Juridique Analyse
36 - LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL 91 - Décembre 2012
LESSENTIEL
n Trois dispositifs.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection juridique des majeurs distingue
implicitement trois formes de sauvegarde : celle « pour la durée de linstance »,
prononcée comme mesure conservatoire d’urgence par le juge saisi d’une requête
de curatelle ou de tutelle ; la sauvegarde de justice dite « rénovée », mesure à part
entre ordonnée par le juge lorsque la personne « a besoin d’une protection juri-
dique temporaire, ou d’être représentée pour l’accomplissement de certains actes
terminés » ; enfin, la sauvegarde dite « médicale », à la suite duneclaration
faite au procureur de lapublique par le médecin traitant ou le médecin de l’éta-
blissement de san de lintéressé.
n Mesure d’urgence par excellence.
connue des professionnels sanitaires et sociaux, la sauvegarde médicale per-
met audecin de placer lui-même la personne à laquelle il dispense des soins
sous un régime de protection, par un simple certificatdical de trois lignes. Pro-
tectrice et sans effet insirable, cette mesure sapplique sans tarder.
Sauvegarde de justice o u médicale ?
La sauvegarde de justice est une mesure
de protection juridique provisoire per-
mettant la représentation d’un majeur
pour certains actes. Les personnes concernées
peuvent souffrir dune incapacité temporaire (un
traumatisme crânien par exemple) ou durable.
Dans ce cas, la sauvegarde permettra de les pro-
ger, dans l’attente de la décision d’une mesure
de tutelle ou de curatelle.
Moins connue que celle cidée par le juge des
tutelles, la sauvegarde dite « médicale » s’avère
simple ; elle peut être demandée au procureur de
la publique par le decin traitant, accompa-
gnée de lavis conforme d’un decin psychiatre,
ou par un médecin de l’établissement de santé où
side la personne.
Procédure par voie judiciaire
Protection temporaire
La sauvegarde de justice est détaile aux articles
433 à 439 du Code civil (CC) : « sous peine de ca-
duci », la mesure est limitée à un an (art. 439),
renouvelable une fois sur présentation dun cer-
ticat médical circonstancié (art. 442) [lire l’en-
cad p. 38]. Elle permet principalement au juge
des tutelles « saisi d’une produre de curatelle
ou de tutelle » de placer « pour la durée de l’ins-
tance » une personne qui a « besoin d’une pro-
tection juridique temporaire ou d’être repré-
sentée pour l’accomplissement de certains actes
déterminés » (art. 433).
COMMENTAIRE L’emploi du terme « représen-
e » importe : la tutelle est une mesure de re-
présentation ; la curatelle, d’assistance et de
contle. Le tuteur « fait à la place de » ; le cura-
teur, « avec » la personne.
La mesure prend fin « à tout moment », si le juge
en ordonne la mainlevée ; à lexpiration du délai
d’un an si elle n’est pas renouvee ; « après l’ac-
complissement des actes pour lesquels elle a été
ordonnée » ; ou « par l’ouverture d’une mesure
de curatelle ou de tutelle à partir du jour la
nouvelle mesure de protection juridique prend
effet » (art. 439 du CC).
Ainsi, la sauvegarde de justice constitue une me-
sure conservatoire, dont la fonction première est
d’agir rapidement, afin d’éviter que la situation
dun majeur vulnérable ne se détériore : d’ailleurs,
« ceux qui ont qualité pour demander louverture
d’une curatelle ou d’une tutelle sont tenus dac-
complir les actes conservatoires indispensables
à la préservation du patrimoine de la personne
protégée, dès lors quils ont connaissance tant de
leur urgence que de louverture de la mesure de
sauvegarde ». Il en va de même pour « la personne
ou l’établissement qui héberge la personne placée
sous sauvegarde » (art. 436 du CC).
Il nest donc pas nécessaire d’attendre que soit
nommé un éventuel mandataire spécial, dautant
quil existe des sauvegardes sans mandataire. Le
Code civil précise en effet que « le juge peut dé-
signer un mandataire spécial » (art. 437), et non
quil le doit ; en outre, il peut confier la fense
des intérêts de la personne progée à sa famille.
COMMENTAIRE On notera qu’il n’existe en re-
vanche pas de curatelle sans curateur ni de
tutelle sans tuteur.
La sauvegarde de justice est également une me-
sure d’urgence, puisque « le juge peut, en cas
d’urgence, statuer sans avoir procéà l’audi-
tion de la personne » : il entend celle-ci dans les
meilleurs lais, sauf si, sur avis médical, son au-
dition est de nature à porter préjudice à sa san
ou si la personne est hors d’état d’exprimer sa
volonté (art. 432 du CC).
Mandat spécial
Imaginons que Mme L. entre en maison de re-
traite. Elle ne dispose que d’une petite pension
et percevra l’aide sociale du conseilral. Le-
quel prélèvera une partie de sa retraite pour ré-
gler l’établissement, ce qui ne lui laissera que
10 % d’« argent de poche ». Mme L. ne peut plus
pourvoir seule à ses intéts : un mandataire spé-
cial est nom, avec pour mission de signer le
contrat de séjour ; de présenter le dossier d’aide
sociale au conseil général ; de résilier, sur avis
dical, le bail de l’appartement lo par Mme
L. et de disposer de son mobilier (une partie
pourra équiper la chambre de Mme L., le reste
sera vraisemblablement vendu). Une fois toutes
ces diligences effectuées, pourquoi laisser Mme
L.. sous protection ? Le conseil général perçoit
la pension, paie la maison de retraite, verse l’ar-
gent de poche sur un compte ouvert au nom de
Mme L. sur lequel l’assurance responsabilité ci-
vile et la mutuelle sont prélevées. La mesure peut
donc prendre n ; les relations avec les services du
conseil général sont gées par la comptabilité de
l’établissement.
Le juge désigne donc un mandataire spécial, dont
il définit la mission dans son ordonnance. En
pratique, le mandataire peut détenir autant de
pouvoirs qu’un tuteur : il peut « accomplir un ou
plusieurs actes déterminés, me de disposition,
renduscessaires par la gestion du patrimoine
de la personne protégée ». Le mandataire spécial
est tenu « de rendre compte de l’exécution de
son mandat à la personne protégée et au juge »
(art. 437 du CC) et de présenter, chaque ane,
un « compte de gestion » (art. 510 du CC). Enfin,
une « mission de protection de la personne dans
le respect des articles 457-1 à 463 » peut lui être
Un article de Pierre-Brice Lebrun
Enseignant en droit dans le secteur sanitaire
et social, auteur du Guide pratique du droit
de la famille et de lenfant en action sociale et
dico-sociale, Dunod, 2011
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Sauvegarde de justice o u médicale ?
confiée (art. 438 du CC) ; cette mission demeure
cependant oue dans les textes.
Si aucun mandataire n’est nom, la « protec-
tion juridique temporaire » dont a besoin la per-
sonne restera donc virtuelle : elle permettra néan-
moins d’agir par la suite, en engageant une action
en rescision pour sion ou en réduction pour
excès, en opposant à d’éventuels créanciers ou
contractants le placement sous sauvegarde.
Actions en rescision et en réduction
La rescision pour lésion est, selon la finition
du Lexique des termes juridiques Dalloz, l’an-
nulation, prononcée par le tribunal, d’un acte
lésionnaire, c’est-à-dire d’un acte qui a lésé la
personne protégée : signature d’un compromis,
d’un contrat, d’un crédit ; signature ou résiliation
d’un bail, etc.
Contrairement à l’action en nullité, qui n’efface
que l’acte, l’action en rescision annule l’acte et
tous ses effets : celui-ci estputé n’avoir jamais
exis ; il sagit de la stricte application de lar-
ticle 414-1 du Code civil, selon lequel, « pour faire
un acte valable, il faut être sain d’esprit ».
Quant à laduction pour excès, elle estfinie
comme laction de demander au tribunal de ra-
mener à de justes limites un acte excessif par rap-
port à la fortune de l’inres.
L’action en nullité, en rescision ou en réduction,
séteint au bout de cinq ans (art. 1304 du CC).
Elle n’appartient qu’à la personne protée (ou à
son mandataire, tuteur ou curateur) et, après sa
mort, à ses ritiers. Plusieurs conditions doivent
être respectées : l’acte doit porter en lui-me
la preuve d’un trouble mental ; il doit avoir été
ali alors que l’inressé était placé sous sau-
vegarde de justice ; une demande de tutelle ou
de curatelle doit avoir été introduite avant son
décès, ou effet doit avoir été don au mandat
de protection future (art. 414-2 du CC). L’ac-
tion en nullité, en rescision ou en réduction,
est soumise à la sagacité des juridictions civiles ;
le mandataire spécial peut recevoir mission du
juge de l’exercer.
Procédure par voie médicale
claration du médecin
La sauvegarde « peut également résulter d’une
claration faite [par le médecin] au procureur
de la République dans les conditions prévues par
l’article L.3211-6 du Code de la santé publique »
(art. 434 du CC).
Comme le prévoit l’article 425 du Code civil,
« toute personne dans l’impossibilité de pour-
voir seule à ses intérêts en raison d’une altération,
dicalement constatée, soit de ses facultés men-
tales, soit de ses facultés corporelles de nature à
empêcher l’expression de sa volonté peut béfi-
cier d’une mesure de protection juridique […] ».
L’article L.3211-6 du Code de la santé publique
(CSP) pcise que « le decin qui constate que
la personne à laquelle il donne ses soins a besoin,
pour l’une des causes prévues à l’article 425 du
Code civil, d’être protégée dans les actes de la vie
civile peut en faire la déclaration au procureur
de la République du lieu de traitement ». Si cette
claration est accompagnée de l’avis conforme
d’un psychiatre, elle a pour effet de placer le ma-
lade sous sauvegarde de justice.
COMMENTAIRE Il n’est pas nécessaire que le
psychiatre sollici soit inscrit sur une liste ou
quil ait la qualité dexpert.
La sauvegarde médicale est si peu utilisée que
personne nen comprend véritablement les sub-
tilités ; de fait, plusieurs versions saffrontent. A la
lecture de larticle L.3211-6 du Code de la santé
publique, il semble qu’une déclaration dicale
seule place la personne sous une mesure virtuelle,
contrairement à une déclaration accompagnée
de l’avis conforme d’un psychiatre, laquelle per-
met donc de contourner le certificat médical cir-
constancié devant être joint à la requête.
En pratique, la déclaration médicale est d’une
grande simplicité : « Je soussigné, docteur X. at-
teste que l’état de santé de M. Y., à, le, do-
micilié à, nécessite son placement sous le -
gime de la sauvegarde à compter de ce jour. »
L’avis conforme du psychiatre se présente sous
la même forme : « Je soussigné, docteur Z., psy-
chiatre, confirme la déclaration du docteur X.
concernant l’état de san de M. Y., qui nécessite
son placement sous le régime de la sauvegarde à
compter de ce jour. »
J. BER
La sauvegardedicale peut souvrir par simple déclaration au procureur de lapu-
blique du médecin de létablissement sanitaire ou médico-social réside le patient.
Juridique Analyse
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>> Dans le strict respect du secret professionnel et
de la vie prie du patient, ces deux documents
sont ensuite envoyés conjointement en recom-
manavec accusé de réception au procureur
de la publique « du lieu de traitement ». Ce-
lui-ci, le cas échéant, en avise « le procureur de
lapublique du lieu de la résidence habituelle
du majeur progé » (art. 1248 du Code de pro-
dure civile, CPC).
Le procureur de la République qui reçoit la décla-
ration aux ns de sauvegarde la mentionne dans
un répertoire tenu à cet effet (art. 1251 du CPC).
Il y ajoutera celle relative à un éventuel renouvel-
lement et la claration aux ns de faire cesser la
mesure. Ce répertoire nest accessible quaux au-
torités judiciaires ; aux personnes qui ont qualité,
selon larticle 430 du Code civil, pour demander
louverture d’une mesure de protection (conjoint,
concubin, parent ou allié, personne entretenant
avec le majeur des liens étroits et stables ou qui
exerce à son égard une mesure de protection ju-
ridique) ; aux avocats, notaires et huissiers de jus-
tice qui justient de lutilité de la déclaration dans
le cadre d’un acte relevant de l’exercice de leurs
fonctions (art. 1251-1 du CPC).
En établissement de santé
Lorsqu’une personne est soignée dans un établis-
sement de santé, le médecin, sil constate que l’état
du patient nécessite une mesure de protection,
« est tenu den faire la déclaration au procureur de
la République du lieu de traitement » (art. L.3211-
6 du CSP). Le préfet est informé par le procureur
de la mise sous sauvegarde. Nul avis conforme
d’un psychiatre ne semble cessaire quand la
personne est soige dans un établissement de
santé au sens de larticle L.6111-1 du CSP, qui les
finit par leurs missions et ne vise pas seulement
les établissements de soins psychiatriques.
COMMENTAIRE Le médecin est « tenu » : il n’est
donc pas « obli». Le gislateur a considé-
qu’il s’agissait d’un devoir, ce qui reste
éminemment subjectif. Nulle sanction n’est
d’ailleurs pvue en cas de manquement.
La sauvegarde dicale est prise pour une du-
rée d’un an maximum, renouvelable une fois.
Toutefois, les modalités de ce renouvellement ne
sont pas pcies. En outre, la jurisprudence en
la matière est inexistante.
Faut-il procéder par voie judiciaire, sur présen-
tation dun certicat médical circonstancié ? par
l’envoi d’un second certicat ? Quel lai de ca-
rence doit-on laisser courir entre lan dune pre-
mière sauvegarde et le début d’une seconde, s’il
s’avère que le patient a, plus tard, de nouveau
besoin d’être progé ? De toute évidence, en éta-
blissement de santé, le médecin peut placer la per-
sonne sous sauvegarde à chaque admission.
La mesure prend fin par une nouvelle clara-
tion du médecin au procureur de la République
attestant que la situation qui avait justifié la dé-
claration de sauvegarde a cessé, ou par l’ouver-
ture d’une mesure de tutelle ou de curatelle, le
jour où celle-ci prend effet.
Ennitive, la sauvegarde médicale ne semble
présenter que des avantages. Elle ne prive la per-
sonne protégée daucun droit et nest en rien li-
berticide. Elle permet d’agir a posteriori pour
annuler un acte contraire à ses inrêts ; elle est
gratuite, et l’intéressé na pas à l’accepter, ou à se
soumettre à une quelconque expertise. La me-
sure est mise en place imdiatement et facilite
le travail de ceux qui tentent de rer, voire de
soudre, les difficuls sociales, économiques et
financières du majeur vulnérable.
CONTOURNER LE CERTIFICAT MÉDICAL CIRCONSTANCIÉ ?
Que ce soit en raison de son montant (trop élevé pour quun assistant de service social puisse
lavancer) ou parce que la personne refuse de rencontrer le médecin, le certicat médical
circonstancié peut constituer un obstacle. Pour le « contourner », deux solutions existent. La
première est le placement sous sauvegardedicale, conrmé par l’avis conforme dun psy-
chiatre, assorti dune demande de nomination d’un mandataire spécial lequel pourra avoir
pour mission de solliciter la mise en place d’une tutelle ou dune curatelle. En effet, le certifi-
cat médical circonstancié nest alors pas nécessaire. En revanche, il peut être requis par le
procureur de la République ou ordonné par le juge des tutelles. Dans ce cas, il est pris en
charge « dans les conditions prévues au 3° de l’article R.93 du Code de procédure pénale »
(art. 1256 du Code de procédure civile, CPC). L’article en question dresse la liste des dépenses
assimilées aux frais de justice criminelle, dont « des procédures suivies en application de la
législation en matière de tutelle des mineurs, de tutelle et curatelle des majeurs et de sauve-
garde de justice » ; ce que conrme l’article R.224-2 du CPP. Le recouvrement de ces dé-
penses sera éventuellement effectué « selon les procédures et sous les garanties prévues
en matière damende pénale » (art. 1256 du CPC). Il est donc possible dadresser au procureur
de la République une requête à lan douvrir une mesure de protection, en argumentant
labsence de certicat (impossibili de le faire payer par la personne ou par sa famille).
REPÈRES
w Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme
de la protection juridique des majeurs.
w Code civil : art. 414-2, 425, 430, 432 à 439, 442,
457-1 à 463, 510, 1304.
w Code de la san publique : art. L.3211-6, L.6111-1.
w Code de procédure civile : art. 1248 à 1251-1, 1256.
wCode de procédure pénale : art. R224-2, art. R.93.
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