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Le festival d’Avignon
Michèle Chenuil
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Depuis 1947, Avignon, la cité des Papes, devient quelques semaines d’été,
le temps d’un festival, la cité du théâtre : événement prestigieux, événement
prodigieux.
Prestigieux parce que le festival accueille des troupes de très haute renommée
dans des lieux grandioses. Il y a eu et il y aura encore en Avignon certains des plus
beaux monuments du théâtre, parce que le lieu s’y prête, parce que seuls de très
grands metteurs en scène peuvent en faire vibrer les hauts murs.
Le souvenir est fort de Jean Vilar, créateur génial du festival et de son comé-
dien préféré, ce prince inspiré, nimbé de lumière qui était Gérard Philippe. Ils ont
donné à leur art, qu’ils voulaient populaire, des lettres de noblesse. Ils ont marqué
de leur empreinte ce festival dont ils sont devenus le mythe. Mais le rideau est
tombé à jamais sur leurs spectacles. Reste une œuvre, une réflexion sur l’art que
chaque nouvel organisateur a continué.
Après eux, grâce à eux, d’autres très grandes troupes sont nées qui ont du
théâtre une haute idée et le pratiquent avec génie. La Cour des Papes a accueilli
cette année Ariane Mouchkine et ses Shakespeares, elle venant de triompher à Los
Angeles, puis le grenoblois Georges Lavaudan avec un autre Shakespeare Richard
III, bâti autour d’un merveilleux comédien, Ariel Garcia-Valdes ; je l’ai découvert
avec émotion, seul sur cette scène démesurée, captant le regard et l’écoute d’un
public étonné, irrité mais séduit par l’image provocante d’un tyran beau dans sa
laideur, drôle et tragique dans sa cruauté.
Séduction d’un tout autre genre, dans un lieu plus replié : la cour du Palais
vieux résonnait de la belle voix d’Hélène Delavault la Carmen du metteur en
scène Peter Brook – dame longue, un teint de porcelaine dans une robe noire bor-
dée de rouge. Chanteuse lyrique, comédienne innée nous a parlé en musique des
femmes et de l’amour : ballades brésiliennes, chansons de music-hall américain,
mais surtout chansons françaises du mélodramatique, à l’opérette dont elle nous a
fait goûter toute la saveur ; elle joue du vent, des colombes qui volent, tournent
dans la cour, de son pianiste-complice, disparaît dans les dédales du palais, pour
réapparaître et nous dire : « Madame Arthur est une femme… » car c’est bien
une sorte de chef d’œuvre de la chanson française.
Hommes, femmes ont un sourire qui n’en finit pas. Le bonheur !
Loin du Palais, autres lieux, autres spectacles : à la Condition des Soies s’est
installé, le Lucunaire, centre national et essai, c’est le coup de foudre. Première
représentation, quelques personnes, deux jours plus tard le public s’assoit par terre.
Pour Thomas création de Luc Guthomme, avec des élèves comédiens, c’est leur
première expérience, ils travaillent depuis plus d’un an, pour nous donner ce spec-
tacle fort, aux images inoubliables. Je retournerai deux fois voir se déchirer et
faillir une famille noble, capitaliste, autour et pour leur premier héritier Thomas,
fasciste, réduit au suicide,
leur second héritier autre
Thomas, communiste exilé
à Cuba, voir ces jeunes
comédiens, encore im-
parfaits dans leur tech-
nique, donner le meilleur
d’eux-mêmes, pour une
œuvre d’amour.
Et voilà le festival
est prodigieux, il réunit
tous ceux qui font du spec-
tacle un acte d’amour et
dispensent la joie. Ils enva-
hissent la ville, le spectacle
est dans la rue, les bars,
garages, caves, cours d’im-
meubles, d’écoles, etc.
C’est le festival off, né
en marge du festival offi-
ciel parce qu’à Avignon
pendant un mois passent
tous les fous et curieux du
théâtre, mais aussi ceux
qui peuvent le diffuser, les
professionnels de la cultu-
re. 250 troupes se sont produites cette année, qui viennent de toutes les régions de
France. Jeunes troupes mais aussi professionnels confirmés présentant avec peu
de moyens mais beaucoup d’enthousiasme des spectacles de tout genre et de tout
niveau qui vont du traditionnel au plus audacieux.
Et les festivaliers de puiser dans la masse des tracts, dans les “on dit” et
articles de presse, pour choisir le spectacle à voir ; ils sortent parfois déçus,
quelques fois enthousiastes, toujours intéressés et respectueux pour la performan-
ce de ces compagnies qui partagent la salle avec d’autres troupes, par conséquent
montent, démontent le décor en des temps records à chaque représentation et
jouent parfois dans des conditions déplorables parce que le théâtre est leur vie et
qu’en Avignon, peut-être, ils trouveront le moyen d’en vivre. Alors que sont ces
spectacles ? Des spectacles légers, un, deux, quatre comédiens au maximum ; des
lectures d’œuvres classiques : un Phèdre de Racine, réduit aux dialogues de la
Reine et de sa confiante et au souvenir des paroles essentielles de Thesée, belle
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mise-en-scène pour deux comédiennes émouvantes ; des adaptations de romans :
Première neige de Maupassant ; Sade, une lecture remarquable des 120 journées
de Sodome ; des recherches autour d’un auteur ; Gide 84, troublant Georges Sand,
didactique ; des spectacles écrits autour d’un thème : le roman photo « les lèvres
d’Angelo se posèrent… » critique amère des désastres causés par ce type de lectu-
re sur des cœurs déjà trop vulnérables ; la bande dessinée, les thrillers et téris
américains : Mohican dance ; un pastiche brillant pour deux comédiens bur-
lesques et pathétiques.
Tous ces spectacles créés dans des lieux qui ne sont pas des lieux de théâtre
sont facilement transportables dans des villes, qui ne possèdent pas des structures
importantes. C’est pourquoi l’existence du festival off, dans lequel certain ne voit
qu’une foire, mais dans lequel l’animation vivifiante de la cité n’existerait pas,
est, pour le théâtre, très importante ; là s’expriment des troupes qui, par leur spec-
tacles légers, abordables financièrement, peuvent faire un travail en profondeur,
pour la formation d’un public de théâtre. Ce sont là les militants de cet art remar-
quable de la parole et du geste.
Avignon c’est le spectacle, mais aussi la réflexion sur le spectacle ; cette
année le thème choisi était “l’artificiel et le vivant” ; à cette occasion de larges
portes étaient ouvertes à l’audio-visuel : “les nuits de l’image”, sous les étoiles,
sur un écran géant, étaient projetés des spectacles filmés : théâtre, danse, l’art
vivant, peut-il et comment doit-il être filmé ?
D’autres questions pourraient être débatues encore ? La place de la population
et de la culture locale dans le festival, que lui apporte-t-il ? Et parce que cette
année le problème a fait se démettre l’équipe organisatrice : le financement, la
rentabilité d’une telle manifestation, qui ne peut exister que par l’engagement et la
volonté politique des collectivités publiques. Mais cela serait un autre article !
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