La science juridique de l’économie
Historiquement les relations entre le droit et l’économie ont souffert en France, au XIXème siècle,
non pas seulement d’un incontournable clivage disciplinaire mais, malheureusement, d’un
cloisonnement institutionnel dogmatique.
Initialement, l’économie n’était qu’une matière accessoire dans l’enseignement des Facultés de
droit, ne faisant l’objet ni d’un recrutement spécifique de professeurs, ni a fortiori, de composantes
autonomes. On sait que Léon Walras, le père d’un modèle mathématique de marché, dut s’exiler à
Lausanne et que ce sont les chambres de commerce qui, pour répondre à des besoins indéniables,
prirent l’initiative d’écoles de commerce et de gestion.
Or au XXème siècle, avec la profonde réforme de l’Université française dans les années 70, les
facultés ou UER d’Economie accédèrent à une pleine autonomie.
Cette scission aggravant le plus souvent, avec la spécificité propre à cette discipline, le fossé entre les
juristes et les économistes français, ce qu’ accrut la portée locale d’un droit commercial écrit face au
Common Law.
Dans leurs propres facultés, les juristes ont été tiraillés entre plusieurs tendances, inhérentes aux
particularismes français. Le droit économique, insistant, dans une perspective marxisante, sur le rôle
de l’Etat, relevait plutôt du droit public alors qu’en droit privé, le droit des affaires, centré sur
l’entreprise, se substituait progressivement au droit commercial, simple doublon corporatiste du
droit civil.
Dans cette évolution,au contraire, l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) par son orientation
résolument pluridisciplinaire offrit dès sa création aux spécialistes des deux disciplines, un « espace »
idéal d’échanges.
Pour les « commercialistes », l’UFR de Droit des affaires, créée par le professeur Gavalda, privilégiait
d’emblée la pluridisciplinarité, avec une grande place faite à la Finance. Le professeur Yves Guyon
affirmait dans ses ouvrages une approche moderne du droit des affaires.
C’est dans ce contexte que sous l’égide du Doyen Carbonnier et sous la présidence de Robert
Badinter, une orientation transdisciplinaire et multinationale s’ouvrit, par la création en 1996 du
Laboratoire de droit économique francophone, copiloté par les professeurs Yves Chaput (Paris),
Diego Corapi (Rome), et Guy Hormans (Louvain la neuve).
Leur constat partait de l’influence grandissante de l’analyse économique du droit dont l’école de
Chicago et particulièrement Richard Posner, caricaturalement, en venaient à nier l’essence même du
droit qui n’aurait été qu’un marché artificiellement entretenu par des juristes autoproclamés. Or,
quelle que soit la pertinence de ces analyses, elles n’ont jamais permis d’échapper au caractère
normatif du droit et à l’exigence de justice si bien défendue par John Rawls.
Certes, il est légitime que les économistes fassent du droit l’un des objets de leur étude et le
saisissent par leurs instruments. Les juristes ne peuvent que bénéficier de leur regard,s’ils savent
s’adapter à ces représentations politiquement prégnantes.
En revanche, le monde économique ne saurait relever d’un non droit. La vie sociale appelle des
normes de conduite qui ne sauraient se confondre avec la loi du marché et le rôle d’une constitution
n’est pas de sacraliser la maximisation du profit monétaire.
Aussi, les juristes ne se sont pas contentés de réunir, sous le nom de droit économique, un ensemble
de règles hétérogènes s’appliquant aux activités économiques ou de s’abriter derrière des codes
obsolètes.