Téléchargez l`analyse - Gazette Santé Social

publicité
Juridique
Analyse
Sauvegarde de justice o
L’ESSENTIEL
n Trois dispositifs.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection juridique des majeurs distingue
implicitement trois formes de sauvegarde : celle « pour la durée de l’instance »,
prononcée comme mesure conservatoire d’urgence par le juge saisi d’une requête
de curatelle ou de tutelle ; la sauvegarde de justice dite « rénovée », mesure à part
entière ordonnée par le juge lorsque la personne « a besoin d’une protection juridique temporaire, ou d’être représentée pour l’accomplissement de certains actes
déterminés » ; enfin, la sauvegarde dite « médicale », à la suite d’une déclaration
faite au procureur de la République par le médecin traitant ou le médecin de l’établissement de santé de l’intéressé.
n Mesure d’urgence par excellence.
Méconnue des professionnels sanitaires et sociaux, la sauvegarde médicale permet au médecin de placer lui-même la personne à laquelle il dispense des soins
sous un régime de protection, par un simple certificat médical de trois lignes. Protectrice et sans effet indésirable, cette mesure s’applique sans tarder.
Un article de Pierre-Brice Lebrun
Enseignant en droit dans le secteur sanitaire
et social, auteur du Guide pratique du droit
de la famille et de l’enfant en action sociale et
médico-sociale, Dunod, 2011
L
a sauvegarde de justice est une mesure
de protection juridique provisoire permettant la représentation d’un majeur
pour certains actes. Les personnes concernées
peuvent souffrir d’une incapacité temporaire (un
traumatisme crânien par exemple) ou durable.
Dans ce cas, la sauvegarde permettra de les protéger, dans l’attente de la décision d’une mesure
de tutelle ou de curatelle.
Moins connue que celle décidée par le juge des
tutelles, la sauvegarde dite « médicale » s’avère
simple ; elle peut être demandée au procureur de
la République par le médecin traitant, accompagnée de l’avis conforme d’un médecin psychiatre,
ou par un médecin de l’établissement de santé où
réside la personne.
Procédure par voie judiciaire
Protection temporaire
La sauvegarde de justice est détaillée aux articles
433 à 439 du Code civil (CC) : « sous peine de caducité », la mesure est limitée à un an (art. 439),
renouvelable une fois sur présentation d’un certificat médical circonstancié (art. 442) [lire l’encadré p. 38]. Elle permet principalement au juge
des tutelles « saisi d’une procédure de curatelle
ou de tutelle » de placer « pour la durée de l’ins36 - LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL
tance » une personne qui a « besoin d’une protection juridique temporaire ou d’être représentée pour l’accomplissement de certains actes
­déterminés » (art. 433).
COMMENTAIRE L’emploi du terme « représentée » importe : la tutelle est une mesure de représentation ; la curatelle, d’assistance et de
contrôle. Le tuteur « fait à la place de » ; le curateur, « avec » la personne.
La mesure prend fin « à tout moment », si le juge
en ordonne la mainlevée ; à l’expiration du délai
d’un an si elle n’est pas renouvelée ; « après l’accomplissement des actes pour lesquels elle a été
ordonnée » ; ou « par l’ouverture d’une mesure
de curatelle ou de tutelle à partir du jour où la
nouvelle mesure de protection juridique prend
effet » (art. 439 du CC).
Ainsi, la sauvegarde de justice constitue une mesure conservatoire, dont la fonction première est
d’agir rapidement, afin d’éviter que la situation
d’un majeur vulnérable ne se détériore : d’ailleurs,
« ceux qui ont qualité pour demander l’ouverture
d’une curatelle ou d’une tutelle sont tenus d’accomplir les actes conservatoires indispensables
à la préservation du patrimoine de la personne
protégée, dès lors qu’ils ont connaissance tant de
leur urgence que de l’ouverture de la mesure de
sauvegarde ». Il en va de même pour « la personne
ou l’établissement qui héberge la personne placée
sous sauvegarde » (art. 436 du CC).
Il n’est donc pas nécessaire d’attendre que soit
nommé un éventuel mandataire spécial, d’autant
qu’il existe des sauvegardes sans mandataire. Le
Code civil précise en effet que « le juge peut désigner un mandataire spécial » (art. 437), et non
qu’il le doit ; en outre, il peut confier la défense
des intérêts de la personne protégée à sa famille.
COMMENTAIRE On notera qu’il n’existe en revanche pas de curatelle sans curateur ni de
tutelle sans tuteur.
La sauvegarde de justice est également une mesure d’urgence, puisque « le juge peut, en cas
d’urgence, statuer sans avoir procédé à l’audition de la personne » : il entend celle-ci dans les
meilleurs délais, sauf si, sur avis médical, son audition est de nature à porter préjudice à sa santé
ou si la personne est hors d’état d’exprimer sa
volonté (art. 432 du CC).
Mandat spécial
Imaginons que Mme L. entre en maison de retraite. Elle ne dispose que d’une petite pension
et percevra l’aide sociale du conseil général. Lequel prélèvera une partie de sa retraite pour régler l’établissement, ce qui ne lui laissera que
10 % d’« argent de poche ». Mme L. ne peut plus
­pourvoir seule à ses intérêts : un mandataire spécial est nommé, avec pour mission de signer le
contrat de séjour ; de présenter le dossier d’aide
sociale au conseil général ; de résilier, sur avis
médical, le bail de l’appartement loué par Mme
L. et de disposer de son mobilier (une partie
pourra équiper la chambre de Mme L., le reste
sera vraisemblablement vendu). Une fois toutes
ces diligences effectuées, pourquoi laisser Mme
L.. sous protection ? Le conseil général perçoit
la pension, paie la maison de retraite, verse l’argent de poche sur un compte ouvert au nom de
Mme L. sur lequel l’assurance responsabilité civile et la mutuelle sont prélevées. La mesure peut
donc prendre fin ; les relations avec les services du
conseil général sont gérées par la comptabilité de
l’établissement.
Le juge désigne donc un mandataire spécial, dont
il définit la mission dans son ordonnance. En
pratique, le mandataire peut détenir autant de
pouvoirs qu’un tuteur : il peut « accomplir un ou
plusieurs actes déterminés, même de disposition,
rendus nécessaires par la gestion du patrimoine
de la personne protégée ». Le mandataire spécial
est tenu « de rendre compte de l’exécution de
son mandat à la personne protégée et au juge »
(art. 437 du CC) et de présenter, chaque année,
un « compte de gestion » (art. 510 du CC). Enfin,
une « mission de protection de la personne dans
le respect des articles 457-1 à 463 » peut lui être
N° 91 - Décembre 2012
u médicale ?
tion en nullité, en rescision ou en réduction,
est soumise à la sagacité des juridictions civiles ;
le mandataire spécial peut recevoir mission du
juge de l’exercer.
Procédure par voie médicale
J. BER
Déclaration du médecin
La sauvegarde « peut également résulter d’une
déclaration faite [par le médecin] au procureur
de la République dans les conditions prévues par
l’article L.3211-6 du Code de la santé publique »
(art. 434 du CC).
Comme le prévoit l’article 425 du Code civil,
« toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération,
médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à
empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique […] ».
L’article L.3211-6 du Code de la santé publique
(CSP) précise que « le médecin qui constate que
la personne à laquelle il donne ses soins a besoin,
pour l’une des causes prévues à l’article 425 du
Code civil, d’être protégée dans les actes de la vie
civile peut en faire la déclaration au procureur
de la République du lieu de traitement ». Si cette
déclaration est accompagnée de l’avis conforme
d’un psychiatre, elle a pour effet de placer le malade sous sauvegarde de justice.
La sauvegarde médicale peut s’ouvrir par simple déclaration au procureur de la République du médecin de l’établissement sanitaire ou médico-social où réside le patient.
confiée (art. 438 du CC) ; cette mission demeure
cependant floue dans les textes.
Si aucun mandataire n’est nommé, la « protection juridique temporaire » dont a besoin la personne restera donc virtuelle : elle permettra néanmoins d’agir par la suite, en engageant une action
en rescision pour lésion ou en réduction pour
excès, en opposant à d’éventuels créanciers ou
contractants le placement sous sauvegarde.
Actions en rescision et en réduction
La rescision pour lésion est, selon la définition
du Lexique des termes juridiques Dalloz, l’annulation, prononcée par le tribunal, d’un acte
lésionnaire, c’est-à-dire d’un acte qui a lésé la
personne ­protégée : signature d’un compromis,
d’un contrat, d’un crédit ; signature ou résiliation
d’un bail, etc.
Contrairement à l’action en nullité, qui n’efface
que l’acte, l’action en rescision annule l’acte et
N° 91 - Décembre 2012
tous ses effets : celui-ci est réputé n’avoir jamais
existé ; il s’agit là de la stricte application de l’article 414-1 du Code civil, selon lequel, « pour faire
un acte valable, il faut être sain d’esprit ».
Quant à la réduction pour excès, elle est définie
comme l’action de demander au tribunal de ramener à de justes limites un acte excessif par rapport à la fortune de l’intéressé.
L’action en nullité, en rescision ou en réduction,
s’éteint au bout de cinq ans (art. 1304 du CC).
Elle n’appartient qu’à la personne protégée (ou à
son mandataire, tuteur ou curateur) et, après sa
mort, à ses héritiers. Plusieurs conditions doivent
être respectées : l’acte doit porter en lui-même
la preuve d’un trouble mental ; il doit avoir été
réalisé alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ; une demande de tutelle ou
de curatelle doit avoir été introduite avant son
­décès, ou ­effet doit avoir été donné au mandat
de protection future (art. 414-2 du CC). L’ac-
COMMENTAIRE Il n’est pas nécessaire que le
psychiatre sollicité soit inscrit sur une liste ou
qu’il ait la qualité d’expert.
La sauvegarde médicale est si peu utilisée que
personne n’en comprend véritablement les subtilités ; de fait, plusieurs versions s’affrontent. A la
lecture de l’article L.3211-6 du Code de la santé
publique, il semble qu’une déclaration médicale
seule place la personne sous une mesure virtuelle,
contrairement à une déclaration accompagnée
de l’avis conforme d’un psychiatre, laquelle permet donc de contourner le certificat médical circonstancié devant être joint à la requête.
En pratique, la déclaration médicale est d’une
grande simplicité : « Je soussigné, docteur X. atteste que l’état de santé de M. Y., né à, le, domicilié à, nécessite son placement sous le régime de la sauvegarde à compter de ce jour. »
L’avis conforme du psychiatre se présente sous
la même forme : « Je soussigné, docteur Z., psychiatre, confirme la déclaration du docteur X.
concernant l’état de santé de M. Y., qui nécessite
son placement sous le régime de la sauvegarde à
compter de ce jour. »
>>
LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL -
37
Juridique
Analyse
>> Dans le strict respect du secret professionnel et
de la vie privée du patient, ces deux documents
sont ensuite envoyés conjointement en recommandé avec accusé de réception au procureur
de la République « du lieu de traitement ». Celui-ci, le cas échéant, en avise « le procureur de
la République du lieu de la résidence habituelle
du majeur protégé » (art. 1248 du Code de procédure civile, CPC).
Le procureur de la République qui reçoit la déclaration aux fins de sauvegarde la mentionne dans
un répertoire tenu à cet effet (art. 1251 du CPC).
Il y ajoutera celle relative à un éventuel renouvellement et la déclaration aux fins de faire cesser la
mesure. Ce répertoire n’est accessible qu’aux autorités judiciaires ; aux personnes qui ont qualité,
selon l’article 430 du Code civil, pour demander
l’ouverture d’une mesure de protection (conjoint,
concubin, parent ou allié, personne entretenant
avec le majeur des liens étroits et stables ou qui
exerce à son égard une mesure de protection juridique) ; aux avocats, notaires et huissiers de justice qui justifient de l’utilité de la déclaration dans
le cadre d’un acte relevant de l’exercice de leurs
fonctions (art. 1251-1 du CPC).
En établissement de santé
Lorsqu’une personne est soignée dans un établissement de santé, le médecin, s’il constate que l’état
du patient nécessite une mesure de protection,
« est tenu d’en faire la déclaration au procureur de
la République du lieu de traitement » (art. L.32116 du CSP). Le préfet est informé par le procureur
de la mise sous sauvegarde. Nul avis conforme
d’un psychiatre ne semble nécessaire quand la
personne est soignée dans un établissement de
santé au sens de l’article L.6111-1 du CSP, qui les
définit par leurs missions et ne vise pas seulement
les établissements de soins psychiatriques.
COMMENTAIRE Le médecin est « tenu » : il n’est
donc pas « obligé ». Le législateur a considéré qu’il s’agissait là d’un devoir, ce qui reste
38 - LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL
CONTOURNER LE CERTIFICAT MÉDICAL CIRCONSTANCIÉ ?
Que ce soit en raison de son montant (trop élevé pour qu’un assistant de service social puisse
l’avancer) ou parce que la personne refuse de rencontrer le médecin, le certificat médical
circonstancié peut constituer un obstacle. Pour le « contourner », deux solutions existent. La
première est le placement sous sauvegarde médicale, confirmé par l’avis conforme d’un psychiatre, assorti d’une demande de nomination d’un mandataire spécial – lequel pourra avoir
pour mission de solliciter la mise en place d’une tutelle ou d’une curatelle. En effet, le certificat médical circonstancié n’est alors pas nécessaire. En revanche, il peut être requis par le
procureur de la République ou ordonné par le juge des tutelles. Dans ce cas, il est pris en
charge « dans les conditions prévues au 3° de l’article R.93 du Code de procédure pénale »
(art. 1256 du Code de procédure civile, CPC). L’article en question dresse la liste des dépenses
assimilées aux frais de justice criminelle, dont « des procédures suivies en application de la
législation en matière de tutelle des mineurs, de tutelle et curatelle des majeurs et de sauvegarde de justice » ; ce que confirme l’article R.224-2 du CPP. Le recouvrement de ces dépenses sera éventuellement effectué « selon les procédures et sous les garanties prévues
en matière d’amende pénale » (art. 1256 du CPC). Il est donc possible d’adresser au procureur
de la République une requête à la fin d’ouvrir une mesure de protection, en argumentant
l’absence de certificat (impossibilité de le faire payer par la personne ou par sa famille).
éminemment subjectif. Nulle sanction n’est
d’ailleurs prévue en cas de manquement.
La sauvegarde médicale est prise pour une durée d’un an maximum, renouvelable une fois.
Toutefois, les modalités de ce renouvellement ne
sont pas précisées. En outre, la jurisprudence en
la matière est inexistante.
Faut-il procéder par voie judiciaire, sur présentation d’un certificat médical circonstancié ? par
l’envoi d’un second certificat ? Quel délai de carence doit-on laisser courir entre la fin d’une première sauvegarde et le début d’une seconde, s’il
s’avère que le patient a, plus tard, de nouveau
­besoin d’être protégé ? De toute évidence, en établissement de santé, le médecin peut placer la personne sous sauvegarde à chaque admission.
La mesure prend fin par une nouvelle déclaration du médecin au procureur de la République
attestant que la situation qui avait justifié la déclaration de sauvegarde a cessé, ou par l’ouverture d’une mesure de tutelle ou de curatelle, le
jour où celle-ci prend effet.
En définitive, la sauvegarde médicale ne semble
présenter que des avantages. Elle ne prive la personne protégée d’aucun droit et n’est en rien liberticide. Elle permet d’agir a ­posteriori pour
annuler un acte contraire à ses intérêts ; elle est
gratuite, et l’intéressé n’a pas à l’accepter, ou à se
soumettre à une quelconque expertise. La mesure est mise en place immédiatement et facilite
le travail de ceux qui tentent de gérer, voire de
résoudre, les difficultés sociales, économiques et
financières du majeur vulnérable.
REPÈRES
w L
oi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme
de la protection juridique des majeurs.
w Code civil : art. 414-2, 425, 430, 432 à 439, 442,
457-1 à 463, 510, 1304.
w Code de la santé publique : art. L.3211-6, L.6111-1.
w Code de procédure civile : art. 1248 à 1251-1, 1256.
w Code de procédure pénale : art. R224-2, art. R.93.
N° 91 - Décembre 2012
Téléchargement