Chapitre septième ..................................................................................................... 572
Les transpositions lexicales ..................................................................................... 572
§ 1 Généralités ........................................................................................................ 572
§ 2 Les transpositions nominales ......................................................................... 572
a) Le changement de genre ............................................................................ 572
b) Le changement de nombre ........................................................................ 575
c) Le changement de déterminatif ................................................................ 576
§ 3 Les transpositions adjectivales et adverbiales ............................................. 581
§ 4 Les transpositions verbales ............................................................................ 582
a) Le changement de personne et le changement de nombre ................... 583
b) Le changement de temps ........................................................................... 586
c) La traduction du prétérit ........................................................................... 590
d) Le changement d’aspect ............................................................................ 597
e) Le changement de mode ............................................................................ 601
f) Le changement de voix ............................................................................... 604
572
Chapitre septième
Les transpositions lexicales
§ 1 Généralités
La première forme de transposition grammaticale est la transposition lexicale : elle
consiste à modier dans la traduction, par nécessité, certaines catégories grammaticales des
mots, c’est-à-dire certaines des idées accessoires aachées aux mots isolés de la langue
originale selon leur fonction syntaxique, sans toutefois modier par le sens général du
discours.
Pour le classement des catégories grammaticales, j’ai suivi ici pour l’essentiel l’Essai
de grammaire psychologique (1947) de Georges Galichet : deux catégories nominales,
pronominales et adjectivales, le genre (masculin, féminin, neutre) et le nombre (singulier,
pluriel, collectif), une catégorie proprement adjectivale et adverbiale, le degré (comparatif et
superlatif), et quatre catégories verbales, la voix (active, passive, moyenne), le mode (indicatif,
subjonctif, conditionnel, impératif, participe, innitif), le temps (présent, passé, futur) et l’aspect
(inchoatif, duratif, terminatif, perfectif, imperfectif).
1
J’y ajoute une catégorie proprement
nominale, la détermination (articles et adjectifs déterminatifs). La personne est, me semble-t-
il, une catégorie nominale (adjectifs possessifs), pronominale (pronoms personnels et pronoms
possessifs) et verbale (désinences). C’est une erreur, me semble-t-il, de considérer la
personne comme une catégorie du discours, comme le fait Georges Galichet dans la
seconde édition de son ouvrage.
2
Les catégories grammaticales, en eet, comme les catégories
sémantiques, concernent les mots isolés; seules les catégories syntaxiques et les catégories
logiques concernant le discours en général.
§ 2 Les transpositions nominales
Les transpositions nominales qui ont lieu lors de la traduction de l’allemand en
français peuvent toucher le genre, le nombre, les déterminatifs des substantifs.
a) Le changement de genre
De l’allemand en français, le changement de genre des substantifs se fait du
masculin au féminin, du féminin au masculin, du neutre au masculin et du neutre au
féminin.
1
Georges Galichet, Essai de grammaire psychologique, Presses Universitaires de France, Paris, 1947, pp. 65-
105.
2
Georges Galichet, Essai de grammaire psychologique, Deuxième édition, Presses Universitaires de France,
Paris, 1950, pp. 105-109.
573
Ainsi, on change de genre quand on traduit der Stuhl par la chaise, der Tisch par
la table, der Schrank par l’armoire, die Sonne par le soleil, der Mond par la lune, der
Teil par la partie, die Nase par le nez, das Ohr par l’oreille, die Palme par le palmier,
die Fichte par le pin, das Gras par l’herbe, der Wald par la forêt, das Wasser par l’eau,
das Mehl par la farine, die Passage par le passage, das Chanson par la chanson, das
Mädchen par la llee et das Veilchen par la violee.
Dans sa Grammaire française (1986), André Goosse écrit au sujet du genre des noms : “Pour
la plupart des noms, le genre est arbitraire. Ce n’est que pour une partie des noms animés qu’il y a un lien entre
le genre et le sexe de l’être désigné; c’est ce que certains appellent le genre naturel.”
3
Un traducteur ne doit toutefois pas oublier que le genre dans la langue n’est pas
entièrement émancipé du genre dans la nature à cause de la confusion, dans le discours
ordinaire, comme dans le discours liéraire, des mots et des choses : ainsi, pour une
personne de langue française, une table est une chose féminine et un bahut une chose
masculine, alors que, pour une personne de langue allemande, ein Tisch est une chose
masculine et eine Truhe une chose féminine. Sur ce point, la manière dont nous usons des
mots ne coïncide nullement avec ce qu’en disent les grammairiens.
Les débats interminables sur les rapports entre le genre grammatical et le genre
naturel, en particulier sur le point de savoir s’il vaut mieux dire Madame le Ministre,
Madame la Ministre ou même, Madame la Ministresse, ont montré que la plupart des
esprits, incapables de considérer que ces expressions n’ont pas la même signication,
restent toujours aussi confus dans ce genre de question.
Un écrivain, sans doute d’avant-garde, a même écrit récemment à ce propos : Très
objectivement, on ne voit pas pourquoi on ne dirait pas des journals ou des animals, comme les enfants le font
spontanément.”
4
On pourrait, en eet, supprimer toutes les anomalies, c’est-à-dire toutes les
exceptions aux règles, dans une langue, mais la spontanéité, qui semble avoir l’estime de cet écrivain,
en sourirait considérablement.
Une diérence de sexe ne doit pas nécessairement se traduire dans la langue par
une diérence de forme : une mouche peut tout aussi bien être une mouche mâle qu’une
mouche femelle, sans qu’il soit besoin de créer le mot mouchesse, un peintre peut tout aussi
bien être un peintre homme qu’un peintre femme, encore que le mot de peintresse soit
utilisée dans le Midi de la France, quant à Dieu, s’il est, selon les chrétiens, notre père à
tous, c’est une simple question d’usage, car le mot Déesse existe depuis belle luree, et il
pourrait tout autant être notre mère à tous, si Marie, étant la mère du Christ, ne l’avait,
depuis la naissance de son ls, dépouillé de cee fonction.
3
M. Grevisse, Le bon usage, Grammaire française, 12e édition refondue par A. Goosse, Éds Duculot,
Gembloux, 1986, p. 757.
4
Jean-Pierre Ceton, Libérons la langue française ! dans Le Monde, 14 janvier 1998, p. 16.
574
Dans la liérature classique, la personnication des choses est monnaie
courante, la disparité des genres grammaticaux entre les langues cause souvent bien du
tracas aux traducteurs.
Ainsi, on lit dans Hesperus (1795) de Jean-Paul : “Freilich ist Achtung die Muer der Liebe; aber
die Tochter wird oft einige Jahre älter als die Muer.”
5
Dans Hesperus (1930), Albert Béguin
traduit : Assurément, le respect est la mère de l’amour; mais souvent la lle survit de quelques années à sa
mère.”
6
L’amour et le respect sont malheureusement du masculin dans la langue française.
Ainsi, on peut lire dans le Heinrich von Ofterdingen (1802) de Novalis : Ich danke dir für
deinen guten Willen sagte Fabel; man sieht dir jet die gute Zeit an; dir fehlt nur noch das Stundenglas und
die Hippe, so siehst du ganz wie der Bruder meiner schönen Basen aus.”
7
Dans leur Henri d’Ofterdingen
(1908), Georges Polti et Paul Morisse traduisent : Merci de tes bons sentiments, riposta Fable, on voit que
le temps actuel t’est favorable; il ne te manque plus que le sablier et la faux pour ressembler au frère de mes
belles parentes.”
8
Sans l’aide d’aucune note, le lecteur ne peut comprendre qu’il s’agisse ici de la Mort,
qui est du genre féminin en français. Dans son Henri d’Ofterdingen (1942), Marcel Camus traduit : “Je
te remercie de tes bonnes intentions, dit Fable, on lit sur ta gure combien l’époque actuelle te réussit: il ne te
manque plus que le sablier et la faux, et tu ressemblerais tout à fait au frère de mes jolies parentes.”
9
Le
traducteur ajoute ici en note : La mort est du masculin en allemand.”
10
C‘est déjà mieux, mais c’est
insusant. Dans son Henri d’Ofterdingen (1967), Robert Rovini traduit : Je te remercie de tes bontés,
répondit Fable. C’est temps béni pour toi, il n’y a qu’à te regarder; il ne te manque plus que le sablier et la faux
pour ressembler tout à fait à la sœur de mes jolies cousines.“
11
Traduire der Bruder par la sœur était
eectivement la meilleure solution.
Il faut bien prendre garde, quand on traduit de l’allemand en français des
substantifs allemands de genre diérent, de pratiquer aussi la transposition lexicale à
propos des pronoms qui remplacent ces noms.
Ainsi, dans Die Taube (1987) de Patrick Süskind, on lit : “Sie sasz vor seiner Tür, keine
zwanzig Zentimeter von der Schwelle entfernt, im blassen Widerschein des Morgenlichts, das durch das
Fenster kam. Sie hockte mit roten, kralligen Füszen auf den ochsenblutroten Fliesen des Ganges, in bleigrauem,
glaem Geeder: die Taube.”
12
Dans Le pigeon (1987), Bernard Lortholary traduit : “Il était posé devant sa
porte, à moins de vingt centimètres du seuil, dans la lueur blafarde du petit matin qui ltrait par la fenêtre. Il
avait ses paes rouges et crochues plantées sur le carrelage sang de bœuf du couloir, et son plumage lisse était
d’un gris de plomb: le pigeon.”
13
Un traducteur novice ou inaentif aurait pu commencer par traduire
les pronoms au féminin, puis, arrivé au bout du passage, les y laisser par inadvertance.
5
Jean Paul, Werke, Hrsg. von Norbert Miller, Erster Band, Carl Hanser Verlag, München, 1960, p. 865.
6
Jean-Paul Richter, Hespérus, Tr. de l’all. par Albert Béguin, Tome 1er, Librairie Stock, Paris, 1930, p. 285.
7
Novalis, Heinrich von Ofterdingen, Traduit par Marcel Camus, Éditions Montaigne, Paris, 1942, p. 318.
8
Novalis, Henri d’Ofterdingen, Traduit par Georges Polti et Paul Morise, Société du Mercure de France, Paris,
1908, p. 215.
9
Novalis, Henri d’Ofterdingen, Traduit par Marcel Camus, Éditions Montaigne, Paris, 1942, p. 319.
10
Novalis, Henri d’Ofterdingen, Traduit par Marcel Camus, Éditions Montaigne, Paris, 1942, p. 441.
11
Novalis, Henri d’Ofterdingen, Tr. nouv. par Robert Rovini, Union Générale d’Éds, Paris, 1967, pp. 213-214.
12
Patrick Süskind, Die Taube, Présentation, annotations et glossaire par B. Lortholary, Librairie Gle Française,
Paris, 1995, p. 26.
13
Patrick Süskind, Le pigeon, Tr. de l’all. par Bernard Lortholary, Librairie Générale Française, 1996, p. 14.
575
b) Le changement de nombre
De l’allemand en français, le changement de nombre se fait la plupart du temps
du singulier au pluriel; le passage du pluriel au singulier, beaucoup moins fréquent, n’est
généralement pas indiqué dans les dictionnaires.
On passe donc du singulier au pluriel quand on traduit die Latrine par les
latrines, das Laub par les feuilles, das Gewölk par les nuages, das Haar par les cheveux,
das Gebirge par les montagnes, das Fernglas par les jumelles , die Schere par les
ciseaux, die Toilee par les toilees, sie wandert durch die Flur par elle va par les
guérets, er zog die Hose an par il enla ses chausses et rede keinen Unsinn par ne dis
pas de bêtises.
Ainsi, on lit dans Fausts Leben, Taten und Höllenfahrt (1791) de Friedrich Maximilian
Klinger : Schon ertönte das ungeheure Gewölbe der Hölle von dem wilden Geschrei des Pöbels der Geister.”
14
On pouvait traduire : Déjà la voûte immense de l’Enfer résonnait des cris sauvages du peuple des esprits.”
Dans Vie, exploits et descente aux enfers de Faust (1935), Henri Roger traduit : “Déjà les voûtes
colossales de l’enfer retentissaient des cris sauvages que poussait la populace des esprits.”
15
La traduction de
das Gewölbe par les voûtes ne s’imposait pas, mais bien celle de das Geschrei par les cris.
Le passage du singulier au pluriel se fait aussi dans la traduction des expressions
du genre de den Kenner spielen par jouer les connaisseurs, den Unwissenden spielen
par jouer les ignorants, den Naiven spielen par jouer les naïfs, den Beleidigten spielen
par jouer les oensés, die grosze Dame spielen par jouer les grandes dames, den
Gernegrosz spielen par jouer les importants et den wilden Mann spielen par jouer les
bons sauvages.
À l’inverse, on passe du pluriel au singulier quand on traduit die Haare par la
chevelure, die Kleider par l’habillement, die Bläer par le feuillage, die Federn par le
plumage, die Verwandten par la parenté, die Zähne par la denture ou la dentition et die
Blaern ou die Pocken par la vérole ou la petite variole.
Le changement de nombre, en ce qui concerne les noms, peut s’accompagner du
remplacement d’un substantif par un autre de même signication ou de signication
voisine, an d’améliorer l’expression.
14
Friedrich Maximilian Klinger, Fausts Leben, Taten und Höllenfahrt, Auau Verlag, Berlin, 1958, p. 19.
15
Friedrich Maximilian Klinger, Vie, exploits et descente aux enfers de Faust, Roman traduit de l’allemand par
Henri Roger, Actes Sud, Arles, 1988, p. 69.
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