Entretien avec
Hortense Archambault et Vincent Baudriller
directeurs du Festival d’Avignon
Cette année c’est le centenaire de la naissance de Jean Vilar, comment appréhendez-vous à votre manière son héritage ?
V.B. : Si le théâtre public français doit beaucoup à Jean Vilar, c’est parce qu’il a toujours su conjuguer l’audace artistique et
l’inscription de son art dans une relation nouvelle avec le spectateur. Il l’a fait comme artiste lorsque, en créant le Festival en
1947, il a inventé son propre langage théâtral dans la Cour d’honneur. Il l’a encore fait lorsque, après avoir décidé de cesser
de jouer et de mettre en scène, il a révolutionné lui-même le Festival à partir de 1966 en invitant de nouvelles formes
artistiques et en l’ouvrant à une nouvelle génération d’artistes de France et d’ailleurs. Sa programmation de 1967 est
exemplaire de cette volonté d’ouverture avec des jeunes metteurs en scène aux esthétiques différentes de la sienne, comme
Antoine Bourseiller, Jorge Lavelli ou Roger Planchon, le chorégraphe Maurice Béjart qui invente une nouvelle danse
contemporaine avec notamment les musiques de Pierre Henry, ou encore l’avant-première dans la Cour de La Chinoise
de Godard, film qui annonce Mai 1968. D’ailleurs le grand A que nous avons choisi comme signe du Festival est un clin d’œil
à l’affiche de 1967.
H.A. : Jean Vilar a vraiment inventé le Festival d’aujourd’hui, ce laboratoire où se mènent les expériences les plus diverses,
tant sur les esthétiques que dans la relation au public, dans les innovations techniques que dans la construction des politiques
culturelles. Il a su, dès le départ, relier la création artistique la plus contemporaine à un large public. C’est dans cet héritage
que nous nous efforçons de mener le Festival, réinscrivant dans notre époque et ses problématiques cette mission du
« théâtre populaire » que Jean Vilar qualifiait d’utopie nécessaire. Nous pensons que la dimension populaire du théâtre ne
provient ni d’une forme esthétique particulière, ni de la notoriété des artistes. Le théâtre populaire est un dispositif qui permet
au spectateur d’être pleinement participant. Il ne s’agit pas de dire aux spectateurs ce qu’ils doivent penser, mais simplement
de leur signifier qu’ils peuvent le faire. Il leur donne la parole en dehors de la représentation dans des moments qui doivent
être privilégiés. La Maison Jean Vilar a organisé une série d’événements tout au long de l’année et présentera une exposition
spéciale cet été ainsi que des lectures. Nous nous sommes associés à leur projet. Nous avons aussi souhaité présenter un
événement festif dans l’espace public, partageable par le plus grand nombre, un geste artistique qui revisite l’histoire de Vilar
et son héritage aujourd’hui. C’est ainsi que nous avons passé commande à la compagnie KompleXKapharnaüM qui créera le
14 juillet après le feu d’artifice Place public devant le Palais des Papes. Le centre national de documentation pédagogique du
ministère de l’Éducation nationale nous a fait découvrir un film de leurs archives, une pépite sur les rencontres internationales
de jeunes en 1967. Il sera projeté au cinéma Utopia, comme un écho troublant à l’actuelle opération Lycéens en Avignon
réalisée avec les Ceméa.
Vous avez choisi Simon McBurney comme artiste associé de cette édition. Cet artiste internationalement reconnu
n’a pas beaucoup présenté son théâtre en France en dehors de Paris…
V.B. : L’acteur et metteur en scène Simon McBurney a un lien avec le théâtre en France, car il est venu à Paris suivre
l’enseignement de Jacques Lecoq. On retrouvera d’ailleurs plusieurs grands artistes formés par cette école dans le
programme de cette année comme Christoph Marthaler, Rolf et Heidi Abderhalden ou William Kentridge. Ensuite, Simon
McBurney rentre à Londres où il fonde sa compagnie, Complicite, qui ne connaît de frontières ni géographiques ni
artistiques. Chacune de ses créations est l’occasion de rassembler des collaborateurs usant de tous les médias possibles :
les mots, souvent adaptés de la littérature, les corps, les gestes, les images et la musique qu’il orchestre pour trouver un
langage commun et créer un théâtre iconoclaste et émouvant, toujours renouvelé. Le choix de Simon McBurney d’adapter,
pour la Cour d’honneur du Palais des papes, Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov témoigne de son désir de mettre
en scène des histoires foisonnantes, où les époques et les imaginaires s’entremêlent, et de considérer le théâtre avant tout
comme un lieu de création et d’engagement.
H.A. : Cette démarche se retrouve chez son complice, l’écrivain anglais John Berger, qui marquera aussi cette édition. Avec
ses écrits, il raconte sans compromis l’homme et sa capacité d’aimer, la société et ses injustices, ou encore les œuvres d’art
et leur force mystérieuse. Nous avons eu envie de le faire mieux connaître en France. À travers la lecture de De A à X par
Juliette Binoche, Simon McBurney et l’auteur lui-même dans la Cour d’honneur, nous espérons élargir le cercle de ses
lecteurs. La soirée sera retransmise en direct par France Culture.
Y a-t-il des lignes particulières dans la programmation cette année ?
H.A. : Comme chaque année, en dialogue avec un nouvel artiste associé, nous nous interrogeons sur le théâtre, sur ce qui
le fonde ou l’inspire : la fiction, le réel, l’écriture dramatique ou littéraire, le corps, la peinture, le cinéma, la musique, et
aussi l’histoire, la philosophie, l’économie… Par quelle fragile magie le théâtre peut-il rendre celui qui le regarde davantage
acteur ? Pourquoi semble-t-il toujours plus nécessaire, alors que « le spectacle » et « le virtuel » gagnent la société ?
V.B. : Chez Simon McBurney le théâtre se nourrit d’inspirations multiples, on trouve donc dans la programmation :
- un théâtre qui s’interroge sur ce qu’est une forme contemporaine, avec des textes du répertoire revisités par Arthur
Nauzyciel ou Stéphane Braunschweig, des textes écrits aujourd’hui par Guillaume Vincent ou Christophe Honoré, dont deux
autres pièces seront mises en scène par Éric Vigner et Robert Cantarella, des performances théâtrales comme celle proposée
par le groupe Forced Entertainment ;