certainement Hermarque de Mytilène, qui lui succéda à l’école et Métrodore de
Lampsaque, peut-être le plus illustre de tous. Pour comprendre cette dernière période de
l’école, il faut savoir que la vie s’y déroulait en étroite relation avec celle des autres
centres épicuriens qui étaient restés vivants en Asie après le départ du maître et
comptaient encore de nombreux élèves. Parmi les plus connus figuraient Idoménée,
Mithrès et Timocrate, qui, à l’exception de ce dernier, demeurèrent toujours fidèles au
maître. Épicure parvint donc à donner à son école une solide unité qui se manifesta
même après sa mort et dont il faut chercher la première cause dans le rayonnement de
sa personnalité et dans la richesse spirituelle et doctrinale de l’héritage qu’il laissa à ses
élèves. Ainsi, tout au long de sa vie, Épicure ne manqua jamais, par des relations
épistolaires entretenues avec ses disciples, de manifester à ces groupes lointains sa
présence vivante et vigilante; certaines lettres avaient sans doute une importance
doctrinale exceptionnelle puisque, des siècles plus tard, elles continuent à être évoquées
comme des textes fondamentaux: la lettre dite «splendide», celle adressée au jeune
Pythoclès, celle à Ménécée sur la vie morale. D’autres valaient moins par leur contenu
doctrinal que comme témoignages d’affection et de sollicitude du maître. L’école garda un
souvenir déférent de cette abondante production épistolaire et, plus de deux siècles plus
tard, Philodème y puisa, par d’amples et nombreuses citations, pour retracer l’histoire de
l’école, riche en modèles incarnant parfaitement l’idéal de vie que les adeptes d’Épicure
se proposaient de réaliser.
2 - Sagesse et vie publique
La solidarité et l’amitié qui, par ailleurs, étaient les éléments fondamentaux du système
éthique d’Épicure, constituaient donc le lien idéal qui unissait les disciples à l’école.
L’organisation pratique elle-même devait être des plus simples car tout était facilité par
l’extrême frugalité de la vie que l’on menait au «Jardin». Dans une lettre à Polyainos,
Épicure se vantait de réussir à dépenser moins que Métrodore pour la nourriture
journalière et établissait un rapport direct entre les progrès dans la frugalité et les progrès
dans la sagesse. Il fallait cependant assurer l’indispensable minimum: aussi Épicure
demandait-il à chaque disciple de verser une contribution. Il n’avait pas voulu adopter le
système de la communauté des biens pratiqué chez les pythagoriciens, estimant que ce
système favorisait la méfiance, ennemie de l’amitié, et qu’en outre une organisation aussi
rigoureuse éloignerait sans doute de l’école nombre de personnes remarquables qui,
probablement, n’auraient pas pu consacrer toute leur vie à l’école.
Deux de ces personnalités, Mithrès et Idoménée, nous sont mieux connues et nous
intéressent particulièrement: les événements de leur existence montrent avec quelle
clairvoyance, quelle compréhension et quel réalisme Épicure imposait l’application des
préceptes qu’il enseignait. Il demandait par exemple au sage de ne pas s’occuper de
politique, de ne pas participer à la vie publique, les devoirs et les préoccupations qu’elle
implique étant de sérieux obstacles à la conquête de la béatitude. Or Mithrès, ministre
des Finances du roi Lysimaque, était, bien que tout entier plongé dans la vie politique,
membre et soutien convaincu de l’école. Épicure lui avait reproché d’accepter ces tracas
et rappelé que la doctrine épicurienne considérait comme «vulgaires et grossières [...] les
formes de vie qui ne tendent pas au bonheur», mais Mithrès n’en avait pas pour autant
renoncé à sa charge. Cependant, lorsque l’infortune le frappa, avec la mort de Lysimaque
(281 av. J.-C.), Mithrès jouit à son tour des faveurs et de la protection accordées aux
autres membres; l’école tout entière accepta avec enthousiasme de l’aider et travailla tout
d’abord à le libérer de la prison. Très semblable devait être la situation d’Idoménée, lui
aussi personnage politique de premier rang et célèbre érudit. Dans les lettres qu’Épicure
lui avait envoyées, on relève des reproches semblables et des invitations à ne pas
surestimer une telle vie et les honneurs qu’elle comporte. Pourtant, Idoménée avait été
un des premiers disciples d’Épicure depuis l’époque de Lampsaque: la lettre que,
mourant, il lui adressa avec ses dernières recommandations témoigne des liens étroits
qui les unirent.
Épicure savait donc qu’il ne pouvait exiger de tous la recherche absolue de la sagesse,
mais il n’en dédaignait pas pour autant l’amitié d’un Mithrès ou d’un Idoménée. À ces
élèves, qui ne pouvaient consacrer à l’étude de la philosophie tout le temps et le zèle
nécessaires, il destinait des œuvres particulières sous forme de résumés qui
rassemblaient en quelques brèves propositions, destinées probablement à être apprises
par cœur, les éléments essentiels de l’ensemble du système. Il s’agissait d’une sorte de
catéchisme que d’autre part Épicure imposait à tous, à charge pour ceux qui pouvaient
consacrer plus de temps à l’étude d’intégrer ce premier degré d’enseignement à la
méditation des grands traités. C’est à ce genre de résumés qu’appartiennent par exemple
les deux premières lettres, à Hérodote et à Pythoclès, conservées par Diogène Laërce.
Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-165 : “Épicure et le plaisir” - 20/01/2005 - page 4