Le médecin auxiliaire de la justice - Conseil National de l`Ordre des

Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins
février 2001
Dr. Jean POUILLARD
LE MEDECIN AUXILIAIRE DE LA JUSTICE
RESUME
En dehors de son activité de soins et des conditions d’exercice de l’expertise médicale, le
médecin peut être mandaté par une autorité judiciaire ou administrative dans le cadre
d’une mission de service public dans diverses circonstances :
La réquisition qu’il s’agisse d’un constat nominatif ou descriptif, d’un état pathologique,
ou d’une investigation corporelle interne, est destinée soit à :
- la garde à vue dont l’objet est d’attester que l’état de santé d’un prévenu est
compatible avec la détention provisoire,
- un état d’ivresse ou d’alcoolisme,
- la recherche au dépistage et au transport des stupéfiants “ in corpore ”.
La situation du mineur délinquant justifiant d’une enquête médico-psychologique,
neuropsychiatrique pour le placement éventuel en centre d’accueil ou d’orientation.
Les infractions sexuelles sur mineur lors des auditions ou confrontations en présence
d’un médecin pédopsychiatre.
Les décisions concernant l’autorité parentale (enquête sociale par un médecin
psychiatre).
L’identification génétique à des fins judiciaires (enquête et procédure judiciaire lors de
l’établissement ou la constatation d’un lien de filiation).
L’autopsie dans le cadre des dispositions prévues par la loi civile ou pénale.
Doivent être respectées les dispositions des articles du code de déontologie médicale
qui justifient le consentement de l’intéressé, la confidentialité des données médicales
comme l’intimité de toute personne avec le souci de préserver tout ce qui pourrait porter
atteinte à l’intégrité physique, mentale et à la dignité de tout individu.
Le médecin auxiliaire de justice est un médecin mandaté, en dehors d’une activité de
soins, à la demande d’une autorité judiciaire et avec une mission précise, définie par une
commission rogatoire, une réquisition ou un mandat, en vue - tant au pénal qu’au civil -
d’une action de justice et seulement dans ce cas : c’est une mission de service public,
article L. 4124-2 (ancien article L. 418) du code de la santé publique, engageant la
responsabilité civile professionnelle du médecin.
Ne seront pas traitées dans cet exposé les conditions d’exercice d’expertise médicale qui
ont fait l’objet d’une précédente communication : Cf. “Secret médical et assurance“
Dr Saury, session du Conseil national, avril 2000.
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LA REQUISITION
Il s’agit d’une injonction faite à un médecin par une autorité judiciaire ou administrative
d’avoir à exécuter une mission d’ordre médico-légal à laquelle le médecin est tenu de
déférer : article R.642-1 du code pénal. De plus, l’article L. 4163-7 du code de la santé
publique (anciens articles L.367 et L.379) stipule : “ Est puni de 25 000 F d'amende le
fait : ……pour un médecin, de ne pas déférer aux réquisitions de l'autorité publique. ” (le
décret du 20 juin 1961 autorise la réquisition des internes des hôpitaux)
Tout défaut de réponse à une réquisition des autorités judiciaires ou administratives
est considéré comme un délit passible du tribunal correctionnel, sauf “ motif légitime “ :
si la réquisition concerne :
1. un parent proche ou allié ou vivant en communauté de vie et d’intimité (concubinage,
PACS) ;
2. un collaborateur professionnel ;
3. un médecin ayant soigné ou soignant le patient concerné, sauf si le seul médecin
disponible est le médecin local ;
pour inaptitude physique (maladie, invalidité) à condition que cette inaptitude soit justifiée
et constatée, l’autorité requérante devant en être avertie le plus rapidement possible ;
en cas de force majeure ;
pour clause de conscience du médecin requis si les constatations ne sont pas de sa
compétence. Il doit en alors en avertir l’autorité requérante.
Enfin, le médecin peut se récuser s’il estime que les conditions de lieux et d’examen sont
de nature à compromettre la qualité de ses actes et à nuire à la confidentialité et à l’intimité
indispensables à cette consultation (code de déontologie, article 71).
La réquisition ne doit pas être un moyen pour obtenir le témoignage du médecin
traitant sur des faits connus dans son exercice habituel ordinaire. Si l’autorité
requérante intime au médecin l’ordre d’effectuer la mission de réquisition le médecin
requis doit s’y soumettre mais il est nécessaire de rappeler que cette réquisition ne peut
en aucun cas délier le médecin du secret professionnel : il est alors indispensable qu’il
soit fait mention sur le certificat que sa mission ne saurait être pour autant une
dérogation à l’article 4 du code de déontologie médicale concernant le secret
professionnel.
Qui peut diligenter la réquisition d’un médecin ?
le Procureur de la République ou son substitut
un officier de police judiciaire (police nationale, gendarmerie)
l’autorité administrative (officier d’état civil, préfet, sous préfet, maire)
Conditions de la réquisition
Toute réquisition doit être signifiée par écrit et signée sous forme d’injonction (en cas
d’urgence, la réquisition peut être signifiée verbalement pour être exécutoire
immédiatement, mais doit dans ce cas être confirmée par une réquisition écrite) et
comporter une mission précise dans les termes suivants :
“agissant en cas de flagrant délit et conformément à l’article 60 du code de procédure
pénale, vu l’article L. 4163-7 (anciens articles L.367 et L.379) du code de la santé
publique, requérons Mr...Docteur en médecine à...de nous accompagner à... pour,
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serment préalablement prêté entre nos mains à l’effet de procéder aux actes ci-après
Mr... nous donnera son avis en son honneur et conscience, en tête de son rapport “.
Le requérant doit alors faire connaître expressément son identité et les fonctions
exercées dans le cadre de sa mission. Le médecin requis doit se présenter comme tel à
la personne qu’il doit examiner, l’informer explicitement de sa mission, en lui manifestant
le plus grand respect en particulier du fait de la situation la privant de ses droits
(détention, garde à vue, incarcération). La sauvegarde du secret professionnel impose
que l’officier de police judiciaire n’assiste pas à l’examen sauf en cas d’insécurité.
Déontologie de la réquisition
La réquisition peut être rapprochée d’une mission de contrôle ou d’expertise ; et de ce
fait tout praticien requis a le devoir de respecter les dispositions du code de déontologie
:
article 101 : lorsqu’il est investi de sa mission, le médecin de contrôle doit se récuser s’il
estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement
médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir
aux dispositions du présent code.
article 102 : le médecin de contrôle doit informer la personne qu’il va examiner de sa
mission et du cadre juridique où elle s’exerce et s’y limiter. Il doit être très circonspect
dans ses propos et s’interdire toute révélation ou commentaire. Il doit être parfaitement
objectif dans ses conclusions.
article 105 : “ Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même
malade.
Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses
propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou
d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services.
article 106 : Lorsqu’il est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser s’il
estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement
médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir
aux dispositions du présent code.
article 107 : Le médecin expert doit, avant d’entreprendre toute opération d’expertise,
informer la personne qu’il doit examiner de sa mission et du cadre juridique dans lequel
son avis est demandé.
article 108 : “ Dans la rédaction de son rapport, le médecin expert ne doit révéler que les
éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées. Hors de ces limites, il
doit taire tout ce qu’il a pu connaître à l’occasion de cette expertise.
Il doit attester qu’il a accompli personnellement sa mission
Ces dispositions sont de nature à préserver l’indépendance des décisions du médecin
requis, à respecter toute impartialité et équité, défendant contre toute fraude et tout abus
les intérêts légitimes de l’organisme mandataire. A l’égard des patients, le médecin
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requis s’interdira toute investigation à risque et prudent dans ses propos, il se gardera
consciencieusement de toute révélation traumatisante.
Le médecin doit faire part à l’intéressé de sa mission dans son cadre légal (ordre de
réquisition), demander au besoin un interprète s’il s’agit d’un étranger, recueillir le
consentement du sujet, s’abstenir de toute attitude discriminatoire (code de déontologie
médicale, article 7).
Missions de la réquisition
Elles peuvent concerner :
la recherche d’une information de nature médicale ou à caractère médico-administratif ;
un constat nominatif ou descriptif : coups et blessures volontaires ou involontaires,
attentat aux mœurs, violences, sévices, agressions, décès suspect, découverte de
cadavre,
un état pathologique : examen médico-psychologique et psychiatrique susceptible
d’informer l’autorité judiciaire sur la personnalité d’un prévenu, examen médical d’un
sujet suspect d’ébriété, notamment en cas d’accident sur la voie publique, justifiant une
recherche du taux d’alcoolémie, examen d’un sujet en état d’intoxication, toxicomanie
notamment,
une investigation corporelle interne, lors de la garde à vue (article 63-5 du code de
procédure pénale) ou la recherche de stupéfiants “in corpore“.
Ces examens doivent être pratiqués prioritairement le plus rapidement, si possible dans
une unité médico-judiciaire où le personnel médical est habilité dans les limites de
l’article L.4111-1 (ancien article L. 356) du code de la santé publique et les locaux étant
spécialement conçus pour ces examens.
Rapport de réquisition
il doit se borner strictement à répondre aux seules questions posées, conditions
indispensables pour respecter l’objet de la mission. La conclusion ne peut être que
réservée et prudente, sans hésiter de la part du médecin requis à signaler avec le
maximum de rigueur l’absence de réponse à des questions dépassant sa compétence ;
le médecin requis se limitera aux faits constatés, non sans prudence et objectivité, sans
la moindre critique ni interprétation hasardeuse ni la moindre opinion personnelle.
Ce rapport, rédigé et signé par le médecin requis, qui en gardera un exemplaire, doit être
remis à l’autorité judiciaire requérante en double exemplaire avec mémoire d’honoraires,
conformément à la législation en vigueur.
Circonstances des réquisitions
1. garde à vue (article 63-3 du code de procédure pénale) : c’est une mesure qui permet à
un officier de police judiciaire de retenir dans les locaux de la police ou de la
gendarmerie un individu aux fins de faciliter les investigations nécessaires à une
enquête ; il faut avoir constamment à l’esprit qu’il s’agit d’une procédure judiciaire dans
des conditions de privation de liberté, particulièrement traumatisantes pour tout individu.
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Toute personne gardée à vue peut à sa demande être examinée par un médecin et
réexaminée une seconde fois au bout de 24 heures, l’examen médical prévu par le code
de procédure pénale a pour objet d’attester des conditions physiques et psychiques du
gardé à vue et d’attester que son état de santé est compatible ou non avec son maintien
dans les locaux de détention provisoire et de prévenir toutes violences durant cette
période de garde à vue. A tout moment, le procureur de la République ou l’officier de
police judiciaire peut d’office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à
vue, à plus forte raison si un membre de la famille le demande.
La garde à vue est prévue pour une durée de 24 h qui peut être prolongée de 24 h sur
autorisation du Procureur de la République. Dans le cadre d’actes de terrorisme (article
706- 24 du code de procédure pénale) une prolongation de garde à vue de 48 heures est
possible et comporte un examen médical de droit. En cas d’infractions en matière de
stupéfiants (article 706- 29 du code procédure pénale) dès la garde à vue, un médecin
expert est désigné pour pratiquer un examen médical toutes les 24 heures et délivrer un
certificat médical motivé qui est versé au dossier. Des examens médicaux peuvent être
demandés de droit, ils sont mentionnés au procès verbal et émargés par la personne
intéressée. En cas de refus il en est fait mention au procès verbal.
Il ne faut surtout pas méconnaître les conditions très particulières de cette mission
médico-légale que représente l’examen médical en garde à vue : elle s’effectue dans des
conditions matérielles, parfois urgentes, et surtout psychologiquement difficiles, le gardé
à vue se présentant souvent choqué, angoissé, mutique ou au contraire revendicatif,
agressif, voire assez violent. Ces examens doivent être pratiqués dans des conditions
assurant la confidentialité indispensable à tout examen médical (Cf. plus haut).
L’examen médical, précédé d’un entretien, est souvent délicat, devant faire la part
médicalement objective des “allégations” invoquées, notamment devant des lésions
traumatiques dont l’origine doit être recherchée. Mais surtout la prudence et la méfiance
doivent concerner toute pathologie préexistante rapportée par le sujet gardé à vue
susceptible d’une décompensation parfois brutale, imprévisible, principalement lorsqu’il
s’agit d’asthme notamment, de diabète, d’H.T.A., de coronaropathie, d’antécédents
psychiatriques avec sidération anxieuse liée à l’attente d’une décision et risque possible
de “passage à l’acte ” ou de manifestations d’auto-agressivité ou de simulation à
démasquer. Une surveillance soigneuse s’impose et la continuité des traitements en
cours doit être poursuivie dès la mise en garde à vue, en attendant la décision judiciaire.
Chez le toxicomane, le “manque” est un motif important d’examen médical pour éviter à
court terme des accidents de sevrage.
Enfin, l’existence parfois insoupçonnée d’atteinte intracrânienne doit être
systématiquement recherchée, particulièrement chez les sujets en état d’ébriété ou
susceptibles d’être atteints d’un traumatisme crânien ou de toute trace de “ violence“
Un certificat médical est versé au dossier, précisant l’existence ou non de contre-
indication médicale à la prolongation de la garde à vue (avec éventuellement un
traitement ambulatoire pour une affection bénigne ne risquant pas de mettre en péril la
vie de l’individu), sans précision d’ordre diagnostique consignant la nécessité de
soins immédiats. Il appartient à l’autorité requérante de poursuivre la garde à vue en
milieu hospitalier, sous surveillance de l’administration judiciaire et pénitentiaire, la
priorité étant toujours donnée à l’état de santé du prévenu.
Rappelons que la rédaction du certificat, remis aux autorités de justice et dont il est
prudent de garder un double, engage pleinement la responsabilité de tout médecin quel
que soit son statut, libéral ou hospitalier.
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