Note sur l’italien loro: vraiment un clitique?1 Ma queste, lo veggo, son precauzioni simili a quelle di certi vostri politicanti, buone finch’altre ragioni piú intime gli dieno (dovrei dire dien loro, ma mi par tanto letterario quel loro!) gli dieno virtú; vane poi. (Tommaseo N., Fede e bellezza, p. 142) 0. Introduction Les lignes qui suivent n’entendent pas proposer un examen exhaustif du fonctionnement syntaxique et prosodique de la forme loro, ne serait-ce que parce que l’extrême polyvalence et la polyfonctionnalité de cette dernière exigeraient une analyse approfondie dont ces réflexions ne sauraient tenir lieu (pour une analyse détaillée, cf. notamment Cardinaletti 1991, 1998, 1999, Monachesi 1995, 1996 et 1998 et Loporcaro 2002). L’unique objet de cette note est de soumettre à examen le statut de clitique assigné ici ou là à cette forme. Il va de soi qu’un argument ou un critère seul suffisent rarement à emporter la conviction. On essaiera donc de montrer ici, sur la base d’un faisceau convergent de paramètres syntaxiques et phonologiques, que le statut de clitique ne peut en aucun cas être retenu comme définitoire de loro, quelles que soient par ailleurs les fonctions assumées par cette dernière. 1. Le statut de loro Loporcaro 2002:50 distingue en gros trois valeurs différentes de la forme loro: la valeur de pronom/adjectif possessif de troisième personne du pluriel, la valeur de pronom personnel de troisième personne du pluriel en fonction soit de sujet, soit d’objet (direct/indirect); et enfin la valeur de clitique (3e pers. pl.). Chacune de ces valeurs est illustrée par les exemples suivants: [1] a. pronom / adjectif possessif (3e pers. pl.): ex. casa loro (chez eux), il loro libro (leur livre) b. pronom personnel (3e pers. pl.) tonique: b⬘. objet/oblique: ex. ho visto proprio loro (c’est bien eux que j’ai vu) parlo a / di / con loro (je parle à eux / je parle d’eux / je parle avec eux) 1 Une partie des idées exposées dans cet article ont fait l’objet d’une présentation orale aux Journées de Syntaxe organisées par l’ERSS (10-11 octobre 2002, Toulouse). Je tiens à remercier pour leurs commentaires et observations Injoo Choi-Jonin, Rita Franceschini, Philip Miller, Lucia Molinu, Fabio Montermini, Katrin Mutz et tout particulièrement Anna Cardinaletti pour avoir longuement discuté avec moi les idées exposées dans cet article. Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 29 b⬙. sujet: ex. vengono loro (c’est eux qui viennent) c. clitique OI (3e pers. pl.): ex. chiedo loro (je leur demande) Le problème réside ici pour l’essentiel dans la caractérisation de loro comme clitique, et dans l’interprétation des arguments syntaxiques susceptibles de confirmer/ invalider cette caractérisation. Loporcaro 2002:51 écrit à ce titre: Dal punto di vista sintattico, esso (i. e. loro) ricorre nell’italiano odierno in posizione postverbale nei tempi e modi in cui i restanti clitici figurano in proclisi (darò loro ascolto di contro a ti/gli/vi darò ascolto); dal punto di vista prosodico esso è l’unico clitico bisillabo e dunque dotato di accento autonomo e non costretto – per ragioni fonologiche – a dipendere dall’accento del verbo. Le statut de clitique qui serait celui de loro trouverait d’ailleurs confirmation dans des exemples tels que *Ho parlato loro ed a tuo zio, où le test de la coordination produirait un énoncé inacceptable. De la même manière, loro serait inapte à figurer seul en réponse à une question (cf. Cardinaletti 1991:135)2: [2] A chi l’hai detto? *Loro De notre point de vue cependant, l’inacceptabilité apparente du premier de ces exemples – mais aussi du second – résulte simplement de l’absence de la préposition a devant loro et de sa présence devant tuo zio. Au demeurant, le test de la coordination tendrait à montrer au contraire que loro peut tout à fait être joncté avec un autre ‘pronom’: dans les exemples 3a-b ci-dessous, loro et noi remplissent tous deux la fonction de deuxième actant – il s’agit là d’exemples somme toute assez banals de ce que Tesnière 1988:325 désigne comme dédoublement actanciel3: 2 Notons que si loro n’est pas acceptable comme réponse à la question A chi l’hai detto? – ce qui néanmoins mériterait d’être vérifié sur de grands corpus – une forme telle que eux en français ne l’est pas davantage: – A qui est-ce que tu l’as dit? – ?? Eux. Pour autant, le morphème eux n’en a pas moins la distribution et les propriétés d’un ‘substantif personnel’ et non celles d’un clitique. 3 Lorsqu’elles passent le test de la coordination, les formes auxquelles il est possible de reconnaître le statut de clitiques s’avèrent cependant soumises à des contraintes beaucoup plus fortes qui limitent leur distribution. Si l’on prend en considération des exemples tels que ceux analysés par Benincà/Cinque 1993 – Je lui et vous ferais un plaisir (= 18a in Benincà/Cinque 1993) – force est de reconnaître que la coordination des clitiques produit des énoncés qui, s’ils ne sont pas complètement inacceptables, requièrent néanmoins des conditions discursives particulières. En l’occurrence, un exemple tel que celui-ci ne semble être acceptable qu’à condition d’assigner un focus contrastif à l’un des clitiques, le contraste impliquant ici la mention d’un contenu construit préalablement par le co-énonciateur. 30 Franck Floricic [3] a. Siamo arrivati a una soluzione che ha accontentato loro e noi e che ha funzionato benissimo b. Lasciare questi luoghi costringerebbe loro e noi a sradicarsi dall’ambiente naturale ed umano che abbiamo contribuito a costruire. À vrai dire, les contraintes qui pèsent sur un énoncé tel que *Ho parlato loro ed a tuo zio sont de même nature que celles qui interdisent *Ho parlato Marco ed a tuo zio4. Loporcaro 2002:52 N7 reconnaît d’ailleurs lui-même: Le due proposizioni diventano accettabili sostituendo un sintagma preposizionale che contenga l’omofono pronome tonico: Ho parlato a loro ed a tuo zio. – A chi l’hai dato? – A loro. Il résulte donc de l’analyse de Loporcaro qu’il y aurait en réalité «deux» loro homophones, ou plutôt que loro aurait deux statuts clairement distincts: un statut de clitique et un statut de pronom à proprement parler ou, pour reprendre les termes de Monachesi 1998, le statut d’une unité ayant un Word-like behaviour. On notera que Monachesi distingue elle aussi le comportement de loro de celui des véritables ‘full NP’, car à l’inverse de ces derniers, loro serait requis dans la sphère du verbe exactement comme les autres clitiques (cf. aussi Cardinaletti 1991:128). Elle observe en effet: Dative loro like monosyllabic clitics cannot occur in the position of the corresponding full complements. In particular, loro doesn’t occupy the canonical position for indirect objects, as the following ungrammatical example shows: 4 Si dans ce type de contexte la coordination de loro est généralement présentée comme impossible, il n’en demeure pas moins qu’elle est assez largement attestée, comme le montrent les exemples suivants que nous avons recueillis en parcourant la ‘toile’: a. Dobbiamo però saper dare loro, e a tutti gli altri, strumenti, proposte, occasioni politiche: questa sarà una chiara cartina di tornasole con la quale giudicare il Congresso. b. Verso le 13.00, quasi un classico per una rapina, la centrale comunicava loro e ad un’altra delle due autoradio di turno di portarsi con massima urgenza al Credito Italiano di Corso Italia. c. Fu progettata una casa per un centinaio di ragazzi e una scuola professionale per dar loro e ad altri giovani delle parrocchie d’Iringa la possibilità di un futuro migliore. d. Suo scopo è di fornire informazioni rotariane, motivazioni ed incoraggiamenti ai governatori-eletti, dando loro e ad altri partecipanti la possibilità di discutere assieme su come mettere in atto i programmi e le attività del Rotary durante l’anno susseguente. e. Molti si rendono conto dell’effettivo valore del casco solo quando un serio incidente capita loro o a qualcuno strettamente vicino. f. Andò a Sichem dai fratelli di sua madre e disse loro e a tutta la parentela di sua madre: «Dite agli orecchi di tutti i signori di Sichem: È meglio per voi che vi governino settanta uomini, tutti i figli di Ierub-Baal, o che vi governi un solo uomo?» g. Qualche anno fa i giovani della nostra parrocchia sono stati in pellegrinaggio in Terra Santa. Ricordare loro, ma anche a chi non c’è stato, il momento della chiamata di Pietro, sulle rive del mare di Galilea diventa molto bello e significativo. Il est vrai néanmoins que dans certains des exemples ci-dessus, la relation entre les deux éléments jonctés s’apparente davantage à une apposition qu’à une véritable coordination, ce que marque la pause juste après le groupe formé par le verbe et le pronom loro. (Cardinaletti, communication personnelle). Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 31 (48) *Martina spedisce la lettera loro Martina sends the letter to them ‘Martina sends them the letter’ In fact loro, like monosyllabic clitics, must be adjacent to the verb: (49) Martina spedisce loro la lettera Martina sends to them the letter ‘Martina sends them the letter’. Or là aussi, il apparaît que c’est l’absence de la préposition devant son régime qui rend compte de l’impossibilité d’assigner au morphème loro la fonction d’objet indirect en (48)5. Et à l’instar de ce que nous avons observé plus haut, la substitution de loro par un nom propre de personne produirait la même agrammaticalité: [4] *Martina spedisce la lettera Marco De toute évidence, l’inacceptabilité de [4] ne saurait être imputée au fait que Marco aurait le statut de clitique, mais dérive simplement de l’absence de la préposition devant le tiers actant. Monachesi signale toutefois des exemples où apparemment le morphème loro semble bien afficher la même distribution que les autres clitiques: [5] a. La libertà di fantasia che loro appartiene (= [51a] in Monachesi 1998) En [5a] en effet, loro occupe une position identique à celle qu’occuperait le clitique gli (cf. La libertà di fantasia che gli appartiene). Néanmoins, dans ce cas aussi, il est très vraisemblable qu’il faille supposer à un niveau ou à un autre la présence de la préposition a (cf. La libertà di fantasia che a loro appartiene). Du reste, c’est ce que confirme l’exemple suivant, où loro précède le participe alors que les clitiques seraient dans cette position totalement exclus: [5] b. Innovazioni realizzate dagli imprenditori con il potere d’acquisto loro fornito (= [51b] in Monachesi 1998) L’hypothèse de la silent preposition peut à dire vrai sembler couteuse; cependant, il est possible de montrer que le fonctionnement illustré ci-dessus ne présente rien d’exceptionnel et que le même fondement structural gouverne l’emploi de loro comme ‘possessif’. 5 L’exemple (48) serait cependant bien formé avec loro interprété comme déterminant de lettera. 32 Franck Floricic 2. Caractérisation syntaxique: l’hypothèse de la translation Il peut sembler a priori étrange que dans le système pronominal italien, la forme loro soit la seule susceptible d’assumer, outre sa fonction de pronom ‘sujet’, la fonction de déterminant ‘possessif’. Les exemples [6] illustrent cette particularité du morphème en question6: [6] a. b. c. d. e. f. Loro dicono la verità Questa informazione, me l’hanno comunicata loro Di solito i partecipanti al gruppo espongono i loro problemi personali Le parti intervengono, studiano, discutono e risolvono i problemi loro e dei figli I figli vollero liberare la madre loro, che era stata sempre prigioniera Tre ragazze raccontano come hanno visto la loro madre colpita a morte Remarquons en premier lieu qu’en [6a], loro peut assumer soit une valeur de focus contrastif (i. e. eux en tous cas, ou eux par opposition à ces autres), soit une valeur de thème (par exemple en réponse à une question telle que E loro secondo te, sono affidabili?); l’italien n’ayant pas de clitiques en fonction de sujet, c’est avec la désinence verbale que co-réfère le pronom loro dans la structure thématisée. L’exemple [6b] présente également une structure focale, mais il s’agit ici d’un focus de nature identificatoire, qui présuppose la construction de la classe des instanciables et l’identification/extraction de l’entité vérifiant la propriété exprimée par le prédicat7. L’italien illustre ici l’une des stratégies qu’offrent les langues de focaliser un élément – en l’occurrence l’ordre V-S (cf. Bossong 1980) – et la position post-verbale occupée par le morphème loro ne saurait être occupée par aucune des formes que l’on reconnaît habituellement comme des clitiques. En [6c-d] et [6e-f] respectivement, le morphème loro peut soit suivre, soit précéder le déterminé; sa fonction est ici de marquer que le référent doit être recherché dans une sphère qui exclut de facto la sphère personnelle du locuteur ainsi que celle de l’allocutaire. Il convient de souligner d’autre part que loro occupe en principe la position à gauche du déterminé, et que sa position à droite de ce dernier peut là aussi relever d’une stratégie de focalisation: c’est ce que montre d’une manière assez nette l’exemple [6d].Aussi apparaît-il clairement que du point de vue de la syntaxe, le «pronom personnel» loro que décrivent les grammaires constitue en réalité ce que Tesnière 1988:132 §10 désigne comme substantif personnel: il est en effet non seulement doté d’un accent propre, mais il est surtout susceptible d’apparaître dans toutes les positions où apparaissent les noms propres de personne (cf.aussi Creissels 1995:22s.);la même observation vaut pour les termes de la série io, tu, lui, lei, noi, voi qui ne sauraient en aucun cas être assimilés syntaxiquement aux clitiques objets mi, ti, lo, la, ci, vi, li, le 6 Ces exemples, comme la plupart de ceux qui suivront, ont été recueillis sur le net et ont été systématiquement soumis à des locuteurs natifs. 7 Ceci n’exclut pas, bien évidemment, que l’exemple [6a] ne puisse lui aussi, sous certaines conditions, présenter la même valeur identificatoire. Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 33 ou aux indices français je, tu, il, etc.8. D’ailleurs, ces derniers sont susceptibles de coréférer avec un nom ou un constituant nominal mentionné préalablement (cf. Il caffè, lo prendo senza zucchero; Moi, je . . .; Mon patron, il . . .), alors que les substantifs personnels de la série io, tu, lui, lei, noi, voi ne peuvent remplir cette fonction9 (cf. aussi Cardinaletti 1991:136-37). Les lignes suivantes extraites d’un roman de Cassola sont à cet égard intéressantes, car elles montrent précisément que la reprise du référent auquel renvoie le NP en fonction de thème pourrait ici difficilement être effectuée via le substantif personnel loro: [7] Succede sempre cosí: ai veri responsabili non gli succede nulla, e la pagano quelli che hanno meno colpa. (Cassola, La ragazza di Bube, parte IV, I, cité par Geninasca 1967). Ces précisions étant apportées, il est possible d’analyser d’une manière simple et économique les exemples [6c-f] en termes de translation, et plus précisément de translation sans marquant (cf. Tesnière 1988:380s.; cf. aussi Bally 1944:116s.); cette analyse rend compte en même temps de la présence de l’article défini devant le ‘possessif’, qui autrement est exclu au singulier devant les noms relevant de la parenté étroite (cf. mia sorella / ??la mia sorella)10: [8a][8a] [8b]b] problemi i la A Ø madre loro A Ø loro 8 Déjà Meillet 1995:80 observait à propos de la série des pronoms personnels français dits ‘conjoints’: Des mots accessoires aussi réduits et pour le sens et pour la forme que les pronoms français je, tu, il (dont la prononciation normale devant consonne est i quand on parle familièrement, et sans influence de l’orthographe) ne sont guère que des affixes; et s’ils n’étaient séparés du verbe en certains cas, ils seraient considérés comme de purs affixes. (cf. aussi Meillet 1921:69-70; Bally 1944:300-1) 9 La fonction et la distribution de lui dans Il medico, lui, pensa sia meglio aspettare che la situazione migliori ne sont absolument pas assimilables à celles de il dans Le médecin, il pense que c’est mieux d’attendre que la situation s’améliore. 10 On a constaté depuis longtemps que le terme de possessif était à maints égards inadéquat. Comme l’observait justement Brøndal 1948:123. Il est clair qu’un terme possessif comme mon exprime, dans n’importe quelle langue, un rapport ( r ) à un objet ( R ). Ce rapport peut être celui du possesseur à l’objet qu’il possède – et c’est à celui-ci que les grammairiens grecs se sont arbitrairement arrêtés lorsqu’ils ont donné leur nom à ces termes –; mais il peut aussi être un rapport très général d’appartenance ou connexion, il peut être subjectif, objectif ou prédicatif, lâche ou étroit, passager ou durable, etc. C’est en un mot un rapport dont la nature est aussi variable que celle des prépositions par exemple. Si ceci est exact, c’est alors par erreur que l’on a attribué au nom de possessif une valeur de définition et que l’on a cherché à faire dériver toutes les autres relations – qui de ce point de vue devaient paraître étonnantes – de la relation possessive au sens restreint. (cf. également Creissels 1979) 34 Franck Floricic Les représentations ci-dessus montrent qu’au sein des syntagmes nominaux I loro problemi et la loro madre, le morphème loro est translaté en adjectif, et que l’opération de translation s’effectue ici sans marquant. En d’autres termes, ces expressions impliquent de notre point de vue les schèmes suivants11: [8c] I problemi di loro I di loro problemi La madre di loro La di loro madre ⬎ ⬎ ⬎ ⬎ i problemi Ø loro I Ø loro problemi la madre Ø loro la Ø loro madre On ne verra ici rien de bien extraordinaire, à partir du moment où l’on reconnaît que les ‘adjectifs possessifs’ apparaissent comme des variantes combinatoires des ‘pronoms personnels’ (cf. Tesnière 1988:443 §8; Creissels 1995:93s.). C’est le même type de phénomène que l’on retrouve dans des syntagmes tels que Casa loro ou Colpa loro, où la détermination du substantif s’effectue via un «pronom personnel» translaté en adjectif (Togeby 1968:69-70). L’italien connaît du reste des tours tels que les suivants, qui confirment l’hypothèse de la translation avancée ici: [9] a. La di loro costruzione era di forma etrusca e l’avello era formato con sei tavole di pietra di tufo mirabilmente unite b. I membri d’ambedue i Consigli esercitano le di loro funzioni gratuitamente Au demeurant, il s’agit là d’un type d’opération syntaxique particulièrement courant qui implique des entités de nature variée: [10] a. Il piano Jospin è stato adottato alla maggioranza b. Mio padre guida veloce L’absence d’un marquant morphologique en [10a-b] n’enlève rien au fait que le nom propre Jospin et l’adjectif veloce sont transférés respectivement en adjectif et en adverbe. En revanche, le fait que le nom Jospin fasse l’objet d’une translation sans marquant induit bien un blocage dans les possibilités de coordination (cf. ??Il piano Jospin e del Governo è stato adottato alla maggioranza). Ce qui est fondamental ici, c’est le constat que l’on a affaire à une opération de nature syntaxique et que le statut prosodique des formes en question n’entre pas ici en ligne de compte: en d’autres termes, la possibilité de transférer le nom propre Jospin en adjectif n’est en rien liée et ne conditionne à son tour nullement le statut prosodique de ce dernier. Or, on peut faire l’hypothèse que c’est le même type de translation qui sous-tend le fonctionnement de loro dans les deux extraits suivants: 11 Précisons que nous nous situons ici au niveau de la syntaxe et dans une perspective essentiellement synchronique; les schèmes sus-mentionnés ne préjugent en rien de ce qu’il convient de reconnaître comme le cheminement diachronique exact suivi par loro. Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 35 [11] a. Quando fu a tavola con loro, prese il pane, disse la benedizione, lo spezzò e lo diede loro. Allora si aprirono loro gli occhi e lo riconobbero. b. Si apre loro la comprensione della Scrittura. À vrai dire, l’analyse de la dernière occurrence de loro en [11a] est loin d’être évidente; en effet, il est possible d’un côté d’analyser ici loro comme étant translaté (sans marquant) en adjectif; ce dernier serait alors régi par un terme – le substantif occhi – dont il serait séparé par l’article défini. Il va sans dire qu’il s’agirait là d’une structure particulièrement marquée; mais en même temps, la valence du verbe aprire exclurait a priori d’analyser loro comme un tiers actant. Le nucléus substantival dont le nom occhi est le centre constituerait donc l’actant unique du verbe aprire. En même temps, l’italien connaît des tours tels que Mi si chiudono gli occhi ou Mi si sono ristretti i pantaloni, auprès desquels se range fonctionnellement l’expression Si aprirono loro gli occhi (cf. à ce sujet Bally 1926). De toute évidence, mi e loro ont ici une valeur de reference point ou de repère dans la construction référentielle de l’évènement12. Or, cette valeur de repère entre ici dans le cadre d’une construction qui est typiquement celle d’une construction moyenne; de ce point de vue, la fonction de loro et de mi se rapprocherait davantage de celle d’un circonstant13. Enfin, on trouve ici une illustration supplémentaire de la possibilité offerte en italien de rhématiser le sujet via l’ordre V-S: si aprirono loro gli occhi constitue à vrai dire un exemple évident d’énoncé thétique (cf. notamment Kuroda 1972; Sasse 1987; Lambrecht 1988 et 1994): 12 La valeur de reference point apparaît plus clairement encore dans des exemples tels que les suivants, où la dimension spatiale est centrale: [12] a. Abramo accoglie i tre stranieri, corre loro incontro, li ospita, li rifocilla, si mette al loro servizio, dà loro molte ore del suo tempo, li ascolta e nel salutarli li accompagna per un tratto di strada. b. Gli uomini scambiano per reali le immagini che scorrono loro davanti. En d’autres termes, c’est autour de l’entité ou des entités représentées par le pronom loro que se structurent les relations spatiales marquées par correre incontro et scorrere davanti. D’autre part, les expressions incontro e davanti étant normalement construites avec la préposition a, l’hypothèse de la translation sans marquant trouve ici un argument supplémentaire. Notons enfin que le pronom loro peut d’autant moins être considéré comme enclitique du verbe que celui-ci est utilisé ici au présent de l’indicatif, contexte où l’enclise n’est pas possible en italien contemporain. 13 «Dans le cas de la diathèse moyenne, l’indice dont la valeur est incorporée n’est ni un prime actant, ni un second actant. Ce n’est même pas un tiers actant, mais plutôt un circonstant, puisque la personne intéressée ne l’est pas en tant que personne, mais en tant que cause finale: ‘pour moi’. Effectivement, dans l’expression languedocienne me la suce o me la manje, l’irange? ‘est-ce que je (me) la mange ou bien est-ce que je (me) la suce, l’orange?’ (qui est une sorte de moyen), l’indice me n’est pas un tiers actant avec valeur de ‘à moi’, mais un circonstant de but avec valeur de ‘pour moi’.» (Tesnière 1988:143) 36 Franck Floricic [11a⬘] presO’ E -e Quando dissO’’ O’ pane -e spezzO’ O’’ benedizione -ò la il f- O’’ lo e O’ -e diedO’’ O’’’ lo Ø loro O’ -u E a E tavola con aprirono O’ e allora O’ occhi gli loro si riconobbO’’ -ero lo A Ø loro aprirono O’ 1 allora occhi si e E gli [11b⬘] riconobbO’ -ero O’’ lo Ø loro apre O’ comprensione la si A di E Ø loro scrittura la Aussi, quelle que soit l’interprétation que l’on assigne ici au morphème loro, il reste que a) loro fait ici l’objet d’une translation sans marquant; b) surtout, son fonctionnement se distingue radicalement de celui des clitiques: ces derniers occupent en effet dans ce genre de constructions une position dont loro serait tout à fait exclu (cf. mi si chiudono gli occhi / *Loro si aprirono gli occhi e lo riconobbero). Au demeurant, si loro se comportait véritablement comme un clitique, il devrait en toute logique subir les phénomènes de cliticisation que connaissent les autres clitiques italiens: or, ni au gérondif, ni à l’impératif, le morphème loro n’est susceptible d’être enclitique14: 14 Telle est cependant la position de Wanner 1977:104 N2 et 1993:294-95, pour qui loro est bel et bien un clitique, mais un clitique de nature différente. Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 37 [12] a. *Invitateloro! (cf. invitateli!) b. *Vedendoloro, ho pensato che dovevo informarli della mia decisione (cf. vedendoli, ho . . .)15 c. Ha deciso di dar(*e)gli una lezione (= 50a in Cardinaletti 1991:146) d. Ha deciso di dar(e) loro una lezione (= 50b in Cardinaletti 1991:146) Les exemples [12a-b] montrent que la valeur ou le statut de loro ne coïncide pas avec celui des clitiques, qui dans ce type de contexte sont sous la dépendance du verbe aussi bien du point de vue de la syntaxe que de la phonologie (cf. Togeby 1968:70-71; Cardinaletti 1991:146). En [12c], la cliticisation de gli au verbe à l’infinitif entraîne d’ailleurs l’effacement obligatoire de la voyelle finale de ce dernier (cf. Nespor 1993: 229); en [12d] en revanche, l’effacement de la voyelle finale de la forme dare est tout au plus facultatif. D’autre part, alors que les clitiques sont susceptibles de se combiner et d’acquérir ainsi une certaine autonomie prosodique, la forme loro interdit quant à elle toute agglutination avec les autres clitiques: [13] a. Confidatela a me e gliela farò avere b. *Confidatela a me e lorola farò avere Cette contrainte est sans doute ne serait-ce qu’en partie responsable de l’éviction de loro par gli dans ce type de contexte, avec une irradiation de gli d’autant plus grande que l’alignement de ce dernier dans le paradigme des clitiques assure au système sa cohésion interne. De ce point de vue, il n’est pas étonnant que des occurrences de loro telles que celles illustrées en 14a-b soient en concurrence directe avec des constructions telles que 14c-d, où loro est précédé de la préposition, ou encore qu’elles cèdent de plus en plus la place à des constructions contenant le clitique gli (cf. 14e)16: [14] a. A sé chiama Cristo i travagliati ed afflitti, e li esorta ad apprendere da lui la mansuetudine e la vera umiltà . . .: venite a me, voi tutti, che siete affaticati e oppressi, e io vi ristorerò. Prendete il mio giogo sopra di voi e imparate da me, che sono mite e umile di cuore, e loro promette invigorimento e ristoro, e per le loro anime un dolce riposo: e troverete ristoro per le vostre anime (Mt 11, 28-29) b. Rimasta sola con i due innamorati, la marchesa promette loro il suo aiuto c. Il presidente del Consiglio non si fa troppe illusioni sul sì di Bertinotti, ma punta al suo elettorato. Non si rivolge tanto al segretario di Rifondazione, ma a chi voterà Ri15 Comme le remarquent Benincà/Cinque 1993, la convention selon laquelle les enclitiques sont en italien graphiquement soudés au terme dont ils dépendent peut être interprétée comme la manifestation d’une différence ou d’une asymétrie plus profonde entre la proclise et l’enclise. A contrario, et si l’on poursuit ce raisonnement, on pourrait voir dans la disjonction obligatoire de la forme loro au regard du verbe un indice du caractère non enclitique de cette dernière. 16 On peut mentionner à cet égard l’observation de Fornaciari 1884:53 §10: Il secondo gli (i. e. celui qui vaut pour a loro) ha a proprio favore una ragione assai buona; cioè che loro (nel senso di a loro) con cui i libri lo sostituiscono, non è congiuntiva, ma, per quanto si accorci in lor premesso al verbo, resta sempre una forma assoluta e pesante, ed in certi casi insopportabile, come quando si trova vicino ad un altro loro. 38 Franck Floricic fondazione e a loro promette una finanziaria che prende a cuore le loro esigenze, «gli interessi sociali», anche se forse non piacerà al loro incontentabile leader d. Nell’estate del 1984 il Napoli compra dal Barcellona Diego Armando Maradona, il più forte giocatore del mondo, se non il migliore di tutti i tempi, il quale, in cambio della fiducia dei tifosi, dei dirigenti e dei compagni di squadra, promette a loro la conquista degli scudetti e. I residenti nelle vie e nelle piazze della ZTL «B», che possiedono un posto auto privato, hanno il diritto di ottenere un contrassegno autoadesivo di colore blu che gli permette di accedere liberamente ai loro posti auto dalle ore 8.00 alle ore 24.00 L’autonomie prosodique de la forme loro (vs. la dépendance des clitiques) devrait donc en principe constituer un argument assez fort pour lui dénier le statut de clitique. Au demeurant, si l’on considère que le mot minimal italien est bi-moraïque (cf. Floricic 2000; Floricic/Molinu à paraître), on voit mal comment la bisyllabicité de loro pourrait s’accorder avec la déficience prosodique qui caractérise les clitiques (cf. aussi Monachesi 1995; Monachesi 1998: §4.2.5; Nespor 1999:141)17: de ce point de vue, la forme loro présente toutes les caractéristiques prosodiques des mots indépendants et constitue donc un Prosodic Word: [15] PrW F σ μ l ɔ σ μ μ r o On remarquera également que la forme loro se maintient dans des contextes où d’autres morphèmes subissent des phénomèmes de troncation: [16] a. La loro arte (cf. ? la lor arte / * la arte) b. A destra ci votino loro altri (? lor altri) che fanno le guerre flessibili, e il nostro voto se lo guadagnino imparando il rispetto politico Si donc le morphème loro résiste aux phénomènes d’élision, c’est parce que son statut est celui d’un substantif personnel et non celui d’un clitique. L’unique véritable problème consiste alors à expliquer pour quelle raison loro en fonction de 17 Nespor 1999:141, tout en reconnaissant que loro se comporte phonologiquement comme n’importe quel autre mot indépendant, définit cependant ce dernier comme un syntactic clitic. Si toutefois la définition de syntactic clitic était adéquate, on voit mal pour quelle raison sa distribution syntaxique serait différente de celle des formes auxquelles en italien on pourrait reconnaître le statut de «clitiques syntaxiques». Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 39 tiers actant n’est pas introduit en [14b] par la préposition qui habituellement représente le marquant de cette fonction. On a vu en effet que dans des exemples tels que [14c-d], loro était précédé de la préposition a de la même manière que lorsque la fonction de tiers actant est remplie par un nom propre de personne. Pour répondre à cette question, on observera tout d’abord qu’à l’instar de ce que nous avons vu plus haut (cf. [8a-b]), la translation de loro en actant 3 s’effectue ici sans marquant18: on représentera donc les exemples [5a] et [14b] comme en [17a-b]: [17a] [17a] libertà la A A di fantasia che appartiene O’ ( ) O’’’ Ø [17b] loro promette O’ O’’ marchesa O’’’ Ø la aiuto loro il suo On reprochera sans doute à ce type de représentation de décrire simplement les faits et de ne pas expliquer grand chose; c’est que la syntaxe de Tesnière n’aborde pas – et c’est effectivement le reproche qu’on pourrait lui adresser – la question de l’organisation discursive et informationnelle des énoncés. Or, c’est là qu’à notre avis il faut sans doute rechercher la raison d’être de l’absence de la préposition. 18 Précisons en effet que la translation n’a pas seulement pour fonction de faire passer un terme d’une catégorie à une autre; elle peut s’appliquer également aux fonctions actancielles. En l’occurrence, «le translatif fr. à est un translatif fonctionnel, lorsqu’il fait passer le prime actant à la catégorie du tiers actant tout en le laissant à l’intérieur de la catégorie du substantif: Alfred donne le livre à Bernard.» (Tesnière 1988:401 ch. 172 §5.; voir également ch. 52:111s.). 40 Franck Floricic 3. Loro et la focalisation On peut en effet faire l’hypothèse que l’absence du marquant de la fonction de tiers actant devant loro résulte de ce que ce dernier est out-of-focus dans des constructions telles que [5a] et [14b]. Au contraire, dans un exemple tel que [14d] (reproduit ici comme [18]), il apparaît clairement que le référent de loro est mis en perspective et vient constituer le terme d’une corrélation et d’un contraste: d’un côté, les tifosi, les dirigeants et les co-équipiers accordent en effet leur confiance à Maradona; mais de l’autre et en échange, Maradona leur fait à eux la promesse de conquérir des scudetti. [18] Nell’estate del 1984 il Napoli compra dal Barcellona Diego Armando Maradona, il più forte giocatore del mondo, se non il migliore di tutti i tempi, il quale, in cambio della fiducia dei tifosi, dei dirigenti e dei compagni di squadra, promette a loro la conquista degli scudetti À l’appui de cette hypothèse, on remarquera d’ailleurs que dans des exemples tels que [5a] (i. e. La libertà di fantasia che loro appartiene) ou [14b] (i. e. La marchesa promette loro il suo aiuto), le morphème loro peut difficilement être précédé de marqueurs ayant justement pour fonction de signaler un objet ou une entité comme étant saillants du point de vue sémantico-discursif (cf. Cardinaletti 1991:13536): [19] a. ??La libertà di fantasia che proprio loro appartiene b. ??La marchesa promette proprio loro il suo aiuto Aussi convient-il de souligner que de notre point de vue, l’adjonction de proprio est bloquée non pas par le statut de clitique qui serait celui de loro, mais en vertu de son statut informationnel. Il est intéressant à cet égard d’observer le comportement syntaxique de loro au regard de la négation: dans l’exemple suivant emprunté à Monachesi 1998, ce dernier occupe une position en dehors de la sphère étroite du verbe dans laquelle gravitent normalement les clitiques (cf. Cardinaletti 1991:145): [20] a. Il mercato non darà mai loro le somme necessarie per effettuare il pagamento (= [55] in Monachesi 1998) Si loro avait véritablement le statut de clitique, on devrait en effet s’attendre à le trouver entre la négation non et le verbe, conformément à ce que l’on observe avec des indices tels que mi, le ou gli. D’autre part, le mécanisme de la négation tend à associer l’indéfini mai au focus de l’énoncé. Le morphème loro peut donc d’autant moins porter sa propre charge informationnelle qu’il est adjacent à une entité ellemême fortement rhématique. On proposera donc de parler ici d’une stratégie de Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 41 défocalisation, défocalisation dont l’exposant est d’un côté l’absence de la préposition devant loro et l’intégration de ce dernier au sein du groupe rythmique formé par la séquence non darà mai. Ajoutons d’ailleurs que pour les mêmes raisons loro peut difficilement se trouver sous le champ de la négation (cf. Cardinaletti 1994:210); en [21], la négation non a sous sa portée une entité phrastique – l’infinitive di aiutarmi – dont le référent est de nature évènementielle; or, la négation marque ici l’exclusion de l’entité en question de la classe des y dans le schème (x) chiedere (y) a (z), la classe des (z) – représentée ici par loro – restant en-dehors du champ de la négation: [21] a. Non ho chiesto loro di aiutarmi, ma di consigliarmi b. ??Non ho chiesto loro di aiutarmi, ma a mio fratello À titre d’illustration du rôle fondamental de l’opération de focalisation, on mentionnera également des exemples tels que [22], où la forme loro requiert dans la réponse la présence de la préposition devant l’expression en fonction de tiers actant: [22] – A chi hai chiesto l’indirizzo? – ??L’ho chiesto loro De toute évidence, l’incongruence de la réponse ??L’ho chiesto loro résulte non pas de ce que loro aurait le statut de clitique, mais de ce que du point de vue informationnel, la place d’argument ne peut être instanciée que par une entité in focus: l’interrogation a précisément pour objet d’obtenir de l’autre une identification que l’énonciateur n’est pas lui-même en mesure d’effectuer. Par conséquent, pour être bien formée la réponse en [22] doit marquer le référent de la forme loro comme étant proéminent ou saillant en termes discursifs; or, c’est par le marquage prépositionnel que passe ici l’activation du référent. Aussi la forme loro conserve-t-elle du point de vue aussi bien syntaxique que phonologique le statut d’une entité indépendante dont elle partage les caractéristiques essentielles, même si par ailleurs sa syntaxe est soumise à des contraintes qui à plus d’un titre lui assignent une place particulière au sein du système. C’est dire que dans le cadre de l’analyse proposée ici, il n’est ni nécessaire, ni souhaitable de distinguer un loro «substantif personnel» et un loro clitique. D’ailleurs, si l’on prend en considération des exemples tels que [23a-b], il apparaît clairement que les deux occurrences de loro se distinguent non par leur statut syntaxique mais par leur fonction: [23] a. A Vicenza la Coldiretti ha già catturato la simpatia dei consumatori, avendo loro offerto varie occasioni di conoscerli nelle grandi manifestazioni di incontro b. Un nostro successo complicherebbe il cammino agli slavi avendo loro già perso il primo match contro la Russia En d’autres termes, loro est dans le premier cas translaté en tiers actant, alors qu’il joue simplement dans le second le rôle de prime actant: 42 Franck Floricic [23a⬘] Ha catturato O’ E Coldiretti E O’’ già simpatia Avendo offerto a Vicenza la A la di consumatori O’ ( ) O’’ occasioni O’’’ Ø loro varie i A di conoscerO’’ O’ ( ) li E in manifestazioni grandi A di [23b⬘] complicherebbe O’ successo O’’ cammino il un incontro E A avendo perso nostro a slavi O’ loro già O’’ match gli il primo contro A Russia la Aussi résulte-t-il de l’argumentation développée ci-dessus qu’il serait incorrect d’assigner à loro le statut de clitique en [23a] et celui de Full NP en [23b]; la distinction entre les deux valeurs de loro se situe fondamentalement au niveau des fonctions syntaxiques, et non au niveau des catégories. Au demeurant, des exemples tels que [24a-b] montrent que les pronoms lui et lei sont susceptibles d’occuper eux aussi sans préposition la fonction syntaxique de tiers actant19; ce 19 Comme le rappelle Cardinaletti 1994:207-8 et 1998:31, l’italien médiéval offrait déjà la possibilité d’utiliser en fonction d’objet indirect non seulement le morphème loro, mais aussi les Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 43 nonobstant, le statut de ces derniers n’en reste pas moins celui de substantif personnel et non celui de clitique. Là aussi, plutôt que de reconnaître deux séries homonymes, il semble plus économique et cohérent de poser que lui est en [24a] et [24b] translaté en actant 3 sans marquant: [24] a. Crebbe nella campagna e questo diede lui il modo di trovare l’armonia con la natura b. Nel giugno del 2000, dopo aver provato una serie infinita di persone, conobbe Alessio Contorni che diede lui la forza di creare i Perpetual Destiny. [24a⬘] Crebb- e O’ -e O’ questo E in diede campagna O’’ modo O’’’ Ø lui il la A di trovare ( ) armonia l’ A con natura la morphèmes de troisième personne du singulier lui et lei (cf. également Diez 1874/2:79; Caix 1878:44-45; Meyer-Lübke 1974/3:414 §377; Bourciez 1967:533; Tekavci 1980:187 §562.1). Et parallèlement, il était également possible d’utiliser ces derniers en fonction génitivale (cf. Togeby 1968:69-70). À l’inverse de Cardinaletti 1994 et 1998 cependant, nous refusons de distinguer ici des variantes fortes et des variantes faibles (homonymes) correspondant à des entrées lexicales distinctes: c’est de notre point de vue le même morphème qui est utilisé dans des contextes différents avec une distribution variable. C’est là du reste aussi la position de Rohlfs 1968:137 §441, qui dans son chapitre consacré aux pronoms toniques met précisément en parallèle le fonctionnement de loro en fonction génitivale et dativale: «Loro senza preposizione è invece tuttora in uso, per esempio la loro casa, scrissi loro.» Aussi n’est-il pas absurde de voir dans cette distribution de loro en italien contemporain un résidu ou un reliquat de la syntaxe italienne médiévale. 44 Franck Floricic [24b⬘] conobb- E in O’ -e E giugno O’’ Alessio dopo aver provato A che diede Contorni ( il ) ( serie ) O’’ possibilità O’’’ A una di duemila Ø infinita lui la A A di di il creare persone ( ) PDestiny i S’il est vrai que cette distribution est plus marginalement attestée avec lui et lei qu’elle ne l’est avec loro, il reste qu’elle est possible et mérite donc des éclaircissements quant à sa nature et sa raison d’être. Nous avons dit plus haut que l’adjacence de ces pronoms vis-à-vis du verbe ainsi que l’absence de la préposition devant son régime devaient être interprétés comme l’indice d’une défocalisation: cette dernière entraîne donc avec elle une sorte d’occultation du rôle sémantique assumé par ces pronoms, occultation dont l’expression apparaît comme l’image miroir de ce que connaissent les langues à marquage différentiel de l’objet. En effet, alors que des langues telles que le sarde, le sicilien, le corse, l’espagnol ou le catalan assignent à un élément de nature prépositionnelle le rôle de marquer l’objet lorsque son référent est fortement individué, on a ici affaire au phénomène inverse, puisque le bénéficiaire ou le récipiendaire sont dépourvus du signe de leur fonction. Or, on peut faire l’hypothèse que cette occultation est (au moins en partie) conditionnée par le statut référentiel du pronom loro: alors que les pronoms de première et seconde personne ont obligatoirement comme référent une/des entité(s) de type humain, le référent de loro peut tout à fait être non humain ou non animé (cf. [25a-d]): [25] a. Il Sistema Solare è un gruppo di corpi celesti composto da una stella (il Sole) e da nove pianeti maggiori con i loro satelliti, da migliaia di piccoli pianeti o asteroidi, da comete e da meteore b. I ricercatori hanno quindi indirizzato la loro attenzione ai tessuti viventi e ai meccanismi che permettono loro di differenziarsi c. Con la parola Internet si intende tutta la rete di computer collegati tra di loro d. Molte meteoriti ferrose contengono anche inclusioni di grafite, troilite, silicati e altri minerali che conferiscono loro un aspetto peculiare Comme le montre le schéma en [26], cette particularité résulte de ce que la troisième personne trouve sa place en-dehors de la corrélation entre la première et la Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 45 deuxième personne, dont l’opposition polaire constitue le noyau du système de la personne (cf. Brøndal 1937; Kurylowicz 1964)20. [26] (+) • (1ère p.) • (3ème p.) • (–) (2ème p.) D’autre part, la pluralité exprimée par loro implique une fragmentation qui de toute évidence abaisse le degré d’individuation du référent21. C’est dire qu’au regard de hiérarchies telles que celles indiquées par Givón 1976 – auxquelles on peut ajouter celle en [27e] – le pronom loro présente des caractéristiques qui à plus d’un titre l’apparente aux indéfinis22: [27] a. b. c. d. e. Human ⬎ Non-Human Definite ⬎ Indefinite More involved participant ⬎ Less involved participant 1st person ⬎ 2nd person ⬎ 3rd person Sg. ⬎ Dual ⬎ Plural (Givón 1976:152) 20 «La première et la deuxième personnes sont mutuellement polaires; elles forment, à elles seules, le contraste fondamental de la catégorie. La troisième est neutre, donc à part.» (Brøndal 1939:177). Aussi Brøndal insiste-t-il sur le fait que les personnes telles qu’il les entend doivent être conçues comme des positions au sein d’espaces, positions qui bien évidemment peuvent être identifiées aux positions qu’occupent prototypiquement le locuteur et l’interlocuteur dans la situation de locution (cf. aussi Desző 1982:29). 21 Comme l’observe Cooreman 1994:52, «plurals contain some element of indefiniteness in them in the sense that an expression like the men can be interpreted as ‘all elements which can be characterized by the feature man-ness’.» 22 Il est intéressant de remarquer à ce titre que d’après les données de Loporcaro 2001:46061, le parler de Colonna (province de Rome) connaîtrait le marquage de l’objet exclusivement en présence des pronoms de première et seconde personne (vs. la troisième): i. loro (c) anno vvisto a nnui / * nui da rubbá le pere (cf. 3b in Loporcaro 2001) ‘loro (ci) hanno visto noi rubare le pere’ (eux nous ont vu nous voler les poires) ii. sO vvisto a vvui / * vui nO a kkwill atri ‘ho visto voi, non quegli altri’ (c’est vous que j’ai vu, pas ceux-là) iii. sO vvisto essa / * a essa ke vveneva da lla (cf. 4b in Loporcaro 2001) ‘ho visto lei che veniva di là’ (je l’ai vue elle qui venait par là) iv. semo ŋgondrato issu / * a issu ko a sorεlla ‘abbiamo incontrato lui con la sorella’ (nous l’avons rencontré lui avec sa sœur) v. sO vvisto loro / * a lloro dOpo ma ato ‘ho visto loro dopo mangiato’ (je les ai vus eux après manger) Ces exemples fournissent une illustration supplémentaire de la position particulière qu’occupe la troisième personne au regard des deux autres. 46 Franck Floricic De ce point de vue, l’adjacence de loro au regard du verbe et l’absence de la préposition devant ce dernier évoque tout naturellement le cas des langues à incorporation de l’objet, où l’une des propriétés de l’objet est précisément sa référentialité réduite et son caractère informationnellement non proéminent23. Il est vrai qu’en vertu de la hiérarchie proposée par Givón (op. cit.), la fonction de tiers actant est prototypiquement assumée par des entités susceptibles d’exercer un certain contrôle sur les évènements (i. e. les individus humains), d’où le caractère généralement défini / individué des entités auxquelles réfère l’objet indirect. Ceci étant, au sein même de l’ensemble d’objets susceptibles d’occuper cette fonction, il est possible d’établir des distinctions ultérieures; or, la hiérarchie en [27d] illustre précisément une distinction fondamentale dont les corrélats linguistiques sont multiples: avec l’indice si, loro représente au sein de la catégorie de la personne le moins individué des pronoms et abolit les distinctions de genre que connaissent au singulier les indices d’objet (cf. lo / la; gli / le). Rien d’étonnant donc à ce que sa syntaxe présente un certain nombre de traits idiosyncratiques. Idiosyncrasie qui cependant s’éclaire dès lors qu’on examine le comportement des indéfinis au regard du verbe: il est en effet intéressant d’observer que la relation entre le verbe et les «bare NP» en fonction d’objet induit des alternances morphonologiques analogues à celles qui caractérisent la relation entre le verbe et le substantif personnel loro. [28] a. Se lo si ritiene opportuno, è possibile attribuir loro un nome b. Si preoccupa solo che il viaggio a cui dovrà sottoporli non sia tanto terribile da procurar loro qualche danno c. È necessario riconoscere a queste regioni condizioni che consentan loro di affrontare, su un piano di parità rispetto al resto delle regioni europee, i cambiamenti che si avvicinano a livello europeo e internazionale En [28a-c], la voyelle finale du verbe auquel le morphème loro est adjacent est élidée de la même manière que celle des verbes en [29], où le SN indéfini en fonction d’objet présente toutes les caractéristiques de ce que l’on reconnaît comme incorporation (cf. entre autres Sasse 1994; Kørzen 1998; Herslund 1999): [29] a. Vi è difficile attaccar discorso con una persona che non conoscete? b. Più volte ebbe l’intenzione d’aprir bocca per dire qualcosa, ma ogni volta improvvisamente cambiava idea c. Come si fa a chiuder bottega quando è ancora giorno? d. La pazza lo aveva ascoltato senza batter ciglio, senza fare il minimo gesto 23 Gerdts 1998:85 signale cependant le cas de langues telles que le Tiwa du sud, où l’incorporation peut affecter des noms dont le référent est spécifique. Dans cette langue, sont incorporés les noms dont le référent est inanimé, de même que ceux dont le référent animé non-humain est pluralisé. Ceci étant, les noms au singulier dont le référent est animé et non-humain sont également incorporés, de même que ceux dont le référent humain est pluralisé, à condition qu’ils ne subissent aucune modification. Enfin, les noms au singulier dont le référent est humain s’incorporent obligatoirement en présence d’un sujet de troisième personne. Gerdts conclut donc que « . . . incorporation serves the function of making the nominal less salient in the discourse.» (p. 86) Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 47 Les noms sans déterminant introduisent ici en fonction de second argument une pure notion détachée de tout objet particulier24. Or, ni l’élision de la voyelle finale du verbe, ni la coalescence du groupe verbo-nominal ou l’absence de déterminant devant le nom ne confèrent à ce dernier le statut d’enclitique. En d’autres termes, c’est le statut référentiel et discursif des entités en fonction de second argument qui est ici crucial; si ces propriétés référentielles peuvent se combiner avec des particularités prosodiques (cf. la problématique de l’élision en [28] et [29]), il n’en reste pas moins que le degré de coalescence entre le verbe et l’objet est largement indépendant des propriétés prosodiques de l’entité en fonction d’objet. On remarquera que dans des langues couchitiques telles que le Boni, l’entité en fonction d’objet est justement dépourvue de marqueur de focalisation lorsque le verbe et l’objet font bloc (cf. [30a] vs. [30b] [= (20a) et (20b) dans Sasse 1984:252-53]): [30] a. Hác-idohoo biyóoˆta?aka SGLT-woman waterˆdrink/IMPF/3sf «The woman drinks water»25 b. Hác-idohoo biyóo-é ta?aka SGLT-woman water-NF drink/IMPF/3sf «The woman drinks water» c. Hác-idohoo biyo á-ta?aka SGLT-woman water VF-drink/IMPF/3sf «The woman drinks water» Les trois exemples en [30] se distinguent en fonction du statut informationnel assigné aux éléments de la prédication. L’exemple [30a] présente un cas d’incorporation, où ni le verbe, ni le nominal ne sont saillants du point de vue informationnel; l’énoncé est décrit par Sasse comment étant neutre du point de vue informationnel. En [30b] et [30c] en revanche, l’entité en fonction de second argument et le verbe sont respectivement pourvus de marqueurs de focalisation qui leur confèrent le statut d’objet cognitivement proéminent. D’une manière analogue, les expressions prender coscienza et dar ascolto en [31a-b] forment un tout conceptuel et l’entité en fonction de second argument est dépourvue de toute autonomie syntaxique et sémantique; il s’ensuit que la structure actancielle du prédicat s’oriente ici vers un schéma respectivement mono- et divalent: 24 Il va de soi que lorsqu’on dit de x qu’il n’ouvre la bouche que pour dire des bêtises, c’est de la sienne qu’il est question, et non de celle de y ou de z; ceci étant, l’agent du procès n’est justement pas mentionné en tant qu’agent d’une activité dirigée vers un objet spécifique (i. e. ‘cette bouche’ et non ‘telle autre’) qui exigerait une participation et une implication active. C’est la raison pour laquelle ces constructions sont souvent signalées comme faiblement transitives, voire comme proches des constructions intransitives. 25 SGLT = singulatif; ˆ = frontière entre les deux éléments d’un composé; IMPF = aspect imperfectif; 3sf = troisième personne féminin singulier; VF = focus verbal 48 Franck Floricic [31] a. Giovani provenienti da sei paesi europei partecipano a un «gioco-dibattito» destinato a far prender loro coscienza degli aspetti scientifici e politici delle controversie che riguardano le risorse alimentari, la loro qualità e l’ambiente b. I clienti si affidano ad Unit perché ci dimostriamo pronti a dar loro ascolto e ad offrir loro soluzioni efficaci e di facile utilizzo Il est particulièrement intéressant de constater que le pronom loro s’intercale en [31] entre des éléments supposés être coalescents aussi bien du point de vue syntaxique que sémantique. Aussi peut-on voir dans la possibilité d’insérer loro dans ces contextes une illustration supplémentaire de l’occultation du rôle informationnel qui est le sien: on pourrait d’ailleurs difficilement faire ici précéder le pronom de la préposition a. Or, on peut dire que dans des exemples tels que [31a-b], les substantifs coscienza e ascolto ne sont pas plus enclitiques au regard de prendere et dare que ne l’est le pronom loro, qui encore une fois conserve ici pleinement sa valeur de substantif personnel. 4. Epilogue: combien de loro? Nous avons vu qu’un certain nombre d’arguments pouvaient être avancés pour dénier au morphème loro le statut de clitique, et qu’un examen attentif de ses propriétés syntaxiques invitait à le traiter de plein droit comme un substantif personnel. Remarquons que le problème soulevé ici par loro évoque également celui posé par la distinction faite traditionnellement entre un loro «pronom» et un loro «adjectif». Des exemples tels que [32] illustrent ce que l’on désigne habituellement comme la valeur «pronominale» (vs. «adjectivale») de loro: [32] Attraverso una conoscenza in comune, la mia strada incrociò la loro. Or, il est facile de constater que l’on a simplement affaire ici à une réduction discursive (cf. Creissels 1995:76s.) dont la substantivation syntaxique n’est que le résultat: la loro implique en effet une relation anaphorique avec un référent que le co(n)texte permet de récupérer et qui pour cette raison peut rester à l’arrière-plan (cf. Kurylowicz 1973:45s. et 1977:131-34). Dans le cadre de la syntaxe de dépendance, plusieurs hypothèses d’analyse sont ici à vrai dire possibles. D’un côté on peut considérer, à l’instar de ce que nous avons vu plus haut, que loro fait l’objet d’une translation sans marquant qui le transfère en adjectif, la fonction de l’article défini étant de refaire passer loro dans la catégorie du nom (cf. [32⬘]). En même temps, on peut tout à fait analyser ce type d’exemple comme un cas de gapping: de ce point de vue, le substantif strada serait dédoublé, et la jonction qui sous-tend la relation entre les deux actants trouverait même une confirmation dans l’existence de paraphrases du type la mia strada e la loro si incrociarono (cf. [32⬙]). Une représentation telle que [32⬙] présente cependant l’inconvénient d’assigner aux déterminants la et loro un statut identique de dépendant, alors qu’en réalité l’un et Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 49 l’autre jouent au niveau de la construction référentielle un rôle radicalement différent; au niveau même de la syntaxe, on peut faire l’hypothèse que l’article la est promu au statut de régissant, loro restant quant à lui sous la dépendance du terme nouvellement recteur (cf. [32]): [32⬘] [32’] incrociò O’ strada E O’’ la E a conoscenza la Ø loro A in comune [32’’] incrociò O’ strada E E a conoscenza la O’’ (strada) mia la A Ø traverso una loro A in [32] A traverso una [32⬙] mia comune [32’’’] incrociò a O’’ la O’ strada E E strada la conoscenza traverso mia ( ) A Ø una loro A in comune En d’autres termes, la représentation en [32] montre que l’on a affaire ici à des promotions en chaîne: d’un côté l’article la est promu à un rang auparavant occupé par le substantif strada, avec le référent duquel il conserve évidemment une relation anaphorique marquée ici par le trait en pointillés. De l’autre, on peut faire l’hypothèse qu’à son tour le déterminant loro passe de la périphérie du SN au sta- 50 Franck Floricic tut d’élément fortement régi26. Aussi apparaît-il clairement ici que la distinction entre adjectif et pronom résulte simplement d’une réduction au sein du constituant nominal; or, cette dernière entraîne avec elle une réorganisation des ‘places’ qui reviennent à chacun des termes au sein du SN: en ce sens, ce qui apparaît comme une différence de statut entre des formes a priori distinctes n’est donc que le résultat ou l’effet d’une redistribution des ‘rôles’ au sein du constituant nominal. Qu’il s’agisse donc de la distinction entre un loro ‘clitique’ et un loro ‘substantif personnel’ ou qu’il s’agisse de l’opposition entre un loro ‘adjectif’ et un loro ‘pronom’, c’est à chaque fois du même objet linguistique qu’il est question. Les variantes qu’il est possible d’identifier ne sont précisément que des variantes distributionnelles du même objet. 5. Conclusion Les lignes qui précèdent entendaient non pas traiter d’une manière exhaustive une question qui mériterait une étude beaucoup plus approfondie, mais apporter un certain nombre d’arguments susceptibles de clarifier le statut syntaxique de la forme loro. Si l’on distingue au sein de la catégorie ‘clitique’ d’un côté des entités dont la propriété principale est d’être prosodiquement sous la dépendance d’un élément susceptible d’être leur hôte (cf. les simple clitics de Zwicky 1977), et de l’autre des entités dont le trait essentiel réside dans l’existence de propriétés distributionnelles particulières (cf. les special clitics de Zwicky 1977), force est de reconnaître que loro présente au regard de cette classification un profil tout à fait particulier. De toute évidence, le statut de loro est celui d’une entité autonome du point de vue prosodique, statut qui par conséquent interdit de la définir comme un simple clitic; mais en même temps, si elle présente des propriétés distributionnelles particulières, ce ne sont pas celles des entités qu’en italien on pourrait identifier comme des special clitics. Plutôt que de distinguer en italien deux classes distributionnelles au sein des clitiques (cf. Wanner 1978 et 1993), il nous semble possible d’assigner à loro le statut de constituant nominal véritable, moyennant la prise en compte d’opérations syntaxiques spécifiques auxquelles ce dernier est soumis. L’analyse proposée ici présente donc l’avantage d’unifier les différentes valeurs de loro et d’éviter ainsi une fragmentation plus ou moins arbitraire de ces dernières. 26 Dans cet exemple comme dans ceux indiqués ci-dessus, la relation entre l’‘adjectif’ et le substantif régissant est marquée comme plus lâche que celle entre l’article (in)/défini et le substantif. D’une manière analogue, Tesnière 1988:154 §25 représente comme suit un SN tel que l’auto rouge que vous avez vue hier, où la relative que vous avez vue hier porte sur une entité déjà construite et syntaxiquement autonome: le trait de connexion relie donc cette dernière à la relation qui unit le régissant et le subordonné: l’auto [33] rouge que vous avez vue hier Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? 51 Elle permet en même temps de maintenir l’unité et la cohésion interne du paradigme des clitiques en italien. Il ne s’agit pas pour autant de nier qu’ici comme dans d’autres domaines il faille exclure de prendre en considération le continuum qui caractérise le mode de structuration des catégories et leur interrelation (cf. Bossong 1998). Mais en l’occurrence, il ne semble pas que l’italien contemporain montre même l’amorce d’un véritable déplacement ou d’une véritable dérive de loro de la catégorie des substantifs personnels à celle des indices d’objet. Il nous semble donc que de nombreux arguments concourent à assigner au morphème loro le statut exclusif de substantif personnel. Toulouse Franck Floricic Bibliographie Anderson, S. R. 1995: «Rules and constraints in describing the morphology of phrases», in: Papers from the 31th Regional Meeting of the Chicago Linguistic Society (CLS 31). 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