1. Le dualisme juridictionnel repose sur deux blocs de compétences exclusives et
constitutionnellement protégées.
Par leur décision du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, les juges de la rue de
Montpensier ont tracé la ligne de démarcation constitutionnelle9 séparant les compétences
exclusives des juges judiciaire et administratif. D’une part, il a été jugé que « figure au
nombre des ‘principes fondamentaux reconnus par les lois de la République’ celui selon
lequel (…) relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction
administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des
prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs
agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous
leur autorité ou leur contrôle »10. D’autre part, comme l’a précisé le Conseil d’une manière
laconique, les compétences constitutionnelles du juge administratif s’arrêtent là où
commencent celles qui relèvent « par nature »11 du juge judiciaire. Parmi ces dernières,
figurent, de manière faussement simple et évidente, la sauvegarde de la liberté individuelle et
la protection de la propriété privée, mais également l’état et la capacité des personnes ainsi
que le fonctionnement des services judiciaires12. Interprète des règles constitutionnelles
gouvernant le partage de ces compétences, le Conseil constitutionnel a recherché un équilibre
entre ces deux blocs. Par sa décision du 28 juillet 1989, il a ainsi rappelé, distinguant les
mesures « privatives » de liberté de celles seulement « restrictives »13, que « les recours
tendant à l'annulation des décisions administratives relatives à l'entrée et au séjour en France
des étrangers relèvent de la compétence de la juridiction administrative »14. Comme le
relevait le président Jacques Arrighi de Casanova dans ses conclusions sur l’affaire Préfet de
police de Paris15, « l’article 66 de la Constitution n’a [selon la jurisprudence du Conseil
constitutionnel] ni pour objet, ni pour effet de permettre à l’autorité judiciaire de connaître de
l’ensemble des mesures portant atteinte à la liberté ind 16
ividuelle » .
2. Au cœur des compétences exclusives du juge judiciaire, réside le contentieux de la
voie de fait.
Depuis ses origines, qui remontent au début du XIXe siècle17, cette théorie
jurisprudentielle a pour objet de faire bénéficier les justiciables, en cas d’atteinte à leurs droits
fondamentaux, des garanties juridictionnelles les plus étendues. Lorsqu’elle porte une atteinte
grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale18 – notamment à la liberté
individuelle -, l’administration commet une voie de fait si, en outre, elle agit manifestement
d’une manière irrégulière par « manque de droit » ou par « manque de procédure »19. Cette
9 Voir not. sur ce point l’analyse de J.-L. Mestre, « A propos du fondement constitutionnel de la compétence de
la juridiction administrative », RFDA, 2012, p. 339.
10 CC 23 janvier 1987, n°86-224, DC, cons. 15.
11 CC 23 janvier 1987, n°86-224, DC, cons. 15.
12 Voir sur ce point, J. Moreau, « séparation des autorités », Répertoire de contentieux administratif, Dalloz.
13 Voir commentaire GDCC, n°38, p. 633.
14 CC 28 juillet 1989, n°89-261, DC, cons. 22.
15 TC 12 mai 1997, Préfet de police de Paris contre Tribunal de grande instance de Paris, n°03056.
16 RFDA, 1997, p. 514.
17 CE 23 avril 1807, Diego Dittner et CE 19 octobre 1808, Hardouin contre De Saint Pastou, à propos du régime
de garantie des fonctionnaires, établi par l’article 75 de la Constitution du 22 frimaire de l’an VIII ; voir sur ce
point S. Petit, La voie de fait administrative, éd. PUF., 1995, p. 20.
18 Voir TC 8 avril 1935, Action française, GAJA, n°46, 19e édition.
19 M. Hauriou, Précis du droit administratif, éd. Sirey, 11e édition, 1927, p. 30 et suivantes : soit que
l’administration « use d’un droit qu’elle possède réellement mais sans observer les procédures (…) qui lui sont
imposées », soit qu’elle « use d’un droit qui n’a pas été au préalable formellement réglementé ».
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