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Depuis 1947, Avignon, la cité des Papes, devient quelques semaines d’été,
le temps d’un festival, la cité du théâtre : événement prestigieux, événement
prodigieux.
Prestigieux parce que le festival accueille des troupes de très haute renommée
dans des lieux grandioses. Il y a eu et il y aura encore en Avignon certains des plus
beaux monuments du théâtre, parce que le lieu s’y prête, parce que seuls de très
grands metteurs en scène peuvent en faire vibrer les hauts murs.
Le souvenir est fort de Jean Vilar, créateur génial du festival et de son comé-
dien préféré, ce prince inspiré, nimbé de lumière qui était Gérard Philippe. Ils ont
donné à leur art, qu’ils voulaient populaire, des lettres de noblesse. Ils ont marqué
de leur empreinte ce festival dont ils sont devenus le mythe. Mais le rideau est
tombé à jamais sur leurs spectacles. Reste une œuvre, une réflexion sur l’art que
chaque nouvel organisateur a continué.
Après eux, grâce à eux, d’autres très grandes troupes sont nées qui ont du
théâtre une haute idée et le pratiquent avec génie. La Cour des Papes a accueilli
cette année Ariane Mouchkine et ses Shakespeares, elle venant de triompher à Los
Angeles, puis le grenoblois Georges Lavaudan avec un autre Shakespeare Richard
III, bâti autour d’un merveilleux comédien, Ariel Garcia-Valdes ; je l’ai découvert
avec émotion, seul sur cette scène démesurée, captant le regard et l’écoute d’un
public étonné, irrité mais séduit par l’image provocante d’un tyran beau dans sa
laideur, drôle et tragique dans sa cruauté.
Séduction d’un tout autre genre, dans un lieu plus replié : la cour du Palais
vieux résonnait de la belle voix d’Hélène Delavault – la Carmen du metteur en
scène Peter Brook – dame longue, un teint de porcelaine dans une robe noire bor-
dée de rouge. Chanteuse lyrique, comédienne innée nous a parlé en musique des
femmes et de l’amour : ballades brésiliennes, chansons de music-hall américain,
mais surtout chansons françaises du mélodramatique, à l’opérette dont elle nous a
fait goûter toute la saveur ; elle joue du vent, des colombes qui volent, tournent
dans la cour, de son pianiste-complice, disparaît dans les dédales du palais, pour
réapparaître et nous dire : « Madame Arthur est une femme… » car c’est bien là
une sorte de chef d’œuvre de la chanson française.
Hommes, femmes ont un sourire qui n’en finit pas. Le bonheur !
Loin du Palais, autres lieux, autres spectacles : à la Condition des Soies où s’est
installé, le Lucunaire, centre national et essai, c’est le coup de foudre. Première
représentation, quelques personnes, deux jours plus tard le public s’assoit par terre.
Pour Thomas création de Luc Guthomme, avec des élèves comédiens, c’est leur
première expérience, ils travaillent depuis plus d’un an, pour nous donner ce spec-
tacle fort, aux images inoubliables. Je retournerai deux fois voir se déchirer et
faillir une famille noble, capitaliste, autour et pour leur premier héritier Thomas,