DOSSIER PEDAGOGIQUE notre peur de n’être © Jean-Louis Fernandez Fabrice Murgia DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être notre peur de n’être Fabrice Murgia Intention Ce dossier est un dossier d’accompagnement, il a pour but de donner des «clés de lecture» du spectacle aux enseignants, et ce afin de mieux préparer les élèves, les étudiants, à comprendre la démarche artistique. Découpage I .Le travail de Fabrice Murgia : parcours & univers 1. Parcours 2. Univers II. Notre peur de n’être L’histoire Les thématiques du spectacle 1. La génération Y ou 2.0 2. Exister à travers un monde virtuel 2.1 .La sphère de l’intime et identité virtuelle : éléments d’analyse - le concept d’extimité et la construction de soi - L’homme et ses besoins - Mise en scène de la vie quotidienne : théâtralité III. Fragilité de l’être humain IV. Le point de vue d’un artiste - Rencontre avec le philosophe Michel Serres V. Pour approfondir le sujet VI. Références bibliographiques VII. Annexes dossier de presse Dossier réalisé par le Centre Culturel Théâtre de Namur – Magali Company / Marine Haulot 2 3 DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être I. Le travail de Fabrice murgia 1. PARCOURS Fabrice Murgia est né en 1983 à Verviers, il s’inscrit au Conservatoire de Liège au cours de Jacques Delcuvellerie, il travaille comme acteur pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Aujourd’hui, il exerce en tant qu’auteur, metteur en scène, et comédien. Il a sa propre compagnie « Artara » contraction d’Artaud pour Antonin Artaud et de Sankara. En 2009, il écrit et met en scène son premier spectacle, Le chagrin des Ogres, issu de son projet de fin d’étude, qu’il présente au Festival de Liège et qui deviendra un énorme succès. Il sera joué plus 300 fois, et cela même au Chili. En 2009, il devient artiste associé du Théâtre National à Bruxelles. C’est dans ce cadre, et en coproduction avec le Festival de Liège, l’Ancre et la Maison de la Culture de Tournai qu’il créé ses deux spectacles suivants : LIFE:RESET / Chronique d’une ville épuisée, - une étrange pièce muette -, et Dieu est un DJ, adapté du texte homonyme de Falk Richter. En trois spectacles, Fabrice Murgia pose les jalons d’un travail singulier : actualité des langages scéniques, tons et problématiques, points de vue originaux sur des thèmes générationnels, spectacles hyper-sensoriels combinant narration et jeu d’acteurs avec les ressources des technologies avancées du son et de l’image. Septembre 2012, GhostRoad Gost Road voit le jour au Rotterdamse Schouwburg : un opus poétique et chanté sur les lieux en déréliction, les choix de vie « hors monde » et la question du vieillissement. Pour Notre peur de n’être, création pour le Festival d’Avignon 2014, Fabrice Murgia questionne les malaises, les crises et les aliénations propres à notre époque. Il se penche, entre autre sur les Hikikomori au Japon : des personnes qui refusent tout contact avec la société et avec les humains. Solitude voulue, souhaitée, par tous ceux qui ne supportent pas la pression sociale trop lourde, trop contraignante. Août 2014, Fabrice Murgia se voit décerner, par la Biennale de Venise, un Lion d’argent. L’auteur et metteur en scène est récompensé pour le caractère innovant de son théâtre. A 31 ans, Fabrice Murgia a déjà à son actif quelques mises en scènes considérées comme cultes dont le Chagrin des Ogres. Cette pièce est particulièrement plébiscitée par un public jeune. La Cie Artara rassemble des performeurs, vidéastes, plasticiens et musiciens autour des pièces de Fabrice Murgia, dans le souci de témoigner du monde avec le regard et le langage de leur génération. En janvier 2012, Fabrice dévoile Exils, création ouvrant l’ambitieux projet européen Villes en scène / Cities on stage initié par le Théâtre National (7 metteurs en scène européens travaillent la question du «vivre ensemble» et de la multiculturalité dans les villes européennes). En même temps que l’exil au sens politique, c’est le «sentiment d’exil» qui est exploré, exil hors d’ «une vie et d’une pensée à soi» lorsque la soumission aux injonctions du système devient trop anesthésiante. En avril 2012, Les enfants de Jéhovah est créé au Théâtre Vidy-Lausanne. Inspiré par une lointaine histoire familiale, le spectacle questionne la mécanique et les effets de l’endoctrinement notamment chez les groupes religieux à tendance sectaire tels les Témoins de Jéhovah. Photo – Focus Vif DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être 2. UNIVERS Fabrice Murgia pose un regard singulier sur le monde qui l’entoure, en choisissant le théâtre comme mode d’expression, il explore la théâtralité en un langage qui fait échos à sa génération, celle qu’on nomme la génération Y ou 2.0., une génération née avec les nouvelles technologies. Dans ses créations, il thématise les nouveaux médias : l’utilisation du net, les réseaux sociaux, la vidéo, la musique électronique. Il se sert précisément de ces moyens technologiques pour questionner l’impact aliénant de la technologie virtuelle sur sa génération, surtout du point de vue des relations sociales, il montre que cette technologie estompe les frontières entre l’être et le paraître. Ses mises En janvier 2012, Fabrice dévoile Exils © Cie Artara/F.Murgia 4 en scène sont volontairement exacerbées. Par l’utilisation de ces technologies le spectateur est plongé non pas dans un seul mode de lecture, mais plusieurs, où sont multipliés les effets : gros plan fixe sur des visages, effets sonores frôlant parfois l’intolérable, l’induction d’une distance entre le spectateur et le comédien en projection par web cam. Fabrice Murgia propose un univers sensitif, il crée des images oniriques pour nous raconter des histoires, il joue avec l’esthétique par les nouvelles technologies pour emmener le spectateur dans un récit contemporain qui nous renvoi à la fragilité de l’être humain. DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être II. Notre peur de n’être L’histoire Le spectacle montre le trajet de 4 personnages : celui d’un homme veuf, il vient de perdre sa femme, ou sa femme l’a quitté, le spectacle ne le dit pas, chacun y trouvera son interprétation. Il se trouve dans la difficile acceptation de sa solitude et va chercher refuge dans un dialogue avec une application de son smartphone. Hiki, le garçon devenu adulte qui s’est retiré dans sa chambre et refuse de se confronter au monde extérieur. C’est par l’intermédiaire des images filmées qu’il pourra tenter une ouverture vers le monde extérieur. Et puis il y a sa mère, une immigrée italienne qui vit comme une tragédie la mise entre parenthèses de son fils, sa raison de vivre et d’espérer. Elle n’a plus que ses souvenirs d’un pays et d’une famille éloignés et hors d’atteinte. 5 Et enfin, il y a Sarah, une jeune étudiante en communication qui parle au monde et se parle à elle-même à travers un dictaphone. Ces quatre personnages sont accompagnés par des « anges gardiens », deux figures féminines, habillées de noir qui racontent les trajectoires des différents protagonistes mais qui leur parlent aussi, donnent leur avis, dialoguent sur un ton qui oscille entre le sarcasme et l’attention maternelle. Elles font le lien entre les différents personnages murés dans leur monologue existentiel. → Dans la majorité de ses spectacles, F. Murgia raconte des histoires d’errance d’individus, de solitude, d’êtres hypers connectés et pourtant seul. Il pose un regard sur le type de relations humaines que nous avons aujourd’hui, sur une génération qui doit fonctionner avec d’autres repères, d’autres rêves, d’autres croyances, d’autres besoins. 6 DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être Les thématiques du spectacle 1. La génération y ou 2.0 La génération Y regroupe des personnes nées approximativement entre le début des années 1980 et le début des années 2000. L’origine de ce nom a plusieurs attributions : pour les uns il vient du « Y » que trace le fil de leur baladeur sur leur torse ; pour d’autres ce nom vient de la génération précédente, nommée génération X ; enfin, il pourrait venir de la phonétique anglaise de l’expression «Y» (prononcer wa), signifiant «pourquoi» N 1,1. D’autres termes équivalents existent, dont enfants du millénaire ou les diminutifs GenY et Yers. Les Américains utilisent également l’expression digital natives ou net generation pour pointer le fait que ces enfants ont grandi dans un monde où l’ordinateur personnel, le jeu vidéo et Internet sont devenus de plus en plus importants. Comme toute génération, son identité se construit autour des apports culturels reçus dès le plus jeune âge. Cette génération a largement grandi devant la télévision, et a vu l’arrivée en masse des séries d’animation japonaises. La vente de coffrets vidéo, ou d’articles de merchandising concernant les séries datant d’une vingtaine d’années témoigne du véritable phénomène d’engouement. Cette génération est considérée comme naturellement plus à l’aise que les précédentes avec les technologies de l’information, et Internet en particulier. Elle peut être associée à l’ensemble des technologies et applications que l’on nomme aujourd’hui le Web 2.0. Chacun a accès à des outils de création et de communication dont les générations précédentes ne pouvaient que rêver. Ainsi, par exemple, écrire un livre dans les années 1970 nécessitait de le taper à l’aide d’une machine à écrire et à démarcher des éditeurs, ce qui rendait la diffusion des ouvrages plutôt incertaine. Aujourd’hui, on peut écrire sur son site web personnel (blog ou autre) depuis n’importe quel ordinateur, la diffusion du contenu étant immédiate. La génération précédente a pu s’extasier devant les progrès constants réalisés par l’industrie audiovisuelle et ses effets spéciaux. Pour la génération Y, qui est née après des films cultes tels que Star Wars, et était jeune pour d’autres plus récents comme Matrix, ces progrès vont de soi, et plus rien ne peut être graphiquement « étonnant », dans la mesure où « tout est possible », d’un dinosaure à la destruction d’une planète. Les dates admises pour la génération Y correspondent à l’arrivée des jeux vidéo dans les foyers des pays développés; c’est la première génération à en avoir profité dès le plus jeune âge. Elle a donc grandi avec les effets positifs et négatifs liés à leur pratique. 2. Exister à travers un monde virtuel Dans Notre peur de n’être, se déroule plusieurs histoires d’individus d’âges différents, chacun est confiné dans une solitude : une mère et son fils seuls qui ne communiquent plus, une jeune étudiante en communication, en recherche d’un emploi et qui s’enregistre sur un dictaphone pour se donner de l’assurance sur son existence sinon elle angoisse, un homme veuf d’une quarantaine d’année, qui, pour compenser sa solitude, vit accompagné d’une voix synthétique, une application de son smart phone. Fabrice Murgia nous montre que les nouvelles technologies peuvent cacher de vraies solitudes, malgré notre hyper connectivité qui crée l’illusion du « être ensemble » nous sommes finalement chacun seul face à un objet permettant la communication. De plus, ce face à face avec les outils des réseaux sociaux et non avec nos alter-ego permet plus facilement à chacun de se créer une vie idéale et pas forcement le reflet de notre réalité. DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être 2.1. La sphère de l’intime et identité virtuelle : éléments d’analyse Le concept « d’extimité » et la construction de soi Définition de l’intimité : l’intimité c est ce qu’on ne partage pas, ou alors rarement et dans des circonstances bien précises. Elle s’oppose à l’espace public où tout ce qui apparait l’est potentiellement au su de tous (…) L’extimité , (concept développé par le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron spécialisé dans la question des images et des médias) est ce processus par lequel on est amené à exposer un peu de son intimité vers l’extérieur en la communiquant. Ce processus s’accompagne d’une réappropriation de ces éléments de l’intimité après qu’ils aient été soumis à l’opinion des autres et évalué à l’occasion de cette circulation (…) Une condition fondamentale à l’expression de l’intime est le fait de croire que l’interlocuteur partage le même système de valeurs que soi. Il faut d’abord identifier l’autre à soi-même et évaluer qu’il fait bien partie du même groupe, de la même bande, qu’on a les mêmes codes, qu’on puisse être accepté par son jugement. 7 reprend la pyramide des besoins de Maslow : qui est constituée de cinq niveaux principaux, nous recherchons d’abord, à satisfaire chaque besoin d’un niveau donné avant de penser aux besoins situés au niveau immédiatement supérieur de la pyramide. On recherche par exemple à satisfaire les besoins physiologiques avant les besoins de sécurité : c’est pour cela que dans une situation où notre survie serait en jeu, nous sommes prêts à prendre des risques. Parmi tous ces besoins, celui d’appartenance semble être, en psychologie sociale en tout cas, l’un des plus marquant pour un individu, car ce serait lors d’interactions sociales de groupe (contacts «Nous»/ «Eux») que se joueraient tout un tas de phénomènes de groupe pouvant aboutir à des adaptations individuelles et collectives ; par influence sociale: «c ‘est au contact de l’Autre que Je me modifie». Ce processus de quête de soi est particulièrement important à l’adolescence, âge où l’identité se construit, et très largement dans un rapport au groupe d’amis (« sa tribu »). Adolescence et tribu L’usage massif des outils de communication à l’adolescence est certainement motivé par les possibilités qu’ils ont d’entretenir cette relation avec leur communauté (les amis, la tribu). L’usage du GSM, des sms, l’usage intensif des systèmes de chat, puis le développement du blogging, et de facebook… tous ces modes de communication qui n’ont de cesse que de se succéder en sur développant – surenchérissant ce phénomène d’extimité. L’homme et ses besoins N’oublions pas que derrière ces modes de communication, il y a des enjeux marketing, et que nos comportements sont des comportements de consommateurs, Facebook est coté en bourse ne soyons pas dupe. Nous sommes ici dans une triangulation entre l’homme, son besoin de sociabilisation, et facebook, qu’on considère comme l’internet aujourd’hui, facebook répond en quelque sorte est une réponse à l’évolution de ce besoin. Si on → Les modes de communications actuels répondent donc bien à des besoins de lien social et nous avons le choix de les utiliser ou non. Mise en scène de la vie quotidienne : théâtralité. En 1950, le sociologue américain Erving Goffman publie «La mise en scène de la vie quotidienne», qui propose une analyse des rapports qu’entretiennent les gens sur base d’observations dans diverses situations courantes. Sa perspective était celle de la dramaturgie : chaque rapport entre une personne et un groupe peut se concevoir comme un moment de mise en scène qui répond à des conventions et des habitudes. DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être En utilisant la référence au théâtre (il parlait de «théâtralité du quotidien»), Goffman proposait une grille de lecture des relations sociales. Grille de lecture : L’acteur : c’est la personne en représentation. Elle doit donner une expression d’elle-même qui produit une impression sur le public. La façade : c’est l’attitude de l’acteur, adaptée à la situation dans laquelle il interagit (comme un masque, une persona). La façade peut s’étendre à l’univers où se déroule la représentation (le décor). Le rôle : c’est l’attitude que l’acteur doit adopter pour correspondre à la situation. Cette attitude relève d’une routine lorsqu’elle est formatée par les conventions du milieu concerné. Elle doit aussi renforcer la représentation : il faut y croire. Le public : l’acteur s’adresse à un public qui renvoie tacitement un accord sur la relation qui s’instaure. Il y a un échange permanent entre l’acteur et le public. La représentation : l’ensemble des actes par lesquels un acteur tente d’influencer le public. Ces actes communicationnels peuvent être explicites (exprimées intelligiblement, comme par la parole) ou implicites (symboliques, via l’habillement par exemple). La représentation est interactive : elle implique des échanges. La scène, la région : c’est l’espace clos où se déroule la représentation. Leur nature peut définir les conventions de la représentation (un restaurant, une église). L’accord, le consensus : c’est le contrat tacite qui unit les acteurs et le public autour du cadre de la représentation (la scène) : on sait de quoi on parle et comment on doit en parler, ainsi que la place de chacun dans la représentation. Les coulisses : les acteurs peuvent agir différemment en coulisses - les zones postérieures des régions - à l’insu du public, par exemple pour préparer la représentation. Exemple : dans un restaurant chic, la salle où sont attablés les clients constitue l’espace de la représentation. Le maître d’hôtel adopte un comportement qui a pour but de satisfaire les clients et de les encadrer. Le rôle qu’adopte le serveur est conforme à la région spécifique où se déroule la représentation (ici, la catégorie « restaurant chic »). La façade est constituée à la fois des éléments de décor (la 8 vaisselle en argent, les nappes blanches) et de l’attitude déférente du serveur, les différentes phrases types qu’il peut prononcer et qui sont de l’ordre de la routine. La représentation constitue l’ensemble des interactions entre le maître d’hôtel et les clients. Notons que les clients s’adaptent à la région/scène et adopteront les attitudes requises. Les coulisses seraient les cuisines où le personnel parle des clients d’une manière bien moins conventionnelle et où la représentation se prépare. Aujourd’hui, on peut utiliser cette grille pour analyser les comportements sur les réseaux sociaux, même si Goffman ne les a pas connus de son vivant, les comportements de vie sociale sont transposables. Tous les internautes ont différents profils où ils se présentent selon les codes en vigueur dans le milieu concerné. Ainsi, ce que l’on affichera sur son profil Facebook différera de la manière dont on se présentera sur LinkedIn.com (réseau social professionnel), sur Twitter ou encore sur parano.be, site où les internautes sont invités à emprunter un pseudo et à développer une présentation de soi sophistiquée et non formatée. Les façades que les internautes adoptent, via les profils ou les avatars, correspondent bien souvent à la manière dont ils évaluent un milieu, et les codes d’usages relatifs à celui-ci, et adaptent ainsi leurs réactions au contexte et, finalement, interagiront en conséquence. La création des profils sur les réseaux sociaux est bien souvent formatée pour convenir aux conventions et aux objectifs du site. Sur un réseau de rencontres amoureuses comme Meetic ou Rendez-vous.be, on est invité à produire des informations qui correspondent aux conventions de la «région» concernée. Situations de rupture Les situations de rupture décrites par Erving Goffman s’observent également sur les réseaux sociaux. C’est ce qui se produit lorsque l’acteur interprète mal son rôle, lorsque les spectateurs ne participent pas comme il faut à la représentation, ou lorsque le cadre général des conventions est mal interprété. Comme une apparence négligée interdira l’entrée au restaurant chic, un comportement inapproprié dans les réseaux sociaux peut entraîner l’exclusion de la scène et crée un malaise général. DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être 9 III.La fragilité de l’être humain personnages en errance, en quête de sens, ils remplissent leurs vies, leurs manques affectifs en se racontant une vie dans laquelle ils croient se projeter un futur, qu’il soit virtuel, ou non. La fragilité de l’être humain, est un thème qui revient souvent dans les créations de F.Murgia, l’homme depuis la nuit des temps tente de trouver un sens à sa vie, une quête existentielle. Dans le théâtre de Murgia on retrouve cette question existentielle, elle est en filigrane, comment l’homme fait-il aujourd’hui pour se rassurer dans le monde dans lequel il vit? Quelles sont ses croyances ? Dans un monde où tout va de plus en vite, qui est cet homme ? Si F. Murgia nous raconte des histoires contemporaines où onirisme et références mythologiques ou bibliques ( Cfr : Le Chagrin des Ogres / Les enfants de Jéhovah) c’est aussi pour questionner le monde d’aujourd’hui, quels sont les rêves de l’homme, comment s’invente-il des histoires ? qu’est-ce qui le rassure ? L’effraye ? Cette question existentielle on la retrouve dans le titre de Notre peur de n’être, un jeu de mot qui évoque la naissance, mais aussi l’envie de ne pas exister. Donner du sens : dans Notre peur de n’être, on voit des L’homme est par essence une espèce fabulatrice : « L’homme ne peut tout simplement pas comprendre ce qui l’entoure sans le mettre en forme, l’interpréter, le façonner en images, en mots, en récits déployant pour lui un sens, à la fois signification et direction. Seul parmi les autres espèces vivantes, les humains savent qu’ils sont nés et qu’ils vont mourir. Ils ont consciences de qu’est une vie entière, avec un début, des péripéties et une fin. » Nancy Huston- L’espèce fabulatrice – Actes sud A ces questions existentielles, Murgia pointe du doigt nos croyances d’aujourd’hui, celles qui sont nécessaires à l’homme pour se construire une identité, et donner un sens à sa vie, il montre dans ses spectacles que l’humain préfère croire à n’importe quoi plutôt qu’à rien. La croyance, le mythe, qu’il soit contemporain ( Dieu est un DJ) ou séculaire, sont récurrents chez Murgia, l’éducation Jéhovah qu’il a reçue, et l’aspect sectaire de cette doctrine, a sans doute amené une réflexion particulière dans son travail. © Jean Louis Fernandez DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être Dans Notre peur de n’être – Murgia nous parle d’isolement poussé à l’extrême – le phénomène Hikikomori Le phénomène Hikikomori vient du japon, c’est une pathologie psychosociale et familiale qui touche principalement des adolescents ou de jeunes adultes, majoritairement des garçons. Ils vivent coupés du monde et des autres, cloîtrés chez leurs parents, le plus souvent dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, en refusant toute communication, même avec leur famille, et ne sortant que pour satisfaire aux impératifs des besoins corporels, d’après les spécialistes. Ni grabataires, ni autistes, ni retardés mentaux, ils se sentent accablés par la société. Ils ont le sentiment de ne 10 pas pouvoir accomplir leurs objectifs de vie et réagissent en s’isolant de la société. ( wikipedia) Pour expliquer cette forme impressionnante de repli sur soi, les spécialistes mettent souvent l’accent sur la rigidité de la société japonaise, qui exerce une pression que beaucoup de jeunes adultes ne supportent pas, et qui préférent se replier sur le monde. En somme, c’est une déconnexion du monde, qui leur permettrait de gérer les inquiétudes liées à l’avenir. Par ailleurs, ces adolescents n’ont généralement pas conscience de leur condition anormale et ne souhaitent pas en changer. Ref : www.carnetsdepsycho.net 11 DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être IV. LE POINT DE VUE D’ UN ARTISTE…. Le travail d’un artiste est de rendre par une démarche artistique, une interprétation personnelle, un point de vue ; c’est un regard qu’il pose sur le monde. Le théâtre contemporain, un théâtre d’idées, de textes nouveaux, qui prend racine dans notre monde d’aujourd’hui. Toute définition du théâtre contemporain court le risque d’être trop réductrice, voire fausse. Notons cependant que, se détournant des règles classiques, le drame moderne – surtout d’avant-garde – a souvent pris pour sujet principal la parole elle-même et la difficulté de communication. Il se caractérise entre autres par : - une importance moindre accordée à l’intrigue et au personnage - un dialogue dévitalisé (traitement simultané de divers sujets, dialogue de sourds, banalités et lieux communs) - une chronologie bouleversée (anticipations et retours en arrière, traitement fantastique du temps, mélange du présent, du passé et du futur) - un décor indéfini (banalisation, surimpression de plusieurs espaces par des techniques audiovisuelles, etc.) Ces choix chronologiques et spatiaux sont destinés à traduire l’absurde et l’angoisse de la condition humaine, privée de repères : - le corps physique considéré comme un véritable langage - une importance particulière accordée à la mise en scène : le metteur en scène co-crée la pièce avec l’auteur dramatique. Pour chaque auteur, le travail d’écriture nécessite une grande part de réflexion, souvent au départ d’éléments déclencheurs qui nourrissent la fiction. Par exemple, dans Le Chagrin des Ogres, l’affaire Natacha Kumpush, l’affaire Geneviève l’Hermite ont alimentés son propos. Pour Notre peur de n’être, F. Murgia s’est notemment nourrit du livre de Michel Serres Petite poucette. Petite poucette : le point de vue du philosophe Michel Serres sur le monde numérique Agé de 84 ans, le philosophe et historien des sciences, à travers son livre Petite Poucette, porte un regard résolument optimiste sur le monde numérique et sur les nouvelles générations qui le portent – les petit(e)s poucet(te)s ( en référence au titre). Michel Serres réclame l’indulgence pour les jeunes, obligés de tout réinventer dans une société bouleversée par les nouvelles technologies LE PHILOSOPHE MICHEL SERRES Michel Serres, diplômé de l’Ecole navale et de Normale Sup, a visité le monde avant de l’expliquer à des générations d’étudiants. Historien des sciences et agrégé de philosophie, ancien compagnon de Michel Foucault, avec qui il a créé le Centre universitaire expérimental de Vincennes en 1968, il a suivi René Girard aux Etats-Unis, où il enseigne toujours, à plus de 80 ans. Ce prof baroudeur, académicien pas tout à fait comme les autres, scrute les transformations du monde et des hommes de son œil bleu et bienveillant. Son sujet de prédilection : la jeune génération, qui grandit dans un monde bouleversé, en proie à des changements comparables à ceux de la fin de l’Antiquité. La planète change, ils changent aussi, ont tout à réinventer. «SOYONS INDULGENTS AVEC EUX, CE SONT DES MUTANTS», implore Michel Serres, par ailleurs sévère sur sa génération et la suivante, qui laisseront les sociétés occidentales en friche. Quelques extraits des premiers chapitres de Petite Poucette. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, travaillait au labour et à la pâture. En 2011, on ne compte plus que un pour cent de paysans dans les populations. (…) Le nouvel écolier, la jeune étudiante, n’a plus la même vie physique, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain, 12 DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être pendant la durée d’une seule vie humaine, bondi de deux vers sept milliards ; il habite un monde plein. Alors que leurs prédécesseurs se réunissaient dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, les jeunes étudient au sein d’un collectif où se côtoient désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs. Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de règle. (…) Ils n’ont plus le même monde mondial, ils n’ont plus le même monde humain. Autour d’eux, les filles et les fils d’immigrés, venue de pays moins nantis, ont vécu des expériences vitales inverses des leurs. Ces enfants habitent (…) le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l’usage de la Toile, la lecture ou l’écriture au pouce des messages, la consultation de Wikipedia ou de facebook n’excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l’usage du livre, de l’ardoise ou du cahier. Ils peuvent manipuler plusieurs informations à la fois. Ils ne connaissent, ni n’intègrent, ni ne synthétisent comme nous. (…) Ils n’ont plus la même tête. Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes ; par GPS, en tous lieux ; par la Toile, à tout savoir : ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous vivions dans un espace métrique, référé par des distances. Ils n’habitent plus le même espace. (…) N’ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement. Il ou elle écrit autrement. (…) Ils ne parlent plus la même langue. (…) L’Académie française publie, à peu près tous les 20 ans, le Dictionnaire (de la langue française). Aux siècles précédents, la différence entre deux publications s’établissait autour de 4 à 5000 mots, chiffre à peu près constant ; entre la précédente et la prochaine, elle sera de trente-mille environ. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre? Voilà, c’est fait. V. Pour approfondir le sujet Pour aller plus loin : Le film «Disconnect» Le film «Her» Action Ciné Média Jeunes : organisation de jeunesse d’Education aux médias http://www.acmj.be/ Action Ciné Médias Jeunes / Place l’Ilon, 13 - 5000 Namur – Belgique Média Animation : http://www.media-animation.be/Education-permanente-.html Facebook ou le monde expliqué aux vieux – Fabien Benoit, éditions 10/18 DOSSIER PéDAGOGIQUE Notre peur de n'être VI. Références bibliographiques - Média Animation : D’après Bonvoisin «L’extimité, s’exposer pour se construire», décembre 2012 – www.media-animation.be - Erving Goffman La mise en scène de la vie quotidienne - Petite Poucette – Michel Serres aux éditions Le pommier ! - Sciences et Vie – L’homme et les mythes -www.theatrecontemporain.net - Le Théâtre National de Bruxelles - Canopée Editions - www.intellego.fr/communauté du savoir scolaire -Wikipédia - Les Inrockuptibles : La génération Y prend le pouvoir (février 2012) - Les Inrockuptibles : article sur le phénomène Disconnect Nov 2014 VI. Annexes dossier de presse - Intervieuw de Fabrice Murgia - L’angoisse de la déconnexion (Les Inrockuptibles / 19.11.2014) - La génération Y prend le pouvoir (Les Inrockuptibles / 15.02.2012) 13