Bhdg – 2, 2012 ISSN 2034-7189
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Assurément, cette propension originaire constitue et déploie la
philosophie en tant que vérité. Depuis Platon, peut-être même depuis
Parménide, la philosophie s’est reconnue dans l’exercice tendu vers la
compréhension de l’être en tant que vérité. C’est cependant Aristote 1 qui
donnera à cette visée sa formulation la plus décisive en la déterminant dans
l’horizon ultime d’un questionnement dont la tâche sera de penser l’essence de
ce qui est. Cet horizon fera de la « métaphysique » une science distincte et
différente de toutes les autres sciences. Car celles-ci ne conçoivent toujours
qu’une région particulière au sein de la totalité de l’étant. Elles réfléchissent
toujours l’« objet » en ce que celui-ci appartient déjà à l’horizon de l’étantité
déterminable. Mais la « science de l’être en tant qu’être » ouvre à cela même qui
ne saurait se réduire à la détermination. Elle ouvre donc à ce qui transcende
toute détermination et dépasse toute généralité générique. Car l’être ne saurait
se réduire à l’horizon capable de le comprendre en tant qu’« objet »
préalablement déterminé. En ce sens, l’être est le transcendantal inobjectivable,
indéterminé et indéterminable. Or c’est ici que s’élabore, proprement dit, le
problème de la métaphysique : est-il possible de circonscrire ce transcendantal
en une science qui, par définition, doit et se doit de n’être concentrée que sur
« un genre déterminé »2 ?
En vérité, cette question ne peut que se résoudre, se délier et se relever
par une subrogation. La modalité propre de substitution, Aristote l’engagera
dans la Métaphysique où seront d’abord déterminées les différentes acceptions
du sens de l’être et où, par conséquent, s’établira la quadruple définition de
l’être : l’être en tant qu’accident ; l’être comme vrai ; l’être selon les catégories ;
l’être en tant que potentialité et activité. Or, et Aristote le précise dans le Livre
Θ de la Métaphysique, de tous les sens fondamentaux de l’être, « l’être au sens le
plus magistral revient à l’être vrai ou faux »3. C’est dire – et telle sera la thèse
capitale de tout l’édifice ontologique aristotélicien : le sens de l’être s’exprime
en tant qu’il appartient véridiquement à l’étant lui-même, alors que celui qui se
trouve dans le faux ne fait que contredire l’étant en son être. Ainsi, la question
visant le sens de l’être est restreinte, voire réduite, à la possibilité de penser le
1 Sur le rapport entre « ontologie » et « vérité » chez Aristote, renvoyons aux textes
suivants de Martin Heidegger : Die Grundbegriffe der antiken Philosophie, GA 22, pp. 149 sq.,
ainsi qu’à Aristoteles, Metaphysik Θ 1-3. Von Wesen und Wirklichkeit der Kraft, GA 33, pp. 11 sq.
Cf. aussi l’excellente et désormais classique étude de Pierre Aubenque, Le problème de l’être
chez Aristote, Paris, PUF, 1962.
2 Aristote, Métaphysique, Livre Υ, 2, 1003 b 19-20.
3 Aristote, Métaphysique, Livre Θ, 10. Cf. Martin Heidegger, Aristoteles, Metaphysik, Θ 1-3.
Von Wesen und Wirklichkeit der Kraft, GA 33.