L'école au bois dormant Maryse DU SOUCHET-ROBERT Orthophoniste 78 – Viroflay La poésie surréaliste à l'école maternelle ça n'existe pas, ça n'existe pas... et pourquoi pas? PRÉAMBULE Au pays de la magie. la nuit remue... Et glo et glu et déglutit sa bru gli et glo et déglutit son pied glu et gli et d'englugliglorera (Henri Michaux) Petit Bleu et Petit Rouge tendent l'oreille, ils ouvrent tout grand leurs yeux, un théâtre d'ombre projette sur le mur de l'école un « grand combat ». La voix continue, on dirait le speaker de la télé: Il l'emparouille et l’endosque contre terre Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouaillais Il le tocarde et le marmine le manage rape à ri et ripe à ra Enfin il l' escorbalisse fouille, fouille. Fouille Dans la marmite de son ventre est un grand secret (Henri Michaux, Qui je fus) Petit Bleu et Petit Rouge se regardent et s'exclament : On cherche aussi, nous autres, le grand secret Faut demander à un certain Monsieur Plume, répond la voix. Et c'est ainsi que Monsieur Plume fit son entrée à l'école maternelle et les enfants lui chantèrent une de leurs comptines préférées : Gentil Coquiqui coco des moustaches Mirbo joli gentil Coquiqui Ils parlaient le même langage, les enfants et Monsieur Plume, ils pouvaient se comprendre à demimot. II fallait encore convaincre la maîtresse. C'est alors que l'Enfant au Buvard prit la parole: Dormons sous un prétexte quelconque par exemple voler en rêve (Jean Cocteau) Cette idée plut aux enfants. La maîtresse crut qu'il s'agissait du conte de Grimm: La belle au bois dormant. Elle acquiesça. Et c'est ainsi que toute la classe partit au Pays des rêves. Avec Alice, ils traversèrent le miroir et débarquèrent, après une descente vertigineuse, dans un étrange et merveilleux pays: Rendez-vous derrière l'arbre au songe (Cocteau) cria Monsieur Plume. Encore faut-il savoir où il est (Cocteau) rétorqua ironiquement la maîtresse, un peu secouée par cette aventure. Alors l'Enfant au Buvard tira d'une de ses taches magiques et aquagraphiques dont il avait le secret une magnifique pomme. II la plaça devant la maîtresse qui la prit fébrilement dans sa main et s'exclama, comme si elle faisait aux enfants une « leçon de choses » : Je mets une pomme sur ma table Puis je me mets dans cette pomme quelle tranquillité! (Henri Michaux) Elle a son mot à dire et plusieurs tours dans son sac de pommes la pomme et la voilà qui tourne sournoisement sur elle-même doucement sans bouger... et c'est alors que le peintre de la réalité se trouve soudain être la triste proie d'une innombrable foule d'associations d'idées et la pomme en tournant évoque le pommier. le paradis terrestre, et Eve, et puis Adam, l'arrosoir, l'espalier, Parmentier, l'escalier (Jacques Prévert) Halte là ! Que Picasso ne passe pas par là. Il croquerait la pomme et alors... Nous préférons ne pas contempler les terrifiants pépins de la réalité Volons plutôt à Picasso sa lanterne magique qui fait surgir d'un monde retrouvé la grande fleur japonaise... et les enfants se taisent émerveillés (Jacques Prévert) Les éducateurs d'écoles maternelles savent fort bien émerveiller les enfants à travers contes et comptines. Mais peut-être ne pensent-ils pas à utiliser le florilège surréaliste pour renouveler leur inspiration. Je cherche à favoriser ici l'exploration de cette poésie, moins étudiée que la poésie classique. Nous verrons tout d'abord ce qu'est le surréalisme et quels procédés les poètes utilisent pour aider le hasard objectif afin qu'il devienne accident contrôlé. Dans une deuxième partie, je sélectionnerai quelques jeux surréalistes qui peuvent être utilisés en maternelle, en les illustrant par des productions enfantines récoltées lors de séances d'orthophonie ou d'ateliers d'expression poétique. Faire jaillir la vie, la vie cachée, c'est bien cela que dadaïstes et surréalistes ont eu pour but en faisant éclater les structures classiques du langage. Pour faire un poème dadaïste, Prenez un journal, prenez des ciseaux. choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème. Découpez l'article, découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac. Agitez doucement. Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre dans l'ordre où elles ont quitté le sac. Copiez consciencieusement Le poème vous ressemblera. (Tristan Tzara, Sept manifestes Dada, 1924) Cette technique étant sans doute un peu trop limitée, les poètes surréalistes en ont mis d'autres au point pour atteindre la partie non révélée et pourtant révélable de notre être, la féérie inférieure. André Breton a proposé de faire une exploration systématique de l'inconscient grâce notamment à l'écriture automatique et au compte rendu des rêves. Il conseille de se laisser guider par les associations d'idées (comme en psychanalyse), de laisser venir les phrases qui cognent à la vitre. Dans cette démarche poétique, les objets sont libérés de leur forme fixe, ils reprennent leur liberté de métamorphose: L'oiseau-lyre joue Et l'enfant chante... et les vitres redeviennent sable l'encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau (Jacques Prévert, Page d'écriture) La poésie rejoint les mythes et les contes, au gré du désir du poète et selon la loi de l'analogie poétique. C'est l'émotion qui surgit lorsqu'on laisse venir une idée donnée et sa répondante, sorte de courtcircuit qui met le poète dans un état d'extase, de sentiment océanique où il se sent soudain empoigné par plus fort que lui (André Breton). Les poètes symboliques avaient déjà rêvé de ce surgissement de la muse qui faisait d'eux des mages, des voyants, des guides-phares. Baudelaire disait qu'on pouvait entrevoir par et à travers musique et poésie les splendeurs situées derrière le tombeau (Notes nouvelles sur Edgar Poe). Cet au-delà est bien la quête ardente et insatiable des surréalistes, un au-delà situé au plus profond de l'être. C'est le Je fête l'essentiel de Paul Eluard, le, Je décalque l'invisible de Cocteau qui a su pleinement profiter, comme il le dit lui-même, des accidents du mystère aussi bien dans ses textes écrits, poèmes et pièces de théâtre, que dans ses films, dont le célèbre Orphée. Un des jeux d'écritures, celui des papiers pliés en éventail ou en accordéon, a donné naissance au fameux cadavre exquis. Le procédé consiste à écrire un mot ou un groupe de mots que le joueur suivant complète sans connaître ce qu'a écrit le précédent joueur (1). Un des cadavres exquis d'André Breton a fourni le titre d'un chapitre de Clair de terre: le revolver à cheveux blancs Les jeux surréalistes s'étendent, pour ainsi dire, à l'infini. A titre de piste, j'ai choisi d'analyser un poème de Paroles: Tentative de description d'un dîner de tête à Paris-France Dès le titre, nous sommes plongés dans un mélange insolite d'étrange et de familier. Tentative évoque les gros titres d'un journal à sensation (comme dans tentative de suicide), mais il provoque aussi chez le lecteur un doute sur la réussite de la description. Association apparemment fortuite, Dîner de tête évoque des périphrases telles que « se payer la tête de quelqu'un », un humour noir, une sorte de cannibalisme : Ne mangez pas l’enfant dont vous aimez la mère... Apparemment rien d'insolite dans A Paris-France et pourtant la suscription conviendrait mieux à une enveloppe. Dans les textes, les trente-deux anaphores ceux qui rappellent les conseils de Raymond Queneau dans les Figures de style, le Je me souviens de Pérec, d'Aragon: Liberté, j'écris ton nom, ... tant d'autres encore sans oublier l'usage systématique qu'en fit Charles Péguy. Sans finir ses phrases, Prévert accompagne seulement ses anaphores d'un mot, d'une périphrase... par exemple d'adverbes Ceux qui pieusement Ceux qui copieusement ... qui croquent férocement tout un monde, les tartuffes, les mauvais riches... avec la note d'humour que met le préfixe co (co-pieuscment). Il use encore de verbes transitifs sans complément d'objet direct; de surcroît certains n'existent pas: Ceux qui tricolorent sans oublier les associations de sons: Ceux qui croa-croa évocation de corbeaux, au sens propre et figuré; mais aussi la transformation en verbe d'un nom propre: Ceux qui andromaquent ... ou d'un mot anglais mis à la 3ème personne du pluriel: Ceux qui dreadnoughtcnt Il utilise encore l'inversion des sons: Ceux qui sont chauves à l'intérieur de la tête ... ou l'omission de verbe: Ceux qui debout les morts voire la simple évocation sans plus d'accord, ni même de transformation en verbe: Ceux qui baïonnette... on ... complétée, il est vrai, par une phrase complète à consonance antimilitariste... et éducative: Ceux qui donnent des canons aux enfants Ceux qui donnent des enfants aux canons Analyser entièrement ce poème serait bien trop long, mais l'on voit déjà se dessiner des pistes de jeu qui incitent à transgresser des règles, mais pour en créer de nouvelles, ce qui nécessite une connaissance précise de la langue. Mais feuilletons encore Paroles: Un vieillard en or avec une montre en deuil Un serpent à café avec un moulin à lunettes Un chasseur de corde avec un danseur de têtes Un maréchal d'écume avec une pipe en retraite … Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d'autobus Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste (Cortège) On aurait envie d'adjoindre quelques ratons laveurs (Inventaire). Le procédé est aisé. Il suffisait d'y penser et d'oser l'utiliser. Terminons ce plongeon prévertien par un extrait du dernier poème de Paroles: Lanterne magique de Picasso: Tous les yeux d'une femme joués sur le même tableau Les traits de l'être aimé braqué sur le destin... Le mystère d'un enfant La beauté immédiate d'un chiffon dans le vent Une fenêtre sur la mer ouverte comme une huître et tant de choses encore Soyons à notre tour poète en ajoutant d'autres choses à notre propre lanterne. Ecrivons-les, quoique pas forcément de manière linéaire. Comme Apollinaire, osons explorer les Calligrammes. Si nous écrivons pour nous même, alors nous saurons trouver des" motivations» adaptées aux enfants et eux, à leur tour, sauront fournir d'autres merveilles. Tout enfant est poète, mais il ne le sait pas. Aidons-le à le découvrir. (1) Dans une variante, il connaît le dernier mot, laissé apparent à cette fin.