Journal Identification = JPC Article Identification = 0279 Date: June 23, 2014 Time: 3:25 pm
84 J Pharm Clin, vol. 33 n◦2, juin 2014
F. Veron
L’enjeu de la mise en place des entretiens AVK à
l’officine représente un changement complet de
paradigme dans la relation avec le «malade »;
en effet, dès les premières prises de rendez-vous puis le
déroulé de l’entretien proprement dit, se tisse une relation
de traitant à patient et efface partiellement la relation de
commerc¸ant de détail à client.
Dans la majorité des cas, les patients attendent que
les traitants prennent le temps de leur expliquer leur
traitement, ce qu’ils vont avaler/injecter, pour quels
bénéfices et avec quels risques, qu’ils prennent le temps
d’échanger, d’obtenir des réponses à leurs questions
simples ou complexes ; en définitive, ils attendent d’être
traités comme des personnes intelligentes, capables
d’autonomie, de prise en charge personnelle ; a contra-
rio, le temps manque à la majorité des traitants avec le
risque d’entretenir le comportement passif voire d’assisté
du malade.
A donc germé dans l’esprit des instances de santé
d’utiliser les compétences d’un spécialiste du médica-
ment, d’un professionnel de santé qui puisse se rendre
disponible sous la forme d’un entretien préliminaire dans
un espace de confidentialité (une salle d’orthopédie par
exemple, ou chez le patient quand cela est nécessaire)
sur une durée de 40 min aux heures qui conviennent aux
deux parties (heures de fermeture : entre 12h et 14h30, de
7h30 à 8h30) avec, si nécessaire la personne proche qui
gère les médicaments du patient (le conjoint, le parent).
Un deuxième entretien de 20 min est programmé 2 mois
après afin d’avoir du recul sur les améliorations apportées
ou celles qui restent à mettre en place. Bien entendu, le
patient est libre de répondre favorablement à cette invita-
tion du pharmacien ou de sa caisse d’assurance-maladie
et d’en sortir dès qu’il le décide.
À la pharmacie du Rouret, les premiers rendez-vous
ont démarré début juillet après la publication du texte
officialisant cet accompagnement.
La phase initiale de l’entretien n◦1 démarre par le
remplissage du formulaire d’adhésion par le patient et le
traitant, ainsi que la demande d’autorisation d’informer
leur médecin traitant ou celui qui les suit.
Après examen des documents institutionnels propo-
sés, il s’est avéré que ces outils ne convenaient pas à
l’approche du patient sous l’angle de l’éducation théra-
peutique avec ses valeurs (empathie, sans juger, ludique,
en utilisant des questions ouvertes, en rebondissant
sur les questions, en respectant les silences) créatrices
d’alliance thérapeutique, et par rebond, créatrices d’une
bien meilleure observance. Au vu des enquêtes sur
l’observance des patients dans les maladies silencieuses
chroniques telles que le diabète, l’hypertension, les mala-
dies cardiovasculaires en général, celle-ci baisse fortement
au bout de quelques mois du fait de nombreux facteurs
personnels (lassitude, perte de motivation, perte de sens),
contextuels (crise de confiance dans les traitants, dans les
médicaments, scandales multiples et variés, difficulté à
trouver des informations sérieuses, fiables, dénigrements
et désinformations virales sur la toile d’araignée qu’est
le réseau mondial d’internet) et inhérents à ces patholo-
gies silencieuses uniquement motivées par des données
biologiques et peu de symptômes ressentis au long cours.
Les enquêtes de confiance démontrent année après
année que le pharmacien a un capital de confiance
important au regard du public, malgré les attaques régu-
lières sur son savoir-faire et son utilité de santé publique.
Cette confiance appelle donc à une obligation de compé-
tence, de respect et de rigueur à la hauteur de ces attentes
fortes ; l’occasion (la première depuis plus de vingt ans ?)
nous est donnée de prouver que nos années d’étude en
pharmacologie, chimie et autre pharmacocinétique sont
plus utiles au patient que nos modules d’économie sur le
calcul de la marge, du prix de vente par rapport au prix
d’achat et de la gestion de trésorerie.
En m’inspirant des outils développés en service de
pharmacie et néphrologie de l’hôpital Broussailles à
Cannes (06), j’ai choisi de mettre en place pour l’entretien
individuel en première phase un questionnaire vrai-faux
sur des assertions simples sur les 4 thèmes : les AVK,
l’INR, les interactions médicamenteuses et alimentaires,
l’hospitalisation.
En pratique, étant donné que cela crée un climat
convivial, le patient est libre d’intervenir, de poser les
bonnes questions, et de se servir du questionnaire comme
outil pour rebondir sur toutes les questions qu’il se pose
sans oser les poser. Cela permet de porter l’accent sur les
thèmes qui ressortent comme prioritaires.
En compagnie du patient, on s’aperc¸oit que pour le
patient A, nous allons préciser le risque hémorragique de
l’AVK car il a souvent des pétéchies, des bleus inexpliqués
(tableau 1).
Pour le patient B qui a perdu une grande partie de son
acuité visuelle il y a deux ans, on réalise que la simple
opération laser de la cataracte nécessitait vraisemblable-
ment un arrêt des AVK avec switch sur HBPM afin de
réduire le risque d’hémorragie oculaire, ayant entraîné
cette cécité partielle vraisemblablement, à l’instar de ce
que faisait son dentiste systématiquement. Cela peut arri-
ver à chacun de nos patients et un averti en vaut deux.
Pour le patient C, à qui on avait prescrit et dispensé
un nouvel antidépresseur inhibiteur de la recapture de
la sérotonine il y a deux mois et qui avait constaté une
remontée de l’INR au-dessus de la marge thérapeutique
sans faire le lien de cause à effet entre les deux.
Pour le patient D dont l’activité principale et le plai-
sir sont de s’occuper de son potager, gros consommateur
de tomates, accompagnées de laitue, de concombres et
d’huile d’olive depuis 2 mois a constaté la baisse de son
INR en dessous de la marge de sécurité et s’est inquiété
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