LA pArt de LA recherche dAns L’enseignement du droit
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Enseignement du droit
pour objet14. Même si le post-positivisme admet un plu-
ralisme méthodologique qui permettrait à la « science du
droit » d’être reconnue comme telle sans imiter pourtant
la démarche des sciences de la nature15 ! Nous n’irons pas
plus avant, toutefois, dans une querelle qu’il n’est pas
nécessaire de trancher dans le cadre du présent propos.
Nous nous en tiendrons à cette position que l’assertion
« le droit est une science » est, au moins équivoque, au
pire aberrante, et que l’armation « les facultés de droit
élaborent et diusent la science du droit » supposerait de
très fortes raisons, que nous n’apercevons pas, de bap-
tiser « science » tout ce qui requiert apprentissage, labeur
intellectuel, méthode et savoir-faire16 ! Tout recommande
de suivre Paul Amselek lorsqu’il juge « dérisoire » la pro-
pension à succomber à « la force attractive qu’exerce le
paradigme scientique dans le domaine des disciplines
juridiques, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres
domaines […] comme si l’activité scientique était, de
toutes les activités humaines, la seule sérieuse et digne
d’être entreprise et qu’il fallait en conséquence à tout
14 Deux indices du poids de cette conviction, parmi d’autres,
fournis par des publications aux ambitions diérentes : on ne
trouve aucune trace des « sciences juridiques » dans l’Épistémologie
des sciences sociales, publiée il y a quelques années sous la direction
de Jean-Michel Berthelot (PUF, 2001) ; l’excellente revue de
vulgarisation Sciences humaines n’a, jusqu’à présent, réservé qu’une
place marginale aux interrogations contemporaines sur ce qui paraît
constituer un phénomène majeur dans l’agencement ou le contrôle
de nos sociétés développées, et l’on ne découvre ni rubrique, ni
entrée « droit » ou « juridique », ni d’autre trace de ces notions, dans
deux ouvrages généraux publiés par les Éditions Sciences humaines
(Le Dictionnaire des sciences humaines, 2004, et J.-F. D, Les
Sciences humaines. Panorama des connaissances, 2009).
15 V. V, La science du droit (trad. O. et P. N), Story
Scientia-LGDJ, Coll. « La pensée juridique moderne », 1990.
16 Au demeurant, tous les juristes « de doctrine » ne réclament
pas d’être reconnus comme des scientiques. On pense aux écrits
de Christian A, Science des légistes, savoir des juristes, PUAM, 3e
éd., 1993 ; Épistémologie juridique, PUF, 1994, et Dalloz, 2002. Voir
également : J.-P. C, « Philosophie du droit et théorie du droit,
ou l’illusion scientique », Arch. Philo. Droit, t. 45, Sirey, 2001,
p. 2002.
prix se placer sous sa bannière pour valoriser ce que l’on
faitet accéder à un statut de respectabilité »17. La véné-
ration de François Gény par tant de juristes français ne
tiendrait-elle pas, en partie, à ce qu’il a qualié de « libre
recherche scientique »18 la démarche qu’il les engageait
à pratiquer (et qu’ils pratiquaient ou auraient pratiqué de
toute façon)19 ?
L’ essentiel est bien, répétons-le, de distinguer ce
phénomène social que constitue le droit et les pratiques
intellectuelles dont il est l’objet, notamment celles visant à
le connaître et les savoirs qu’elles produisent. Autrement
dit d’accueillir ce que l’on nomme plus souvent « la dis-
tinction du droit et de la science du droit », fondatrice du
positivisme juridique (comme théorie du droit et comme
17 « La part de la science dans l’activité des juristes », D. 1997, chron.
337, p. 338. Pour cet auteur, la « science » consiste exclusivement
« à établir des rapports entre la survenance au monde d’un type
de phénomène, d’un type de chose, et certaines circonstances, un
certain contexte d’autres choses »). Il tient au passage des propos
sévères – mais rassurants, avouons-le – sur Science et technique en
droit privé positif de François Gény (il observe que si de « méchantes
langues » ont qualié cet ouvrage de « vrai bazar métaphysique », ce
jugement « ne paraît pas somme toute dépourvu de lucidité », avant
de dénoncer la « fameuse et fumeuse distinction du ‘donné’ et du
‘construit’ »). En faveur de la possibilité d’une science du droit, voir
par exemple : F. O, V° Science du droit, in A.-J. Arnaud (dir.),
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,
LGDJ-Story Scientia, 2e éd., 1993 ; É. M, éorie générale du
droit, PUF, Coll. « Connaissance du droit », 2006, p. 9 sq. Pour un
panorama plus général des opinions sur cette question : M. Troper,
V° Science du droit, in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la
culture juridique, Quadrige/PUF-Lamy, 2003, p. 1391.
18 « Un de ces slogans dont la trouvaille n’appartient d’ordinaire
qu’à des publicitaires sans cervelle », observe Philippe Jestaz, dans un
ouvrage consacré à une réévaluation de l’apport du doyen de Nancy
(C. omasset, J. Vanderlinden, Ph. Jestaz, dir., François Gény,
mythe et réalités. 1899-1999 Centenaire de Méthode d’interprétation
et sources…, Yvon Blais-Dalloz-Bruylant, 2000, p. 39).
19 « Le grand public voit dans le juriste un benêt qui apprend par
cœur des textes de loi : Gény nous a dit que nous étions des savants
et des chercheurs » (Ph. Jestaz, op. cit.).