un premier rôle. Cette Tête la première lui vaut le
Magritte. Un film très touchant, filmé à l’arrache, mais où c’est l’humanité et la sincérité qui prennent
le pas sur la performance de Rundskop. On découvre un garçon «comme dans la vraie vie». Qui
parvient à imposer sa douceur. Il fait preuve d’un naturel et d’une présence rares. La caméra
l’adore.
Et lui, qu’est-ce qu’il aime au cinéma ? Quand on lui pose la question, David Murgia ne cherche pas
la réponse qui lui donnera un air avantageux. Il répond: «‘Retour vers le futur’. Quand j’étais petit,
c’était mon film préféré. C’est un film qui qualifie une époque. C’est mon enfance. Et puis cette
façon qu’on avait de voir l’an 2000… C’est le fantasme sur un monde, qui s’est déjà radicalement
transformé depuis. Mais je suis aussi capable de m’enfiler trois films de Chris Marker, quand ça me
prend. Ou du Lars Von Trier. J’ai un goût qui change avec les saisons ! »
Il ne sait pas de quoi il est capable, David Murgia. Simple comédien, il joue sur les mots, il joue sur
les consciences, il plante des graines, et il donne du plaisir. Ça ne se voit pas, qu’il est un grand
artiste. À cause de ses 25 ans à peine, à cause de ses airs candides, à cause du sourire en coin, de
l’œil qui pétille. À cause de l’humilité et des doutes qui assaillent l’artiste. Mais après avoir vu son
spectacle, nous n’avons plus aucun doute: David Murgia change le monde.
Sylvestre Sbille, L’Écho
Novembre 2013